Publié par Marguerite Champeaux-Rousselot, 21 septembre 2020
Continuer la lecture de Les chrétiens et leurs « ministres » au féminin au temps de Pline le Jeune (1)Autour du dogme de l’infaillibilité (1870) : un exemple ou un contre-exemple de synodalité ?
par Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2018-04)
L’établissement – autoritaire – de ce dogme établissant la primauté et l’autorité infaillible des papes se déroula dans un cadre tragique plein d’excès et de rebondissements, et même la guerre de 1870 y joua son rôle…
Ce dogme, qui a près de 150 ans,, a été très contesté et il l’est encore de nos jours.
Ce dossier est destiné à permettre une réflexion au sujet de la manière dont l’Eglise d’aujourd’hui devrait avancer et avance sa réflexion : probablement devrait-elle le faire de la même manière que nos dirigeants laïcs et de la même manière que Jésus vivait peut-être avec ses disciples…
Plan : en recherchant * , vous avancerez de partie en partie si vous êtes pressé ! Bonne lecture !
- *I Le contexte historique immédiat et le déroulement
- *II Une introduction au Journal et aux souvenirs de la princesse Radziwill, fervente catholique, opposée à ce projet de dogme, élaboré en 1869 et promulgué en juillet 1870, sous Pie IX.
- *III Les extraits les plus significatifs à ce sujet de son Journal personnel pendant ce Concile qui eut lieu au Vatican. ( Souvenirs de la princesse Radziwill (né Castellane) 1840-1873. Paris, librairie Plon, 1931)
- *IV Les extraits dans ce même Journal de Lettres contemporaines de ce Concile
- *V Eléments d’histoire religieuse (de l’Evangile aux conséquences immédiates de ce dogme).
*I Le contexte historique immédiat et le déroulement du Concile[1]
En 1860, la papauté est dans une situation désespérée : les forces républicaines italiennes ont conquis ses états pontificaux et la cernent désormais : Pie IX a dû demander protection à Napoléon III et à ses zouaves. Il n’a plus ce pouvoir temporel qui s’était bâti progressivement, et va tenter de montrer qu’il dispose encore d’un pouvoir spirituel : celui de lutter en tout cas contre le monde moderne et la pensée rationaliste ; pour ce faire il faut moderniser les canons qui datent de deux siècles (du Concile de Trente 1545-1563) et repréciser la nature de l’autorité du pape sur les Eglise locales.
Dans sa convocation au Concile, Pie IX ne proposait pas d’étudier la question d’une éventuelle infaillibilité du pape, mais la question était dans l’air depuis le 6 février 1869 où un article anonyme dans une revue jésuite avait évoqué pour la première fois ce thème qui serait bien utile pour renforcer les pouvoirs de la papauté affaiblie. Se développent alors les concepts de magistère et de dogme peu utilisés jusqu’ici dans l’Eglise catholique[2].
Rappelons brièvement ( pour plus de détails sur l’origine des conciles voir la partie V finale) que jusqu’ici en effet, la promulgation de dogmes avait été chose fort rare : puisque l’ensemble de tous les baptisés adhérant au Christ ne peut se tromper, un dogme était en quelque sorte l’interprétation humaine, l’expression relative mais devenue officielle, du depositum cru de tous concernant des réalités divines bien reconnues comme indicibles. Comment passait-on de ce qui était cru par tous les fidèles à l’établissement d’un dogme ? Comme le dogme est une affirmation qui ne peut pas toujours être démontrée mais doit être tenue pour vraie par les fidèles catholiques, les quelques dogmes prononcés lors des conciles précédents l’avaient été des sujets proposés bien à l’avance et qui pouvaient refléter réellement les opinions des pères conciliaires, pères conciliaires qui avaient eu le temps de recueillir l’avis des fidèles de l’Eglise universelle. Du moins est-ce ainsi que cela aurait dû toujours se pratiquer d’après les Règles et la Tradition. Le dogme ainsi pouvait et devait être accepté comme émanant de l’Église toute entière, et donc comme pouvant s’appliquer également à l’Eglise tout entière. La synodalité était le chemin où l’Eglise tout entière avançait, même si bien entendu, certains avaient des charismes particuliers concernant la réflexion par exemple théologique ou morale. Le dogme n’émanait pas d’un groupe de fidèles, et encore moins d’un unique être humain, fût-il le pape. La pratique dogmatique avait donc été très rare et le pouvoir des papes ne concernait absolument pas les dogmes qui devaient eux être votés en Concile universel ( œcuménique).
Cet article proposait que le pape soit investi du pouvoir de promulguer des dogmes.
Immédiatement deux courants se créent : les ultramontains (souvent les proches de Rome) soutiennent cette idée, et les courants libéraux ou nationalistes (l’ancien gallicanisme, mais aussi ceux qui veulent conserver intacte la démarche synodale qui mène aux dogmes) s’y opposent comme tous ceux qui veulent respecter la démocratie des origines en matière de gouvernance ecclésiale… et la polémique enfle. On discute même sur les droits d’un Concile de décider en cette matière : est-ce conforme à la synodalité ecclésiale qu’un homme seul décide pour l’Eglise ? Est-ce conforme à l’Evangile[3] ?
Le Concile commence le 8 décembre 1869… et, coup de théâtre, les sujets initiaux et primordiaux ( la nature de l’autorité du pape sur les Eglise locales, la condamnation du rationalisme etc.) sont renvoyés en commission dès le 28 décembre ! On commence par la réécriture du droit canon qui se passe assez facilement. Le Concile est-il fini ?
Non… Car deux pétitions naissent auprès des près de 700 membres du concile … L’une, pour l’infaillibilité pleine et entière du Pape récolte 450 signatures et l’autre, contre son infaillibilité au nom de plus de synodalité ( seul l’ensemble des fidèles est infaillible ) et d’un statu-quo des compétences du pape, en récolte 136… Alors, devant cette chance inopinée, les conseillers du Pape le pressent de mettre la question, même imprévue, à l’ordre du jour sous la forme d’un dogme qui s’insérera dans la nouvelle constitution, même si les fidèles n’ont pas été vraiment consultés. Pie IX accepte. On presse même le pape de faire voter cette infaillibilité immédiatement par acclamation, mais le pape se contente de demander que cette question soit traitée avant toute autre, de manière à s’assurer une réponse positive d’emblée. (voir ci-dessous des extraits de l’Introduction qui synthétise rapidement ces mouvements jusqu’à leur dénouement et à leurs conséquences les plus proches).
Les opposants, malgré, ou plus exactement au nom de leur attachement à l’Eglise et à la papauté manifestent ouvertement, et le débat, violent vu les urgences, fait véritablement rage (voir ci-dessous le journal de la princesse Radziwill à l’automne 1869) y compris hors de l’Eglise, si bien que l’infaillibilité inconditionnelle du Pape est progressivement nuancée par deux conditions jointes ( toujours valables actuellement).
En juin 1870, changement dans le programme : la « discussion générale » est ajournée sur instruction du Pape et l’on ne débattra plus que de la question de l’infaillibilité.
Le 13 juillet 1870, 601 votent pour et 88 contre, tandis que la tension internationale augmente après la rencontre d’Ems.
Pour faire adopter par les opposants également ce dogme (imprévu) de l’infaillibilité papale, on suit alors en quelque sorte un chemin synodal mais interne au Concile : il est proposé finalement avec deux conditions qui vont rassurer : elle ne s’appliquera que sur des affirmations du pape appuyées sur la certitude d’une « assistance divine »[4] et devront être promulguées « ex cathedra » c’est-à-dire d’une manière très codifiée et solennellement, Ces affirmations devront être fidèles à ce que croient – avant ce dogme – l’ensemble universel des fidèles. L’infaillibilité du pape ne s’appliquera donc pas aux décisions ordinaires ( souvent circonstancielles ou locales ) en matière de discipline, d’éthique, de morale ou de gestion des affaires courantes.
Cela signifie que l’infaillibilité du pape sera circonscrite par l’Eglise universelle… et rassure certains opposants modérés du pape… mais pas encore toute la minorité. Il ne reste plus que trois cardinaux qui s’opposent au pape… Or simultanément, par coïncidence, les événements politiques, les suites de « la dépêche d’Ems », mettent le feu aux poudres dans les affaires internationales, et des prélats retournent chez eux ( voir le Journal de la princesse Radziwill plus bas ), à moins que ces Pères ne saisissent en réalité cette occasion pour s’éviter de voter « Non » et entrer en disgrâce… Finalement, ce sont une soixantaine de cardinaux qui quittent Rome précipitamment,
Le vote peut alors avoir lieu le 18 juillet 1870 sur un texte qui n’a pas suivi la voie synodale normale… et a été élaboré dans une synodalité qui n’a été exercée que dans le cadre réduit des presque 700 pères conciliaires : le texte d’une part affirmant la primauté universelle du pape et d’autre part définissant le dogme de l’infaillibilité pontificale « sur la foi ou les mœurs » dans les conditions vues ci-dessus, est voté le 18 juillet 1870 par les 535 évêques encore présents à Rome : 533 pour et 2 contre. Après la ratification par le pape du vote du concile, les deux Pères qui avaient voté non et ceux qui s’étaient abstenus se rallient… : cela revient alors à un vote « unanime » du Concile…
On décide, vu les événements extérieurs, de ne pas traiter les questions qui avaient été repoussées à la fin (la nature de l’autorité du pape sur les Eglise locales et la critique du rationalisme etc. ) et le pape renvoie le concile Vatican I sine die. Cela signifie que ces questions n’ont pas été traitées de façon conciliaire, et que, de ce fait, ce Concile n’est pas fini.
Le texte est alors promulgué par Pie IX, le jour même, 18 juillet 1870, sous le nom de Pastor Aeternus ( ses deux premiers mots ) : à la Conclusion du quatrième chapitre de cette Constitution Dogmatique sur l’Église nous lisons[5] :
« […] nous enseignons et proclamons comme un dogme révélé de Dieu :
Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église. »
Et le monde catholique s’y rallie dans son ensemble[6].
Le lendemain, 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse… et Napoléon III retire d’urgence ses troupes des Etats Pontificaux pour les mobiliser en France. Les troupes républicaines italiennes ne rencontrent alors plus aucune résistance et l’annexion de Rome est réalisée le 20 septembre 1870, ce qui parachève l’unité de l’Italie[7].
Quel contraste et quel paradoxe : la veille, la papauté se fait reconnaître comme légitime une infaillibilité universelle dans certains cas, et le lendemain, elle perd presque totalement son pouvoir temporel.[8] ! Le pape usera-t-il de ce nouveau pouvoir ? [9]
Ainsi le Concile Vatican I n’a-t-il ni commencé ni travaillé ni conclu ni terminé normalement… et ainsi sommes-nous étonnés d’y voir ( avis tout personnel ) un exemple qu’il nous semble logique de qualifier de « synodalité non-conforme »[10].
( voir la partie V finale pour les suites de ce concile )
Il nous est certes sans doute plus facile d’y voir clair aujourd’hui qu’alors, mais de nos jours ,nous avons bien du mal à nous imaginer que c’est seulement depuis un siècle et demi ( en 1870) que la papauté dispose théoriquement d’un pouvoir qui ressemble si peu au modèle donné à tous par Jésus.
Il est donc d’autant plus intéressant de lire le journal de la princesse Radziwill, une partisane du libéralisme, amie de Mgr Dupanloup, contre les infaillibilistes et les ultramontains, et l’introduction à son livre par Julien Cambon.
*II Introduction, par Jules Cambon, (italiques ) et éléments complémentaires
dans Souvenirs de la princesse Radziwill (né Castellane) 1840-1873. Paris, librairie Plon, 1931
Page VII
En 1869, le monde catholique était agité par l’annonce du Concile que le pape Pie IX avait convoqué (…)
Le prince et la princesse Radziwill, qui étaient foncièrement religieux, se rendirent à Rome pour être témoins de cette grande Assemblée.
Pie IX, au grand étonnement de la plupart des gouvernements, s’était montré très libéral au commencement de son Pontificat. Les déceptions qu’il éprouva après l’assassinat par le parti révolutionnaire, de son ministre Rossi, le rejetèrent de l’autre côté ; cependant, il était resté, au fond, plus conciliant que la plupart de ceux qui l’entouraient. Il espérait que le Concile durerait peu de temps, et que l’infaillibilité serait votée par acclamations. L’Assemblée devait se réunir dans la basilique de Saint-Pierre. On avait construit, dans un des bras de la croix que forme l’église, une salle immense. C’était une sorte de théâtre qui, comme tous les théâtres, avait ses coulisses. La princesse Radziwill a noté curieusement ce qui se passait autour du Concile ; ses sentiments catholiques donnent un singulier intérêt à son témoignage.
L’épiscopat du monde entier allait se trouver réuni. Ses évêques n’étaient pas tous animés des sentiments qu’on n’en attendait au Vatican. Beaucoup d’entre eux, et parmi les plus distingués, était anti-infaillibilistes, soit qu’ils fussent opposés en doctrine à ce nouveau dogme, soit qu’ils trouvassent inopportune la définition qui leur était demandée. Il en était ainsi de la grande majorité des Allemands. Les Français étaient plus divisés et surtout plus timides. Mgr Dupanloup, qui représentait ce qu’on appelait le catholicisme libéral, était à la tête des opposants. Louis Veuillot, dans le journal L’univers, lui faisait une guerre acharnée.
Des passions étrangement vives animaient tous ces Pères de l’Eglise. On en retrouve l’écho dans les Souvenirs de la princesse qui, si elle avait été moins catholique, eût été sans doute quelquefois scandalisée. Toutes ces tempêtes sont aujourd’hui apaisées : le temps a fait son œuvre. La princesse avait pour l’évêque d’Orléans un respect filial : elle le défendait partout. Un soir, chez les Caraman, elle se rencontra avec l’évêque de Poitiers, Mgr Pie, qui était un des représentants les plus considérables de l’Eglise de France. Ce prélat critiqua violemment l’attitude de Mgr Dupanloup à l’égard de Louis Veuillot. La princesse ne put s’empêcher de dire combien cette attaque contre l’évêque d’Orléans, dans une telle bouche, lui était plus sensible que celle qui venait d’un journaliste. À ces mots, Mgr Pie s’emporta et frappa la table avec une telle violence qu’une lampe qui s’y trouvait, tomba, brûlant la robe de la princesse, et la couvrant d’huile : « Pardonnez-moi ma vivacité, Monseigneur, dit-elle aussitôt ; ayez la bonté de vous souvenir que je suis fidèlement attachée, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, à Mgr Dupanloup, et que, de ma vie, je n’abandonnerai un ami de ma famille et de moi-même. » Ces quelques mots mirent fin à l’entretien.
Elle quitta Rome à la fin de 1869 ; le Concile se continua jusqu’au milieu de 1870. Les opposants luttèrent pour maintenir la liberté de leur opinion, mais il n’était pas d’incident, si étranger qu’il fût à leurs délibérations, qu’il n’illustrât les dispositions d’esprit auxquelles ils se heurtaient. C’est ainsi que M. de Montalembert étant mort dans le mois de mars, le service solennel qui devait être célébré en son honneur à l’Ara Caeli, fut interdit. D’une part, l’illustre Docteur Doellinger n’était pas à Rome, et le cardinal Schwartzenberg se permit d’en exprimer le regret : on lui fit sentir le déplaisir qu’inspirait son langage. Enfin, l’opportunité de la proclamation de l’infaillibilité ayant été contestée par le cardinal Guidi, celui-ci fut appelé par le pape, qui lui fit reproche de ses propos. Comme il se défendait et soutenait que son langage avait été conforme à la doctrine de l’Eglise : « Comment ! L’Eglise, s’écria le Saint-Père, empruntant sans y penser son langage à Louis XIV, mais l’Eglise c’est moi. »
Enfin, la discussion générale fut close. Le nouveau dogme fut défini. Les évêques se dispersèrent, ils avaient hâte de rejoindre leur diocèse. La candidature du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne était posée. Une tempête inattendue menaçait le monde et le silence se fit sur le Concile.
(L’auteur explique p. XIII que le Kulturkampf existe en Allemagne dès 1870. )
Quelques uns des noms impliqués dans les deux camps :
Libéraux : Joseph Georges Strossmeyer, Darboy (p. 102) , Le Père Hyacinthe, article du duc de Broglie dans le Correspondant , 10 octobre 1869, Henri Louis Charles Maret, François Victor Rivet, Harry Charles Conrad d’Arnim, le cardinal Guidi, Doellinger, John Dalberg, Acton, Mgr Place, Mgr Héfélé et Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, un très grand ami de la princesse et de sa famille.
Un protestant : M. de Pressensé, pasteur français qui écrira après : Le Concile du Vatican , son histoire et ses conséquences religieuses, 1872
Infaillibilistes : Mgr de Poitiers, Antonelli, Mgr Nardi, Mgr Pie, Falloux, Wolaiski, Mérode, Mermillod, Bastide, Mgr Claude Henri Augustin, Plantier
*III Extraits du Journal de la Princesse Radziwill :
Souvenirs de la princesse Radziwill (né Castellane) 1840-1873 Paris, librairie Plon, 1931
- 101 (elle commence à raconter les préparatifs du Concile à Rome).
« Rome, 17 novembre 1869
On racontait aujourd’hui que le Pape se serait décidé à ne pas proposer aux membres du Concile le schéma de l’infaillibilité. Il aurait pris cette décision après avoir lu différents ouvrages, des écrits, des lettres dernièrement reçues, et à la suite des conversations qu’il avait eues avec les évêques nouvellement arrivés à Rome. Je doute de la véracité de cette nouvelle. La lettre que l’évêque d’Orléans[11] a lancée, en prenant congé de son clergé, a fait le meilleur effet dans toutes les sphères. Il est vrai qu’elle est admirable, disant qu’il part pour Rome, qu’il se soumettra à tout, mais que l’on discutera les questions à fond. Le cardinal Schwartzenberg doit avoir parlé très énergiquement au Saint-Père, dans son audience de réception, sur la manière dont on devait agir envers l’Autriche. Son Éminence a expliqué jusqu’où l’on pourrait aller et la ligne on devait s’arrêter.
Rome 18 novembre 1869[12] ( la Princesse donne raison au Pape mais trouve qu’il aurait été plus adroit d’être moins brutal )
Rome 21 novembre 1869–
Le parti ultramontain est déchaîné et ne pardonne pas à l’évêque de l’avoir ainsi démasqué. (( D’où calomnies, médisances, ragots etc.)) D’autres échos disent que cette dernière lettre de l’évêque d’Orléans fait réfléchir bien du monde et que le parti qui a le plus désiré le Concile en est maintenant le plus effrayé.((…)) Le pape a reçu hier 20 évêques français à la fois. Sauf ces rares audiences, le Saint-Père n’est pas entouré de gens distingués ; les cardinaux n’ont même pas l’entrée libre, de sorte que Sa Sainteté sait très peu ce qui se passe et, entouré de sous-ordres, il est plutôt au courant des commérages de la ville que des choses vraiment sérieuses.
Rome, 25 novembre 1869.
À propos de l’évêque d’Orléans, Mgr Mermillod s’était écrié avec un accent d’indignation : « Mgr Dupanloup arrive à Rome en hypocrite et, en se prosternant devant le pape, il a l’air de lui cracher au visage. »
Rome, 27 novembre 1869, (elle raconte la scène de la lampe)
Rome, 28 novembre 1869
Ce matin il y avait chapelle à Saint-Pierre : 300 évêques. Antonelli assistait le pape. Après l’Évangile, un père dominicain prononça un discours en latin. Toute la prédication roulait sur le Concile et en voici les deux passages les plus significatifs : « vous allez retrouver la république spirituelle, mais aussi la puissance temporelle ! » Et à la fin : « ne craignez pas d’errer, puisque vous avez au milieu de vous celui à qui Jésus-Christ a dit : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. »
Rome, 1er décembre 1869
le prince évêque de Breslau est fort inquiet de ce qui se passe, trouvant le moment du Concile mal choisi et que la définition de ce nouveau dogme de l’infaillibilité lui donne de l’effroi. Il dit encore que si ce dogme était proclamé, cela occasionnerait des ravages en Allemagne et amènerait plus que probablement un schisme.
Rome 3 décembre 1869
Arco m’a donné plusieurs détails qu’il avait lus dans le règlement du Concile ; il est dit entre autres que, seul, le Pape a le droit d’y faire des propositions, qu’il se reconnaît exclusivement ce droit, mais que, par condescendance et par grande bonté, il daigne permettre que les évêques en fassent aussi. Leurs propositions seront transmises à une commission qui en fera le dépouillement, le Pape jugera dans le nombre et choisira les propositions qui lui plaira de soumettre au Concile. La discussion n’existera pas, il sera seulement permis aux évêques d’écrire au bas de la proposition : oui ou non.
La Cour de Rome est plus que jamais à prendre position dans le côté le plus réactionnaire et de peser de tout son poids dans ce sens-là. Aussi, les évêques allemands qu’on sait ne pas pencher précisément vers ses idées-là ont-ils été très mal reçus. Quand ils ont dit que la proclamation du dogme de l’infaillibilité ébranlerait dans ses bases le catholicisme en Allemagne, on leur a ri au nez. (( la princesse rapporte d’autres accrochages en particulier contre Doellinger qui a prôné la séparation absolue de l’Eglise et de l’Etat . Il avait en 1861 prôné l’abandon pur et simple du pouvoir temporel de l’Eglise : note page 121))
Les évêques allemands ont été très mal reçus, car ils ont dit très haut qu’ils ne pourraient pas rentrer dans leur diocèse si on proclamait l’infaillibilité.
Quelques personnes parlaient bien entre elles de la perspective d’un chapeau de cardinal pour l’évêque d’Orléans. Mgr Mermillod, qui se trouvait là, s’écria : « Mais puisqu’il a perdu la tête ? » Je me dispense de qualifier ces paroles.
Rome 4 décembre 1869
(( elle parle des évêques orientaux qui sont très ignorants tandis que les évêques allemands sont très informés)). C’est avec ceux-là qu’ils seront obligés de compter le plus. Leurs raisonnements sont fondés sur des idées si justes et si solides qu’on ne pourra pas les ébranler ; la furia francese ne leur fait pas autant impression. Le cardinal Di Luca appelle l’évêque d’Orléans : le cheval de bataille.
Rome 5 décembre 1869
Il disait que la plupart des évêques sont révoltés du règlement du Concile. Plus de 40 évêques ont déjà signé une adresse au Saint-Père pour protester contre ces règlements, disant que dans tous les Conciles, ce sont les évêques réunis qui avaient le droit de faire ce règlement et que c’était pour la première fois que l’on voulait leur en imposer un. Les cardinaux, aussi mécontents de n’avoir pas été consultés, sont disposés à en faire autant. Les évêques sont sous la surveillance d’une espèce de police, ce qui les oblige d’agir avec le secret le plus absolu. Ils vont à pied les uns chez les autres sans oser se réunir de peur de donner l’éveil. L’évêque d’Orléans arrivera ce soir juste à temps pour signer cette adresse et, heureusement, pas assez tôt pour donner à croire qu’il est l’auteur de cette démonstration. Il est bon qu’on sache, qu’en 1867, Mgr Dupanloup avait déjà déconseillé le Concile au Pape. Voyant maintenant qu’un grand nombre de ses collègues en France, en Allemagne et ailleurs était dans les mêmes vues que lui, il se décide à combattre et à démasquer une presse qui, certes, ne représentait pas l’Eglise ( Veuillot et L’Univers) et il écrivit une nouvelle lettre au pape où, avec la plus grande soumission, l’évêque lui exposa sa manière de penser. Pour le bien de l’Eglise, Mgr espérait qu’au dernier moment, sous l’inspiration du Saint Esprit, ce serait le silence plutôt que la définition de l’infaillibilité qui serait la conclusion.
