Un aspect de l’Histoire des Dogmes : monde chrétien et musulman. ( conf. par E. Fiori, 2022-04-20 Paris)

« Transposer et transformer l’histoire des dogmes : les florilèges dogmatiques syriaques et la patristique grecque en monde musulman. »

Dans le cadre de la direction d’études de Marie-Odile Boulnois (« Patristique grecque et histoire des dogmes ») et en collaboration avec le Laboratoire d’études sur les Monothéismes (UMR 8584), Monsieur Emiliano Fiori (professeur associé à l’Université Ca’ Foscari, Venise) donnera une conférence intitulée : « Transposer et transformer l’histoire des dogmes : les florilèges dogmatiques syriaques et la patristique grecque en monde musulman ».

Inscription obligatoire : https://fiori.evenbrite.fr

Mercredi 20 avril 2022, de 14h à 16h, à la MSH, 54 bd Raspail, salle 15.

L’affiche est en pj.

Comment parler de ce qui ne peut se mettre en mots ? « Phénoménologie de la transcendance », par Sophie Nordmann, 9 février 2022

L’exposé de Sophie Nordmann, mercredi 9 février 2022, sera suivi d’un débat avec Philippe Gaudin.
 
– Sophie Nordmann (enseignante-chercheuse à l’EPHE en philosophie contemporaine, éthique, pensée juive, et membre du GSRL) a écrit deux livres Phénoménologie de la transcendance I (Création Révélation Rédemption) et Phénoménologie de la transcendance II (Humanité).  
– Philippe Gaudin (directeur de l’IREL et membre du GSRL)  

La rencontre aura lieu à la MSH (salle AS1-01), 54 boulevard Raspail à Paris mais également en ligne : dans les deux cas sur inscription (ouverture des inscriptions à partir du 15 février).    

« Toute phénoménologie, par définition, part de et en reste au monde tel qu’il s’offre à la conscience.
Une phénoménologie de la transcendance semble donc une entreprise impossible, puisqu’il s’agirait de chercher dans l’expérience du monde « quelque chose » qui ne puisse en aucune manière que ce soit être rapporté au monde. (…) Pour le dire autrement, si la transcendance était objet d’expérience possible, alors justement elle ne serait plus transcendance.
Par principe, une ‘phénoménologie de la transcendance’ ne cherchera donc pas positivement quelque chose de transcendant dans le monde. Il ne pourra s’agir que d’une phénoménologie de la trace : phénoménologie de ce qui est au monde sur le mode de la non-présence et de la non-représentabilité.» 
Une phénoménologie de ce qui « brille par son absence» qui nous invite à une réflexion nouvelle et inattendue sur l’humanité de l’homme.  

( NDLR : cela devrait être fort intéressant ! Cette phénoménologie de la Transcendance à mon avis pourrait se rapprocher de certaines spiritualités ou religions  pour qui Dieu ou un dieu ne se mettent pas en mots   car ils sont saints et brillent par une absence qui rend l’Homme libre et heureux  : théologie apophatique, négative ou mystique…, certaines découvertes théologiques plus ou moins récentes, le doute qui vaut mieux que la foi, le Dieu caché, les paradoxes de l’Evangile, le « liquide » et le seuil, le Hors-les-Murs et le nomadisme etc. Des réalités humaines, des valeurs, des idéaux éventuellement non-religieux qui sont peut-être en chaque Homme ? Marguerite Champeaux-Rousselot )

S’inscrire pour assister à cette rencontre

La notion de vav conversif, en hébreu.

Publié par Marguerite Champeaux-Rousselot le 18 septembre 2021

 

Que veut dire « conversif » ?

Photo de cottonbro sur Pexels.com

Soit un mot de base : on lui accole un élément (lettre ou un préfixe)  qui le fait changer de sens. Il ne s’agit pas d’un cas comme moral,   et a-moral ou im-moral :  ce sont desmots contraires ou antonymes, mais d’un autre changement de sens .

L’anglais a gardé des traces d’un pouvoir conversif : celui du du W :

– placé devant le mot East, Est, il le change en West, Ouest.

– placé devant le mot Man, homme, il le change en Woman, femme.

En latin, le doublet Man-Woman se dissimule derrière les racines H/MN de ho-minis, ho-minem, génitif et accusatif de homo et de F/MN, femina, qui a donné « féminin ». Le F est resté sixième lettre de l’alphabet latin, à la place du VavW, sixième lettre de l’alphabet hébreu.

Le  vav ou waw conversif en hébreu biblique

En effet, il existe en hébreu biblique, la 6°lettre de l’alphabet, une consonne, qui s’appelle vav,  se prononce /v/  et s’écrit en hébreu  comme un petit clou (יְ) et conventionnellement s’écrit en européen avec un W ou un J.

Cette consonne a en hébreu différents rôles.

Entre autres, elle peut se placer  devant un verbe  et elle en modifie alors le temps.

Cette fonction n’est jamais employée dans l’hébreu oral, même ancien. Elle n’est employée que dans l’hébreu écrit.

Cette fonction n’existe plus non plus en hébreu moderne.

Deux cas  pour cette fonction :

1°)  Soit un verbe au passé en hébreu biblique : si on  colle devant cette forme verbale un W (vav) il prend un sens futur.

2°) Soit un verbe au futur. (sachant que le  YYod, placé en tête d’un verbe le conjugue au futur) : si on colle  devant cette forme verbale au futur un W (vav),  le verbe qui s’étend toujours dans le futur,  prend également la valeur d’une action dans le passé, ponctuelle,  accomplie, finie.  Il s’agit là d’un passé qui a été définitif et dure…  

On  dit que le vav, dans cette fonction,  est conversif (ou inversif).

L’exemple le plus illustre  : en Genèse, 1,3

C’est au tout début  :

יְהִי אוֹר YHY AWRYehi =  « Soit Lumière » ( verbe au futur ).

La phrase suivante utilise la même forme verbale en la faisant précéder d’un W ( vav) וַיְהִי־אוֹר WYHY AWRVaYehi –  « Et fut la Lumière et elle n’a pas fini d’être …   »

De nombreux exemples

De multiples verbes commençant par ces deux lettres qui marquent le futur ( Y) précédé d’un W ( vav conversir ).

Cela donne

– וַיְדַבֵּר, WYDBRVayedaber, “= il parlera  + W =  et Il parla (et Il n’a pas fini de parler ) ”,

– וַיֹּאמֶר, WYAMRVayomer, “= il dira + W = et Il dit  (et Il n’a pas fini de dire ) ”,

– וַיִּקְרָא, WYQRAVayqra, “ = il appellera + W = et Il appela  (et Il n’a pas fini d’appeler )”,

– וַיְהִי, WYHY,Vayehi, “= il sera + W = et ce fut  (et cela n’a pas fini d’être) ”

–  ו יּ ב דּ ל  WYDL = va yav-dèl = il séparera + W =  et il sépara  ( et Il n’a pas fini de séparer )

Dans Esther 4.11, on a une allusion  à une loi qui a été promulguée mais qui est toujours valable.

Dans Jérémie, une alliance a été scellée mais elle continue et sa propriété essentielle est de continuer.

Dans l’histoire de Jacob et Esaü, également 4 verbes sont au passé ( Esaü a mangé, bu etc. ) et un verbe au passé précédé du  W  indique clairement que ce passé dure  à jamais ( Esaü  a « déprécié », méprisé, renoncé à son droit d’aînesse, croyant sans doute qu’il était de peu de durée et d’importance, et cela est devenu définitif et dure…)

On peut gloser sur  ces nuances temporelles...

