L’Epître aux Hébreux : un texte complexe, source  d’erreurs s’il n’est pas contextualisé

                                                                      ( 2023-03-11)  Marguerite Champeaux-Rousselot

Un commentaire concernant mon article sur Melchisedek (de 2018) m’a donné envie de revenir  de façon plus large sur l’Epître aux Hébreux, en prenant en compte aussi le livre de Martin Pochon ( de 2020).

J’ai voulu me centrer sur ce qui peut nous  détruire ou nous faire vivre ( selon moi ) dans ce texte.

Plan  ( Comme souvent ici, vous pouvez aller d* en * pour aller plus vite, mais le raisonnement étant complexe, je ne vous le conseille pas trop ici )

1- L’objectif principal  de la Lettre est de démontrer que l’ère des sacrifices sanglants et des prêtres sacrificateurs est passée

2- Le raisonnement qui y conduit est centré sur la comparaison avec le grand sacrifice sanglant  de Yom Kippour : Jésus, lui, a accompli un sacrifice qui rend désormais inutile tout autre sacrifice.

3- Une comparaison mise en exergue au prix d’une légère falsification : Melchisedek 

4- L’argumentation d’ordre théologique de la Lettre  ne reflète pas l’essentiel de la Bonne nouvelle 

5 – Pourquoi cette distance (voire ces contre-sens) ? Les conséquences au fil des siècles. 

6 – De nos jours, devant ce texte discutable…

1* – Son objectif principal est de démontrer que l’ère des sacrifices sanglants et des prêtres sacrificateurs est passée

L’auteur  de la Lettre ( 2° moitié du 1er siècle ap. J.-C.) a pour objectif principal de s’opposer à la création ou à la continuation d’un ordre ( d’une caste ?)  de prêtres sacrificateurs ayant leur rôle dans un rituel à abolir lui aussi.

Il cherche à démontrer qu’il n’y a plus besoin désormais que ces ministres  ou d’autres fassent  des sacrifices sanglants (ni pour les disciples de Jésus, ni pour l’Humanité). :** à ceux qui voulaient continuer la même hiérarchie religieuse et les mêmes rites socio-culturels.

Cet objectif précis (pas de clergé sacrificateur, pas de sacrifices sanglants) est l’objectif principal de la Lettre, et il ne contredit pas les évangiles ni même Paul sur ce point, mais… il y a un Mais. 

2*- Le raisonnement qui y conduit est centré sur la comparaison avec le grand sacrifice sanglant  de Yom Kippour : Jésus, lui, a accompli un sacrifice qui rend inutile tout autre sacrifice et tout autre sacrificateur.

 En effet, ce qui mène à cette conclusion dans la Lettre, est bien éloigné de l’Evangile. C’est ce que démontre entre autres le livre de Martin Pochon L’épître aux Hébreux au regard des évangiles[1]

L’épître aux Hébreux raisonne par affirmations de type dogmatique ou doctrinal, et sans se fonder sur les évangiles (encore inconnus de son auteur peut-être). La Lettre ne mentionne pas la résurrection ni le baptême dans l’Esprit, ni la dimension d’amour des évangiles  et ne  semble connaître que très peu la vie de Jésus.

Elle commence  par rapprocher Jésus du grand-prêtre suprême, entrant dans le saint des saints du temple de Jérusalem,  le jour de Yom Kippour, (la fête du Grand Pardon) afin de purifier par le sang des victimes,  les péchés d’Israël : un peuple  élu, mais fautif, coupable et empli de crainte devant un châtiment  mérité.

Cependant selon la Lettre, Jésus inaugure une nouvelle alliance, un « progrès »  : en effet, les prêtres appartenaient à la tribu des Cohen, et le rituel qu’ils accomplissaient était à renouveler régulièrement, tandis que c’est par la perfection  de son obéissance soumise  à Dieu et de son humilité  que Jésus a mérité son titre de Fils, de Fils de Dieu, et c’est  toute l’Humanité coupable et emplie de terreur  que le sacrifice nécessaire accompli par un Jésus, un homme non Cohen mais obéissant à la Loi divine, aura sauvée. Cependant, le salut ne se réalisera qu’à  la fin du Monde, lorsque Jésus, à la droite de Dieu, sera l’Intercesseur pour purifier et sauver les Hommes, au moment du Jugement de tous : c’est alors qu’il deviendra le « prêtre » médiateur suprême, et même l’archi-grand-prêtre insurpassable.

Ce processus montre que la soumission et l’obéissance de Jésus l’ont élevé paradoxalement au titre de Messie (Christ)  et de Grand-Prêtre de la Nouvelle alliance, mais c’est au prix des souffrances et  de sa mort qui ont mis à l’épreuve  sa soumission et l’ont prouvée.

On voit clairement le but de cette Lettre : son but principal, après avoir comparé Jésus  à un grand prêtre un jour de Yom Kippour qui purifie par du sang le peuple, est de montrer que, son « effusion de sang »  a un résultat en quelque sorte permanent et universel. Pourquoi ? Le raisonnement de la Lettre est implicite : Jésus a été fidèle  jusqu’à supporter ce sacrifice sur lui-même, jusqu’à s’offrir en victime accomplie à Dieu, et c’est cet acte qui a satisfait Dieu pour l’éternité. Après ce qu’a fait Jésus, il n’est « donc » plus besoin de recommencer le rituel sacrificiel consacrant  le renouvellement d’une alliance  annuelle.

Ce raisonnement atteint donc ainsi  l’objectif principal souhaité par la Lettre : Jésus a fait un sacrifice qui rend inutile tout autre sacrifice sanglant par les hommes, et donc tout autre sacrificateur humain.

Cependant, cet objectif a été atteint grâce aux choix thématiques indiqués ci-dessus: nous verrons plus loin s’ils correspondent à la Bonne nouvelle.

3* – Une comparaison mise en exergue : un ancêtre au prix d’une légère falsification : Melchisedek 

La Lettre veut également pousser les disciples de Jésus  à se distinguer des Juifs, de leurs lévites et de leurs  sacrificateurs, ou les aider à s’en séparer. La Lettre ayant néanmoins besoin (midrash et dessein de Dieu) de faire référence à un sacrificateur, elle citera de préférence comme référence un non-lévite, un non-juif : Melchisedek. .

Mais elle le citera, (de fait) en le présentant uniquement comme un prêtre sacrifiant  (sang) alors qu’il a simplement béni Dieu  et lui a fait une offrande d’action de grâce, non sanglante.

Cette présentation n’est pas une traduction exacte de l’hébreu en grec, ni une interprétation juste : c’est un changement volontaire qui, il faut le noter, déforme passablement lui aussi le texte exact biblique.

4* – Cette argumentation d’ordre théologique ne reflète pas l’essentiel de la Bonne Nouvelle

L’argumentation que nous avons analysée insiste,  comme Paul, sur le sacrifice, et pour cela, passe en fait sous silence  des thèmes qui s(er)ont majeurs dans les évangiles : la charité due au prochain, la réconciliation entre les frères, la communication de Dieu aux hommes etc. Il est visible que la Lettre n’insiste pas sur la figure du Serviteur, ni sur la simple offrande : ce ne serait peut-être pas assez divin, pas assez messianique.

En voulant obstinément affirmer que « le salut est accordé par Dieu en réponse à l’offrande de lui-même faite sur la croix » (M. Pochon, p. 247), la Lettre inverse même en quelque sorte le sens de l’économie du salut.

En effet, les évangiles en nous rendant témoins de l’action de  grâce, de la fraction du pain,  du partage de la coupe et du lavement des pieds, nous enseignent l’inverse, à savoir que le don, celui de Dieu en son Fils et/ou celui de Jésus, est  premier ; ce qui change notre manière de vivre notre foi.

Il est clair, pour celui qui analyse la Lettre sans préjugés, qu’elle décrit en creux une expiation réussie à jamais et cela sous-entend que, pour son auteur, le sang et la mort  étaient la condition première de ce pardon  accordé  par le  Dieu qui châtie, par  le Tout-Puissant qui s’acquiert par un sacrifice : anthropologiquement, il faut bien noter que ce raisonnement cause-conséquence  est le même que celui ( très anthropomorphique, anthropocentré et ..égocentré !! ) des paganismes qui sacrifiaient aux dieux pour les fléchir et obtenir telle ou telle chose.

Les évangiles insiste(ro)nt, eux, sur la voie indiquée par Jésus : un chemin individuel où l’on vit en  faisant  la volonté de Dieu ( l’aimer, aimer nos frères, partager, servir..), une vie séculière où l’on se nourrit de la parole de Dieu, qui fait passer de la mort à la vie, comme lors la commémoration du Passage à Pessah, la Pâque, et que Dieu est plein de miséricorde[2].

Pour le dire plus simplement, la Lettre raisonne encore à la manière de l’Ancien Testament, du Lévitique  et même du paganisme ( le sacrifice offert au dieu fait par le prêtre avec un rituel parfaitement accompli  assure le peuple et tout un chacun que la divinité pardonne ou va exaucer[3] ), mais l’Evangile change de raisonnement : le sacrifice propitiatoire ou expiatoire était une illusion anthropomorphique d’instrumentalisation ; notre Père nous aime le premier ( il n’a pas besoin de sacrifices pour ce faire ) et nous pouvons lui en rendre grâce (eucharistie) en faisant sa volonté : là nous lui plaisons, car notre vie lui est ainsi « consacrée » ; Dieu ne demande pas d’autre sacrifice. Les prophètes l’avaient déjà souvent dit[4] : les sacrifices n’étaient pas ce que Dieu voulait, et le rite de purification de Yom Kippour était périmable… : c’est la conversion qui est demandée et l’amour en actes, pas à pas. Ce qui est nettement plus exigeant que de participer simplement  à un rituel ponctuel accompli aux dépens d’un animal ou avec des offrandes peut-être d’origine discutable. ( Et, par parenthèse, l’amour en actes, pas à pas permet à des gens qui ne croient ni en ces sacrifices, ni en Dieu, ignorent l’Evangile,  d’être  les bénis de Dieu : comment ! je t’ai vêtu ? mais quand ? ) …        

Dans les évangiles,  Jésus a vécu en mettant en actes ce qu’il entendait d’un Dieu Père, comme une incarnation vivante de la parole d’un Dieu qui fait vivre l’Humain, assumant le risque d’y mourir ; il s’est offert, partagé à tous comme « pain vivant descendu du ciel », vin de fête, eau de régénération, sang principe de vie… Il a renversé la table d’une idole exigeant des sacrifices, et qui plus est des sacrifices extérieurs à soi-même, au détriment d’autrui.

Une lecture précise de La Lettre aux Hébreux et de certains passages de Paul manifeste donc une grande distance avec les évangiles et avec ce que Jésus a probablement pensé, vécu et enseigné lui-même.

5* – Causes  de cette distance (voire de ces contre-sens) et conséquences

Cette distance entre les évangiles d’une part, et d’autre part la Lettre et même certains passages de Paul, vient peut-être d’un manque de connaissance du message évangélique mais aussi peut-être d’une orientation  et de choix faits en fonction du public qu’il s’agissait de convaincre.

Des indices font supposer qu’elle aurait été écrite entre 55 et 90.

Comme le choix des arguments semble, socialement, avoir pour objectif principal de s’opposer à la nécessité d’un ordre (d’une caste ?) de prêtres sacrificateurs ordonnés et habilités  à apaiser une divinité, cela, anthropologiquement, signifie s’opposer aux Fois, croyances et superstitions,  qui imposaient  de sacrifier aux dieux pour les fléchir et obtenir telle ou telle chose.

Comme le raisonnement concerne la religion juive (Yom Kippour, Melchisedek, la manne…), il semble qu’il a été construit et tenu afin de convaincre spécifiquement des juifs  pratiquant la Bible,  plus encore  que des païens de Corinthe ou Ephèse qui  sacrifiaient rarement pour se purifier de crimes.

Comme la pratique juive de la diaspora était beaucoup moins axée sur le sacrifice sanglant (qui ne s’effectuait que dans le Temple de Jérusalem par le couteau du sacrificateur) il semble en effet  que les arguments choisis  y cherchent plus particulièrement à convaincre des juifs encore non-convertis, et peut-être surtout ceux de Jérusalem qui voulaient continuer, par respect pour la Tradition,  la même hiérarchie religieuse et les mêmes rites cultuels.

Paul a connu ce contexte religieux et socio-culturel et  s’est d’ailleurs adressé parfois à ce public, en usant des mêmes thématiques et des mêmes moyens argumentatifs et rhétoriques. (C’est aussi pourquoi, le contexte aujourd’hui n’étant pas le même, sa théologie ne serait pas la même)        

La Lettre a pour objectif principal de s’opposer à la continuation, chez les disciples  de Jésus, de lignées de sacrificateurs habilités à apaiser Yahweh, ou à la tentation chez ces mêmes disciples, de  recréer un ordre de sacrificateurs un peu  comme dans le culte juif, pour des raisons  identiques (des sacrifices destinés à apaiser Dieu)

Dans la plupart des premières assemblées, on pratiquait la fraction du pain, la prière  et le service, mais des Hébreux eurent certainement beaucoup de mal à abandonner leurs habitudes de sacrifices sanglants et de leur clergé dédié (qui en vivait socialement et financièrement).

Paul d’ailleurs en est un exemple,  car ses fondamentaux et ses schémas psychologiques personnels ainsi que son argumentation reposent d’abord sur le sacrifice, le péché, la symbolique du sang, un Dieu tout puissant et omniscient, une Fin du Monde proche avec Jugement à la clé. La venue en gloire du Messie n’ayant pas eu lieu aussi tôt que prévu, puis risquant de n’avoir lieu du tout, il remaniera ces premières constructions théologiques mais ne les effacera pas complètement.

L’Epitre aux Hébreux a donné lieu à beaucoup de discussions, comme beaucoup d’autres textes considérés comme hérétiques ou classés ensuite dans les textes apocryphes,.  

Comme, à partir  du IVème s.,  on accorde une importance primordiale au péché et au sacrificiel, les thèmes pauliniens prédomineront et la Lettre aux Hébreux, proche de textes pauliniens, sera très lue. Finalement, elle fut intégrée en 397 dans les textes canoniques comme étant de Paul. (C’est Vatican II seulement qui a reconnu cette erreur d’attribution).

Dans cette théologie et cette organisation ecclésiale d’alors, IVème s et après, après Jésus  est toujours celui qui s’est sacrifié et le presbuteros, s’il  garde son nom parfumé de  sagesse démocratique[5], reprend en fait en sous-main par mille détails pastoraux la place hiérarchique du sacrificateur et bien des aspects  de son rôle rassurant d’intercesseur efficace. Cette inflexion ira crescendo jusqu’au Concile de Trente et pour longtemps ensuite, le thème moralisant  de la culpabilité et du sacrifice liant dans l’obéissance et le sacré les fidèles désireux d’être sauvés,  croyant et espérant en l’efficacité du sacrifice de la Messe, un sacrifice éventuellement peu coûteux personnellement puisque pour ainsi dire « externe ».

