Des leçons vitales inattendues à tirer des deux synodes ( 2020)

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par Marguerite Champeaux-Rousselot

Les deux derniers synodes convergent entre autres vers une précieuse leçon de vie chrétienne, qui est certes en phase avec les questions d’écologie et de justice, mais également avec l’épineuse question du cléricalisme dont les nuisances ne sont désormais que trop évidentes : deux manières d’aborder concrètement la synodalité, un terme bien nouveau avouez-le, presque un néologisme … qu’il faut convertir en action !

Article de janvier 2020, actualisé le 26 mai 2020

Le Vatican vient d’annoncer aujourd’hui à 13 h que le Pape convoque un synode des évêques en 2022  sur le thème : «Pour une Église synodale : communion, participation et mission» !

C’est ce qui me fait vous partager cette réflexion qui date d’il y a quelques mois, après les retombées du synode d’Amazonie. Pour certains elles furent décevantes. Mais … Deux exemples permettant d’envisager une leçon un peu plus générale, je me suis demandé alors si les deux derniers synodes n’étaient pas un levain enfoui pour le moment dans la pâte à pain qui va tiédir et fermenter en se gonflant peu à peu… Je vous invite à poser doucement votre main sur cette boule qui fait espérer un pain nourrissant et énergétique…

Les deux derniers synodes convergent entre autres vers une précieuse leçon de vie chrétienne, qui est certes en phase avec les questions d’écologie et de justice, mais également avec l’épineuse question du cléricalisme dont les nuisances ne sont désormais que trop évidentes : deux manières d’aborder concrètement la synodalité, un terme bien nouveau avouez-le, presque un néologisme … qu’il faut convertir en action !
Ces deux dernies synodes me semblent emblématiques parce qu’on peut en tirer me semble-t-il, un enseignement précieux de « méthodique ecclésiale » … pour notre vie, tout simplement : une découverte à faire !

N.B. Ce qui suit ne se prétend pas absolument exact quant aux détails, ( même si elles sont justes, ce ne sont que des idées générales ) mais dessine autour de nous un large champ qui part du passé et s’étend jusqu’à l’horizon du long terme en couvrant ce qui nous ressemble et ce qui est différent de nous : cela indique des pistes de réflexion .
Bien sûr d’autres personnes peuvent vouloir lire autrement que moi son texte : cela montre seulement que nos personnalités individuelles comme civilisationnelles y sont respectées et ne sont pas contraintes autoritairement au-delà de ce qui est le strict nécessaire pour maintenir la fidélité à l’Evangile, cet Evangile autour de Jésus et de notre Père qui est le lien qui permet à l’Eglise d’être non pas une professionnelle de l’uniformisation, mais proposition de communion.

A lire aussi en introduction cette contribution de Arnaud Join-Lambert, docteur en théologie et professeur à l’Université Catholique de Louvain :

« Les processus synodaux depuis le concile Vatican II : une double expérience de l’Église et de l’Esprit Saint »

Le synode de la Famille

Le synode sur la Famille (2014-2015) a fait l’objet d’une consultation mondiale sur un sujet très général, universel, intemporel, « de tout temps », de tout pays, de tout un chacun. Ce synode a été situé dans une sorte de non-lieu pour répondre aux besoins d’un milieu qui se ressent souvent comme sage et mature… De chrétienté ancienne, comme une souche aux vastes ramifications usées où l’on espère les surgeons. On cherchait et on a pensé trouver auprès des autorités des consignes valables pour le monde entier et pour chacune des situations.

La réponse du pape a surpris, déçu, étonné… Elle a été difficile à lire car pour la première fois depuis longtemps, ce n’était pas une liste d’obligations et d’interdits avec des châtiments à la clé. Il a fallu la méditer longtemps pour en sentir la saveur fondamentale, et s’en saisir plus ou moins timidement au début pour bénéficier expérimentalement de son bienfait nutritif.
Le pape François y a prôné l’usage des principes évangéliques ; on n’ose écrire qu’il a suggéré le « le retour » à ces principes… mais tout le monde sait que lorsqu’on retourne à une source, l’eau n’en est pas croupie : elle est la même mais l’eau est toujours neuve et jaillissante.
Il n’a rien démoli dogmatiquement, mais a demandé qu’on nourrisse nos pratiques de l’Evangile lui-même pour régler avec souplesse des problèmes locaux, personnels, voire civilisationnels, continentaux, sociaux … ( on peut évoquer ici entre autres le divorce et les familles recomposées, l’adoption, la sexualité, la chasteté, la fécondité, la famille, les minorités, l’enfance, la vieillesse, le handicap, la pauvreté de certaines classes sociales ou familiales etc. ). La conscience de chacun vis-à-vis de son prochain et de ce que nous pouvons supposer de Dieu, telle est la mesure qui doit nous servir à juger et à nous juger, tel doit être le critère de nos actes et de nos jugements…