– Il existe des actes qui s’inscrivent dans un passé qui se clôt, qui se finit avec cette action  qui est révolue. Il est d’autres actes qui appartiennent à un passé qui a de l’avenir par son essence même : une loi promulguée, une alliance, une promesse.  Si moi même j’adopte cette Loi, si je mets mes pas dans celui de Moïse par exemple, je suis un peu Moïse. Moïse a parlé en un temps précis mais il parle encore. Ce passé continue. C’est pourquoi Moïse nous parle encore. Moïse échappe au temps et nous  fait entrer dans le même temps que lui. C’est un passé qui a de l’avenir.  Est-ce un moyen d’échapper à la mort ? Peut-être un peu… Je repense aussi à bien des passages de l’Evangile où le temps joue un rôle … et en particulier à la phrase où Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais où le Dieu d’Isaac, de Moïse et de Jacob est le Dieu des vivants.  ( Nous en avons parlé à la petite école d’écoute et de dialogue de Saint-Merry Hors-les-Murs   cet été 2021).        

– Ce W (vav)  conversif  fait prendre conscience de ces aspects temporels qui existent moins en français par exemple et nous ouvre donc à l’Autre. Ethnologie, Psychologie des Foules, civilisations…     

Peut-être est-il intéressant de comparer avec les temps grecs ?  L’imparfait, action  du passé qui a duré longtemps  (ελυον. Je déliais )  L’aoriste, action brève et finie dans le passé (ελυσα,  je déliai) . Le parfait, action du passé, brève ou longue, dont l’effet se poursuit dans le présent λελυκα ( j’ai délié ). Le futur ( λυσω je délierai)   

Ou les temps anglais : préterit, parfait, plus que parfait, forme progressive passée, présente ou futur…

– Outre cette capacité du vav conversif de transformer  un passé en futur et l’inverse, il participe peut-être d’une mentalité  qui aime inverser les choses et les montrer sous deux angles ( ce qui gêne ceux qui sont  un peu trop rationnels, simplistes ou manichéens, ceux qui ne sont pas poètes, sensibles ou  nuancés)…

Comme le W (vav) a une forme de petit clou,  on peut se demander (eu égard aux commentaires infinis sur les lettres hébraïques) si la thématique de l’inversion ou du paradoxe évangélique ne s’y accroche pas  dans les épîtres, l’apocalypse et l’Evangile :  le Christ sauveur est cloué sur la croix, attaché alors qu’il libère,  châtié alors qu’il est innocent,  mourant alors qu’il accomplit sa vie ou la donne, roi des juifs alors qu’il est rejeté, l’Agneau est le chef, etc. etc.

 

                                           Merci à Elisabeth Smadja de nous avoir enseigné tout cela !

 

Marguerite Champeaux-Rousselot

SACRÉ/ SAINT  PRÊTRE/TOUS, interview de Mgr Albert Rouet par Bertrand Revillon

par Marguerite Champeaux-Rousselot

Ce texte est extrait d’un long interview que Bertrand Revillon avait réalisé auprès d’Albert Rouet qui allait prendre sa retraite.

Je l’ai trouvé sur le Blog de Nathalie Mignonat.

SACRÉ PRÊTRE ? Nombre de débats actuels – celui de la liturgie récemment – portent sur l’identité du prêtre et son rapport au « sacré. » Il y a une dizaine d’années, au moment de prendre sa retraite, mon ami Albert Rouet alors archevêque de Poitiers, m’accordait un long entretien. Voici un extrait où il parle, de façon éclairante, de la place du sacré et du rôle du prêtre. Paroles fortes qui me semblent inspirantes pour aujourd’hui.

– Qu’est-ce qu’ »être prêtre » ?

– Un prêtre est un homme qui aide des baptisés à devenir progressivement adultes dans la foi. Combien de chrétiens relisent dans la foi ce qu’ils vivent ? Combien évaluent leur action sous le regard de l’Évangile, et pas uniquement à l’aune du succès humain ? Le prêtre est celui qui ramène à la source, il est le sourcier de l’Évangile, il provoque le croyant à vivre vraiment de sa foi. Il est comme Jésus qui regarde Zachée. Jésus ne lui fait pas la morale, il lui dit simplement : « Ce soir, je dîne chez toi ! » Et cette invitation bouleverse sa vie.

Le prêtre est avant tout ce « sourcier » qui s’invite à dîner, qui est capable de trouver en chaque être le lieu de sa soif et de sa générosité. Être prêtre, c’est être ministre de la communion, c’est envoyer les uns vers les autres, c’est veiller sur la faim des hommes et des femmes, être celui qui fractionne le pain pour le donner à manger, qui lève la coupe de vin pour ouvrir la communauté aux appels du monde, éviter le repli, l’inévitable construction de murs de fortification. Enfin, le prêtre est celui qui redit à une communauté que ce qu’elle est, elle l’est par grâce.

– D’où vient cette tendance actuelle à « re-sacraliser » le prêtre ?

– La notion de « sacré » est ambiguë. Il y a une conception du sacré qui n’est pas chrétienne. Le sacré sépare, divise : il y a ce qui est « sacré » d’un côté et ce qui est « profane » de l’autre ; et on a tôt fait de ranger les prêtres du côté du sacré et les laïcs du côté du profane. C’est oublier un peu vite l’unicité dans laquelle nous place le baptême par lequel nous sommes toutes et tous « prêtres, prophètes et rois » ! La Bible témoigne d’une sortie progressive du sacré pour entrer dans la catégorie de la sainteté. Le « saint », c’est Dieu, le Tout-Autre qui entre en alliance avec l’homme. Cette alliance met la sainteté au cœur même de l’humain. Par l’Esprit, chaque homme, chaque femme est désormais une terre sainte. La division sacré-profane n’est donc pas pertinente en christianisme.

En « re-sacralisant » le prêtre – comme cela est actuellement visible dans certaines orientations – on fait un mauvais calcul. On espère que cela augmentera le nombre des vocations. Mais quel profil de prêtre allons-nous susciter avec pareille stratégie ? Je crains que nous n’ouvrions la porte à un profil psychologique attiré par le pouvoir – car qui maîtrise le sacré maîtrise le pouvoir – soucieux d’affirmer, au travers d’une différence affichée, une identité marquée par une certaine fragilité humaine. Le prêtre n’a pas à être l’homme du sacré comme on le trouve dans toutes les religions depuis l’aube de l’humanité : il a à être le serviteur de la sainteté.

« Liturgie » et « clerc » : étymologie et histoire

Le sens étymologique et l’histoire de ces mots sont nourrissants pour notre aujourd’hui car ils rappellent que la liturgie est expression créative existentielle de chacun et de tous. Ce qui a tout son intérêt dans la recherche sur la « synodalité » et dans la perspective du Synode convoqué par le Pape François en 2022.

par Marguerite Champeaux-Rousselot

Etymologie : laos et ergon

Étymologie. Le terme liturgie vient du grec λειτουργία / leitourgía,  à partir du nom commun ἐργον / ergon, « action, œuvre, service »  et de l’adjectif λειτος / leitos, «public», dérivé de λεώς = λαός / laos, « peuple ».

Le terme laos a une valeur forte déjà chez Homère. En effet, en Grèce antique, le terme dèmos signifiait l’ensemble des citoyens, ce qui est .. ( eh oui ! )  sélectif :  cela écarte les  femmes, les esclaves, les enfants, les étrangers etc. ,  mais le terme  laos ( qui n’ a pas d’étymologie assurée ) signifie « les gens », et a donné par exemple en grec moderne leôphoros qui désigne  une avenue où circulent les gens, un boulevard, une grande avenue, et un de ses dérivés latinisé, a donné en français laïc ou lai.

Le verbe  leitourgeô  en Grèce ( au moment de la démocratie, fin VI° et V° et suivants  )  exprimait le fait d’assurer  un service  au bénéfice du peuple :  il s’agissait  de certains citoyens volontaires ( riches ) qui était candidats pour avoir l’honneur de financer sur leurs propres deniers les besoins du laos, de la population tout entière : par exemple des armes et des soldats pour la sauvegarde de la cité, des fêtes religieuses si utiles pour se concilier les dieux, des représentations théâtrales qui étaient perçues comme un moment éducatif pour la population tout entière et avaient également une fonction religieuse etc. : tout cela pouvait s’appeler une « Liturgie ».