Durant 15 siècles, l’institution ecclésiale a de plus en plus cité certains passages (sacrificiels et sacerdotaux : Melchisédek, le Messie grand-prêtre) de cette Lettre même, en évitant bien entendu de citer ceux qui prônaient de supprimer tout sacerdoce et tout sacrifice : une distorsion.

Elle a également porté aux nues certains passages  (sacrificiels et hiérarchisants) de Paul. Elle a également choisi et interprété certains passages d’Evangile en les orientant de façon tendancieuse  (sacrificielle). L’emprise a été telle qu’on a fini (sans doute dans une bonne intention par rapport à une certaine vision du contexte) par « inverser le sens de la Cène, comme l’a systématisé  en doctrine quasiment dogmatique  et sacramentelle le concile de Trente » (p.700, Martin Pochon), lequel avait d’ailleurs bien des raisons non-religieuses pour ce faire.   

Ces détournements (car il ne s’agit pas que de mésinterprétation ou de contre-sens) ont eu de graves effets.

L’Eglise a elle-même creusé un fossé qu’elle a sans cesse accru avec la société civile qui elle s’est inspirée de l’Evangile sur certains points. La place et le rôle accordés à l’obéissance et aux souffrances du Christ avancées comme prix de notre rachat auprès d’un Dieu monarque absolu et tyrannique, sont devenus inacceptables pour notre intelligence en démocratie. Et même révoltants : contre-exemple à divers points égards.

De plus, le contraste sans cesse  accru entre l’Evangile et sa mise en œuvre par l’institution ecclésiale a  fourni un témoignage repoussant  et rédhibitoire.

Constatant que 80% des baptisés ne l’ont plus supporté, Vatican II  au début a voulu retrouver une cohérence avec l’Evangile et effacer ce fossé. La tendance conciliaire guidée par Jean XXIII a entrepris, au plus simple, de modifier la liturgie en supprimant les  expressions choquantes et absentes des évangiles, les glissements de sens permis  par les doubles sens de la langue de buis, les symboles chosifiés, les idéaux trop visiblement discordants d’avec la pratique.

6* – De nos jours, devant ce texte discutable…

La Tradition n’est vivante  que si elle peut évoluer puisque l’Esprit ne peut parler que par des êtres humains  appartenant à un certain contexte.  Comme le disait Paul lui-même : « Dieu nous a aussi rendus capables d’être ministres d’une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l’esprit; car la lettre tue, mais l’esprit vivifie. » ( 2 Co, 3, 6)

L’objectif principal  de la Lettre  était de démontrer que l’ère des sacrifices sanglants et des prêtres sacrificateurs était passée.

Le point de vue de Jésus fut certainement que si Dieu demande une offrande, c’est celle d’un cœur aimant et d’actes cohérents.

L’argumentation d’ordre théologique de la Lettre  ne reflète pas l’essentiel de la Bonne nouvelle et a même eu des effets pervers. Si c’est  un accent mis sur le sacrificiel, la hiérarchie, la culpabilité, le châtiment, par ignorance de l’Evangile, c’est pardonnable ; si ce choix théologique est pratiqué  intentionnellement dans l’Evangile, en connaissance de cause, cela  est discutable.

Dans les deux cas, nous devons en tirer les conséquences aujourd’hui : nous devons prendre ce texte avec précaution et prudence, en nous servant de l’exégèse  et  de l’Histoire : que voulait dire l’auteur quand il l’a écrit ? Pourquoi a-t-il écrit ?  

Concrètement : nous pouvons lire ce texte et parce  qu’il rappelle que l’on n’a plus besoin de « sacrifices »  et parce que la Tradition nous le donne comme un témoignage intéressant  et touchant d’une époque (nous avons besoin de racines !), mais sa lecture au peuple, (l’unique formation de bien des catholiques adultes) doit être accompagnée soit d’un autre texte de l’Ecriture  le rectifiant ou le complétant, soit d’une contextualisation claire et sans ambiguïté : les racines sont alors vivantes et nourrissantes.    

Ces choix et cette utilisation sont à faire également en prenant comme critère la teneur générale  de l’Evangile. Cela permet de discerner  dans ce texte ce qui est sans doute valable  temporairement car conjoncturel, et donc  périssable  car demain inutile ou décalé, d’où des discordances avec  notre aujourd’hui, que l’on soit catholique ou non-concerné par la religion.

J’ai voulu me centrer sur ce qui peut nous bloquer ou nous faire vivre ( selon moi ) dans ce texte.

L’esprit de l’Evangile, lui, est un esprit … qui, me semble-t-il, ne vieillit guère et même aurait la bonne idée de nous précéder… ! 

                                                                ( 2023-03-11)  Marguerite Champeaux-Rousselot


[1] Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles, (Lectio divina), Paris, Éditions du Cerf, 2020. On en trouve en ligne une recension intéressante par Sylvaine Landrivon. 

[2] https://recherches-entrecroisees.net/2018/12/18/compassion-envers-les-victimes-oui-car-en-francais-actuel-le-terme-misericorde-sous-entend-quon-est-coupable/)

[3] Voir ma recheche sur les mots superstitio et religio

[4] Exemple (Osée, 6, 6) cité dans Matthieu 9,13 et 12 ,7  : … parce que je veux la pitié et non le sacrifice,  et l’action de reconnaître Dieu plutôt que les holocaustes. (διότι ἔλεος θέλω καὶ οὐ θυσίαν καὶ ἐπίγνωσιν Θεοῦ ἢ ὁλοκαυτώματα.)

[5] L’histoire de la notion de prêtre. https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/

Faut-il continuer à se référer au « sacrifice » de Melchisedek  comme à un modèle ?

(Marguerite Champeaux-Rousselot, 2018-09-10)

Plan :

Topo sur les prêtres et lévites dans l’AT

Explorations  en cinq étapes pour nous faire réfléchir à notre aujourd’hui à ce sujet.

1°) la rencontre avec Abraham,

2°) le psaume 109 ou 110,

3°) l’Epitre aux Hébreux

4°) l’Evangile

5°)  Melchisédech et son utilisation au III° siècle ap. J.-C. et ensuite.

Des réflexions actuelles

A chaque messe, depuis des  siècles nous mentionnons Melchisédech, ainsi écrit en français dans le missel…

«  Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisédech  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »1

Supra quae propítio ac seréno vultu respícere dignéris: et accépta habére, sícuti accépta habére dignátus es múnera púeri tui iusti Abel, et sacrifícium Patriárchae nostri Abrahae, et quod tibi óbtulit summus sacérdos tuus Melchísedech, sanctum sacrifícium, immaculátam hóstiam. 

Nous sommes habitués à entendre ce texte, à considérer que Dieu se plaît à ces sacrifices, que nous avons donc besoin de lui en présenter, en tâchant de ressembler à Abel, Abraham et Melchisedek.

Ici comme nous réfléchissons pour notre aujourd’hui à la notion du sacrifice et à la place du prêtre, nous nous sommes occupés plus spécialement de Melchisedech.

Une parenthèse sur l’orthographe de son nom : le ch est d’influence grecque et latine, son nom hébreu  étant מַלְכֵּי־צֶדֶק (malkî-ṣedeq).  On peut donc le transcrire plus fidèlement aujourd’hui  Melkisedeq. On trouve aussi les transcriptions suivantes avec dans l’ordre 1° ) ch ou k, 2°) accent ou pas, 3°) s ou z , et 4°) q,ch ou k. Soit   Melchisédek, Melchisédech, Melchisédeq,  Melkizedech, ou encore Melchizedek etc. et on trouve même Melkitsedeq… .      

– 1° Nous allons commencer par regarder exactement qui était ce Melkisédech lors de sa première apparition dans quelques lignes du Tanakh, lors de sa rencontre avec Abraham.

– 2° Il n’apparaît plus ensuite sauf dans un psaume dont nous étudierons le texte pour comprendre comment certains juifs ont glosé sur ce texte.

– La 3e étape, l’allusion à Melchisédech dans l’Epître aux Hébreux, permet également de mieux comprendre le point de vue que les chrétiens ont soutenu au départ : en effet, celle-ci qui concerne le sacrifice est destinée à s’opposer au fait que, au sein même de l’Eglise et parmi les chrétiens d’alors, il devrait y avoir des prêtres comme l’Ancien Testament. Cette Epître aux Hébreux commence donc par valider le fait que Jésus est un grand prêtre qui était préfiguré par Melchisedek, affirme que le sacrifice de Jésus est accompli une fois pour toutes et qu’on n’a plus besoin de le refaire, et donc qu’il est inutile et impossible qu’il y ait des prêtres parmi les chrétiens comme il y en avait pour le peuple hébreu.

– La 4° étape sera de revenir à l’Evangile : on peut mieux discerner comment Jésus ou ses disciples ont pu percevoir la figure de Melchisedek, et quelle a été leur position au sujet des sacrifices à offrir à Dieu et au sujet de la place du prêtre. Nous pourrons ainsi nous poser des questions au sujet du chemin que Jésus souhaitait indiquer.

– En 5°, nous verrons comment – sans tenir compte de l’Evangile-  certains ont tenté et parfois réussi  à exploiter cette figure pittoresque.

Nous pourrons alors poursuivre en voyant comment ce récit peut être interprétable aujourd’hui. Certaines  interprétations anciennes ont servi récemment et servent encore à certains : que peut-on en dire d’un point de vue objectif et scientifique de nos jours ? En ces temps de guerres pour des territoires  dans cette région du Moyen-Orient, quelles leçons, valables pour tous, croyants et non-croyants, pouvons-nous en tirer  sur un plan local ? Et  sur le plan très général, comment tirer d’un texte traditionnel,  de l’utile de ce qui nous semble périmé car ancien, ou du vivant de qui nous semble intouchable car sacro-saint ?  

La rencontre avec Abraham (Genèse (14:18-20)  

La référence à Melchisédech prend donc son origine dans un passage de l’Ancien Testament ( ou Tanakh)  en Genèse 14:18-20.

Après l’épisode de Babel, naît Abram, (c’est le nom initial d’Abraham). Sur une inspiration de Yahweh qui veut lui donner une terre, il se met en route (Genèse 12), campe, fait paître  et dresse des autels au Seigneur. Il devient très riche. Il se partage le pays avec Loth, continue à prospérer à construire des autels à Yahweh. Il y a de petites guerres, et  Loth est fait prisonnier. Abram, à la tête de ses guerriers part le libérer et il est vainqueur en pays ennemi.

Revenant d’une campagne victorieuse, il rencontre de manière inattendue un personnage au riche nom symbolique,  מַלְכֵּי־צֶדֶק  ( malkî-sedech), que nous pouvons écrire de diverses façons. Ce nom  ( 4442 ) signifie  en le décomposant  « mon roi est juste ». Le texte explique qu’il est le Roi de Salem », ( Roi (4428 melek) Salem (  8004)  signifiant Paisible.  Le texte ne situe pas  précisément cette cité ( à cette époque de nomades qui n’avaient même pas encore de chameaux)  mais d’après le trajet  d’Abraham,  le texte la situe dans la région de la future Jérusalem, et toute la tradition  ensuite est unanime pour dire que Jérusalem lui a fait suite sur place.

Chose surprenante, alors que ce Roi de Salm est du pays et qu’on peut le supposer cananéen, il  s’avance vers le vainqueur et montre par ses actes qu’il est  du côté de cet  Abram dont il fait la connaissance : « Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin. Il était prêtre du Dieu très-haut. Il le bénit en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris. »

A l’époque supposée, il existait dans de nombreuses civilisations du bassin méditerranéen des rois-prêtres : c’était le cas en particulier en Phénicie. Ce roi-prêtre  bénit Abram en tant que béni de Dieu et ratifie sa conquête et donc sa quête. Il accepte de recevoir d’Abram le dixième du butin qu’il a récupéré.

La rencontre, brève, n’est pas autrement détaillée que dans ces deux versets et s’arrête là : l’étonnant sera multiplié par ce mystère qui laisse le champ libre à toutes les suppositions et interprétations. Selon certains commentateurs de la Torah, comme Rachi,  qui cherchent à justifier la présence de ce croyant en terre pleine païenne, il s’agirait de Sem, le père des sémites, fils de Noé. En effet, Sem étant crédité d’une vie de 610 ans, il aurait ainsi pu rencontrer Abraham…

On voit qu’en citant dans le livre de la Genèse cet homme qui vivait bien avant la  sortie d’Egypte, les Juifs considéraient comme possible qu’on puisse avoir été ( et donc être)  prêtre du très-Haut, et  à plus forte raison fidèle du Très-Haut, en dehors du peuple juif ( ce peuple qui ne s’est théoriquement constitué que lors de l’Exode, – en fait même sans doute plus tard – avec le corps de ses prêtres.). L’étonnant est aussi qu’il soit déjà prêtre du Très Haut alors qu’Abram ne fait qu’arriver… et que le rite d’appartenance de la circoncision n’a pas encore été établi (Abram n’a pas encore de fils). Cependant, cela est moins étonnant pour celui qui lit comment le Premier Testament – l’Ancien testament, le Tanak) raconte dans la Genèse   la construction progressive  de la foi en Yahvé seul et l’établissement de son culte au milieu de religions évolutives elles-aussi.           

Le terme prêtre employé ici, cohen, כֹהֵ֖ן  (voir le 3548  qui en référence tous les emplois dans le site lasaintebible.com https://saintebible.com/ ) désigne  le prêtre, dans son acception la plus large (y compris notons-le même des prêtres étrangers ou ceux qui jouent d’un instrument, les lévites[1] etc. ). Le prêtre ( dans tout le bassin méditerranéen d’alors pour ne parler que d’Israël et de ses voisins ) effectuait différentes tâches : prières, purifications, conseil, offrandes des prémices, encens, sacrifices non sanglants, sacrifices sanglants… Rien d’étonnant donc à ce que prêtre de Salem effectue ses rites.  Le terme « dieu »  est lui-même un terme générique  tant qu’on ne lui donne pas un nom.   

 On constate que dans Genèse,  le terme « sacrifice » n’est pas prononcé  à propos de ce que fait Melchisedek : l’hospitalité exercée s’accompagne d’un partage de pain et de vin,  d’une bénédiction et d’une action de grâce, et il n’est évidemment encore moins question de  sacrifice sanglant, mais simplement, de  pratiquer une hospitalité « végétarienne » en bénissant Dieu et en le remerciant pour ses bienfaits. La paix est un don de Dieu, et même la victoire qui apporte la paix  et permettra plus tard Jérusalem…

Ce qui concerne la narration de cet événement  s’arrête là : c’est peu de choses.

Nous avons donné les éléments explicatifs de ce texte censé évoquer des événements réputés auto-référentiellement  dater  de 1500 av. J.-C. et  dont les scientifiques  savent qu’il a été  mis par écrit vers 500 av. J.-C. au moment de la terrible déportation à Babylone ou à son retour. C’est donc  une reconstruction  longtemps après  les faits ( éventuels )  pratiquée selon certains objectifs par certains auteurs, et ce texte fut et est encore aujourd’hui fondamental et porteur pour beaucoup en Israël et pour beaucoup de chrétiens.