(( Il y a des chantages au chapeau de cardinal))
Rome 7 décembre 1869
Comme il faut que l’Eglise soit assise sur des bases solides pour résister et triompher dans ce dédale de tristesses et de plaies profondes !
Rome 8 décembre 1869
((rassemblement de tous les évêques)) l’acclamation du Concile n’a pas été très enthousiaste : je crois que la question n’a pas été comprise au moment même. Le pape était très ému. Il m’a rappelé son émotion d’il y a 15 ans à pareil jour !
((…))
Rome 11décembre 1869
Par quelques mots échappés au cardinal Antonelli, j’ai pu remarquer combien il est en peine de la tournure que prennent les affaires du Concile. Au Vatican, on avait cru en finir en trois séances : une pour proposer, une seconde dans laquelle on aurait tout approuvé et une troisième dans laquelle on aurait proclamé l’infaillibilité. Pour les ultramontains, l’infaillibilité est la seule question du Concile. L’évêque de Dijon aurait dit qu’il ne serait guère respecté dans son diocèse, s’il n’était venu ici que pour dire « amen » à tout ce que l’on propose.
((coteries, intrigues, menaces pour intimider etc. ))
Rome, 13 décembre 1869
(( Mgr Dupanloup lui a raconté)) L’évêque d’Orléans a trouvé le pape et le cardinal Antonelli dans une phase de mélancolie et il me dit en se rapprochant de moi : « le Pape et le Cardinal se trouvent dans une impasse dont ils ne savent comment sortir. Ils m’ont parlé ouvertement. Je les ai laissé dire. Puis ils m’ont avoué qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer. Je leur ai dit alors ma manière d’envisager les choses. »
Rome 14 décembre 1869.
Aujourd’hui, consternation générale. Ce matin a été remis à chacun des évêques, un papier contenant la bulle d’excommunication. Elle est faite dans de tels termes et contient des articles si inconcevables, que le nombre compris dans le giron de l’Eglise serait des plus restreints. Les évêques en sont bouleversés. Si on exagère les choses à ce point, on ne sait où l’on ira ! Ils sont dans l’effroi, à la vue de cette pente réactionnaire sur laquelle on glisse avec la rapidité de l’éclair.
(( Elle raconte que certains jésuites sont en train d’écrire la vie du Pape et que ces jésuites)) « tiennent le pape par là : si le Pape a par hasard une idée plus libérale, ils le retiennent en lui disant qu’ils vont écrire une page triste dans son existence. Le Pape se fait donner les épreuves des principaux articles de ce journal, et toute cette coterie a su si bien l’entourer et lui monter la tête, que le Pontife se croit prédestiné, d’autant plus qu’il y a dans sa vie plusieurs fait que Pie IX considère, non seulement comme extraordinaires, mais encore comme miraculeux.
Cette coterie exerce une espèce de police autour du Pape, pour empêcher toute influence étrangère d’arriver jusqu’à lui. C’est grâce à cette même coterie que le pape n’est entouré que de personnes si peu distinguées.
Nous partirons demain. Il est sûr que ce Concile me donnait un intérêt immense ; mais il faut avouer que je viens d’assister à un triste spectacle ! La foi doit être bien vive pour être sûre que l’Eglise sortira victorieuse de cet imbroglio d’intrigues, dont je viens de retracer les impressions jours par jour.
Rome offre, dans ce moment, un bien triste spectacle et je ne me fais aucune illusion sur les scènes qui vont certainement suivre. Elles seront probablement beaucoup plus violentes que celle que je viens d’avoir sous les yeux. J’en ai le triste pressentiment. Le pauvre évêque d’Orléans se berce, je crois, de beaucoup de pensées chimériques. Il s’agite, se tracasse, croit persuader tout le monde par sa parole fort éloquente, mais il ne parviendra jamais à déjouer le parti ultramontain qui est décidé à employer tous les moyens pour réussir
((elle part le 15 décembre 1869, et transcrit ensuite quelques lettres de l’abbé Couvreux, secrétaire de Mgr Dupanloup : ))
*IV Lettres de ses correspondants du 26 janvier 1870 au 23 juillet 1870.
Après son départ, elle reçoit des informations.
Rome 26 janvier 1870
Le journal le Français vous aura tenu au courant des affaires de Rome. L’intérêt n’a pas manqué ce mois-ci et l’inquiétude non plus. On a craint l’acclamation pendant quelques jours; mais, soit que la crainte ne fut pas fondée, soit plutôt que l’attitude des Allemands qui avaient déclaré que si elle avait lieu ils protesteraient et quitteraient même, s’il le fallait, le Concile et Rome, les ait effrayés, on y a renoncé et elle est pour jamais enterrée.
Battu sur ce point, les infaillibilistes ont aussi rédigé un postulatum ( voeu) pour demander au Concile de s’occuper de la question de l’infaillibilité et ils se sont mis en campagne pour obtenir des signatures. Ils s’imaginaient et disaient très haut qu’ils auraient celles de tous les pères ; mais ils n’en ont pas 400, malgré tous les efforts et les motifs humains qui auraient pu, et qui l’étaient en réalité, à leur service dans cette affaire.
Pourtant, les opposants n’avaient pas perdu leur temps ! Ils ont rédigé de leur côté une contre-lettre qui a été signée environ par 150 pères. C’est une minorité imposante, qui pourra bien empêcher l’introduction de la question. En tout cas, si elle ne l’empêche pas, il est certain que la solution qui sera donnée, ne sera pas celle du postulatum des infaillibilistes.
On parle déjà d’une définition très douce, sans anathème, et même, si c’est nécessaire, on renoncerait presque volontiers à la définition formelle et explicite si l’on était sûr de gagner par là l’unanimité des suffrages.
J’espère qu’ils ne se laisseront pas prendre au piège et que l’opposition demeurera indomptable à ce sujet. Il vaut mieux éviter cette question et je n’ai pas perdu tout espoir de l’avoir écartée. Mais ce sera dur pour Rome et ses courtisans, ses valets. Quelle défaite !
Ce qui est curieux et instructif, c’est de voir comment se divisent les 150 voix des non-définitionistes. Elles donnent à l’opposition une majorité morale ; ainsi il y a 47 Allemands, Hongrois, Autrichiens qui ont signé, c’est-à-dire presque l’unanimité ; 35 Français tandis que 24 seulement ont signé le postulatum ; les autres se sont abstenus. (C’est donc la majorité qui est contre la définition) ; 28 Américains (là encore nous avons la majorité) ainsi que chez les évêques orientaux qui ont donné 25 signatures. Les quatre évêques portugais sont avec nous ; nous avons encore quelques signatures d’évêques italiens (entre autres celle des archevêques de Turin et de Milan) ; puis quelques noms anglais ou irlandais. En un mot la Belgique, l’Espagne, l’Angleterre, Rome et l’Italie sont définitionistes ; l’Allemagne et la France, l’Amérique, l’Orient, le Portugal ont une vraie et sérieuse majorité contre la définition.
Quant aux discussions, elles continuent et tous les schémas au projet de décret, présentés aux Pères, sont tous renvoyés à la commission, criblée par les critiques des Pères. Il n’y a pas eu encore un seul décret de voté et je me persuade qu’il n’y en aura pas avant Pâques. Mais alors, peut-être, il y en aura quelques-uns, après quoi les Pères seront congédiés et le Concile sera prorogé.
On gardera peut-être une commission d’évêques choisis, je veux l’espérer, autrement que ceux qui sont dans les quatre commissions du Concile, pour préparer les travaux et pouvoir en présenter de plus acceptable aux pères qui seraient rappelés, peut-être en octobre. Mais ceci n’est pas une nouvelle, ce n’est qu’une conjecture.
((…))
(( du même ))
Rome, 5 mars 1870.
Quant au Concile, nous en sommes toujours au même point et l’avenir reste incertain. Toutefois, la minorité et les opposants, comme on les appelle, est arrivée jusqu’ici à empêcher l’entrée de la grosse question et elle commence à espérer qu’elle finira par l’écarter. Les infaillibilistes ont renoncé du reste à faire une définition explicite, c’est certain, et l’évêque de Paderborn, un des plus violents, déclare qu’elle n’est plus possible, mais qu’il faut faire quelque chose, qu’on ne peut en rester là, etc…
C’est à qui fabriquera des formules intermédiaires qui ne satisferont personne et seront pour l’avenir un sujet de discussion et de discorde. J’espère que ce mode hypocrite sera rejeté aussi. La minorité est ferme et quoiqu’on fasse pour la dissoudre, promesses et séductions pour les uns, menaces pour les autres, je suis convaincu qu’elle demeurera fidèle à son passé. La majorité ne saurait plus triompher que par la violence et en foulant aux pieds tous les droits de la minorité et les traditions des Conciles. Nous avons fait, vous le voyez, un pas immense !
On vient de modifier l’ancien règlement et les modifications apportées restreignent encore la liberté des évêques ; mais une protestation, sous forme d’observation, vient d’être signée par 34 évêques français et envoyée aux présidents du Concile. Les Allemands ont adopté le texte et signent de leur côté ; les Américains feront de même, les Orientaux aussi. En grande partie au moins, tous les opposants signeront. Cette protestation est l’acte le plus grave que la minorité ait fait jusqu’ici.
La Cour de Rome ne saurait passer outre. Je crois qu’il peut amener la prorogation ; on parle de vacances qui seraient données à Pâques. Cela serait le commencement ; mais on voudrait ici ne pas se séparer avant d’avoir fait quelque chose et il serait possible que d’ici Pâques, les canons contre les erreurs philosophiques modernes soient décrétés et votés. Le Saint-Père est mécontent contre tout le monde.
(( allusion à un discours de Mgr Mermilllod )) dans lequel il a parlé de l’infaillibilité comme d’un fait accompli. Cela fait faire beaucoup de mauvais sang.
Un évêque italien aurait dit l’autre jour dans une conversation : « Ève, en mordant dans la pomme, a fait que le Christ est devenu homme pour sauver le genre humain. Son représentant ici-bas se fait Dieu pour le sauver. »
((Elle recopie une lettre du 24 mars 1870 à Rome envoyé par un cousin ))
Avant-hier, l’évêque Strossmeyer a été forcé de quitter la tribune. La majorité l’a obligé à en descendre, en lui faisant entendre les choses les plus dures. Le bruit pendant cette séance, était tel que des personnes qui marchaient alors dans Saint-Pierre ont pu entendre et comprendre ce qui se passait dans la salle du Concile. Personne ne sait ce qui va arriver ; d’une part on traite Strossmeyer d’hérétique ; de l’autre, on dit qu’il est le seul qui ait eu le courage de prononcer devant tous l’opinion partagée par plus de 100 évêques.
On ne croit pas à la clôture du Concile et le Pape reste décidé à proclamer l’infaillibilité coûte que coûte. »
Nouvelle lettre de son cousin le 8 mai 1870 :
Les journaux t’auront mandé différents discours des évêques. Nous en savons 70 inscrits pour parler contre l’infaillibilité. Il est incontestable que la minorité augmente en nombre. Les mesures prises contre les évêques orientaux n’ont fait que monter encore plus les esprits. Imagine-toi qu’on avait complètement enfermé un de ces évêques et que c’est Roustem-bey , ministre de Turquie à Florence, qui a obtenu, non sans peine, qu’on le fît sortir de ce couvent, où il était enfermé, tenu sous clé depuis assez longtemps, n’ayant la permission que de se rendre au Concile. C’est une guerre d’Eglise bien lamentable.
Nouvelle lettre de l’abbé Couvreux le 28 mai 1870
La discussion sur le schéma de l’infaillibilité sera beaucoup plus longue qu’on ne l’avait supposé. Ce schéma, vous le savez, a quatre chapitres, plus une préface. On n’a pas encore commencé la discussion des chapitres ni de la préface ; les Pères en sont toujours à la discussion de l’ensemble et il y a encore 60 orateurs à entendre avant d’aborder la discussion des chapitres : c’est-à-dire que, s’il n’y a pas de coup d’État, si les choses se passent régulièrement et sans précipitation, nous en avons encore pour trois mois.
La minorité voudrait une interruption du Concile, soit à la Pentecôte, soit à la Saint-Pierre ; mais la majorité sent que l’ajournement de la question lui sera fatal et qu’il est dangereux pour elle de se séparer sans avoir la définition qu’elle poursuit. Qui l’emportera ? Dieu seul le sait !
Vous apprendrez avec plaisir que la minorité tient bon, qu’elle ne perd pas numériquement, mais s’accroît plutôt. Pour moi, je crois qu’on ne fera pas de définition formelle et qu’on s’en tiendra à une sorte d’exposition doctrinale où l’infaillibilité sera implicitement enseignée. C’est une satisfaction qu’ils voudront se donner. Cela ne tranchera aucune des difficultés pendantes et cela aura l’inconvénient qu’ils voudront s’appuyer là-dessus pour soutenir leur thèse, qu’ils ont tant à cœur. Le mieux serait qu’on ne fit rien du tout mais je n’ose l’espérer.
Le 4 juin 1870 son cousin lui écrit de nouveau :
Avant-hier, les Pères étaient réunis au Concile, quand tout à coup leurs discours furent interrompus par la lecture d’un amendement signé par 200 évêques. La chaleur étant extrême, il demandait de faire cesser la discussion générale et de passer de suite à la discussion du dogme. Après avoir lu cet amendement, le président a dit qu’il avait l’ordre de fermer la discussion, qu’il suivrait les instructions et qu’il n’y aurait plus de séances à Saint-Pierre.
Le 18 juin 1870, lettre de l’abbé Couvreux qui parle de la discussion du quatrième chapitre qui vient de s’ouvrir.
Le 24 juin, lettre de son cousin :
Le cardinal Guidi a fait ces jours-ci un beau discours contre la proclamation du dogme. Le Saint-Père le fit appeler et lui dit qu’il était hérétique. Le cardinal répliqua que si Sa Sainteté voulait bien lire son discours, elle n’y trouverait que des citations de l’Ecriture sainte et que ce qu’il avait dit avait été de tout temps cru et approuvé par l’Eglise. Le Saint-Père, reprenant vivement la parole : « Comment, l’Eglise? Mais l’Eglise c’est moi ! »
Lettre de l’abbé Couvreux le 9 juillet qui fait allusion à un non-placet.
((Les comptes-rendus du Concile et les termes du dogme éliminent les opposants. Des évêques partent de guerre lasse. La politique extérieure fait diversion, à cause de la candidature Hohenzollern au trône d’Espagne qui fera éclater la guerre le 15 juillet 1870))
23 juillet 1870, une lettre de l’abbé Couvreux
« Les nouvelles du Concile sont bien graves. La session a eu lieu ; la définition a été faite. La minorité a dit non placet jusqu’à la fin et, tout en maintenant son vote, n’a pas voulu assister à la session. Qu’en dit-on chez vous, si toutefois les esprits ne sont pas absorbés par autre chose ? »
Et la princesse conclut avant d’entamer le récit de la guerre :
« Il est certain que les événements guerriers firent vite oublier ce qui se passait au Concile. La définition de l’infaillibilité s’y fit presque au bruit du canon. Les évêques quittèrent Rome en hâte et chacun ne s’occupa plus que de cette guerre épouvantable qui nous tint en haleine pendant sept grands mois ».
*V Eléments d’histoire religieuse (de l’Evangile aux conséquences immédiates de ce dogme).
D’après les Evangiles, Jésus a semble-t-il, peu laissé de consignes à ceux qui auraient voulu faire des commentaires théologiques et doctrinaux pour bâtir une « religion » normée à partir de ses paroles et de sa vie.
Les Actes des apôtres nous montrent comment les premiers chrétiens réfléchissaient ensemble pour être fidèles à l’enseignement de Jésus et s’adapter aux nouvelles situations. Ainsi Paul écrit à des assemblées ( ekklèsia) situées dans des régions différentes et qui n’ont pas toutes les mêmes avis. On voit qu’elles ont des pratiques différentes qui correspondent ou doivent correspondre aux mêmes principes généraux adaptés à leur situation : l’assemblée des fidèles connaît sa situation et avec l’aide de Dieu peut discerner ce qui convient.
Cependant au fur et à mesure que le nombre de chrétiens a augmenté, il a fallu s’organiser. Le nombre d’écrits relatant les opinions de Jésus et les réflexions de ceux qui parlaient au sujet de Dieu ( les « théologiens ) allaient dans des directions différentes et il a fallu que l’on choisisse ce qui était « vrai »,canonique, orthodoxe … Pour décider cela, il était évident qu’il fallait demander d’abord son avis au peuple de Dieu tout entier et c’est pourquoi on a commencé à rassembler les pasteurs qui étaient au service du peuple tout entier et le représentaient. La Terre tout entière était appelée en grec oikouménè ( = l’habitée), ces rassemblements se sont appelés « œcuméniques »[13] pour bien marquer d’où ils tiraient leur autorité ; en latin, c’est mot « universel » qui conviendrait. (N.B. Ne pas confondre avec un autre sens de ce terme après les schismes[14].) Ce rassemblement s’appelait en grec synodos car désignant un chemin (odos) fait ensemble et qui rassemble. Il fut traduit en latin par concile, un terme composé d’un préfixe cum = avec, et d’un nom dérivé de la racine indoeuropéenne *kle ( = appeler, crier )[15] : cette assemblée convoquée universellement débattait sur certains sujets prévus et débattus à l’avance par les fidèles de partout. Leur décision ainsi appuyée, s’appelait légitimement en grec et en latin dogma, un dogme ( = ce qui semble bon, vrai) et avait, grâce à ce processus, une valeur universelle facilement acceptable.
Formalisé de façon plus intellectuelle, on peut le dire ainsi : l’Église a été déclarée infaillible dans son magistère ordinaire, qui est exercé quotidiennement principalement par le Pape, et par les évêques unis à lui, qui pour cette raison sont, comme lui, infaillibles de l’infaillibilité de l’Église, qui est assistée par le Saint-Esprit tous les jours. En fait, les évêques reçoivent de leur supérieur hiérarchique une partie de l’infaillibilité, qui est reçue et non inhérente à leur personne, dès lors qu’ils sont unis au Pape.
Quant aux Conciles œcuméniques, étant convoqués par le pape sur un sujet précis qui représente le souhait voire l’avis présumé du peuple de Dieu, ils sont eux aussi infaillibles s’ils concluent. Ils se déroulent sous forme de débats suivis de votes. Mais aujourd’hui, l’autorité finale revient au Pape, à la suite des votes. Il est présent physiquement ou relié à l’assemblée par des messagers.
Pour les Eglise orthodoxes également. Par principe, l’Église orthodoxe ne prend que des décisions collégiales c’est-à-dire démocratiques. C’est pourquoi le choix d’une décision unilatérale est choquant pour ces Églises. Les synodes réunissant les évêques orthodoxes sont rarissimes, pourtant, ceux-ci se sont réunis en 1848, pour mettre en garde l’Église catholique sur son choix d’établissement de l’infaillibilité pontificale.
L’Eglise catholique romaine a mis des conditions strictes à ce dogme pour qu’il soit voté. Comme nous l’avons vu plus haut ( texte cité ), il y a finalement été établi que le pape ne peut se tromper lorsqu’il s’exprime ex cathedra en matière de foi et de morale et que tous les fidèles doivent tenir et suivre ce qu’il y déclare.
A la suite de cette promulgation, un certain nombre de fidèles catholiques, notamment en Allemagne, Suisse ou Hollande, ont refusé les conclusions du concile de Vatican I et notamment la proclamation du dogme de l’infaillibilité.
Cela est allé jusqu’à un nouveau schisme chez les catholiques : l’archevêque « vieil-épiscopal » d’Utrecht, dont la position est issue d’un schisme antérieur, Mgr Loos, s’associe au mouvement et l’aide à se structurer. L’acte fondateur de la nouvelle Eglise est la Déclaration d’Utrecht, adoptée en 1889.
Pour les Églises orthodoxes, l’infaillibilité pontificale est totalement inconcevable. Elles considèrent que l’Eglise catholique se trompe quant à ce dogme et que l’Eglise catholique a ainsi rajouté des difficultés dans le dialogue œcuménique.
Seuls trois dogmes ont été promulgués ex cathedra ( c’est-à-dire par le pape essentiellement )
1°) La constitution apostolique Ineffabilis Deus définissant ex cathedra l’Immaculée Conception le 8 décembre 1854, 15 ans avant , déjà par le même pape Pie IX, sans convocation de Concile… : « Nous déclarons, Nous prononçons et définissons que la doctrine qui enseigne que la Bienheureuse Vierge Marie, dans le premier instant de sa Conception[16], a été, par une grâce et un privilège spécial du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute tache du péché originel, est révélée de Dieu, et par conséquent qu’elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles ».
2°) cette constitution dogmatique Pastor Aeternus, sur l’infaillibilité pontificale ( Pie IX, 1870)
3°) la constitution Munificentissimus Deus définissant l’Assomption de Marie promulguée le 1er novembre 1950 par le Pape Pie XII. Elle est la première, et à ce jour la seule, déclaration ex cathedra faisant usage de l’infaillibilité depuis la proclamation de l’infaillibilité papale en 1870. Le dogme de 1854 est une base de ce nouveau dogme qui a été promulgué sans heurts ni violences.
Les catholiques ont aujourd’hui à ce sujet diverses appréciations :
- les uns sont très restrictifs, refusant l’infaillibilité comme un dogme récent, nuisible et arraché de façon malhonnête, ajoutant à la division entre les différentes Eglises chrétiennes ;
-
d’autres estiment que ce pouvoir est contraire à la volonté de Jésus telle qu’elle a été rapportée, contraire aux principes qui régissaient l’Eglise des origines, l’Eglise apostolique, l’Eglise qui a vécu pendant 1800 ans et même pendant le concile de Trente ;
-
d’autres par contre tentent d’en élargir l’emploi et voudraient que l’on se serve de ce pouvoir pur régler certaines questions qui ne font pas l’unanimité. Par exemple, Apostolicae Curae sur l’invalidité du rite d’ordination anglican ( 1896, Léon XIII) ) et Ordinatio Sacerdotalis sur l’exclusion des femmes au sacerdoce ( 1994, Jean-Paul II qui a déclaré que l’Eglise n’a pas autorité pour installer un sacerdoce pour les femmes) : ces deux textes ne contiennent pas en fait l’expression ex-cathedra , et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi voudrait également leur appliquer l’infaillibilité papale pour en faire des vérités définitives…
– d’autres enfin ont tendance à dire et faire croire que le pape ne peut jamais se tromper, en oubliant les conditions nécessaires à son infaillibilité et prêtent l’infaillibilité à tous ses écrits et paroles, pensant bien faire.
… et maintenant ?
On comprend mieux pourquoi ce dogme ( et les dogmes qui se sont appuyés dessus ) si autoritaire et peut-être « mal acquis » ou tout au moins établi dans des conditions contestables est contesté…
On pourrait en tirer les leçons… et se contenter de ne plus jamais l’utiliser…
L’histoire de ce dogme permet aussi de comprendre les bienfaits d’une réelle synodalité qui se met en œuvre synodalement à partir de valeurs qui sont primordiales aujourd’hui.