Parmi ces candidats mus par un idéal liturgique – ou … moins spontanés ! -,   comment le laos, c’est à dire les gens, choisissaient-ils ceux qui seraient  les  liturges ? Ce choix important s’est effectué  selon les sujets et les époques de deux façons bien significatives : certains choix en Grèce s’effectuaient par tirage au sort car le nom sorti  manifestait  la volonté des dieux,  mais à l’époque des liturgies,  ( Vème et IVeme siècles surtout )  il relevait de citoyens élus comme magistrats qui étaient ensuite responsables de la pertinence  de leurs  choix… Ces liturgies, entièrement offertes au service du peuple dans son entier, laos, soudaient les habitants la cité en une communauté et leur bénéficiaient à tous. Leur contenu était mûrement pensé.

Avec le déclin de la Grèce classique, le terme prit peu à peu un sens moins précis  et moins organisé pour désigner simplement un travail quelconque fait en faveur du peuple.

… et leitarchie ?

En grec, il existait aussi dans le domaine religieux, un verbe composé avec le même terme leitos mais qui désignait précisément ceux qui conduisent   pour le peuple ( laos)   les sacrifices et  les banquets, les chefs, les prêtres  : c’étaient les  leitarchoi = ceux qui conduisent  (archein ). Il s’agissait là d’un groupe très particulier avec un statut élevé que marque le verbe « conduire ».

Ceux qui se réclamaient de Jésus pouvaient-ils utiliser un tel terme pour désigner leurs responsables, puisque le paradoxe évangélique ( le plus petit est le plus grand .. ) pointe le piège contenu dans de tels termes ?

Cela n’était pas envisageable ! Pour désigner leurs responsables, les chrétiens n’utilisèrent donc pas ce terme archein  qui impliquait un reniement dangereux des valeurs évangéliques. Ils voulurent conserver  l’idée que les gens ( laos )  choisissaient  une personne responsable d’une action, d’un  travail  (ergon )  que tous   ( laos) les fidèles organisaient  pour  répondre à leurs  propres besoins, et ils utilisèrent alors peu à peu le terme leitourgeia dans ce sens.

Un détour par l’étymologie de klèros

Dans l’Antiquité grecque, on pouvait utiliser le terme de klèrikoi pour qualifier ceux qui avaient des charges religieuses héréditaires.  Le terme vient de klèros  qui fait référence soit au tirage au sort, soit  à l’héritage qu’on recevait, souvent par tirage au sort entre des parts égales, soit à tout  héritage et aux droits héréditaires. C’est le terme utilisé par la Septante en grec, pour traduire l’hebreu qui qualifie les  prêtres juifs ( voir par exemple Deutéronome 18, 4) . Les structures de la prêtrise païenne ou juive en faisaient souvent une charge héréditaire, un privilège dont on héritait.

Chez les premiers disciples de Jésus, pas de prêtrise héréditaire certes, mais peu à peu l’idée que les responsables forment un groupe à part se précise  et  seulement vers le III° siècle, on choisit ce vieux terme pour désigner  ce qui peu à peu s’élabore en reconstruisant un groupe séparé qui s’est retrouvé à suivre les anciennes structures de la prêtrise  juive qui était une charge héréditaire, un privilège dont on héritait, ce qui deviendra bien plus tard, en passant par le latin, le futur  « clergé ».

Cependant, la prêtrise chez les chrétiens n’a jamais été ni un droit ni une obligation héréditaires, même si on sait, par de nombreux témoignages écrits de l’époque, que le clergé pouvait être marié et avoir des enfants dont certains eux aussi devenaient clercs. L’aspect héréditaire dès le début du christianisme s’est effacé devant l’importance de la vocation personnelle ou l’appel de la communauté à accepter cette responsabilité.

Le mot restait cependant : le sens en était gênant. On a alors adapté son sens et formulé une autre explication pour ce mot qui désignait en contexte chrétien les (futurs) prêtres : 

cf. Jérôme, Ep. 52,5 :  clericus : si enim κληρος  graece, sors latine appellatur, propterea uocantur clerici, uel quia de sorte sunt Domini, uel quia ipse Dominus sors, id est pars clericorum est.  

« Si klèros en grec signifie bien  en effet le sort en latin, et que en outre les clercs sont appelés ainsi à cause de cela également, c’est ou bien parce qu’ils sont d’après le sort, « du Seigneur », ou bien parce que le Seigneur lui-même est leur sort,  c’est-à-dire qu’il est la part des clercs. »

L’usage du terme se répand et finit par délimiter en quelque sorte une catégorie : ce groupe si distingué, si choisi, des klèrikoi  au nom certainement perçu comme significatif. De ce fait, consciemment ou non, volontairement ou non, il se différencie du groupe de « ceux qui ne sont pas klèrikoi » : il sera plus pratique de les désigner par un terme eux aussi, et c’est alors qu’on se servira d’un dérivé du terme laos, les gens : laïkos . Cet adjectif sera substantivé et  deviendra très utilisé quand il s’agira de marquer la différence avec les klèrikoi ( terme qui donnera clerus en latin, héritage etc.  et  clerc et clergé en français ), une différence qui sera d’abord simplement ressentie comme d’ordre hiérarchique, avant que des théologiens la valident comme telle.

On voit combien déjà cette appellation klèrikoi  les  séparait implicitement  des autres fidèles.

… d’où le terme « liturgie »

Pour en revenir au mot leitourgia : la première partie du mot est un adjectif qui dérive de laos , que nous venons de définir comme les gens, sans spécificité  ni exclusion, et signifie public. La deuxième partie  fait référence au travail (ergeia, comme dans sidérurgie, chirurgie, énergie). La liturgie, à l’époque où a été créé ce mot pour un travail fait en faveur des gens, était donc vécue comme se définissant  comme un service rendu aux gens, et par des personnes choisies par eux et perçues quasiment comme des bienfaiteurs qui mettaient leurs biens au service de la communauté.

Ce terme général fut utilisé par les premiers chrétiens lorsqu’il fallut s’organiser : les rassemblements (prière, enseignement, partage…) se déroulèrent n’importe où mais souvent, pour des raisons pratiques, dans les maisons adéquates et disponibles, leurs propriétaires ouvrant leurs bourses. La transposition se fit naturellement dans l’esprit de l’évangile : liberté des pratiques liturgiques pour répondre aux besoins écoutés de chacun, fraternité et réciprocité garantissant la communion liturgique dans la diversité. (N.B. pour le terme communion et communautaire, voir aussi sur ce site : contrairement à une opinion répandue, ces termes n’ont pas de racine commune avec un ou union. )

A cause de cela, le terme aujourd’hui désigne souvent de façon réductrice les rites communautaires.

Il en est toujours ainsi.

Mais l’histoire du mot met en évidence ce qui donne sens et valeur aux rites. Elle fonde en fait les textes sur lesquels ils s’appuient.

: telles furent les grandes lignes qui évoluèrent peu à peu au fil des siècles pour en arriver à une prière communautaire obéissant à un rituel liturgique codifié et uniformisé pour être universel et à l’abri des dérives, les clercs et les laïcs ayant chacun des rôles définis comme inégaux.

Cependant peu à peu un écart existentiel s’est creusé entre la pratique et ce qui est devenu plus théorique. Le peuple n’avait quasiment plus son mot à dire ni rien à faire. Cette dichotomie a contribué à conduire aux résultats que nous connaissons : par exemple, au début du XXème siècle, un désintérêt certain pour la liturgie dominicale, une incompréhension de la liturgie sacramentelle, une « éloignement » du clergé sont sans doute quelques uns des facteurs de la chute du nombre de « messalisants », chute ininterrompue depuis les année 1930.

