Synodalité de guérison et de prévention : un chemin qui suit l’Evangile ( 2020-03)

                                                  

par Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2020-03)

Pour sortir des abus dans l’Eglise au Chili, le pape François propose un chemin dans sa  « Lettre de François  aux catholiques chiliens ».

Mais il prend soin d’indiquer que ce chemin devrait être celui pour remédier à toutes sortes d’abus… Nous pouvons donc lire cette lettre, et en tirer du fruit pour nous-même aussi.

I Synodal et Synodalité

Il décrit un chemin en détail mais le terme global qui peut caractériser le processus de guérison comme de prévention, tient en un mot, synodal,    qu’il emploie par deux fois : dans l’introduction (1°) et dans sa phrase de conclusion ( 2°), c’est dire l’importance pour lui de la synodalité.

Un terme qui, nous le savons désormais, sera au cœur du synode de 2022 qui concernera précisément la synodalité.

Voici les deux phrases :

1°) je voudrais également dire à chacun de vous en particulier : « La Sainte Mère Église attend de vous aujourd’hui que vous l’interpelliez. Et ensuite (…) l’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : “cela me plaît, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ça ne va pas”… Dites-nous ce que vous sentez, ce que vous pensez »[1]. Ceci nous permet à tous de nous impliquer dans une Église dont la démarche synodale sait mettre Jésus au centre.

Au sein du Peuple de Dieu, il n’y a pas de chrétiens de première, deuxième ou troisième catégories.

2°) Je reconnais et apprécie votre exemple courageux et constant car dans les moments de turbulence, de honte et de douleur, vous continuez d’avancer dans la joie de l’Évangile.

Je les appelle à avancer, poussés par l’Esprit, à la recherche d’une Église chaque jour plus synodale, prophétique et pleine d’espoir, moins abusive parce qu’elle sait mettre Jésus au centre, en celui qui a faim, en le prisonnier, le migrant et l’abusé.

II  Nous transcrivons ci-dessous  les passages de cette Lettre qui ont une valeur générale, à titre de document de travail.

( Rappel : texte intégral  de la  « Lettre de François  aux catholiques chiliens »  ci-dessous)

… chercher avec eux des chemins de vérité et de vie à court, à moyen et à long terme, face à une plaie ouverte, douloureuse et complexe qui ne cesse de saigner depuis longtemps

Je les ai invités à regarder où le Saint-Esprit nous conduit, puisque « fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu »[2]

C’est avec joie et espérance que j’ai reçu la nouvelle qu’il y avait beaucoup de communautés, de villes et de chapelles où le peuple de Dieu priait, surtout pendant les jours où nous rencontrions les évêques. Le Peuple de Dieu implore à genoux le don du Saint-Esprit pour trouver la lumière au sein d’une Église blessée par son péché, pour implorer miséricorde, et pour qu’elle devienne prophétique jour après jour de par sa vocation[3]. Nous savons que la prière n’est jamais vaine et qu’« dans l’obscurité commence toujours à germer quelque chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit »[4]

le statut du Peuple de Dieu qui « est la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint »[5]. Le saint peuple fidèle de Dieu est oint de la grâce du Saint-Esprit ; par conséquent, lorsqu’il s’agit de réfléchir, de penser, d’évaluer, de discerner, nous devons être très attentifs à cette onction. Chaque fois qu’en tant qu’Église, que pasteurs, que personnes consacrées, nous avons oublié cette certitude, nous perdons notre chemin. Chaque fois que nous essayons de supplanter, de réduire au silence, de nier, d’ignorer ou de réduire à de petites élites le Peuple de Dieu dans sa totalité et ses différences, nous construisons des communautés, des plans pastoraux, des théologies appuyées, des spiritualités, des structures sans racines, sans histoire, sans visages, sans mémoire, sans corps, bref, sans vie. Nous désunir de la vie du Peuple de Dieu, nous précipite dans la désolation et dans la perversion de la nature ecclésiale ; la lutte contre une culture d’abus nécessite de renouveler cette certitude.

je voudrais également dire à chacun de vous en particulier : « La Sainte Mère Église attend de vous aujourd’hui que vous l’interpelliez. Et ensuite (…) l’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : “cela me plaît, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ça ne va pas”… Dites-nous ce que vous sentez, ce que vous pensez »[6]. Ceci nous permet à tous de nous impliquer dans une Église dont la démarche synodale sait mettre Jésus au centre.

Au sein du Peuple de Dieu, il n’y a pas de chrétiens de première, deuxième ou troisième catégories. Votre participation active ne se résume pas à une concession que vous faites volontairement, mais elle est constitutive de la nature ecclésiale. Il est impossible d’imaginer le futur sans cette onction qui opère en chacun de vous et qui réclame et exige certainement de nouvelles formes de participation. J’exhorte tous les chrétiens à ne pas avoir peur d’être les protagonistes de la transformation revendiquée aujourd’hui, à impulser et à promouvoir des alternatives créatives dans la recherche quotidienne d’une Église qui veut chaque jour mettre « L’important » [7]  au centre. J’invite toutes les organisations diocésaines, quelle que soit leur région, à chercher consciemment et lucidement des espaces de communion et de participation pour que l’onction du Peuple de Dieu puisse trouver des médiations concrètes pour se manifester.

Le renouvellement de la hiérarchie ecclésiale par elle-même ne génère pas la transformation à laquelle le Saint-Esprit nous pousse. Nous sommes tenus de promouvoir conjointement une transformation ecclésiale qui nous concerne tous.

Une Église prophétique et par conséquent pleine d’espérance, exigera de tous une mystique des yeux ouverts[8], interrogative et non engourdie[9]. Ne vous laissez pas dépouiller de l’onction de l’Esprit.

« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit »[10]. C’est ainsi que Jésus répondit à Nicodème quand ce dernier l’a interpellé sur la possibilité de naître à nouveau pour pouvoir entrer dans le royaume des cieux.

En ce moment, à la lumière de ce passage, il est bon pour nous de revoir notre histoire personnelle et communautaire : le Saint-Esprit souffle où il veut et comme il veut dans le seul but de nous aider à renaître. Loin de nous enfermer dans des schémas, des modalités, des structures fixes ou obsolètes, loin de démissionner ou « de baisser sa garde » face aux événements, l’Esprit Saint est continuellement en mouvement pour élargir sans cesse les yeux étroits, pour redonner le rêve à ceux qui ont perdu espérance[11], pour faire justice dans la vérité et dans la charité, pour purifier du péché et de la corruption et pour inviter en permanence à une nécessaire conversion. Sans ce regard de foi, tout ce que nous pouvons dire et faire tomberait dans l’oreille d’un sourd. Cette certitude est essentielle pour regarder le présent, sans faux-fuyants mais avec détermination, avec courage, mais aussi avec sagesse, avec ténacité mais sans violence, avec passion mais sans fanatisme, avec de la persévérance mais sans inquiétude. Cette certitude est essentielle pour changer ainsi tout ce qui menace aujourd’hui l’intégrité et la dignité de toute personne ; car les solutions qui s’imposent doivent faire face aux problèmes sans se laisser prendre au piège ou, ce qui serait pire, sans perpétuer les mêmes mécanismes que nous voulons éliminer[12]. Aujourd’hui, nous sommes mis au défi d’affronter, d’assumer et de souffrir le conflit, de pouvoir ainsi le résoudre et le transformer en un nouveau départ[13].

l’effort et à la persévérance de gens concrets qui, malgré le manque d’espoir ou de confiance, n’ont cessé inlassablement de rechercher la vérité ; je parle des victimes d’abus sexuels, de pouvoir, d’autorité et de ceux qui les ont crus et accompagnés.