Cependant, nous n’avons pas détaillé l’archéologie et l’histoire le concernant,  car ce n’était pas  notre  but. Ce qui  nous intéresse dans cette étude, c’est de réfléchir sur ce qui peut guider notre aujourd’hui.

Nous pouvons discerner  les idées  qui sous-tendent le texte  et l’état d’esprit qu’il promeut. Nous le pouvons certes, et même nous le devons car une lecture plus réflexive de ces quelques lignes  s’impose  en tenant compte du fait qu’il nous est présenté aujourd’hui encore comme prophétique, annonçant  Jésus, le sacerdoce, le sacrifice, bref   comme une des racines nourrissant notre vie.

 Ainsi, présenterions-nous encore ainsi ces événements ? 

Les auteurs du texte nous présentent un Abram vainqueur, signe évident …que le dieu le plus puissant est avec lui ; le Roi  voisin  remercie Abram ( peut-être à l’avance ou en conclusion d’un pacte d’alliance  )  et le béni  lui qui ne fera pas de mal à Salem. Abram donne donc à cet ennemi potentiel qui est devenu son allié, un dixième de son butin. De plus,  Abram n’est pas prêtre lui-même, quoiqu’il puisse accomplir lui-même les rituels ( cf.  tous les rituels qu’il apprend à accomplir pieusement, dont  le  sacrifice d’Isaac). Cet homme qui vient à sa rencontre  est  par chance un prêtre connu comme tel : il a un nom peut-être générique, en tout cas riche de sens symbolique, et qui est déjà tout un  programme. Il remercie  le Dieu d’Abram  (et son propre Dieu) qui a donné la victoire à Abram, comme s’il l’avait attendu  …

Le décryptage de l’implicite du texte nous pose question pour ce que nous avons à vivre aujourd’hui : ce texte montre quelle notion de Dieu on avait à une époque de tolérance  et de partage,  mais il a des côtés plus discutables : c’est un texte qui exalte la paix certes,  mais quelle paix ? quelle réussite ? le pouvoir de quel Dieu ? quel type de rituel ?

Nous reviendrons plus loin  sur ces questions  quand il sera question de l’esprit de l’Evangile et de celui qui pourrait animer l’Humanité, croyante ou non, aujourd’hui. 

Le psaume  109 ou 110 fait allusion à Melchisedek.

La référence suivante ) Melchisedech se trouve  dans le Psaume  109 ( ou 110). Il est difficile à traduire et à comprendre ( d’où d’ailleurs les interprétations si nombreuses… )

Le voici intégralement :  ( trad.  du grec en français par Marg. Champeaux-Rousselot)  

Hébreu TanakhGrec SeptanteFrançais  ( trad. Marguerite Champeaux-Rousselot : le plus proche possible de l’hébreu et du grec)  Latin Vulgate
1לְדָוִ֗ד מִ֫זְמֹ֥ור נְאֻ֤ם יְהוָ֨ה ׀ לַֽאדֹנִ֗י שֵׁ֥ב לִֽימִינִ֑י עַד־אָשִׁ֥ית אֹ֝יְבֶ֗יךָ הֲדֹ֣ם לְרַגְלֶֽיךָ׃ Ψαλμὸς τῷ Δαυΐδ. – ΕΙΠΕΝ ὁ Κύριος τῷ Κυρίῳ μου·  κάθου ἐκ δεξιῶν μου, ἕως ἂν θῶ τοὺς ἐχθρούς σου ὑποπόδιον τῶν ποδῶν σου.Parole de l’Éternel à mon Seigneur : «  Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme marchepied de tes pieds.[David psalmus] dixit Dominus Domino meo sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum
2מַטֵּה-עֻזְּךָ–יִשְׁלַח יְהוָה, מִצִּיּוֹן; רְדֵה, בְּקֶרֶב אֹיְבֶיךָ ράβδον δυνάμεως ἐξαποστελεῖ σοι Κύριος ἐκ Σιών, καὶ κατακυρίευε ἐν μέσῳ τῶν ἐχθρῶν σου.L’Éternel étend hors de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis !Virgam virtutis tuae emittet Dominus ex Sion dominare in medio inimicorum tuorum
3עַמְּךָ נְדָבֹת, בְּיוֹם חֵילֶךָ:בְּהַדְרֵי-קֹדֶשׁ, מֵרֶחֶם מִשְׁחָר; לְךָ, טַל יַלְדֻתֶיךָ μετὰ σοῦ ἡ ἀρχὴ ἐν ἡμέρᾳ τῆς δυνάμεώς σου ἐν ταῖς λαμπρότησι τῶν ἁγίων σου· ἐκ γαστρὸς πρὸ ἑωσφόρου ἐγέννησά σε.Te suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ;  de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »Tecum principium in die virtutis tuae in splendoribus sanctorum ex utero ante luciferum genui te
4נִשְׁבַּע יְהוָה, וְלֹא יִנָּחֵם– אַתָּה-כֹהֵן לְעוֹלָם;עַל-דִּבְרָתִי, מַלְכִּי-צֶדֶק ὤμοσε Κύριος καὶ οὐ μεταμεληθήσεται· σὺ ἱερεὺς εἰς τὸν αἰῶνα κατὰ τὴν τάξιν Μελχισεδέκ.L’Éternel l’a juré, et il ne s’en dédira point : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisedek.Juravit Dominus et non poenitebit eum ;  tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech
5אֲדֹנָי עַל-יְמִינְךָ; מָחַץ בְּיוֹם-אַפּוֹ מְלָכִים Κύριος ἐκ δεξιῶν σου συνέθλασεν ἐν ἡμέρᾳ ὀργῆς αὐτοῦ βασιλεῖς·Le Seigneur, à ta droite, brise/a brisé des rois au jour de sa colère.Dominus a dextris tuis confregit in die irae suae reges
6יָדִין בַּגּוֹיִם, מָלֵא גְוִיּוֹת; מָחַץ רֹאשׁ, עַל-אֶרֶץ רַבָּה κρινεῖ ἐν τοῖς ἔθνεσι, πληρώσει πτώματα, συνθλάσει κεφαλὰς ἐπὶ γῆς πολλῶν.Il exerce la justice parmi les nations : il remplira tout de cadavres ; il brisera des têtes sur la terre de beaucoup..Judicabit in nationibus implebit ruinas conquassabit capita in terra multorum
7מִנַּחַל, בַּדֶּרֶךְ יִשְׁתֶּה; עַל-כֵּן, יָרִים רֹאשׁ ἐκ χειμάρρου ἐν ὁδῷ πίεται· διὰ τοῦτο ὑψώσει κεφαλήν.Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.de torrente in via bibet ;  propterea exaltabit caput

Psaume 110 selon la numérotation grecque, ou 109.

Un exemple de traduction discutable selon nous sachant qu’elle contient par rapport au texte, quelques infidélités « orientées» :

1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :

Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.

2 L’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance : Domine au milieu de tes ennemis !

3 Ton peuple est plein d’ardeur, quand tu rassembles ton armée ; avec des ornements sacrés, du sein de l’aurore ta jeunesse vient à toi comme une rosée.

Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées, d’une autre façon :   

4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en repentira point :

Tu es sacrificateur pour toujours, à la manière de Melchisedek.

5 Le Seigneur, à ta droite, brise des rois au jour de sa colère.

6 Il exerce la justice parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise des têtes sur toute l’étendue du pays.

7 Il boit au torrent pendant la marche : C’est pourquoi il relève la tête.

Etudions mieux le psaume : il comprend deux parties sur le thème du roi à la structure très proches : les versets 1 à 3, puis les versets 4 à 7. Chaque partie commence par un oracle de l’Éternel, qui est ensuite commenté par le psalmiste. Voyons le sens général avant de regarder les termes les plus difficiles.

Aux versets 1 et 2, le roi siégeant à la droite de Dieu : cette place montre que le Roi  est le lieutenant terrestre de Dieu. Les ennemis formant son marchepied au fur et à mesure des victoires est un symbole clair pour tous (sculptures etc. dans l’archéologie, Egypte et autres ). exprimant la victoire sur l’ennemi et sa domination. Dieu va lui donner le sceptre de la puissance. Dans le verset 3, l’expression est riche de symboles connotés dont nous avons perdu le cheminement logique … mais il  y a visiblement le mot « peuple », un terme qui montre qu’il peut être une « armée », que cette armée  est reliée à l’idée du « sacré » ou de la « sainteté »  ( comme si c’était l’armée sur terre de Dieu ? ), et ceci dans la « rosée » de l’ « aurore »  ( un jour nouveau qui se lève, celui où Israël va se sauver par son armée qui est la main de Dieu ? ).

Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées : le verset 4 sera éclairci  plus loin ; la victoire de Dieu sur les rois méchants par l’intermédiaire d’un roi qui a Dieu cette fois à sa droite : le jour où la colère de Dieu éclatera et fera éclater sa justice, le Roi est à sa gauche. L’armée lui obéit et accomplit sa volonté ; elle n’a aucun souci de son confort : quand elle a soif, elle boit aux torrents sans se dérouter de son chemin pour trouver une belle fontaine, ni attendre en s’affaiblissant de trouver une source plus pure. C’est cette union entre Dieu et le Roi, par l’armée, qui permet la victoire

Ce psaume peut être diversement interprété : il peut concerner deux personnes différentes à deux époques différentes :

1) Psaume royal qui peut être vu comme un psaume écrit pour l’intronisation d’un certain Roi d’Israël, ( historique et précis comme David  ou Salomon ?  ou idéal  et/ou  à venir ? ) qui sera/est/a été toujours fidèle à sa foi en Dieu en même temps qu’il a été/est/sera un guerrier victorieux qui suit les ordres de Dieu, les deux qualités de ce Roi ( fidèle/victorieux) étant reliées par  sa foi en Dieu   ;

2)  allusion à un lieutenant de Dieu, tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche ( notons qu’il n’est pas question de filiation )  qui tantôt reçoit de Dieu la victoire  tantôt est victorieux parce qu’il lui obéit : certains ont vu dans cette figure le Roi d’Israël idéal, un égal de Dieu, la figure de l’Oint[2] ( L’Oint se dit Messiah, en hébreu, francisé en  Messie, et se dit en grec Christos latinisé  en Christus  et traduit en français par Christ[3]) ou du Fils de l’Homme, d’un Fils de Dieu etc.  Certains Juifs sont même allés à dire qu’il y avait, peut-être bien, « à côté de Dieu » un personnage mystérieux et mal connu : un « Fils » au sens symbolique.    

C’est pourquoi certains commentateurs chrétiens utilisent ce passage sans le dire expressément ( et d’ailleurs sans dire lequel des versets entre 1 et 3 ils utilisent  ) en disant : « La filiation divine peut exprimer une relation privilégiée du roi à l’Éternel » : mais où a-t-il  été question ici de filiation divine ? Et  même de filiation tout court ?  On ajoute aussi  parfois : «  ce passage est à rapprocher du psaume 2, verset 7 » : or en fait il est y question  de l’Oint (le Messie, Messiah) qui a été adopté par Dieu comme fils, et ici ce n’est pas mentionné comme tel.  On dit encore qu’on peut le rapprocher du Deuxième livre de Samuel, ch. 7, v. 14. où Dieu déclare à David qu’il sera un père pour Salomon et que Salomon sera un fils pour lui : mais encore une fois il n’est pas question de cela ici. Même si ces textes sont des textes où Dieu soutient le roi, il n’est pas plus question de filiation  que dans le texte du Psaume 110 (109) ou dans le passage évoquant  la rencontre d’Abraham et de Melchisedek.

Certains traduisent parfois «  sacrificateur/prêtre dans l’ordre de Melchisedek » : cette traduction est tendancieuse car elle fait croire à une allusion à un ordre de prêtres, comme nous dirions l’Ordre des avocats, à une catégorie dans une hiérarchie d’organisation : or le terme hébreu veut simplement dire «  à la manière de  ».

L’expression « pour toujours » ( v. 4) est en hébreu un mot qui peut aussi désigner le passé  comme le futur, c’est-à-dire éternel ou quasiment éternel,  mais le plus souvent le futur.

Enfin, – revenons à la question qui nous intéresse plus ici – certains traduisent «  tu es sacrificateur pour toujours » alors que  le terme employé ne fait aucune allusion à un sacrifice ni à un sacrificateur. C’est en effet le même terme que dans le texte concernant Melchisedek  qui fait apporter pain et vin ; sans faire de sacrifice, il bénit Dieu et ratifie la victoire d’Abraham au nom du Dieu qu’il sert. Le terme hébreu « prêtre »  ( 3548 cohen) qui est employé dans le texte est très large et sa fonction ne se limite pas à celle d’un sacrificateur, même si certains la voient comme la plus haute fonction religieuse, et d’autant plus haute que le sacrifice serait sanglant, et de grosse taille : ce mode de pensée n’est pas loin des sacrifices païens que Dieu récuse plusieurs fois dans le Tanakh, sans compter le message de Jésus au sujet des sacrifices faits au Temple, à Jérusalem  ou ailleurs et des « consignes » qu’il laisse pour la prière à Dieu notre Père.

Conclusion  de ces remarques  sur la forme et les mots : ce texte doit donc être traduit avec honnêteté, et commenté sans trop de dérives irrationnelles…

Traduction proposée par nous, plus littérale, avec temps et mots plus justes :

 1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :

«  Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme marchepied de tes pieds.

2 L’Éternel étendra hors de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis !

3 Suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ;  de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »

4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en dédira point : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisedek.

5 Le Seigneur, à ta droite, brise/a brisé des rois au jour de sa colère.

6 Il exercera la justice parmi les nations : il remplira tout de cadavres ; il brisera des têtes sur la terre de beaucoup.

7 Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.

Regardons d’abord maintenant le Psaume avec objectivité

Le texte du Psaume est difficile à comprendre, même mieux traduit.

Comme dans le peuple juif, les fonctions royale et sacerdotale sont distinctes, le psaume est souvent pris pour la description d’un roi idéal qui est ou plutôt sera en fait  la projection de Dieu combattant sur terre, un Messie guerrier etc. Le verset 3 se comprend mieux alors : il ferait référence à ce jour où la Nuit d’Israël finira enfin, grâce à une armée qui comprendra tout un peuple fidèle, tous des guerriers menant une guerre sacrée sous l’impulsion de leur foi en Dieu : tous des prêtres guerriers. Et comment Israël perdrait-il une guerre si tous les guerriers sont des  prêtres et que Dieu les bénit ? 

A quelle époque le psalmiste fait-il allusion ? On ne sait pas s’il parle d’une personne présente ou future, d’une réalité terrestre ou non. Ce personnage, ce héros,  est présenté comme le parangon d’un roi en même temps prêtre, comme l’était Melchisedek, mais au dessus de tout corps de prêtres humainement et administrativement constitué, en dehors de toute organisation correspondant à un clergé hiérarchisé. Il semble que dans ce texte le futur l’emporte… L’ensemble évoquerait ( pour moi mais sans certitude ! ) la foi du psalmiste en un Roi ( probablement le Roi qui venait d’être oint à l’poque où l’on a composé ce psaume ) , un Roi d’Israël, bien vivant dans ce pays et ce peuple, un Roi  qui serait vraiment une émanation de Dieu,  sur une Terre Royaume de Dieu… 

Cependant son affirmation, ô combien réconfortante ! : « L’Eternel l’a juré »  est passée comme Ecriture sainte, engageant réellement Dieu… Cette phrase  a eu un très grand retentissement, en particulier   car elle affirmait que le Dieu des armées était du côté d’Israël.

