Faut-il continuer à se référer au « sacrifice » de Melchisedek  comme à un modèle ?

(Marguerite Champeaux-Rousselot, 2018-09-10)

Plan :

Topo sur les prêtres et lévites dans l’AT

Explorations  en cinq étapes pour nous faire réfléchir à notre aujourd’hui à ce sujet.

1°) la rencontre avec Abraham,

2°) le psaume 109 ou 110,

3°) l’Epitre aux Hébreux

4°) l’Evangile

5°)  Melchisédech et son utilisation au III° siècle ap. J.-C. et ensuite.

Des réflexions actuelles

A chaque messe, depuis des  siècles nous mentionnons Melchisédech, ainsi écrit en français dans le missel…

«  Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisédech  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »1

Supra quae propítio ac seréno vultu respícere dignéris: et accépta habére, sícuti accépta habére dignátus es múnera púeri tui iusti Abel, et sacrifícium Patriárchae nostri Abrahae, et quod tibi óbtulit summus sacérdos tuus Melchísedech, sanctum sacrifícium, immaculátam hóstiam. 

Nous sommes habitués à entendre ce texte, à considérer que Dieu se plaît à ces sacrifices, que nous avons donc besoin de lui en présenter, en tâchant de ressembler à Abel, Abraham et Melchisedek.

Ici comme nous réfléchissons pour notre aujourd’hui à la notion du sacrifice et à la place du prêtre, nous nous sommes occupés plus spécialement de Melchisedech.

Une parenthèse sur l’orthographe de son nom : le ch est d’influence grecque et latine, son nom hébreu  étant מַלְכֵּי־צֶדֶק (malkî-ṣedeq).  On peut donc le transcrire plus fidèlement aujourd’hui  Melkisedeq. On trouve aussi les transcriptions suivantes avec dans l’ordre 1° ) ch ou k, 2°) accent ou pas, 3°) s ou z , et 4°) q,ch ou k. Soit   Melchisédek, Melchisédech, Melchisédeq,  Melkizedech, ou encore Melchizedek etc. et on trouve même Melkitsedeq… .      

– 1° Nous allons commencer par regarder exactement qui était ce Melkisédech lors de sa première apparition dans quelques lignes du Tanakh, lors de sa rencontre avec Abraham.

– 2° Il n’apparaît plus ensuite sauf dans un psaume dont nous étudierons le texte pour comprendre comment certains juifs ont glosé sur ce texte.

– La 3e étape, l’allusion à Melchisédech dans l’Epître aux Hébreux, permet également de mieux comprendre le point de vue que les chrétiens ont soutenu au départ : en effet, celle-ci qui concerne le sacrifice est destinée à s’opposer au fait que, au sein même de l’Eglise et parmi les chrétiens d’alors, il devrait y avoir des prêtres comme l’Ancien Testament. Cette Epître aux Hébreux commence donc par valider le fait que Jésus est un grand prêtre qui était préfiguré par Melchisedek, affirme que le sacrifice de Jésus est accompli une fois pour toutes et qu’on n’a plus besoin de le refaire, et donc qu’il est inutile et impossible qu’il y ait des prêtres parmi les chrétiens comme il y en avait pour le peuple hébreu.

– La 4° étape sera de revenir à l’Evangile : on peut mieux discerner comment Jésus ou ses disciples ont pu percevoir la figure de Melchisedek, et quelle a été leur position au sujet des sacrifices à offrir à Dieu et au sujet de la place du prêtre. Nous pourrons ainsi nous poser des questions au sujet du chemin que Jésus souhaitait indiquer.

– En 5°, nous verrons comment – sans tenir compte de l’Evangile-  certains ont tenté et parfois réussi  à exploiter cette figure pittoresque.

Nous pourrons alors poursuivre en voyant comment ce récit peut être interprétable aujourd’hui. Certaines  interprétations anciennes ont servi récemment et servent encore à certains : que peut-on en dire d’un point de vue objectif et scientifique de nos jours ? En ces temps de guerres pour des territoires  dans cette région du Moyen-Orient, quelles leçons, valables pour tous, croyants et non-croyants, pouvons-nous en tirer  sur un plan local ? Et  sur le plan très général, comment tirer d’un texte traditionnel,  de l’utile de ce qui nous semble périmé car ancien, ou du vivant de qui nous semble intouchable car sacro-saint ?  

La rencontre avec Abraham (Genèse (14:18-20)  

La référence à Melchisédech prend donc son origine dans un passage de l’Ancien Testament ( ou Tanakh)  en Genèse 14:18-20.

Après l’épisode de Babel, naît Abram, (c’est le nom initial d’Abraham). Sur une inspiration de Yahweh qui veut lui donner une terre, il se met en route (Genèse 12), campe, fait paître  et dresse des autels au Seigneur. Il devient très riche. Il se partage le pays avec Loth, continue à prospérer à construire des autels à Yahweh. Il y a de petites guerres, et  Loth est fait prisonnier. Abram, à la tête de ses guerriers part le libérer et il est vainqueur en pays ennemi.

Revenant d’une campagne victorieuse, il rencontre de manière inattendue un personnage au riche nom symbolique,  מַלְכֵּי־צֶדֶק  ( malkî-sedech), que nous pouvons écrire de diverses façons. Ce nom  ( 4442 ) signifie  en le décomposant  « mon roi est juste ». Le texte explique qu’il est le Roi de Salem », ( Roi (4428 melek) Salem (  8004)  signifiant Paisible.  Le texte ne situe pas  précisément cette cité ( à cette époque de nomades qui n’avaient même pas encore de chameaux)  mais d’après le trajet  d’Abraham,  le texte la situe dans la région de la future Jérusalem, et toute la tradition  ensuite est unanime pour dire que Jérusalem lui a fait suite sur place.

Chose surprenante, alors que ce Roi de Salm est du pays et qu’on peut le supposer cananéen, il  s’avance vers le vainqueur et montre par ses actes qu’il est  du côté de cet  Abram dont il fait la connaissance : « Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin. Il était prêtre du Dieu très-haut. Il le bénit en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris. »

A l’époque supposée, il existait dans de nombreuses civilisations du bassin méditerranéen des rois-prêtres : c’était le cas en particulier en Phénicie. Ce roi-prêtre  bénit Abram en tant que béni de Dieu et ratifie sa conquête et donc sa quête. Il accepte de recevoir d’Abram le dixième du butin qu’il a récupéré.

La rencontre, brève, n’est pas autrement détaillée que dans ces deux versets et s’arrête là : l’étonnant sera multiplié par ce mystère qui laisse le champ libre à toutes les suppositions et interprétations. Selon certains commentateurs de la Torah, comme Rachi,  qui cherchent à justifier la présence de ce croyant en terre pleine païenne, il s’agirait de Sem, le père des sémites, fils de Noé. En effet, Sem étant crédité d’une vie de 610 ans, il aurait ainsi pu rencontrer Abraham…

On voit qu’en citant dans le livre de la Genèse cet homme qui vivait bien avant la  sortie d’Egypte, les Juifs considéraient comme possible qu’on puisse avoir été ( et donc être)  prêtre du très-Haut, et  à plus forte raison fidèle du Très-Haut, en dehors du peuple juif ( ce peuple qui ne s’est théoriquement constitué que lors de l’Exode, – en fait même sans doute plus tard – avec le corps de ses prêtres.). L’étonnant est aussi qu’il soit déjà prêtre du Très Haut alors qu’Abram ne fait qu’arriver… et que le rite d’appartenance de la circoncision n’a pas encore été établi (Abram n’a pas encore de fils). Cependant, cela est moins étonnant pour celui qui lit comment le Premier Testament – l’Ancien testament, le Tanak) raconte dans la Genèse   la construction progressive  de la foi en Yahvé seul et l’établissement de son culte au milieu de religions évolutives elles-aussi.           

Le terme prêtre employé ici, cohen, כֹהֵ֖ן  (voir le 3548  qui en référence tous les emplois dans le site lasaintebible.com https://saintebible.com/ ) désigne  le prêtre, dans son acception la plus large (y compris notons-le même des prêtres étrangers ou ceux qui jouent d’un instrument, les lévites[1] etc. ). Le prêtre ( dans tout le bassin méditerranéen d’alors pour ne parler que d’Israël et de ses voisins ) effectuait différentes tâches : prières, purifications, conseil, offrandes des prémices, encens, sacrifices non sanglants, sacrifices sanglants… Rien d’étonnant donc à ce que prêtre de Salem effectue ses rites.  Le terme « dieu »  est lui-même un terme générique  tant qu’on ne lui donne pas un nom.   

 On constate que dans Genèse,  le terme « sacrifice » n’est pas prononcé  à propos de ce que fait Melchisedek : l’hospitalité exercée s’accompagne d’un partage de pain et de vin,  d’une bénédiction et d’une action de grâce, et il n’est évidemment encore moins question de  sacrifice sanglant, mais simplement, de  pratiquer une hospitalité « végétarienne » en bénissant Dieu et en le remerciant pour ses bienfaits. La paix est un don de Dieu, et même la victoire qui apporte la paix  et permettra plus tard Jérusalem…

Ce qui concerne la narration de cet événement  s’arrête là : c’est peu de choses.

Nous avons donné les éléments explicatifs de ce texte censé évoquer des événements réputés auto-référentiellement  dater  de 1500 av. J.-C. et  dont les scientifiques  savent qu’il a été  mis par écrit vers 500 av. J.-C. au moment de la terrible déportation à Babylone ou à son retour. C’est donc  une reconstruction  longtemps après  les faits ( éventuels )  pratiquée selon certains objectifs par certains auteurs, et ce texte fut et est encore aujourd’hui fondamental et porteur pour beaucoup en Israël et pour beaucoup de chrétiens.

Cependant, nous n’avons pas détaillé l’archéologie et l’histoire le concernant,  car ce n’était pas  notre  but. Ce qui  nous intéresse dans cette étude, c’est de réfléchir sur ce qui peut guider notre aujourd’hui.

Nous pouvons discerner  les idées  qui sous-tendent le texte  et l’état d’esprit qu’il promeut. Nous le pouvons certes, et même nous le devons car une lecture plus réflexive de ces quelques lignes  s’impose  en tenant compte du fait qu’il nous est présenté aujourd’hui encore comme prophétique, annonçant  Jésus, le sacerdoce, le sacrifice, bref   comme une des racines nourrissant notre vie.

 Ainsi, présenterions-nous encore ainsi ces événements ? 

Les auteurs du texte nous présentent un Abram vainqueur, signe évident …que le dieu le plus puissant est avec lui ; le Roi  voisin  remercie Abram ( peut-être à l’avance ou en conclusion d’un pacte d’alliance  )  et le béni  lui qui ne fera pas de mal à Salem. Abram donne donc à cet ennemi potentiel qui est devenu son allié, un dixième de son butin. De plus,  Abram n’est pas prêtre lui-même, quoiqu’il puisse accomplir lui-même les rituels ( cf.  tous les rituels qu’il apprend à accomplir pieusement, dont  le  sacrifice d’Isaac). Cet homme qui vient à sa rencontre  est  par chance un prêtre connu comme tel : il a un nom peut-être générique, en tout cas riche de sens symbolique, et qui est déjà tout un  programme. Il remercie  le Dieu d’Abram  (et son propre Dieu) qui a donné la victoire à Abram, comme s’il l’avait attendu  …

Le décryptage de l’implicite du texte nous pose question pour ce que nous avons à vivre aujourd’hui : ce texte montre quelle notion de Dieu on avait à une époque de tolérance  et de partage,  mais il a des côtés plus discutables : c’est un texte qui exalte la paix certes,  mais quelle paix ? quelle réussite ? le pouvoir de quel Dieu ? quel type de rituel ?

Nous reviendrons plus loin  sur ces questions  quand il sera question de l’esprit de l’Evangile et de celui qui pourrait animer l’Humanité, croyante ou non, aujourd’hui. 

Le psaume  109 ou 110 fait allusion à Melchisedek.