Valeurs évangéliques qui n’ont rien perdu de leur pertinence et sont perçues comme universelles et neutres d’ailleurs car elles correspondent aux besoins de l’Homme.
Particulièrement si un chrétien considère, ( comme Jésus l’a montré), que tous les êtres humains sont fils et filles de Dieu, leur Père.
Marguerite Champeaux-Rousselot (2018-04)
[1] Excellent résumé : https://www.cath.ch/newsf/linfaillibilite-pontificale-fruit-de-la-synodalite-conciliaire/
[2] Y. Congar : « le mot lui-même de magisterium se trouve avec une fréquence insolite jusque-là, dans les discussions et les textes du concile [Vatican I] » etc. L’Église de saint Augustin à l’époque moderne, Paris, 1970 p. 446.
[3] Un bon rappel sur la « démocratie » vécue aux sources traditionnelles de l’Eglise : https://www.herodote.net/18_juillet_1870-evenement-18700718.php
[4] Des précisions sur les limites de l’infaillibilité papale telle qu’elle a été votée : https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1970_num_1_2_1014
[5] Latin :
Romanum Pontificem, cum ex Cathedra loquitur, id est, cum omnium Christianorum Pastoris et Doctoris munere fungens, pro suprema sua Apostolica auctoritate doctrinam de fide vel moribus ab universa Ecclesia tenendam definit, per assistentiam divinam, ipsi in beato Petro promissam, ea infallibilitate pollere, qua divinus Redemptor Ecclesiam suam in definienda doctrina de fide vel moribus instructam esse voluit; ideoque eiusmodi Romani Pontificis definitiones ex sese, non autem ex consensu Ecclesiae irreformabiles esse.
Texte complet : https://w2.vatican.va/content/pius-ix/la/documents/constitutio-dogmatica-pastor-aeternus-18-iulii-1870.html
[6] Quelques-uns firent exception dont le plus fameux fut l’historien et théologien Ignaz von Döllinger ou Doelllinger, qu’évoque la princesse et qui mourut pendant ce Concile. .
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_franco-allemande_de_1870
[8] Faut-il y voir le châtiment divin sanctionnant l’erreur d’un Concile soumis et manipulé se soumettant à des conceptions anachroniques et à contresens de l’Evangile, ou bien un rappel divin aux valeurs évangéliques ( humilité, pauvreté, service ) que le pape démuni de sa souveraineté étatique aura plus facile à appliquer de façon exemplaire ? On peut se demander si l’autorité spirituelle du pape se maintiendra ( d’autant ) mieux ou non, dans ce périmètre moins matériel et peut-être plus immatériel ? La conjonction de ce dénuement matériel joint à la revendication d’un pouvoir sur-humain lui donnera-t-elle plus de grandeur et de pouvoir ou aura-t-elle comme conséquence un éloignement accru de non-baptisés et une fuite de baptisés ? Quelques éclairages : https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2006-1-page-29.htm#no43
[9] Seul Pie XII en usera en 1950 pour promulguer le dogme de l’Assomption de Marie.
[10] En effet, le travail conciliaire a repoussé puis ajourné les sujets prévus et a entrepris de traiter d’un sujet inattendu car n’émanant pas de l’ensemble des fidèles ; il a suivi un cheminement qui n’avait pas été proposé initialement par le pape et que les événements ont empêché de se dérouler sereinement et comme prévu. : n’aurait-il pas été préférable de reporter le Concile ? Le Concile n’ayant pas été reporté, la manière même, en interne, dont on est arrivé au vote « unanime » pose question : la synodalité qui se fonde sur l’Evangile et à partir du peuple des Baptisés, pour aboutir à une décision œcuménique à valeur universelle a semble-t-il été réduite à l’avis des pères conciliaires en réalité sous l’emprise du pape et de son entourage.
[11] Avant de se rendre au Concile, Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, avait publié une lettre pastorale dans laquelle, tout en exprimant le dévouement le plus absolu et le respect le plus profond pour l’autorité et la personne du pape, il déclarait ne pas accepter sans contrôle les opinions ultramontaines sur l’infaillibilité.
[12] Dans une lettre du 11 novembre 1869, adressée au clergé de son diocèse sous le titre : Observations sur la controverse soulevée relativement à la définition de l’infaillibilité au prochain Concile, l’évêque d’Orléans résumait toutes les objections faites contre l’opportunité de la définition de l’infaillibilité pontificale, et reprochait vivement à L’Univers ( et à Louis Veuillot) d’avoir imprudemment provoqué la controverse sur cette question
[13] La majorité des conciles n’ont pas été œcuméniques et correspondaient à des décisions locales. Lorsqu’on cite un Concile, il faut bien observer s’il est œcuménique ou local…
[14] Le terme œcuménisme ou oecuménique, après le schisme avec les orthodoxes ou autres, est souvent utilisé pour qualifier le désir d’unité des différentes églises chrétiennes : lorsque orthodoxes, protestants, catholiques etc. se rassemblent).
[15] On trouve en grec de nombreux mots qui en dérivent dont ekklèsia ( = hors de- appeler) et en latin des mots qui ont donné en français intercaler, calendrier, et même clair, ( éclat de la voix, de la lumière , de la renommée).
[16] Rappel : première apparition à Lourdes le 1 février 1858 ; 25 mars : le nom, « Que soy era immaculada councepciou » ; 16 juillet dernière apparition.
Synodalité de guérison et de prévention : un chemin qui suit l’Evangile ( 2020-03)
par Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2020-03)
Pour sortir des abus dans l’Eglise au Chili, le pape François propose un chemin dans sa « Lettre de François aux catholiques chiliens ».
Mais il prend soin d’indiquer que ce chemin devrait être celui pour remédier à toutes sortes d’abus… Nous pouvons donc lire cette lettre, et en tirer du fruit pour nous-même aussi.
I Synodal et Synodalité
Il décrit un chemin en détail mais le terme global qui peut caractériser le processus de guérison comme de prévention, tient en un mot, synodal, qu’il emploie par deux fois : dans l’introduction (1°) et dans sa phrase de conclusion ( 2°), c’est dire l’importance pour lui de la synodalité.
Un terme qui, nous le savons désormais, sera au cœur du synode de 2022 qui concernera précisément la synodalité.
Voici les deux phrases :
1°) je voudrais également dire à chacun de vous en particulier : « La Sainte Mère Église attend de vous aujourd’hui que vous l’interpelliez. Et ensuite (…) l’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : “cela me plaît, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ça ne va pas”… Dites-nous ce que vous sentez, ce que vous pensez »[1]. Ceci nous permet à tous de nous impliquer dans une Église dont la démarche synodale sait mettre Jésus au centre.
Au sein du Peuple de Dieu, il n’y a pas de chrétiens de première, deuxième ou troisième catégories.
2°) Je reconnais et apprécie votre exemple courageux et constant car dans les moments de turbulence, de honte et de douleur, vous continuez d’avancer dans la joie de l’Évangile.
Je les appelle à avancer, poussés par l’Esprit, à la recherche d’une Église chaque jour plus synodale, prophétique et pleine d’espoir, moins abusive parce qu’elle sait mettre Jésus au centre, en celui qui a faim, en le prisonnier, le migrant et l’abusé.
II Nous transcrivons ci-dessous les passages de cette Lettre qui ont une valeur générale, à titre de document de travail.
( Rappel : texte intégral de la « Lettre de François aux catholiques chiliens » ci-dessous)
… chercher avec eux des chemins de vérité et de vie à court, à moyen et à long terme, face à une plaie ouverte, douloureuse et complexe qui ne cesse de saigner depuis longtemps
Je les ai invités à regarder où le Saint-Esprit nous conduit, puisque « fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu »[2]
C’est avec joie et espérance que j’ai reçu la nouvelle qu’il y avait beaucoup de communautés, de villes et de chapelles où le peuple de Dieu priait, surtout pendant les jours où nous rencontrions les évêques. Le Peuple de Dieu implore à genoux le don du Saint-Esprit pour trouver la lumière au sein d’une Église blessée par son péché, pour implorer miséricorde, et pour qu’elle devienne prophétique jour après jour de par sa vocation[3]. Nous savons que la prière n’est jamais vaine et qu’« dans l’obscurité commence toujours à germer quelque chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit »[4]
le statut du Peuple de Dieu qui « est la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint »[5]. Le saint peuple fidèle de Dieu est oint de la grâce du Saint-Esprit ; par conséquent, lorsqu’il s’agit de réfléchir, de penser, d’évaluer, de discerner, nous devons être très attentifs à cette onction. Chaque fois qu’en tant qu’Église, que pasteurs, que personnes consacrées, nous avons oublié cette certitude, nous perdons notre chemin. Chaque fois que nous essayons de supplanter, de réduire au silence, de nier, d’ignorer ou de réduire à de petites élites le Peuple de Dieu dans sa totalité et ses différences, nous construisons des communautés, des plans pastoraux, des théologies appuyées, des spiritualités, des structures sans racines, sans histoire, sans visages, sans mémoire, sans corps, bref, sans vie. Nous désunir de la vie du Peuple de Dieu, nous précipite dans la désolation et dans la perversion de la nature ecclésiale ; la lutte contre une culture d’abus nécessite de renouveler cette certitude.
je voudrais également dire à chacun de vous en particulier : « La Sainte Mère Église attend de vous aujourd’hui que vous l’interpelliez. Et ensuite (…) l’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : “cela me plaît, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ça ne va pas”… Dites-nous ce que vous sentez, ce que vous pensez »[6]. Ceci nous permet à tous de nous impliquer dans une Église dont la démarche synodale sait mettre Jésus au centre.
Au sein du Peuple de Dieu, il n’y a pas de chrétiens de première, deuxième ou troisième catégories. Votre participation active ne se résume pas à une concession que vous faites volontairement, mais elle est constitutive de la nature ecclésiale. Il est impossible d’imaginer le futur sans cette onction qui opère en chacun de vous et qui réclame et exige certainement de nouvelles formes de participation. J’exhorte tous les chrétiens à ne pas avoir peur d’être les protagonistes de la transformation revendiquée aujourd’hui, à impulser et à promouvoir des alternatives créatives dans la recherche quotidienne d’une Église qui veut chaque jour mettre « L’important » [7] au centre. J’invite toutes les organisations diocésaines, quelle que soit leur région, à chercher consciemment et lucidement des espaces de communion et de participation pour que l’onction du Peuple de Dieu puisse trouver des médiations concrètes pour se manifester.
Le renouvellement de la hiérarchie ecclésiale par elle-même ne génère pas la transformation à laquelle le Saint-Esprit nous pousse. Nous sommes tenus de promouvoir conjointement une transformation ecclésiale qui nous concerne tous.
Une Église prophétique et par conséquent pleine d’espérance, exigera de tous une mystique des yeux ouverts[8], interrogative et non engourdie[9]. Ne vous laissez pas dépouiller de l’onction de l’Esprit.
« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit »[10]. C’est ainsi que Jésus répondit à Nicodème quand ce dernier l’a interpellé sur la possibilité de naître à nouveau pour pouvoir entrer dans le royaume des cieux.
En ce moment, à la lumière de ce passage, il est bon pour nous de revoir notre histoire personnelle et communautaire : le Saint-Esprit souffle où il veut et comme il veut dans le seul but de nous aider à renaître. Loin de nous enfermer dans des schémas, des modalités, des structures fixes ou obsolètes, loin de démissionner ou « de baisser sa garde » face aux événements, l’Esprit Saint est continuellement en mouvement pour élargir sans cesse les yeux étroits, pour redonner le rêve à ceux qui ont perdu espérance[11], pour faire justice dans la vérité et dans la charité, pour purifier du péché et de la corruption et pour inviter en permanence à une nécessaire conversion. Sans ce regard de foi, tout ce que nous pouvons dire et faire tomberait dans l’oreille d’un sourd. Cette certitude est essentielle pour regarder le présent, sans faux-fuyants mais avec détermination, avec courage, mais aussi avec sagesse, avec ténacité mais sans violence, avec passion mais sans fanatisme, avec de la persévérance mais sans inquiétude. Cette certitude est essentielle pour changer ainsi tout ce qui menace aujourd’hui l’intégrité et la dignité de toute personne ; car les solutions qui s’imposent doivent faire face aux problèmes sans se laisser prendre au piège ou, ce qui serait pire, sans perpétuer les mêmes mécanismes que nous voulons éliminer[12]. Aujourd’hui, nous sommes mis au défi d’affronter, d’assumer et de souffrir le conflit, de pouvoir ainsi le résoudre et le transformer en un nouveau départ[13].
l’effort et à la persévérance de gens concrets qui, malgré le manque d’espoir ou de confiance, n’ont cessé inlassablement de rechercher la vérité ; je parle des victimes d’abus sexuels, de pouvoir, d’autorité et de ceux qui les ont crus et accompagnés.
La culture de l’abus et de la dissimulation est incompatible avec la logique de l’Évangile puisque le salut offert par le Christ est toujours une offre, un don qui réclame et exige la liberté. Laver les pieds des disciples c’est la manière avec laquelle le Christ nous montre le visage de Dieu. Ce n’est jamais par la contrainte ou l’obligation mais par le service. Soyons clairs, tout ce qui tente de contrer la liberté et l’intégrité des gens est anti-évangélique. Par conséquent, il est également nécessaire de générer des processus de foi où l’on apprend à savoir quand il faut douter et quand il ne faut pas. « La doctrine, ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci, “n’est pas un système clos, privé de dynamiques capables d’engendrer des questions, des doutes, des interrogations”, et “les questions de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation” (…) »[14] . J’invite tous les centres de formation religieuse, les facultés de théologie, les écoles, les collèges, les séminaires, les maisons de formation et de spiritualité, à promouvoir une réflexion théologique qui serait capable d’être à la hauteur des temps présents, à promouvoir une foi mature, adulte et qui assume l’« humus » vital du Peuple de Dieu avec ses idées et ses préoccupations. Je les invite à promouvoir ainsi des communautés capables de lutter contre les situations d’abus, des communautés où l’échange, la discussion et la confrontation sont les bienvenus[15]. Nous serons fructueux dans la mesure où nous rendons autonomes les communautés ouvertes de l’intérieur ; nous libérons ainsi des pensées fermées et auto-référentielles pleines de promesses et de mirages qui promettent la vie mais qui favorisent finalement la culture de l’abus.
Je voudrais faire une brève référence à la pastorale populaire qui existe dans un grand nombre de vos communautés et qui est un trésor inestimable et authentique où on apprend à écouter le cœur de notre peuple et dans le même acte le cœur de Dieu. Durant mon expérience de pasteur, j’ai appris à découvrir que la pastorale populaire est l’un des rares endroits où le peuple de Dieu est souverain de l’influence du cléricalisme qui cherche toujours à contrôler et à bloquer l’onction de Dieu sur son peuple. Apprendre de la piété populaire, c’est apprendre à entrer dans un nouveau type de relation, d’écoute et de spiritualité qui demande beaucoup de respect et ne se prête pas à des lectures rapides et simplistes, car la piété populaire « reflète une soif de Dieu que seuls les pauvres et les simples peuvent connaître »[16].
Être une « Église en marche » c’est également se laisser aider et interpeler[17]. N’oublions pas que « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit »[18].
je pense nécessaire de vous partager ma joie et mon espoir d’avoir pu confirmer durant le dialogue que nous avons eu, votre reconnaissance à des personnes que j’aime appeler les « saints de la porte d’à côté »[19]. Ce serait injuste qu’en plus de notre douleur et notre embarras face à ces structures d’abus et de dissimulation qui se sont perpétuées et face à tant de mal qu’ils ont fait, nous ne reconnaissions pas les nombreux fidèles laïcs, consacrés et consacrées, prêtres et évêques qui donnent leur vie par amour dans les zones les plus reculées de la terre chilienne bien-aimée. Tous ceux-là sont des chrétiens qui savent pleurer avec les autres, qui cherchent la justice dans la faim et la soif, qui regardent et agissent avec miséricorde[20] ; ce sont des chrétiens qui essaient chaque jour d’éclairer leur vie à la lumière du protocole[21] avec lequel nous serons jugés : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi »[22].
Je reconnais et apprécie votre exemple courageux et constant car dans les moments de turbulence, de honte et de douleur, vous continuez d’avancer dans la joie de l’Évangile.
Je les appelle à avancer, poussés par l’Esprit, à la recherche d’une Église chaque jour plus synodale, prophétique et pleine d’espoir, moins abusive parce qu’elle sait mettre Jésus au centre, en celui qui a faim, en le prisonnier, le migrant et l’abusé.
François
Vatican, le 31 mai 2018, Fête de la Visitation de Notre-Dame
Traduction française de Kinda Elias pour La DC. Titre de La DC.
Choix et commentaire par Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2020-03)
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III Texte intégral :
Chers frères et sœurs,
Le 8 avril dernier, j’ai convoqué mes frères évêques à Rome pour chercher avec eux des chemins de vérité et de vie à court, à moyen et à long terme, face à une plaie ouverte, douloureuse et complexe qui ne cesse de saigner depuis longtemps (1). Je leur ai suggéré qu’ils invitent tout le saint peuple de Dieu à se mettre en état de prière afin que le Saint-Esprit nous donne la force de ne pas tomber dans la tentation de nous enliser dans des propos dépourvus de sens, dans des diagnostics sophistiqués ou en de vains gestes, qui ne nous permettraient pas d’avoir le courage nécessaire pour faire face à la douleur causée, au visage des victimes et à l’ampleur des événements. Je les ai invités à regarder où le Saint-Esprit nous conduit, puisque « fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu » (2).
C’est avec joie et espérance que j’ai reçu la nouvelle qu’il y avait beaucoup de communautés, de villes et de chapelles où le peuple de Dieu priait, surtout pendant les jours où nous rencontrions les évêques. Le Peuple de Dieu implore à genoux le don du Saint-Esprit pour trouver la lumière au sein d’une Église blessée par son péché, pour implorer miséricorde, et pour qu’elle devienne prophétique jour après jour de par sa vocation (3). Nous savons que la prière n’est jamais vaine et qu’« dans l’obscurité commence toujours à germer quelque chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit » (4).
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La lettre du pape François aux catholiques chiliens
- Faire appel à vous, vous demander de prier n’était pas un recours fonctionnel usuel, ni un simple geste de bonne volonté. Au contraire, je voulais placer les choses à leur place, précise et précieuse, et situer le problème là où il doit être : le statut du Peuple de Dieu qui « est la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint» (5). Le saint peuple fidèle de Dieu est oint de la grâce du Saint-Esprit ; par conséquent, lorsqu’il s’agit de réfléchir, de penser, d’évaluer, de discerner, nous devons être très attentifs à cette onction. Chaque fois qu’en tant qu’Église, que pasteurs, que personnes consacrées, nous avons oublié cette certitude, nous perdons notre chemin. Chaque fois que nous essayons de supplanter, de réduire au silence, de nier, d’ignorer ou de réduire à de petites élites le Peuple de Dieu dans sa totalité et ses différences, nous construisons des communautés, des plans pastoraux, des théologies appuyées, des spiritualités, des structures sans racines, sans histoire, sans visages, sans mémoire, sans corps, bref, sans vie. Nous désunir de la vie du Peuple de Dieu, nous précipite dans la désolation et dans la perversion de la nature ecclésiale ; la lutte contre une culture d’abus nécessite de renouveler cette certitude.
Comme je l’ai dit aux jeunes de Maipu, je voudrais également dire à chacun de vous en particulier : « La Sainte Mère Église attend de vous aujourd’hui que vous l’interpelliez. Et ensuite (…) l’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : “cela me plaît, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ça ne va pas”… Dites-nous ce que vous sentez, ce que vous pensez » (6). Ceci nous permet à tous de nous impliquer dans une Église dont la démarche synodale sait mettre Jésus au centre.
Au sein du Peuple de Dieu, il n’y a pas de chrétiens de première, deuxième ou troisième catégories. Votre participation active ne se résume pas à une concession que vous faites volontairement, mais elle est constitutive de la nature ecclésiale. Il est impossible d’imaginer le futur sans cette onction qui opère en chacun de vous et qui réclame et exige certainement de nouvelles formes de participation. J’exhorte tous les chrétiens à ne pas avoir peur d’être les protagonistes de la transformation revendiquée aujourd’hui, à impulser et à promouvoir des alternatives créatives dans la recherche quotidienne d’une Église qui veut chaque jour mettre « L’important » (7) au centre. J’invite toutes les organisations diocésaines, quelle que soit leur région, à chercher consciemment et lucidement des espaces de communion et de participation pour que l’onction du Peuple de Dieu puisse trouver des médiations concrètes pour se manifester.
Le renouvellement de la hiérarchie ecclésiale par elle-même ne génère pas la transformation à laquelle le Saint-Esprit nous pousse. Nous sommes tenus de promouvoir conjointement une transformation ecclésiale qui nous concerne tous.
Une Église prophétique et par conséquent pleine d’espérance, exigera de tous une mystique des yeux ouverts (8), interrogative et non engourdie (9). Ne vous laissez pas dépouiller de l’onction de l’Esprit.
- « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit » (10). C’est ainsi que Jésus répondit à Nicodème quand ce dernier l’a interpellé sur la possibilité de naître à nouveau pour pouvoir entrer dans le royaume des cieux.
En ce moment, à la lumière de ce passage, il est bon pour nous de revoir notre histoire personnelle et communautaire : le Saint-Esprit souffle où il veut et comme il veut dans le seul but de nous aider à renaître. Loin de nous enfermer dans des schémas, des modalités, des structures fixes ou obsolètes, loin de démissionner ou « de baisser sa garde » face aux événements, l’Esprit Saint est continuellement en mouvement pour élargir sans cesse les yeux étroits, pour redonner le rêve à ceux qui ont perdu espérance (11), pour faire justice dans la vérité et dans la charité, pour purifier du péché et de la corruption et pour inviter en permanence à une nécessaire conversion. Sans ce regard de foi, tout ce que nous pouvons dire et faire tomberait dans l’oreille d’un sourd. Cette certitude est essentielle pour regarder le présent, sans faux-fuyants mais avec détermination, avec courage, mais aussi avec sagesse, avec ténacité mais sans violence, avec passion mais sans fanatisme, avec de la persévérance mais sans inquiétude. Cette certitude est essentielle pour changer ainsi tout ce qui menace aujourd’hui l’intégrité et la dignité de toute personne ; car les solutions qui s’imposent doivent faire face aux problèmes sans se laisser prendre au piège ou, ce qui serait pire, sans perpétuer les mêmes mécanismes que nous voulons éliminer (12). Aujourd’hui, nous sommes mis au défi d’affronter, d’assumer et de souffrir le conflit, de pouvoir ainsi le résoudre et le transformer en un nouveau départ (13).
- En premier lieu, il serait injuste d’attribuer ce processus uniquement aux derniers événements vécus. L’ensemble du processus de révision et de purification que nous sommes en train de vivre est possible grâce à l’effort et à la persévérance de gens concrets qui, malgré le manque d’espoir ou de confiance, n’ont cessé inlassablement de rechercher la vérité ; je parle des victimes d’abus sexuels, de pouvoir, d’autorité et de ceux qui les ont crus et accompagnés. Des victimes dont la clameur a atteint le ciel (14). Je voudrais, encore une fois, remercier publiquement le courage et la persévérance de tous.