Lorsqu’Israël a de nouveau eu un territoire, cette phrase a été interprétée  par certains, non dans le futur d’un royaume qui n’est pas  de ce monde, mais comme justifiant la création d’un Etat politique et en même temps religieux avec comme objectif la reconquête  de ce que Dieu avait été censé, d’après les textes ainsi interprétés, avoir «  donné » à Abraham et à ses descendants.   .  

Mais concluons sur la réalité de ce qui est décrit s’être passé entre Abraham et Mechisédek pour revenir à notre allusion lors de la messe :  

Le texte du Psaume s’est déjà fort éloigné du récit tiré de la Genèse.

De la bénédiction de Melchisedek qui valide la conquête d’Abram, Israël a déduit surtout que Dieu donne des récompenses à celui qui lui fait des offrandes qu’il agrée. Il retient cela comme une sorte d’alliance signée par celui qui recevra une offrande, envers le peuple qui a accompli cette offrande. Ce qui est rassurant pour ce peuple, c’est l’idée que la « récompense » est promise par un Dieu toujours fidèle, et que le peuple, quoique infidèle, sera d’une nature abstraite par essence, toujours fidèle, toujours représenté par un clergé «  prêtre à jamais », et comme Melchisedek, roi-guerrier…

Mais devons-nous, nous, hommes du XXI° siècle, chrétiens, valider ce type de déductions comme orientant nos vies ?

Nous avons une telle vénération pour ces textes qui pour nous sont comme sacrés que nous ne prenons pas de recul… Mais un tel  questionnement ne doit pas être tabou, la démarche historico-critique est permise désormais, et il faut la  faire même si la démarche risque d’être mal prise par certains  et même s’il est difficile pour nous de lire sans préjugés … .

L’absence de Melchisedek et de ses signifiants dans les Actes et les Evangiles

Nous ne pouvons que nous fier aux textes qui nous sont parvenus…

Les épitres et les évangiles ne montrent pas un Jésus  faisant référence à Melchisedek. Il nous  semble qu’il n’y a peut-être pas fait référence. En effet,  on ne peut traiter le sujet en entier mais nous pensons être honnête ( et convaincante ) en prenant presque au hasard, un fait significatif car il y en aurait  tant d’autres à convoquer…

Matthieu lui fait citer le texte où Yahweh déclare  par la bouche du prophète (Osée, 6, 6)  :… parce que je veux la pitié et non le sacrifice,  et l’action de reconnaître Dieu plutôt que les holocaustes. (διότι ἔλεος θέλω καὶ οὐ θυσίαν καὶ ἐπίγνωσιν Θεοῦ ἢ ὁλοκαυτώματα.)

Matthieu le lui fait citer  deux fois… et il ne s’est pas contenté de lui faire citer le souhait prêté à Dieu, mais y a ajouté le  refus explicite par Jésus  du « sacrifice » et sans doute du système sacrificiel, des valeurs supposées et de la hiérarchie qu’il induit ainsi que de la figure anthropomorphique et quasi-païenne qu’il dessine, hélas,  en creux.

–  Matthieu 9,13 : Allez, et apprenez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion[4], et non aux sacrifices. » Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.

–   Matthieu 12,7 : Si vous saviez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion, et non aux sacrifices », vous n’auriez pas condamné des innocents.

D’après bien d’autres passages, on  peut supposer que Jésus avait réprouvé le système (instrumentalisant Dieu) du bouc émissaire et du sacrifice d’un autre (innocent, même animal) comme victime à la place de soi-même : il préfère un effort sur soi. Il a certainement montré la force d’amour, la puissance de conversion et la fécondité de la paix, de la non-violence, du pardon lors de déceptions, envers les ennemis, ou envers des meurtriers. Inutile d’insister ici.

Il évoque un quotidien où l’on se donne aux autres… et parfois où on est tué si on ne renie pas Dieu. Mais il n’a jamais indiqué aux chrétiens qu’aucun parmi eux  ait  à devenir « prêtre »  ou Grand prêtre ou lévite à la manière des prêtres de l’Ancien testament, ni même scribe[5]. Il n’a jamais évoqué comme condition  à son  salut  qu’aucun des fils de Dieu ait eu à faire de sacrifice à la manière des Hébreux.

Les évangélistes ne se contredisent pas  sur ce point : ils étaient d’accord pour montrer que Jésus qui a refusé pour lui-même le titre de « Rabbi », ne s’est opposé aux coutumes religieuses que lorsqu’elles étaient un leurre ou faisaient contresens ; on voit qu’il n’a pas prôné des cérémonies publiques, ni des rites et des sacrifices, et qu’il  n’a pas cherché à constituer de clergé lorsqu’il bâtissait son Eglise, etc. On peut se rapporter en deux mots au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité[6].

De ces caractéristiques trouvées dans les textes, on peut déduire selon moi, qu’il y a toutes chances  pour que Jésus ait pris réellement  du  recul  sur ces sujets, et c’est pourquoi dans son message, dans le noyau de son message, se trouvent si peu de références positives au Tanakh sauf quand il veut se placer sur le terrain de ses interlocuteurs en prenant leur langage ou en répondant à leurs questions. L’esprit de Dieu lui fait comprendre le principe de la Loi ; il en laisse quand elle n’y correspond pas et la dépasse quand elle est insuffisante.

Réfléchissons[7] si le comportement d’Abram (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…)  et de ce roi-prêtre local soutenant le vainqueur puisque dans toutes les religions d’alors  la victoire était interprétée comme un signe de la faveur divine, pouvait  être encore validés ainsi à l’époque de Jésus. Des discours de ce genre s’entendent encore parfois aujourd’hui un peu partout dans le monde. En Israël, lors de défaites, de famines ou de l’Exil,  des prophètes avaient  déjà réfléchi à la question pour changer ce raisonnement quasi-païen qui instrumentalise la croyance en Dieu et prétend définir Dieu  de façon anthropomorphe.  Les évangiles montrent  que Jésus  avait réfléchi sur la violence, l’injustice, les victimes, le pouvoir, les minorités etc. Quel avis pouvait-il avoir sur un Abram conquérant présenté comme aidé par Dieu, nomade s’emparant de terres non-assignées ou guerrier usant de la force, obligeant les plus faibles à se soumettre, et sur un  prêtre osant  faire une déclaration théologique sacrant le vainqueur comme un prétendu favori de Dieu… Il pouvait par contre aimer Abram et Melchisedek qui cherchaient Dieu comme ils pouvaient…  Jésus semble avoir partagé les révélations des prophètes  qui ont réfléchi au sujet de la  manière dont Dieu agit ou n’agit pas dans et sur ce monde.  D’accord pour bénir Dieu, mais contre l’instrumentalisation d’une telle bénédiction ; et sans doute  opposé à toute idée d’acheter Dieu, de se le lier,  ou même de lui rappeler une alliance à laquelle il serait « obligé » de se tenir fidèlement envers un partenaire plus ou moins fidèle… Jésus s’est dressé contre ces amalgames et  il va sans dire que cette conception se ressent explicitement et implicitement – ce qui est  tout aussi important mais plus compliqué et plus long à « citer » ! –   dans tous les évangiles.

Et nous, pouvons-nous, sans réfléchir, accepter en modèle ce qui était pourtant acceptable à l’époque supposée d’Abram de Mechisédek,  et, pour certaines tendance du peuple d’Israël à l’époque de Jésus ? Pouvons-nous accepter en modèle à suivre le comportement de ce roi-prêtre local validant la victoire d’Abram  et en déduisant une valeur religieuse ? Pouvons-nous considérer comme un modèle à suivre ce rite accompli par  ce roi-prêtre local bénissant Dieu lors de l’alliance supposée voulue par Dieu avec ce vainqueur ?  

Il y aurait beaucoup à dire  sur  cette collusion, une manière de penser qui sous-tend  encore bien des discours théologiques et bien des prières, une tentation sans cesse renaissante car elle semble «  fructueuse »  pour gagner  à Dieu des fidèles…

Or  voici la phrase dite et redite pendant la messe et qui nous imprègne, consciemment ou non : «  Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »

En pesant et en considérant chaque mot,  a-t-il vraiment « plu» à Dieu d’accueillir (…) le sacrifice (…) que t’offrit Melchisedek  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait » ?

Nous avons déjà vu dans le texte que ce n’était pas un « sacrifice » mais est-on vraiment sûr de ce que veut impliquer pour nous chacun de ces mots dans notre vie et dans nos choix de tous les jours ?

Est-ce vraiment le chemin  que l’Evangile nous trace ?

Pour répondre à cette question, nous allons regarder la troisième occurrence de Melchisedek, celle dans  l’Epître dite aux Hébreux.

En effet, ni l’Apocalypse, ni les Epitres ne mentionnent Melchisedek sauf une seule épître : celle de  l’épître dite aux Hébreux ( 5,6).  

Pendant  longtemps, on a même débattu pour savoir si ce texte était canonique ou non. En effet, si dans son contenu il y a référence à l’Ancien Testament,  c’est en fait pour mieux s’en différencier … Cette démarche complète donc la démarche de l’Evangile et va dans le même sens, mais est plus explicite. Elle a finalement été attribuée à Paul et acceptée comme canonique en 397 …  Mais la critique moderne la date désormais d’entre 60 et 90, a observé que son nom date seulement du II° siècle, et a cessé de l’attribuer à Paul. Quoiqu’elle soit restée canonique – et selon nous, elle le mérite comme nous le verrons  -, on doit prêter attention au fait que des citations trop brèves et séparées du contexte  favorisent de graves contresens, des contresens … plus ou moins volontaires parfois…  tellement elle en gêne certains par sa théologie ! 

Melchisedek est donc un des angles d’attaque pour une question plus générale, traitée explicitement à maintes reprises explicitement dans les Epîtres, mais comme nous l’avons vu, déjà très importante dans les évangiles. Cette question concerne la «  filiation » (ressemblances/différences etc.)  entre Jésus/son Evangile et l’Ancien testament. 

Ce texte évoque à nouveau cette figure symbolique de Melchisedek pour répondre à des questions alors d’actualité. Elle a été écrite précisément pour s’opposer à ceux qui à l’époque, peu après la mort de Jésus, se demandaient s’il ne fallait pas que les disciples de Jésus, juifs ou païens convertis,  offrent des sacrifices à Dieu, à peu près comme dans le Temple de Jérusalem, par l’intermédiaire de nouveaux prêtres… L’épître répond clairement que  Non, en plusieurs points.     

1°) L’auteur de l’épître  s’attache à montrer que Melchisedek habite Salem et y vénère  avec tous ses sujets,  Yahvé comme Dieu, avant même la venue d’Abram : il montre ainsi, au moment des débats sur  l’ouverture aux païens, que cet accès de Dieu par les païens était déjà validé par la Torah : ce récit montrait même que, en ce qui concernait le sacerdoce ou les rites,  les Juifs étaient en réalité seconds par rapport aux païens… et que, à la limite, on pouvait dire légitimement que ce n’était pas des Juifs que les païens recevaient le sacerdoce, mais bien les Juifs des païens… Un des intérêts de la figure de Melchisedek est de relativiser l’apport juif et leur antériorité.

2°) L’auteur  peut-être de culture juive et s’adressant à des disciples d’origine juive, va pratiquer une lecture de type midrashique  où un épisode ou un texte « antérieur » annonce un texte ou un épisode postérieur qui est « en progrès ». Seulement, selon les disciples de Jésus, le processus est mené à son terme avec Jésus : il a accompli parfaitement les figures qui l’annonçaient : « accomplir parfaitement »  signifie « achever[8] », c’est-à-dire « mener à sa fin », ce qui rend superfétatoire, prétentieux ou nuisible tout désir de perfectionner la chose et  rend également ce qui précède obsolète et périmé. Paul montre ainsi que la Croix rend obsolète la circoncision qui lui ressemble un peu et l’annonçait, de même que le partage du pain à la Cène rend obsolète la manne qui lui ressemble un peu et l’annonçait  etc.   

L’auteur va donc tout d’abord montrer qu’il connaît leurs propres arguments tirés des trois lignes à peine de la Genèse qui pourraient faire de ce personnage une figure annonciatrice de Jésus. Le texte dégage d’abord les deux points concernant

a) il mentionne d’abord que Melkisédek porte un nom qui veut dire « roi de justice » et ensuite, qu’il est roi de Salem, c’est-à-dire roi « de paix » ( 7, 2 et 3) : Jésus mérite aussi ces titres.

b) il fait remarquer qu’on ne parle « ni du père ni de la mère, ni d’ancêtres de Melchisedek,  ni d’un commencement d’existence ni d’une fin de vie : cela peut ainsi le faire ressembler au Fils de Dieu ». (7, 2 et 3).

c) il cite quelques mots extraits du psaume 109 (110), 4 dont on a pourtant vu l’imprécision extrême et l’actualité guerrière très concrète, en disant que le personnage qu’il évoque, puisqu’il est « prêtre selon l’ordre de Melchisedek »,  est  bien Jésus.

 Ce premier raisonnement peut nous sembler faible, mais l’auteur y ajoute l’autorité de textes bien connus. Là se termine un premier  mouvement d’écoute appréciative, conciliant, apaisant, qui montre en Jésus celui que Melchisedek annonçait peut-être… 

Une fois ceci « acquis », l’épître aux Hébreux entre dans le système d’amalgame où Melchisedek est prêtre-sacrificateur. Elle s’applique à montrer peut-être plus aux Hébreux, aux Juifs, mais probablement à tous les chrétiens,  que Jésus, puisqu’il est « prêtre », a accompli la fonction essentielle du grand prêtre : il a accompli l’acte sacrificiel, c’est-à-dire qu’il l’a  achevé, parachevé, rendu parfait… C’est en effet que le  sacrifice de Melchisedek n’était heureusement pas un sacrifice de chair et de sang à des idoles, mais déjà une offrande de bénédiction, du pain et du vin offerts à Dieu et non pas sacrifiés. Cependant, le rapprochement (dans le texte)  avec la Cène et la mort de Jésus dans ce cadre de la Pâque, montre que  le pain et le vin de la Cène prennent la valeur symbolique de ce qui nous nourrit et nous fait vivre,  de sa vie livrée pour nous en cohérence avec sa parole (celle de Dieu ), son corps et son sang réellement livrés à la mort. Alors, pour l’auteur de la Lettre,  le pain et le vin de Melchisedek ne peuvent plus être que la préfiguration ( faible et incomplète) de la passion librement acceptée de Jésus. On ne parle plus de bénédiction comme avec Melchisedek, mais de « sacrifice », et ce sacrifice offert à Dieu par Jésus est forcément parfait. Or, si on s’inscrit dans la pensée anthropologique juive pour être bien compris des auditeurs et des lecteurs visés, un sacrifice ne peut avoir pour but que de laver les péchés… des autres etc. Mais, (voici le mais), à la différence de la plupart des autres sacrifices, Jésus a  vécu des souffrances qu’il a acceptées : c’est un fait. Il a accompli pour ainsi dire un sacrifice à ses propres dépens, non pas aux dépens  d’un autre ou d’un animal, mais  en laissant prendre sa vie. C’est un sacrifice réel de sa personne. 