On a compris « chez nous » que cette sorte de non-lieu était un milieu un peu partout en décalage avec le monde ; que certains pouvaient en qualifier certains points de « sclérosé », de « décadent » ou de non-représentatif des fidèles…. Que certains qui avaient conservé un droit traditionnel à s’exprimer au nom de tous ne comprenaient pas que ce droit n’était plus, aujourd’hui, fondé sur une bonne adéquation. Et qu’il devenait impossible désormais de chercher une parole uniforme autorisée donnant des consignes valables pour le monde entier et pour chacune des situations : le pape appelait à une attitude ressemblant à celle de Jésus, pleine de joie pour soutenir ceux qui vont bien, pleine de compassion pour les victimes, de miséricorde pour ceux qui avaient erré, et à la conscience de chacun des fidèles se mettant sous le regard de Dieu, un Dieu Père, avec l’aide bienveillante de l’Eglise toute entière.
A cette aune, le dogme a été indirectement ressenti comme quelque chose de relatif devant la valeur universelle d’un Evangile qui amène la loi à son état parfait qui permet une justice individuelle dans l’amour qui nous est demandé le plus parfait possible… à l’image de l’amour dont nous sommes aimés par le Père, par Jésus , par certains …

Ce premier synode s’est finalement conclu sous la houlette d’un berger qui est là pour écouter les besoins de son troupeau d’aujourd’hui et non le guider autoritairement exclusivement vers les modèles traditionnels, pourtant éprouvés et utiles mais ressentis devant certains cas comme désormais notoirement insuffisants ou inadaptés.
Cette expérience nouvelle, qui a parfois désorienté certains, qui a suscité des incompréhensions, voire des résistances, a aussi permis à bien des catholiques de s’ouvrir à l’autre, de revenir vers des frères, de se rapprocher de l’Evangile, sans parler de l’espoir qu’il a suscité chez ceux qui avaient quitté l’Eglise ou suivaient un Jésus qui n’a jamais – et pour cause – donné comme objectif prioritaire une Eglise puissante en surface ou en nombre.

Et…

Il me semble que le synode que nous venons de vivre en 2019-2020, celui dit de l’Amazonie,  assure une fois de plus les méthodes libérantes qui doivent dynamiser nos actes de fils de Dieu : il le fait parallèlement au premier mais … en sens inverse, selon des lois de balistique ne relevant pas de notre physique habituelle…

Le Synode de l’Amazonie

Présentation de l’Instrument de travail du synode sur l’Amazonie :  "La région Panamazone, laboratoire pour la société et pour l’Eglise". 
http://www.synod.va/content/sinodoamazonico/fr/-actualite/sr-nathalie-becquart--presentation-de-linstrument-de-travail-du-.html
Crédit photo : cf. présentation de l’Instrument de travail du synode sur l’Amazonie : « La région Panamazone, laboratoire pour la société et pour l’Eglise

En effet, ce deuxième synode, dit sur l’Amazonie ( 2019-2020 ) a fait lui aussi l’objet d’une consultation mondiale sur un sujet très général, universel, mais particulièrement lié à notre époque et au futur de notre Terre : par exemple et surtout l’écologie et l’usage de notre Terre à tous, – un sujet humain plus que spécifiquement catholique ! – mais aussi ce qui en découle pour nous disciples du Christ et catholiques : que dire de la justice et de l’amour de Dieu ? et sur un plan religieux dans de tels contextes, comment vivre les sacrements ? comment avoir assez de prêtres ? Ce sont des sujets sur lesquels aucun dogme ( ou si peu ..) n’a été édicté car ils sont inattendus, étant les fruits d’une crise récente.

C’est un problème sur lequel l’Eglise cherche à entrer en résonance avec les Hommes car aucune Loi de la Bible n’en traite explicitement et Jésus lui-même n’en a guère parlé. Le sujet a été posé intentionnellement dans un pays impacté directement et fortement par cette crise : il s’agissait de répondre aux besoins emblématiques d’un pays neuf, en décalage avec d’autres régions plus puissantes du monde, une région de notre planète encore incomplètement développée à bien des égards, un pays où la chrétienté est relativement neuve, ardente quand elle existe, bourgeonnante de partout mais très fragile. C’est un exemple qui fait réfléchir, un terrain où les besoins sont criants, annonciateurs des mêmes besoins humains – civils, écologiques, religieux – dans d’autres régions du monde, un champ d’application où on subit l’expérimentation de certaines folies de l’égoïsme, encore inconnues… Mais aussi un terrain où les besoins spirituels et religieux, y compris chez les catholiques, pour être satisfaits, ont suscité et créé des solutions car si ce n’est pas interdit, n’est-ce pas que c’est parce que c’est permis ? L’Esprit d’intelligence et d’amour fait germer la vie.