Ce temps est un temps pour l’écoute et le discernement afin d’atteindre les racines qui ont permis à ces atrocités de se produire et de se perpétuer, et pour enfin trouver des solutions au scandale des abus, non avec une simple stratégie de confinement et de contention – essentielle, mais insuffisante – mais avec toutes les mesures nécessaires pour prendre en charge le problème dans sa complexité.
En ce sens, je voudrais m’attarder sur le mot « écouter », car discerner veut dire apprendre à écouter ce que l’Esprit veut nous dire. Et nous ne pouvons le faire que si nous sommes capables d’écouter la réalité de ce qui se passe (15).
Je crois que c’est là l’un de nos principaux défauts et omissions : ne pas savoir écouter les victimes. Ainsi, on a tiré des conclusions partielles qui manquaient d’éléments cruciaux pour un discernement sain et clair. Avec honte je dois dire que nous n’avons pas su entendre et réagir à temps.
La visite de Mgr Scicluna et de Mgr Bertomeu est née de notre constatation qu’il y avait des situations que nous n’avions pas su voir ni entendre. En tant qu’Église, nous ne pouvions continuer à marcher en ignorant la souffrance de nos frères. Après avoir lu le rapport, j’ai voulu rencontrer certaines victimes d’abus sexuels, de pouvoir et de conscience, pour les écouter et leur demander pardon pour nos péchés et nos omissions.
- Dans ces réunions, j’ai constaté comment le manque de reconnaissance d’écoute de leurs histoires, ainsi que le manque de reconnaissance d’acceptation des erreurs et omissions tout au long du processus, nous avaient empêchés d’avancer. Une reconnaissance qui se veut plus qu’une expression de bonne volonté envers les victimes, elle se veut plutôt une nouvelle façon de s’arrêter devant la vie, devant les autres et devant Dieu. L’espoir dans un lendemain meilleur et la confiance en la Providence sont nés et croissent pour nous pousser à « assumer la fragilité, les limites que nous impose le péché afin de nous aider à aller de l’avant» (16). Un « plus jamais » à la culture de l’abus et au système de camouflage qui a permis à cette dernière de se perpétuer, nécessite de travailler les uns avec les autres pour créer une culture d’attention aux autres qui imprègne nos manières d’établir des relations, de prier, de penser, de vivre l’autorité, ainsi que nos coutumes, nos langues et notre relation au pouvoir et à l’argent. Nous savons aujourd’hui que le meilleur moyen de faire face à la douleur causée c’est de s’engager dans une conversion personnelle, communautaire et sociale qui nous apprend à écouter et surtout à prendre soin des plus vulnérables. Il est donc urgent de créer des espaces où la culture de l’abus et de la dissimulation ne soit pas le schéma dominant ; où une attitude critique et interrogative ne soit pas assimilée à la trahison. Cela doit nous inciter, en tant qu’Église, à rechercher humblement tous les acteurs qui façonnent la réalité sociale et à promouvoir des instances de dialogue et de confrontation constructive afin d’évoluer vers une culture d’attention et de protection.
Appréhender cette société uniquement à partir – ou avec – nos forces et nos outils, nous encerclera dans une dynamique volontariste dangereuse qui périrait à court terme (17). Nous devons aider et générer une société où la culture de la violence ne trouve pas de place pour se perpétuer. J’exhorte tous les chrétiens, en particulier les responsables des centres de formation et d’éducation tertiaires (18), des centres formels et informels d’éducation à la santé, des instituts de formation et les universités à mettre en commun leurs forces et ressources dans les diocèses et à impliquer toute la société civile, dans la promotion de manière lucide et stratégique, d’une culture d’attention et de protection. Que chacun de ces espaces promeuve une nouvelle mentalité.
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La lettre du pape François aux catholiques chiliens
- La culture de l’abus et de la dissimulation est incompatible avec la logique de l’Évangile puisque le salut offert par le Christ est toujours une offre, un don qui réclame et exige la liberté. Laver les pieds des disciples c’est la manière avec laquelle le Christ nous montre le visage de Dieu. Ce n’est jamais par la contrainte ou l’obligation mais par le service. Soyons clairs, tout ce qui tente de contrer la liberté et l’intégrité des gens est anti-évangélique. Par conséquent, il est également nécessaire de générer des processus de foi où l’on apprend à savoir quand il faut douter et quand il ne faut pas. « La doctrine, ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci, “n’est pas un système clos, privé de dynamiques capables d’engendrer des questions, des doutes, des interrogations”, et “les questions de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation” (…) » (19). J’invite tous les centres de formation religieuse, les facultés de théologie, les écoles, les collèges, les séminaires, les maisons de formation et de spiritualité, à promouvoir une réflexion théologique qui serait capable d’être à la hauteur des temps présents, à promouvoir une foi mature, adulte et qui assume l’« humus » vital du Peuple de Dieu avec ses idées et ses préoccupations. Je les invite à promouvoir ainsi des communautés capables de lutter contre les situations d’abus, des communautés où l’échange, la discussion et la confrontation sont les bienvenus (20). Nous serons fructueux dans la mesure où nous rendons autonomes les communautés ouvertes de l’intérieur ; nous libérons ainsi des pensées fermées et auto-référentielles pleines de promesses et de mirages qui promettent la vie mais qui favorisent finalement la culture de l’abus.
Je voudrais faire une brève référence à la pastorale populaire qui existe dans un grand nombre de vos communautés et qui est un trésor inestimable et authentique où on apprend à écouter le cœur de notre peuple et dans le même acte le cœur de Dieu. Durant mon expérience de pasteur, j’ai appris à découvrir que la pastorale populaire est l’un des rares endroits où le peuple de Dieu est souverain de l’influence du cléricalisme qui cherche toujours à contrôler et à bloquer l’onction de Dieu sur son peuple. Apprendre de la piété populaire, c’est apprendre à entrer dans un nouveau type de relation, d’écoute et de spiritualité qui demande beaucoup de respect et ne se prête pas à des lectures rapides et simplistes, car la piété populaire « reflète une soif de Dieu que seuls les pauvres et les simples peuvent connaître » (21).
Être une « Église en marche » c’est également se laisser aider et interpeler (22). N’oublions pas que « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit » (23).
- Comme je vous l’ai dit, lors des rencontres avec les victimes, j’ai pu constater que le manque de reconnaissance nous empêche d’avancer. C’est pourquoi je pense nécessaire de vous partager ma joie et mon espoir d’avoir pu confirmer durant le dialogue que nous avons eu, votre reconnaissance à des personnes que j’aime appeler les « saints de la porte d’à côté» (24). Ce serait injuste qu’en plus de notre douleur et notre embarras face à ces structures d’abus et de dissimulation qui se sont perpétuées et face à tant de mal qu’ils ont fait, nous ne reconnaissions pas les nombreux fidèles laïcs, consacrés et consacrées, prêtres et évêques qui donnent leur vie par amour dans les zones les plus reculées de la terre chilienne bien-aimée. Tous ceux-là sont des chrétiens qui savent pleurer avec les autres, qui cherchent la justice dans la faim et la soif, qui regardent et agissent avec miséricorde (25) ; ce sont des chrétiens qui essaient chaque jour d’éclairer leur vie à la lumière du protocole (26) avec lequel nous serons jugés : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi » (27).
Je reconnais et apprécie votre exemple courageux et constant car dans les moments de turbulence, de honte et de douleur, vous continuez d’avancer dans la joie de l’Évangile. Ce témoignage me fait beaucoup de bien à moi et me soutient dans mon propre désir de surmonter l’égoïsme et de me donner encore plus (28). Afin de réduire l’importance et la gravité du mal causé et de rechercher les racines des problèmes, nous sommes également engagés à reconnaître la force agissante et active de l’Esprit dans tant de vies. Sans ce regard, nous resterions à mi-chemin et nous pourrions entrer dans une logique qui, loin de chercher à améliorer le bien et à réparer le mal, biaiserait la réalité et nous ferait tomber dans une grave injustice.
Accepter les coups, ainsi que les limites personnelles et communautaires, loin d’être une action de plus, devient le point de départ de tout un processus authentique de conversion et de transformation. N’oublions jamais que Jésus-Christ ressuscité se présente aux siens avec ses blessures. Plus précisément, c’est grâce à ses blessures que Thomas a pu confesser la foi. Nous sommes invités à ne pas déguiser, masquer ou cacher nos plaies.
Une Église blessée est capable de comprendre et d’être émue par les blessures du monde d’aujourd’hui, de se les approprier, d’en souffrir, de les accompagner et de chercher à les guérir. Une Église avec des plaies ne se met pas au centre, ne se croit pas parfaite, ne cherche pas à couvrir et à cacher son mal, elle se remet plutôt au seul qui peut guérir les blessures et qui a pour nom Jésus-Christ (29).
Cette certitude est celle qui nous poussera à rechercher, avec le temps et l’inopportunité, l’engagement à générer une culture où chacun a le droit de respirer un air exempt de toutes sortes d’abus. Une culture sans la dissimulation qui finit par vicier toutes nos relations. Une culture qui, face au péché, génère une dynamique de repentance, de miséricorde et de pardon et qui face au crime, génère la dénonciation, le jugement et la sanction.
- Chers frères, j’ai commencé cette lettre en vous disant que faire appel à vous n’est pas une ressource fonctionnelle ou un geste de bonne volonté, au contraire, c’est invoquer l’onction que vous avez en tant que Peuple de Dieu. Avec vous, nous pouvons planifier les étapes nécessaires pour un renouveau et une conversion ecclésiale saine et de long terme. Avec vous, nous pouvons générer la transformation qui plus que nécessaire, devient impérative. Sans vous, rien ne peut être fait. J’exhorte tous les fidèles du saint Peuple de Dieu qui vivent au Chili à ne pas avoir peur de s’impliquer. Je les appelle à avancer, poussés par l’Esprit, à la recherche d’une Église chaque jour plus synodale, prophétique et pleine d’espoir, moins abusive parce qu’elle sait mettre Jésus au centre, en celui qui a faim, en le prisonnier, le migrant et l’abusé.
Je vous demande de ne pas cesser de prier pour moi. Je le fais également pour vous et je demande à Jésus de vous bénir et à la Sainte Vierge de prendre soin de vous.
François
Vatican, le 31 mai 2018, Fête de la Visitation de Notre-Dame
Traduction française de Kinda Elias pour La DC. Titre de La DC.
(1) Lettre du pape François aux évêques du Chili suite au rapport de Mgr Charles J. Scicluna, 8 avril 2018.
(2) Pape Benoît XVl, Deus caritas est, n. 16 ; DC 2006, n. 2352, p. 173-174.
(3) Rencontre du pape François avec les prêtres, les religieux, les consacrés et séminaristes, cathédrale de Santiago du Chili, 16 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 11.
(4) Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 276 ; DC 2014, n. 2513, p. 77.
(5) Concile Vatican II, Lumen gentium, n. 9.
(6) Rencontre du pape François avec les jeunes, basilique nationale de Maipu, 17 janvier 2018.
(7) Jésus-Christ, (ndlr).
(8) Une attitude d’union et d’ouverture à Dieu et à l’Église, (ndlr).
(9) Pape François, exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 96 ; DC 2018, n. 2531, p. 23.
(10) Jn, 3. 8.
(11) Pape François, Homélie de la sainte messe de Solennité de la Pentecôte 2018.
(12) Il est bon de reconnaître certaines organisations et certains médias qui ont abordé la question des abus de manière responsable, recherchant toujours la vérité et ne faisant pas de cette douloureuse réalité une ressource médiatique pour augmenter la note dans sa programmation.
(13) Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 227 ; DC 2014 ; n. 2513, p. 65.
(14) « Le Seigneur dit : “J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances” » Ex 3, 7.
(15) « Souvenons-nous que c’était le premier mot-mandat que le peuple d’Israël reçut de Yahvé : Écoute Israël » (Dt 6, 4).
(17) Pape François, exhortation apostolique Gaudete et exsultate, nn. 47-59 ; DC 2018, n. 2531, p. 14-17.
(16) Pape François, Visite au Centre pénitentiaire pour femmes, Santiago, Chili, 6 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 8.
(19) Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 44 ; DC 2018, n. 2531, p. 13.
(18) Programmes d’enseignement “non universitaire”, (ndlr).
(21) Pape Paul Vl, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n. 48 ; DC 1976, n. 1689, p. 10.
(20) Il est essentiel d’effectuer les rénovations indispensables dans les centres de formation impulsées par la récente Constitution apostolique Veritates gaudium. À titre d’exemple, je tiens à souligner que « en effet, la tâche urgente de notre temps est que tout le peuple de Dieu soit prêt à entreprendre, avec esprit « une nouvelle étape d’évangélisation. Cela nécessite « un processus déterminé de discernement, et de purification ». Dans ce processus, un renouvellement correct du système des études ecclésiastiques est appelé à jouer un rôle stratégique. En effet, celles-ci ne sont pas seulement appelées à offrir des lieux et des parcours de formation qualifiée des prêtres, des personnes consacrées et des laïcs engagés, mais elles constituent une sorte de laboratoire culturel providentiel où l’Église fait un exercice d’interprétation performative de la réalité qui jaillit de l’événement de Jésus-Christ et qui se nourrit des dons de la sagesse et de la science dont le Saint-Esprit enrichit sous des formes variées tout le Peuple de Dieu ? : du sensus fidei fidelium au magistère des pasteurs, du charisme des prophètes à celui des docteurs et des théologiens. ». Pape François, constitution apostolique Veritates gaudium, n. 3 ; DC 2018, n. 2530, p.44-45.
(23) Jn 3, 8.
(22) Cela peut se lire aussi : se remettre en question, (ndlr).
(25) Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 16.79.82 ; DC 2018, n. 2531, p. 8-9, 20, 20-21.
(24) Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 6-9 ; DC 2018, n. 2531, p. 6-7.
(27) Mt 25, 34-36.
(26) Économie du salut, (ndlr).
(29) Pape François, Rencontre avec les prêtres, les religieux, les consacrés et les séminaristes, à Santiago du Chili, 16 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 11-16.
(28) Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 76 ; DC 20148, n. 2513, p. 27.
[1] Rencontre du pape François avec les jeunes, basilique nationale de Maipu, 17 janvier 2018.
[2] Pape Benoît XVl, Deus caritas est, n. 16 ; DC 2006, n. 2352, p. 173-174.
[3] Rencontre du pape François avec les prêtres, les religieux, les consacrés et séminaristes, cathédrale de Santiago du Chili, 16 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 11.
[4] Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 276 ; DC 2014, n. 2513, p. 77.
[5] Concile Vatican II, Lumen gentium, n. 9.
[6] Rencontre du pape François avec les jeunes, basilique nationale de Maipu, 17 janvier 2018.
[7] Jésus-Christ, (ndlr).
[8] Une attitude d’union et d’ouverture à Dieu et à l’Église, (ndlr).
[9] Pape François, exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 96 ; DC 2018, n. 2531, p. 23.
[10] Jn, 3. 8.
[11] Pape François, Homélie de la sainte messe de Solennité de la Pentecôte 2018.
[12] Il est bon de reconnaître certaines organisations et certains médias qui ont abordé la question des abus de manière responsable, recherchant toujours la vérité et ne faisant pas de cette douloureuse réalité une ressource médiatique pour augmenter la note dans sa programmation.
[13] Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 227 ; DC 2014 ; n. 2513, p. 65.
[14] Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 44 ; DC 2018, n. 2531, p. 13.
[15] Il est essentiel d’effectuer les rénovations indispensables dans les centres de formation impulsées par la récente Constitution apostolique Veritates gaudium. À titre d’exemple, je tiens à souligner que « en effet, la tâche urgente de notre temps est que tout le peuple de Dieu soit prêt à entreprendre, avec esprit « une nouvelle étape d’évangélisation. Cela nécessite « un processus déterminé de discernement, et de purification ». Dans ce processus, un renouvellement correct du système des études ecclésiastiques est appelé à jouer un rôle stratégique. En effet, celles-ci ne sont pas seulement appelées à offrir des lieux et des parcours de formation qualifiée des prêtres, des personnes consacrées et des laïcs engagés, mais elles constituent une sorte de laboratoire culturel providentiel où l’Église fait un exercice d’interprétation performative de la réalité qui jaillit de l’événement de Jésus-Christ et qui se nourrit des dons de la sagesse et de la science dont le Saint-Esprit enrichit sous des formes variées tout le Peuple de Dieu ? : du sensus fidei fidelium au magistère des pasteurs, du charisme des prophètes à celui des docteurs et des théologiens. ». Pape François, constitution apostolique Veritates gaudium, n. 3 ; DC 2018, n. 2530, p.44-45.
[16] Pape Paul Vl, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n. 48 ; DC 1976, n. 1689, p. 10.
[17] Cela peut se lire aussi : se remettre en question, (ndlr).
[18] Jn 3, 8.
[19] Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 6-9 ; DC 2018, n. 2531, p. 6-7.
[20] Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 16.79.82 ; DC 2018, n. 2531, p. 8-9, 20, 20-21.
[21] Économie du salut, (ndlr).
[22] Mt 25, 34-36.
De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique ( 2020-05-20) Par François Cassingena-Trevedy, moine bénédictin de Ligugé
[1].Quelques propos sur le retour à la messe.
C’est décidément chose étrange comme la messe, dans l’histoire religieuse de notre pays, a pu faire l’enjeu de débats et le fait encore, même depuis que l’immense majorité de nos concitoyens a cessé de s’y rendre, au point que l’on peut se demander, parfois, si toute cette chamaillerie épisodique n’entre point parmi les indicateurs de notre identité française. Que l’on songe à la fameuse boutade d’Henri IV converti par diplomatie au catholicisme, dans la perspective de son sacre de 1593 : « Paris vaut bien une messe », ou encore, en plein affrontement de la République et de l’Église à l’aube du siècle dernier, aux non moins fameuses « fiches » du Général André qui portaient éventuellement, sur les cadres de l’Armée, l’indication suivante : « va à la messe ». Alors que la normalisation d’une forme ordinaire et d’une forme extraordinaire du même rite romain (2007) n’a pas encore tout à fait aplani la courbe d’une opposition névralgique entre la « nouvelle messe » (1969) et la « messe de toujours » (?) qui connut chez nous son pic entre 1976 et 1988, la messe s’est trouvée tout récemment au cœur des revendications d’un puissant « lobby » catholique, au spectre complexe, auprès des autorités civiles, injustement soupçonnées de compromissions avec un antichristianisme souterrain et invétéré.
Parce qu’elle a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps, et suscité de nombreuses prises de parole, il m’est venu à l’idée, ou plutôt il me tient à cœur de toucher quelques mots de la messe ou, plus exactement (car la nuance est considérable entre les deux termes), de l’Eucharistie. Ce faisant, j’espère, toujours attentif à tenir mon engagement, rendre quelque service, non seulement à la communauté catholique, mais au monde qui l’entoure et qui doit la considérer parfois, avouons-le, avec une certaine perplexité.
Assurément, la messe, passablement estompée du paysage sociologique français et désertée par une masse toujours plus considérable de baptisés officiels, a fait ces jours-ci beaucoup de réclame. Assurément, beaucoup de fidèles seront heureux, très prochainement, de retourner à la messe. Mais là ne devra pas s’arrêter notre chemin, et c’est précisément toute la matière de mon propos. Car enfin, sous la messe, l’Eucharistie ne s’est-elle pas fait ces temps-ci quelque peu oublier ? Tout le bruit que l’on a fait – et qu’à vrai dire l’on fait depuis si longtemps autour de la messe (sinon parfois au cours de la messe…) – ne nous empêche-t-il pas d’entendre l’Eucharistie ? Ne nous distrait-il pas sans cesse d’entrer dans le processus vertigineux qu’a inauguré, pour nous, au soir de sa passion, le geste à la fois si simple et si innovant de Jésus ? Il va donc falloir que, pour notre édification mutuelle et pour l’édification du monde (il serait temps d’y penser…), nous retournions non seulement à la messe, mais à l’Eucharistie, à supposer que quelqu’un d’entre nous puisse se targuer d’être jamais allé tout à fait jusque-là.
Il va falloir que nous allions de ma messe à la messe (ce qui représente déjà un pas considérable), et puis de la messe à l’Eucharistie, ce qui est l’œuvre de toute une vie chrétienne et de tout le pèlerinage temporel de l’Église vers le Royaume. Il va falloir que nous allions de la messe qui agite, qui divise, à l’Eucharistie qui est le « signe de l’unité » (Vatican II, Constitution sur la sainte liturgie, 47, citant Augustin).
Les temps que nous venons de traverser, et qui sont loin d’être révolus sans doute, ont réveillé beaucoup de fantasmes archaïques : celui de nos peurs, bien sûr, mais aussi celui de la « religion » (sinon parfois de la religiosité) qui cherche à les exorciser. Et antiquum documentum novo cedat ritui, chantait-on jadis dans le Tantum ergo qui accompagnait les Saluts du Saint-Sacrement, c’est-à-dire : « Que l’ancienne alliance cède le pas au Rite de la nouvelle. » Est-il certain que, touchant à ce « si grand Sacrement » – Tantum ergo Sacramentum – nous ayons vraiment fait le pas personnel et ecclésial qui va de l’ancien au nouveau, de l’archaïque à l’eschatologique, de l’habituel à l’inouï, du religieux au révolutionnaire, de la « religion » au christianisme ? Car enfin si nous savions le Don de Dieu (Jn 4, 10), si nous entrevoyions la portée de l’Acte pascal de Jésus qui nous a été transmis (1 Co 11, 23), si nous réalisions le caractère proprement explosif de la Fraction du pain (Lc 24, 35), alors nous ririons de nos mesquineries, nous pleurerions de nos disputes. De fait, à ausculter tout ce qui s’est donné ces derniers temps à voir, à lire et à entendre çà et là, l’on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de tristesse et l’on demeure parfois franchement ahuri. L’on croyait disparu depuis longtemps le « matérialisme » sacramentel : en fait il est toujours vivace, il semble s’endurcir, et s’entretient de tout ce que notre religion non évangélisée comporte de primaire.
Je parlerai donc ici comme modeste théologien, mais aussi, tout simplement, comme baptisé, comme chrétien du XXIe siècle, comme chrétien « œcuménique » aussi respectueux de l’héritage de nos Pères dans la foi que soucieux de la réception de l’Évangile par le monde d’aujourd’hui.
Rappelons d’abord que les sacrements chrétiens, gestes sauveurs du Christ identifiés et sans cesse approfondis par l’Église, traversent l’histoire des hommes : le style de leur célébration comme la théologie que l’on en fait. À commencer par l’Eucharistie qui est le plus grand d’entre eux, et justement parce qu’il est le plus grand. Tantum ergo Sacramentum… C’est ainsi que l’on peut considérer, au fil des siècles, une célébration paléochrétienne, une célébration médiévale, une célébration baroque, une célébration romantique, une célébration antéconciliaire et une célébration postconciliaire de l’Eucharistie. Et c’est encore ainsi qu’il s’est élaboré des théologies successives de l’Eucharistie : celle d’Augustin, celle de Paschase Radbert, celle de Thomas d’Aquin, celle de Suarez, celle de Odo Casel, pour ne citer que quelques exemples. Aucune n’a eu ni n’aura d’ailleurs le dernier mot, puisque aussi bien le geste testamentaire de l’homme de Nazareth – le festin qu’il a fait de son destin – ne cesse de dévoiler des aspects inédits, compte tenu des investigations de l’exégèse et de la science historique, des évolutions de l’ecclésiologie, de l’expérience pastorale et spirituelle. Or, au fil de l’histoire, la grande tentation qui guette notre célébration, notre théologie et notre rapport subjectif à l’Eucharistie, est le matérialisme. Car il existe bel et bien un matérialisme qui plombe notre compréhension, notre fréquentation, notre « économie » des réalités les plus spirituelles[2]. C’est peut-être d’ailleurs autour de l’Eucharistie que la tentation « religieuse » se fait la plus forte : celle de réduire le Vivant et la Vie à quelque chose que l’on fait, que l’on tient, que l’on consomme, que l’on mérite, que l’on possède. C’est relativement à l’Eucharistie que la régression chrétienne vers le « religieux » se fait la plus menaçante, alors même que ce « religieux » se drape dans les atours d’un « sacré » dont les attaches étrangement païennes n’ont pas grand-chose à voir avec la nouveauté radicale – révolutionnaire – qu’a instaurée le christianisme originel.