Là se finit la comparaison qui a mis en évidence les ressemblances pour mieux montrer ensuite – car c’est là son objectif majeur –  les différences avec l’existant  passé et l’existant de Jésus.

Après avoir bien affirmé cela, l’Epître démontre que le sacrifice que Jésus a fait est fait une fois pour toutes, qu’il est désormais auprès de Dieu comme un intermédiaire auprès de lui pour ses disciples et pour les Hommes, et donc qu’il n’y a plus besoin, désormais, de sacrifices offert par les chrétiens, et donc pas besoin de prêtres ( même s’il y a besoin d’humbles responsables)[9].

Pour avoir des renseignements plus complets sur cette thématique, voir le document sur ce site sur L’histoire de la notion de prêtre. https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/

  Si cette Epître a commencé par chercher à montrer que Jésus  pouvait avoir été annoncé par la figure de Melchisedek, – une chose qu’aucun Evangile ne signale d’ailleurs comme revendiquée par Jésus -, c’était donc pour mieux indiquer aux chrétiens qu’aucun d’eux n’a à  devenir « prêtre »  à la manière des prêtres de l’Ancien testament, qu’aucun des disciples de Jésus n’avait à faire de sacrifice à la manière des Hébreux, des païens ou des superstitieux. C’est pourquoi la force et la teneur  de cette seconde partie relativise la portée de la première :  les ressemblances – faibles et peu démonstratives – notées entre Jésus et Melchisedek n’ont été mises là par l’auteur que pour apaiser ses opposants par des concessions, et la présentation de leurs propres arguments est balayée par la seconde partie qui  montre les différences bien plus grandes entre d’une part Melchisedek et les sacrifices juifs,  et d’autre  part l’existant  passé de  Jésus et son  existant en tant que Vivant. 

En cela, Jésus, comme nous l’avons vu plus haut,  aurait sans doute été d’accord avec cette Epître aux hébreux sur le point qui démontre pourquoi ce genre de sacrifices est inutile,  ainsi que  tout le système  sacrificiel y afférant avec ce qu’il supposait théologiquement au sujet de Yahweh ou de Dieu …  Désormais nous savons quels sacrifices sont agréables à Dieu : nous-mêmes car Yahweh était un  Dieu de tendresse, et le même est notre Père.

Melchisedek et son « utilisation » au III° siècle ap. J.-C. et ensuite

On trouve ensuite peu de références à Melchisedek.

C’est saint Cyprien3( 200-258) dans la tradition patristique, qui s’intéresse à lui.

Les premières célébrations en  souvenir de Jésus voyaient une assemblée partageant un repas fraternel, « la fraction (du pain) », le partage de la coupe, fraction et partage réalisant en quelque sorte l’unité du corps des disciples[10]  en mémoire de Jésus qui les réunissait en un seul corps rassemblés en son nom par ce qu’il a partagé jadis et par ce qui était partagé alors.

Cyprien  va  se focaliser sur le pain et le vin pour en changer le sens, et en proposer une interprétation sacrificielle eucharistique4 : le pain et le vin devenant  des symboles ou des signes du corps et du sang de Jésus en tant que victime.

Progressant dans la ligne directe de cette épître, l’Eglise catholique romaine  a fait référence à Melchisedek dans la prière eucharistique : Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le Juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance, accepte-la. En les donnant à titre d’actes sacrificiels fondateurs créant une lignée validant un enchaînement vers un progrès, en amalgamant deux sacrifices non sanglants (les fruits d’Abel, le pain et le vin de Melchisedek) et deux sacrifices sanglants (Isaac/le bouc), une victime  innocente (Abel), une victime sauvée in extremis, (Isaac) et en insinuant qu’aucun des sacrifices précédant  ou suivant celui du Christ n’est parfait, Cyprien conduit les fidèles à comprendre, et à accepter,  que le sacrifice parfait est celui du Christ, et qu’il est fait pour – autre réutilisation – laver leurs péchés. Le sacrifice est alors, à leurs yeux,  devenu nécessaire au salut de chacun, et cette perception fait qu’il est utilisé comme l’outil par excellence du pouvoir de l’Eglise.

L’iconographie chrétienne représentera alors plus tard Melchisedek en prêtre-roi couronné, portant ou faisant porter par des serviteurs le calice, l’ostensoir ou une corbeille de pains. Elle met en scène le pouvoir temporel (représenté par Abraham souvent en armure et avec ses soldats)  attendant la bénédiction du  pouvoir spirituel (représenté par Melchisedek et ses serviteurs, avec corbeille de pains et aiguières). On donnera d’ailleurs le nom de Melchisedeks aux ostensoirs en forme de petits autels portatifs destinés à recevoir l’Eucharistie.

Saint Jérôme ( 347-420) tente de démontrer que le manque de précisions  et de détails concernant Melchisedek avait été justement et précisément fait exprès par les rédacteurs de la Genèse  afin  que cela puisse annoncer prophétiquement  de Jésus  le «  sacerdoce éternel, sans limites dans le passé comme dans l’avenir, tandis que le sacerdoce d’Aaron, chez les Juifs, eut un commencement et une fin. » Selon le schéma habituel supposé démonstratif où un grand personnage est «  annoncé » par un autre, il insiste sur l’importance de Melchisedek : « avant Lévi et Aaron, Melkisédek, un païen, fut véritablement prêtre. Bien mieux, un si grand prêtre, qu’il lui fut donné de bénir, en la personne d’Abraham, les futurs prêtres des Juifs qui descendraient du patriarche. Tout ce qui est dit ici à la louange de Melkisédek concerne le Christ dont il est la figure. Et le déploiement du sacerdoce du Christ, ce sont les sacrements de l’Eglise (saint Jérôme : épître LXXIII, 2-3).

La figure de Melkisedeq sera utilisée pendant des siècles par les théologiens  pour appuyer  une certaine conception de l’Eglise, de Jésus, du sacrifice, de Dieu. C’est l’objet d’un autre article de ce site.

Et c’est ce qui porte la phrase citée au début de cet article, extraite de la prière eucharistique, si souvent répétée.  

Et aujourd’hui ?

Melchisedek a pu être un exemple à un moment donné pour les Hébreux : un exemple signifiant précisément qu’un culte à Yahweh existait déjà avant l’arrivée d’Abraham sur cette terre  où existait déjà une cité, Salem,  à l’emplacement de la future Jérusalem.

Ceci a été lu par certains comme une attestation que ce lieu était déjà à Yahweh et que donc il devrait toujours être à Yahweh… et à un autre peuple que celui dont Melchisédek faisait partie : au peuple hébreu… Certains l’ont vu comme une attestation  prophétique d’un futur ainsi légitimé comme une volonté de Dieu. C’est une référence dont se servent parfois même des Israéliens athées  qui veulent conserver les terres.  

Raisonnerions-nous encore ainsi ?

Réfléchissons si aujourd’hui encore le comportement d’Abraham (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…)  et de ce roi-prêtre local soutenant Abraham  peuvent être des modèles pour nous ? 

Gott mit uns, in God we trust, Montjoie Saint-Denis…

Jésus, qu’en dirait-il ?

D’autres, plus attentifs aux réalités historiques, humaines, morales, juridiques, éthiques,    l’ont lu autrement et ne prendraient plus comme exemple actuel la personnalité d’un roi-prêtre validant une conquête et recevant une part  du butin d’un vainqueur.

Ils peuvent avoir noté  à quels personnages de l’Ancien testament l’Evangile décerne des louanges ou quels textes il cite. C’est instructif. Cela ne témoignerait-il pas d’une liberté d’appréciation ? Egalement, vu ce que les évangélistes ont écrit,  ils n’ont probablement pas eu de témoignages  qui auraient présenté,  souvent ou régulièrement,  Jésus en train de citer les psaumes (qui étaient la prière populaire) ni des hymnes fussent-ils ceux  de prophètes ou de prophétesses. Ils l’ont représenté, quand on lui a demandé comment prier,  en train de  choisir  de-ci, de-là quelques versets qu’il modifie légèrement pour obtenir une prière au Père de tous ( il ne dit pas de mot plus savant que cette métaphore universelle),  dans la langue très simple du quotidien, et il propose visiblement de prier aussi sans sacrifice, sans rites, sans rythme, sans hiérarchie, sans titres, sans même de temple, mais chez soi ou dans la nature, au Temple ou à la synagogue : rien n’est exclu et peut-être tout se vaut-il ? ou plutôt rien ne vaut de prier Dieu  n’importe où mais «en esprit et en vérité ».

Joseph Moingt rappelle en quelques mots l’absence de caractère sacré  dans l’organisation humaine de la religion chrétienne  à ses débuts :  « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. ». Certes le sacré et  le saint existent mais ils sont en Dieu[11] et aucune organisation humaine ne peut prétendre auto-référentiellement en être imprégnée ni en imprégner certains de ses membres.     

Devenir « prêtre, prophète et roi », même au sens symbolique, est-ce le chemin de Jésus ? le chemin qu’il  propose à ses disciples ? Celui qu’il montre, n’est-ce pas plutôt de nous reconnaître enfants de Dieu, simples, petits et pauvres[12]

« Prêtre, prophète et roi »  ce ternaire  a été appliqué progressivement  aux prêtres catholiques que l’Eglise a affirmé participer  éminemment du sacré, voire du saint : prêtre car intermédiaire élu et consacré pour les offrandes et les demandes à Dieu, lui présentant des  sacrifices comme aux temps païens,  prophète car  en communication privilégiée avec son esprit et apte à conseiller avec autorité les consciences, roi  car sa puissance religieuse est supérieure à celle du  monde et c’est au nom de cela que son « service » le fait dominer concrètement, financièrement, juridiquement etc.  par exemple dans sa paroisse ou ses fidèles. 

Vatican II dans son souci de redonner une place aux simples fidèles a expliqué que le sacerdoce des baptisés  leur donnait à chacun un statut  de « prêtre, prophète et roi », même au bébé baptisé, même au baptisé qui dit qu’il ne croit plus, même à celui qui se convertit à une autre religion… Cette affirmation  partait d’une bonne intention, mais pour qu’elle ait un sens, il faut vider chaque mot de son sens normal  et le vider également du sens dévolu aux prêtres car à son niveau, pour parler honnêtement, aucun des trois ne recouvre la même chose : le « simple » fidèle est  prêtre car il offre sa vie en sacrifice, prophète car l’esprit peut l’aider, roi car son service le rendra roi dans l’autre monde.  La théologie actuelle l’affirme en termes imparables. 

L’expression a eu néanmoins un autre inconvénient : elle  a conforté certains baptisés dans la certitude qu’ils pouvaient continuer   à s’estimer plus « enfants de Dieu » que leurs frères  non-croyants.

Or ces trois mots qui évoquent un statut acquis presque magiquement au baptême, édifient une construction qui a une beauté séduisante mais  illusoire et artificielle : elle se sert  d’affirmations de type dogmatique, dans un discours  qui semble incompréhensible à tous ou presque  (non-croyants comme croyants, grands et petits), un discours théologique,  ce qui veut dire un discours sur Dieu…  ( et comme il est difficile  de parler de Dieu !! ). 

Outre que cette difficulté crée des désaccords et des différences, on a découvert de nos jours que, chez ceux qui ont autorité, prêtres et laïcs, l’affirmation de statuts de ce genre, idéalistes et symboliques, facilite  dangereusement quand ils sont pervertis et vécus littéralement, les dérives et les abus.

Or la création par l’homme de « sacré » entraîne ou permet souvent la création de personnes ayant un pouvoir[13] sacralisé par le « sacré » qu’ils ont le droit de côtoyer  pour leurs fidèles. En ce sens, employer lors des célébrations  le terme  de «  sacrifice »  de Melchisédek au lieu de dire « bénédiction »  est une faute[14] de traduction loin d’être anodine, et l’insérer dans un raisonnement qui le présente comme prophétique est presque malhonnête pour les raisons que nous avons vues ; répéter cette erreur  régulièrement, rituellement, –  contribue à augmenter  la distance entre l’Eucharistie et ce que Jésus avait souhaité.

 .       

Nous arrivons à la fin de cette réflexion et ne voudrions pas allonger ce texte.

Citons néanmoins encore Joseph Moingt qui rappelle  une évidence : « […] l’autorité sacerdotale doit obéir au même paradoxe évangélique que l’autorité de commander admise par Jésus de la part des apôtres : ici, pouvoir sans domination, là, pouvoir sans accaparement ni exclusive »[15]. Cette manière d’exercer le pouvoir est Bonne nouvelle en elle-même, révolution religieuse mais aussi profane (socio-politique mais aussi économique et  écologique) : c’est aussi celle d’une vraie démocratie  de frères  sur cette Terre où nous sommes de plus en plus conscients que le Royaume de Dieu passe ailleurs que par des croyances en un Dieu qui donne une terre et ses ressources à  tel groupe d’hommes, une condition meilleure  à telle personne, un pouvoir à telle catégorie.. Jésus prône une autorité qui laisse humainement liberté et égalité s’épanouir, mais il va plus loin en plaidant pour une autorité humble et une « chasteté » de la part du spirituel et du religieux qui ne peuvent/doivent pas empiéter sur les droits humains.

Or Jésus n’a pas laissé le souvenir qu’il ait désiré  être roi, ni être guerrier, ni être sacrificateur, ni être prêtre[16], ni dispenser des sacrements, ni manipuler ou faire manipuler du sacré ni les sacrifices[17] qui vont avec, et ce n’est pas ( à preuve du contraire ) le chemin dont on se souvenait qu’il l’ait indiqué  pour être fils de Dieu et participer du royaume de Dieu.

Si nous voulons marcher avec lui, ne pourrait-on pas modifier le texte de cette référence que nous prions  à la Messe ?

Nous pourrions dire : «  Nous te rendons grâce et t’offrons notre vie,  comme le firent de leur mieux   Abel, Abraham,  Melchisedek, la veuve de l’Evangile,  etc.  »

                                                                           Marguerite Champeaux-Rousselot

                                                                                                    2019-01-12


[1] L’histoire de la prêtrise ( au sens large) dans le peuple hébreu est également complexe : dans les premiers temps, il semble que chacun  (mais sans doute pas les femmes ) pouvait tenir le rôle ( rendre grâce, demander pitié ou pardon)   qui  progressivement a été réservé à certains, souvent appelés Lévites ( du nom de la tribu de Lévi, la seule à n’avoir pas  de territoire mais s’était retrouvé progressivement « la » tribu des prêtres en Israël, devenus héréditaires. De ce fait, ils vécurent donc progressivement des dons faits à l’occasion des  « sacrifices »  et progressivement de tous les moyens que des familiers d’un Pouvoir suprême  peuvent suggérer « théologiquement » comme nécessaire aux fidèles de ce Dieu, surtout si Tout Puissant il dispensait réussites et punitions. Il y avait certes beaucoup d’hommes justes parmi eux, mais aussi des abus. Le plupart des prophètes se sont élevés contre ces abus  au nom de l’esprit même d’un Dieu d’amour ( he-sed . cf. https://recherches-entrecroisees.net/2018/12/18/compassion-envers-les-victimes-oui-car-en-francais-actuel-le-terme-misericorde-sous-entend-quon-est-coupable/).