Lors de ce Synode décentralisé dans son titre, ( synode de l’Amazonie), on cherchait, et on a pensé trouver, auprès des autorités ecclésiales des validations et des autorisations pour ce qui était inattendu et nouveau mais aussi en urgence et en priorité des limites et des interdictions ; on pensait trouver là encore des consignes claires et quasi-dogmatiques qui seraient valables pour le monde entier et pour chacune des situations futures ou déjà présentes mais pas encore gérées. Contents ou non, on se raisonnait alors : il faudrait les accepter comme telles et cela pouvait en quelque sorte rassembler le troupeau, certes un peu de force, mais pourquoi pas, dans ce monde si dangereux ?

Or la réponse du pape a là aussi surpris, déçu, étonné… en ce qui concerne les questions dites « religieuses ». Sa réponse a été là aussi difficile à lire avec sérénité car si, sur les questions « humaines » sa position rejoint celles qu’on peut supposer à un Jésus premier partisan de la laïcité dans une fraternité humaine écologique par essence, et s’il a réussi son examen en écologie, il n’a pas évoqué les questions à proprement parler stricto sensu catholiques, concernant par exemple les viri probati : il n’a ni interdit ni validé ces innovations religieuses qu’on peut qualifier de pragmatiques ou d’inspirées…
Oui, peu à peu nous comprenons que François aurait pu valider ces innovations en plaquant dessus des estampilles à l’ancienne : il y avait des arguments pour dans nos textes bibliques : une belle copie, cela fait joli dans un décor à l’ancienne. Cela nous aurait même réjouis et soulagés immédiatement qu’il nous tienne ainsi par la main, voire qu’il nous porte…
Mais il n’a pas maquillé ces innovations qui n’entraient pas dans les cadres ecclésiaux classiques. Il n’a pas plaqué sur ces mutations jaillissantes, rejetons innovants mais branchés sur la même sève, les étiquettes portant les noms de réalités anciennes traditionnelles et bien connues qui auraient donné une apparence de continuité à des solutions neuves pour un monde imprévu, voire imprévisible. Il ouvre toute liberté à la créativité avec l’aide de la réflexion et du discernement du Peuple de Dieu.

Disons plus : il nous semble qu’il n’a pas voulu mettre dans l’urgence un pansement sur la plaie : cela se serait peut-être révélé un cautère sur une jambe de bois. Il a peut-être jugé inutile de chercher à tout prix à faire persister le clergé, le titre même de prêtre, comme s’il était essentiel à l’Eglise catholique et à ceux qui suivent Jésus. On aura toujours bien sûr besoin de ces pasteurs, de ces disciples qui font écho à la parole de Dieu, de ces serviteurs qui nourrissent un peuple de frères. Mais en refusant de permettre ces nominations en masse de viri probati comme prêtres de énième catégorie, il a signifié implicitement « non » à un raffinement supplémentaire dans la hiérarchisation, à la création ( subreptice ou même involontaire ) de nouvelles classes : il a peut-être dit un non de plus au cléricalisme et a mis un frein à une éventuelle réactivation de ce que nombre de fidèles ressentent souvent comme le sacré dans le clergé depuis son installation.
Il n’a pas non plus menacé de châtiments ceux qui avaient été inspirés par leurs besoins  ( et par le bon sens,  et selon moi, par le sensus fidei  et l’Esprit, je le crois  )  et qui s’étaient retrouvés à innover sans avoir passé de diplôme ni fait d’études, ni avoir demandé une autorisation à  Rome puisqu’ils avaient la liberté enseignée par Jésus…   Il ne les a pas traités d’hérétiques bons pour le bûcher, de chrétiens mâtinés de sorcellerie, de syncrétistes, que sais-je ? Il ne s’est pas questionné sur leur catholicité

L’Amazonie et toutes les Amazonies continueront leur chemin de vie, sans s’occuper de savoir si elles sont d’avant-garde ou non.