La culture de l’abus et de la dissimulation est incompatible avec la logique de l’Évangile puisque le salut offert par le Christ est toujours une offre, un don qui réclame et exige la liberté. Laver les pieds des disciples c’est la manière avec laquelle le Christ nous montre le visage de Dieu. Ce n’est jamais par la contrainte ou l’obligation mais par le service. Soyons clairs, tout ce qui tente de contrer la liberté et l’intégrité des gens est anti-évangélique. Par conséquent, il est également nécessaire de générer des processus de foi où l’on apprend à savoir quand il faut douter et quand il ne faut pas. « La doctrine, ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci, “n’est pas un système clos, privé de dynamiques capables d’engendrer des questions, des doutes, des interrogations”, et “les questions de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation” (…) »[14] . J’invite tous les centres de formation religieuse, les facultés de théologie, les écoles, les collèges, les séminaires, les maisons de formation et de spiritualité, à promouvoir une réflexion théologique qui serait capable d’être à la hauteur des temps présents, à promouvoir une foi mature, adulte et qui assume l’« humus » vital du Peuple de Dieu avec ses idées et ses préoccupations. Je les invite à promouvoir ainsi des communautés capables de lutter contre les situations d’abus, des communautés où l’échange, la discussion et la confrontation sont les bienvenus[15]. Nous serons fructueux dans la mesure où nous rendons autonomes les communautés ouvertes de l’intérieur ; nous libérons ainsi des pensées fermées et auto-référentielles pleines de promesses et de mirages qui promettent la vie mais qui favorisent finalement la culture de l’abus.

Je voudrais faire une brève référence à la pastorale populaire qui existe dans un grand nombre de vos communautés et qui est un trésor inestimable et authentique où on apprend à écouter le cœur de notre peuple et dans le même acte le cœur de Dieu. Durant mon expérience de pasteur, j’ai appris à découvrir que la pastorale populaire est l’un des rares endroits où le peuple de Dieu est souverain de l’influence du cléricalisme qui cherche toujours à contrôler et à bloquer l’onction de Dieu sur son peuple. Apprendre de la piété populaire, c’est apprendre à entrer dans un nouveau type de relation, d’écoute et de spiritualité qui demande beaucoup de respect et ne se prête pas à des lectures rapides et simplistes, car la piété populaire « reflète une soif de Dieu que seuls les pauvres et les simples peuvent connaître »[16].

Être une « Église en marche » c’est également se laisser aider et interpeler[17]. N’oublions pas que « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit »[18].

je pense nécessaire de vous partager ma joie et mon espoir d’avoir pu confirmer durant le dialogue que nous avons eu, votre reconnaissance à des personnes que j’aime appeler les « saints de la porte d’à côté »[19]. Ce serait injuste qu’en plus de notre douleur et notre embarras face à ces structures d’abus et de dissimulation qui se sont perpétuées et face à tant de mal qu’ils ont fait, nous ne reconnaissions pas les nombreux fidèles laïcs, consacrés et consacrées, prêtres et évêques qui donnent leur vie par amour dans les zones les plus reculées de la terre chilienne bien-aimée. Tous ceux-là sont des chrétiens qui savent pleurer avec les autres, qui cherchent la justice dans la faim et la soif, qui regardent et agissent avec miséricorde[20]  ; ce sont des chrétiens qui essaient chaque jour d’éclairer leur vie à la lumière du protocole[21]  avec lequel nous serons jugés : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi »[22].

Je reconnais et apprécie votre exemple courageux et constant car dans les moments de turbulence, de honte et de douleur, vous continuez d’avancer dans la joie de l’Évangile.

Je les appelle à avancer, poussés par l’Esprit, à la recherche d’une Église chaque jour plus synodale, prophétique et pleine d’espoir, moins abusive parce qu’elle sait mettre Jésus au centre, en celui qui a faim, en le prisonnier, le migrant et l’abusé.

François
Vatican, le 31 mai 2018, Fête de la Visitation de Notre-Dame

Traduction française de Kinda Elias pour La DC. Titre de La DC.

Choix et commentaire par Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2020-03)

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III  Texte intégral  :

Chers frères et sœurs,

Le 8 avril dernier, j’ai convoqué mes frères évêques à Rome pour chercher avec eux des chemins de vérité et de vie à court, à moyen et à long terme, face à une plaie ouverte, douloureuse et complexe qui ne cesse de saigner depuis longtemps (1). Je leur ai suggéré qu’ils invitent tout le saint peuple de Dieu à se mettre en état de prière afin que le Saint-Esprit nous donne la force de ne pas tomber dans la tentation de nous enliser dans des propos dépourvus de sens, dans des diagnostics sophistiqués ou en de vains gestes, qui ne nous permettraient pas d’avoir le courage nécessaire pour faire face à la douleur causée, au visage des victimes et à l’ampleur des événements. Je les ai invités à regarder où le Saint-Esprit nous conduit, puisque « fermer les yeux sur son prochain rend aveugle aussi devant Dieu » (2).

C’est avec joie et espérance que j’ai reçu la nouvelle qu’il y avait beaucoup de communautés, de villes et de chapelles où le peuple de Dieu priait, surtout pendant les jours où nous rencontrions les évêques. Le Peuple de Dieu implore à genoux le don du Saint-Esprit pour trouver la lumière au sein d’une Église blessée par son péché, pour implorer miséricorde, et pour qu’elle devienne prophétique jour après jour de par sa vocation (3). Nous savons que la prière n’est jamais vaine et qu’« dans l’obscurité commence toujours à germer quelque chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit » (4).

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La lettre du pape François aux catholiques chiliens

  1. Faire appel à vous, vous demander de prier n’était pas un recours fonctionnel usuel, ni un simple geste de bonne volonté. Au contraire, je voulais placer les choses à leur place, précise et précieuse, et situer le problème là où il doit être : le statut du Peuple de Dieu qui « est la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint» (5). Le saint peuple fidèle de Dieu est oint de la grâce du Saint-Esprit ; par conséquent, lorsqu’il s’agit de réfléchir, de penser, d’évaluer, de discerner, nous devons être très attentifs à cette onction. Chaque fois qu’en tant qu’Église, que pasteurs, que personnes consacrées, nous avons oublié cette certitude, nous perdons notre chemin. Chaque fois que nous essayons de supplanter, de réduire au silence, de nier, d’ignorer ou de réduire à de petites élites le Peuple de Dieu dans sa totalité et ses différences, nous construisons des communautés, des plans pastoraux, des théologies appuyées, des spiritualités, des structures sans racines, sans histoire, sans visages, sans mémoire, sans corps, bref, sans vie. Nous désunir de la vie du Peuple de Dieu, nous précipite dans la désolation et dans la perversion de la nature ecclésiale ; la lutte contre une culture d’abus nécessite de renouveler cette certitude.

Comme je l’ai dit aux jeunes de Maipu, je voudrais également dire à chacun de vous en particulier : « La Sainte Mère Église attend de vous aujourd’hui que vous l’interpelliez. Et ensuite (…) l’Église a besoin que vous passiez votre permis d’adulte, spirituellement adultes, et que vous ayez le courage de nous dire : “cela me plaît, ce chemin me semble être celui à emprunter, cela ça ne va pas”… Dites-nous ce que vous sentez, ce que vous pensez » (6). Ceci nous permet à tous de nous impliquer dans une Église dont la démarche synodale sait mettre Jésus au centre.