La théologie du haut moyen-âge occidental, régressant à cet égard sur des pages d’Augustin qui n’ont rien perdu de leur justesse (Cité de Dieu, X, 6 ; Sermon 272), a parlé volontiers – et maladroitement – des sacrements comme « vases » et comme « remèdes ». De fait, ce serait tellement facile, dans un sauve-qui-peut, dans un mouvement d’accaparation infantile, de mettre le bon Dieu en boite ! Mais les sacrements ne sont pas des vases tels qu’il s’en voyait autrefois sur les rayons des apothicaires et, même si le Christ guérit, les sacrements ne sont pas davantage des « médicaments » dans le sens immédiat du terme. Le Corps du Christ n’est pas une barre énergétique, ni le Sang du Christ une tisane bio. Or est-il bien sûr qu’une conception magique, utilitariste et égoïste des sacrements, et particulièrement de l’Eucharistie, ne continue pas, aujourd’hui, à hanter le tréfonds des consciences chrétiennes ? Les vases sacrés de nos liturgies, si légitime que soit le souci que nous avons de leur beauté, ne doivent pas nous donner le change : rien ne confine la Présence. Et le vocabulaire de la « Présence réelle » lui-même ne doit pas prêter à contresens : res, qui renvoie à une Réalité vivante, au grand Réel, à Celui qui est le Véritable (1 Jn 5, 20), se voit presque immanquablement tiré, du fait de nos manipulations, du côté de la « chose ». Or l’Eucharistie n’est pas Quelque Chose, pas même la Chose la plus précieuse qui soit au monde : elle est Quelqu’un. Et ce n’est pas tout : elle est Nous, car Ceci est mon corps (Mt 26, 26), toujours au péril d’être chosifié, doit être sans cesse « équilibré », éclairé par l’affirmation paulinienne : Or vous êtes, vous, le corps du Christ (1 Co 12, 27). Peut-être la véritable « institution » de l’Eucharistie serait-elle à chercher (ou du moins à chercher davantage qu’on ne le fait d’ordinaire) dans la parole de Jésus lui-même en Mt 18, 20 : Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom, Je suis là au milieu d’eux. L’Eucharistie n’est donc pas ce Quelque chose, si précieux soit-il, si « sacré » soit-il, à quoi nous la réduisons par commodité, par faiblesse, par régression, par intérêt : elle est Lui, elle est Nous, elle est Lui avec Nous et Nous avec Lui, elle est cet Entre-Nous au milieu duquel Il surgit (ressuscite), au milieu duquel Il se produit librement comme Événement pascal, comme Événement unique. Elle est l’Aliment vivant (Jn 6) et personnel, humano-divin (Jésus, l’homme du Père), de notre vivre-ensemble-en-Lui. Elle est Présence, elle est Acte, avec toutes les conséquences « sociales « (proprement explosives et révolutionnaires), avec tout l’humanisme intégral qui en découle et dont Mt 25, 40 donne l’indépassable formule : En vérité, je vous le dis : ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. Si l’Eucharistie est « provoquée » par notre décision de vivre ensemble (deux ou trois en mon Nom) et non par notre instinct grégaire, l’on saisit alors l’importance fondamentale de ce que nous mettons en commun, de ce que nous avons en commun, ou plutôt de ce que nous sommes en commun, et qui est proprement l’Église. L’Eucharistie n’est pas le bonbon d’une jouissance individuelle (mon Jésus à moi tout seul), mais l’inauguration sacramentelle de notre difficile construction commune en Corps du Christ, avec ses redoutables exigences et le ferme propos qu’elle réclame, car, même si nous avons toujours l’amour à la bouche et aux cordes de nos guitares, nos assemblées raboutent parfois les uns aux autres des êtres qui, en surface, ne peuvent pas se sentir, dans une proximité où se révèle l’humour du grand Vivant qui nous a invités. L’intimité la plus délicieuse avec Jésus postule la solidarité la plus industrieuse avec ses « frères : en christianisme, il n’y a pas de vie mystique en a parte. Et la « messe », quand messe il y a, n’est pas autre chose que la célébration humble, exigeante et festive de tout cela. Je dis bien « célébration » et non « cérémonie », ni « culte » ; la messe n’est pas le culte de l’Être Suprême : laissons ce vocabulaire du « culte » aux autorités publiques, qui en usent au demeurant fort respectueusement et auxquelles on ne saurait reprocher, bien sûr, d’entrer dans le vif de la réalité en question.
*La chosification récurrente et endémique de l’Eucharistie a deux corollaires. Le premier est le consumérisme sacramentel qui, inconsciemment sans doute, use de l’Eucharistie, non comme du Pain de vie (Jn 6, 34), non comme du Vivant-Pain postulant le vivre, avec ses vertigineuses conséquences existentielles, mais comme d’un objet de consommation religieuse qui se juxtapose sans scrupules, le cas échéant, à d’autres formes du consumérisme moderne, avec tous les excitants émotionnels qui les accompagnent d’ordinaire. L’on se met alors à réclamer le sacrement comme un droit[3], l’on exige son église comme son restaurant ou sa station-service, dans une même « grande-surface » des besoins et des choses dont l’indifférenciation, affleurant dans certains propos récents, fait sérieusement problème. Pareille mentalité n’est pas sans lien avec la surconsommation sacramentelle à laquelle nous ont habitués, il faut bien le reconnaître, des siècles de chrétienté sociologique et qui, Dieu merci (peut-être !), se voit aujourd’hui de plus en plus compromise par la raréfaction des ministres ordonnés. Cette « surconsommation » est d’ailleurs majoritairement le fait des grandes agglomérations urbaines, pourvues d’un clergé plus nombreux, et qui ne semblent guère se représenter les régions de « disette » eucharistique qui les environnent : comment ne pas considérer comme une injustice à la fois sociale et spirituelle (trop peu relevée comme telle), le fait que les villes aient un accès beaucoup plus facile à l’Eucharistie que les campagnes ? L’on peut s’interroger, en tout cas, sur une certaine prétention, une certaine revendication, quant à l’accès « automatique » à l’Eucharistie. Car l’on ne vient pas à l’Eucharistie automatiquement, machinalement, pour obtenir son quota de satisfactions personnelles et de relations sociales adjacentes. Une plus grande frugalité ne serait-elle pas de mise, que n’imposerait ni la pénurie grandissante de ministres, ni je ne sais quelle recrudescence de sévérité janséniste, mais la nature même de l’Eucharistie ?
**Ne faudrait-il pas envisager courageusement, pour l’avenir, et jusque dans nos communautés religieuses encore privilégiées, des messes plus espacées dans le temps, des messes qui viendraient consacrer, non pas un azyme insipide d’habitudes et de vies parallèles, mais le pain chaleureux, laborieux et complet de vies résolues à entrer pratiquement en communion profonde, à soutenir l’effort d’un pardon explicite et réciproque, et surtout ce partage fraternel de la Parole de Dieu qui, servant d’unique table sainte, fait la dignité d’un Peuple d’interprètes ? En d’autres termes, c’est l’épaisseur et la consistance de nos « provisions » eucharistiques qui sont à examiner et à travailler : provisions humaines faites de nos énergies, de nos travaux, de nos épreuves, de nos joies, de nos relations, tout ceci pour des eucharisties moins obligées, moins automatiques, moins machinales, qui viendraient tout simplement en leur lieu et en leur temps, et par conséquent plus à même de sustenter, parce que nécessitées par un arriéré de vie plus incarnée, plus ardente, et peut-être plus périlleuse (voir Ac 27, 33-38). Il ne faudrait pas que le désir individuel (sinon individualiste) de consommer nous obnubile à tel point que nous en venions à oublier, ici, ce que nous devons apporter : la matière première, le petit bois de notre humanité et les poissons de notre pêche commune, à l’issue de la peineuse nuit (Jn 21, 10).
Moins immédiat, peut-être, à se révéler comme tel, mais non moins grave, le second corollaire de la chosification de l’Eucharistie, ou sa seconde conséquence, est le cléricalisme. Car celui-ci se porte évidemment très bien de celle-là. Dans ces conditions, largement entretenues par les séquelles d’une théologie scolastique et tridentine mal comprise, toujours en passe de séduire, le prêtre s’impose comme le « sacrificateur » attitré qui « fabrique », qui « confectionne » l’Eucharistie (sacra facere), qui a autorité sur elle – sur Dieu même, pensez ! –, qui l’administre, qui la possède, avec la tentation trop évidente d’en confisquer la possession, avec le prestige personnel qui s’attache à son « pouvoir » (il faudrait évoquer ici la focalisation quasi magique sur les paroles de la consécration, si préjudiciable à l’équilibre de la théologie eucharistique). Prêtre fabriqué comme sacré par les instituts de formation cléricale, se fabriquant lui-même comme sacré dans la représentation qu’il a de lui-même, et fabricant de sacré aux yeux de trop de chrétiens qui en restent à une religion préchrétienne, voire non chrétienne[4]. Tout cela est aussi dangereux que désuet. En réalité ce n’est pas le prêtre, encore moins le prêtre seul, qui « fait » l’Eucharistie, mais l’Église. Le prêtre n’est pas l’homme exceptionnellement habilité à la « confection » du sacrement, mais le coordinateur et le serviteur de l’Action eucharistique à laquelle toute la communauté chrétienne collabore. Il n’est pas le fournisseur de la dévotion eucharistique, mais l’intermédiaire – l’entremetteur judicieux et délicat – de la Rencontre de la Communauté avec son Seigneur : il est celui qui porte le souci de la vie eucharistique du Peuple de Dieu dans l’exercice concret de la charité dont l’Eucharistie est le sacrement. Il prend soin, si j’ose dire, du soin que le Corps de Jésus-Christ a de lui-même et de tout le Monde invité à faire Corps en Jésus-Christ. Il est à souhaiter, pour l’avenir, que le prêtre, exonéré d’un fonctionnariat sacramentel dévorant qui réduit et épuise la portée véritable de son ministère, puisse participer ordinairement aux divers travaux séculiers des hommes et, de la sorte, se faire « ouvrier » au sens large et pluriel du terme. Faut-il ajouter que des hommes mariés seraient tout à fait en mesure de satisfaire à une telle reconfiguration du ministère ordonné ? Il est par ailleurs inutile désormais, compte tenu de l’état des lieux, de prétendre désespérément à la possession intégrale d’un territoire pour y imposer, pour y « maintenir » partout la messe. Le modèle territorial de la pastorale agonise et il est grand temps de battre en retraite pour oser et affiner d’autres modes, non de conquête, mais de présence : modes prophétiques, à proportion de leur modestie. Mieux vaut que le prêtre « lâche prise » territoriale pour faire signe, là où il est, à échelle humaine, en ayant à cœur d’éveiller une communauté nécessairement éparse à ses responsabilités baptismales, de faire grandir le Peuple de Dieu en intelligence de la Parole de Dieu, tandis qu’il s’abreuve lui-même profondément à cette source. L’on verrait bien, alors, non par effet d’une quelconque défaite, mais par décision positive et réfléchie, des eucharisties plus rares dans l’espace et dans le temps, mais aussi plus sommitales, c’est-à-dire mieux préparées par une longue marche commune (Lc 24, 13) vers ce « sommet » qu’elles représentent ; des eucharisties qui « restaurent » à l’étape (Lc 24, 28-30), au sens plénier du terme, parce qu’elles ne sont plus de simples chèques rituels sans provisions d’existence généreuse. Certains s’émerveillent du nombre de messes qui se disent à travers le monde en l’espace d’une minute : imaginons au contraire qu’il ne s’en célèbre qu’une seule où chacun se livrerait sans réserve au dynamisme pascal de Jésus-Christ et s’abîmerait littéralement, non dans des émotions sensibles, mais dans les conséquences logiques, pratiques – vertigineuses – de Ceci est mon Corps / Vous êtes le Corps du Christ : cette unique explosion nucléaire suffirait à transformer le monde. L’Eucharistie, en vérité, si on la laisse faire, si on se laisse faire par elle, personnellement, communautairement, mondialement, c’est de la dynamite : Christ, Puissance (dynamis, en grec) de Dieu et Sagesse de Dieu (1 Co 1, 24). Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir (…) quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous, les croyants, selon la vigueur de sa force qu’il a déployée en la personne du Christ (Ep. 1, 18-20).
Et c’est ainsi qu’avec la chosification de l’Eucharistie il convient d’évoquer cette espèce d’inflation du rituel qui porte préjudice au spirituel ou s’autorise de fausses spiritualités. Assujettissement du spirituel au rituel, comme si, moyennant la régression religieuse dont j’ai parlé plus haut, le rituel était un absolu et décidait de tout, même de la catholicité de ceux qui participent à la messe ou la célèbrent, avec toutes les excommunications sournoises que cela entraîne. On idolâtre les cérémonies au lieu d’entrer dans le mystère d’amour et de communion fraternelle dont elles ne sont que le seuil. Certes, il ne s’agit pas de mépriser le rituel ni d’en faire superbement l’économie. Le rituel est nécessaire à la célébration de l’Eucharistie, et ce pour trois raisons. Pour une raison anthropologique, d’abord, car l’homme est naturellement créateur de ritualité ; pour une raison sociologique, ensuite, car un minimum de ritualité est indispensable à un bien vivre ensemble ; pour une raison esthétique, enfin, parce que la célébration eucharistique, en l’occurrence, appelle spontanément tout « l’offertoire » de la beauté dont l’homme est capable (et Dieu sait les trésors de beauté architecturale, poétique, plastique, musicale dont l’Eucharistie ne cesse d’être le foyer). Reste que nos dispositifs rituels ne confinent pas la Présence, ne conditionnent pas la Présence, n’obligent pas le Vivant à se présenter parmi nous. La messe n’est pas une machine rituelle garantie (et dûment vérifiée) pour « fabriquer » de la Présence réelle ! Nous nous contenterons donc, pour satisfaire à ce que nous sommes, pour mieux nous donner rendez-vous mutuel, pour mieux honorer l’Ami qui vient à notre domicile, d’une ritualité sobre, digne, raisonnable, ni bizarre, ni obsessionnelle, ni maniaque, comme il se voit dans ces hybridations néo-rétro dont maints célébrants prennent couramment l’initiative. Marthe, Marthe, tu t’agites… Une seule chose est nécessaire (Lc 10, 41-42). Et puis, parce que le Vivant est agile et libre, parce que le Bien-Aimé saute sur les montagnes et bondit sur les collines (Ct 2, 8), nous serons attentifs à tous les événements « eucharistiques » non ritualisés, non formalisés, inofficiels, de notre vie, à toutes les saillies imprévisibles de la Présence. Car il se passe bel et bien de l’eucharistique dans nos vies, et pas forcément à l’heure ni au lieu de la messe… Il se fait tout à coup de la Vie avec les natures mortes de notre vie… Tout ce minerai eucharistique, infiniment précieux, est à discerner après coup, à garder en mémoire, à conduire à l’église quand l’église est ouverte, et à apporter dans l’offertoire secret de nos messes dominicales, afin de ne pas y arriver le cœur vide. La fraction du pain (le premier et le plus beau nom de l’Eucharistie, Lc 24, 35 ; Ac 2, 42) dit quelque chose de la « fragilité » de Dieu et de la nôtre, en chemin : elle peut fulgurer tout à coup, entre les mains humaines les plus humbles, les plus rudes, les plus inattendues, tandis qu’elle échappe des mains de ceux qui pensent en être les propriétaires. Au vrai, il se rencontre partout des éclats du Vivant, et nous sommes nous-mêmes ces éclats. Nul ne saurait mettre la main sur lui (Jn 7, 30), ni individu, ni institution. La manne est pure gratuité : elle pourrit dès l’instant qu’on la met en réserve (Ex 16, 19-21).
Nos églises vont ouvrir à nouveau leurs portes à tous ceux dont nous serons si heureux de revoir le visage et d’entendre la voix au terme de ces longues semaines de séparation. Fais-moi entendre ta voix, car ta voix est douce et ton visage est beau (Ct 2, 14), dit le Seigneur à son Peuple, dit la Parole de Dieu au Peuple de Dieu. Nos églises vont ouvrir bientôt leurs portes : il est temps d’y faire encore un peu de ménage. De nous mettre au clair, surtout, quant à la conception que nous nous faisons de leur finalité, c’est-à-dire de l’Eucharistie que nous y célébrons.
***Nos églises vont-elles ouvrir seulement pour un entre-soi confortable, pour des cérémonies où le rituel distrait du spirituel, pour la répétition de fadaises et de boniments infantiles, pour l’appel racoleur et tapageur à des émotions fugitives, pour l’entretien exténué et morose de la consommation religieuse ? Ou bien vont-elles s’ouvrir pour un questionnement et un approfondissement de nos énoncés traditionnels, pour une interprétation savoureuse de la Parole de Dieu loin de toute réduction moralisante, pour une ouverture efficace aux détresses sociales, pour une perméabilité réelle aux inquiétudes, aux doutes, aux débats des hommes et des femmes de ce temps, en un mot pour la révolution eucharistique ? Si le temps de confinement et de suspension du « culte » public nous a permis de prendre la mesure de la distance qui sépare les deux extrêmes de cette alternative, autrement dit du pas que le Seigneur de l’histoire attend de nous, alors, pour parler comme le bon roi Henri, le bénéfice que nous avons retiré valait bien quelques messes… en moins.
Fr François Cassingena-Trevedy
20 mai 2020, solennité de l’Ascension
Cet article est aussi en ligne : [1]https://www.facebook.com/notes/fran%C3%A7ois-cassingena-tr%C3%A9vedy/de-la-fabrique-du-sacr%C3%A9-%C3%A0-la-r%C3%A9volution-eucharistique-quelques-propos-sur-le-ret/3198309117060239/
[2] Il peut s’accompagner, paradoxalement, d’une indifférence complète au corps (nos corps !), à l’importance de sa présence et du contact physique qu’il appelle, comme l’ont montré certaines pratiques sacramentelles palliatives discutables durant le temps du confinement.
[3] On peut revendiquer la messe (« Nous voulons Dieu dans la patrie », comme il se chantait autrefois) : on ne saurait revendiquer l’Eucharistie ; à la pure grâce on ne peut que rendre grâces.
[4] J’ai inventorié les attaches historiques, psychologiques et politiques de tout cela dans mon petit livre Te igitur. Autour du Missel de saint Pie V, éditons Ad Solem, 2007
Sur ce qui a été vécu lors de la crise et du confinement, un autre article de ce même François Cassingena-Trevedy dans la vie : http://www.lavie.fr/religion/francois-cassingena-trevedy-nous-sommes-convoques-a-la-fraternite-du-desert-23-03-2020-104841_10.php
Des leçons vitales inattendues à tirer des deux synodes ( 2020)
par Marguerite Champeaux-Rousselot
Les deux derniers synodes convergent entre autres vers une précieuse leçon de vie chrétienne, qui est certes en phase avec les questions d’écologie et de justice, mais également avec l’épineuse question du cléricalisme dont les nuisances ne sont désormais que trop évidentes : deux manières d’aborder concrètement la synodalité, un terme bien nouveau avouez-le, presque un néologisme … qu’il faut convertir en action !
Article de janvier 2020, actualisé le 26 mai 2020
Le Vatican vient d’annoncer aujourd’hui à 13 h que le Pape convoque un synode des évêques en 2022 sur le thème : «Pour une Église synodale : communion, participation et mission» !
C’est ce qui me fait vous partager cette réflexion qui date d’il y a quelques mois, après les retombées du synode d’Amazonie. Pour certains elles furent décevantes. Mais … Deux exemples permettant d’envisager une leçon un peu plus générale, je me suis demandé alors si les deux derniers synodes n’étaient pas un levain enfoui pour le moment dans la pâte à pain qui va tiédir et fermenter en se gonflant peu à peu… Je vous invite à poser doucement votre main sur cette boule qui fait espérer un pain nourrissant et énergétique…
Les deux derniers synodes convergent entre autres vers une précieuse leçon de vie chrétienne, qui est certes en phase avec les questions d’écologie et de justice, mais également avec l’épineuse question du cléricalisme dont les nuisances ne sont désormais que trop évidentes : deux manières d’aborder concrètement la synodalité, un terme bien nouveau avouez-le, presque un néologisme … qu’il faut convertir en action !
Ces deux dernies synodes me semblent emblématiques parce qu’on peut en tirer me semble-t-il, un enseignement précieux de « méthodique ecclésiale » … pour notre vie, tout simplement : une découverte à faire !
N.B. Ce qui suit ne se prétend pas absolument exact quant aux détails, ( même si elles sont justes, ce ne sont que des idées générales ) mais dessine autour de nous un large champ qui part du passé et s’étend jusqu’à l’horizon du long terme en couvrant ce qui nous ressemble et ce qui est différent de nous : cela indique des pistes de réflexion .
Bien sûr d’autres personnes peuvent vouloir lire autrement que moi son texte : cela montre seulement que nos personnalités individuelles comme civilisationnelles y sont respectées et ne sont pas contraintes autoritairement au-delà de ce qui est le strict nécessaire pour maintenir la fidélité à l’Evangile, cet Evangile autour de Jésus et de notre Père qui est le lien qui permet à l’Eglise d’être non pas une professionnelle de l’uniformisation, mais proposition de communion.
A lire aussi en introduction cette contribution de Arnaud Join-Lambert, docteur en théologie et professeur à l’Université Catholique de Louvain :
Le synode de la Famille

Le synode sur la Famille (2014-2015) a fait l’objet d’une consultation mondiale sur un sujet très général, universel, intemporel, « de tout temps », de tout pays, de tout un chacun. Ce synode a été situé dans une sorte de non-lieu pour répondre aux besoins d’un milieu qui se ressent souvent comme sage et mature… De chrétienté ancienne, comme une souche aux vastes ramifications usées où l’on espère les surgeons. On cherchait et on a pensé trouver auprès des autorités des consignes valables pour le monde entier et pour chacune des situations.
La réponse du pape a surpris, déçu, étonné… Elle a été difficile à lire car pour la première fois depuis longtemps, ce n’était pas une liste d’obligations et d’interdits avec des châtiments à la clé. Il a fallu la méditer longtemps pour en sentir la saveur fondamentale, et s’en saisir plus ou moins timidement au début pour bénéficier expérimentalement de son bienfait nutritif.
Le pape François y a prôné l’usage des principes évangéliques ; on n’ose écrire qu’il a suggéré le « le retour » à ces principes… mais tout le monde sait que lorsqu’on retourne à une source, l’eau n’en est pas croupie : elle est la même mais l’eau est toujours neuve et jaillissante.