Il existe ailleurs des prêtres mariés catholiques : qui cela dérange-t-il ? Et quand cela a-t-il commencé, si cela a commencé ? Quelle est la règle la plus ancienne ? Quand des clercs mariés ont-ils éventuellement rejoint l’Eglise catholique plutôt qu’une autre et pourquoi cela a-t-il été permis ? En quoi cela concernerait-il une Eglise par-dessus les schismes ? Nous avons tous à y réfléchir : à nous former sur ces questions pur avoir un avis éclairé.

La réponse d’un pape souvent attentif aux victimes et aux petits, ou plutôt sa non-réponse à ces deux synodes, m’a montré quelque chose de sa pédagogie.

Nous nous sommes sentis comme le tout-petit qui ne sait pas qu’il apprend à marcher : à chaque petit pas qu’il fait, château-branlant, l’adulte, avec un sourire, recule un petit peu sa main et maintient l’intervalle éducatif tout en étant prêt à l’empêcher de tomber…Nous avançons à petits pas, en tendant la main vers celui qui nous attire et veut lui, nous faire grandir… Il aurait pu nous traiter comme des bébés, ou faire comme l’adulte narcissique qui garde dans ses bras son mini-double infantile et docile. Il aurait pu avoir peur de nous donner notre liberté mais il a fait comme notre Père qui nous a créés pour être libres et s’interdit toute emprise abusive.
Il va nous falloir méditer là aussi cette Querida Amazonia… pour oser goûter à cette nourriture étrangère : ce n’est plus un plat tout prêt et cosmopolite qu’on nous sert, mais notre Père à tous vient goûter à cette cuisine née du pays lui-même, faite avec les moyens du bord, avec amour, en toute liberté, et à qui interdit-il de l’adopter telle qu’elle est réalisée actuellement ?
Sa non-réponse apparente après ce synode ressemble à l’écoute d’un adulte qui sait exarcer son autorité de façon positive :   il perçoit ce qui se cache au fond, derrière le comportement provocant, l’interpellation angoissée ou la question immédiate de l’adolescent et songe à le faire grandir.

Nous apprenons là quelque chose que l’Eglise a souvent oublié sur elle-même…
Il semble qu’à bien des égards, nous allons nous trouver dans la situation des premières Eglises telle que nous la voyons dans nos premiers textes du nouveau Testament, une fois leurs portraits débarrassés de leur aspect trop idéalisé parfois mais en conservant leur chaleur communicative pleine d’espérance et de conviction attractives.
Les besoins de la communauté font jaillir des solutions, et plus les besoins augmentent plus les solutions s’ouvrent pour vivre avec Dieu : celui-ci, Père aimant et non-captateur, n’a guère posé de limites ni d’obligations pour le servir et servir nos frères.
Osons être vrais, enfin, d’ailleurs ! Les dogmes eux aussi ont été posés à une certaine époque pour répondre aux besoins d’une époque d’une façon appropriée. Le dogme est une formalisation dans nos mots de réalités qui dépassent nos mots trop humains et qui se révèlent finalement par essence assez inadaptés, convenons-en.
L’Evangile lui, dans sa simplicité, laisse l’inspiration souffler à sa guise sans contrainte, sur toute notre Terre, pour y faire s’épanouir la vie.
Sur le plan écologique et social, humain, nous ne piaulerons plus en réclamant plus de gâteries toutes faites, des serviettes jetables pour ne pas avoir à les laver, ou des résumés tout faits (même faux) sur Internet. Nous pouvons nous nourrir respectueusement de ce qui est possible sur chaque pouce de notre Terre, en apprenant ce qui nous convient selon nos besoins, et non selon nos envies, nos répulsions ou nos craintes irraisonnées et infantiles. Nous goûterons de plus en plus gastronomiquement la saveur fondamentale de son bienfait nutritif, et partagerons la saveur de notre vie.
Sur le plan religieux et plus précisément celui de notre confession catholique, il en va ici exactement comme lors d’Amoris Laetitia : François n’a rien démoli dogmatiquement, mais a demandé qu’on nourrisse nos pratiques avant tout de l’Evangile lui-même afin de régler avec souplesse des problèmes locaux, personnels, voire civilisationnels, continentaux, sociaux …

En guise d’ouverture finale :