Au sein du Peuple de Dieu, il n’y a pas de chrétiens de première, deuxième ou troisième catégories. Votre participation active ne se résume pas à une concession que vous faites volontairement, mais elle est constitutive de la nature ecclésiale. Il est impossible d’imaginer le futur sans cette onction qui opère en chacun de vous et qui réclame et exige certainement de nouvelles formes de participation. J’exhorte tous les chrétiens à ne pas avoir peur d’être les protagonistes de la transformation revendiquée aujourd’hui, à impulser et à promouvoir des alternatives créatives dans la recherche quotidienne d’une Église qui veut chaque jour mettre « L’important » (7) au centre. J’invite toutes les organisations diocésaines, quelle que soit leur région, à chercher consciemment et lucidement des espaces de communion et de participation pour que l’onction du Peuple de Dieu puisse trouver des médiations concrètes pour se manifester.

Le renouvellement de la hiérarchie ecclésiale par elle-même ne génère pas la transformation à laquelle le Saint-Esprit nous pousse. Nous sommes tenus de promouvoir conjointement une transformation ecclésiale qui nous concerne tous.

Une Église prophétique et par conséquent pleine d’espérance, exigera de tous une mystique des yeux ouverts (8), interrogative et non engourdie (9). Ne vous laissez pas dépouiller de l’onction de l’Esprit.

  1. « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit » (10). C’est ainsi que Jésus répondit à Nicodème quand ce dernier l’a interpellé sur la possibilité de naître à nouveau pour pouvoir entrer dans le royaume des cieux.

En ce moment, à la lumière de ce passage, il est bon pour nous de revoir notre histoire personnelle et communautaire : le Saint-Esprit souffle où il veut et comme il veut dans le seul but de nous aider à renaître. Loin de nous enfermer dans des schémas, des modalités, des structures fixes ou obsolètes, loin de démissionner ou « de baisser sa garde » face aux événements, l’Esprit Saint est continuellement en mouvement pour élargir sans cesse les yeux étroits, pour redonner le rêve à ceux qui ont perdu espérance (11), pour faire justice dans la vérité et dans la charité, pour purifier du péché et de la corruption et pour inviter en permanence à une nécessaire conversion. Sans ce regard de foi, tout ce que nous pouvons dire et faire tomberait dans l’oreille d’un sourd. Cette certitude est essentielle pour regarder le présent, sans faux-fuyants mais avec détermination, avec courage, mais aussi avec sagesse, avec ténacité mais sans violence, avec passion mais sans fanatisme, avec de la persévérance mais sans inquiétude. Cette certitude est essentielle pour changer ainsi tout ce qui menace aujourd’hui l’intégrité et la dignité de toute personne ; car les solutions qui s’imposent doivent faire face aux problèmes sans se laisser prendre au piège ou, ce qui serait pire, sans perpétuer les mêmes mécanismes que nous voulons éliminer (12). Aujourd’hui, nous sommes mis au défi d’affronter, d’assumer et de souffrir le conflit, de pouvoir ainsi le résoudre et le transformer en un nouveau départ (13).

  1. En premier lieu, il serait injuste d’attribuer ce processus uniquement aux derniers événements vécus. L’ensemble du processus de révision et de purification que nous sommes en train de vivre est possible grâce à l’effort et à la persévérance de gens concrets qui, malgré le manque d’espoir ou de confiance, n’ont cessé inlassablement de rechercher la vérité ; je parle des victimes d’abus sexuels, de pouvoir, d’autorité et de ceux qui les ont crus et accompagnés. Des victimes dont la clameur a atteint le ciel (14). Je voudrais, encore une fois, remercier publiquement le courage et la persévérance de tous.

Ce temps est un temps pour l’écoute et le discernement afin d’atteindre les racines qui ont permis à ces atrocités de se produire et de se perpétuer, et pour enfin trouver des solutions au scandale des abus, non avec une simple stratégie de confinement et de contention – essentielle, mais insuffisante – mais avec toutes les mesures nécessaires pour prendre en charge le problème dans sa complexité.

En ce sens, je voudrais m’attarder sur le mot « écouter », car discerner veut dire apprendre à écouter ce que l’Esprit veut nous dire. Et nous ne pouvons le faire que si nous sommes capables d’écouter la réalité de ce qui se passe (15).

Je crois que c’est là l’un de nos principaux défauts et omissions : ne pas savoir écouter les victimes. Ainsi, on a tiré des conclusions partielles qui manquaient d’éléments cruciaux pour un discernement sain et clair. Avec honte je dois dire que nous n’avons pas su entendre et réagir à temps.

La visite de Mgr Scicluna et de Mgr Bertomeu est née de notre constatation qu’il y avait des situations que nous n’avions pas su voir ni entendre. En tant qu’Église, nous ne pouvions continuer à marcher en ignorant la souffrance de nos frères. Après avoir lu le rapport, j’ai voulu rencontrer certaines victimes d’abus sexuels, de pouvoir et de conscience, pour les écouter et leur demander pardon pour nos péchés et nos omissions.

  1. Dans ces réunions, j’ai constaté comment le manque de reconnaissance d’écoute de leurs histoires, ainsi que le manque de reconnaissance d’acceptation des erreurs et omissions tout au long du processus, nous avaient empêchés d’avancer. Une reconnaissance qui se veut plus qu’une expression de bonne volonté envers les victimes, elle se veut plutôt une nouvelle façon de s’arrêter devant la vie, devant les autres et devant Dieu. L’espoir dans un lendemain meilleur et la confiance en la Providence sont nés et croissent pour nous pousser à « assumer la fragilité, les limites que nous impose le péché afin de nous aider à aller de l’avant» (16). Un « plus jamais » à la culture de l’abus et au système de camouflage qui a permis à cette dernière de se perpétuer, nécessite de travailler les uns avec les autres pour créer une culture d’attention aux autres qui imprègne nos manières d’établir des relations, de prier, de penser, de vivre l’autorité, ainsi que nos coutumes, nos langues et notre relation au pouvoir et à l’argent. Nous savons aujourd’hui que le meilleur moyen de faire face à la douleur causée c’est de s’engager dans une conversion personnelle, communautaire et sociale qui nous apprend à écouter et surtout à prendre soin des plus vulnérables. Il est donc urgent de créer des espaces où la culture de l’abus et de la dissimulation ne soit pas le schéma dominant ; où une attitude critique et interrogative ne soit pas assimilée à la trahison. Cela doit nous inciter, en tant qu’Église, à rechercher humblement tous les acteurs qui façonnent la réalité sociale et à promouvoir des instances de dialogue et de confrontation constructive afin d’évoluer vers une culture d’attention et de protection.

Appréhender cette société uniquement à partir – ou avec – nos forces et nos outils, nous encerclera dans une dynamique volontariste dangereuse qui périrait à court terme (17). Nous devons aider et générer une société où la culture de la violence ne trouve pas de place pour se perpétuer. J’exhorte tous les chrétiens, en particulier les responsables des centres de formation et d’éducation tertiaires (18), des centres formels et informels d’éducation à la santé, des instituts de formation et les universités à mettre en commun leurs forces et ressources dans les diocèses et à impliquer toute la société civile, dans la promotion de manière lucide et stratégique, d’une culture d’attention et de protection. Que chacun de ces espaces promeuve une nouvelle mentalité.