[2] Reçoivent une onction à valeur symbolique pendant l’Antiquité et dans le bassin méditerranéen les Rois, les Prophètes, certains objets sacrés… 

[3] C’est pourquoi,  il n’est pas indifférent de dire « Jésus »  ou de dire «  le Christ ».

[4] Le terme grec employé est eleos et ne s’adresse pas qu’aux coupables ( ce qui serait de la « miséricorde » en français actuel), mais aussi aux victimes et peut-être à tout  homme, si fragile par essence, quel qu’il soit et pour quelque raison que ce soit, on peut le traduire par pitié ou compassion. ( voir sur ce site d’autres explications sur ces notions).   

[5] https://topbible.topchretien.com/dictionnaire/pretres-et-levites/

[6]«Vous savez que les chefs des nations exercent sur elles leur domination, et que les grands exercent sur elles leur pouvoir. Il n’en est pas de même parmi vous ; mais celui qui parmi vous veut devenir grand sera votre serviteur, et celui qui parmi vous veut être le premier sera votre esclave, de même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup ». Mt 20, 25-28.  Bien d’’autres passages peuvent être cités.  

[7] Nous laissons de côté la question de la réalité de ces événements.

[8] Achevé signifie au premier sens bien fini  (   un travail achevé ou mal-achevé, il acheva la révision de son livre .. ) 

[9] Chez les premiers disciples de Jésus, il n’y a pas de prêtres sacrificateurs ressemblant au  prêtre en Israël  ou chez les païens. Chez eux, pour présider la prière ou le partage du pain ou les actions à faire etc. on choisit l’un( e)  ou l’autre au fil des besoins et des compétences. Aucun chrétien ne se voyait plus ou moins sacralisé ; par contre, comme dans toute communauté ou association, il y a des charismes très divers (celui d’un enfant, d’un handicapé  ou d’un vieillard ou d’un intello, celui de savoir écouter, de voir clair, d’oser, de discerner,  de rendre grâce, de sourire ou de rire, etc.), et selon les ressources et les besoins qui nécessitent des services et des actions, des fonctions qui s’articulent  pour une bonne organisation, et  des ministères pour rendre ces services.  Les personnes ont des rôles différents et précis (diacres, diaconesses, missionnés  etc.) mais le paradoxe évangélique empêche toute hiérarchie dans cette structure (un peu comme dans le corps). Les responsables étaient appelés Anciens (presbuteros ) : ceux (et celles ?) qu’on respecte pour leur sagesse : il n’y avait pas d’autre caractéristique ni condition, ni engagement d de leur part. Comme dans toute association ou communauté. 

[10] La communion est un terme qui ne vient pas de « unus » qui a donné  un, unir,    mais de « munus »  qui a donné municipalité, les communs, communauté,   etc.  et signifie le partage.

[11] J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842.

[12]https://recherches-entrecroisees.net/2019/05/27/eclairage-critique-sur-les-expressions-un-sacerdoce-commun-pour-des-pretres-prophetes-et-rois/

[13] Des rapports de domination – « mon joug est léger.. » – ne font pas honneur au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité injuste ; les pouvoirs de type mystérieux ou magiques infantilisent ceux qui y croient… Vers 1920, on interdisait aux laïcs de lire l’Evangile chez eux…et, jusque récemment, les citations des Encycliques contenaient peu de l’Evangile et beaucoup de Pères de l’Eglise, de saints ou d’autres Encycliques…    

[14] Mais cette faute est-elle involontaire ?

[15] J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 854. 

[16]https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/

[17] Et par exemple « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842»

Le fantastique et le mythique dans l’Antiquité grecque. Autour d’Apollon et de Python

par Marguerite Champeaux-Rousselot

En attendant de pouvoir mettre la conférence ou l’article sur le site ou ailleurs, voici l’annonce de sa publication chez Garnier .

https://classiques-garnier.com/frontieres-et-limites-de-la-litterature-fantastique-le-fantastique-et-le-mythique-dans-l-antiquite-grecque.html

Si vous souhaitez me demander quelque chose, merci de m’écrire par le site.

Le fantastique et le mythique dans l’Antiquité grecque
Autour d’Apollon et de Python
, par Marguerite Champeaux-Rousselot

  • Type de publication: Article de collectif
  • Collectif: Frontières et limites de la littérature fantastique
  • Auteur: Champeaux-Rousselot (Marguerite)
  • Résumé: Notre Fantastique d’incertitude est presque absent des récits grecs antiques concernant du surnaturel. Une fois que la ferveur des croyants et leur utilité sociale les avaient validés, croyants et incroyants en constataient des versions différentes, dues au fait, reconnu, que les auteurs tentaient d’y traduire du divin en utilisant leur phantastikè (capacité de mettre en image). Le mûthos s’avère avoir été le point de jonction d’une vérité entre réel naturel, réel surnaturel et réel imaginé.
  • Pages: 85 à 113
  • Collection: Rencontres, n° 441
  • Série: Études dix-neuviémistes, n° 47

L’exemple est pris à partir d’Apollon et Python à Delphes , un sujet que je connais bien car évoqué longuement dans ma thèse sur Castalie

http://www.theses.fr/2013EPHE5006

Voici la première page :

Arrêté du 19 décembre 2001 portant nomination à la conférence nationale de santé instituée par l’article L. 1411-1 du code de la santé publique[1]

JORF n°1 du 1 janvier 2002

Texte n°83

Arrêté du 19 décembre 2001 portant nomination à la conférence nationale de santé instituée par l’article L. 1411-1 du code de la santé publique[1]

NOR: SANP0124392A

Par arrêté du ministre délégué à la santé en date du 19 décembre 2001, sont nommés à la conférence nationale de santé instituée par l’article L. 1411-1 du code de la santé publique :

En tant que membres du collège des professions de santé exerçant à titre libéral :

Mme Marie-Hélène Abadie ;

M. Pierre Beras ;

M. Dinorino Cabrera ;

M. Bernard Capdeville ;

M. Michel Chassang ;

M. Claude Cohen ;

M. Pierre Costes ;

M. Georges-Eric Ernouf ;

M. Jean Gras ;

M. Henri Judet ;

M. Claude Maffioli ;

M. Jean-Jacques Magnies ;

M. Jean-Claude Michel ;

M. Louis Olie ;

Mme Marie-Jeanne Ourth-Bresle ;

Mme Dominique Plaete ;

M. Jacques Reignault ;

M. Jacques Roustit ;

M. Jacques Vleminckx.

En tant que membres du collège des institutions et établissements de santé des personnels qui y travaillent : 

Au titre des syndicats de médecins hospitaliers publics 

Mme Rachel Bocher.

M. Claude-François Degos.

M. Pierre Farragi.

M. Norbert Skurnik. 

Au titre des présidents de commissions

et conférences médicales d’établissements de santé 

M. Dominique Grimaud.

M. Antoine Perrin.

M. Alain Pidolle.

M. Jean Halligon.

M. Jean-François Lanoy. 

Au titre des personnels non médicaux exerçant

dans des institutions ou établissements de santé 

Mme Yolande Briand.

Mme Nadine Prigent.

M. Jean-Marie Bellot.

M. Eric Martin.

M. Bernard Sagez. 

Au titre des organisations

de l’hospitalisation publique et privée 

M. Jacques Brisson.

M. Didier Delmotte.

M. Louis Serfaty.

M. Alain Coulomb.

M. Alexis Dussol.

En tant que membres en qualité de représentants des régions :

M. Jean-Claude Fimbel (Alsace) ;

M. Joseph Vercauteren (Aquitaine) ;

Mme Françoise Nouhen (Auvergne) ;

Mme Simone Tollot (Bourgogne) ;

M. Joseph Niol (Bretagne) ;

Mme Françoise Moneger (Centre) ;

M. Jean-Claude Daniel (Champagne-Ardenne) ;

M. Dominique Casanova (Corse) ;

M. Christian Magnin-Feysot (Franche-Comté) ;

M. Hyacinthe Bastaraud (Guadeloupe) ;

M. Jean Parize (Guyane) ;

Mme Nathalie Simonnot (Ile-de-France) ;

M. Henri Pujol (Languedoc-Roussillon) ;

Mme Marguerite Rousselot (Limousin) ;

M. François Dose (Lorraine) ;

Mme Madeleine Ouka (Martinique) ;

Mme Magali Benoit-Marquie (Midi-Pyrénées) ;

Mme Thérèse Lebrun (Nord – Pas-de-Calais) ;

M. Christian Rouby (Pays de la Loire) ;

Mme Milica Bonisseau (Picardie) ;

Mme Véronique Rochais Cheminée (Poitou-Charentes) ;

Mme Muriel Roddier (Réunion) ;

M. Jean-Louis Lepee (Basse-Normandie) ;

M. Louis-Michel Wolf (Haute-Normandie) ;

M. Henri Mercier (Provence-Alpes-Côte d’Azur) ;

M. Claude Bouchet (Rhône-Alpes).

En tant que personnalités qualifiées :

M. François Bonnet de Paillerets ;

M. Marc Brodin ;

M. Bruno Groues ;

M. Eugène Pinsault ;

M. Marcel Royez ;

M. Patrick Brezac ;

M. Hubert Brin ;

M. Bertrand Garros ;

Mme Danièle Lacroix ;

M. Francis Peigne ;

M. Philippe Bergerot ;

Mme Chantal Deschamps ;

Mme Ruth Ferry ;

Mme Régine Goinere. 


[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000398066&categorieLien=id

2001-2002 Conférence  Nationale de Santé

Retrouvons un principe d’Eglise :  « Ce qui concerne tous doit être discuté et approuvé par tous »

Publiée par Marguerite Champeaux-Rousselot, 20 août 2021

Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet.

Temps préparatoires au synode  des évêques sur la synodalité…

Nous sommes infiniment reconnaissants à Yves M.-J.Congar de s’être plongé dans ces textes qui vont du VIème siècle au XIII° siècle et nous restituent la vie des chrétiens, d’un  peuple de Dieu encore peu hiérarchisé et tout entier et uni : ces textes nous redonnent des droits souvent oubliés, droits de tous,  droits de frères, droits d’enfants de Dieu, ceux donnés par Jésus.

Il m’a semblé utile  et urgent de partager avec vous une partie  de la teneur d’un article  de cet Yves Congar, prêtre et théologien, en 1922… un de ceux qui sera le plus actif au Concile Vatican II. , qui  montre que son propre statut et ses droits ne sont pas différents de ceux des laïcs en ce qui concerne toutes, oui toutes les décisions prises en Eglise.  

Il fait le point historiquement, factuellement, sur une pratique de l’Eglise bien oubliée, effacée par une Tradition plus récente : la pratique enseignée par Jésus, celle où plusieurs réunis en son nom décident de qui les concerne, pratique  des premiers temps  chrétiens jusque vers le XIIIème siècle, effacée ensuite par une papauté soucieuse de son « pouvoir » inscrit comme quasiment divin et du pouvoir de ses relais, les clercs.

L’article[1] étant ardu et truffé de textes latins,   nous en avons rendu la lecture plus facile, mais le latin y figure quand même par souci de transparence.

Le texte intégral de l’article se trouve en ligne pour les références qui seraient incomplètes[2].

Retrouvons un principe d’Eglise :
« Ce qui concerne tous doit être discuté et approuvé par tous »
Quod omnes tangit, ab omnibus tractari  et approbari debet.

Un aspect démocratique dans l’organisation de l’Eglise ?!!? 

On entend souvent dire que l’Esprit Saint inspire l’Eglise, mais que c’est le Pape, tête de l’Eglise qui gouverne, et que telle est la Tradition apostolique depuis Pierre puis que l’Evangile montre Jésus lui remettant les clés et le troupeau : que telle est la Tradition apostolique depuis toujours.

Lorsque des affirmations ont de si grandes conséquences, lorsqu’elles semblent si étranges à notre époque, lorsqu’elles ont contribué à éloigner tant de personnes de l’Eglise institution alors qu’elles affirment que l’Evangile n’affirme pas cela, il n’est pas mauvais de voir ce qu’il en fut alors que Jésus ne semble pas avoir voulu de hiérarchie ni même de pyramide. 

« Ce qui concerne tous doit être discuté et approuvé par tous » est en fait la maxime  de bon sens qui a  servi de fondement pour l’organisation de l’Eglise jusqu’au  XIIIème siècle.

Cette pratique de l’Eglise bien oubliée, a été volontairement effacée par une Tradition plus récente qui date en fait du moment où une papauté soucieuse du salut des âmes a choisi de renforcer le pouvoir des clercs, leur pouvoir décisionnel en particulier.

Un article[3] d’Yves M.-J.Congar fait le point historiquement, factuellement, sur cette maxime fondamentale : il s’est  plongé dans les textes les plus anciens qui couvrent  jusqu’au XIIIème siècle et nous restituent la vie des chrétiens puis des catholiques, un groupe alors encore peu hiérarchisé : ces textes font ressurgir une organisation ecclésiale quasiment démocratique, souvent effacée des mémoires par la réforme grégorienne et le concile de Trente.

Il montre quelle maxime de droit en établissait des fondements sûrs :

Quod omnes tangit, ab omnibus tractari  et approbari debet[4].

« Ce qui concerne tous doit être discuté et approuvé par tous. »

Cette maxime, très utilisée, fut souvent par commodité abrégée par les premières lettres de ses trois premiers mots. Nous ferons  de même en transformant cet acronyme Q.o.t. en sigle : Qot, par commodité.

Le principe du Qot fut utilisé dans tous les domaines lorsque le droit s’affina en droit civil, privé comme public, en droit religieux, séculier et régulier, et même en droit politique

Notre article, partant du travail énorme d’Yves Congar, a pour but de rendre familière cette notion de Qot, de préciser qu’elle fut appliquée sans alternative dans l’Eglise jusqu’au XIIIème siècle,  d’en voir tout l’intérêt encore actuel et de fournir des arguments à qui souhaite diffuser ce principe. 

Plan :

(N.B. L’astérisque* permet de sauter d’une partie à une autre.)

1 Quod omnes tangit, Ce qui touche tous… : origine de cette maxime latine

2 Qot  concernant  le rôle de tous lors des décisions sur le gouvernement de l’Eglise

3 Qot  concernant la participation de tous aux décisions  des Conciles

4 Qot concernant la place de tous dans la prière, les sacrements, la doctrine, par rapport aux prêtres…   

5 Qot à l’intérieur des communautés religieuses… et ses essaimages inattendus en politique 

6 La fin du Qot avec le pape Boniface VIII  (1294-1303) et la réforme grégorienne

7 Un Bilan concernant les influences du Qot, passées et présentes

*1 Quod omnes tangit, Ce qui touche tous… : origine  de cette maxime latine

Yves Congar cite d’abord cette formule célèbre employée par  le pape Innocent III (1198–1216) :

« que selon l’autorité des décisions impériales, ce qui intéresse tout le monde doit être approuvé par tous.» 