Si les deux synodes ont ajusté des tirs croisés sur un objectif similaire, c’est donc qu’il doit être bien important !
Ils convergent sur les questions brûlantes et urgentes d’écologie et de justice, en délaissant également certaines solutions qui auraient peut-être pu faire illusion, des moyens-termes qui auraient pu être en fait décalés si Rome y avait mis son grain de sel par trop administratif et auraient eu un petit goût dogmatique ou doctrinal déplacé, des nouveautés qui auraient pu être récupérées, rigidifiées, instrumentalisées, imposées mal à propos, ou sclérosantes et de nouveau excluantes.
Ni laisser-aller négligent, ni laisser-faire paresseux, ni parti-pris inutilement blessant, la non-réponse du pape, pleine de respect pour ces jeunes peuples dynamiques, leur donne déjà les droits d’une personne : et nous-mêmes pouvons ( avons le droit de .. ) prendre exemple sur lui, – et sur eux – , pour trouver les réponses à nos propres besoins. Il leur laisse la liberté de le faire à leur façon et leur proximité directe permettra d’éviter les écueils énumérés ci-dessus.
François ne s’est pas laissé séduire par la facilité de proposer une illusion de plus à croire, un grade qui aurait renforcé en fait implicitement un nouvel avatar du cléricalisme.
Il n’a rien altéré de ce que beaucoup appellent la Tradition sans se demander à quand elle remonte, il n’a rien évoqué du dogme et n’a pas entrepris activement de légitimer des nouveautés qui se seraient opposées à la Tradition.
Mais… son attitude ne pose-t-elle pas la question de savoir s’il faut qu’une autorité légitime ce qui n’a pas à l’être ? On peut se demander si ce n’est pas déjà légitime même si certains s’y opposent.

Le levain fait fermenter la pâte, et la levure gagne peu à peu cette pâte qui semblait amorphe. Un levain cuit tout seul, ce serait atroce à manger !
Ecouter les besoins de son troupeau d’aujourd’hui, nouveau troupeau, nouveaux besoins, planète toujours nouvelle, esprit toujours nouveau.

Sa non-réponse apparente est la seule manière de garder une porte ouverte au possible, à l’espérance, à la confiance, à la vie. Et qui peut savoir si, en fermant la porte, il n’aurait pas fermé la porte à l’Esprit ? Il aime à passer par toutes les portes et même les portes fermées… ! Si nous lui fermons craintivement des portes, qu’il rentre par la fenêtre, vent puissant ou brise attentive, force qui agite ce qu’on voit ou oxygène du coeur…
Il s’agit de nous permettre tous de grandir, de même qu’une véritable autorité, après avoir discerné les limites minimum imposées par la sécurité et le bien-être de l’enfant et des autres, ( et non autre chose), lui fait confiance tout en veillant de loin, discrètement, pour un rappel si nécessaire.
Son silence qu’on sait attentif pourtant au cri des petits, ne nous renvoie-t-il pas manu paternale si j’ose dire à ce qui seul peut compter : l’Evangile vécu par Jésus, ce maître en souplesse pour mettre à disposition une Loi capable de gérer des problèmes individuels et contingents …

L’Evangile fait s’incliner la Loi en ses aspects contingents pour laisser régner l’amour qui nous est demandé le plus parfait possible, à l’image de l’amour dont nous sommes aimés par le Père, par Jésus et par certains… La conscience de chacun vis-à-vis de son prochain et de ce que nous pouvons supposer de Dieu est ce qui ressemblerait le plus à la Loi : mais une loi de libération, celle des Jubilés qui inventaient en Israël une méthode qui dynamisera nos actes de fils de Dieu.
Si la Lettre de l’Evangile n’interdit pas, elle laisse le champ libre à l’esprit d’amour au service de la propre croissance d’une Eglise qui ne ressemble pas à nos bâtiments faits de blocs taillés uniformément : elle est faite de pierres palpitantes et diverses qui s’harmonisent sans cesse, sans plan ni style prédéfinis. Une région géographique à un instant T peut également représenter exemplairement un aspect ponctuel dispersé çà et là dans le monde entier et au fil du temps. C’est ce que le pape appelle une Eglise synodale , une Eglise en chemin, une Eglise sur les chemins ; d’autres évoquent des « visages d’Eglise » ou « les éclats d’Evangile » un peu partout ; et l’Evangile, par la voix de celui qui nous invite tous à y aller, ces « demeures nombreuses dans la maison de mon Père » qui nous attendent : soyons sûrs que ce Père les a faites différentes et adaptées au confort et à la joie de chacun qui peut y apporter son bagage, ses trésors et en faire à son tour un havre hospitalier pour d’autres qui attendent…

Je viens, alors que je cherchais sur quoi finir mes réflexions, de trouver une image stimulante dans un ouvrage intitulé « Pour un accompagnement sans emprise » : « L’accompagnateur est du côté de la vigie, et non à la place de celui qui tient la barre ».