La référence suivante ) Melchisedech se trouve  dans le Psaume  109 ( ou 110). Il est difficile à traduire et à comprendre ( d’où d’ailleurs les interprétations si nombreuses… )

Le voici intégralement :  ( trad.  du grec en français par Marg. Champeaux-Rousselot)  

Hébreu TanakhGrec SeptanteFrançais  ( trad. Marguerite Champeaux-Rousselot : le plus proche possible de l’hébreu et du grec)  Latin Vulgate
1לְדָוִ֗ד מִ֫זְמֹ֥ור נְאֻ֤ם יְהוָ֨ה ׀ לַֽאדֹנִ֗י שֵׁ֥ב לִֽימִינִ֑י עַד־אָשִׁ֥ית אֹ֝יְבֶ֗יךָ הֲדֹ֣ם לְרַגְלֶֽיךָ׃ Ψαλμὸς τῷ Δαυΐδ. – ΕΙΠΕΝ ὁ Κύριος τῷ Κυρίῳ μου·  κάθου ἐκ δεξιῶν μου, ἕως ἂν θῶ τοὺς ἐχθρούς σου ὑποπόδιον τῶν ποδῶν σου.Parole de l’Éternel à mon Seigneur : «  Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme marchepied de tes pieds.[David psalmus] dixit Dominus Domino meo sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum
2מַטֵּה-עֻזְּךָ–יִשְׁלַח יְהוָה, מִצִּיּוֹן; רְדֵה, בְּקֶרֶב אֹיְבֶיךָ ράβδον δυνάμεως ἐξαποστελεῖ σοι Κύριος ἐκ Σιών, καὶ κατακυρίευε ἐν μέσῳ τῶν ἐχθρῶν σου.L’Éternel étend hors de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis !Virgam virtutis tuae emittet Dominus ex Sion dominare in medio inimicorum tuorum
3עַמְּךָ נְדָבֹת, בְּיוֹם חֵילֶךָ:בְּהַדְרֵי-קֹדֶשׁ, מֵרֶחֶם מִשְׁחָר; לְךָ, טַל יַלְדֻתֶיךָ μετὰ σοῦ ἡ ἀρχὴ ἐν ἡμέρᾳ τῆς δυνάμεώς σου ἐν ταῖς λαμπρότησι τῶν ἁγίων σου· ἐκ γαστρὸς πρὸ ἑωσφόρου ἐγέννησά σε.Te suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ;  de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »Tecum principium in die virtutis tuae in splendoribus sanctorum ex utero ante luciferum genui te
4נִשְׁבַּע יְהוָה, וְלֹא יִנָּחֵם– אַתָּה-כֹהֵן לְעוֹלָם;עַל-דִּבְרָתִי, מַלְכִּי-צֶדֶק ὤμοσε Κύριος καὶ οὐ μεταμεληθήσεται· σὺ ἱερεὺς εἰς τὸν αἰῶνα κατὰ τὴν τάξιν Μελχισεδέκ.L’Éternel l’a juré, et il ne s’en dédira point : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisedek.Juravit Dominus et non poenitebit eum ;  tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech
5אֲדֹנָי עַל-יְמִינְךָ; מָחַץ בְּיוֹם-אַפּוֹ מְלָכִים Κύριος ἐκ δεξιῶν σου συνέθλασεν ἐν ἡμέρᾳ ὀργῆς αὐτοῦ βασιλεῖς·Le Seigneur, à ta droite, brise/a brisé des rois au jour de sa colère.Dominus a dextris tuis confregit in die irae suae reges
6יָדִין בַּגּוֹיִם, מָלֵא גְוִיּוֹת; מָחַץ רֹאשׁ, עַל-אֶרֶץ רַבָּה κρινεῖ ἐν τοῖς ἔθνεσι, πληρώσει πτώματα, συνθλάσει κεφαλὰς ἐπὶ γῆς πολλῶν.Il exerce la justice parmi les nations : il remplira tout de cadavres ; il brisera des têtes sur la terre de beaucoup..Judicabit in nationibus implebit ruinas conquassabit capita in terra multorum
7מִנַּחַל, בַּדֶּרֶךְ יִשְׁתֶּה; עַל-כֵּן, יָרִים רֹאשׁ ἐκ χειμάρρου ἐν ὁδῷ πίεται· διὰ τοῦτο ὑψώσει κεφαλήν.Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.de torrente in via bibet ;  propterea exaltabit caput

Psaume 110 selon la numérotation grecque, ou 109.

Un exemple de traduction discutable selon nous sachant qu’elle contient par rapport au texte, quelques infidélités « orientées» :

1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :

Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.

2 L’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance : Domine au milieu de tes ennemis !

3 Ton peuple est plein d’ardeur, quand tu rassembles ton armée ; avec des ornements sacrés, du sein de l’aurore ta jeunesse vient à toi comme une rosée.

Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées, d’une autre façon :   

4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en repentira point :

Tu es sacrificateur pour toujours, à la manière de Melchisedek.

5 Le Seigneur, à ta droite, brise des rois au jour de sa colère.

6 Il exerce la justice parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise des têtes sur toute l’étendue du pays.

7 Il boit au torrent pendant la marche : C’est pourquoi il relève la tête.

Etudions mieux le psaume : il comprend deux parties sur le thème du roi à la structure très proches : les versets 1 à 3, puis les versets 4 à 7. Chaque partie commence par un oracle de l’Éternel, qui est ensuite commenté par le psalmiste. Voyons le sens général avant de regarder les termes les plus difficiles.

Aux versets 1 et 2, le roi siégeant à la droite de Dieu : cette place montre que le Roi  est le lieutenant terrestre de Dieu. Les ennemis formant son marchepied au fur et à mesure des victoires est un symbole clair pour tous (sculptures etc. dans l’archéologie, Egypte et autres ). exprimant la victoire sur l’ennemi et sa domination. Dieu va lui donner le sceptre de la puissance. Dans le verset 3, l’expression est riche de symboles connotés dont nous avons perdu le cheminement logique … mais il  y a visiblement le mot « peuple », un terme qui montre qu’il peut être une « armée », que cette armée  est reliée à l’idée du « sacré » ou de la « sainteté »  ( comme si c’était l’armée sur terre de Dieu ? ), et ceci dans la « rosée » de l’ « aurore »  ( un jour nouveau qui se lève, celui où Israël va se sauver par son armée qui est la main de Dieu ? ).

Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées : le verset 4 sera éclairci  plus loin ; la victoire de Dieu sur les rois méchants par l’intermédiaire d’un roi qui a Dieu cette fois à sa droite : le jour où la colère de Dieu éclatera et fera éclater sa justice, le Roi est à sa gauche. L’armée lui obéit et accomplit sa volonté ; elle n’a aucun souci de son confort : quand elle a soif, elle boit aux torrents sans se dérouter de son chemin pour trouver une belle fontaine, ni attendre en s’affaiblissant de trouver une source plus pure. C’est cette union entre Dieu et le Roi, par l’armée, qui permet la victoire

Ce psaume peut être diversement interprété : il peut concerner deux personnes différentes à deux époques différentes :

1) Psaume royal qui peut être vu comme un psaume écrit pour l’intronisation d’un certain Roi d’Israël, ( historique et précis comme David  ou Salomon ?  ou idéal  et/ou  à venir ? ) qui sera/est/a été toujours fidèle à sa foi en Dieu en même temps qu’il a été/est/sera un guerrier victorieux qui suit les ordres de Dieu, les deux qualités de ce Roi ( fidèle/victorieux) étant reliées par  sa foi en Dieu   ;

2)  allusion à un lieutenant de Dieu, tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche ( notons qu’il n’est pas question de filiation )  qui tantôt reçoit de Dieu la victoire  tantôt est victorieux parce qu’il lui obéit : certains ont vu dans cette figure le Roi d’Israël idéal, un égal de Dieu, la figure de l’Oint[2] ( L’Oint se dit Messiah, en hébreu, francisé en  Messie, et se dit en grec Christos latinisé  en Christus  et traduit en français par Christ[3]) ou du Fils de l’Homme, d’un Fils de Dieu etc.  Certains Juifs sont même allés à dire qu’il y avait, peut-être bien, « à côté de Dieu » un personnage mystérieux et mal connu : un « Fils » au sens symbolique.    

C’est pourquoi certains commentateurs chrétiens utilisent ce passage sans le dire expressément ( et d’ailleurs sans dire lequel des versets entre 1 et 3 ils utilisent  ) en disant : « La filiation divine peut exprimer une relation privilégiée du roi à l’Éternel » : mais où a-t-il  été question ici de filiation divine ? Et  même de filiation tout court ?  On ajoute aussi  parfois : «  ce passage est à rapprocher du psaume 2, verset 7 » : or en fait il est y question  de l’Oint (le Messie, Messiah) qui a été adopté par Dieu comme fils, et ici ce n’est pas mentionné comme tel.  On dit encore qu’on peut le rapprocher du Deuxième livre de Samuel, ch. 7, v. 14. où Dieu déclare à David qu’il sera un père pour Salomon et que Salomon sera un fils pour lui : mais encore une fois il n’est pas question de cela ici. Même si ces textes sont des textes où Dieu soutient le roi, il n’est pas plus question de filiation  que dans le texte du Psaume 110 (109) ou dans le passage évoquant  la rencontre d’Abraham et de Melchisedek.

Certains traduisent parfois «  sacrificateur/prêtre dans l’ordre de Melchisedek » : cette traduction est tendancieuse car elle fait croire à une allusion à un ordre de prêtres, comme nous dirions l’Ordre des avocats, à une catégorie dans une hiérarchie d’organisation : or le terme hébreu veut simplement dire «  à la manière de  ».

L’expression « pour toujours » ( v. 4) est en hébreu un mot qui peut aussi désigner le passé  comme le futur, c’est-à-dire éternel ou quasiment éternel,  mais le plus souvent le futur.

Enfin, – revenons à la question qui nous intéresse plus ici – certains traduisent «  tu es sacrificateur pour toujours » alors que  le terme employé ne fait aucune allusion à un sacrifice ni à un sacrificateur. C’est en effet le même terme que dans le texte concernant Melchisedek  qui fait apporter pain et vin ; sans faire de sacrifice, il bénit Dieu et ratifie la victoire d’Abraham au nom du Dieu qu’il sert. Le terme hébreu « prêtre »  ( 3548 cohen) qui est employé dans le texte est très large et sa fonction ne se limite pas à celle d’un sacrificateur, même si certains la voient comme la plus haute fonction religieuse, et d’autant plus haute que le sacrifice serait sanglant, et de grosse taille : ce mode de pensée n’est pas loin des sacrifices païens que Dieu récuse plusieurs fois dans le Tanakh, sans compter le message de Jésus au sujet des sacrifices faits au Temple, à Jérusalem  ou ailleurs et des « consignes » qu’il laisse pour la prière à Dieu notre Père.

Conclusion  de ces remarques  sur la forme et les mots : ce texte doit donc être traduit avec honnêteté, et commenté sans trop de dérives irrationnelles…

Traduction proposée par nous, plus littérale, avec temps et mots plus justes :

 1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :

«  Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme marchepied de tes pieds.

2 L’Éternel étendra hors de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis !

3 Suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ;  de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »

4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en dédira point : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisedek.

5 Le Seigneur, à ta droite, brise/a brisé des rois au jour de sa colère.

6 Il exercera la justice parmi les nations : il remplira tout de cadavres ; il brisera des têtes sur la terre de beaucoup.

7 Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.

Regardons d’abord maintenant le Psaume avec objectivité

Le texte du Psaume est difficile à comprendre, même mieux traduit.

Comme dans le peuple juif, les fonctions royale et sacerdotale sont distinctes, le psaume est souvent pris pour la description d’un roi idéal qui est ou plutôt sera en fait  la projection de Dieu combattant sur terre, un Messie guerrier etc. Le verset 3 se comprend mieux alors : il ferait référence à ce jour où la Nuit d’Israël finira enfin, grâce à une armée qui comprendra tout un peuple fidèle, tous des guerriers menant une guerre sacrée sous l’impulsion de leur foi en Dieu : tous des prêtres guerriers. Et comment Israël perdrait-il une guerre si tous les guerriers sont des  prêtres et que Dieu les bénit ? 

