Les conséquences de la crise sanitaire en Grèce : un cas désespéré ? (2011-10-13, par Marguerite Champeaux-Rousselot)

The Lancet, du 10 octobre 2011, analyse les conséquences sanitaires à long terme de la crise grecque : elles  commencent  à se faire sentir et deviennent mesurables et mesurées. Elles sont déjà difficiles  à contrôler et à rattraper.

La situation financière de la Grèce l’explique presque totalement  : le chômage  est passé de 6%  à 16%  de mai 2010 à mai 2011 ) , celui des jeunes est monté de 16 à 40% ,  la consommation est en chute, la dette de  la Grèce réduit les aides sociales; tout   conduit à une rétractation générale, à la chute du prix de l’heure de travail  (des informaticiens cherchent  un travail à 5 € de l’heure),  certains prix chutent  à la vente  (immobilier, vêtements), des lignes de chemin de fer se ferment …

Ces problèmes financiers ont des répercussions directes sur l’état sanitaire des Grecs.

En comparant avec 2007, c’est-à-dire avant la crise, 2009 a vu une augmentation significative de personnes confiant qu’elles n’allaient pas allées chez le docteur ou le dentiste (+ 15% environ) à cause d’un temps trop long pour attendre un rendez-vous,  de la distance à parcourir , un espoir que ça aille mieux tout seul, etc.

En effet,  en Grèce le système de santé est universel, et cela  ne  peut donc  pas  être  pour des raisons financières qu’on ne se soigne pas :  chacun de nous peut imaginer l’effet des coupes sombres dans les budgets des hôpitaux ( 40% environ ! ) :  le manque de personnel entraîne des listes d’attente décourageantes… et peut expliquer que les personnes qui en ont les moyens  trouvent le…  moyen de se faire soigner plus vite dans les hôpitaux publics et privés. Un fait déjà  que nous avions signalé déjà en 2008.  Un problème porté à la connaissance de tous : la corruption,  si on appelle cela par son vrai nom.

Ces attentes  s’augmentent encore, à cause  d’un état de santé qui s’est dégradé : les admissions  à l’hôpital public ont augmenté de 24 %  de 2009 à 2010 , et de 8%  encore  de plus sur les 6 premiers mois de 2011 par rapport aux six premiers mois de 2010 …

Par contre, les cliniques privées, aux marges également très comprimées, face  l’inflation, connaissent des pertes financières, sans compter que leur propre clientèle  s’étiole : les personnes autrefois aisées  connaissent des difficultés financières également. Ainsi en 2010, il y a eu entre 25 et 30% de moins d’admissions dans les cliniques privées, prises ainsi entre la nécessité de fournir une offre de soins pour vivre, et  les licenciements  devant une baisse du nombre de patients et  la hausse des coûts.

C’est l’ensemble de la population qui se porte moins bien, voire mal, et les plus vulnérables forment la pointe d’un iceberg.

Les suicides ont  augmenté de 17% entre 2007 et 2009, et un document non officiel fait état d’une augmentation de 25 entre 2009 et 2010. Pire, le Ministre de la Santé   rapporte une hausse de 40 %  dans la première moitié de 2011 par rapport à la même  période de 2010. On sait que 25% d’entre eux sont dus à des difficultés financières, en particulier l’impossibilité de rembourser ses propres dettes, un état qui affecte  au plus haut degré la personne honnête et soucieuse des autres.

On sait que les conduites à risque, ( qui sont souvent en réalité des tentatives de suicide ) avec leur cortège de blessures qu’on inflige aux autres ou à soi-même. Ce qui génère des coûts et des handicaps de toute sorte.

La violence également a augmenté. On la mesure, non à l’intérieur de chacun, ou des maisons, mais lorsqu’elle s’extériorise et cause  des homicides, blessures et vols : ils ont presque doublé entre  2007 et 2009, mais, chose terrible, les dommages et intérêts baissent de niveau puisque les assurances ont des problèmes budgétaires.

L’hygiène, préoccupation naturelle ou presque des gens… sains et équilibrés, baisse avec l’augmentation des conduites à risque ou des incivilités : les infections  à HIV auraient augmenté de 52% en 2011 par rapport à 2010 ( 922 nouveaux cas contre 605 ), dont 50% environ sont dus  à  des intraveineuses ( drogue )  contaminées : négligence, inconscience, inexpérience, désespoirs, prostitution occasionnelle pour se fournir en drogue ou faire face à des besoins financiers  de base  ?  Les héroïnomanes auraient augmenté de 20%  . Mais ces constatations  chiffrées par exemple par le Greek Documentation and Monitoring Centre for Drugs, ne sont que provisoires : en effet, la prévention est aussi atteinte et restreinte budgétairement ( les programmes de médecine de rue ont baissé tout simplement d’un  tiers…).

On ose à peine l’écrire mais le  « Report of the ad hoc expert group of the Greek focal point on the outbreak of HIV/AIDS in 2011 »  (Athens: Greek Documentation and Monitoring Centre for Drugs, 2011.)  cite des cas  où des personnes se sont délibérément infectées au HIV pour toucher les 700 € par mois  et une admission plus rapide aux programmes de substitution pour lesquels le temps d’attente atteint trois ans ou plus dans les villes.

Les ONG sont débordées dorénavant : elles soignaient surtout les immigrants, mais Médecin du Monde Grèce estime  que  ce ne sont plus 3% de Grecs, comme avant la crise, mais 30% qui y ont recours.

Le bon côté de la crise, signale The Lancet, c’est la baisse très sensible de la consommation d’alcool, et donc de l’ivresse au volant.

A ces diverses informations, ajoutons  notre commentaire :

Peut-être à plus long terme, d’autres effets bénéfiques pourraient-ils être répertoriés ( consommation de produits gras et sucrés, paresse à marcher, pollution des carburants, … ) mais ces quelques avantages ne semblent pas pouvoir être contrebalancés par d’autres conséquences néfastes encore non chiffrées, et par le prix que paient en ce moment les plus pauvres en Grèce. «  Il n’est de richesses que d’hommes » disait Jean Bodin. La crise atteint ici chaque Grec, et tout citoyen du monde.

La Grèce qui avait une protection santé efficace ( sauf la corruption )  se retrouve dans une situation qui nous ramène des années en arrière en Europe, et dont il devient chaque jour plus difficile  de se sortir, à moins d’une aide extérieure. ( voir les autres articles sur http://www.1-360.net).

C’est aussi un exemple  terrible : il faut longtemps pour faire un arbre, et peu de temps pour l’abattre.  De ce contre-exemple, nous avons tous à tirer des leçons en ce qui concerne nos priorités individuelles et collectives.

 

Marguerite  Champeaux-Rousselot