Certains veulent continuer à approfondir le sillon qui dessine une frontière symbolique et belle d’aspect entre les laïcs et le sacré, sacré mystérieux dispensé par des clercs, ce qui rend plus désirable.

Mais avec Vatican II, avec François , et surtout avec l’Evangile, aujourd’hui nous sommes pourtant invités à nous inspirer du sens originel du mot liturgie pour lui redonner son sens vivifiant, lequel n’a aucun mal à s’adapter à notre quotidien : une action bénéfique accomplie par le peuple de tous, pour le peuple de tous : un besoin à satisfaire certes mais qui est orienté par Jésus qui nous invite à prier Dieu, seuls ou en communauté,  » en esprit et en vérité », à agir en enfants de Dieu puis nous assembler pour partager, nous ressourcer en Dieu lors d’une prière souvent communautaire avant de repartir agir en enfants de Dieu. La liturgie est en quelque sorte une traduction commune de nos diversités qui se tournent vers notre Père.

Si 90% de notre peuple (laos) est sorti pour vivre sans nos églises , (oui : VIVRE mieux sans elles… ) ne peut-on s’interroger pour redonner au terme liturgie son sens initial, avec son poids et son vécu?

Si la liturgie s’ouvre sur les besoins implicites de ceux qui ont quitté l’Eglise, ne serait-ce pas une démarche pastorale d’écoute ? Cet appel muet de la foule ne nous mettrait-il pas en route ?

L’Eglise, au lieu de cheminer pour se réformer en circulant à l’intérieur de son milieu ecclésial, pourrait ouvrir les portes, s’intéresser au seuil, aux parvis, aux périphéries, au Monde, à nos frères, à toutes nos Galilées. Elle pourrait « ouvrir » et libérer sa liturgie en la mettant chaque fois au diapason des hommes.

Ce serait une manière synodale de vivre ce « travail du peuple » dans la perspective du Synode convoqué par le Pape François pour 2022.

Marguerite Champeaux-Rousselot

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1975 Lettre de mission pour le Centre Pastoral Halles-Beaubourg, par Mgr. F. Marty

mai 1975      

Lettre de mission du Cardinal Marty, confiée au père Xavier de Chalendar, premier responsable du Centre pastoral Halles-Beaubourg (CPHB)

 «Les Halles : pour l’Église de demain… des modes nouveaux

Les Halles, le plateau de Beaubourg… on sait les vastes projets en cours de réalisation et qui modifient progressivement le visage et la vocation de ce quartier.

Ce centre de Paris voit surgir et se développer des lieux de recherche et de rencontre, des lieux de commerce et de détente, des lieux de culture et d’expression artistique qui se veulent au service de tous et vont attirer, chaque jour, et pour chaque fête, des milliers de personnes.

Il est inutile de souligner l’importance de ce qui va se jouer là, dans les années qui viennent.

Les églises sont nombreuses dans ce secteur et elles comptent parmi les plus belles de Paris : Saint-Merry, Saint-Gervais, Saint Leu-Saint Gilles, Saint-Eustache. Elles sont les plus visibles de l’Église. Elles accueillent des communautés chrétiennes paroissiales : elles sont le lieu d’une pastorale locale aux formes multiples ; elles resteront au service du quartier.

Mais elles doivent permettre aussi d’inventer des modes nouveaux pour l’Église de demain. Elles ne doivent pas devenir des musées.

Depuis plusieurs années déjà, des chrétiens se préoccupent de proposer ensemble des services à tous ceux qui vont venir dans ces quartiers rénovés, à tous ceux qui y travaillent ou qui y vivent. Service de prière selon des styles assez divers : possibilités de rencontre, de communications, d’accueil ; réflexions et travail sur la foi au contact des nouvelles formes de culture…

Des prêtres diocésains, des prêtres oratoriens de Saint-Eustache et des laïcs vont poursuivre ce travail de recherche et prendre les initiatives nécessaires pour réaliser là un vrai service pastoral, original et adapté.

L’abbé Xavier de Chalendar, ancien vicaire épiscopal pour le monde scolaire et universitaire, est chargé d’animer et de coordonner l’ensemble de ce secteur pastoral non territorial.

Cardinal François Marty,

Mai 1975 »

Ce Centre Pastoral Halles-Beaubourg est devenu Centre-Pastoral Saint-Merry.

1975 Lettre de mission pour le Centre Pastoral Halles-Beaubourg (aujourd’hui CP Saint-Merry)

mai 1975      

Lettre de mission du Cardinal Marty, confiée au père Xavier de Chalendar, premier responsable du Centre pastoral Halles-Beaubourg (CPHB)

 «Les Halles : pour l’Église de demain… des modes nouveaux

Les Halles, le plateau de Beaubourg… on sait les vastes projets en cours de réalisation et qui modifient progressivement le visage et la vocation de ce quartier.

Ce centre de Paris voit surgir et se développer des lieux de recherche et de rencontre, des lieux de commerce et de détente, des lieux de culture et d’expression artistique qui se veulent au service de tous et vont attirer, chaque jour, et pour chaque fête, des milliers de personnes.

Il est inutile de souligner l’importance de ce qui va se jouer là, dans les années qui viennent.

Les églises sont nombreuses dans ce secteur et elles comptent parmi les plus belles de Paris : Saint-Merry, Saint-Gervais, Saint Leu-Saint Gilles, Saint-Eustache. Elles sont les plus visibles de l’Église. Elles accueillent des communautés chrétiennes paroissiales : elles sont le lieu d’une pastorale locale aux formes multiples ; elles resteront au service du quartier.

Mais elles doivent permettre aussi d’inventer des modes nouveaux pour l’Église de demain. Elles ne doivent pas devenir des musées.

Depuis plusieurs années déjà, des chrétiens se préoccupent de proposer ensemble des services à tous ceux qui vont venir dans ces quartiers rénovés, à tous ceux qui y travaillent ou qui y vivent. Service de prière selon des styles assez divers : possibilités de rencontre, de communications, d’accueil ; réflexions et travail sur la foi au contact des nouvelles formes de culture…

Des prêtres diocésains, des prêtres oratoriens de Saint-Eustache et des laïcs vont poursuivre ce travail de recherche et prendre les initiatives nécessaires pour réaliser là un vrai service pastoral, original et adapté.

L’abbé Xavier de Chalendar, ancien vicaire épiscopal pour le monde scolaire et universitaire, est chargé d’animer et de coordonner l’ensemble de ce secteur pastoral non territorial.

Cardinal François Marty,

Mai 1975 »

Les aventures étymologiques du terme « paroisse »

De la paroïkia (grec ancien) à la paroecia gérée par un parochus (bas-latin) : une migration terminologique entre ciel et terre avec un coup de théâtre !

par Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2020-06-17)

Au cours de sept siècles de dérive terminologique marquée par l’usage approximatif du grec puis du bas-latin francisé, la notion de milieu de vie s’est cristallisée peu à peu en maison avant de désigner l’ensemble organisé d’une communauté ecclésiale.  
Ajoutons que le terme « paroisse » résulte de deux noms... d’où des surprises et des rebondissements.

Cet article est consacré à la naissance du terme « paroisse ». Par ailleurs, vous trouverez prochainement un document consacré à l’Histoire de la Paroisse elle-même (à partir du 1er s. jusqu’à aujourd’hui) .

Le terme grec paroikia  

Le terme paroisse vient originellement du nom commun grec π α ρ ο ι ́ κ ι α, (avec un kappa, κ, prononcé paroïkia) composé de ο ι ́ κ ι α qui désigne un lieu, la maison où la famille se rassemble, (d’où écologie économie, œcuménique etc.) et de παρα qui veut dire « auprès de, à côté de ».