A quelle époque le psalmiste fait-il allusion ? On ne sait pas s’il parle d’une personne présente ou future, d’une réalité terrestre ou non. Ce personnage, ce héros,  est présenté comme le parangon d’un roi en même temps prêtre, comme l’était Melchisedek, mais au dessus de tout corps de prêtres humainement et administrativement constitué, en dehors de toute organisation correspondant à un clergé hiérarchisé. Il semble que dans ce texte le futur l’emporte… L’ensemble évoquerait ( pour moi mais sans certitude ! ) la foi du psalmiste en un Roi ( probablement le Roi qui venait d’être oint à l’poque où l’on a composé ce psaume ) , un Roi d’Israël, bien vivant dans ce pays et ce peuple, un Roi  qui serait vraiment une émanation de Dieu,  sur une Terre Royaume de Dieu… 

Cependant son affirmation, ô combien réconfortante ! : « L’Eternel l’a juré »  est passée comme Ecriture sainte, engageant réellement Dieu… Cette phrase  a eu un très grand retentissement, en particulier   car elle affirmait que le Dieu des armées était du côté d’Israël.

Lorsqu’Israël a de nouveau eu un territoire, cette phrase a été interprétée  par certains, non dans le futur d’un royaume qui n’est pas  de ce monde, mais comme justifiant la création d’un Etat politique et en même temps religieux avec comme objectif la reconquête  de ce que Dieu avait été censé, d’après les textes ainsi interprétés, avoir «  donné » à Abraham et à ses descendants.   .  

Mais concluons sur la réalité de ce qui est décrit s’être passé entre Abraham et Mechisédek pour revenir à notre allusion lors de la messe :  

Le texte du Psaume s’est déjà fort éloigné du récit tiré de la Genèse.

De la bénédiction de Melchisedek qui valide la conquête d’Abram, Israël a déduit surtout que Dieu donne des récompenses à celui qui lui fait des offrandes qu’il agrée. Il retient cela comme une sorte d’alliance signée par celui qui recevra une offrande, envers le peuple qui a accompli cette offrande. Ce qui est rassurant pour ce peuple, c’est l’idée que la « récompense » est promise par un Dieu toujours fidèle, et que le peuple, quoique infidèle, sera d’une nature abstraite par essence, toujours fidèle, toujours représenté par un clergé «  prêtre à jamais », et comme Melchisedek, roi-guerrier…

Mais devons-nous, nous, hommes du XXI° siècle, chrétiens, valider ce type de déductions comme orientant nos vies ?

Nous avons une telle vénération pour ces textes qui pour nous sont comme sacrés que nous ne prenons pas de recul… Mais un tel  questionnement ne doit pas être tabou, la démarche historico-critique est permise désormais, et il faut la  faire même si la démarche risque d’être mal prise par certains  et même s’il est difficile pour nous de lire sans préjugés … .

L’absence de Melchisedek et de ses signifiants dans les Actes et les Evangiles

Nous ne pouvons que nous fier aux textes qui nous sont parvenus…

Les épitres et les évangiles ne montrent pas un Jésus  faisant référence à Melchisedek. Il nous  semble qu’il n’y a peut-être pas fait référence. En effet,  on ne peut traiter le sujet en entier mais nous pensons être honnête ( et convaincante ) en prenant presque au hasard, un fait significatif car il y en aurait  tant d’autres à convoquer…

Matthieu lui fait citer le texte où Yahweh déclare  par la bouche du prophète (Osée, 6, 6)  :… parce que je veux la pitié et non le sacrifice,  et l’action de reconnaître Dieu plutôt que les holocaustes. (διότι ἔλεος θέλω καὶ οὐ θυσίαν καὶ ἐπίγνωσιν Θεοῦ ἢ ὁλοκαυτώματα.)

Matthieu le lui fait citer  deux fois… et il ne s’est pas contenté de lui faire citer le souhait prêté à Dieu, mais y a ajouté le  refus explicite par Jésus  du « sacrifice » et sans doute du système sacrificiel, des valeurs supposées et de la hiérarchie qu’il induit ainsi que de la figure anthropomorphique et quasi-païenne qu’il dessine, hélas,  en creux.

–  Matthieu 9,13 : Allez, et apprenez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion[4], et non aux sacrifices. » Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.

–   Matthieu 12,7 : Si vous saviez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion, et non aux sacrifices », vous n’auriez pas condamné des innocents.

D’après bien d’autres passages, on  peut supposer que Jésus avait réprouvé le système (instrumentalisant Dieu) du bouc émissaire et du sacrifice d’un autre (innocent, même animal) comme victime à la place de soi-même : il préfère un effort sur soi. Il a certainement montré la force d’amour, la puissance de conversion et la fécondité de la paix, de la non-violence, du pardon lors de déceptions, envers les ennemis, ou envers des meurtriers. Inutile d’insister ici.

Il évoque un quotidien où l’on se donne aux autres… et parfois où on est tué si on ne renie pas Dieu. Mais il n’a jamais indiqué aux chrétiens qu’aucun parmi eux  ait  à devenir « prêtre »  ou Grand prêtre ou lévite à la manière des prêtres de l’Ancien testament, ni même scribe[5]. Il n’a jamais évoqué comme condition  à son  salut  qu’aucun des fils de Dieu ait eu à faire de sacrifice à la manière des Hébreux.

Les évangélistes ne se contredisent pas  sur ce point : ils étaient d’accord pour montrer que Jésus qui a refusé pour lui-même le titre de « Rabbi », ne s’est opposé aux coutumes religieuses que lorsqu’elles étaient un leurre ou faisaient contresens ; on voit qu’il n’a pas prôné des cérémonies publiques, ni des rites et des sacrifices, et qu’il  n’a pas cherché à constituer de clergé lorsqu’il bâtissait son Eglise, etc. On peut se rapporter en deux mots au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité[6].

De ces caractéristiques trouvées dans les textes, on peut déduire selon moi, qu’il y a toutes chances  pour que Jésus ait pris réellement  du  recul  sur ces sujets, et c’est pourquoi dans son message, dans le noyau de son message, se trouvent si peu de références positives au Tanakh sauf quand il veut se placer sur le terrain de ses interlocuteurs en prenant leur langage ou en répondant à leurs questions. L’esprit de Dieu lui fait comprendre le principe de la Loi ; il en laisse quand elle n’y correspond pas et la dépasse quand elle est insuffisante.

Réfléchissons[7] si le comportement d’Abram (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…)  et de ce roi-prêtre local soutenant le vainqueur puisque dans toutes les religions d’alors  la victoire était interprétée comme un signe de la faveur divine, pouvait  être encore validés ainsi à l’époque de Jésus. Des discours de ce genre s’entendent encore parfois aujourd’hui un peu partout dans le monde. En Israël, lors de défaites, de famines ou de l’Exil,  des prophètes avaient  déjà réfléchi à la question pour changer ce raisonnement quasi-païen qui instrumentalise la croyance en Dieu et prétend définir Dieu  de façon anthropomorphe.  Les évangiles montrent  que Jésus  avait réfléchi sur la violence, l’injustice, les victimes, le pouvoir, les minorités etc. Quel avis pouvait-il avoir sur un Abram conquérant présenté comme aidé par Dieu, nomade s’emparant de terres non-assignées ou guerrier usant de la force, obligeant les plus faibles à se soumettre, et sur un  prêtre osant  faire une déclaration théologique sacrant le vainqueur comme un prétendu favori de Dieu… Il pouvait par contre aimer Abram et Melchisedek qui cherchaient Dieu comme ils pouvaient…  Jésus semble avoir partagé les révélations des prophètes  qui ont réfléchi au sujet de la  manière dont Dieu agit ou n’agit pas dans et sur ce monde.  D’accord pour bénir Dieu, mais contre l’instrumentalisation d’une telle bénédiction ; et sans doute  opposé à toute idée d’acheter Dieu, de se le lier,  ou même de lui rappeler une alliance à laquelle il serait « obligé » de se tenir fidèlement envers un partenaire plus ou moins fidèle… Jésus s’est dressé contre ces amalgames et  il va sans dire que cette conception se ressent explicitement et implicitement – ce qui est  tout aussi important mais plus compliqué et plus long à « citer » ! –   dans tous les évangiles.

Et nous, pouvons-nous, sans réfléchir, accepter en modèle ce qui était pourtant acceptable à l’époque supposée d’Abram de Mechisédek,  et, pour certaines tendance du peuple d’Israël à l’époque de Jésus ? Pouvons-nous accepter en modèle à suivre le comportement de ce roi-prêtre local validant la victoire d’Abram  et en déduisant une valeur religieuse ? Pouvons-nous considérer comme un modèle à suivre ce rite accompli par  ce roi-prêtre local bénissant Dieu lors de l’alliance supposée voulue par Dieu avec ce vainqueur ?  

Il y aurait beaucoup à dire  sur  cette collusion, une manière de penser qui sous-tend  encore bien des discours théologiques et bien des prières, une tentation sans cesse renaissante car elle semble «  fructueuse »  pour gagner  à Dieu des fidèles…

Or  voici la phrase dite et redite pendant la messe et qui nous imprègne, consciemment ou non : «  Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »

En pesant et en considérant chaque mot,  a-t-il vraiment « plu» à Dieu d’accueillir (…) le sacrifice (…) que t’offrit Melchisedek  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait » ?

Nous avons déjà vu dans le texte que ce n’était pas un « sacrifice » mais est-on vraiment sûr de ce que veut impliquer pour nous chacun de ces mots dans notre vie et dans nos choix de tous les jours ?

Est-ce vraiment le chemin  que l’Evangile nous trace ?

Pour répondre à cette question, nous allons regarder la troisième occurrence de Melchisedek, celle dans  l’Epître dite aux Hébreux.

En effet, ni l’Apocalypse, ni les Epitres ne mentionnent Melchisedek sauf une seule épître : celle de  l’épître dite aux Hébreux ( 5,6).  

Pendant  longtemps, on a même débattu pour savoir si ce texte était canonique ou non. En effet, si dans son contenu il y a référence à l’Ancien Testament,  c’est en fait pour mieux s’en différencier … Cette démarche complète donc la démarche de l’Evangile et va dans le même sens, mais est plus explicite. Elle a finalement été attribuée à Paul et acceptée comme canonique en 397 …  Mais la critique moderne la date désormais d’entre 60 et 90, a observé que son nom date seulement du II° siècle, et a cessé de l’attribuer à Paul. Quoiqu’elle soit restée canonique – et selon nous, elle le mérite comme nous le verrons  -, on doit prêter attention au fait que des citations trop brèves et séparées du contexte  favorisent de graves contresens, des contresens … plus ou moins volontaires parfois…  tellement elle en gêne certains par sa théologie ! 

Melchisedek est donc un des angles d’attaque pour une question plus générale, traitée explicitement à maintes reprises explicitement dans les Epîtres, mais comme nous l’avons vu, déjà très importante dans les évangiles. Cette question concerne la «  filiation » (ressemblances/différences etc.)  entre Jésus/son Evangile et l’Ancien testament. 

Ce texte évoque à nouveau cette figure symbolique de Melchisedek pour répondre à des questions alors d’actualité. Elle a été écrite précisément pour s’opposer à ceux qui à l’époque, peu après la mort de Jésus, se demandaient s’il ne fallait pas que les disciples de Jésus, juifs ou païens convertis,  offrent des sacrifices à Dieu, à peu près comme dans le Temple de Jérusalem, par l’intermédiaire de nouveaux prêtres… L’épître répond clairement que  Non, en plusieurs points.     

1°) L’auteur de l’épître  s’attache à montrer que Melchisedek habite Salem et y vénère  avec tous ses sujets,  Yahvé comme Dieu, avant même la venue d’Abram : il montre ainsi, au moment des débats sur  l’ouverture aux païens, que cet accès de Dieu par les païens était déjà validé par la Torah : ce récit montrait même que, en ce qui concernait le sacerdoce ou les rites,  les Juifs étaient en réalité seconds par rapport aux païens… et que, à la limite, on pouvait dire légitimement que ce n’était pas des Juifs que les païens recevaient le sacerdoce, mais bien les Juifs des païens… Un des intérêts de la figure de Melchisedek est de relativiser l’apport juif et leur antériorité.