La situation des premières Eglises, aussi différentes qu’autonomes, faut-il en avoir peur, si elles sont unies fraternellement en Jésus, notre vigie, notre lumière ? Peut-être une façon de revoir le sens si positif du terme autorité  qui est bidirectionnelle, ce qui est au coeur d’une démarche authentiquement synodale

La pâte du futur pain dont nous faisons partie continue à fermenter.

Marguerite Champeaux-Rousselot





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Réflexions sur l’autorité, à partir de l’étymologie de son champ lexical. L’autorité a-t-elle un sens ? par Marguerite Champeaux-Rousselot (2004)

« L’autorité a-t-elle un sens ? Les fondements de l’autorité »

Conférence faite en 2004 par un professeur de Lettres classiques dans le cadre associatif pour répondre à la question posée par une association de parents d’élèves.

Leur demande : se fonder sur le sens des mots, revenir à l’origine de la notion, et faire une conférence de valeur générale sur ce qui fonde l’autorité parentale en particulier.

Marguerite Champeaux-Rousselot, professeur de Français :

« Réflexions  sur l’autorité, à partir de son champ lexical »

Un « sens » ? sentire: sentir, ressentir (les 5 sens) ; percevoir, remarquer, comprendre, penser.

L’autorité a-t-elle un sens ? Cela veut dire :  « A-t-elle un sens que je puisse comprendre, faire partager, qui ne soit pas un non-sens, qui n’aille pas dans le sens contraire de ce que je souhaiterais ?… »

L’autorité a-t-elle un sens ? Cela veut dire : « A-t-elle une signification, un raison, une cause et un but acceptables par l’autre ? » Cela veut dire : « De quel droit  me dis-tu, m’interdis-tu, m’obliges-tu à…? »

Et effectivement, on s’approche de la question en regardant les différents synonymes que vous connaissez et qui évoquent le travail, la mission des chefs  :

– Gouverner : c’est prendre le gouvernail

– Diriger : conduire en ligne droite, rectiligne, ce que doit faire un « roi », une règle est faite pour cela ; et la correction est faite pour remettre droit ce qui ne l’était plus.

– Orienter : c’est  se tourner vers l’orient, le premier endroit qui peut servir de référence quand paraît le jour : l’endroit où le soleil se lève, l’origine de la journée.

Vous voyez la notion de direction.

– Direction, directeur : on trouve aussi la notion de chef.

– Chef :  comme on le voit dans « couvre-chef », « chef-lieu » et « capitale », « cheftaine » et « capitaine »,   cela vient du mot qui veut dire « tête »…

La tête qui sait la direction, comme une boussole sûre.

Et le verbe « achever » qui vient aussi de « chef » signifie qu’on a d’abord commencé par la base, par le moins important, le moins réussi, les pieds, et qu’on arrive à la fin, au sommet, à la tête… et qu’alors on a « achevé » le travail, et qu’il est bien fignolé, bien fini, c’est un travail « achevé » !

Un chef ?

Mais on préfère tous la démocratie !!!

Qui dirige qui, en démocratie, en république ?

Le vrai sens, amusant, du mot « république » : c’est  « ce qui concerne ceux qui ont du poil au pubis » …  c’est à dire les hommes faits (les femmes sont exclues, bien sûr, chez les Romains !).

Il faut donc être pubère, adulte, pour avoir le droit de se diriger ou de diriger les autres.

La notion d’« autorité » comporte elle aussi la notion de  direction  :

Ce mot vient de augere, verbe latin signifiant « augmenter ».

auctor : celui qui produit (un auteur écrivain, l’auteur de la vie)

auxilium : celui qui augmente, qui aide

augurer, inaugurer, augmenter, cela veut dire ajouter quelque chose de plus, de neuf : d’où le sens de « commencer quelque chose ».

auctoritas : c’est la capacité d’augmenter, d’où la capacité de faire grandir dans une certaine direction : la hauteur (de façon physique ou symbolique).

Cela veut donc dire qu’il y a un changement presque visible, mesurable…

L’autorité a donc la capacité de faire grandir quelque chose.

Elle est cette capacité même… et c’est cela le beau métier de parent et d’éducateur.

Dans notre inconscient, le symbolisme de « grandir » implique une direction vers le haut en général.

C’est tellement positif que cela a pris le sens  d’un compliment (je laisse de côté les perversions de l’autorité !) :  Il fait autorité  dans son domaine ! veut dire que son conseil nous aide. Il a de l’autorité : son autorité est reconnue, il sait nous faire grandir…. Cela ne veut pas dire, étymologiquement : « Il sait nous faire obéir »…

Quelqu’un qui a grandi, qui est « grand », cela veut dire qu’il n’a plus besoin (ou n’aurait, ou ne devrait plus avoir besoin) d’autorité… (Mais peut-on dire qu’on a fini définitivement de grandir ? Cela ne peut être dit que par quelqu’un qui ne veut plus grandir plus … et qui donc souhaite rester petit !! Que dire de la véritable grandeur et… de la véritable humilité… !)