Le verbe dérivé de ce nom π α ρ ο ι κ ε ι ̃ ν signifie demeurer auprès de ; séjourner dans un pays où on est un étranger.

Il a été employé dans la Septante qui traduit l’Ancien Testament de l’hébreu en grec,  pour désigner le fait qu’Abraham séjournait en Egypte ; un π α ́ ρ ο ι κ ο ς est proprement « celui qui habite à côté, près de » un étranger résidant ici, un voisin mais qui justement même dans une cité n’a pas droit de cité.

Le nom composé π α ρ ο ι ́ κ ι α a donc été d’abord employé pour signifier « la résidence ou le séjour dans un pays étranger », de durée plus ou moins longue.

Le sens spirituel du terme paroikia  : l’épître de Pierre   

Mais prenons d’abord la situation peu après la « disparition » de Jésus : par exemple dans les Actes des Apôtres.

Les disciples sont convoqués par les Juifs  dont ils se distinguent en enseignant et annonçant la Bonne nouvelle ( un seul  verbe  pour ces quatre mots :  «  euaggelizô »)  « tout le jour/chaque jour, dans le temple comme en privé  » [1] . Ils se distinguent d’eux  par leur esprit de liberté par rapport aux rites et n’hésitent pas à risquer d’être maltraités  pour cette liberté.  Ils se réunissaient en effet pour prier en groupe dans les maisons d’hommes et de femmes,  nous rapporte Paul : chez Lydia, Cornelius, Aquila et Priscille, à Éphèse etc.  

Ce «  toujours et partout », nous en avons un bon exemple dans l’épitre connue attribuée à Pierre (I Pierre, 2, 11). L’auteur  emploie en effet deux adjectifs qui concernent la place de certains étrangers  qui n’ont pas les droits d’autres habitants : la maison (oikia) d’un paroikos ne sera jamais que « voisine » ( para signifie «  à côté de » ) sans jamais être intégrée dans la cité, et celui qui séjourne dans un peuple ( dèmos)  sans en faire partie restera un parepidèmos, ( littt. «  à côté du peuple » ) : son séjour, fût-il long, ne lui permettra jamais de se fondre dans la communauté de ses habitants: ils seront toujours à côté (par- oikios et par-epi-dèmos) – deux situations souvent gênantes ou regrettables.

Or dans ce chapitre, l’auteur  prend le contre-pied de cette position et utilise la dimension symbolique des deux termes pour signaler la situation particulière du chrétien : certes les chrétiens ont leur maison dans leur peuple, mais leur maison  la plus essentielle n’est pas celle-ci ! Pierre sait s’adresser à des gens qui avaient tous les droits de vivre dans le monde et ont décidé… de devenir, quoique toujours en son sein, membres d’un autre Royaume vers lequel ils choisissent d’avancer. Il leur montre que désormais, à cause de ce choix,  ils sont des paroikos et des parepidèmos : « Vous par contre, race choisie, royale, communauté sacerdotale, nation sainte, peuple à conserver…, pas peuple jadis et maintenant peuple de Dieu, personnes qui n’ont pas obtenu miséricorde, et qui maintenant l’ont obtenue. Bien-aimés, je vous exhorte, vous, comme des résidents étrangers (paroikos) et des étrangers de passage (parepidèmos), à vous tenir loin des désirs charnels qui combattent contre l’âme ; en conservant belle votre conduite parmi les païens etc.  »  (I Pierre, 2, 11)  

Les disciples d’alors se sentaient donc comme appartenant à leur milieu et en même temps « à côté ». Ils se sentaient comme en séjour en pays étranger, leur patrie de cœur étant ailleurs, puisque fils ambitionnant d’être d’un autre Royaume ou de le mériter. (Mon Royaume n’est pas de ce monde…). Inquiétude et regret doivent faire place à la motivation et à l’espérance [2] .     

Quitter le grec paroikia  pour le latin  paroicea ? le  spirituel pour de  l’organisé ?  

Le nombre de ceux qui suivent la Voie s’agrandit et s’enracine.   

Voici que le christianisme s’est implante solidement et que le pouvoir religieux chrétien se renforce (faut-il dire pactise ?) avec  le pouvoir civil (Constantin 1er ). Le nombre des chrétiens s’accroit, y compris  des chrétiens fortunés, et avec lui, le besoin d’organisation matérielle et administrative. A nouveauté religieuse, organisation et terminologie nouvelles – tant du point de vue spirituel que géographique et administratif. La tentation  du quantitatif et du concret pour persuader de la puissance  de Dieu et la manifester l’a souvent emporté sur  le paradoxe évangélique.

L’ekklesia ( en grec) était littéralement l’assemblée des appelés, leur communauté de fils de Dieu construisant le Royaume spirituel au fil de leurs cheminements, et il a fallu trouver des concepts, des mots spéciaux pour distinguer ce qui relevait de cette assemblée mais sur un autre plan, à savoir l’endroit de vie concret des chrétiens sur cette Terre, ce qui était en quelque sorte le plus éloigné du Royaume de Dieu…  Les lettrés eurent alors recours au terme grec paroikia qui convenait bien puisqu’il ne recouvre pas du tout ce qu’était l’ekklesia.

Par la suite, le terme grec π α ρ ο ι ́ κ ι α (avec son κ) employé dans le contexte ecclésiastique (surtout d’organisation matérielle, au départ) fut transcrit en (bas-) latin paroecia, avec un c car le latin n’a pas de k, puis peu à peu francisé avec des variantes quand il fut employé par tous, lettrés ou non, à partir du IVème siècle à peu près.

Le latin gagne en Occident. Le terme  grec ekklesia est latinisé lui aussi en ecclesia.

Les textes, même s’ils sont rares, attestent que le premier terme latin, paroecia sous ses diverses formes, est utilisé par écrit au IVème siècle par les premières communautés chrétiennes : au début du IVème s, il prend le sens de «communauté, église particulière», puis il sert, en référence à l’évêque, dans la 2ème moitié du IVème s. pour désigner le territoire qui ressortissait de son église épiscopale, c’est-à-dire de son « diocèse » (que nous nommons aujourd’hui « évêché ») et il est employé comme synonyme de ce terme. 

Or les zones urbaines ayant été généralement adopté en premier l’Evangile, l’église de l’évêque avec son presbyterium était souvent située dans une cité épiscopale et tout au début, le baptistère se trouvait près de cet évêché, mais le diocèse ou la paroiceia  étaient bien plus vastes que la cité elle-même et comprenait les campagnes [3] qui, elles,  se convertirent plus tard.

Ce terme paroiceia est employé concurremment avec diocesis et ceci pendant six siècles dans ce sens : le dernier emploi connu écrit de paroecia en ce sens d’évêché date de 1076. Cela explique en partie la configuration encore actuelle des « paroisses urbaines ».

Un nouveau venu au Vème siècle : le  terme  grec   parochos  latinisé en parochus !  

Lorsque, à partir du Vème siècle environ, se mirent en place de plus en plus précisément, diverses organisations de gestion matérielle, on constate que le mot paroecia subit progressivement l’influence d’un mot latin qui n’a pas du tout la même étymologie : parochus – qui vient à son tour perturber le sens du terme paroiceia   dont le sens dérive de plus en plus.

Si le mot latin parochus vient lui aussi d’un mot grec latinisé, son étymologie n’a aucun rapport avec le paroikia évoqué plus haut puisqu’il s’agit cette fois de π α ́ ρ ο χ ο ς, (avec un khi χ, prononcé parokhos), formé de παρα, qui veut dire « auprès de, à côté de » et de ε ́χ ω qui veut dire « avoir ». Le verbe composé π α ρ ε ́ χ ω signifie « fournir, offrir, présenter », et a donné le nom commun π α ́ ρ ο χ ο ς qui veut dire « régisseur des magistrats en voyage » et a été latinisé à l’époque classique en parochus au sens plus général de régisseur.