2°) L’auteur  peut-être de culture juive et s’adressant à des disciples d’origine juive, va pratiquer une lecture de type midrashique  où un épisode ou un texte « antérieur » annonce un texte ou un épisode postérieur qui est « en progrès ». Seulement, selon les disciples de Jésus, le processus est mené à son terme avec Jésus : il a accompli parfaitement les figures qui l’annonçaient : « accomplir parfaitement »  signifie « achever[8] », c’est-à-dire « mener à sa fin », ce qui rend superfétatoire, prétentieux ou nuisible tout désir de perfectionner la chose et  rend également ce qui précède obsolète et périmé. Paul montre ainsi que la Croix rend obsolète la circoncision qui lui ressemble un peu et l’annonçait, de même que le partage du pain à la Cène rend obsolète la manne qui lui ressemble un peu et l’annonçait  etc.   

L’auteur va donc tout d’abord montrer qu’il connaît leurs propres arguments tirés des trois lignes à peine de la Genèse qui pourraient faire de ce personnage une figure annonciatrice de Jésus. Le texte dégage d’abord les deux points concernant

a) il mentionne d’abord que Melkisédek porte un nom qui veut dire « roi de justice » et ensuite, qu’il est roi de Salem, c’est-à-dire roi « de paix » ( 7, 2 et 3) : Jésus mérite aussi ces titres.

b) il fait remarquer qu’on ne parle « ni du père ni de la mère, ni d’ancêtres de Melchisedek,  ni d’un commencement d’existence ni d’une fin de vie : cela peut ainsi le faire ressembler au Fils de Dieu ». (7, 2 et 3).

c) il cite quelques mots extraits du psaume 109 (110), 4 dont on a pourtant vu l’imprécision extrême et l’actualité guerrière très concrète, en disant que le personnage qu’il évoque, puisqu’il est « prêtre selon l’ordre de Melchisedek »,  est  bien Jésus.

 Ce premier raisonnement peut nous sembler faible, mais l’auteur y ajoute l’autorité de textes bien connus. Là se termine un premier  mouvement d’écoute appréciative, conciliant, apaisant, qui montre en Jésus celui que Melchisedek annonçait peut-être… 

Une fois ceci « acquis », l’épître aux Hébreux entre dans le système d’amalgame où Melchisedek est prêtre-sacrificateur. Elle s’applique à montrer peut-être plus aux Hébreux, aux Juifs, mais probablement à tous les chrétiens,  que Jésus, puisqu’il est « prêtre », a accompli la fonction essentielle du grand prêtre : il a accompli l’acte sacrificiel, c’est-à-dire qu’il l’a  achevé, parachevé, rendu parfait… C’est en effet que le  sacrifice de Melchisedek n’était heureusement pas un sacrifice de chair et de sang à des idoles, mais déjà une offrande de bénédiction, du pain et du vin offerts à Dieu et non pas sacrifiés. Cependant, le rapprochement (dans le texte)  avec la Cène et la mort de Jésus dans ce cadre de la Pâque, montre que  le pain et le vin de la Cène prennent la valeur symbolique de ce qui nous nourrit et nous fait vivre,  de sa vie livrée pour nous en cohérence avec sa parole (celle de Dieu ), son corps et son sang réellement livrés à la mort. Alors, pour l’auteur de la Lettre,  le pain et le vin de Melchisedek ne peuvent plus être que la préfiguration ( faible et incomplète) de la passion librement acceptée de Jésus. On ne parle plus de bénédiction comme avec Melchisedek, mais de « sacrifice », et ce sacrifice offert à Dieu par Jésus est forcément parfait. Or, si on s’inscrit dans la pensée anthropologique juive pour être bien compris des auditeurs et des lecteurs visés, un sacrifice ne peut avoir pour but que de laver les péchés… des autres etc. Mais, (voici le mais), à la différence de la plupart des autres sacrifices, Jésus a  vécu des souffrances qu’il a acceptées : c’est un fait. Il a accompli pour ainsi dire un sacrifice à ses propres dépens, non pas aux dépens  d’un autre ou d’un animal, mais  en laissant prendre sa vie. C’est un sacrifice réel de sa personne. 

Là se finit la comparaison qui a mis en évidence les ressemblances pour mieux montrer ensuite – car c’est là son objectif majeur –  les différences avec l’existant  passé et l’existant de Jésus.

Après avoir bien affirmé cela, l’Epître démontre que le sacrifice que Jésus a fait est fait une fois pour toutes, qu’il est désormais auprès de Dieu comme un intermédiaire auprès de lui pour ses disciples et pour les Hommes, et donc qu’il n’y a plus besoin, désormais, de sacrifices offert par les chrétiens, et donc pas besoin de prêtres ( même s’il y a besoin d’humbles responsables)[9].

Pour avoir des renseignements plus complets sur cette thématique, voir le document sur ce site sur L’histoire de la notion de prêtre. https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/

  Si cette Epître a commencé par chercher à montrer que Jésus  pouvait avoir été annoncé par la figure de Melchisedek, – une chose qu’aucun Evangile ne signale d’ailleurs comme revendiquée par Jésus -, c’était donc pour mieux indiquer aux chrétiens qu’aucun d’eux n’a à  devenir « prêtre »  à la manière des prêtres de l’Ancien testament, qu’aucun des disciples de Jésus n’avait à faire de sacrifice à la manière des Hébreux, des païens ou des superstitieux. C’est pourquoi la force et la teneur  de cette seconde partie relativise la portée de la première :  les ressemblances – faibles et peu démonstratives – notées entre Jésus et Melchisedek n’ont été mises là par l’auteur que pour apaiser ses opposants par des concessions, et la présentation de leurs propres arguments est balayée par la seconde partie qui  montre les différences bien plus grandes entre d’une part Melchisedek et les sacrifices juifs,  et d’autre  part l’existant  passé de  Jésus et son  existant en tant que Vivant. 

En cela, Jésus, comme nous l’avons vu plus haut,  aurait sans doute été d’accord avec cette Epître aux hébreux sur le point qui démontre pourquoi ce genre de sacrifices est inutile,  ainsi que  tout le système  sacrificiel y afférant avec ce qu’il supposait théologiquement au sujet de Yahweh ou de Dieu …  Désormais nous savons quels sacrifices sont agréables à Dieu : nous-mêmes car Yahweh était un  Dieu de tendresse, et le même est notre Père.

Melchisedek et son « utilisation » au III° siècle ap. J.-C. et ensuite

On trouve ensuite peu de références à Melchisedek.

C’est saint Cyprien3( 200-258) dans la tradition patristique, qui s’intéresse à lui.

Les premières célébrations en  souvenir de Jésus voyaient une assemblée partageant un repas fraternel, « la fraction (du pain) », le partage de la coupe, fraction et partage réalisant en quelque sorte l’unité du corps des disciples[10]  en mémoire de Jésus qui les réunissait en un seul corps rassemblés en son nom par ce qu’il a partagé jadis et par ce qui était partagé alors.

Cyprien  va  se focaliser sur le pain et le vin pour en changer le sens, et en proposer une interprétation sacrificielle eucharistique4 : le pain et le vin devenant  des symboles ou des signes du corps et du sang de Jésus en tant que victime.

Progressant dans la ligne directe de cette épître, l’Eglise catholique romaine  a fait référence à Melchisedek dans la prière eucharistique : Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le Juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance, accepte-la. En les donnant à titre d’actes sacrificiels fondateurs créant une lignée validant un enchaînement vers un progrès, en amalgamant deux sacrifices non sanglants (les fruits d’Abel, le pain et le vin de Melchisedek) et deux sacrifices sanglants (Isaac/le bouc), une victime  innocente (Abel), une victime sauvée in extremis, (Isaac) et en insinuant qu’aucun des sacrifices précédant  ou suivant celui du Christ n’est parfait, Cyprien conduit les fidèles à comprendre, et à accepter,  que le sacrifice parfait est celui du Christ, et qu’il est fait pour – autre réutilisation – laver leurs péchés. Le sacrifice est alors, à leurs yeux,  devenu nécessaire au salut de chacun, et cette perception fait qu’il est utilisé comme l’outil par excellence du pouvoir de l’Eglise.

L’iconographie chrétienne représentera alors plus tard Melchisedek en prêtre-roi couronné, portant ou faisant porter par des serviteurs le calice, l’ostensoir ou une corbeille de pains. Elle met en scène le pouvoir temporel (représenté par Abraham souvent en armure et avec ses soldats)  attendant la bénédiction du  pouvoir spirituel (représenté par Melchisedek et ses serviteurs, avec corbeille de pains et aiguières). On donnera d’ailleurs le nom de Melchisedeks aux ostensoirs en forme de petits autels portatifs destinés à recevoir l’Eucharistie.

Saint Jérôme ( 347-420) tente de démontrer que le manque de précisions  et de détails concernant Melchisedek avait été justement et précisément fait exprès par les rédacteurs de la Genèse  afin  que cela puisse annoncer prophétiquement  de Jésus  le «  sacerdoce éternel, sans limites dans le passé comme dans l’avenir, tandis que le sacerdoce d’Aaron, chez les Juifs, eut un commencement et une fin. » Selon le schéma habituel supposé démonstratif où un grand personnage est «  annoncé » par un autre, il insiste sur l’importance de Melchisedek : « avant Lévi et Aaron, Melkisédek, un païen, fut véritablement prêtre. Bien mieux, un si grand prêtre, qu’il lui fut donné de bénir, en la personne d’Abraham, les futurs prêtres des Juifs qui descendraient du patriarche. Tout ce qui est dit ici à la louange de Melkisédek concerne le Christ dont il est la figure. Et le déploiement du sacerdoce du Christ, ce sont les sacrements de l’Eglise (saint Jérôme : épître LXXIII, 2-3).

La figure de Melkisedeq sera utilisée pendant des siècles par les théologiens  pour appuyer  une certaine conception de l’Eglise, de Jésus, du sacrifice, de Dieu. C’est l’objet d’un autre article de ce site.

Et c’est ce qui porte la phrase citée au début de cet article, extraite de la prière eucharistique, si souvent répétée.  

Et aujourd’hui ?

Melchisedek a pu être un exemple à un moment donné pour les Hébreux : un exemple signifiant précisément qu’un culte à Yahweh existait déjà avant l’arrivée d’Abraham sur cette terre  où existait déjà une cité, Salem,  à l’emplacement de la future Jérusalem.

Ceci a été lu par certains comme une attestation que ce lieu était déjà à Yahweh et que donc il devrait toujours être à Yahweh… et à un autre peuple que celui dont Melchisédek faisait partie : au peuple hébreu… Certains l’ont vu comme une attestation  prophétique d’un futur ainsi légitimé comme une volonté de Dieu. C’est une référence dont se servent parfois même des Israéliens athées  qui veulent conserver les terres.  

Raisonnerions-nous encore ainsi ?

Réfléchissons si aujourd’hui encore le comportement d’Abraham (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…)  et de ce roi-prêtre local soutenant Abraham  peuvent être des modèles pour nous ? 

Gott mit uns, in God we trust, Montjoie Saint-Denis…

Jésus, qu’en dirait-il ?

D’autres, plus attentifs aux réalités historiques, humaines, morales, juridiques, éthiques,    l’ont lu autrement et ne prendraient plus comme exemple actuel la personnalité d’un roi-prêtre validant une conquête et recevant une part  du butin d’un vainqueur.

Ils peuvent avoir noté  à quels personnages de l’Ancien testament l’Evangile décerne des louanges ou quels textes il cite. C’est instructif. Cela ne témoignerait-il pas d’une liberté d’appréciation ? Egalement, vu ce que les évangélistes ont écrit,  ils n’ont probablement pas eu de témoignages  qui auraient présenté,  souvent ou régulièrement,  Jésus en train de citer les psaumes (qui étaient la prière populaire) ni des hymnes fussent-ils ceux  de prophètes ou de prophétesses. Ils l’ont représenté, quand on lui a demandé comment prier,  en train de  choisir  de-ci, de-là quelques versets qu’il modifie légèrement pour obtenir une prière au Père de tous ( il ne dit pas de mot plus savant que cette métaphore universelle),  dans la langue très simple du quotidien, et il propose visiblement de prier aussi sans sacrifice, sans rites, sans rythme, sans hiérarchie, sans titres, sans même de temple, mais chez soi ou dans la nature, au Temple ou à la synagogue : rien n’est exclu et peut-être tout se vaut-il ? ou plutôt rien ne vaut de prier Dieu  n’importe où mais «en esprit et en vérité ».