Quum juxta imperialis sanctionibus auctoritatem ab omnibus quod omnes tangit approbari debeunt[5]. 

Une personne peut même être élue ou destituée si nécessaire quand cela n’a pas été respecté.

Il est intéressant de noter et de se rappeler une bonne fois pour toutes qu’il n’y avait pas, pour ce type de principe de base, de  distinction entre le domaine religieux et le domaine civil.

Y. Congar fait remonter ce précepte à une loi civile de Justinien, en 531, inséré dans la seconde édition du code qui stipulait la même règle que lorsque plusieurs tuteurs ont une tutela (tutelle, charge de responsable) individuelle :

« et en effet, il est absurde que leur administration commune soit décidée sans le consentement de tous, ou dans leur ignorance  de qui sera ordonné leur tuteur. Il est nécessaire que tous prennent part  à lui donner son autorité : que soit donc approuvé ensemble par tous ce qui les touche/intéresse semblablement » 

Etenim absurdum est solvi tutelam non consentiente, sed forsitan ignorante eo qui tutor fuerit ordinatus… Necesse est omnes suam auctoritatem praestare : ut quod omnes similiter tangit, ab omnibus comprobetur.[6]

Selon la coutume et la loi de cette époque, il faut partout obtenir le consentement de tous les intéressés pour une concession d’aqueduc ou pour tout jugement, dans le droit privé comme pratique finalement dans le droit public.

En 1206, le pape Innocent III  rappelle cette règle de droit, postulat de toute justice, de ne rien décider sans avoir entendu les intéressés  et discuté avec eux :

«  et en effet la raison/logique du droit exige que nous n’ordonnions rien au préjudice de ceux qui sont sujets des mêmes Eglises, lorsqu’ils n’ont été ni cités, ni convaincus ni par contumace s’ils sont absents. »  

Juris namque ratio postulat, ut in eorum praejudicium, quibus eaedem ecclesiae  subjectae, nihil ordinemus  de ipsis, quum nec citati sint, nec convincti, nec per contumacium se absentent…

Ce principe était donc bien connu dans l’Eglise, et il était mis en pratique.

Quelques textes parmi d’innombrables textes, dont Y Congar  a choisi les plus représentatifs :

Saint Bernard : « Il fallut écrire à tous au sujet de ce qui les regarde tous. »

                      Omnibus scribendum fuit de eo quod spectat ad omnes.  

Tous admettaient le principe suivant :

« Tous ceux que la chose en cause touche/concerne doivent être appelés. »   

Omnes illi quos causa (res) tangit vocandi sunt.

Innocent IV, le plus grand canoniste, commente une décrétale d’Alexandre IV :

«  Dans une transaction volontaire comme dans une composition, le consensus de tous ceux que la chose concerne,/touche est indispensable »   

In transactione voluntaria sicut in compositione, necessarius est consensus omnium quos res tangit. 

Un décrétiste, Bernard de Pavie et Jean d’André écrivent tous trois :

«  Quand on est questionné au sujet des droits, doivent être appelés tous ceux que concerne/touche la chose »

Quando inquiritur de juribus, debent vocari omnes quos res tangit, et nisi vocentur, vel etiam si ignorent, subvenitur eis de facili.[7]

Idem au procès de Jeanne d’Arc en 1452 ou 1453 : «  Bien que plusieurs personnes puissent être partie civile, comme tous deux que la chose regarde sont à entendre, et qu’elle regarde plusieurs personnes en général et en particulier … » (R. Pernoud, Vie et mort de Jeanne d’Arc, Paris, 1953, p. 39) 

Idem fin XIIème par Bernard de Pavie  pour tous les regroupements de gens, si nombreux à cette époque de corporations, collèges, monastères  etc. :

« Il faut donc qu’il soit su que, dans les choses qui doivent être faites ou organisées par un groupe/chapitre, le consensus de tous doit être requis, parce que ce qui touche tous, que ce soit approuvé ensemble par tous ! »      

Sciendum est igitur quod in his quae a capitulo fieri vel ordinari debent omnium consensus est requiendus, ut quod omnes tangit ab omnibus comprobetur. »[8]

Se reporter également au XIIIème siècle à toutes les  Regulae Juris publiées par Boniface VIII.

Le principe du consentement des fidèles n’était donc pas un vain mot.

Même si la décision n’était pas prise par les fidèles eux-mêmes, la décision proposée pouvait  être refusée.

*2 Qot concernant le rôle de tous pour les décisions sur le gouvernement de l’Eglise

En ce qui concerne plus spécifiquement les décisions de l’ordre du gouvernement de l’Eglise, l’Eglise s’en rapporte d’abord fondamentalement  aux Actes des Apôtres I, 23 s ; VI,5 ; XI,22 , XV,4 et 22 etc.

Y. Congar cite de nombreux exemples historiques : ainsi commente-t-il : « Clément de Rome ne fait vraiment que traduire  à son époque la pratique apostolique lorsqu’il précise que les apôtres et les autres personnages éminents  ont constitué certains hommes en charge  « avec l’approbation de toute l’Eglise ». Cette expression se réfère à l’épître de Paul, I Cor, XLIV, 3.

« Le consentement des fidèles à l’ordination des prêtres, ajoute-t-il, encore sollicité aujourd’hui dans des termes remarquables[9]est évidemment de tradition apostolique. Après Clément, Hippolyte en témoigne. »

L’Histoire des IIème et IVème siècles offre ensuite plusieurs exemples  d’Eglises refusant un autre évêque que celui  auquel la communauté  avait donné son adhésion[10].

Au début du Vème siècle, le pape Célestin Ier promulgue cette règle que reprendront les conciles d’Orléans de 549 et celui de Paris de 557 :

« Que nul  ne soit donné comme évêque à des gens malgré eux ».

Nullus invitis detur episcopus.

Peu après Célestin, Saint Léon formulé la même idée en une forme qui nous rapproche de la formule Qot :

« Celui qui devra les gouverner tous, qu’il soit élu par tous ! »

Qui praefecturus est omnibus ab omnibus eligatur[11].

Le pape Lucius III est  bien dans la tradition quand il précisait que tous les évêques d’une province devaient participer à l’élection et à l’ordination d’un nouveau métropolitain : élection solennelle par tous, présence de tous et unité consensuelle manifestée visiblement ;   pour un évêque ordinaire, il suffirait de trois  consécrateurs, aliis consentientibus[12] ».

*3 Qot concernant la participation de tous aux décisions des Conciles locaux

Y. Congar s’intéresse ensuite au fait que les fidèles participaient aux grandes décisions elles-mêmes prises dans les conciles locaux qui  organisaient  à diverses échelles les églises locales, (sans être œcuméniques) : Conciles africains sur lesquels nous sommes bien renseignés, gouvernement de  l’église de Carthage au temps de Saint Cyprien etc. Les domaines abordés sont de tous ordres. 

Saint Cyprien par exemple écrit à ses prêtres et à ses diacres que son  désir est d’« étudier en commun (avec eux) ce que demande le fait de gouverner l’Eglise (s.e.de Carthage), et, après l’avoir examiné tous ensemble, d’en décider exactement… m’étant fait une règle, dès le début de mon épiscopat, de ne rien décider sans votre conseil et sans le suffrage de mon peuple, d’après ma seule opinion personnelle. »[13]

*4 Qot concernant la place de tous dans la prière, les sacrements, la doctrine, par rapport aux prêtres…   

Le Qot s’applique en fait à ces questions qui touchent l’ensemble de toute l’Eglise : en effet, elle existe par la communion de tous autour de Jésus et de leur foi en Dieu : tous fils de Dieu. Jusqu’au XIIIème siècle, il existe certes une organisation, comme dans toutes les réalités biologiques individuelles et sociales humaines,  mais il n’y a pas de connotation de supériorité, ce qui serait contraire au paradoxe de l’Evangile qui prône des responsables « au service ».

La notion d’un sacré reposant par une volonté divine sur le prêtre en tant que personne précise et entre ses propres mains, n’est donc même pas encore évoquée. C’est pourquoi le Qot s’applique aussi dans ce qu’on peut appeler une délégation du peuple de Dieu à l’un d’entre eux, choisi par eux, garant, de maillon en maillon, de la communion avec l’Eglise  tout entière

Y. Congar rappelle entre autres  que le Amen signifie justement ce consentement des fidèles, dans l’Ancien Testament mais aussi dans  l’Apocalypse  et dans l’Eglise, jusqu’à la première description par Saint Justin[14] de la messe puis au texte de Tertullien de Saint-Augustin. Sans l’Amen des fidèles, une prière communautaire serait-elle ecclésiale ? une eucharistie serait-elle l’eucharistie ?

Concernant les assemblées eucharistiques, Innocent III, par exemple,  déclare dans un texte qui sera repris par Pie XII :

« Ce ne sont pas seulement les prêtres qui offrent, mais tous les fidèles avec eux. Car ce qui est rempli spécifiquement par le ministère des prêtres, cela est fait/agi de façon universelle ( = par tous)  par le vœu/la prière/la volonté des fidèles ».

Non solum offerunt sacerdotes, sed universi fideles. Namquod specialiter adimpletur ministerio sacerdotum, hoc universaliter agitur voto fidelium[15].

Il en était exactement de même pour les questions doctrinales : Y. Congar donne les références de nombreux textes qui montrent historiquement qu’on consultait, au nom du Qot, tous  les fidèles avant toute décision touchant à la doctrine.

Il en conclut : à cette époque « quelques-uns ont un magistère normatif ; mais tous sont éclairés et actifs.» Sur ce sujet, il  renvoie à un de ses ouvrages plus complet :  Jalons pour une théologie du laïcat, page 369 s.

Et Y. Congar, page 227 dans l’article ici étudié, de donner l’explication théologique de ces  relations :    

« le corps n’a pas à valider par une sorte de vote, les décisions du magistère, mais le magistère est assisté par le même Esprit qui anime le corps et il ne peut agir en dehors de ce conditionnement essentiel. Le principe hiérarchique justifie lui-même la validité de ses actes, mais il ne peut s’exercer, de fait, que dans une communion. C’est pourquoi, par exemple, dans chacune des deux grandes décisions dogmatiques du magistère extraordinaire de l’époque moderne, le pape a d’abord procédé à une consultation de toute l’Eglise.

C’est ainsi que, dans le triple domaine que comporte la vie de l’Eglise (gouvernement, sacrements, foi), la tradition alliait, à une structure hiérarchique, un régime concret d’association et de consentement».

C’est ce qu’on appelait le sensus fidei fidelium, le sens de la foi des fidèles : c’est lui qui  fondait légitimement  les choix de l’Eglise dans la mesure où il y avait eu  une consultation valable en amont.

*5 Qot à l’intérieur des communautés religieuses… et ses essaimages inattendus en politique 

Quant aux communautés religieuses, régulières, la pratique du Q.o.t. s’y fondait tout comme dans les communautés dans le siècle, mais également sur le fait que, en se réunissant à 2 ou 3 au nom de Jésus, la décision communautaire de pardonner est validée par Dieu : Matthieu, 18, v. 19 et 20. Également les textes des Actes des apôtres, 4, 32 et 11,42 47.

L’article cite de nombreux textes puisque les règles ont été fidèlement conservées et leur pratique de nos jours est très éclairante sur le Qot.

Entre autres choses, Y. Congar explique que ce système de consensus et d’écoute aura une certaine influence au moment où les rois cherchent à établir des règles pour diriger leurs grands  féodaux, leurs grands et leur peuple.

En effet, alors que les rois sont croyants et font partie de l’Eglise, le Qot reconnu de tous ne peut qu’exercer, parfois explicitement, toujours  implicitement, une influence qui préservera de la violence (et d’un absolutisme peut-être déjà concevable à la manière des tyrannies et des dictatures passées, mais qui était si visiblement  contraire à l’éthique de justice de l’Evangile qu’il était impossible à mettre en place  par un roi chrétien).      

Y. Congar n’oublie pas de citer l’emploi du Qot chez les Dominicains qui renforcent également ce système : en 1228, ces derniers initient un fort mouvement de représentation à l’intérieur de leurs chapitres généraux annuels.

«Cette innovation fut adoptée ensuite par les franciscains en  1239 et 1240 et chez certaines congrégations bénédictines. C’est ainsi qu’en 1248, le chapitre général de celle de Hambuye rendait cette institution obligatoire en l’expliquant dans ces termes :

«  Et parce que ce qui concerne tous doit être approuvé par tous, nous voulons et avons décidé que chaque couvent  envoie pour le chapitre évoqué auparavant un moine sélectionné, choisi d’un commun consensus, avec un abbé ou un prieur »   

Et quia, quod omnes tangit , ab omnibus debet approbari, volumus et statuimus, quod singuli conventus ad praedictum capitulum  aliquem monachum discretum de communi assensu electum cum abbate seu priore mittant.[16] 

Y. Congar rappelle que cette institution représentative dans ces ordres monastiques a même fini par influencer à la fin du XIIIème siècle par exemple les conseillers qui sont à l’origine du Parlement anglais.

Il explique ensuite longuement et précisément comment ce principe se répand en politique sauf quand il y a, par exemple  comme en France, une monarchie qui se veut de plus en plus puissante.

*6 La fin du Qot avec Boniface VIII  (1294-1303) et la réforme grégorienne  

Cette mise en pratique  du Qot aurait pu continuer à guider l’Eglise et à influencer les sociétés civiles, mais Boniface VIII (1294-1303) qui connaissait pourtant ces principes, voulut augmenter la puissance papale, et nous constatons que ce principe fut peu à peu contrecarré puis enterré…

Yves Congar décrit également dans son article, cet amenuisement progressif.

Les considérations finales d’Yves Congar :

« Il est temps de conclure cette histoire.

La maxime quod omnes tangit vient du droit romain, où il était un simple principe de procédure.

Porté par le courant communautaire du XIIe siècle, et plus foncièrement encore par le sens chrétien traditionnel en matière de vie politique, de vie ecclésiale et de vie religieuse communautaire, la maxime a vite pris une valeur plus large, dans le sens régime de conseil et de consentement.

Du domaine de la levée de taxes, qui engageait représentation et consentement, on est, dès le premier tiers du XIIIe siècle, passé à celui d’une  discussion des intérêts les plus généraux ; la philosophie politique d’Aristote, qui se répand à partir du milieu du XIIIe siècle, favorisa ce développement.

Par le jeu naturel des idées, mais surtout en raison de la montée de l’individualisme, de la critique de l’absolutisme fiscal, de la querelle entre Louis de Bavière et Jean XXII, enfin de la crise très grave ouverte par le Grand schisme, certains théologiens ont esquissé une application de notre maxime, érigée en principe de droit public, à la constitution même de l’Eglise.