Avoir grandi, cela veut dire qu’on n’a plus besoin d’être nourri par quelqu’un, qu’on ne dépend plus de quiconque pour la nourriture…

On est devenu indépendant : on ne dépend plus de celui qui nous a fait naître. Par exemple, un fruit pend de l’arbre et il « dépend » de lui. Un fœtus « dépend » de sa mère par le cordon ombilical. Il prend une certaine « indépendance » quand il naît. La dépendance est d’une certaine façon humiliante quand elle n’est pas choisie.

Mais l’indépendance complète est bien plus tardive pour le petit d’homme. (Peut-être n’est-elle jamais acquise, peut-être n’est-elle pas souhaitable : celui qui se choisit un maître est ou sera parfois plus grand que celui qui s’y refuse).

Il s’agit, et c’est encore plus difficile, de devenir autonome, ce qui n’est pas synonyme d’« indépendant » : être autonome signifie étymologiquement « avoir sa propre loi ».

Non pas « ne pas avoir d’autre loi que soi », mais faire sienne la Loi choisie avec réflexion par soi… Ne plus « subir la loi d’un autre »… mais ne plus non plus réclamer des soins comme un petit non encore indépendant.

Libre équilibre entre les attentes et les offres. Indépendance et droits, certes, mais aussi indépendance et devoirs.

Et qu’en est-il dans la mini-société qu’est la famille ?

Parent =  celui qui met au monde ;  on dit la « parturiente » pour la femme qui va accoucher (c’est un participe futur), et, ce qui est intéressant, c’est que « parent » est un participe présent … car enfin, a-t-on un jour fini de mettre au monde  son enfant ?

On n’arrête jamais sans doute de se sentir concerné par son enfant, de s’en sentir responsable…

Mais notre fonction de parent est pourtant de faire devenir adulte notre enfant… en quelque sorte  à égalité avec nous ! Le regard est aussi ce qui fait grandir.

On n’a jamais fini d’être parent, mais nos enfants de chair peuvent aussi être des parents pour leurs parents de chair… là, ou quand ils sont plus adultes qu’eux. La chair est une chose, l’esprit une autre. Il n’y a pas d’âge pour avoir la mission de faire grandir l’autre.

–  L’adulte est celui qui a été nourri : ce terme insiste sur le passif  et aussi sur le passé :  il vient du verbe latin alere, d’où aliment, alevin, etc. L’adulte a été « alimenté par quelqu’un », il est celui qui est (devenu) fort, mais il faut voir cette expression comme voulant dire que maintenant il n’est plus nourri  par quelqu’un, mais se nourrit tout seul et qu’il est fort sans personne.

Cela a donné d’ailleurs le mot altus, qui veut dire « haut, grand ».

L’adulescens : « adolescent », veut dire exactement « celui qui est en train de devenir adulte », en train de commencer à pouvoir se nourrir seul, à devenir fort.

(Aujourd’hui, on voit des « adulescents », mot-valise composé de « adulte » + «  adolescent » : des adultes qui cherchent à fuir leurs responsabilités et leurs charges de se nourrir seuls, et cherchent indéfiniment à rester jeunes ou comme les jeunes… et on parle de « jeunisme »…

–  Enfant : celui qui ne parle pas, qui n’a pas le droit à la parole.

Là, le participe présent serait inquiétant si c’était à vie qu’on l’était… mais, chez les Romains, on a différents noms pour les différents âges de la vie, et c’est donc tout à fait normal qu’ils emploient le participe présent «  en train de » quand on est dedans jusqu’à ce qu’on en soit sorti ! Ce n’est qu’une étape. On connaît déjà la suivante.

On voit donc bien dans quelle direction doit aller l’autorité … : le parent doit amener l’enfant à l’indépendance et à l’autonomie d’un adulte qui a le droit de s’occuper de la république…

Le chemin par où le parent conduit l’enfant a une direction. Elle s’exprime pour les « parents » avec des termes un peu particuliers, termes qui reprennent l’idée de direction de sens, contenue dans les termes « gouverner », « diriger », et « orienter » :

Élever : lever, soulever un enfant hors de sa condition  de démarrage;

– Éduquer : c’est faire comme  l’aqueduc et l’oléoduc qui conduisent l’eau et le pétrole vers un but, c’est conduire l’enfant hors de sa condition d’enfant vers une condition d’adulte autonome et indépendant.