Joseph Moingt rappelle en quelques mots l’absence de caractère sacré  dans l’organisation humaine de la religion chrétienne  à ses débuts :  « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. ». Certes le sacré et  le saint existent mais ils sont en Dieu[11] et aucune organisation humaine ne peut prétendre auto-référentiellement en être imprégnée ni en imprégner certains de ses membres.     

Devenir « prêtre, prophète et roi », même au sens symbolique, est-ce le chemin de Jésus ? le chemin qu’il  propose à ses disciples ? Celui qu’il montre, n’est-ce pas plutôt de nous reconnaître enfants de Dieu, simples, petits et pauvres[12]

« Prêtre, prophète et roi »  ce ternaire  a été appliqué progressivement  aux prêtres catholiques que l’Eglise a affirmé participer  éminemment du sacré, voire du saint : prêtre car intermédiaire élu et consacré pour les offrandes et les demandes à Dieu, lui présentant des  sacrifices comme aux temps païens,  prophète car  en communication privilégiée avec son esprit et apte à conseiller avec autorité les consciences, roi  car sa puissance religieuse est supérieure à celle du  monde et c’est au nom de cela que son « service » le fait dominer concrètement, financièrement, juridiquement etc.  par exemple dans sa paroisse ou ses fidèles. 

Vatican II dans son souci de redonner une place aux simples fidèles a expliqué que le sacerdoce des baptisés  leur donnait à chacun un statut  de « prêtre, prophète et roi », même au bébé baptisé, même au baptisé qui dit qu’il ne croit plus, même à celui qui se convertit à une autre religion… Cette affirmation  partait d’une bonne intention, mais pour qu’elle ait un sens, il faut vider chaque mot de son sens normal  et le vider également du sens dévolu aux prêtres car à son niveau, pour parler honnêtement, aucun des trois ne recouvre la même chose : le « simple » fidèle est  prêtre car il offre sa vie en sacrifice, prophète car l’esprit peut l’aider, roi car son service le rendra roi dans l’autre monde.  La théologie actuelle l’affirme en termes imparables. 

L’expression a eu néanmoins un autre inconvénient : elle  a conforté certains baptisés dans la certitude qu’ils pouvaient continuer   à s’estimer plus « enfants de Dieu » que leurs frères  non-croyants.

Or ces trois mots qui évoquent un statut acquis presque magiquement au baptême, édifient une construction qui a une beauté séduisante mais  illusoire et artificielle : elle se sert  d’affirmations de type dogmatique, dans un discours  qui semble incompréhensible à tous ou presque  (non-croyants comme croyants, grands et petits), un discours théologique,  ce qui veut dire un discours sur Dieu…  ( et comme il est difficile  de parler de Dieu !! ). 

Outre que cette difficulté crée des désaccords et des différences, on a découvert de nos jours que, chez ceux qui ont autorité, prêtres et laïcs, l’affirmation de statuts de ce genre, idéalistes et symboliques, facilite  dangereusement quand ils sont pervertis et vécus littéralement, les dérives et les abus.

Or la création par l’homme de « sacré » entraîne ou permet souvent la création de personnes ayant un pouvoir[13] sacralisé par le « sacré » qu’ils ont le droit de côtoyer  pour leurs fidèles. En ce sens, employer lors des célébrations  le terme  de «  sacrifice »  de Melchisédek au lieu de dire « bénédiction »  est une faute[14] de traduction loin d’être anodine, et l’insérer dans un raisonnement qui le présente comme prophétique est presque malhonnête pour les raisons que nous avons vues ; répéter cette erreur  régulièrement, rituellement, –  contribue à augmenter  la distance entre l’Eucharistie et ce que Jésus avait souhaité.

 .       

Nous arrivons à la fin de cette réflexion et ne voudrions pas allonger ce texte.

Citons néanmoins encore Joseph Moingt qui rappelle  une évidence : « […] l’autorité sacerdotale doit obéir au même paradoxe évangélique que l’autorité de commander admise par Jésus de la part des apôtres : ici, pouvoir sans domination, là, pouvoir sans accaparement ni exclusive »[15]. Cette manière d’exercer le pouvoir est Bonne nouvelle en elle-même, révolution religieuse mais aussi profane (socio-politique mais aussi économique et  écologique) : c’est aussi celle d’une vraie démocratie  de frères  sur cette Terre où nous sommes de plus en plus conscients que le Royaume de Dieu passe ailleurs que par des croyances en un Dieu qui donne une terre et ses ressources à  tel groupe d’hommes, une condition meilleure  à telle personne, un pouvoir à telle catégorie.. Jésus prône une autorité qui laisse humainement liberté et égalité s’épanouir, mais il va plus loin en plaidant pour une autorité humble et une « chasteté » de la part du spirituel et du religieux qui ne peuvent/doivent pas empiéter sur les droits humains.

Or Jésus n’a pas laissé le souvenir qu’il ait désiré  être roi, ni être guerrier, ni être sacrificateur, ni être prêtre[16], ni dispenser des sacrements, ni manipuler ou faire manipuler du sacré ni les sacrifices[17] qui vont avec, et ce n’est pas ( à preuve du contraire ) le chemin dont on se souvenait qu’il l’ait indiqué  pour être fils de Dieu et participer du royaume de Dieu.

Si nous voulons marcher avec lui, ne pourrait-on pas modifier le texte de cette référence que nous prions  à la Messe ?

Nous pourrions dire : «  Nous te rendons grâce et t’offrons notre vie,  comme le firent de leur mieux   Abel, Abraham,  Melchisedek, la veuve de l’Evangile,  etc.  »

                                                                           Marguerite Champeaux-Rousselot

                                                                                                    2019-01-12


[1] L’histoire de la prêtrise ( au sens large) dans le peuple hébreu est également complexe : dans les premiers temps, il semble que chacun  (mais sans doute pas les femmes ) pouvait tenir le rôle ( rendre grâce, demander pitié ou pardon)   qui  progressivement a été réservé à certains, souvent appelés Lévites ( du nom de la tribu de Lévi, la seule à n’avoir pas  de territoire mais s’était retrouvé progressivement « la » tribu des prêtres en Israël, devenus héréditaires. De ce fait, ils vécurent donc progressivement des dons faits à l’occasion des  « sacrifices »  et progressivement de tous les moyens que des familiers d’un Pouvoir suprême  peuvent suggérer « théologiquement » comme nécessaire aux fidèles de ce Dieu, surtout si Tout Puissant il dispensait réussites et punitions. Il y avait certes beaucoup d’hommes justes parmi eux, mais aussi des abus. Le plupart des prophètes se sont élevés contre ces abus  au nom de l’esprit même d’un Dieu d’amour ( he-sed . cf. https://recherches-entrecroisees.net/2018/12/18/compassion-envers-les-victimes-oui-car-en-francais-actuel-le-terme-misericorde-sous-entend-quon-est-coupable/).

[2] Reçoivent une onction à valeur symbolique pendant l’Antiquité et dans le bassin méditerranéen les Rois, les Prophètes, certains objets sacrés… 

[3] C’est pourquoi,  il n’est pas indifférent de dire « Jésus »  ou de dire «  le Christ ».

[4] Le terme grec employé est eleos et ne s’adresse pas qu’aux coupables ( ce qui serait de la « miséricorde » en français actuel), mais aussi aux victimes et peut-être à tout  homme, si fragile par essence, quel qu’il soit et pour quelque raison que ce soit, on peut le traduire par pitié ou compassion. ( voir sur ce site d’autres explications sur ces notions).   

[5] https://topbible.topchretien.com/dictionnaire/pretres-et-levites/

[6]«Vous savez que les chefs des nations exercent sur elles leur domination, et que les grands exercent sur elles leur pouvoir. Il n’en est pas de même parmi vous ; mais celui qui parmi vous veut devenir grand sera votre serviteur, et celui qui parmi vous veut être le premier sera votre esclave, de même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup ». Mt 20, 25-28.  Bien d’’autres passages peuvent être cités.  

[7] Nous laissons de côté la question de la réalité de ces événements.

[8] Achevé signifie au premier sens bien fini  (   un travail achevé ou mal-achevé, il acheva la révision de son livre .. ) 

[9] Chez les premiers disciples de Jésus, il n’y a pas de prêtres sacrificateurs ressemblant au  prêtre en Israël  ou chez les païens. Chez eux, pour présider la prière ou le partage du pain ou les actions à faire etc. on choisit l’un( e)  ou l’autre au fil des besoins et des compétences. Aucun chrétien ne se voyait plus ou moins sacralisé ; par contre, comme dans toute communauté ou association, il y a des charismes très divers (celui d’un enfant, d’un handicapé  ou d’un vieillard ou d’un intello, celui de savoir écouter, de voir clair, d’oser, de discerner,  de rendre grâce, de sourire ou de rire, etc.), et selon les ressources et les besoins qui nécessitent des services et des actions, des fonctions qui s’articulent  pour une bonne organisation, et  des ministères pour rendre ces services.  Les personnes ont des rôles différents et précis (diacres, diaconesses, missionnés  etc.) mais le paradoxe évangélique empêche toute hiérarchie dans cette structure (un peu comme dans le corps). Les responsables étaient appelés Anciens (presbuteros ) : ceux (et celles ?) qu’on respecte pour leur sagesse : il n’y avait pas d’autre caractéristique ni condition, ni engagement d de leur part. Comme dans toute association ou communauté. 

[10] La communion est un terme qui ne vient pas de « unus » qui a donné  un, unir,    mais de « munus »  qui a donné municipalité, les communs, communauté,   etc.  et signifie le partage.

[11] J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842.

[12]https://recherches-entrecroisees.net/2019/05/27/eclairage-critique-sur-les-expressions-un-sacerdoce-commun-pour-des-pretres-prophetes-et-rois/

[13] Des rapports de domination – « mon joug est léger.. » – ne font pas honneur au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité injuste ; les pouvoirs de type mystérieux ou magiques infantilisent ceux qui y croient… Vers 1920, on interdisait aux laïcs de lire l’Evangile chez eux…et, jusque récemment, les citations des Encycliques contenaient peu de l’Evangile et beaucoup de Pères de l’Eglise, de saints ou d’autres Encycliques…    

[14] Mais cette faute est-elle involontaire ?

[15] J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 854. 

[16]https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/

[17] Et par exemple « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842»

Les paroles de Jésus à son dernier repas, selon Paul : partager pour unir. ( 2018-05-03)

200-300 banquet fresque catacombes, Sainte CalixteMarguerite Champeaux-Rousselot  ( 2018-05-03)

I Corinthiens, 11, 17-34

Voyons le contexte de ces paroles, comme il est nécessaire de la faire chaque fois qu’on cite quelqu’un.

Paul traite dans cette épître de difficultés concrètes chez les Corinthiens. Son objectif n’est pas théologique, même s’il se sert d’arguments théologiques sommaires…
Il règle de nombreux problèmes concernant le vivre ensemble… et termine en rappelant  que les femmes devaient porter un voile et ne jamais laisser ses cheveux longs visibles.
Ensuite il va expliquer dans quel esprit doivent se passer les repas dominicaux, où les chrétiens partageaient le repas, et se focalisera sur deux points.

Ici texte grec et français en deux colonnes ( ma traduction ), mais ensuite  un commentaire pas à pas.

I Co 11,17-34
17 Τοῦτο δὲ παραγγέλλων οὐκ ἐπαινῶ, ὅτι οὐκ εἰς τὸ κρεῖττον, ἀλλ’ εἰς τὸ ἧττον συνέρχεσθε.

18 πρῶτον μὲν γὰρ συνερχομένων ὑμῶν ἐν ἐκκλησίᾳ ἀκούω σχίσματα ἐν ὑμῖν ὑπάρχειν καὶ μέρος τι πιστεύω· 19 δεῖ γὰρ καὶ αἱρέσεις ἐν ὑμῖν εἶναι, ἵνα οἱ δόκιμοι φανεροὶ γένωνται ἐν ὑμῖν.