Il n’a rien démoli dogmatiquement, mais a demandé qu’on nourrisse nos pratiques de l’Evangile lui-même pour régler avec souplesse des problèmes locaux, personnels, voire civilisationnels, continentaux, sociaux … ( on peut évoquer ici entre autres le divorce et les familles recomposées, l’adoption, la sexualité, la chasteté, la fécondité, la famille, les minorités, l’enfance, la vieillesse, le handicap, la pauvreté de certaines classes sociales ou familiales etc. ). La conscience de chacun vis-à-vis de son prochain et de ce que nous pouvons supposer de Dieu, telle est la mesure qui doit nous servir à juger et à nous juger, tel doit être le critère de nos actes et de nos jugements…
On a compris « chez nous » que cette sorte de non-lieu était un milieu un peu partout en décalage avec le monde ; que certains pouvaient en qualifier certains points de « sclérosé », de « décadent » ou de non-représentatif des fidèles…. Que certains qui avaient conservé un droit traditionnel à s’exprimer au nom de tous ne comprenaient pas que ce droit n’était plus, aujourd’hui, fondé sur une bonne adéquation. Et qu’il devenait impossible désormais de chercher une parole uniforme autorisée donnant des consignes valables pour le monde entier et pour chacune des situations : le pape appelait à une attitude ressemblant à celle de Jésus, pleine de joie pour soutenir ceux qui vont bien, pleine de compassion pour les victimes, de miséricorde pour ceux qui avaient erré, et à la conscience de chacun des fidèles se mettant sous le regard de Dieu, un Dieu Père, avec l’aide bienveillante de l’Eglise toute entière.
A cette aune, le dogme a été indirectement ressenti comme quelque chose de relatif devant la valeur universelle d’un Evangile qui amène la loi à son état parfait qui permet une justice individuelle dans l’amour qui nous est demandé le plus parfait possible… à l’image de l’amour dont nous sommes aimés par le Père, par Jésus , par certains …
Ce premier synode s’est finalement conclu sous la houlette d’un berger qui est là pour écouter les besoins de son troupeau d’aujourd’hui et non le guider autoritairement exclusivement vers les modèles traditionnels, pourtant éprouvés et utiles mais ressentis devant certains cas comme désormais notoirement insuffisants ou inadaptés.
Cette expérience nouvelle, qui a parfois désorienté certains, qui a suscité des incompréhensions, voire des résistances, a aussi permis à bien des catholiques de s’ouvrir à l’autre, de revenir vers des frères, de se rapprocher de l’Evangile, sans parler de l’espoir qu’il a suscité chez ceux qui avaient quitté l’Eglise ou suivaient un Jésus qui n’a jamais – et pour cause – donné comme objectif prioritaire une Eglise puissante en surface ou en nombre.
Et…
Il me semble que le synode que nous venons de vivre en 2019-2020, celui dit de l’Amazonie, assure une fois de plus les méthodes libérantes qui doivent dynamiser nos actes de fils de Dieu : il le fait parallèlement au premier mais … en sens inverse, selon des lois de balistique ne relevant pas de notre physique habituelle…
Le Synode de l’Amazonie

En effet, ce deuxième synode, dit sur l’Amazonie ( 2019-2020 ) a fait lui aussi l’objet d’une consultation mondiale sur un sujet très général, universel, mais particulièrement lié à notre époque et au futur de notre Terre : par exemple et surtout l’écologie et l’usage de notre Terre à tous, – un sujet humain plus que spécifiquement catholique ! – mais aussi ce qui en découle pour nous disciples du Christ et catholiques : que dire de la justice et de l’amour de Dieu ? et sur un plan religieux dans de tels contextes, comment vivre les sacrements ? comment avoir assez de prêtres ? Ce sont des sujets sur lesquels aucun dogme ( ou si peu ..) n’a été édicté car ils sont inattendus, étant les fruits d’une crise récente.
C’est un problème sur lequel l’Eglise cherche à entrer en résonance avec les Hommes car aucune Loi de la Bible n’en traite explicitement et Jésus lui-même n’en a guère parlé. Le sujet a été posé intentionnellement dans un pays impacté directement et fortement par cette crise : il s’agissait de répondre aux besoins emblématiques d’un pays neuf, en décalage avec d’autres régions plus puissantes du monde, une région de notre planète encore incomplètement développée à bien des égards, un pays où la chrétienté est relativement neuve, ardente quand elle existe, bourgeonnante de partout mais très fragile. C’est un exemple qui fait réfléchir, un terrain où les besoins sont criants, annonciateurs des mêmes besoins humains – civils, écologiques, religieux – dans d’autres régions du monde, un champ d’application où on subit l’expérimentation de certaines folies de l’égoïsme, encore inconnues… Mais aussi un terrain où les besoins spirituels et religieux, y compris chez les catholiques, pour être satisfaits, ont suscité et créé des solutions car si ce n’est pas interdit, n’est-ce pas que c’est parce que c’est permis ? L’Esprit d’intelligence et d’amour fait germer la vie.
Lors de ce Synode décentralisé dans son titre, ( synode de l’Amazonie), on cherchait, et on a pensé trouver, auprès des autorités ecclésiales des validations et des autorisations pour ce qui était inattendu et nouveau mais aussi en urgence et en priorité des limites et des interdictions ; on pensait trouver là encore des consignes claires et quasi-dogmatiques qui seraient valables pour le monde entier et pour chacune des situations futures ou déjà présentes mais pas encore gérées. Contents ou non, on se raisonnait alors : il faudrait les accepter comme telles et cela pouvait en quelque sorte rassembler le troupeau, certes un peu de force, mais pourquoi pas, dans ce monde si dangereux ?
Or la réponse du pape a là aussi surpris, déçu, étonné… en ce qui concerne les questions dites « religieuses ». Sa réponse a été là aussi difficile à lire avec sérénité car si, sur les questions « humaines » sa position rejoint celles qu’on peut supposer à un Jésus premier partisan de la laïcité dans une fraternité humaine écologique par essence, et s’il a réussi son examen en écologie, il n’a pas évoqué les questions à proprement parler stricto sensu catholiques, concernant par exemple les viri probati : il n’a ni interdit ni validé ces innovations religieuses qu’on peut qualifier de pragmatiques ou d’inspirées…
Oui, peu à peu nous comprenons que François aurait pu valider ces innovations en plaquant dessus des estampilles à l’ancienne : il y avait des arguments pour dans nos textes bibliques : une belle copie, cela fait joli dans un décor à l’ancienne. Cela nous aurait même réjouis et soulagés immédiatement qu’il nous tienne ainsi par la main, voire qu’il nous porte…
Mais il n’a pas maquillé ces innovations qui n’entraient pas dans les cadres ecclésiaux classiques. Il n’a pas plaqué sur ces mutations jaillissantes, rejetons innovants mais branchés sur la même sève, les étiquettes portant les noms de réalités anciennes traditionnelles et bien connues qui auraient donné une apparence de continuité à des solutions neuves pour un monde imprévu, voire imprévisible. Il ouvre toute liberté à la créativité avec l’aide de la réflexion et du discernement du Peuple de Dieu.
Disons plus : il nous semble qu’il n’a pas voulu mettre dans l’urgence un pansement sur la plaie : cela se serait peut-être révélé un cautère sur une jambe de bois. Il a peut-être jugé inutile de chercher à tout prix à faire persister le clergé, le titre même de prêtre, comme s’il était essentiel à l’Eglise catholique et à ceux qui suivent Jésus. On aura toujours bien sûr besoin de ces pasteurs, de ces disciples qui font écho à la parole de Dieu, de ces serviteurs qui nourrissent un peuple de frères. Mais en refusant de permettre ces nominations en masse de viri probati comme prêtres de énième catégorie, il a signifié implicitement « non » à un raffinement supplémentaire dans la hiérarchisation, à la création ( subreptice ou même involontaire ) de nouvelles classes : il a peut-être dit un non de plus au cléricalisme et a mis un frein à une éventuelle réactivation de ce que nombre de fidèles ressentent souvent comme le sacré dans le clergé depuis son installation.
Il n’a pas non plus menacé de châtiments ceux qui avaient été inspirés par leurs besoins ( et par le bon sens, et selon moi, par le sensus fidei et l’Esprit, je le crois ) et qui s’étaient retrouvés à innover sans avoir passé de diplôme ni fait d’études, ni avoir demandé une autorisation à Rome puisqu’ils avaient la liberté enseignée par Jésus… Il ne les a pas traités d’hérétiques bons pour le bûcher, de chrétiens mâtinés de sorcellerie, de syncrétistes, que sais-je ? Il ne s’est pas questionné sur leur catholicité …
L’Amazonie et toutes les Amazonies continueront leur chemin de vie, sans s’occuper de savoir si elles sont d’avant-garde ou non.
Il existe ailleurs des prêtres mariés catholiques : qui cela dérange-t-il ? Et quand cela a-t-il commencé, si cela a commencé ? Quelle est la règle la plus ancienne ? Quand des clercs mariés ont-ils éventuellement rejoint l’Eglise catholique plutôt qu’une autre et pourquoi cela a-t-il été permis ? En quoi cela concernerait-il une Eglise par-dessus les schismes ? Nous avons tous à y réfléchir : à nous former sur ces questions pur avoir un avis éclairé.
La réponse d’un pape souvent attentif aux victimes et aux petits, ou plutôt sa non-réponse à ces deux synodes, m’a montré quelque chose de sa pédagogie.
Nous nous sommes sentis comme le tout-petit qui ne sait pas qu’il apprend à marcher : à chaque petit pas qu’il fait, château-branlant, l’adulte, avec un sourire, recule un petit peu sa main et maintient l’intervalle éducatif tout en étant prêt à l’empêcher de tomber…Nous avançons à petits pas, en tendant la main vers celui qui nous attire et veut lui, nous faire grandir… Il aurait pu nous traiter comme des bébés, ou faire comme l’adulte narcissique qui garde dans ses bras son mini-double infantile et docile. Il aurait pu avoir peur de nous donner notre liberté mais il a fait comme notre Père qui nous a créés pour être libres et s’interdit toute emprise abusive.
Il va nous falloir méditer là aussi cette Querida Amazonia… pour oser goûter à cette nourriture étrangère : ce n’est plus un plat tout prêt et cosmopolite qu’on nous sert, mais notre Père à tous vient goûter à cette cuisine née du pays lui-même, faite avec les moyens du bord, avec amour, en toute liberté, et à qui interdit-il de l’adopter telle qu’elle est réalisée actuellement ?
Sa non-réponse apparente après ce synode ressemble à l’écoute d’un adulte qui sait exarcer son autorité de façon positive : il perçoit ce qui se cache au fond, derrière le comportement provocant, l’interpellation angoissée ou la question immédiate de l’adolescent et songe à le faire grandir.
Nous apprenons là quelque chose que l’Eglise a souvent oublié sur elle-même…
Il semble qu’à bien des égards, nous allons nous trouver dans la situation des premières Eglises telle que nous la voyons dans nos premiers textes du nouveau Testament, une fois leurs portraits débarrassés de leur aspect trop idéalisé parfois mais en conservant leur chaleur communicative pleine d’espérance et de conviction attractives.
Les besoins de la communauté font jaillir des solutions, et plus les besoins augmentent plus les solutions s’ouvrent pour vivre avec Dieu : celui-ci, Père aimant et non-captateur, n’a guère posé de limites ni d’obligations pour le servir et servir nos frères.
Osons être vrais, enfin, d’ailleurs ! Les dogmes eux aussi ont été posés à une certaine époque pour répondre aux besoins d’une époque d’une façon appropriée. Le dogme est une formalisation dans nos mots de réalités qui dépassent nos mots trop humains et qui se révèlent finalement par essence assez inadaptés, convenons-en.
L’Evangile lui, dans sa simplicité, laisse l’inspiration souffler à sa guise sans contrainte, sur toute notre Terre, pour y faire s’épanouir la vie.
Sur le plan écologique et social, humain, nous ne piaulerons plus en réclamant plus de gâteries toutes faites, des serviettes jetables pour ne pas avoir à les laver, ou des résumés tout faits (même faux) sur Internet. Nous pouvons nous nourrir respectueusement de ce qui est possible sur chaque pouce de notre Terre, en apprenant ce qui nous convient selon nos besoins, et non selon nos envies, nos répulsions ou nos craintes irraisonnées et infantiles. Nous goûterons de plus en plus gastronomiquement la saveur fondamentale de son bienfait nutritif, et partagerons la saveur de notre vie.
Sur le plan religieux et plus précisément celui de notre confession catholique, il en va ici exactement comme lors d’Amoris Laetitia : François n’a rien démoli dogmatiquement, mais a demandé qu’on nourrisse nos pratiques avant tout de l’Evangile lui-même afin de régler avec souplesse des problèmes locaux, personnels, voire civilisationnels, continentaux, sociaux …
En guise d’ouverture finale :
Si les deux synodes ont ajusté des tirs croisés sur un objectif similaire, c’est donc qu’il doit être bien important !
Ils convergent sur les questions brûlantes et urgentes d’écologie et de justice, en délaissant également certaines solutions qui auraient peut-être pu faire illusion, des moyens-termes qui auraient pu être en fait décalés si Rome y avait mis son grain de sel par trop administratif et auraient eu un petit goût dogmatique ou doctrinal déplacé, des nouveautés qui auraient pu être récupérées, rigidifiées, instrumentalisées, imposées mal à propos, ou sclérosantes et de nouveau excluantes.
Ni laisser-aller négligent, ni laisser-faire paresseux, ni parti-pris inutilement blessant, la non-réponse du pape, pleine de respect pour ces jeunes peuples dynamiques, leur donne déjà les droits d’une personne : et nous-mêmes pouvons ( avons le droit de .. ) prendre exemple sur lui, – et sur eux – , pour trouver les réponses à nos propres besoins. Il leur laisse la liberté de le faire à leur façon et leur proximité directe permettra d’éviter les écueils énumérés ci-dessus.
François ne s’est pas laissé séduire par la facilité de proposer une illusion de plus à croire, un grade qui aurait renforcé en fait implicitement un nouvel avatar du cléricalisme.
Il n’a rien altéré de ce que beaucoup appellent la Tradition sans se demander à quand elle remonte, il n’a rien évoqué du dogme et n’a pas entrepris activement de légitimer des nouveautés qui se seraient opposées à la Tradition.
Mais… son attitude ne pose-t-elle pas la question de savoir s’il faut qu’une autorité légitime ce qui n’a pas à l’être ? On peut se demander si ce n’est pas déjà légitime même si certains s’y opposent.
Le levain fait fermenter la pâte, et la levure gagne peu à peu cette pâte qui semblait amorphe. Un levain cuit tout seul, ce serait atroce à manger !
Ecouter les besoins de son troupeau d’aujourd’hui, nouveau troupeau, nouveaux besoins, planète toujours nouvelle, esprit toujours nouveau.
Sa non-réponse apparente est la seule manière de garder une porte ouverte au possible, à l’espérance, à la confiance, à la vie. Et qui peut savoir si, en fermant la porte, il n’aurait pas fermé la porte à l’Esprit ? Il aime à passer par toutes les portes et même les portes fermées… ! Si nous lui fermons craintivement des portes, qu’il rentre par la fenêtre, vent puissant ou brise attentive, force qui agite ce qu’on voit ou oxygène du coeur…
Il s’agit de nous permettre tous de grandir, de même qu’une véritable autorité, après avoir discerné les limites minimum imposées par la sécurité et le bien-être de l’enfant et des autres, ( et non autre chose), lui fait confiance tout en veillant de loin, discrètement, pour un rappel si nécessaire.
Son silence qu’on sait attentif pourtant au cri des petits, ne nous renvoie-t-il pas manu paternale si j’ose dire à ce qui seul peut compter : l’Evangile vécu par Jésus, ce maître en souplesse pour mettre à disposition une Loi capable de gérer des problèmes individuels et contingents …
L’Evangile fait s’incliner la Loi en ses aspects contingents pour laisser régner l’amour qui nous est demandé le plus parfait possible, à l’image de l’amour dont nous sommes aimés par le Père, par Jésus et par certains… La conscience de chacun vis-à-vis de son prochain et de ce que nous pouvons supposer de Dieu est ce qui ressemblerait le plus à la Loi : mais une loi de libération, celle des Jubilés qui inventaient en Israël une méthode qui dynamisera nos actes de fils de Dieu.
Si la Lettre de l’Evangile n’interdit pas, elle laisse le champ libre à l’esprit d’amour au service de la propre croissance d’une Eglise qui ne ressemble pas à nos bâtiments faits de blocs taillés uniformément : elle est faite de pierres palpitantes et diverses qui s’harmonisent sans cesse, sans plan ni style prédéfinis. Une région géographique à un instant T peut également représenter exemplairement un aspect ponctuel dispersé çà et là dans le monde entier et au fil du temps. C’est ce que le pape appelle une Eglise synodale , une Eglise en chemin, une Eglise sur les chemins ; d’autres évoquent des « visages d’Eglise » ou « les éclats d’Evangile » un peu partout ; et l’Evangile, par la voix de celui qui nous invite tous à y aller, ces « demeures nombreuses dans la maison de mon Père » qui nous attendent : soyons sûrs que ce Père les a faites différentes et adaptées au confort et à la joie de chacun qui peut y apporter son bagage, ses trésors et en faire à son tour un havre hospitalier pour d’autres qui attendent…
Je viens, alors que je cherchais sur quoi finir mes réflexions, de trouver une image stimulante dans un ouvrage intitulé « Pour un accompagnement sans emprise » : « L’accompagnateur est du côté de la vigie, et non à la place de celui qui tient la barre ».
La situation des premières Eglises, aussi différentes qu’autonomes, faut-il en avoir peur, si elles sont unies fraternellement en Jésus, notre vigie, notre lumière ? Peut-être une façon de revoir le sens si positif du terme autorité qui est bidirectionnelle, ce qui est au coeur d’une démarche authentiquement synodale.
La pâte du futur pain dont nous faisons partie continue à fermenter.
Marguerite Champeaux-Rousselot
recherches-entrecroisées.net : quesaquo ?

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Les apôtres nommés dans les quatre évangiles et les Actes : à comparer. (2018-03-07)
Document word, et en cliquant ici document PDF mieux présenté : 2018-03-07 Les apôtres nommés dans les 4 évangiles et les Actes
( note : aucun des noms attribués aux auteurs des évangiles n’est sûr . par contre , pour les Actes, il se nomme lui-même : Luc)
Selon Marc
« Il monta ensuite sur la montagne ; il appela ceux qu’il voulut, et ils vinrent auprès de lui. Il en établit douze, pour les avoir avec lui, et pour les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les démons. » (Mc 3:13-19) Voici les douze qu’il établit :
|
Selon Matthieu
« Puis, ayant appelé ses douze disciples, il leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs, et de guérir toute maladie et toute infirmité. » (Mt 10:1-4) Voici les noms des douze apôtres. Le premier : Simon, appelé Pierre et Kephas, |
Selon Luc
« En ce temps-là, Jésus se rendit sur la montagne pour prier, et il passa toute la nuit à prier Dieu. Quand le jour parut, il appela ses disciples, et il en choisit douze, auxquels il donna le nom d’apôtres » (Lc 6:12-16) NB Thaddée a disparu , remplacé par Juda de Jacques |
Selon Jean
Les auteurs de l’évangile selon Jean donnent une liste très différente de Marc, Luc et Matthieu. Des apôtres sont cités sans référence au chiffre 12 : Simon-Pierre cité souvent ainsi que Judas Isacariote, Ils ont ajouté un épisode conclusif à leur évangile, le miracle de Tibériade, et là ils donnent une liste des apôtres en forme réduite, en Jn, 21,2 : « Simon Pierre,
Le «disciple bien-aimé » était-il un apôtre , et si oui, qui ? NB Leur « Nathanaël » ne figure pas dans les synoptiques. |
Selon Actes
Les Actes donnent la liste de ceux qui se réunissent dans le Cénacle en 1,13 : (les « et » ont peut-être de l’importance) « Pierre et Jean et Jacques et André, Puis Pierre explique qu’il faut remplacer Judas par un témoin de sa vie du baptême à sa résurrection. On fait un choix et ( 1,21-26) c’est Matthias Matthias est choisi |
Les chiffres correspondent à l’ordre des noms dans une liste. Chez Jean il n’y a pas vraiment de liste et ils ne sont pas appelés spécifiquement apôtres comme ailleurs.
Noms | Marc | Matthieu | Actes | Luc | Jean |
Simon dit Kephas ou Pierre | 1 | 1 | 1 | 1 | X |
Jacques, fils de Zébédée, dit Jacques le majeur | 2 | 3 | 3 | 3 | X |
Jean, fils de Zébédée | 3 | 4 | 2 | 4 | X |
André | 4 | 2 | 4 | 2 | X |
Philippe | 5 | 5 | 5 | 5 | X |
Barthélémy | 6 | 6 | 7 | 6 | |
Matthieu | 7 | 8 | 9 | 7 | |
Thomas | 8 | 7 | 6 | 8 | X |
Jacques, fils d’Alphée, dit Jacques le Mineur | 9 | 9 | 9 | 9 | |
Thaddée | 10 | 10 | |||
Simon le Cananite ou le Zélote | 11 | 11 | 10 | 10 | |
Judas Iscariote | 12 | 12 | ( mort) | 12 | X |
Judas ou Jude fils de Jacques | 11 | 11 | X | ||
Nathanaël | X |
Matthieu 13.55 : « Celui-ci n’est-il pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères, Jacques et Joseph et Simon et Jude ? et ses sœurs .. » Certains disent qu’il s’agirait de Jacques dit le Juste qui n’est pas dans les apôtres mais jouera pus tard un rôle important ; Jacques et Joseph ou Joset ne sont pas dans les apôtres, mais certains disent que Jude ( ou Judas, fils de Jacques ) est dans la liste, et que son autre nom est peut-être Thaddée.
Marguerite Champeaux-Rousselot
Les paroles de Jésus à son dernier repas, selon Paul : partager pour unir. ( 2018-05-03)
Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2018-05-03)
I Corinthiens, 11, 17-34
Voyons le contexte de ces paroles, comme il est nécessaire de la faire chaque fois qu’on cite quelqu’un.
Paul traite dans cette épître de difficultés concrètes chez les Corinthiens. Son objectif n’est pas théologique, même s’il se sert d’arguments théologiques sommaires…
Il règle de nombreux problèmes concernant le vivre ensemble… et termine en rappelant que les femmes devaient porter un voile et ne jamais laisser ses cheveux longs visibles.
Ensuite il va expliquer dans quel esprit doivent se passer les repas dominicaux, où les chrétiens partageaient le repas, et se focalisera sur deux points.
Ici texte grec et français en deux colonnes ( ma traduction ), mais ensuite un commentaire pas à pas.
I Co 11,17-34 | |
17 Τοῦτο δὲ παραγγέλλων οὐκ ἐπαινῶ, ὅτι οὐκ εἰς τὸ κρεῖττον, ἀλλ’ εἰς τὸ ἧττον συνέρχεσθε.