La boussole parentale elle aussi indique un sens « élevé ».

Et c’est pourquoi les parents adultes se différencient de leurs enfants par la tâche qu’ils ont envers eux, et que les enfants en général d’ailleurs ne leur contestent jamais  : les nourrir matériellement…  et aussi, par conséquence, dans les autres domaines !

Parfois, certains voudraient que la famille soit comme une mini-démocratie où ce qui est, au niveau de la nation, la force du peuple devenu supérieur aux anciens chefs de l’aristocratie ou de l’oligarchie,  deviendrait, au niveau de la famille, la force des enfants à égalité avec les adultes… Droits et devoirs à égalité, en quelque sorte…

Mais il faut alors rappeler que c’est l’adulte qui sait, habituellement, le sens où aller pour trouver cette indépendance, cette autonomie etc., toutes choses légitimement désirables, heureusement !!

Et que l’enfant (dit « normal », car le problème des handicapés, par exemple, est différent) n’est pas en capacité, pour le moment, d’avoir cette connaissance ni les mêmes droits que les adultes, et qu’il ne peut pas prendre en charge, pour le moment, les mêmes devoirs qu’eux, ni donc avoir les droits pour y faire face !!

Le parent a un droit qui lui impose un devoir : il est responsable de celui qu’il a mis au monde. Répondre : veut d’abord dire  « s’engager solennellement, devant les dieux, par une libation ». C’est le même mot qu’« épouser », que le « sponsor » qui s’engage envers une cause ou un sportif…

La responsabilité, c’est donc d’abord quand on se porte garant de quelque chose, ou de quelqu’un… (cf. Saint-Ex ?). L’adulte a la responsabilité  de l’enfant : il doit le faire s’épanouir et le mener à l’âge adulte et  fait preuve (ou doit faire preuve)  d’un certain savoir-faire …

L’adulte doit d’abord répondre aux besoins fondamentaux (qui sont bien différents des « désirs ») : la pyramide de Maslow[1] montre la hiérarchie des besoins à partir du niveau 1 qui est « basique » :  (ventre affamé n’a pas d’oreilles !).

Bien différencier les besoins des désirs évidemment :

1 Besoins physiologiques

2 Besoin de sécurité

3 Besoin d’appartenance

4 Estime de soi et des autres

5 Réalisation de soi

On ne peut appeler au 5 avant que le 1 soit satisfait etc. (À relativiser bien sûr quand même !)

C’est en vue du bien de l’autre que s’exerce l’autorité du parent, qui repose sur la confiance que l’enfant a en lui : « Oui, il dit cela pour mon bien, pour que je grandisse  … ».

Le parent va en effet devoir dire « oui »  ou « non ». (« Oui » vient de hoc ille, sous-entendu n’importe quel verbe : « C’est cela même qu’il a fait ou dit, etc. »).

Il doit dire l’interdit : c’est la parole qui est dite « entre » la personne qui voudrait et la chose : une parole de permission ou de défense, celle qui donne et construit la liberté.

Et si l’enfant a bien compris que l’adulte l’emmène dans la bonne direction, il  lui obéira   pour aller dans la direction qui fait grandir  vers cette autonomie si désirable et désirée !

 Obéir :  c’est ob-audire : prêter l’oreille, écouter.

On n’écoutera évidemment pas quelque chose d’inaudible ou incompréhensible…

Mais ce n’est pas que la parole qu’on écoute :  l’enfant, tout comme le citoyen ou les autres adultes, tous, reconnaissent par expérience  « l’autorité » de ceux dont les explications  et  l’exemple sont la preuve qu’ils ont effectivement su grandir et qui mettent  leur expérience au service des plus petits ou des plus jeunes.

A nous d’expliquer  à nos enfants que l’autorité a une cause et une raison indiscutables …et un sens global très  positif et utiles pour eux !

A nous de savoir leur dire l’utilité pour eux, pour le moment,  de cette autorité… et de leur montrer la direction de l’autonomie  et de la liberté qu’ils souhaitent souvent si ardemment et si passionnément.

A nous,  –  avec des mots, des exemples,  ou parfois dans un geste,  de leur donner confiance dans notre autorité qui n’a qu’un  but : les faire s’épanouir et être heureux.

Comment citer cet article :

Marguerite Champeaux-Rousselot : « Réflexions sur l’autorité, à partir de son champ lexical » in « L’autorité a-t-elle un sens ? Les fondements de l’autorité  », 2004, publié sur https://recherches-entrecroisees.net/