20 συνερχομένων οὖν ὑμῶν ἐπὶ τὸ αὐτὸ οὐκ ἔστι κυριακὸν δεῖπνον φαγεῖν· 21 ἕκαστος γὰρ τὸ ἴδιον δεῖπνον προσλαμβάνει ἐν τῷ φαγεῖν, καὶ ὃς μὲν πεινᾷ, ὃς δὲ μεθύει. 22 μὴ γὰρ οἰκίας οὐκ ἔχετε εἰς τὸ ἐσθίειν καὶ πίνειν; ἢ τῆς ἐκκλησίας τοῦ Θεοῦ καταφρονεῖτε, καὶ καταισχύνετε τοὺς μὴ ἔχοντας; τί ὑμῖν εἴπω; ἐπαινέσω ὑμᾶς ἐν τούτῳ; οὐκ ἐπαινῶ.

23 Ἐγὼ γὰρ παρέλαβον ἀπὸ τοῦ Κυρίου, ὃ καὶ παρέδωκα ὑμῖν, ὅτι ὁ Κύριος Ἰησοῦς ἐν τῇ νυκτὶ ᾗ παρεδίδοτο ἔλαβεν ἄρτον καὶ εὐχαριστήσας ἔκλασε καὶ εἶπε· 24 λάβετε, φάγετε· τοῦτό μού ἐστι τὸ σῶμα τὸ ὑπὲρ ὑμῶν κλώμενον· τοῦτο ποιεῖτε εἰς τὴν ἐμὴν ἀνάμνησιν.

25 ὡσαύτως καὶ τὸ ποτήριον μετὰ τὸ δειπνῆσαι λέγων· τοῦτο τὸ ποτήριον ἡ καινὴ διαθήκη ἐστὶν ἐν τῷ ἐμῷ αἵματι· τοῦτο ποιεῖτε, ὁσάκις ἂν πίνητε, εἰς τὴν ἐμὴν ἀνάμνησιν.

26 ὁσάκις γὰρ ἂν ἐσθίητε τὸν ἄρτον τοῦτον καὶ τὸ ποτήριον τοῦτο πίνητε, τὸν θάνατον τοῦ Κυρίου καταγγέλλετε, ἄχρις οὗ ἂν ἔλθῃ. 27 ὥστε ὃς ἂν ἐσθίῃ τὸν ἄρτον τοῦτον ἢ πίνῃ τὸ ποτήριον τοῦ Κυρίου ἀναξίως, ἔνοχος ἔσται τοῦ σώματος καὶ τοῦ αἵματος τοῦ Κυρίου.

28 δοκιμαζέτω δὲ ἄνθρωπος ἑαυτόν, καὶ οὕτως ἐκ τοῦ ἄρτου ἐσθιέτω καὶ ἐκ τοῦ ποτηρίου πινέτω·

29 ὁ γὰρ ἐσθίων καὶ πίνων ἀναξίως κρῖμα ἑαυτῷ ἐσθίει καὶ πίνει, μὴ διακρίνων τὸ σῶμα τοῦ Κυρίου. 30 διὰ τοῦτο ἐν ὑμῖν πολλοὶ ἀσθενεῖς καὶ ἄρρωστοι καὶ κοιμῶνται ἱκανοί.

31 εἰ γὰρ ἑαυτοὺς διεκρίνομεν, οὐκ ἂν ἐκρινόμεθα·

32 κρινόμενοι δὲ ὑπὸ τοῦ Κυρίου παιδευόμεθα, ἵνα μὴ σὺν τῷ κόσμῳ κατακριθῶμεν.

33 Ὥστε, ἀδελφοί μου, συνερχόμενοι εἰς τὸ φαγεῖν ἀλλήλους ἐκδέχεσθε·

34 εἰ δέ τις πεινᾷ, ἐν οἴκῳ ἐσθιέτω, ἵνα μὴ εἰς κρῖμα συνέρχησθε.

Τὰ δὲ λοιπὰ ὡς ἂν ἔλθω διατάξομαι.

17 Puisque j’en suis à vous faire des recommandations, je ne vous félicite vraiment pas  parce que  vous vous assemblez    non pas au nom du meilleur  mais pour du moins bien !

18 Tout d’abord en effet, j’entends dire que,  vous étant assemblés,  il se trouve  dans votre rassemblement   des coupures en vous-mêmes, et je crois cela en partie… 19 car il faut bien qu’il y ait parmi vous aussi des groupes qui s’opposent (  = des hérésies ? ) , afin que ceux  qui ont une valeur éprouvée deviennent  visibles parmi vous !

20 Donc… lorsque vous vous réunissez en un même lieu, il ne s’agit pas de manger  un  ( s.e  vrai) repas du Seigneur21  chacun en fait se précipite pour manger son  repas individuel/personnel, et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu.22 N’avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Ou méprisez-vous l’assemblée appelée par Dieu  et humiliez-vous ceux qui n’ont rien ? Que puis-je vous dire ? Je vous féliciterai  en  cela ? Ah Non, je ne vous félicite pas !

23 Moi  j’ai reçu  du Seigneur, ce que moi aussi je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était trahi/livré,  prit du pain,24 puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : «  Prenez, mangez, ceci  de moi  est le corps rompu au dessus[1]  de vous[2]. Faites ceci en/pour la remémoration de moi. »

25 Exactement de même aussi la coupe,  après le dîner,  en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang[3]. Faites ceci chaque fois que vous boirez, en/pour la remémoration de moi. »

26 En effet,  chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez[4] la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

27 De sorte que  celui qui mange  ce pain-là  ou boit  la coupe d’une manière indigne/inappropriée  vis-à-vis du Seigneur  sera coupable/responsable vis-à-vis du corps et du sang du Seigneur[5].

28 Qu’une personne s’estime donc soi-même, et  ainsi (seulement s.e),  mange de ce pain et boire  de  cette coupe.

29 Celui qui mange et boit de façon non-digne mange et boit son propre jugement, en  ne discernant  pas  le corps du Seigneur. 30 C’est pour cela qu’il y a chez vous beaucoup de malades et d’infirmes et qu’un certain nombre sont endormis dans la mort.

31 Si nous nous discernions/jugions  nous-mêmes, nous ne serions pas discernés/jugés.

32 Mais lorsque nous sommes jugés/discernés  par le Seigneur, nous sommes éduqués  (par lui) afin de ne pas  être discernés/condamnés  avec le monde.

33 Ainsi donc, mes frères, quand vous vous réunissez pour  mangez, attendez-vous les uns les autres ;

34 et si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison, pour que vous ne vous réunissiez pas pour  être condamnés…

Quant au reste, je le réglerai quand je viendrai.

Commentaire pas à pas

« 17 En passant aux remarques qui suivent, je ne loue pas le fait que vous vous réunissez non pas pour le meilleur mais pour le pire. 18  D’ abord en effet vous vous réunissez en assemblée »

Les personnes qui se sentent appelées  convergent.  Le terme ekklesia vient en effet  du verbe « appeler hors de »   et a donné directement  le mot église. Ces personnes appelées  à changer leur vie vont ensemble, se rassemblent  vers une maison  particulière suffisamment grande  pour les recevoir. ils vont ici y manifester leur proximité et leur fraternité en mémoire de Jésus qui a tout partagé et donné de sa vie.

Or Paul  note ( je résume ) qu’il y a  des divisions, des préférences, des choix   qui font  à l’intérieur de cette assemblée des coupures.  Le terme hérésie serait possible comme traduction, mais ferait contre-sens car il est  hors sujet ici.  Paul fait ici allusion  à des choix individuel   dans l’assemblée  qui vont la diviser et aller contre son unité.  Certains vont se choisir eux-mêmes .. et tant pis pour les autres !

Paul  va donc s’attacher à  décrire ces  divisions nuisibles qui ont  lors de ces repas  à Corinthe,  qui  se font théoriquement apparemment  au nom du Seigneur Jésus,  et il  s’exclame :
20 « Vous réunissant donc au même lieu, ce n’est pas un[6] repas du Seigneur que vous mangez : chacun en effet prend en avance son propre souper pendant le manger[7], et un tel a faim, et tel autre est ivre… N’avez-vous pas des maisons pour manger et boire ?!! Comme vous tenez pour rien[8] l’assemblée de Dieu et comme vous[9] faites affront à ceux qui n’ont rien ! Que dois-je vous dire !! Vous louer ?!  Ah non ! Je ne vous loue pas sur ça !  23 Moi en effet j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis, à savoir que le Seigneur Jésus pendant la nuit où il était trahi/livré[10], prit du pain  24 et ayant rendu grâce, il le rompit/brisa[11] et dit : « Ceci[12] est le[13] corps rompu/brisé au dessus de[14] vous[15] » (Nous reviendrons sur cette traduction inhabituelle du verset 24 un peu plus loin.) faites ceci[16] en vue de/ afin que vous vous me remémoriez[17]. 25 De même aussi[18] la coupe après le fait d’avoir dîné, disant : « cette coupe est la toute nouvelle[19] alliance en mon sang ; faites ceci chaque fois que vous boirez en vue de vous remémorer de moi[20].» Notons ici que Jésus dans ces quelques phrases dont Paul fait part n’exclut personne mais invite «  tous », ne fait aucune exception sauf plus loin ceux qui ne partageraient pas fraternellement le repas,  et ne met aucune condition de temps, de lieu, de manière, de moyen, de personnes  etc. : il faut seulement s’être examiné soi-même et prendre ses responsabilités, en toute conscience, par rapport au partage fraternel. Jésus  remplace le sang des taureaux  par du pain rompu et une coupe de vin qui circule : le but ne change pas  ( l’alliance avec Dieu )  mais le rituel  est vraiment tout à fait nouveau… au  point que Dieu lui-même – ou plutôt  la conception que nous en avons ! – est changé.