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La lettre du pape François aux catholiques chiliens

  1. La culture de l’abus et de la dissimulation est incompatible avec la logique de l’Évangile puisque le salut offert par le Christ est toujours une offre, un don qui réclame et exige la liberté. Laver les pieds des disciples c’est la manière avec laquelle le Christ nous montre le visage de Dieu. Ce n’est jamais par la contrainte ou l’obligation mais par le service. Soyons clairs, tout ce qui tente de contrer la liberté et l’intégrité des gens est anti-évangélique. Par conséquent, il est également nécessaire de générer des processus de foi où l’on apprend à savoir quand il faut douter et quand il ne faut pas. « La doctrine, ou mieux, notre compréhension et expression de celle-ci, “n’est pas un système clos, privé de dynamiques capables d’engendrer des questions, des doutes, des interrogations”, et “les questions de notre peuple, ses angoisses, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations, possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation” (…) » (19). J’invite tous les centres de formation religieuse, les facultés de théologie, les écoles, les collèges, les séminaires, les maisons de formation et de spiritualité, à promouvoir une réflexion théologique qui serait capable d’être à la hauteur des temps présents, à promouvoir une foi mature, adulte et qui assume l’« humus » vital du Peuple de Dieu avec ses idées et ses préoccupations. Je les invite à promouvoir ainsi des communautés capables de lutter contre les situations d’abus, des communautés où l’échange, la discussion et la confrontation sont les bienvenus (20). Nous serons fructueux dans la mesure où nous rendons autonomes les communautés ouvertes de l’intérieur ; nous libérons ainsi des pensées fermées et auto-référentielles pleines de promesses et de mirages qui promettent la vie mais qui favorisent finalement la culture de l’abus.

Je voudrais faire une brève référence à la pastorale populaire qui existe dans un grand nombre de vos communautés et qui est un trésor inestimable et authentique où on apprend à écouter le cœur de notre peuple et dans le même acte le cœur de Dieu. Durant mon expérience de pasteur, j’ai appris à découvrir que la pastorale populaire est l’un des rares endroits où le peuple de Dieu est souverain de l’influence du cléricalisme qui cherche toujours à contrôler et à bloquer l’onction de Dieu sur son peuple. Apprendre de la piété populaire, c’est apprendre à entrer dans un nouveau type de relation, d’écoute et de spiritualité qui demande beaucoup de respect et ne se prête pas à des lectures rapides et simplistes, car la piété populaire « reflète une soif de Dieu que seuls les pauvres et les simples peuvent connaître » (21).

Être une « Église en marche » c’est également se laisser aider et interpeler (22). N’oublions pas que « Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit » (23).

  1. Comme je vous l’ai dit, lors des rencontres avec les victimes, j’ai pu constater que le manque de reconnaissance nous empêche d’avancer. C’est pourquoi je pense nécessaire de vous partager ma joie et mon espoir d’avoir pu confirmer durant le dialogue que nous avons eu, votre reconnaissance à des personnes que j’aime appeler les « saints de la porte d’à côté» (24). Ce serait injuste qu’en plus de notre douleur et notre embarras face à ces structures d’abus et de dissimulation qui se sont perpétuées et face à tant de mal qu’ils ont fait, nous ne reconnaissions pas les nombreux fidèles laïcs, consacrés et consacrées, prêtres et évêques qui donnent leur vie par amour dans les zones les plus reculées de la terre chilienne bien-aimée. Tous ceux-là sont des chrétiens qui savent pleurer avec les autres, qui cherchent la justice dans la faim et la soif, qui regardent et agissent avec miséricorde (25) ; ce sont des chrétiens qui essaient chaque jour d’éclairer leur vie à la lumière du protocole (26) avec lequel nous serons jugés : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi » (27).

Je reconnais et apprécie votre exemple courageux et constant car dans les moments de turbulence, de honte et de douleur, vous continuez d’avancer dans la joie de l’Évangile. Ce témoignage me fait beaucoup de bien à moi et me soutient dans mon propre désir de surmonter l’égoïsme et de me donner encore plus (28). Afin de réduire l’importance et la gravité du mal causé et de rechercher les racines des problèmes, nous sommes également engagés à reconnaître la force agissante et active de l’Esprit dans tant de vies. Sans ce regard, nous resterions à mi-chemin et nous pourrions entrer dans une logique qui, loin de chercher à améliorer le bien et à réparer le mal, biaiserait la réalité et nous ferait tomber dans une grave injustice.

Accepter les coups, ainsi que les limites personnelles et communautaires, loin d’être une action de plus, devient le point de départ de tout un processus authentique de conversion et de transformation. N’oublions jamais que Jésus-Christ ressuscité se présente aux siens avec ses blessures. Plus précisément, c’est grâce à ses blessures que Thomas a pu confesser la foi. Nous sommes invités à ne pas déguiser, masquer ou cacher nos plaies.

Une Église blessée est capable de comprendre et d’être émue par les blessures du monde d’aujourd’hui, de se les approprier, d’en souffrir, de les accompagner et de chercher à les guérir. Une Église avec des plaies ne se met pas au centre, ne se croit pas parfaite, ne cherche pas à couvrir et à cacher son mal, elle se remet plutôt au seul qui peut guérir les blessures et qui a pour nom Jésus-Christ (29).

Cette certitude est celle qui nous poussera à rechercher, avec le temps et l’inopportunité, l’engagement à générer une culture où chacun a le droit de respirer un air exempt de toutes sortes d’abus. Une culture sans la dissimulation qui finit par vicier toutes nos relations. Une culture qui, face au péché, génère une dynamique de repentance, de miséricorde et de pardon et qui face au crime, génère la dénonciation, le jugement et la sanction.

  1. Chers frères, j’ai commencé cette lettre en vous disant que faire appel à vous n’est pas une ressource fonctionnelle ou un geste de bonne volonté, au contraire, c’est invoquer l’onction que vous avez en tant que Peuple de Dieu. Avec vous, nous pouvons planifier les étapes nécessaires pour un renouveau et une conversion ecclésiale saine et de long terme. Avec vous, nous pouvons générer la transformation qui plus que nécessaire, devient impérative. Sans vous, rien ne peut être fait. J’exhorte tous les fidèles du saint Peuple de Dieu qui vivent au Chili à ne pas avoir peur de s’impliquer. Je les appelle à avancer, poussés par l’Esprit, à la recherche d’une Église chaque jour plus synodale, prophétique et pleine d’espoir, moins abusive parce qu’elle sait mettre Jésus au centre, en celui qui a faim, en le prisonnier, le migrant et l’abusé.

Je vous demande de ne pas cesser de prier pour moi. Je le fais également pour vous et je demande à Jésus de vous bénir et à la Sainte Vierge de prendre soin de vous.

François
Vatican, le 31 mai 2018, Fête de la Visitation de Notre-Dame

Traduction française de Kinda Elias pour La DC. Titre de La DC.

(1) Lettre du pape François aux évêques du Chili suite au rapport de Mgr Charles J. Scicluna, 8 avril 2018.

(2) Pape Benoît XVl, Deus caritas est, n. 16 ; DC 2006, n. 2352, p. 173-174.

(3) Rencontre du pape François avec les prêtres, les religieux, les consacrés et séminaristes, cathédrale de Santiago du Chili, 16 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 11.