Comment et pourquoi l’emploi de parochus s’est-il développé ? 

Lorsqu’il a fallu trouver de nouvelles appellations pour les responsables de la gestion (matérielle surtout) des campagnes désormais christianisées même à distance de l’évêché (paroiceia ou diocèse), il a fallu trouver un nom qui marque bien la distinction avec le responsable des questions cultuelles : on a employé alors ce terme parochus pour désigner sa mission logistique. 

Cependant, les textes montrent non seulement des mélanges orthographiques entre paroiceia et parochus, mais aussi des entrelacements voire des confusions dans leur emploi et leur sens. 

En effet, comme la prononciation n’était pas uniformisée, ni l’écriture répandue, ni l’orthographe stabilisée, et comme le premier terme ressemblait au second par la graphie et le son (paronymie et homonymie), la contamination entre les deux mots a pu se faire facilement.

De leur côté, les lettrés ont pu forger savamment une forme dérivée de parochus pour désigner ce que doit gérer le parochus : la parochia très proche de la paroikeia grecque latinisée en paro(e/i)ceia…Une sorte de synecdoque, désignant le territoire par la charge. Quant au commun des gens moins instruits, l’usage a pu confondre plus ou moins les deux paronymes très proches phonétiquement et formellement.

Compte-tenu du contexte linguistique, il s’est passé un phénomène socio-linguistique qui semble traduire un raisonnement inconscient général : tout semble s’être passé comme si on avait supposé que le parochus, du fait qu’il était par son métier  loin de l’évêque mais néanmoins en lien avec lui, avait à gérer la paroecia qui était loin de l’église diocésaine et néanmoins en lien avec elle. Si bien que désormais, la paroecia se mit à signifier aussi, en quelque sorte, « ce que gérait le régisseur (parochus) ».

Entre le sens administratif de parochus et le sens spirituel et religieux de paroiceia qui va l’emporter ?

Qui à l’époque  contribue à inventer les mots nécessaires aux nouvelles fonctions, à l’administration ? Qui les répand ? Ceux qui savent écrire, parler  latin et traduisent le latin en français pour le menu peuple qui s’adapte et apprend les nouvelles règles etc.

C’est pourquoi, finalement, au milieu de plusieurs variantes, le terme qui l’a emporté linguistiquement et sémantiquement, c’est le terme administratif, celui des écrits, des lettrés, des plus éduqués qui régissaient et tenaient la plume : c’est donc le terme dérivé de parochus.

Cette confusion a été également renforcée par des points communs dans leur signification (sémantique) spécifiquement liée à la religion.

Là aussi, on constate le fait de cette évolution linguistique et sémantique, sans en trouver d’explication dans les textes d’alors, rares et souvent répétitifs ( chartes, comptes, contrats… ).

Il y a donc une contamination.

Les deux évolutions se combinent de ci, de là (improprement certes, mais pragmatiquement !) pour finalement, faire de la paroecia en latin un endroit géré par un parochus en latin.

En effet,

– d’une part nous avons vu grâce à la lettre dite de Pierre par exemple, que la notion de paroikia ( avec un k ) venait du fait que les baptisés se vivaient d’une certaine façon comme de passage sur une Terre étrangère, habitant un endroit de vie connecté « ailleurs », la paroecia ou paroiceia

– d’autre part, on peut supposer qu’ils ont considéré que leurs responsables ou qu’eux-mêmes avaient à régir leur lieu de vie sur cette Terre où ils ne font qu’un voyage : ils n’y vivent que passagèrement et suivent la voie indiquée par le Christ qui leur montre le passage. Ici le sens originel du terme grec parokhos (avec le khi) et de parochus s’est révélé bien convenir.

– les baptisés qui se vivaient d’une certaine façon comme en transit  momentané sur une Terre à laquelle ils ne devaient pas s’attacher, ont  volontiers délégué  la gestion des affaires terrestres à qui les guidait religieusement…

Citoyen de l’au-delà et de passage dans la cité terrestre, le chrétien se retrouvait bien dans ce double cadre conceptuel – mais la dimension organisationnelle a progressivement pris le pas sur l’acception spirituelle.

Et naturellement, à la fin,  avec l’uniformisation progressive des termes, la paroiceia est devenue la paroichia.

Voilà donc comment et pourquoi ce second terme ( parochus ) a influencé le premier et l’a finalement emporté aux environs du VIIème siècle.

Le lexique ici  traduit toute une histoire des mentalités. 

Fin des aventures étymologiques du terme français « paroisse »

Nous sommes partis de la paroïkia (grec ancien) vers la paroecia  des fidèles  dont l’évêque avait la charge spirituelle, puis est arrivé un parochus (bas-latin) qui a administré et régi le territoire matériel de l’évêque.

Finalement ce parochus a administré ce qui ne s’est plus appelé paroiceia mais paro(i)chia.     

Le français  paroisse  résulte  de cette migration terminologique  en zig-zag et qui a connu un coup de théâtre imprévu avec l’arrivée de parochus.  

Gérer entre ciel et terre, une question qui n’est pas résolue !…

Ce qui l’a emporté c’est la puissance utile d’une organisation territoriale faisant partie d’une pyramide.  

Cela aura des implications multiples.

Nous en avons fini avec l’étymologie de ce terme.

Pour la suite de l’histoire de la notion de paroisse, lire un autre article sur le même site … en sautant le début qui résumera plus ou moins ce que vous venez de lire … mais qui contient aussi  une excellente devinette  sur l’emploi le plus ancien du terme  paroikos  ..  !                                                       

Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2020-06-17)


[1] Luc conclut ainsi cet épisode violent  en précisant que le conseil des Juifs n’avait pu les obliger à respecter des horaires, des règles, des lieux etc. Il écrit :  « Πᾶσάν τε ἡμέραν, ἐν τῷ ἱερῷ καὶ κατ᾿ οἶκον, οὐκ ἐπαύοντο διδάσκοντες  καὶ  εὐαγγελιζόμενοι  Ἰησοῦν  τὸν Χριστόν. »  ( Actes, 5,42)  :  Littéralement  « Et toute la journée/chaque jour, et dans un lieu religieux  public comme dans un lieu privé , ils ne cessaient  d’enseigner et d’annoncer la Bonne nouvelle de Jésus le Messie ». Traduire par « dans les maisons » ne suffit pas ; en effet, le terme ne désigne pas une maison mais le privé.  C’est une manière de dire «  24 h/24 et partout ». Cela bouscule ce qui convenait  traditionnellement  pour l’enseignement et la prière : les disciples ne semblent plus  respecter le sacré et le rite.   

[2] Je repense à ce chant de mon enfance : « Citoyens du ciel, habitants de la maison du Seigneur.. », le tout étant de ne pas être excluant..

[3] Bien plus tard, au point que paganus, qui a donné paysan, désignait les croyants traditionnels polythéistes qui ont «résisté» plus longtemps, et a donné également le mot païen.

Enseigner nos valeurs : Lettre d’une enseignante de lettres classiques en lycée, Brive, oct. 2002

à Monsieur le Ministre.

        

Je vais essayer de faire court, pensant que si mon idée vous intéresse, vous me recontacterez.

            Je suis professeur de Français en lycée, et je trouve qu’en ce moment, il est très difficile de permettre aux parents de reprendre courage dans leur rôle de parents,  Nous essayons de le faire au sein de nos associations familiales ou de parents d’élèves, mais on y voit plutôt  – j’utilise volontairement leurs mots – les deux extrêmes : parents souhaitant être de bons parents, ou parents ayant de très graves problèmes, liés souvent d’ailleurs à des problèmes matériels et sociaux.

Le centre de cette courbe de Gauss, que nous voyons trop peu à l’école ou aux  Associations, se dit souvent dépassé, reste souvent muet, ne sait/peut  pas écouter  parce qu’il  n’est pas confiant dans ses capacités de réponse.  Tous les réseaux, tous les stages sont mieux que rien… Mais le temps passe.  