Après avoir affirmé au v. 23 qu’il a reçu cela du Seigneur lui-même, ( v. 24-25 ), Paul en donne au v. 26 une première interprétation par rapport ( je souligne ) à la situation catastrophique  qu’il doit amender, régler,  alors qu’il est loin et qu’il n’y a  pas de  pyramide hiérarchique dans la communauté corinthienne, ( il n’en souhaite pas d’ailleurs)   et c’est pourquoi il en vient même peut-être[21] à ajouter  alors, vu les circonstances, ( dans le but de bien faire )  des mots que Jésus n’a pas dits et lui attribuer des intentions qu’il suppose avoir été implicites chez lui. Il revient d’abord à la nature du repas qui est pris en montrant qu’il doit se conformer au souvenir de Jésus et aux valeurs dont il souhaitait assurément qu’on se souvienne lors de ses repas, et il explique par quelles valeur ce repas partagé en assemblée doit être sous-tendu : 26  ὁσάκις γὰρ[22] ἂν ἐσθίητε τὸν ἄρτον τοῦτον καὶ τὸ ποτήριον (τοῦτο) πίνητε, τὸν θάνατον τοῦ κυρίου καταγγέλλετε ἄχρις οὗ ἂν ἔλθῃ[23]
Il emploie le verbe kataggelô : ce verbe n’a pas son sens habituel[24].  On ne sait pourquoi, Paul emploie ce verbe uniquement dans un sens différent comme on le voit clairement  dans ses trois autres emplois : I Co 2,1 et 9,14 ; RM, 1,8. Le sens est donc annoncer, proclamer une nouvelle.
Paul écrit donc tout de suite après : **« 26 chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez la coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne.» La formule  va beaucoup plus loin qu’une compréhension  simple du sens : elle prend un poids graduel  (référence à la mort de Jésus, à sa venue à la fin de temps, et quasiment au Jugement). Il ne dit pas que le repas est fait pour,  jusqu’à la venue du Christ, annoncer l’information événementielle de sa mort déjà passée, mais il montre que ce repas est fait pour remémorer ce que signifie la mort du Seigneur ( dans laquelle nous avons à passer )  et vivre de son message : ceci est à annoncer  à travers nos vies et à travers ce repas comme tous nos repas. Un repas vécu à contre-pied de  cet exemple  serait   donc une contre-annonce, un contre-témoignage vis-à-vis de la Bonne nouvelle.
La suite du texte le montre, ceci doit être fait dans le respect, dans le calme et sans contrevenir aux principes concernant ce partage au cours d’un repas qui a pour objectif de faire de tous un corps rassemblé par une nouvelle alliance, comme Jésus le souhaitait:  rappel du rite où  Moïse puis les grands prêtres  aspergeaient le peuple juif  du sang des animaux sacrifiés en signe d’alliance avec l’Eternel qui les purifie de leurs fautes.  ( « Ceci est le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous » (Exode 24.8).
Après avoir verset 26 donné une première interprétation qui donne à ce repas une valeur  existentielle ( notion de la mort, du jugement ) Paul en ajoute une seconde au v. 27 : il s’occupe de la responsabilité de chacun : il déclare que celui qui  vit ce repas « de façon injuste, indigne ou de façon non convenable   ( sans partager, ou en étant ivre etc. lors de ce repas  ) est personnellement coupable ( 27-28[25] ) et risque un châtiment.
Mais Paul affirme en outre quelque chose de terrifiant et de menaçant  : comme le groupe constitué est  en fait le corps et le sang du Christ, ce fautif est en plus, ce qu’il ne savait peut-être pas, responsable (enochos) des problèmes qui ont déjà rejailli sur toute la communauté qui en souffre : Paul lie ainsi la mort et la maladie de certains Corinthiens à l’idée qu’elle n’est autre qu’un châtiment matériel et physique pour la communauté à cause du non-respect de ce repas par certains  (v. 29 et 30) ; il y ajoute l’idée d’un jugement après la mort, de la correction déjà là par le Seigneur, de la condamnation du groupe …
Ces affirmations sont-elles cohérentes avec l’Evangile ? Elles fonctionnent implicitement sur les notions qui nécessiteraient un sacrifice expiatoire… avec la maladie comme châtiment divin déjà là et la mort comme épée de Damoclès. Non, ces implicites ne sont pas dans les paroles de Jésus que Paul affirme citer[26]  : il ajoute  pour atteindre son objectif : rendre ces repas vraiment fraternels et digne d’être des repas du Seigneur.
Et il revient ensuite très concrètement au conseil de « s’attendre » (v. 33)  pour partager.
Puis, devant la difficulté dont nous avons du mal à réaliser l’ampleur apparemment, il lancera    même un conseil rien moins que choquant pour nous aujourd’hui   ( mais n’en faisons-nous pas autant au fond ? ) :  comment éviter que certains souillent  ces repas où l’assemblée est un seul corps, donnant  lieu  à  ces châtiments (condamnations individuelles, maladies  et morts  dans le groupe) mis en œuvre par le krima de  Dieu  châtiant  ceux qui ont mangé et bu de façon  condamnable, sans partager,  ( un krima  qui a fait un tel scandale qu’il est obligé de leur écrire ! ).  Le pasteur Paul ne veut plus de cela, et il ose bien avancer un conseil qui aurait pu  à notre avis  attirer sur lui les anathèmes  de Jésus fulminant contre les hypocrites  : «  34 Si quelqu’un  a faim, qu’il mange à la maison, afin que vos réunions n’aboutissent pas à un krima. »
Après quoi, satisfait de cette solution pragmatique sur ce problème très concret mais significatif de bien des   ,  il déclare «  Quant au reste, je le règlerai lorsque je viendrai » et abordera au chapitre 12 la question des idoles et des questions plus spirituelles.

Cette fin  montre bien que ces paroles de Jésus n’avaient pas le sens qui peu à peu, – et pour bien faire – leur a été accordé.

Vue d’ensemble

La lecture fine du texte et sa recontextualisation révèle qu’il a été visiblement écrit pour montrer ce qui doit se passer entre les frères lors de ce repas dominical qui rassemble les chrétiens. Paul y insiste très fortement, moins autoritairement qu’au verset 16, mais en outrepassant largement ce qui est dit dans l’Evangile et en y ajoutant…  Il le relie néanmoins à juste titre à ce que Jésus  a montré par son exemple, dans sa volonté, durant toute sa vie et y compris dans sa mort, de faire de tous un seul corps avec lui et son Père, leur Père. Paul indique que ceci doit se faire pendant toute leur vie et jusqu’à la venue de Jésus : le respect de cela ne souffrira pas d’exception, et cette remémoration se fera jusqu’à sa venue.

Cet objectif est l’axe de ce texte  et il explique, avec d’autres indices lexicaux, ma traduction du verset 24 : la fraction du pain constitue les chrétiens en un corps invisible qui les dépasse et les comprend tous (dans le Royaume). Au verset 25, la coupe qui circule est, dit-il  «  la toute nouvelle alliance en mon sang » : alliance inédite entre ces chrétiens assemblés en un seul corps, uni(s) à Jésus, et uni par une alliance inouïe  avec Dieu. L’objectif de Jésus, pédagogue et très humain, est que ce geste, facile à faire et presque banal,  conserve toute sa force vitale même en son absence lorsqu’ils seront seuls et dispersés. Dans  ce que que Paul affirme citer de Jésus,  il n’y a pas d’insistance sur un salut ( nécessaire sinon c’est la mort éternelle  ), mais affirmation d’une alliance nouvelle, heureuse nouvelle pour l’Homme.

Mais comme ce texte a été rédigé par Paul pour appeler, très prosaïquement,  à de la tenue pendant ces repas, il s’est servi de  divers moyens plus ou moins contestables certes, mais en reliant aussi  ces paroles  aux valeurs qui ont fait vivre Jésus et que les chrétiens ont à vivre chacun dans sa vie jusqu’à la venue de Jésus comme Juge.

Il n’a pas été rédigé pour établir une théologie du sacrifice concernant la relation de Jésus à Dieu. Certes, mais on s’est appuyé ensuite sur certains de ces mots, décontextualisés ( des repas dominicaux égoïstes et tournant parfois à l’orgie) pour intensifier la sacralisation de ce repas et en faire, sans que Paul ait parlé de sacrifice ( au sens habituel  et premier ),   un moment sacré et sacrificiel sous la férule d’un prêtre ayant retrouvé le rang suprême conféré hiérarchiquement aux prêtres ordonnés du Temple d’un Yahvé justicier et vengeur, bien séparés d’un peuple condamné en bloc dans son péché héréditaire à la condamnation, excepté là où un sacrifice, à répéter par leurs mains, pouvait effacer une dette sans cesse renaissante envers le plus impitoyable des créanciers. ( et ne parlons pas des prêtres qui, par des changements progressifs, sont devenus « à part » des autres baptisés et qui ont été quasi-sacralisés même dans leur vie quotidienne ).

Ainsi s’expliquent la violence des premières exclamations de Paul citées ici :  « 17 vous vous réunissez non pas pour le meilleur mais pour le pire !  (…)  20 « ce n’est pas un[27] repas du Seigneur que vous mangez ! ». Ses jugements l’amènent à s’ériger lui en juge menaçant moins terrifiant que Dieu, préventif en quelque sorte en fait,  et, même si la cause est assez justifiable, il cède à la tentation de reprendre des moyens dénoncés par Jésus.

Les paroles supposées vraies de Jésus restent cohérentes avec son message mais il faut les séparer des ajouts inconscients et non maîtrisés de Paul,  et d’interprétations ultérieures décontextualisées, qui ont eu pour but d’appuyer sur ce qui fera peur ou mal afin de mieux discipliner les fidèles.

Mais à lire ce qu’écrit Paul sur le dernier repas,  Jésus n’y a pas annoncé sa mise à mort en tant que victime  propitiatoire pour les présents : il s’est soucié du dynamisme de leur vie et de leur unité.

Même si Paul est choqué par la manière dont les Corinthiens s’assemblent pour  ce repas, c’est sur le non-partage qu’il  les sermonne : ils ne mettent pas en pratique  réellement ce que signifiait ce repas : distribution, partage, union : faire de nombreux individus assemblés un seul corps tourné dans le même sens, et dans la remémoration de celui qui les rassemble et les fait  vivre au nom d’un autre, le Père de tous.

Le « ceci » dans les phrases désigne ce qui caractérise ce pain et ce vin particuliers : son  pain à lui, Jésus ne le mange pas tout seul, il  le brise, puis le partage, en confie le partage  et la répartition à chacun autour de la table où tous, inconditionnellement, tous ceux qui en ont faim et besoin,  vont en recevoir et pouvoir également  en donner, et  ce processus qui a divisé et multiplié les unit  tous entre eux  et à celui qui leur a donné  son pain ; de même le vin.

Jésus a peut-être même donné, livré  symboliquement tout ce pain qui était sa part, ( et Paul y insiste pour faire honte aux Corinthiens et les motiver ),  sans en garder  jamais égoïstement, comme il a  passé toute sa vie en la donnant aux autres  au quotidien et  comme il avait l’intention   de la passer jusqu’au bout… : là est le  seul « sacrifice » dont il aurait pu parler : rien à voir avec le fait de tuer un tiers innocent (animal )  ou de se faire un déplaisir ( donner de l’argent à un dieu  anthropomorphe  ou de la souffrance  à une autorité ascétique ). C’est un don à des frères,  l’acte qui fait plaisir  à un Père affectueux, la seule offrande  agréable à un Dieu  qui est Père.

Le pain ainsi donné à son voisin prend une autre valeur : il   devient sacré. Du vin ainsi partagé devient sacré. Une vie ainsi donnée est une parcelle de vie divine…

Faire mémoire de cette manière de vivre  un repas,  se rassembler pour en faire mémoire,  demandent que nos repas (et toute notre vie  en fait qu’ils symbolisent)  soient en cohérence avec la signification que Jésus a donnée à ce geste.

Imiter l’extérieur de ce geste  devenu rituel sans le vivre intérieurement est le profaner, insulter  à la mémoire de qui l’a initié    : mieux veut ne pas  s’y rendre, à ce repas d’unité  où l’on est réuni  ( ré-uni) en son nom  !

L’Alliance, où l’on  fait plus qu’un,  est  ainsi une déclaration verbale ou gestuelle qui pardonne éventuellement  et engage les actes du futur : elle est renouvelée  chaque fois qu’on partage, qu’on fait circuler, qu’on donne.

Cela peut être fait  soit au nom de Jésus  comme le font ses disciples,  soit au nom de la fraternité humaine  comme le font  ceux qui ne croient ni en Dieu ni en Jésus et font ce geste de partage, un exemple d’autant plus  admirable. Partager  pour  unir.

Je ne ferai pas de conclusion fermée  car  si quelques éléments ont peut-être retrouvé selon moi un sens plus conforme à la Bonne Nouvelle dite sans doute par Jésus,   les textes sont inépuisables.

J’espère ne pas avoir choqué. Je ne crois pas que Paul avait l’intention de faire croire aux Corinthiens que Jésus expliquait  la transsubstantiation à ses disciples, mais qu’il leur montra jusqu’au bout  comment partager fraternellement notre vie, en gros et en détail, et que c’était la  nouvelle alliance  qui plaisait à son Père.

Merci  pour vos commentaires qui nous permettront… de partager et échanger !

Marguerite

[1] Voir plus loin  bien sûr pour le sens de cette préposition.

[2] Mangeant le même pain fractionné,  ils font un seul corps en s’unissant au souvenir de Jésus.

[3] En buvant au même verre,  ils signent une alliance  dans un seul sang  symbolique et forment un seul sang ( sang = vie ). Ce sont les disciples qui sont devenus un seul corps et un seul sang dans le Seigneur.

[4] On ne sait pourquoi, Paul emploie ce verbe uniquement dans un sens différent du sens habituel. Cela est clair  dans ses trois autres emplois :  I Co 2,1 et 9,14 ; Rm, 1,8. Ici, même sens également.

[5] C’est un manque de respect envers le souvenir demandé par Jésus, mais aussi  un acte qui va contre ce qu’il a enseigné à faire, et, voir ci –dessous, l’acte délictueux  d’un membre de ce corps va  avoir des conséquences, dit Paul,   sur le corps du Christ qu’est en fait l’assemblée .

[6] L’article défini manque.

[7] Quelques rappels sur les repas en assemblée à cette époque.