(4) Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 276 ; DC 2014, n. 2513, p. 77.

(5) Concile Vatican II, Lumen gentium, n. 9.

(6) Rencontre du pape François avec les jeunes, basilique nationale de Maipu, 17 janvier 2018.

(7) Jésus-Christ, (ndlr).

(8) Une attitude d’union et d’ouverture à Dieu et à l’Église, (ndlr).

(9) Pape François, exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 96 ; DC 2018, n. 2531, p. 23.

(10) Jn, 3. 8.

(11) Pape François, Homélie de la sainte messe de Solennité de la Pentecôte 2018.

(12) Il est bon de reconnaître certaines organisations et certains médias qui ont abordé la question des abus de manière responsable, recherchant toujours la vérité et ne faisant pas de cette douloureuse réalité une ressource médiatique pour augmenter la note dans sa programmation.

(13) Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 227 ; DC 2014 ; n. 2513, p. 65.

(14) « Le Seigneur dit : “J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances” » Ex 3, 7.

(15) « Souvenons-nous que c’était le premier mot-mandat que le peuple d’Israël reçut de Yahvé : Écoute Israël » (Dt 6, 4).

(17) Pape François, exhortation apostolique Gaudete et exsultate, nn. 47-59 ; DC 2018, n. 2531, p. 14-17.

(16) Pape François, Visite au Centre pénitentiaire pour femmes, Santiago, Chili, 6 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 8.

(19) Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 44 ; DC 2018, n. 2531, p. 13.

(18) Programmes d’enseignement “non universitaire”, (ndlr).

(21) Pape Paul Vl, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n. 48 ; DC 1976, n. 1689, p. 10.

(20) Il est essentiel d’effectuer les rénovations indispensables dans les centres de formation impulsées par la récente Constitution apostolique Veritates gaudium. À titre d’exemple, je tiens à souligner que « en effet, la tâche urgente de notre temps est que tout le peuple de Dieu soit prêt à entreprendre, avec esprit « une nouvelle étape d’évangélisation. Cela nécessite « un processus déterminé de discernement, et de purification ». Dans ce processus, un renouvellement correct du système des études ecclésiastiques est appelé à jouer un rôle stratégique. En effet, celles-ci ne sont pas seulement appelées à offrir des lieux et des parcours de formation qualifiée des prêtres, des personnes consacrées et des laïcs engagés, mais elles constituent une sorte de laboratoire culturel providentiel où l’Église fait un exercice d’interprétation performative de la réalité qui jaillit de l’événement de Jésus-Christ et qui se nourrit des dons de la sagesse et de la science dont le Saint-Esprit enrichit sous des formes variées tout le Peuple de Dieu ? : du sensus fidei fidelium au magistère des pasteurs, du charisme des prophètes à celui des docteurs et des théologiens. ». Pape François, constitution apostolique Veritates gaudium, n. 3 ; DC 2018, n. 2530, p.44-45.

(23) Jn 3, 8.

(22) Cela peut se lire aussi : se remettre en question, (ndlr).

(25) Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 16.79.82 ; DC 2018, n. 2531, p. 8-9, 20, 20-21.

(24) Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 6-9 ; DC 2018, n. 2531, p. 6-7.

(27) Mt 25, 34-36.

(26) Économie du salut, (ndlr).

(29) Pape François, Rencontre avec les prêtres, les religieux, les consacrés et les séminaristes, à Santiago du Chili, 16 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 11-16.

(28) Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 76 ; DC 20148, n. 2513, p. 27.

[1] Rencontre du pape François avec les jeunes, basilique nationale de Maipu, 17 janvier 2018.

[2] Pape Benoît XVl, Deus caritas est, n. 16 ; DC 2006, n. 2352, p. 173-174.

[3] Rencontre du pape François avec les prêtres, les religieux, les consacrés et séminaristes, cathédrale de Santiago du Chili, 16 janvier 2018 ; DC 2018, n. 2530, p. 11.

[4] Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 276 ; DC 2014, n. 2513, p. 77.

[5] Concile Vatican II, Lumen gentium, n. 9.

[6] Rencontre du pape François avec les jeunes, basilique nationale de Maipu, 17 janvier 2018.

[7] Jésus-Christ, (ndlr).

[8] Une attitude d’union et d’ouverture à Dieu et à l’Église, (ndlr).

[9] Pape François, exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 96 ; DC 2018, n. 2531, p. 23.

[10] Jn, 3. 8.

[11] Pape François, Homélie de la sainte messe de Solennité de la Pentecôte 2018.

[12] Il est bon de reconnaître certaines organisations et certains médias qui ont abordé la question des abus de manière responsable, recherchant toujours la vérité et ne faisant pas de cette douloureuse réalité une ressource médiatique pour augmenter la note dans sa programmation.

[13] Pape François, exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 227 ; DC 2014 ; n. 2513, p. 65.

[14] Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 44 ; DC 2018, n. 2531, p. 13.

[15] Il est essentiel d’effectuer les rénovations indispensables dans les centres de formation impulsées par la récente Constitution apostolique Veritates gaudium. À titre d’exemple, je tiens à souligner que « en effet, la tâche urgente de notre temps est que tout le peuple de Dieu soit prêt à entreprendre, avec esprit « une nouvelle étape d’évangélisation. Cela nécessite « un processus déterminé de discernement, et de purification ». Dans ce processus, un renouvellement correct du système des études ecclésiastiques est appelé à jouer un rôle stratégique. En effet, celles-ci ne sont pas seulement appelées à offrir des lieux et des parcours de formation qualifiée des prêtres, des personnes consacrées et des laïcs engagés, mais elles constituent une sorte de laboratoire culturel providentiel où l’Église fait un exercice d’interprétation performative de la réalité qui jaillit de l’événement de Jésus-Christ et qui se nourrit des dons de la sagesse et de la science dont le Saint-Esprit enrichit sous des formes variées tout le Peuple de Dieu ? : du sensus fidei fidelium au magistère des pasteurs, du charisme des prophètes à celui des docteurs et des théologiens. ». Pape François, constitution apostolique Veritates gaudium, n. 3 ; DC 2018, n. 2530, p.44-45.

[16] Pape Paul Vl, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, n. 48 ; DC 1976, n. 1689, p. 10.

[17] Cela peut se lire aussi : se remettre en question, (ndlr).

[18] Jn 3, 8.

[19] Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 6-9 ; DC 2018, n. 2531, p. 6-7.

[20] Pape François, Exhortation apostolique Gaudete et exsultate, n. 16.79.82 ; DC 2018, n. 2531, p. 8-9, 20, 20-21.

[21] Économie du salut, (ndlr).

[22] Mt 25, 34-36.

Des leçons vitales inattendues à tirer des deux synodes ( 2020)

Crédit photo

par Marguerite Champeaux-Rousselot

Les deux derniers synodes convergent entre autres vers une précieuse leçon de vie chrétienne, qui est certes en phase avec les questions d’écologie et de justice, mais également avec l’épineuse question du cléricalisme dont les nuisances ne sont désormais que trop évidentes : deux manières d’aborder concrètement la synodalité, un terme bien nouveau avouez-le, presque un néologisme … qu’il faut convertir en action !

Article de janvier 2020, actualisé le 26 mai 2020

Le Vatican vient d’annoncer aujourd’hui à 13 h que le Pape convoque un synode des évêques en 2022  sur le thème : «Pour une Église synodale : communion, participation et mission» !