18 πρῶτον μὲν γὰρ συνερχομένων ὑμῶν ἐν ἐκκλησίᾳ ἀκούω σχίσματα ἐν ὑμῖν ὑπάρχειν καὶ μέρος τι πιστεύω· 19 δεῖ γὰρ καὶ αἱρέσεις ἐν ὑμῖν εἶναι, ἵνα οἱ δόκιμοι φανεροὶ γένωνται ἐν ὑμῖν. 20 συνερχομένων οὖν ὑμῶν ἐπὶ τὸ αὐτὸ οὐκ ἔστι κυριακὸν δεῖπνον φαγεῖν· 21 ἕκαστος γὰρ τὸ ἴδιον δεῖπνον προσλαμβάνει ἐν τῷ φαγεῖν, καὶ ὃς μὲν πεινᾷ, ὃς δὲ μεθύει. 22 μὴ γὰρ οἰκίας οὐκ ἔχετε εἰς τὸ ἐσθίειν καὶ πίνειν; ἢ τῆς ἐκκλησίας τοῦ Θεοῦ καταφρονεῖτε, καὶ καταισχύνετε τοὺς μὴ ἔχοντας; τί ὑμῖν εἴπω; ἐπαινέσω ὑμᾶς ἐν τούτῳ; οὐκ ἐπαινῶ. 23 Ἐγὼ γὰρ παρέλαβον ἀπὸ τοῦ Κυρίου, ὃ καὶ παρέδωκα ὑμῖν, ὅτι ὁ Κύριος Ἰησοῦς ἐν τῇ νυκτὶ ᾗ παρεδίδοτο ἔλαβεν ἄρτον καὶ εὐχαριστήσας ἔκλασε καὶ εἶπε· 24 λάβετε, φάγετε· τοῦτό μού ἐστι τὸ σῶμα τὸ ὑπὲρ ὑμῶν κλώμενον· τοῦτο ποιεῖτε εἰς τὴν ἐμὴν ἀνάμνησιν. 25 ὡσαύτως καὶ τὸ ποτήριον μετὰ τὸ δειπνῆσαι λέγων· τοῦτο τὸ ποτήριον ἡ καινὴ διαθήκη ἐστὶν ἐν τῷ ἐμῷ αἵματι· τοῦτο ποιεῖτε, ὁσάκις ἂν πίνητε, εἰς τὴν ἐμὴν ἀνάμνησιν. 26 ὁσάκις γὰρ ἂν ἐσθίητε τὸν ἄρτον τοῦτον καὶ τὸ ποτήριον τοῦτο πίνητε, τὸν θάνατον τοῦ Κυρίου καταγγέλλετε, ἄχρις οὗ ἂν ἔλθῃ. 27 ὥστε ὃς ἂν ἐσθίῃ τὸν ἄρτον τοῦτον ἢ πίνῃ τὸ ποτήριον τοῦ Κυρίου ἀναξίως, ἔνοχος ἔσται τοῦ σώματος καὶ τοῦ αἵματος τοῦ Κυρίου. 28 δοκιμαζέτω δὲ ἄνθρωπος ἑαυτόν, καὶ οὕτως ἐκ τοῦ ἄρτου ἐσθιέτω καὶ ἐκ τοῦ ποτηρίου πινέτω· 29 ὁ γὰρ ἐσθίων καὶ πίνων ἀναξίως κρῖμα ἑαυτῷ ἐσθίει καὶ πίνει, μὴ διακρίνων τὸ σῶμα τοῦ Κυρίου. 30 διὰ τοῦτο ἐν ὑμῖν πολλοὶ ἀσθενεῖς καὶ ἄρρωστοι καὶ κοιμῶνται ἱκανοί. 31 εἰ γὰρ ἑαυτοὺς διεκρίνομεν, οὐκ ἂν ἐκρινόμεθα· 32 κρινόμενοι δὲ ὑπὸ τοῦ Κυρίου παιδευόμεθα, ἵνα μὴ σὺν τῷ κόσμῳ κατακριθῶμεν. 33 Ὥστε, ἀδελφοί μου, συνερχόμενοι εἰς τὸ φαγεῖν ἀλλήλους ἐκδέχεσθε· 34 εἰ δέ τις πεινᾷ, ἐν οἴκῳ ἐσθιέτω, ἵνα μὴ εἰς κρῖμα συνέρχησθε. Τὰ δὲ λοιπὰ ὡς ἂν ἔλθω διατάξομαι. |
17 Puisque j’en suis à vous faire des recommandations, je ne vous félicite vraiment pas parce que vous vous assemblez non pas au nom du meilleur mais pour du moins bien !
18 Tout d’abord en effet, j’entends dire que, vous étant assemblés, il se trouve dans votre rassemblement des coupures en vous-mêmes, et je crois cela en partie… 19 car il faut bien qu’il y ait parmi vous aussi des groupes qui s’opposent ( = des hérésies ? ) , afin que ceux qui ont une valeur éprouvée deviennent visibles parmi vous ! 20 Donc… lorsque vous vous réunissez en un même lieu, il ne s’agit pas de manger un ( s.e vrai) repas du Seigneur ; 21 chacun en fait se précipite pour manger son repas individuel/personnel, et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu.22 N’avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Ou méprisez-vous l’assemblée appelée par Dieu et humiliez-vous ceux qui n’ont rien ? Que puis-je vous dire ? Je vous féliciterai en cela ? Ah Non, je ne vous félicite pas ! 23 Moi j’ai reçu du Seigneur, ce que moi aussi je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était trahi/livré, prit du pain,24 puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Prenez, mangez, ceci de moi est le corps rompu au dessus[1] de vous[2]. Faites ceci en/pour la remémoration de moi. » 25 Exactement de même aussi la coupe, après le dîner, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang[3]. Faites ceci chaque fois que vous boirez, en/pour la remémoration de moi. » 26 En effet, chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez[4] la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. 27 De sorte que celui qui mange ce pain-là ou boit la coupe d’une manière indigne/inappropriée vis-à-vis du Seigneur sera coupable/responsable vis-à-vis du corps et du sang du Seigneur[5]. 28 Qu’une personne s’estime donc soi-même, et ainsi (seulement s.e), mange de ce pain et boire de cette coupe. 29 Celui qui mange et boit de façon non-digne mange et boit son propre jugement, en ne discernant pas le corps du Seigneur. 30 C’est pour cela qu’il y a chez vous beaucoup de malades et d’infirmes et qu’un certain nombre sont endormis dans la mort. 31 Si nous nous discernions/jugions nous-mêmes, nous ne serions pas discernés/jugés. 32 Mais lorsque nous sommes jugés/discernés par le Seigneur, nous sommes éduqués (par lui) afin de ne pas être discernés/condamnés avec le monde. 33 Ainsi donc, mes frères, quand vous vous réunissez pour mangez, attendez-vous les uns les autres ; 34 et si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison, pour que vous ne vous réunissiez pas pour être condamnés… Quant au reste, je le réglerai quand je viendrai. |
Commentaire pas à pas
« 17 En passant aux remarques qui suivent, je ne loue pas le fait que vous vous réunissez non pas pour le meilleur mais pour le pire. 18 D’ abord en effet vous vous réunissez en assemblée »
Les personnes qui se sentent appelées convergent. Le terme ekklesia vient en effet du verbe « appeler hors de » et a donné directement le mot église. Ces personnes appelées à changer leur vie vont ensemble, se rassemblent vers une maison particulière suffisamment grande pour les recevoir. ils vont ici y manifester leur proximité et leur fraternité en mémoire de Jésus qui a tout partagé et donné de sa vie.
Or Paul note ( je résume ) qu’il y a des divisions, des préférences, des choix qui font à l’intérieur de cette assemblée des coupures. Le terme hérésie serait possible comme traduction, mais ferait contre-sens car il est hors sujet ici. Paul fait ici allusion à des choix individuel dans l’assemblée qui vont la diviser et aller contre son unité. Certains vont se choisir eux-mêmes .. et tant pis pour les autres !
Paul va donc s’attacher à décrire ces divisions nuisibles qui ont lors de ces repas à Corinthe, qui se font théoriquement apparemment au nom du Seigneur Jésus, et il s’exclame :
20 « Vous réunissant donc au même lieu, ce n’est pas un[6] repas du Seigneur que vous mangez : chacun en effet prend en avance son propre souper pendant le manger[7], et un tel a faim, et tel autre est ivre… N’avez-vous pas des maisons pour manger et boire ?!! Comme vous tenez pour rien[8] l’assemblée de Dieu et comme vous[9] faites affront à ceux qui n’ont rien ! Que dois-je vous dire !! Vous louer ?! Ah non ! Je ne vous loue pas sur ça ! 23 Moi en effet j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis, à savoir que le Seigneur Jésus pendant la nuit où il était trahi/livré[10], prit du pain 24 et ayant rendu grâce, il le rompit/brisa[11] et dit : « Ceci[12] est le[13] corps rompu/brisé au dessus de[14] vous[15] » (Nous reviendrons sur cette traduction inhabituelle du verset 24 un peu plus loin.) faites ceci[16] en vue de/ afin que vous vous me remémoriez[17]. 25 De même aussi[18] la coupe après le fait d’avoir dîné, disant : « cette coupe est la toute nouvelle[19] alliance en mon sang ; faites ceci chaque fois que vous boirez en vue de vous remémorer de moi[20].» Notons ici que Jésus dans ces quelques phrases dont Paul fait part n’exclut personne mais invite « tous », ne fait aucune exception sauf plus loin ceux qui ne partageraient pas fraternellement le repas, et ne met aucune condition de temps, de lieu, de manière, de moyen, de personnes etc. : il faut seulement s’être examiné soi-même et prendre ses responsabilités, en toute conscience, par rapport au partage fraternel. Jésus remplace le sang des taureaux par du pain rompu et une coupe de vin qui circule : le but ne change pas ( l’alliance avec Dieu ) mais le rituel est vraiment tout à fait nouveau… au point que Dieu lui-même – ou plutôt la conception que nous en avons ! – est changé.
Après avoir affirmé au v. 23 qu’il a reçu cela du Seigneur lui-même, ( v. 24-25 ), Paul en donne au v. 26 une première interprétation par rapport ( je souligne ) à la situation catastrophique qu’il doit amender, régler, alors qu’il est loin et qu’il n’y a pas de pyramide hiérarchique dans la communauté corinthienne, ( il n’en souhaite pas d’ailleurs) et c’est pourquoi il en vient même peut-être[21] à ajouter alors, vu les circonstances, ( dans le but de bien faire ) des mots que Jésus n’a pas dits et lui attribuer des intentions qu’il suppose avoir été implicites chez lui. Il revient d’abord à la nature du repas qui est pris en montrant qu’il doit se conformer au souvenir de Jésus et aux valeurs dont il souhaitait assurément qu’on se souvienne lors de ses repas, et il explique par quelles valeur ce repas partagé en assemblée doit être sous-tendu : 26 ὁσάκις γὰρ[22] ἂν ἐσθίητε τὸν ἄρτον τοῦτον καὶ τὸ ποτήριον (τοῦτο) πίνητε, τὸν θάνατον τοῦ κυρίου καταγγέλλετε ἄχρις οὗ ἂν ἔλθῃ[23]
Il emploie le verbe kataggelô : ce verbe n’a pas son sens habituel[24]. On ne sait pourquoi, Paul emploie ce verbe uniquement dans un sens différent comme on le voit clairement dans ses trois autres emplois : I Co 2,1 et 9,14 ; RM, 1,8. Le sens est donc annoncer, proclamer une nouvelle.
Paul écrit donc tout de suite après : **« 26 chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez la coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne.» La formule va beaucoup plus loin qu’une compréhension simple du sens : elle prend un poids graduel (référence à la mort de Jésus, à sa venue à la fin de temps, et quasiment au Jugement). Il ne dit pas que le repas est fait pour, jusqu’à la venue du Christ, annoncer l’information événementielle de sa mort déjà passée, mais il montre que ce repas est fait pour remémorer ce que signifie la mort du Seigneur ( dans laquelle nous avons à passer ) et vivre de son message : ceci est à annoncer à travers nos vies et à travers ce repas comme tous nos repas. Un repas vécu à contre-pied de cet exemple serait donc une contre-annonce, un contre-témoignage vis-à-vis de la Bonne nouvelle.
La suite du texte le montre, ceci doit être fait dans le respect, dans le calme et sans contrevenir aux principes concernant ce partage au cours d’un repas qui a pour objectif de faire de tous un corps rassemblé par une nouvelle alliance, comme Jésus le souhaitait: rappel du rite où Moïse puis les grands prêtres aspergeaient le peuple juif du sang des animaux sacrifiés en signe d’alliance avec l’Eternel qui les purifie de leurs fautes. ( « Ceci est le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous » (Exode 24.8).
Après avoir verset 26 donné une première interprétation qui donne à ce repas une valeur existentielle ( notion de la mort, du jugement ) Paul en ajoute une seconde au v. 27 : il s’occupe de la responsabilité de chacun : il déclare que celui qui vit ce repas « de façon injuste, indigne ou de façon non convenable ( sans partager, ou en étant ivre etc. lors de ce repas ) est personnellement coupable ( 27-28[25] ) et risque un châtiment.
Mais Paul affirme en outre quelque chose de terrifiant et de menaçant : comme le groupe constitué est en fait le corps et le sang du Christ, ce fautif est en plus, ce qu’il ne savait peut-être pas, responsable (enochos) des problèmes qui ont déjà rejailli sur toute la communauté qui en souffre : Paul lie ainsi la mort et la maladie de certains Corinthiens à l’idée qu’elle n’est autre qu’un châtiment matériel et physique pour la communauté à cause du non-respect de ce repas par certains (v. 29 et 30) ; il y ajoute l’idée d’un jugement après la mort, de la correction déjà là par le Seigneur, de la condamnation du groupe …
Ces affirmations sont-elles cohérentes avec l’Evangile ? Elles fonctionnent implicitement sur les notions qui nécessiteraient un sacrifice expiatoire… avec la maladie comme châtiment divin déjà là et la mort comme épée de Damoclès. Non, ces implicites ne sont pas dans les paroles de Jésus que Paul affirme citer[26] : il ajoute pour atteindre son objectif : rendre ces repas vraiment fraternels et digne d’être des repas du Seigneur.
Et il revient ensuite très concrètement au conseil de « s’attendre » (v. 33) pour partager.
Puis, devant la difficulté dont nous avons du mal à réaliser l’ampleur apparemment, il lancera même un conseil rien moins que choquant pour nous aujourd’hui ( mais n’en faisons-nous pas autant au fond ? ) : comment éviter que certains souillent ces repas où l’assemblée est un seul corps, donnant lieu à ces châtiments (condamnations individuelles, maladies et morts dans le groupe) mis en œuvre par le krima de Dieu châtiant ceux qui ont mangé et bu de façon condamnable, sans partager, ( un krima qui a fait un tel scandale qu’il est obligé de leur écrire ! ). Le pasteur Paul ne veut plus de cela, et il ose bien avancer un conseil qui aurait pu à notre avis attirer sur lui les anathèmes de Jésus fulminant contre les hypocrites : « 34 Si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison, afin que vos réunions n’aboutissent pas à un krima. »
Après quoi, satisfait de cette solution pragmatique sur ce problème très concret mais significatif de bien des , il déclare « Quant au reste, je le règlerai lorsque je viendrai » et abordera au chapitre 12 la question des idoles et des questions plus spirituelles.
Cette fin montre bien que ces paroles de Jésus n’avaient pas le sens qui peu à peu, – et pour bien faire – leur a été accordé.
Vue d’ensemble
La lecture fine du texte et sa recontextualisation révèle qu’il a été visiblement écrit pour montrer ce qui doit se passer entre les frères lors de ce repas dominical qui rassemble les chrétiens. Paul y insiste très fortement, moins autoritairement qu’au verset 16, mais en outrepassant largement ce qui est dit dans l’Evangile et en y ajoutant… Il le relie néanmoins à juste titre à ce que Jésus a montré par son exemple, dans sa volonté, durant toute sa vie et y compris dans sa mort, de faire de tous un seul corps avec lui et son Père, leur Père. Paul indique que ceci doit se faire pendant toute leur vie et jusqu’à la venue de Jésus : le respect de cela ne souffrira pas d’exception, et cette remémoration se fera jusqu’à sa venue.
Cet objectif est l’axe de ce texte et il explique, avec d’autres indices lexicaux, ma traduction du verset 24 : la fraction du pain constitue les chrétiens en un corps invisible qui les dépasse et les comprend tous (dans le Royaume). Au verset 25, la coupe qui circule est, dit-il « la toute nouvelle alliance en mon sang » : alliance inédite entre ces chrétiens assemblés en un seul corps, uni(s) à Jésus, et uni par une alliance inouïe avec Dieu. L’objectif de Jésus, pédagogue et très humain, est que ce geste, facile à faire et presque banal, conserve toute sa force vitale même en son absence lorsqu’ils seront seuls et dispersés. Dans ce que que Paul affirme citer de Jésus, il n’y a pas d’insistance sur un salut ( nécessaire sinon c’est la mort éternelle ), mais affirmation d’une alliance nouvelle, heureuse nouvelle pour l’Homme.
Mais comme ce texte a été rédigé par Paul pour appeler, très prosaïquement, à de la tenue pendant ces repas, il s’est servi de divers moyens plus ou moins contestables certes, mais en reliant aussi ces paroles aux valeurs qui ont fait vivre Jésus et que les chrétiens ont à vivre chacun dans sa vie jusqu’à la venue de Jésus comme Juge.
Il n’a pas été rédigé pour établir une théologie du sacrifice concernant la relation de Jésus à Dieu. Certes, mais on s’est appuyé ensuite sur certains de ces mots, décontextualisés ( des repas dominicaux égoïstes et tournant parfois à l’orgie) pour intensifier la sacralisation de ce repas et en faire, sans que Paul ait parlé de sacrifice ( au sens habituel et premier ), un moment sacré et sacrificiel sous la férule d’un prêtre ayant retrouvé le rang suprême conféré hiérarchiquement aux prêtres ordonnés du Temple d’un Yahvé justicier et vengeur, bien séparés d’un peuple condamné en bloc dans son péché héréditaire à la condamnation, excepté là où un sacrifice, à répéter par leurs mains, pouvait effacer une dette sans cesse renaissante envers le plus impitoyable des créanciers. ( et ne parlons pas des prêtres qui, par des changements progressifs, sont devenus « à part » des autres baptisés et qui ont été quasi-sacralisés même dans leur vie quotidienne ).
Ainsi s’expliquent la violence des premières exclamations de Paul citées ici : « 17 vous vous réunissez non pas pour le meilleur mais pour le pire ! (…) 20 « ce n’est pas un[27] repas du Seigneur que vous mangez ! ». Ses jugements l’amènent à s’ériger lui en juge menaçant moins terrifiant que Dieu, préventif en quelque sorte en fait, et, même si la cause est assez justifiable, il cède à la tentation de reprendre des moyens dénoncés par Jésus.
Les paroles supposées vraies de Jésus restent cohérentes avec son message mais il faut les séparer des ajouts inconscients et non maîtrisés de Paul, et d’interprétations ultérieures décontextualisées, qui ont eu pour but d’appuyer sur ce qui fera peur ou mal afin de mieux discipliner les fidèles.
Mais à lire ce qu’écrit Paul sur le dernier repas, Jésus n’y a pas annoncé sa mise à mort en tant que victime propitiatoire pour les présents : il s’est soucié du dynamisme de leur vie et de leur unité.
Même si Paul est choqué par la manière dont les Corinthiens s’assemblent pour ce repas, c’est sur le non-partage qu’il les sermonne : ils ne mettent pas en pratique réellement ce que signifiait ce repas : distribution, partage, union : faire de nombreux individus assemblés un seul corps tourné dans le même sens, et dans la remémoration de celui qui les rassemble et les fait vivre au nom d’un autre, le Père de tous.
Le « ceci » dans les phrases désigne ce qui caractérise ce pain et ce vin particuliers : son pain à lui, Jésus ne le mange pas tout seul, il le brise, puis le partage, en confie le partage et la répartition à chacun autour de la table où tous, inconditionnellement, tous ceux qui en ont faim et besoin, vont en recevoir et pouvoir également en donner, et ce processus qui a divisé et multiplié les unit tous entre eux et à celui qui leur a donné son pain ; de même le vin.
Jésus a peut-être même donné, livré symboliquement tout ce pain qui était sa part, ( et Paul y insiste pour faire honte aux Corinthiens et les motiver ), sans en garder jamais égoïstement, comme il a passé toute sa vie en la donnant aux autres au quotidien et comme il avait l’intention de la passer jusqu’au bout… : là est le seul « sacrifice » dont il aurait pu parler : rien à voir avec le fait de tuer un tiers innocent (animal ) ou de se faire un déplaisir ( donner de l’argent à un dieu anthropomorphe ou de la souffrance à une autorité ascétique ). C’est un don à des frères, l’acte qui fait plaisir à un Père affectueux, la seule offrande agréable à un Dieu qui est Père.
Le pain ainsi donné à son voisin prend une autre valeur : il devient sacré. Du vin ainsi partagé devient sacré. Une vie ainsi donnée est une parcelle de vie divine…
Faire mémoire de cette manière de vivre un repas, se rassembler pour en faire mémoire, demandent que nos repas (et toute notre vie en fait qu’ils symbolisent) soient en cohérence avec la signification que Jésus a donnée à ce geste.
Imiter l’extérieur de ce geste devenu rituel sans le vivre intérieurement est le profaner, insulter à la mémoire de qui l’a initié : mieux veut ne pas s’y rendre, à ce repas d’unité où l’on est réuni ( ré-uni) en son nom !
L’Alliance, où l’on fait plus qu’un, est ainsi une déclaration verbale ou gestuelle qui pardonne éventuellement et engage les actes du futur : elle est renouvelée chaque fois qu’on partage, qu’on fait circuler, qu’on donne.
Cela peut être fait soit au nom de Jésus comme le font ses disciples, soit au nom de la fraternité humaine comme le font ceux qui ne croient ni en Dieu ni en Jésus et font ce geste de partage, un exemple d’autant plus admirable. Partager pour unir.
Je ne ferai pas de conclusion fermée car si quelques éléments ont peut-être retrouvé selon moi un sens plus conforme à la Bonne Nouvelle dite sans doute par Jésus, les textes sont inépuisables.
J’espère ne pas avoir choqué. Je ne crois pas que Paul avait l’intention de faire croire aux Corinthiens que Jésus expliquait la transsubstantiation à ses disciples, mais qu’il leur montra jusqu’au bout comment partager fraternellement notre vie, en gros et en détail, et que c’était la nouvelle alliance qui plaisait à son Père.
Merci pour vos commentaires qui nous permettront… de partager et échanger !
Marguerite
[1] Voir plus loin bien sûr pour le sens de cette préposition.
[2] Mangeant le même pain fractionné, ils font un seul corps en s’unissant au souvenir de Jésus.
[3] En buvant au même verre, ils signent une alliance dans un seul sang symbolique et forment un seul sang ( sang = vie ). Ce sont les disciples qui sont devenus un seul corps et un seul sang dans le Seigneur.
[4] On ne sait pourquoi, Paul emploie ce verbe uniquement dans un sens différent du sens habituel. Cela est clair dans ses trois autres emplois : I Co 2,1 et 9,14 ; Rm, 1,8. Ici, même sens également.
[5] C’est un manque de respect envers le souvenir demandé par Jésus, mais aussi un acte qui va contre ce qu’il a enseigné à faire, et, voir ci –dessous, l’acte délictueux d’un membre de ce corps va avoir des conséquences, dit Paul, sur le corps du Christ qu’est en fait l’assemblée .