La signification universelle de la nourriture donnée à l’un par l’autre est déjà très importante ( qu’on soit plante dans la terre, enfant de ses parents, pélican donnant racontait-on son propre corps à manger etc. )  . La force de la signification de la nourriture mangée autour d’une même table est également bien connue ( même parfois réduite à un symbole comme le partage du sel, pain, eau, vin) ou fût-ce d’un simple grain de grenade ( Perséphone chez Hadès) et il y a ré-utilisation religieuse de ces actes humains. Inversement, Enfin, on peut peut-être aussi évoquer aussi ces repas où partager la même nourriture montrait qu’on ne craignait pas le poison,  la drogue  ou les philtres magiques…

Comment l’Evangile nous raconte-t-il que Jésus a-t-il réussi à donner un sens supplémentaire à ces faits banals ?

D’une part, dans les banquets, tantôt chacun mangeait sa propre nourriture déposée sur une assiette devant lui, tantôt on puisait au même plat ; on pouvait aussi ( faire ) porter ou (faire) passer à quelqu’un un morceau de son choix. Chez les Grecs, chacun buvait à sa coupe mais on pouvait aussi apporter dans certains cas sa propre coupe pour diverses raisons, et soit boire  à elle seule, soit faire circuler sa coupe à tous ou l’envoyer à tel ou tel. (symposion). Savoir cela permet de bien mesurer l’originalité de la manière dont Jésus procède. Ce qu’il partage est quelque chose de très simple et de petit, qui d’habitude ne se partage pas, sauf si on veut lui donner un sens symbolique. Miette de pain, goutte de vin, miette d’autre chose, goutte d’autre chose, peu importe la quantité et la qualité de la matière, c’est le geste qui compte : « faites ceci ». Si on est conscient que Jésus est celui  qui a su se donner et apprendre à partager, ce geste nous le rappellera.

D’autre part, à cette époque, on connaît parfaitement et on pratique ce qu’on appelle le système des symbola : des personnes qui doivent se séparer se mettent d’accord pour briser un objet dont chacun conserve un morceau : même très longtemps après, des générations après, des personnes, même  qui ne sauraient pas lire, même qui  ne se connaissent pas, sont à même  de reconnaître, même sans parole, qu’il y a un lien entre elles ( parenté, hospitalité, dette, amitié, traité… ), une « parole » donnée, une alliance qui a été réalisée et qui perdure malgré la distance et le temps , précisément car l’objet qui en est le signe a été brisé et peut se reconstituer.    Ici Jésus brise le pain, le distribue : chaque personne qui le consomme reconnaît ainsi le lien qui existe entre Jésus et lui,  mais aussi entre tout ceux qui ont reçu ce symbolon. De plus chaque personne reconnaîtra un autre qui fait ce même acte, et ils reconnaîtront le lien avec celui  qui est absent, parti… ou mort.  Le lien est donc vivant quelles que soient les circonstances : il subsiste, et il se réactive entre les mains  de ceux qui le souhaitent. Abstrait/concret/symbolique/réel, sacré/profane/humain/surhumain : les frontières s’effacent sans qu’on ait besoin de formuler cela en langage théologique compliqué, inaudible pour beaucoup, inacceptable pour les gens rationnels.

[8] Le verbe kataphroneô signifie mépriser, dédaigner, ne faire aucun cas de…

[9] Kataischunô signifie déshonorer, souiller, faire affront ( il s’emploie par exemple également violer une femme)

[10] Paul donne peu d’éléments biographiques sur Jésus. Celui-ci est-il valable ? ( cf les différences entre Jean et les synoptiques ). Il nous semble que si Luc pouvait écrire  que les pèlerins d’Emmaüs ont reconnu Jésus à la fraction du pain,  c’est que lui-même et donc d’autres  ont  pensé  savoir de source sûre que beaucoup de monde avait participé au dernier repas, ou plutôt également que Jésus avait été souvent vu faire ce geste de partage par tous les disciples et même des foules.  Paul a pu ajouter cette précision temporelle  pour solenniser  ce geste symptomatique de Jésus, ou bien vouloir dire que jusqu’à son dernier repas, Jésus a pratiqué ainsi, et ce geste lui « appartenait »  comme un signe de ralliement.

[11] Le verbe grec klaô signifie rompre, briser, fractionner. Ce verbe ne veut pas dire couper, ni trancher. Il s’emploie pour dire briser en pliant quelque chose : cela peut-être  malheureusement un arbuste, des pousses,  ou fait exprès dans le but de les tailler pour leur faire porter du fruit ou pour en tirer des boutures et des greffons…

[12] Aucun texte ne précise si Jésus a mangé également de ce pain et bu de cette coupe avant de la faire circuler. Autre sujet à réfléchir. ( cf. le passage sur le fruit de la vigne qu’il ne mangera plus).

[13] La tournure exprimant la possession ( μου, de moi ), « ceci de moi  est le corps livré  ..  » ou  » ceci est l corps de moi Livré ..  »  ?  : apparemment c’est l’acte, le fait même,  de rompre le pain et de le faire circuler qui symbolise effectivement  la constitution d’un corps commun par le fait de partager le même pain ou la même nourriture spirituelle. Jésus ne se met pas en avant. Ce qui est important c’est de faire explicitement corps, et la pensée de son absence immédiate ou un jour ou l’autre, plus ou moins prévisible, en fait l’urgence. Car cette expérience vécue peut être poursuivie, mais si elle n’a pas été vécue en sa présence, elle leur sera presque impossible.

[14] Paul ait référence à la nuit où Jésus fut livré, mais il ne noue pas un lien fort entre la trahison   et le pain  brisé et la coupe  partagée, sinon pour dire que Jésus a tout donné  à tous jusqu’au bout. Il nous semble exagéré et surinterprété  de dire que dans ces paroles Jésus fait clairement allusion à sa propre mort. Peut-être même veut-il dire- selon Paul – que c’en est fini des rites de sang  et des sacrifices sanglants de vrai sang.

[15] La préposition uper + génitif a deux sens entre lesquels il faut choisir : 1°) le sens de «  au dessus » : par-dessus, au-delà de, plus loin ; 2°) il signifie ensuite «  pour la défense de » : en faveur de, à cause de,  pour, au sujet de.  L’absence de « livré » devant la préposition  joint à l’absence de toute explication ne permettent pas de supposer le 2° sens, me semble-t-il ;  c’est pourquoi il me semble que cela peut faire allusion au rite d’aspersion du sang  sur les fidèles juifs.  Le fait que Paul insiste sur la notion du « corps » qui se nourrit à partir d’une unité brisée pour la mettre en commun, explique ma traduction. Les synoptiques contiendront par contre les équivalents de «  livré  pour vous », ce qui oriente la traduction de la  Vulgate  qui se permet  de trancher sur la place du μου   (ceci est mon corps) et  entraîne la traduction par « pro » obligatoirement au second sens de la préposition uper.  « et gratias agens fregit et dixit hoc est corpus meum pro vobis ; hoc facite in meam commemorationem. »   » et , rendant grâce,  il rompit et dit  :  » ceci est mon corps pour  vous, faites ceci en ma commémoration »  . La traduction de ce texte de Paul  en Français essaie de faire un compromis : « Ceci est mon corps qui est pour vous ». Dans le cas de ces traductions inexactes faites pour coller à certains objectifs théologiques, le « faites ceci » se comprend moins bien qu’en respectant le texte.

[16] Il est étonnant de voir que Paul ne dit pas qu’il le distribua et dit «  mangez en tous »  (ou, plus loin,  qu’il ne dit pas qu’il fit passer la même coupe à tous). Deux explications : 1°) ou ceci était si connu qu’il juge inutile de le repréciser, le « ceci »  représentant l’ensemble fraction+consommation commune 2°) ou ce n’est pas la consommation qui compte mais la fraction du pain et sa distribution, bien plus encore que la consommation . Il y a là à réfléchir.  Tous et chacun se constituent en un seul  « corps » qui vit à partir d’unités brisées pour les  mettre en commun.

[17] Le terme anamnèse est différent de ce qui désigne la mémoire, mnèmè, ou le souvenir abstrait ou concret. Il s’agit ici du fait de se souvenir : que les disciples puissent se remémorer ce qui a fait vivre Jésus, ce qui les a fait vivre eux. Sait-il qu’il le fait spécialement parce qu’il sait qu’il va les quitter ? Peut-être, mais pas forcément. Ce souvenir, de toute façon,  doit pouvoir être ré-ancré, revivifié, réactivé  en pratiquant ce qui n’est pas un rite artificiel mais qui appartient à notre propre nature humaine : le partage du repas, sans rien de sacré. Rien dans tous ces mots n’implique une présence réelle « dans » le pain et le vin eux-mêmes bien entendu.

[18] Il est tout aussi étonnant de voir que Paul ne dit pas que Jésus la fit passer et dit «  buvez en tous ». Deux explications : 1°) ou ceci était si connu qu’il juge inutile de le repréciser, le « ceci »  représentant l’ensemble distribution par gorgées de la même coupe+consommation commune 2°) ou ce n’est pas la consommation qui compte mais le fait de se faire passer la coupe, bien plus encore que d’en prélever chacun une gorgée. Il y a là à réfléchir.

[19] Kainos ne veut pas dire jeune, mais « qui vient de se produire, récent, neuf, ( « du nouveau »), différent de ce qui s’était produit jusqu’ici, innové, innovant, révolutionnaire, inattendu, imprévu, étrange, extraordinaire…

[20] La ponctuation n’existe pas en grec à l’époque ( et pour longtemps ! ) mais la logique montre que le  «  chaque fois » porte sur «  vous boirez en vue de … ». En effet, quand on boit pour étancher sa propre soif ou par plaisir, on boit sans partager… même si on est au même repas. Jésus leur dit que, quand ils voudront se le remémorer au cours d’un repas pris en assemblée, ils se partagent une coupe au lieu de boire chacun l’un à côté de l’autre sa propre coupe. Le  «  ceci » est le partage de la coupe qui est en train de circuler.  «  faites ceci chaque fois que vous boirez en vue de vous remémorer de moi. »

[21] « ajouté » car il  est nécessaire de comparer les évangiles à ce sujet : dans l’ordre M 14,12-25 ;  ensuite  Matthieu, 26-29, puis Luc 22,26. Jean on le sait n’en  parle pas et le remplace par le lavement des pieds  et par d’autres paroles ailleurs ( par exemple 4,34).

[22] Ce «  gar » signifie en effet : le verser 27 se présente donc comme une explication causale des versets

[23] quotienscumque enim manducabitis panem hunc et calicem bibetis mortem Domini adnuntiatis donec veniat ( v. 26)

[24] kataggelô : ce verbe aggelô  est ici muni du préfixe kata. qui insiste  habituellement sur une annonce signifie  contre, du haut en bas, ou complètement :  il signifie avec ce préfixe   annoncer contre, intenter un procès  à quelqu’un ; ( par exemple déclarer une guerre contre… ) ; dénoncer, quelque chose à quelqu’un . Les mots dérivés signifient qui annonce contre, qui proclame contre, qui déclare contre, qui dénonce, qui accuse. Le sens habituel  de ce verbe ici est donc celui d’annoncer contre quelque chose, c’est-à-dire  de dénoncer quelque chose qui ne plaît pas/plus ou avec lequel on n’est pas/plus  d’accord, s’opposer ouvertement.   Il signifie même  souvent  « annoncer la mort »  à quelqu’un …

[25] 27  ὥστε ὃς ἂν ἐσθίῃ τὸν ἄρτον ἢ πίνῃ τὸ ποτήριον τοῦ κυρίου ἀναξίως, ἔνοχος ἔσται τοῦ σώματος καὶ τοῦ αἵματος τοῦ κυρίου. 28 δοκιμαζέτω δὲ ἄνθρωπος ἑαυτόν, καὶ οὕτως ἐκ τοῦ ἄρτου ἐσθιέτω καὶ ἐκ τοῦ ποτηρίου πινέτω· (v. 28)

[26] Notons aussi au passage que  Paul ne fait pas allusion ici à un  « sacrifice »  à la manière de certains textes du   Premier testament ou du monde polythéiste.

[27] L’article défini manque.