Il faut donc reprendre les choses, pour les futures générations, à la base de l’école, des toutes petites classes  jusqu’à la fin  des études, (si tant est qu’elles sont finies un jour). …

Je dis très vite dans l’année à mes élèves qu’il n’y pas de modèle unique,( ils acquiescent )  certes, mais que tout ne se vaut pas. (  là dessus, ils protestent vivement !)   Que toutes les morales et les religions ne se valent pas : celle du dieu Moloch où l’on sacrifiait les enfants  ou celles où  existent des castes, des sexes inférieurs,  des mariages forcés ou des mutilations me semblent moins bonnes que celles qui  intègrent déjà les droits de l’ Homme par exemple ; ou des règles comme « ne fais pas  à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse », celle-ci étant moins belle que « fais à autrui ce que tu aimerais qu’on te fasse ».

Il est donc possible encore aujourd’hui, dans cette époque de tolérance, de respect et de raison, d’enseigner les valeurs, avec de l’autorité, pour la responsabilisation et l’autonomie, pour le Bien de la société et des individus qui la composent ;

Encore faut-il que  les parents, les enseignants, les éducateurs  au sens le plus large – et qui dit que mes enfants ou mes élèves ne m’enseignent pas des choses ? – et les élus, éducateurs eux aussi,  le sachent !

.

Je suis en Lycée, niveau bac et il vient d’y avoir une réforme. Le bac sera plus intéressant et moins scolaire : il y a moins de par cœur. Les objectifs à atteindre ont été bien recensés et ils sont logiques  d’une certaine façon et conformes au Français littérature, écriture, esthétique …

 Mais  cependant, vu les urgences sociales,  je ne cesse de me lamenter en mon for intérieur sur la pauvreté du contenu  des programmes  quant au fond.

Pourtant j’aime le Français et les jeux sur la forme ! Je fais partie d’équipes de recherche, et je suis docteur ès lettres.

Mais  on insiste beaucoup trop sur la forme, et encore d’une façon discutable, et, d’autre part, on n’insiste pas assez sur le fond, pas assez sur ce qui élèverait le jeune et lui donnerait ces valeurs qu’il n’entend pas  évoquer assez souvent..

Je vais développer ces  deux idées. 

Dans les petites classes, l’expression quasi libre est stimulée et permise ; les freins retirés ( comme orthographe, grammaire, souci de la forme, souci du « juste » et de la qualité, souci du classement et de l’évaluation  ). Sans doute pour  ne pas faire de peine et ne pas « coincer ». Mais c’est  en fait simplifier la tâche de l’éducateur, au détriment de la réussite de l’élève. Le bon éducateur est celui qui sait faire accepter à l’élève les critiques  et qui arrive à le faire progresser avec le sourire et sublimer.  Supprimer  ce qui rend difficile la tâche véritable  de l’éducateur  est une trahison pour celui qui aurait dû être éduqué.

On a supprimé les « fautes » d’orthographe, de grammaire, de style.

Mais on a aussi supprimé les exigences sur le fond.

Et on a aussi éjecté la morale.  ( Avez-vous déjà regardé des livres ou des cahiers  de 1930 ou 1950 ? )   

Dans les grandes classes, alors qu’ils se préparent à la vie active avec ce que cela implique  de « combativité », on a baissé le niveau d’exigences : les passages de classes, l’absence de moyenne, l’absence de classement, le passage de classe  automatique, les appels, les arrondissages de notes, la « conformisation » aux moyennes  … tout cela sape le moral et la morale, donne  à ceux qui font des efforts le sentiment de l’injustice, amortit vite le goût de bien faire  etc.

On a donc supprimé le côté « formel » de la vie.

Côté Français  par contre, dans les grandes classes, les programmes  visent essentiellement  la forme des textes : registre,  genre, figures de style, énonciation, discours etc.  … Que sais–je. On leur apprend à faire des pastiches, à écrire dans tel ou tel style … pour s’approprier de l’intérieur le style. Bonne idée, bien sûr, pour les meilleurs surtout.   Choses qui sont passionnantes  et riches d’humanité à la fin, mais  combien  ennuyeuses pour ceux qui ne sont pas littéraires dans l’âme.  Peut-être utiles une fois qu’on se spécialise dans ces domaines …, une fois le minimum acquis.

De plus, quand on s’occupe avec les élèves de la forme, on insiste bien souvent, pour les intéresser, voire les amuser, pour ne pas sembler «  dupe » soi-même, sur les plagiats, les pastiches,  les tics, et on se sert également d’auteurs qui se sont moqués des réussites de certains auteurs connus qu’on veut dépoussiérer. Bien sûr, pratiquer le pastiche prouve qu’on a compris les moyens dont se sert l’auteur … Mais ils sera toujours plus facile de critiquer  et de reproduire un défaut, que d’analyser et de reproduire ce qui a été réussi, plus facile de faire une caricature que de faire un vrai portrait, un dessin laid et comique plutôt qu’un dessin fidèle, un dessin se prétendant fait en une seconde et « de chic », naturel, plutôt que quelque chose  fruit de travail. La sévérité et l’  « esprit » sont souvent mieux portés que la bonté.. La rapidité, la spontanéité, se portent mieux que la lenteur et l’approfondissement..  du moins tant que cela reste au niveau de l’intellectuel. Car qui accepterait qu’un  plombier, un médecin ou un juge se vante d’avoir fait vite, et de se moquer que ce soit mieux … Nous sommes déjà trop portés spontanément à la facilité, au prix même de la laideur  ( tags, caricatures, moqueries, charges, irrespect. ) Apprendre, en fait de communication, à  démonter les moyens du discours de l’autre, je ne crois pas que ce soit plus utile que d’apprendre  à dialoguer vraiment,  à exprimer ses idées, à repérer dans le discours de l’auteur ce qui est valable, puis ce qui cloche.

Je constate qu’on nous fait étudier – en ayant bien sûr le droit de porter un jugement sévère éventuellement – de nombreux auteurs qui ne sont pas de petits saints  ( se droguent, Baudelaire et Rimbaud ;   libertinage,  Laclos,   Sade ; adultère, Hugo ;   alcool, Verlaine ;   antisémitisme,  Céline ;  machisme, Montherlant ;  homosexualité, Proust ;  il y a trop d’exemples et j’arrête là ma liste d’auteurs ;   fanatismes divers, du religieux au communisme, folies présentées comme des exemples,  suicides, dépressions …) Les textes choisis sont bien souvent ceux qui  vont être paradoxaux, violents, ironiques …  Cela  donne tout de suite un air plus intelligent.   Un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons en société … Certes, mais le vrai moi est là tapi dans l’ombre et il est normal et instructif  qu’on montre aux élèves les ressorts de l’œuvre … même inconscients.  

Pourquoi ces auteurs sont-ils étudiés et portés au pinacle et étudiés, y compris dans les classes  de collège, là où le jeune se forme, écoute, cherche des modèles ? car leurs textes sont beaux  au point de vue de la forme  et intéressants. Or c’est cette forme qu’on nous demande surtout de faire étudier aux élèves ( après la leur avoir fait négliger d’ailleurs dans ce qu’ils ont à faire eux-mêmes ).. Et puis il serait très dommage et nuisible même,  de tout sélectionner d’un point de vue moral … C’est au professeur, quand il le veut, quand il ose, quand il en a le temps, et c’est délicat et difficile, de faire le réajustement nécessaire. Et vous savez comme les élèves, et bien souvent le public même adulte, prennent tout au premier degré. (C’est d’ailleurs là dessus que joue la TV par exemple, qui paie des sommes élevées pour une minute de pub ou une image « accidentelle »).