C’est ce qui me fait vous partager cette réflexion qui date d’il y a quelques mois, après les retombées du synode d’Amazonie. Pour certains elles furent décevantes. Mais … Deux exemples permettant d’envisager une leçon un peu plus générale, je me suis demandé alors si les deux derniers synodes n’étaient pas un levain enfoui pour le moment dans la pâte à pain qui va tiédir et fermenter en se gonflant peu à peu… Je vous invite à poser doucement votre main sur cette boule qui fait espérer un pain nourrissant et énergétique…

Les deux derniers synodes convergent entre autres vers une précieuse leçon de vie chrétienne, qui est certes en phase avec les questions d’écologie et de justice, mais également avec l’épineuse question du cléricalisme dont les nuisances ne sont désormais que trop évidentes : deux manières d’aborder concrètement la synodalité, un terme bien nouveau avouez-le, presque un néologisme … qu’il faut convertir en action !
Ces deux dernies synodes me semblent emblématiques parce qu’on peut en tirer me semble-t-il, un enseignement précieux de « méthodique ecclésiale » … pour notre vie, tout simplement : une découverte à faire !

N.B. Ce qui suit ne se prétend pas absolument exact quant aux détails, ( même si elles sont justes, ce ne sont que des idées générales ) mais dessine autour de nous un large champ qui part du passé et s’étend jusqu’à l’horizon du long terme en couvrant ce qui nous ressemble et ce qui est différent de nous : cela indique des pistes de réflexion .
Bien sûr d’autres personnes peuvent vouloir lire autrement que moi son texte : cela montre seulement que nos personnalités individuelles comme civilisationnelles y sont respectées et ne sont pas contraintes autoritairement au-delà de ce qui est le strict nécessaire pour maintenir la fidélité à l’Evangile, cet Evangile autour de Jésus et de notre Père qui est le lien qui permet à l’Eglise d’être non pas une professionnelle de l’uniformisation, mais proposition de communion.

A lire aussi en introduction cette contribution de Arnaud Join-Lambert, docteur en théologie et professeur à l’Université Catholique de Louvain :

« Les processus synodaux depuis le concile Vatican II : une double expérience de l’Église et de l’Esprit Saint »

Le synode de la Famille

Le synode sur la Famille (2014-2015) a fait l’objet d’une consultation mondiale sur un sujet très général, universel, intemporel, « de tout temps », de tout pays, de tout un chacun. Ce synode a été situé dans une sorte de non-lieu pour répondre aux besoins d’un milieu qui se ressent souvent comme sage et mature… De chrétienté ancienne, comme une souche aux vastes ramifications usées où l’on espère les surgeons. On cherchait et on a pensé trouver auprès des autorités des consignes valables pour le monde entier et pour chacune des situations.

La réponse du pape a surpris, déçu, étonné… Elle a été difficile à lire car pour la première fois depuis longtemps, ce n’était pas une liste d’obligations et d’interdits avec des châtiments à la clé. Il a fallu la méditer longtemps pour en sentir la saveur fondamentale, et s’en saisir plus ou moins timidement au début pour bénéficier expérimentalement de son bienfait nutritif.
Le pape François y a prôné l’usage des principes évangéliques ; on n’ose écrire qu’il a suggéré le « le retour » à ces principes… mais tout le monde sait que lorsqu’on retourne à une source, l’eau n’en est pas croupie : elle est la même mais l’eau est toujours neuve et jaillissante.
Il n’a rien démoli dogmatiquement, mais a demandé qu’on nourrisse nos pratiques de l’Evangile lui-même pour régler avec souplesse des problèmes locaux, personnels, voire civilisationnels, continentaux, sociaux … ( on peut évoquer ici entre autres le divorce et les familles recomposées, l’adoption, la sexualité, la chasteté, la fécondité, la famille, les minorités, l’enfance, la vieillesse, le handicap, la pauvreté de certaines classes sociales ou familiales etc. ). La conscience de chacun vis-à-vis de son prochain et de ce que nous pouvons supposer de Dieu, telle est la mesure qui doit nous servir à juger et à nous juger, tel doit être le critère de nos actes et de nos jugements…

On a compris « chez nous » que cette sorte de non-lieu était un milieu un peu partout en décalage avec le monde ; que certains pouvaient en qualifier certains points de « sclérosé », de « décadent » ou de non-représentatif des fidèles…. Que certains qui avaient conservé un droit traditionnel à s’exprimer au nom de tous ne comprenaient pas que ce droit n’était plus, aujourd’hui, fondé sur une bonne adéquation. Et qu’il devenait impossible désormais de chercher une parole uniforme autorisée donnant des consignes valables pour le monde entier et pour chacune des situations : le pape appelait à une attitude ressemblant à celle de Jésus, pleine de joie pour soutenir ceux qui vont bien, pleine de compassion pour les victimes, de miséricorde pour ceux qui avaient erré, et à la conscience de chacun des fidèles se mettant sous le regard de Dieu, un Dieu Père, avec l’aide bienveillante de l’Eglise toute entière.
A cette aune, le dogme a été indirectement ressenti comme quelque chose de relatif devant la valeur universelle d’un Evangile qui amène la loi à son état parfait qui permet une justice individuelle dans l’amour qui nous est demandé le plus parfait possible… à l’image de l’amour dont nous sommes aimés par le Père, par Jésus , par certains …

Ce premier synode s’est finalement conclu sous la houlette d’un berger qui est là pour écouter les besoins de son troupeau d’aujourd’hui et non le guider autoritairement exclusivement vers les modèles traditionnels, pourtant éprouvés et utiles mais ressentis devant certains cas comme désormais notoirement insuffisants ou inadaptés.
Cette expérience nouvelle, qui a parfois désorienté certains, qui a suscité des incompréhensions, voire des résistances, a aussi permis à bien des catholiques de s’ouvrir à l’autre, de revenir vers des frères, de se rapprocher de l’Evangile, sans parler de l’espoir qu’il a suscité chez ceux qui avaient quitté l’Eglise ou suivaient un Jésus qui n’a jamais – et pour cause – donné comme objectif prioritaire une Eglise puissante en surface ou en nombre.

Et…

Il me semble que le synode que nous venons de vivre en 2019-2020, celui dit de l’Amazonie,  assure une fois de plus les méthodes libérantes qui doivent dynamiser nos actes de fils de Dieu : il le fait parallèlement au premier mais … en sens inverse, selon des lois de balistique ne relevant pas de notre physique habituelle…

Le Synode de l’Amazonie

Présentation de l’Instrument de travail du synode sur l’Amazonie :  "La région Panamazone, laboratoire pour la société et pour l’Eglise". 
http://www.synod.va/content/sinodoamazonico/fr/-actualite/sr-nathalie-becquart--presentation-de-linstrument-de-travail-du-.html
Crédit photo : cf. présentation de l’Instrument de travail du synode sur l’Amazonie : « La région Panamazone, laboratoire pour la société et pour l’Eglise

En effet, ce deuxième synode, dit sur l’Amazonie ( 2019-2020 ) a fait lui aussi l’objet d’une consultation mondiale sur un sujet très général, universel, mais particulièrement lié à notre époque et au futur de notre Terre : par exemple et surtout l’écologie et l’usage de notre Terre à tous, – un sujet humain plus que spécifiquement catholique ! – mais aussi ce qui en découle pour nous disciples du Christ et catholiques : que dire de la justice et de l’amour de Dieu ? et sur un plan religieux dans de tels contextes, comment vivre les sacrements ? comment avoir assez de prêtres ? Ce sont des sujets sur lesquels aucun dogme ( ou si peu ..) n’a été édicté car ils sont inattendus, étant les fruits d’une crise récente.