[6] L’article défini manque.
[7] Quelques rappels sur les repas en assemblée à cette époque.
La signification universelle de la nourriture donnée à l’un par l’autre est déjà très importante ( qu’on soit plante dans la terre, enfant de ses parents, pélican donnant racontait-on son propre corps à manger etc. ) . La force de la signification de la nourriture mangée autour d’une même table est également bien connue ( même parfois réduite à un symbole comme le partage du sel, pain, eau, vin) ou fût-ce d’un simple grain de grenade ( Perséphone chez Hadès) et il y a ré-utilisation religieuse de ces actes humains. Inversement, Enfin, on peut peut-être aussi évoquer aussi ces repas où partager la même nourriture montrait qu’on ne craignait pas le poison, la drogue ou les philtres magiques…
Comment l’Evangile nous raconte-t-il que Jésus a-t-il réussi à donner un sens supplémentaire à ces faits banals ?
D’une part, dans les banquets, tantôt chacun mangeait sa propre nourriture déposée sur une assiette devant lui, tantôt on puisait au même plat ; on pouvait aussi ( faire ) porter ou (faire) passer à quelqu’un un morceau de son choix. Chez les Grecs, chacun buvait à sa coupe mais on pouvait aussi apporter dans certains cas sa propre coupe pour diverses raisons, et soit boire à elle seule, soit faire circuler sa coupe à tous ou l’envoyer à tel ou tel. (symposion). Savoir cela permet de bien mesurer l’originalité de la manière dont Jésus procède. Ce qu’il partage est quelque chose de très simple et de petit, qui d’habitude ne se partage pas, sauf si on veut lui donner un sens symbolique. Miette de pain, goutte de vin, miette d’autre chose, goutte d’autre chose, peu importe la quantité et la qualité de la matière, c’est le geste qui compte : « faites ceci ». Si on est conscient que Jésus est celui qui a su se donner et apprendre à partager, ce geste nous le rappellera.
D’autre part, à cette époque, on connaît parfaitement et on pratique ce qu’on appelle le système des symbola : des personnes qui doivent se séparer se mettent d’accord pour briser un objet dont chacun conserve un morceau : même très longtemps après, des générations après, des personnes, même qui ne sauraient pas lire, même qui ne se connaissent pas, sont à même de reconnaître, même sans parole, qu’il y a un lien entre elles ( parenté, hospitalité, dette, amitié, traité… ), une « parole » donnée, une alliance qui a été réalisée et qui perdure malgré la distance et le temps , précisément car l’objet qui en est le signe a été brisé et peut se reconstituer. Ici Jésus brise le pain, le distribue : chaque personne qui le consomme reconnaît ainsi le lien qui existe entre Jésus et lui, mais aussi entre tout ceux qui ont reçu ce symbolon. De plus chaque personne reconnaîtra un autre qui fait ce même acte, et ils reconnaîtront le lien avec celui qui est absent, parti… ou mort. Le lien est donc vivant quelles que soient les circonstances : il subsiste, et il se réactive entre les mains de ceux qui le souhaitent. Abstrait/concret/symbolique/réel, sacré/profane/humain/surhumain : les frontières s’effacent sans qu’on ait besoin de formuler cela en langage théologique compliqué, inaudible pour beaucoup, inacceptable pour les gens rationnels.
[8] Le verbe kataphroneô signifie mépriser, dédaigner, ne faire aucun cas de…
[9] Kataischunô signifie déshonorer, souiller, faire affront ( il s’emploie par exemple également violer une femme)
[10] Paul donne peu d’éléments biographiques sur Jésus. Celui-ci est-il valable ? ( cf les différences entre Jean et les synoptiques ). Il nous semble que si Luc pouvait écrire que les pèlerins d’Emmaüs ont reconnu Jésus à la fraction du pain, c’est que lui-même et donc d’autres ont pensé savoir de source sûre que beaucoup de monde avait participé au dernier repas, ou plutôt également que Jésus avait été souvent vu faire ce geste de partage par tous les disciples et même des foules. Paul a pu ajouter cette précision temporelle pour solenniser ce geste symptomatique de Jésus, ou bien vouloir dire que jusqu’à son dernier repas, Jésus a pratiqué ainsi, et ce geste lui « appartenait » comme un signe de ralliement.
[11] Le verbe grec klaô signifie rompre, briser, fractionner. Ce verbe ne veut pas dire couper, ni trancher. Il s’emploie pour dire briser en pliant quelque chose : cela peut-être malheureusement un arbuste, des pousses, ou fait exprès dans le but de les tailler pour leur faire porter du fruit ou pour en tirer des boutures et des greffons…
[12] Aucun texte ne précise si Jésus a mangé également de ce pain et bu de cette coupe avant de la faire circuler. Autre sujet à réfléchir. ( cf. le passage sur le fruit de la vigne qu’il ne mangera plus).
[13] La tournure exprimant la possession ( μου, de moi ), « ceci de moi est le corps livré .. » ou » ceci est l corps de moi Livré .. » ? : apparemment c’est l’acte, le fait même, de rompre le pain et de le faire circuler qui symbolise effectivement la constitution d’un corps commun par le fait de partager le même pain ou la même nourriture spirituelle. Jésus ne se met pas en avant. Ce qui est important c’est de faire explicitement corps, et la pensée de son absence immédiate ou un jour ou l’autre, plus ou moins prévisible, en fait l’urgence. Car cette expérience vécue peut être poursuivie, mais si elle n’a pas été vécue en sa présence, elle leur sera presque impossible.
[14] Paul ait référence à la nuit où Jésus fut livré, mais il ne noue pas un lien fort entre la trahison et le pain brisé et la coupe partagée, sinon pour dire que Jésus a tout donné à tous jusqu’au bout. Il nous semble exagéré et surinterprété de dire que dans ces paroles Jésus fait clairement allusion à sa propre mort. Peut-être même veut-il dire- selon Paul – que c’en est fini des rites de sang et des sacrifices sanglants de vrai sang.
[15] La préposition uper + génitif a deux sens entre lesquels il faut choisir : 1°) le sens de « au dessus » : par-dessus, au-delà de, plus loin ; 2°) il signifie ensuite « pour la défense de » : en faveur de, à cause de, pour, au sujet de. L’absence de « livré » devant la préposition joint à l’absence de toute explication ne permettent pas de supposer le 2° sens, me semble-t-il ; c’est pourquoi il me semble que cela peut faire allusion au rite d’aspersion du sang sur les fidèles juifs. Le fait que Paul insiste sur la notion du « corps » qui se nourrit à partir d’une unité brisée pour la mettre en commun, explique ma traduction. Les synoptiques contiendront par contre les équivalents de « livré pour vous », ce qui oriente la traduction de la Vulgate qui se permet de trancher sur la place du μου (ceci est mon corps) et entraîne la traduction par « pro » obligatoirement au second sens de la préposition uper. « et gratias agens fregit et dixit hoc est corpus meum pro vobis ; hoc facite in meam commemorationem. » » et , rendant grâce, il rompit et dit : » ceci est mon corps pour vous, faites ceci en ma commémoration » . La traduction de ce texte de Paul en Français essaie de faire un compromis : « Ceci est mon corps qui est pour vous ». Dans le cas de ces traductions inexactes faites pour coller à certains objectifs théologiques, le « faites ceci » se comprend moins bien qu’en respectant le texte.
[16] Il est étonnant de voir que Paul ne dit pas qu’il le distribua et dit « mangez en tous » (ou, plus loin, qu’il ne dit pas qu’il fit passer la même coupe à tous). Deux explications : 1°) ou ceci était si connu qu’il juge inutile de le repréciser, le « ceci » représentant l’ensemble fraction+consommation commune 2°) ou ce n’est pas la consommation qui compte mais la fraction du pain et sa distribution, bien plus encore que la consommation . Il y a là à réfléchir. Tous et chacun se constituent en un seul « corps » qui vit à partir d’unités brisées pour les mettre en commun.
[17] Le terme anamnèse est différent de ce qui désigne la mémoire, mnèmè, ou le souvenir abstrait ou concret. Il s’agit ici du fait de se souvenir : que les disciples puissent se remémorer ce qui a fait vivre Jésus, ce qui les a fait vivre eux. Sait-il qu’il le fait spécialement parce qu’il sait qu’il va les quitter ? Peut-être, mais pas forcément. Ce souvenir, de toute façon, doit pouvoir être ré-ancré, revivifié, réactivé en pratiquant ce qui n’est pas un rite artificiel mais qui appartient à notre propre nature humaine : le partage du repas, sans rien de sacré. Rien dans tous ces mots n’implique une présence réelle « dans » le pain et le vin eux-mêmes bien entendu.
[18] Il est tout aussi étonnant de voir que Paul ne dit pas que Jésus la fit passer et dit « buvez en tous ». Deux explications : 1°) ou ceci était si connu qu’il juge inutile de le repréciser, le « ceci » représentant l’ensemble distribution par gorgées de la même coupe+consommation commune 2°) ou ce n’est pas la consommation qui compte mais le fait de se faire passer la coupe, bien plus encore que d’en prélever chacun une gorgée. Il y a là à réfléchir.
[19] Kainos ne veut pas dire jeune, mais « qui vient de se produire, récent, neuf, ( « du nouveau »), différent de ce qui s’était produit jusqu’ici, innové, innovant, révolutionnaire, inattendu, imprévu, étrange, extraordinaire…
[20] La ponctuation n’existe pas en grec à l’époque ( et pour longtemps ! ) mais la logique montre que le « chaque fois » porte sur « vous boirez en vue de … ». En effet, quand on boit pour étancher sa propre soif ou par plaisir, on boit sans partager… même si on est au même repas. Jésus leur dit que, quand ils voudront se le remémorer au cours d’un repas pris en assemblée, ils se partagent une coupe au lieu de boire chacun l’un à côté de l’autre sa propre coupe. Le « ceci » est le partage de la coupe qui est en train de circuler. « faites ceci chaque fois que vous boirez en vue de vous remémorer de moi. »
[21] « ajouté » car il est nécessaire de comparer les évangiles à ce sujet : dans l’ordre M 14,12-25 ; ensuite Matthieu, 26-29, puis Luc 22,26. Jean on le sait n’en parle pas et le remplace par le lavement des pieds et par d’autres paroles ailleurs ( par exemple 4,34).
[22] Ce « gar » signifie en effet : le verser 27 se présente donc comme une explication causale des versets
[23] quotienscumque enim manducabitis panem hunc et calicem bibetis mortem Domini adnuntiatis donec veniat ( v. 26)
[24] kataggelô : ce verbe aggelô est ici muni du préfixe kata. qui insiste habituellement sur une annonce signifie contre, du haut en bas, ou complètement : il signifie avec ce préfixe annoncer contre, intenter un procès à quelqu’un ; ( par exemple déclarer une guerre contre… ) ; dénoncer, quelque chose à quelqu’un . Les mots dérivés signifient qui annonce contre, qui proclame contre, qui déclare contre, qui dénonce, qui accuse. Le sens habituel de ce verbe ici est donc celui d’annoncer contre quelque chose, c’est-à-dire de dénoncer quelque chose qui ne plaît pas/plus ou avec lequel on n’est pas/plus d’accord, s’opposer ouvertement. Il signifie même souvent « annoncer la mort » à quelqu’un …
[25] 27 ὥστε ὃς ἂν ἐσθίῃ τὸν ἄρτον ἢ πίνῃ τὸ ποτήριον τοῦ κυρίου ἀναξίως, ἔνοχος ἔσται τοῦ σώματος καὶ τοῦ αἵματος τοῦ κυρίου. 28 δοκιμαζέτω δὲ ἄνθρωπος ἑαυτόν, καὶ οὕτως ἐκ τοῦ ἄρτου ἐσθιέτω καὶ ἐκ τοῦ ποτηρίου πινέτω· (v. 28)
[26] Notons aussi au passage que Paul ne fait pas allusion ici à un « sacrifice » à la manière de certains textes du Premier testament ou du monde polythéiste.
[27] L’article défini manque.
Querida Amazonia… et réflexion sur le cléricalisme, par Jean-Luc Lecat (2020-02-24)
Au cœur d’un très beau texte sur l’Amazonie, plein d’ouvertures, de respect, d’attentions aux plus démunis et de volonté d’inculturation… le triomphe du cléricalisme !
Le célibat des prêtres n’est pas entamé, l’ordination d’hommes mariés n’est pas concevable, les clercs restent au pouvoir et l’ordination des femmes serait inconvenante, cela les « cléricaliserait » et « provoquerait un subtil appauvrissement de leur apport indispensable » (& 100) ! Et c’est le « prêtre suprême » qui le décrète. Les apparences sont sauves, François a évité le schisme, la haute diplomatie est couronnée de succès. L’aile conservatrice de l’Eglise peut se vanter d’avoir remporté le match…
À moins que… à moins que… le document de travail élaboré avec les évêques lors du Synode de l’Amazonie ne permette des chemins de traverse, des inventions loin des censeurs rigoristes de la curie et des discours doctrinaires…
Mais cela c’est une autre histoire qui, peut-être, va s’écrire dans le secret des forêts équatoriales…
Il n’en reste pas moins que le prêtre reste le pivot, indiscutė et indiscutable, de tout le renouvellement et de la reconquête proposés, même si les laïcs sont omniprésents et très sollicités
Aucune ouverture n’est faite pour reconnaître et dénoncer le sacerdoce ministériel comme la racine absolue du cléricalisme contre lequel François a déclaré en août 2018 une guerre sans merci. Et pourtant, ici, pour François, il s’agit de« …déterminer ce qui est spécifique au prêtre, ce qui ne peut pas être délégué. La réponse se trouve dans le sacrement de l’Ordre sacré qui le configure au Christ prêtre. Et la première conclusion est que ce caractère exclusif reçu dans l’Ordre le rend capable, seulement lui, de présider l’Eucharistie.[125] C’est sa fonction spécifique principale et qui ne peut être déléguée. »(& 87) Tout est dit et… redit catégoriquement !
Tant que les prêtres ne dénonceront pas ce pouvoir sacré qui leur est attribué à l’exclusion des autres baptisés , le problème de l’institution ecclésiale au 21e siècle, en Amazonie comme dans le reste du monde, restera entier : la vraie question n’est pas « mariés ou non », mais d’inventer, pour notre temps, cette vie de l’Eglise.
Certains hommes « retiennent jalousement ce rang qui les égale à Dieu », contrairement à Jésus « qui n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » ( Philippiens, chap. 2, verset 6) ! Sans doute remettent-ils souvent en cause leur façon de vivre ou d’exercer leur ministère, mais n’osent pas remettre en question leur statut même de détenteur d’un pouvoir sacré, dans ce qu’ils pensent être leur « supplément d’être », le sacrement de l’Ordre.
Je reçois ce texte un peu comme nous avions reçu « Humanae vitae » sur le contrôle des naissances : Paul VI n’avait pas osé ouvrir les portes à une façon contemporaine de regarder cette question, et cela a été le début d’une désaffection très grande pour la parole de l’Église, et le déclencheur de multiples départs fracassants ou… sur la pointe des pieds, mais radicaux ! .
« Querida Amazonia », me semble manifester le même manque d’audace pour regarder la situation en face et accepter une remise en cause radicale de l’Eglise et de son sacerdoce ministériel. Cette prise de position de François ne risque-t-elle pas d’entraîner un rejet désespéré, et définitif, de cette Eglise et de son pouvoir clérical ?
Qu’est-ce que cette Église, gérée par des clercs, qui ne croit qu’à sa façon de voir et n’accepte pas de se laisser remettre en question par les interpellations de ses fidèles eux-mêmes, comme par les questionnements du monde dans lequel elle vit ?
La curie, le courant traditionnel, les théologiens sont-ils tellement menaçants et puissants au point d’empêcher une réelle remise en cause profonde de la structure ?
Faut-il quitter l’Eglise pour pouvoir la réformer ? Jusques à quand devra-t-on se contenter de discours lénifiants et louangeurs sur l’action indispensable des laïcs, hommes et femmes, qui sembleraient les seuls sauveurs possibles de cette Eglise cléricale, …à condition d’être dans les clous ! ?…
Combien de temps faudra-t-il pour reconnaître qu’il y a ni clercs ni laïcs, (*) mais seulement des baptisés, tous à égalité, hommes et témoins et porteurs de la Bonne Nouvelle de Vie pour tous les humains ?
Jean-Luc Lecat – 16 février 2020
(*) cf un chapitre très fort intitulé « Ni clerc, ni laïc » de José Arregi, dans « Eclats d’humanité » Ed. Temps Présent, p. 13 à 16
NB – Une précision par rapport au texte ci-dessus
Je ne cherche pas à juger le pape François et de quel droit le ferais-je ! Je trouve qu’il publie un texte plein de richesses et de pistes sur l’Amazonie.
Ici je me situe au niveau du cléricalisme que représente la prise de position de François sur le prêtre.
Je me réfère ici au système que le pape consolide en donnant une définition du prêtre qu’il dit » configuré au Christ Tête « , et auquel est reconnu par l’Eglise un pouvoir particulier par rapport aux autres baptisés.
C’est sur ce point que se place ma réflexion et je reconnais que je m’attaque à une montagne !
Mais, à mon avis, c’est une question fondamentale à laquelle nous devons accepter de nous confronter, si douloureux et difficile que cela puisse être.
Le fond du problème de l’Eglise actuelle n ‘est pas, selon moi, le mariage ou le célibat des clercs, l’ordination des femmes… Je crois que le fond du problème, la racine du cléricalisme que François lui-même nous a demandé de contester en août 2018, est lié au statut même d’hommes ordonnés , c’est la place attribuée aux prêtres dans l’Église catholique, le « pouvoir sacré » qui leur est reconnu.
Même si cela s’enracine dans une longue histoire de la théologie, c’est sur ce point fondamental qu’il faut, me semble-t-il, que le peuple entier des baptisés ait le courage de se pencher.
Jean-Luc Lecat 24 /02/2020
Une cape contre le chaos ?
Par Filjak.
Elle est auteure de polars nuageux, ancienne chercheuse au CNRS, spécialiste de la peste au Moyen Âge. Elle s’appelle Frédérique Audoin-Rouzeau, plus connue sous le nom de plume de Fred Vargas. En 2008, elle était l’invitée de Jean-Noël Jeanneney dans Concordance des temps. L’émission, que France Culture vient de rediffuser, est passionnante sur l’histoire de la maladie contagieuse par excellence, et permet de remettre en perspective historique la pandémie actuelle de Covid-19, la maladie causée par le coronavirus.
En 2008, la peur était celle d’un passage du virus de la grippe aviaire à l’être humain, pour une redite de la grippe espagnole de 1918. Contamination par les postillons, par les mains souillées portées à la bouche ou au nez, engorgement des services de santé, hécatombe: le coronavirus n’est pas le H5-N1, mais sur les conséquences, mondiales, on y est. Ne manque que le chaos, celui qu’on a observé lors des épidémies de peste, quand la mort omniprésente et le rejet de la culpabilité poussaient les survivants à jouir à tout prix avant qu’il ne soit trop tard. À emmurer vivants les malades aussi, jusqu’à ce que la fatalité s’occupe de leur régler leur sort. À trouver des boucs émissaires. C’est cette dissolution régression de l’humanité et du lien social que Fred Vargas redoutait, exhortant les pouvoirs publics à s’y préparer.
L’écrivaine-chercheuse avait, pour combattre cela en permettant à tous, et sans de gros moyens, la poursuite d’une activité à peu près normale, imaginé une cape antivirus en plastique transparent, facile à fabriquer, et qui ressemblerait un peu à une combinaison d’apiculteur. Plus protectrice que les masques, et réutilisable, elle. Fred Vargas s’était inspirée de la tenue des médecins de l’époque, et du fait, aussi, que les cavaliers qui s’enveloppaient de la couverture de leur cheval étaient épargnés, la puce du rat, vectrice du bacille fatal, n’aimant pas les équidés.
Ce projet de cape avait fait l’objet de quelques articles à l’époque (Libération, Revue médicale suisse), ainsi que de tests très officiels. Manifestement, sans lendemain.
L’efficacité de cette protection reposait sur la durée de survie limitée du virus de la grippe hors de tout hôte : quatre heures. Il semble hélas que la durée de survie du Covid-19 soit bien plus longue. Mais l’idée de Frédérique Audoin-Rouzeau ne vaut-elle pas le coup d’être réexaminée? Le 10 mars – il y a une éternité –, Naomi Campbell-la-germophobe faisait ricaner avec sa tenue anti-coronavirus. Aujourd’hui, c’est un cinquième un tiers (mis à jour après une semaine qui a vu s’accélérer la mondialisation confinaire) de la planète qui est sous cloche, chacun chez soi.
MÀJ post-confinement. Les masques sont certes moins protecteurs, sans doute, qu’une combinaison, mais c’est tout ce qu’on a pour pouvoir évoluer dans l’espace public sans contaminer les autres. Ils sont enfin disponibles à la vente, et même si ce n’est pas le cas, on peut s’en fabriquer soi-même, sans même savoir coudre ! Alors, pour éviter une seconde vague, et l’instauration de mesures drastiques… à vos masques !
Filjak.

L’appel à être vrai : Parution d’un livre sur Marcel Légaut par Jacques Musset, 2020
.( ci-dessous un lien pour l’acquérir )
Présentation du livre : « L’appel à être vrai » (quatrième de couverture).
« De tous les êtres qui m’ont marqué spirituellement, c’est Marcel Légaut qui m’a ngendré le plus à ce que je suis devenu et à ce que je deviens sans cesse.
J’aime chez Légaut sa manière d’être humain : sa liberté de pensée, son inlassable préoccupation de vivre vrai afin de penser juste, sa recherche constante de cohérence entre le dire et le faire, son esprit critique toujours en éveil pour dépister les facilités, les alibis, les perversions, les fausses évidences !
Simultanément, j’ai toujours aimé aussi chez lui son attention fraternelle aux êtres et son respect de leurs cheminements.
J’aime aussi sa manière d’être chrétien : courir l’aventure du devenir soi en se laissant inspirer par l’esprit qui animait Jésus dans ses engagements au nom de son Dieu.
Enfin, j’aime son approche originale du mystère de Dieu. Dieu n’est plus une évidence. Les conceptions traditionnelles ne sont plus croyables. Pour lui, tout est à reconstruire à partir de l’expérience d’humanisation que l’homme fait de sa propre existence. C’est à ses yeux le seul terrain solide à partir duquel se poser sérieusement la question de Dieu.
Est-ce à dire que le cheminement humain de Légaut n’ait rien à apprendre à ceux qui ne partagent pas sa foi chrétienne ?
Pas du tout. L’exigence avec laquelle il s’est efforcé de prendre en main son existence d’une manière responsable et cohérente est une voie dont peuvent s’inspirer tout homme et toute femme qui aspirent à vivre vrai, à ne pas tricher avec eux-mêmes.
C’est le socle de toute démarche d’humanisation. »
p Jacques Musset
Jacques Musset a été successivement aumônier de lycée, animateur de groupes bibliques, formateur à l’accompagnement des malades en milieu hospitalier.
Il a écrit plusieurs livres sur l’aventure spirituelle.
Coût 16 euros. ( 14 euros en souscription jusqu’au 20 mars) .
Editions Golias.
Cliquez sur le lien afin de pouvoir l’acquérir
2020-03-18 Souscription à un livre sur Marcel Légaut Vivre vrai