Je pense quant à moi qu’il est utile que les élèves se soient frottés à tout  et qu’ils aient appris à bien choisir… mais qui leur apprendra à bien choisir dans ces textes souvent  de moralité discutable ? Qui, puisque souvent les parents ne le font plus, que la religion n’est plus enseignée au caté, ni la morale à l’école ? qui l’apprendra aux futurs parents ?  Cela va-t-il être dans la rue ou à la TV ?

Alors je me demande pourquoi  on ne ferait  pas autant étudier la forme sur des textes dont le fond est « beau » ou utile à la vie ?  ? Auteurs majeurs ou mineurs,  genres  différents du roman, théâtre ou poésie  …

Ces textes pour le moment  sont souvent considérés comme d’auteurs mineurs, d’œuvres mineures, car moins à la mode,  ( il semble que la mode, ou les intellectuels, craignent  en ce  moment d’être traités de « moraux » et qu’il y ait une mode du « rebelle », « pathologique » «  grave » etc. ).

Et pourtant on y trouve autant de figures de style, de biographies ou d’apologues,  de registres et de discours indirect libre, d’énonciation,  de focalisation etc.  que dans les textes immoraux ou amoraux ou antimoraux.

En outre, certains textes d’auteurs célèbres sont magnifiques également au point de vue du fond.  

Mais quand je vois, dans un livre de textes choisis récemment paru supprimer Corneille, et, dans le même temps y mettre Sade et Laclos, je ne comprends pas … Ce que nous apprend Laclos ou Sade  au point de vue du style peut être remplacé, au niveau du lycée, par d’autres auteurs. 

Et qu’on ne dise pas qu’avec Laclos et Sade, on peut justement faire de la morale. C’est lourd, pour nous, de faire de la morale (en plus du programme !), et de tenter de contrebalancer dans notre discours personnel de «petit prof» banal ce qui est «écrit » ou vu. Beaucoup prennent tout au premier degré et en   particulier quand cela les arrange. Si l’auteur n’a pas contrebalancé son texte lui-même, il reste avec son discours. Vous savez la force ( et le coût) de la seconde de publicité à la TV …  Le grand film ou l’interview, qui ne sont pourtant pas réellement payés par un lobby pour faire de la pub pour la violence, l’alcool, l ‘égoïsme ou la paresse,   font  la pub pour les comportements déviants, du simple fait d’avoir été visionnés  si rien ne vient les contrebalancer. Ainsi quand les enfants jouent aux Tortues Ninja, ce qu’ils en retiennent c’est non pas l’argument moral, mais la bagarre. Et si à 22 h, on a le discours des psychologues  ou des conseillers conjugaux, c’est un peu tard : l’antidote n’est pas pris par ceux qui ont vu les images précédentes.. Ces images perçues ( « à tort » diront peut-être ceux qui écrivent ou filment) comme des « modèles » ont de graves conséquences sociales et individuelles, relationnelles, sanitaires etc.

Il en est de même en classe. 

Pourquoi au lieu de nous faire étudier « l’autobiographique » ou « l’épistolaire », ou « l’apologue », n’étudierait-on pas justement, à travers ces même cadres encore si nécessaire,  l’honneur, l’honnêteté, l’altruisme, le respect, la vie de famille, le dialogue, l’écoute, la parentalité, la maternité, la fraternité, le bon prof, la courtoisie,  l’égalité homme-femme etc.

Tous sujets qui préparent à la philo, à la vie, à la société, à l’individualité, à l’humanité  …

Du fait qu’on nous fait beaucoup étudier la forme, au  moins serait-elle  étudiée sur des textes  porteurs de  sujets qui peuvent apporter  beaucoup à l’élève comme modèles, comme réflexions, comme  discussions sur des sujets de leur vie, dans la limite de ce que le Ministère fixerait..

            Il y a  de nombreux textes chez les plus grands auteurs  également qui peuvent se prêter à ces leçons de morale, discrètes, mais  permanentes, qui permettraient aux jeunes, si souvent idéalistes en réalité, de le rester et que leur monde soit plus beau …

            C’est une optique  à mettre en œuvre.

            Je signe : une mère, une prof, une citoyenne inquiète et qui voudrait bien que, puisqu’un modèle n’a pas été tout à fait satisfaisant, on le modifie dans une logique de bon sens.

L’homme ne naît pas spontanément bon, ni mauvais d’ailleurs, peut-être. La société peut l’empirer  ou lui apprendre à devenir pire ou meilleur, c’est selon.  Les parents appartiennent  à la société.. Ils ont été formés par elle car ils ont été enfants.

Parents et Ecoles,  religion et laïcité humaniste avaient le même discours.

La religion a pratiquement  disparu ou a changé son discours. La laïcité ne dit plus à temps et à contretemps son humanisme altruiste, l’école a éliminé presque totalement la morale, et les enfants, démunis, deviendront des parents nus. C’est déjà ainsi, mais on a encore les grands-parents.   

On finit par rougir de dire les valeurs vitales… et d’avoir à argumenter sans savoir si notre discours a porté.

Pauvre petit prof contre un auteur. Pauvre intellectuel contre celui a qui a « vécu »[1] cela, ou qui a la notoriété  et la reconnaissance, sinon sociale, du moins  des éditeurs et du Ministère …

Il est temps de faire cesser ce cercle vicieux  qui n’est pas si vieux.

La littérature, au moins jusqu’au bac,  ne devrait pas  faire de l’esthétique  aux dépens de l’éthique et de la société.

Même les parents ne  font pas exprès, et de façon programmée, raisonnée et volontaire,  intellectualisée et fière, de montrer aux enfants  ce qui peut détruire  l’éducation qu’ils souhaitent leur donner.

Un texte raciste ne serait-il pas raciste quand il est beau ? Alors il en est de même pour tout texte destructeur.

Comment vérifier qu’il n’y pas  eu de ravage dans les valeurs du jeune ?

Et cette coupure qu’on fait ici entre ce qui est de l’ordre prétendu de l’intellect, n’est-ce pas encore  une aggravation de la coupure entre l’école et la vie ? entre les fruits de l’école et  la vie ?     

Si on souhaite, ce qui peut se comprendre,  ne pas faire de « protectionnite », de censure, si on veut, à un certain âge, leur apprendre la totalité de la vie et le choix,  et si on veut, comme c’est le devoir des éducateurs et des responsables de la société, leur faire voir  ce qu’est une attitude à ne pas suivre d’un point de vue social, qu’on leur donne un antidote en même temps et déclaré comme tel, et aussi fort, et aussi attirant …

Vu le niveau des élèves, il ne faut pas penser qu’ils trouveront la morale par eux-mêmes au second degré. 

Actuellement, les futurs parents, les enfants d’aujourd’hui n’ont plus cette formation initiale.

Il faut la redonner et à travers toutes les matières, et même s’il faut aussi les aider à atteindre les lectures au second degré voire plus  pour leur permettre de tout lire sans censure, il faut aussi leur donner le premier degré. … et permettre aux enseignants des élèves futurs parents et citoyens, de le faire facilement et sereinement, sans complexe, et en solidarité  avec leur ministère et la société dans son ensemble.

C’est là que vous devez aider les enseignants…

C’était un appel au secours !

Je serais contente, ainsi que des parents et des enseignants avec qui nous en avons discuté,  de recevoir autre chose qu’un aimable accusé de réception. 

Je vous prie de croire, monsieur le Ministre, à l’expression de toute ma considération, et des espoirs que nous sommes nombreux (sans doute la majorité silencieuse des enseignants, des parents et des élèves,  et bien d’autres en responsabilité) à mettre en vous.

                                                                                    Marguerite Champeaux-Rousselot

Brive, lycée, octobre 2002


[1] Et il n’y a d’éducation dit-on souvent, que par l’exemple

Les chrétiens et leurs « ministres » au féminin au temps de Pline le Jeune (1)

Publié par Marguerite Champeaux-Rousselot, 21 septembre 2020

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