C’est un problème sur lequel l’Eglise cherche à entrer en résonance avec les Hommes car aucune Loi de la Bible n’en traite explicitement et Jésus lui-même n’en a guère parlé. Le sujet a été posé intentionnellement dans un pays impacté directement et fortement par cette crise : il s’agissait de répondre aux besoins emblématiques d’un pays neuf, en décalage avec d’autres régions plus puissantes du monde, une région de notre planète encore incomplètement développée à bien des égards, un pays où la chrétienté est relativement neuve, ardente quand elle existe, bourgeonnante de partout mais très fragile. C’est un exemple qui fait réfléchir, un terrain où les besoins sont criants, annonciateurs des mêmes besoins humains – civils, écologiques, religieux – dans d’autres régions du monde, un champ d’application où on subit l’expérimentation de certaines folies de l’égoïsme, encore inconnues… Mais aussi un terrain où les besoins spirituels et religieux, y compris chez les catholiques, pour être satisfaits, ont suscité et créé des solutions car si ce n’est pas interdit, n’est-ce pas que c’est parce que c’est permis ? L’Esprit d’intelligence et d’amour fait germer la vie.

Lors de ce Synode décentralisé dans son titre, ( synode de l’Amazonie), on cherchait, et on a pensé trouver, auprès des autorités ecclésiales des validations et des autorisations pour ce qui était inattendu et nouveau mais aussi en urgence et en priorité des limites et des interdictions ; on pensait trouver là encore des consignes claires et quasi-dogmatiques qui seraient valables pour le monde entier et pour chacune des situations futures ou déjà présentes mais pas encore gérées. Contents ou non, on se raisonnait alors : il faudrait les accepter comme telles et cela pouvait en quelque sorte rassembler le troupeau, certes un peu de force, mais pourquoi pas, dans ce monde si dangereux ?

Or la réponse du pape a là aussi surpris, déçu, étonné… en ce qui concerne les questions dites « religieuses ». Sa réponse a été là aussi difficile à lire avec sérénité car si, sur les questions « humaines » sa position rejoint celles qu’on peut supposer à un Jésus premier partisan de la laïcité dans une fraternité humaine écologique par essence, et s’il a réussi son examen en écologie, il n’a pas évoqué les questions à proprement parler stricto sensu catholiques, concernant par exemple les viri probati : il n’a ni interdit ni validé ces innovations religieuses qu’on peut qualifier de pragmatiques ou d’inspirées…
Oui, peu à peu nous comprenons que François aurait pu valider ces innovations en plaquant dessus des estampilles à l’ancienne : il y avait des arguments pour dans nos textes bibliques : une belle copie, cela fait joli dans un décor à l’ancienne. Cela nous aurait même réjouis et soulagés immédiatement qu’il nous tienne ainsi par la main, voire qu’il nous porte…
Mais il n’a pas maquillé ces innovations qui n’entraient pas dans les cadres ecclésiaux classiques. Il n’a pas plaqué sur ces mutations jaillissantes, rejetons innovants mais branchés sur la même sève, les étiquettes portant les noms de réalités anciennes traditionnelles et bien connues qui auraient donné une apparence de continuité à des solutions neuves pour un monde imprévu, voire imprévisible. Il ouvre toute liberté à la créativité avec l’aide de la réflexion et du discernement du Peuple de Dieu.

Disons plus : il nous semble qu’il n’a pas voulu mettre dans l’urgence un pansement sur la plaie : cela se serait peut-être révélé un cautère sur une jambe de bois. Il a peut-être jugé inutile de chercher à tout prix à faire persister le clergé, le titre même de prêtre, comme s’il était essentiel à l’Eglise catholique et à ceux qui suivent Jésus. On aura toujours bien sûr besoin de ces pasteurs, de ces disciples qui font écho à la parole de Dieu, de ces serviteurs qui nourrissent un peuple de frères. Mais en refusant de permettre ces nominations en masse de viri probati comme prêtres de énième catégorie, il a signifié implicitement « non » à un raffinement supplémentaire dans la hiérarchisation, à la création ( subreptice ou même involontaire ) de nouvelles classes : il a peut-être dit un non de plus au cléricalisme et a mis un frein à une éventuelle réactivation de ce que nombre de fidèles ressentent souvent comme le sacré dans le clergé depuis son installation.
Il n’a pas non plus menacé de châtiments ceux qui avaient été inspirés par leurs besoins  ( et par le bon sens,  et selon moi, par le sensus fidei  et l’Esprit, je le crois  )  et qui s’étaient retrouvés à innover sans avoir passé de diplôme ni fait d’études, ni avoir demandé une autorisation à  Rome puisqu’ils avaient la liberté enseignée par Jésus…   Il ne les a pas traités d’hérétiques bons pour le bûcher, de chrétiens mâtinés de sorcellerie, de syncrétistes, que sais-je ? Il ne s’est pas questionné sur leur catholicité

L’Amazonie et toutes les Amazonies continueront leur chemin de vie, sans s’occuper de savoir si elles sont d’avant-garde ou non.

Il existe ailleurs des prêtres mariés catholiques : qui cela dérange-t-il ? Et quand cela a-t-il commencé, si cela a commencé ? Quelle est la règle la plus ancienne ? Quand des clercs mariés ont-ils éventuellement rejoint l’Eglise catholique plutôt qu’une autre et pourquoi cela a-t-il été permis ? En quoi cela concernerait-il une Eglise par-dessus les schismes ? Nous avons tous à y réfléchir : à nous former sur ces questions pur avoir un avis éclairé.

La réponse d’un pape souvent attentif aux victimes et aux petits, ou plutôt sa non-réponse à ces deux synodes, m’a montré quelque chose de sa pédagogie.

Nous nous sommes sentis comme le tout-petit qui ne sait pas qu’il apprend à marcher : à chaque petit pas qu’il fait, château-branlant, l’adulte, avec un sourire, recule un petit peu sa main et maintient l’intervalle éducatif tout en étant prêt à l’empêcher de tomber…Nous avançons à petits pas, en tendant la main vers celui qui nous attire et veut lui, nous faire grandir… Il aurait pu nous traiter comme des bébés, ou faire comme l’adulte narcissique qui garde dans ses bras son mini-double infantile et docile. Il aurait pu avoir peur de nous donner notre liberté mais il a fait comme notre Père qui nous a créés pour être libres et s’interdit toute emprise abusive.
Il va nous falloir méditer là aussi cette Querida Amazonia… pour oser goûter à cette nourriture étrangère : ce n’est plus un plat tout prêt et cosmopolite qu’on nous sert, mais notre Père à tous vient goûter à cette cuisine née du pays lui-même, faite avec les moyens du bord, avec amour, en toute liberté, et à qui interdit-il de l’adopter telle qu’elle est réalisée actuellement ?
Sa non-réponse apparente après ce synode ressemble à l’écoute d’un adulte qui sait exarcer son autorité de façon positive :   il perçoit ce qui se cache au fond, derrière le comportement provocant, l’interpellation angoissée ou la question immédiate de l’adolescent et songe à le faire grandir.