Mais cette tentative a été complètement maîtrisée et éliminée par la victoire, définitive, de la doctrine romaine de la Monarchie pontificale. »

Et… Yves Congar a mis un M majuscule à Monarchie.

*7 Un Bilan concernant les influences du Qot, passées et présentes 

La maxime juridique romaine quod omnes tangit… a été employée jusqu’au XIIIème siècle, en des temps où, d’ailleurs, le religieux ne souhaitait pas se distinguer fondamentalement du civil, le civil lui semblant son niveau basique.  

 « Ce qui intéresse tout le monde doit être approuvé par tous » : cette  maxime simple et solide relevait et relève en effet et du bon sens populaire et de la Règle d’or. La foule ou le groupe expriment ses besoins et se fait confiance pour en organiser elle-même la mise en œuvre pratique.

De par le Qot, le droit et l’autorité naissent du consensus de tous et non d’une simple opinion personnelle ou  du vouloir d’un seul. Les décisions se prennent en commun, de façon semblable, de façon égale  (communiter, pariter, similiter). Rien ne doit être fait contre le gré des personnes concernées. Le Qot. va de pair avec les termes écoute, dialogue, respect, consensus, consentement, choix, élection aux deux sens du terme, représentation, communication, discussion, collaboration, coopération, synodalité, conciliation, transparence, égalité de droits, approbation, humilité, service,  etc.  De l’avis communautaire, qu’il soit en amont ou en aval ou les deux,  naît la validation de la décision. L’autorité d’un responsable ne peut s’exercer  que dans ce cadre qui la reconnaît et l’accepte : elle est  reconnue en amont par ceux que cela concerne, et en aval  le responsable doit répondre  de ses décisions devant eux. En matière politique, l’écoute et la représentativité garanties par le Qot fonctionnent aussi  comme base, au moins théorique : ce ne sont pas encore la centralisation, les privilèges, l’absolutisme qui  la remplacent comme principes à la base des organisations sociales et religieuses.  

Avec le Qot, en Eglise, comme l’Evangile demande à tous explicitement de ne pas céder à la tentation du pouvoir et de la richesse, de l’égoïsme et de l’orgueil ; il prône le paradoxe évangélique : le respect des plus fragiles, la cohérence de la foi et de l’amour dans l’humilité et le service. Les disciples de Jésus formant l’Assemblée peuvent alors s’organiser de façon relationnelle, mobile, avec des élus pour un temps défini, responsables devant la communauté, pour son bien ( peut-on parler d’évaluation ? ). Elle s’organise ecclésialement,   dans ses différents modes et modules, sans contrainte légale  ni sanctions, librement et de façon adaptée, de maillon en maillon, créant réseaux et niveaux, en communautés réunies par les liens de relation, sans hiérarchie ni interne ni externe, mais par la participation et la communication qui créent la communion, comme dans un corps humain où ce qui touche tous doit être décidé par tous.

Ce principe du Qot s’applique ainsi dans ce cadre, à l’élection des évêques, au choix d’un prêtre ou d’un diacre, dans les communautés monastiques ou  les petites églises, pour des services (actions, conseils, enseignements, liturgies etc.).

De l’avis communautaire, en amont ou en aval naît la validation de la décision et l’autorité qui permettra une gestion fraternelle et co-responsable. Même si chaque décision n’était pas prise en amont à leur niveau par les fidèles eux-mêmes, toute  décision proposée pouvait  en aval être refusée par eux. Lors de la prière, l’Amen de tous explicite et valide la proposition avancée par l’Ecriture ou par un responsable. En matière de religion catholique, la spécificité reconnue du prêtre (élu) pour tel ou tel service ou fonction etc. est en quelque sorte incluse dans l’universalité des fidèles et tous sont conscients que cette spécificité n’existerait pas sans eux : elle dépend d’eux, sans qu’il y ait de notion de supériorité d’un côté ou de l’autre.

Cependant au début du XIVème siècle,  face aux abus analysés comme venant de trop de liberté, certains, pensant  asseoir mieux le pouvoir de Dieu et sauver plus d’âmes, ont voulu réformer l’Eglise.

Boniface VIII a commencé à séparer les clercs du reste des fidèles en les reliant plus directement au sacré qui les rendait en quelque sorte définitivement et par définition  plus compétents que les simples fidèles. Contrairement au principe du Qot, les fidèles, même pourtant concernés, n’eurent progressivement plus le droit de donner leur avis ; l’autorité du pape et de ses clercs fut censée venir de Dieu et de l’Esprit Saint qui les inspirait spécialement : une hiérarchie naissait, dotée aussi de puissance matérielle pour mieux convaincre. Le Droit religieux se séparait du droit civil et ne tarderait pas à s’en réclamer comme supérieur.  

Grégoire VII, au XVème siècle, prit beaucoup de ses décisions au nom d’une nouvelle maxime qui mettait Dieu au centre de tout : « Ce qui touche à Dieu … »   Cette formule Quod Dei tangit  a été elle aussi abrégée ( QDt) car elle a été très utilisée par une papauté désireuse de contribuer à « sauver » les âmes, ce qui lui a semblé passer  par  son « pouvoir » inscrit désormais comme quasiment divin et relayé par « ses » clercs.

Le pape ou le clerc décidait de ce qui touchait, non plus des êtres humains comme les autres, mais avant tout des « fidèles » ; les consultations  n’étaient plus pratiquées : ceux qui étaient  concernés par les questions à traiter auraient  risqué de se tromper dans leurs choix. Le Qot inutile pouvait être nuisible et  il ne fut plus en usage. Le sensus fidei fidelium  lui aussi a été remisé : les fidèles  n’avaient plus de compétence. Il a, sauf exception,   quasiment disparu de l’image que les catholiques ont d’eux-mêmes et de leurs « droits » de baptisés.

Ainsi l’article d’Y. Congar  remet-il  au jour 13 siècles de pratique  de cette maxime qui a été quasiment complètement effacée de nos mémoires depuis le XIVème siècle par ce que certains appellent la Tradition ou la Monarchie sans précision de dates.

Les Lumières et Vatican II ont tenté de remettre au jour cette pratique positive, civile comme ecclésiale. Elle est à la base de nos démocraties civiles aujourd’hui, mais Vatican II n’a pas « réussi » de ce point de vue.

Les  révélations récentes concernant les abus en tous genres de l’Eglise ont montré que certains abus relèvent d’individus mais que d’autres relèvent de questions systémiques[17], d’un oubli du paradoxe évangélique[18], de dérives liées à de l’irrationnel  présenté comme inspiré par l’Esprit Saint…

A la réflexion, selon nous, ces abus et ces erreurs pourraient être liés en grande partie à l’effacement de ce Ce qui touche tous doit être approuvé par tous, la maxime simple et solide qui avait structuré l’Eglise parce que en accord avec l’Evangile de ses fondateurs.

Le système de Ptolémée a été remplacé par le système de Copernic qui avait été déjà conçu par Eratosthène…

Il serait possible pour les chrétiens catholiques de quitter une voie obsolète qui les isole pour  remettre en pratique à la maxime  qu’ils utilisent  partout ailleurs : « Ce qui concerne tous doit être discuté et approuvé par tous ».

Elle n’est pas contraire  à leur évangile, au contraire.

Des sociétés antiques l’avaient déjà promue et en avaient commencé la mise en place. L’évangile est allé plus loin, puisque dans le Royaume de Dieu il n’y a plus d’esclaves ni de mineurs à perpétuité ni d’exclus de ces droits. La fraternité vient d’une égalité  qui n’y est pas conditionnelle et où le Qot fonde l’Assemblée.

De quoi méditer en ces temps de Synode sur la synodalité qui revient à la charge par un autre chemin.

Marguerite Champeaux-Rousselot

(2021-08-20)


[1] Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet, par Yves M.-J.Congar, Revue Historique de droit français et étranger, 1922-)Quatrième série, Vol. 35 (1958), pp. 210-259 (50 pages), Dalloz.

https://www.jstor.org/stable/43847329

[2] https://www.jstor.org/stable/43847329?read-now=1&refreqid=excelsior%3A55323203e09e7cc38c2cd3fadefc1eeb&seq=49#page_scan_tab_contents

[3] Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet, par Yves M.-J.Congar, Revue Historique de droit français et étranger, 1922-)Quatrième série, Vol. 35 (1958), pp. 210-259 (50 pages), Dalloz.

https://www.jstor.org/stable/43847329

[4] Pour les non-latinistes :

Le verbe tangere  signifie toucher, concerner, intéresser..  Il a donné en français tangible et tact.

Le verbe tractari, au passif ici, signifie « être discuté, être traité  » et il a donné traiter de, détracteur, contrat

Le verbe approbari au passif ici signifie « être approuvé ».

Debet signifie  « doit »

[5]C. 7, X , I , 23 ( Friedberg, 11,152  ) Potthast, 5031.

[6] C. 5, LIX, 5.

[7] G. Post ( Traditio, 1946, p. 203-204  : Jean d’André, sur les Décr. de Grégoire IX, 2,27, 25, quamvis.

[8]  Summa Decretalium, ed.E.A.T. Laspeyres, Ratisbonne, 1860, p. 75

[9] consentement des fidèles à l’ordination de l’évêque ( Trad. apostol., c2) et consentement des prêtres à l’ordination des diacres (c9 ; trad. M. Botte, p. 40)

[10] Cf. Gr. Dix , dans Apostolic Ministry. Londres, 1946, p 277-278.

[11] Epist. X,4 ( P. L. 54,628) , Comp. Epist. X,6 : XIII,3 ; XIV , 5 ; CLXVII,1.

[12] C. 6, X, 1, 11 ( Friedberg, II, 119) : Si archiepiscopus obierit et alter fuerit ordinandus archiepiscopus, omnes episcopi ejusdem provinciae ad sedem metroplitanam conveniant, ut ab omnibus ipse eligatur  et ordinetur. Oportet autem ut ipse, qui illis omnibus praeesse debet, ab omnibus illis eligatur  et ordinetur. Reliqui vero comprovinciales episcopi , si necesse fuerit, ceteris consentientibus, atribus jussu archepiscopi peterunt ordinari ; sed melius est, si ipse cum omnibus eum, qui dignus est, elegerit, ou et cuncti pariter pontificem consecraverint.

Rappelons que la Glose ordinaire commentait ainsi les mots  ab omnibus de cette Décrétale : Not. Quod omnes tangit, ab omnibus  comprobari debet. ( cité par G. Post, das Traditio, 1946, p.04, n.35).

[13] Nihil sine consilio vestro et sine consensus plebis mea privatim sententia gerere : Epist. XIV, 1,2 et 4 ; trad. Bayard. Comp. Epist. XXXIV, 4,1 ; XXXII, etc.

[14] Apol. I, 65 et 67. Comp. St Jérome , In Galat. ( P. L. 16,355) ; Eusèbe , H.E., VII, ix, 4.

[15] Innocent III, De sacro altaris mysterio, III, 6  ( P.L. 217, 845). Cité dans l’encyclique Mediator Dei du 20 Nov 1947. (Ed. Roguet, n. 82. Une possible interprétation erronée est écartée, ibid. n. 90, un complété par le  n. 99)

[16]Cité p. 22 par J. Jassmeier, Das Mitbestimmungerecht der Untergebenen in den älteren  Männerordensverbänden  ( Münchener Theol. St. Kan. A bt, 5). Selon Y. Congar, cet ouvrage présente une histoire bien documentée du développement du droit des subordonnés à participer aux décisions dans les Ordres religieux d’hommes.

[17] Le retour (contraignant comme un chantage à l’Enfer)  à la sacralisation  et au rituel  dont Jésus  était sorti ; un idéalisme quasiment pervers et un symbolisme hypertrophié et chosifiant, etc.    

[18] Ex d’inversions des valeurs du monde : le plus petit est le plus grand, donner sa vie, c’est la gagner…  .

« La fabrication de l’Antiquité par les Anciens / objets et lieux sacrés : réalités et imaginaires », séance le 3 mars 2021 à 16h, par Marguerite Champeaux-Rousselot (Séminaire Patrimoine Littérature Histoire)

Pour la prochaine séance EN LIGNE du séminaire CRATA-ERASME « La fabrication de l’Antiquité par les Anciens / objets et lieux sacrés : réalités et imaginaires », j’aborderai le mercredi 3 mars 2021 à 16h : « Omphalos : d’un sens banal à un objet consacrant ou consacré (des premiers écrits grecs à l’époque classique) ».

En raison de la situation sanitaire, la séance aura lieu en ligne. Pour obtenir le lien de connexion, vous pouvez écrire à : francois.ripoll@univ-tlse2.fr

Laboratoire Patrimoine Littérature Histoire (PLH / EA 4601) : Séminaire commun des équipes PLH-CRATA / PLH-ERASME 2020-2021.

Ce séminaire réunit historiens et littéraires, chercheurs et jeunes chercheurs, Toulousains et extérieurs.

Université Toulouse - Jean Jaurès
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2020-2025  Projet CRATA quinquennal 2020-2025

La fabrication de l’Antiquité par les Anciens « Objets et lieux sacrés : réalités et imaginaires »

Mercredi 16h – 18h, semestre 2, Maison de la Recherche (en raison de la situation sanitaire, la séance aura lieu en ligne)

3 février : Élodie Guillon (PLH-ERASME) « Le buste de Tanit à Ibiza : un objet symbole d’une identité ébuzitaine actuelle »

10 février : Laurent Bricault (PLH-ERASME) « Le Mithraeum, réalités et perception de l’Antiquité à nos jours »

17 février : Adeline Grand-Clément (PLH-ERASME) « Les bruissements de l’oracle : retour sur le « gong » de Dodone »

3 mars: Marguerite Champeaux-Rousselot (PLH-CRATA) « Omphalos : d’un sens banal à un objet consacrant ou consacré (des premiers écrits grecs à l’époque classique) »

10 mars : Thibaud Lanfranchi (PLH-ERASME) « Sagmina, herbe sacrée des Romains »

17 mars : Vilma Losyte (PLH-ERASME): « Jeux et jouets dans les sanctuaires du monde grec »

24 mars : Arnaud Saura-Ziegelmeyer (PLH-ERASME): « Identités sonores réelles et fantasmées dans l’Antiquité: à chacun sa percussion ? »

31 mars : Bénédicte Chachuat (PLH-CRATA) « La Thessalie comme sanctuaire infernal : la perversion de l’espace sacré dans la Pharsale de Lucain »

7 avril :  François Ripoll (PLH-CRATA) « L’espace sacré de Rome au chant VIII de l’Énéide : des « lieux de mémoire » au paysage allégorique »

14 avril : Hélène Frangoulis (PLH-CRATA) « L’Éthiopie : lieu sacré ou maudit ? Entre réalité et imaginaire chez Héliodore »

21 avril : Patrick Robiano (PLH-CRATA) « La représentation de Delphes dans les Ethiopiques d’Héliodore »

Contacts : François Ripoll (francois.ripoll@univ-tlse2.fr) ou Anne-Hélène Klinger-Dollé (dolle@univ-tlse2.fr)

L’histoire de la notion de « prêtre » peut nous aider à repenser cette notion aujourd’hui

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