Nous apprenons là quelque chose que l’Eglise a souvent oublié sur elle-même…
Il semble qu’à bien des égards, nous allons nous trouver dans la situation des premières Eglises telle que nous la voyons dans nos premiers textes du nouveau Testament, une fois leurs portraits débarrassés de leur aspect trop idéalisé parfois mais en conservant leur chaleur communicative pleine d’espérance et de conviction attractives.
Les besoins de la communauté font jaillir des solutions, et plus les besoins augmentent plus les solutions s’ouvrent pour vivre avec Dieu : celui-ci, Père aimant et non-captateur, n’a guère posé de limites ni d’obligations pour le servir et servir nos frères.
Osons être vrais, enfin, d’ailleurs ! Les dogmes eux aussi ont été posés à une certaine époque pour répondre aux besoins d’une époque d’une façon appropriée. Le dogme est une formalisation dans nos mots de réalités qui dépassent nos mots trop humains et qui se révèlent finalement par essence assez inadaptés, convenons-en.
L’Evangile lui, dans sa simplicité, laisse l’inspiration souffler à sa guise sans contrainte, sur toute notre Terre, pour y faire s’épanouir la vie.
Sur le plan écologique et social, humain, nous ne piaulerons plus en réclamant plus de gâteries toutes faites, des serviettes jetables pour ne pas avoir à les laver, ou des résumés tout faits (même faux) sur Internet. Nous pouvons nous nourrir respectueusement de ce qui est possible sur chaque pouce de notre Terre, en apprenant ce qui nous convient selon nos besoins, et non selon nos envies, nos répulsions ou nos craintes irraisonnées et infantiles. Nous goûterons de plus en plus gastronomiquement la saveur fondamentale de son bienfait nutritif, et partagerons la saveur de notre vie.
Sur le plan religieux et plus précisément celui de notre confession catholique, il en va ici exactement comme lors d’Amoris Laetitia : François n’a rien démoli dogmatiquement, mais a demandé qu’on nourrisse nos pratiques avant tout de l’Evangile lui-même afin de régler avec souplesse des problèmes locaux, personnels, voire civilisationnels, continentaux, sociaux …

En guise d’ouverture finale :

Si les deux synodes ont ajusté des tirs croisés sur un objectif similaire, c’est donc qu’il doit être bien important !
Ils convergent sur les questions brûlantes et urgentes d’écologie et de justice, en délaissant également certaines solutions qui auraient peut-être pu faire illusion, des moyens-termes qui auraient pu être en fait décalés si Rome y avait mis son grain de sel par trop administratif et auraient eu un petit goût dogmatique ou doctrinal déplacé, des nouveautés qui auraient pu être récupérées, rigidifiées, instrumentalisées, imposées mal à propos, ou sclérosantes et de nouveau excluantes.
Ni laisser-aller négligent, ni laisser-faire paresseux, ni parti-pris inutilement blessant, la non-réponse du pape, pleine de respect pour ces jeunes peuples dynamiques, leur donne déjà les droits d’une personne : et nous-mêmes pouvons ( avons le droit de .. ) prendre exemple sur lui, – et sur eux – , pour trouver les réponses à nos propres besoins. Il leur laisse la liberté de le faire à leur façon et leur proximité directe permettra d’éviter les écueils énumérés ci-dessus.
François ne s’est pas laissé séduire par la facilité de proposer une illusion de plus à croire, un grade qui aurait renforcé en fait implicitement un nouvel avatar du cléricalisme.
Il n’a rien altéré de ce que beaucoup appellent la Tradition sans se demander à quand elle remonte, il n’a rien évoqué du dogme et n’a pas entrepris activement de légitimer des nouveautés qui se seraient opposées à la Tradition.
Mais… son attitude ne pose-t-elle pas la question de savoir s’il faut qu’une autorité légitime ce qui n’a pas à l’être ? On peut se demander si ce n’est pas déjà légitime même si certains s’y opposent.

Le levain fait fermenter la pâte, et la levure gagne peu à peu cette pâte qui semblait amorphe. Un levain cuit tout seul, ce serait atroce à manger !
Ecouter les besoins de son troupeau d’aujourd’hui, nouveau troupeau, nouveaux besoins, planète toujours nouvelle, esprit toujours nouveau.

Sa non-réponse apparente est la seule manière de garder une porte ouverte au possible, à l’espérance, à la confiance, à la vie. Et qui peut savoir si, en fermant la porte, il n’aurait pas fermé la porte à l’Esprit ? Il aime à passer par toutes les portes et même les portes fermées… ! Si nous lui fermons craintivement des portes, qu’il rentre par la fenêtre, vent puissant ou brise attentive, force qui agite ce qu’on voit ou oxygène du coeur…
Il s’agit de nous permettre tous de grandir, de même qu’une véritable autorité, après avoir discerné les limites minimum imposées par la sécurité et le bien-être de l’enfant et des autres, ( et non autre chose), lui fait confiance tout en veillant de loin, discrètement, pour un rappel si nécessaire.
Son silence qu’on sait attentif pourtant au cri des petits, ne nous renvoie-t-il pas manu paternale si j’ose dire à ce qui seul peut compter : l’Evangile vécu par Jésus, ce maître en souplesse pour mettre à disposition une Loi capable de gérer des problèmes individuels et contingents …

L’Evangile fait s’incliner la Loi en ses aspects contingents pour laisser régner l’amour qui nous est demandé le plus parfait possible, à l’image de l’amour dont nous sommes aimés par le Père, par Jésus et par certains… La conscience de chacun vis-à-vis de son prochain et de ce que nous pouvons supposer de Dieu est ce qui ressemblerait le plus à la Loi : mais une loi de libération, celle des Jubilés qui inventaient en Israël une méthode qui dynamisera nos actes de fils de Dieu.
Si la Lettre de l’Evangile n’interdit pas, elle laisse le champ libre à l’esprit d’amour au service de la propre croissance d’une Eglise qui ne ressemble pas à nos bâtiments faits de blocs taillés uniformément : elle est faite de pierres palpitantes et diverses qui s’harmonisent sans cesse, sans plan ni style prédéfinis. Une région géographique à un instant T peut également représenter exemplairement un aspect ponctuel dispersé çà et là dans le monde entier et au fil du temps. C’est ce que le pape appelle une Eglise synodale , une Eglise en chemin, une Eglise sur les chemins ; d’autres évoquent des « visages d’Eglise » ou « les éclats d’Evangile » un peu partout ; et l’Evangile, par la voix de celui qui nous invite tous à y aller, ces « demeures nombreuses dans la maison de mon Père » qui nous attendent : soyons sûrs que ce Père les a faites différentes et adaptées au confort et à la joie de chacun qui peut y apporter son bagage, ses trésors et en faire à son tour un havre hospitalier pour d’autres qui attendent…

Je viens, alors que je cherchais sur quoi finir mes réflexions, de trouver une image stimulante dans un ouvrage intitulé « Pour un accompagnement sans emprise » : « L’accompagnateur est du côté de la vigie, et non à la place de celui qui tient la barre ».

La situation des premières Eglises, aussi différentes qu’autonomes, faut-il en avoir peur, si elles sont unies fraternellement en Jésus, notre vigie, notre lumière ? Peut-être une façon de revoir le sens si positif du terme autorité  qui est bidirectionnelle, ce qui est au coeur d’une démarche authentiquement synodale

La pâte du futur pain dont nous faisons partie continue à fermenter.

Marguerite Champeaux-Rousselot





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