Communion et … union ne signifient pas la même chose et ne viennent pas du même mot et c’est pourquoi il y a deux m dans communion. Eh oui…
Cette confusion nous demande aussi quelque chose d’inutile, voire de nuisible au nom d’un faux idéal. On peut le rapprocher de comportements sectaires où chacun doit perdre sa personnalité pour se fondre sous l’emprise d’un chef qui réunit tout son petit monde et exclut ceux qui ne rentrent pas dans cette unité ; elle incite aussi à un désir de fondamentalisme alors que justement l’Eglise a accepté de reconnaître humblement – et très intelligemment – son ignorance en acceptant 4 évangiles. Affirmer que le mot communion insiste encore plus sur l’union permet d’en tirer beaucoup de conséquences : ce contresens ouvre la porte au risque de beaucoup d’abus.
Ces mises en garde faites, nous verrons maintenant le sens du mot communion. Ce n’est pas quand même que le mot communion soit synonyme de division, certes non …, mais le sens de communion n’implique pas d’être unanimes (une seule âme, une seule vie) ni de ne suivre qu’une seule ligne. A la fin, ce sera un peu surprenant et inattendu de pouvoir mesurer cet espace de liberté et d’amour que nous donne le sens de ce mot.
Ce qui m’a mise en route pour cette recherche est précisément l’article très stimulant de Christine Fontaine, paru sur son blog le 9 juin 2021 : Personne n’a le droit de communier ! [1]
Prenons donc d’abord le temps de comprendre le sens du mot au moment où on les a employés dans une langue vivante et quand on a écrit nos textes grecs et latins… Après tout si nous ne savons ni d’où nous partons ni là où nous allons, nous aurons bien du mal à arriver à bon port…
Donc embarquons pour un voyage dans le temps et l’espace…
Plan (vous pouvez avancer d’* en * si vous voulez.)
1- *Le mot « union » n’a pas donné « communion »
2*-Le mot communion est formé à partir de munus ( et non de unus, 1)
3*- Le mot munus précédé de com–
4*- La communio aux débuts du christianisme et jusqu’au XIIème siècle environ.
5*- le sens du mot communion plus tard à partir du XII° s environ.
6*- le sens du mot communion aux XVIII° et XIX° s. et même jusqu’à aujourd’hui
7*- Une heureuse surprise finale !
Après les notes, un résumé en français et en anglais.
1- *Le mot « union » n’a pas donné « communion »
Et commençons par redire qu’en fait les termes de communion, de commun, et même de communiquer n’ont pas la même racine que le terme union.
Union appartient aux dérivés de unus en latin, qui signifie le chiffre 1, l’adjectif un, un seul Quand il y a union, il y a quelque part peut-être l’idée de fusion : le mariage ou la réunion de deux groupes financiers : les deux deviennent un au moins sur certains points.
Mais la notion de un est totalement absente du terme communion, contrairement à ce que nous fait croire notre français, et les dérives de sens qui s’ensuivent.
Cette information déplace l’idée que nous nous faisons du mot, et les réactions des mes interlocuteurs à cette information difficile à digérer m’ont montré la nécessité de l’expliquer assez longuement.
2*-Le mot communion est formé à partir de munus
En effet, le mot communion est composé à partir d’un nom commun latin, munus.
Sans le savoir vous employez des dérivés de ce mot. Par exemple, en français, munir,( je te munis de nourriture pour le voyage ! ; nous avons des munitions pour combattre, pour faire passer nos idées, pour notre trek) ; comme son pluriel est munera, il donne aussi « je suis rémunéré au SMIC pour mon travail » ( rémunérer un mot qui n’a aucun rapport avec numération qui vient de nombre : regardez les n et les m de ces deux mots ) ; « pour le travail que j’ai fourni, ma rémunération est correcte » ; « le souverain les a reçus avec munificence » ( = il a fait un don d’une générosité grandiose !)[2].
Ce nom neutre, munus au nominatif, muneris au génitif avec son R, signifie en effet la charge, le devoir, l’obligation, le service mais aussi la ressource, le cadeau que l’on fait, (attention : pas celui qu’on reçoit !), le don offert.
Le terme est sans doute également parent de ce qu’un groupe va avoir le devoir de construire pour se protéger : les murailles (moenia), un travail qui ne peut se faire et être efficace qu’ensemble. Or construire ensemble une muraille est l’une des premières activités d’un groupe qui se constitue pour mieux vivre ensemble, ce qui implique une grosse organisation (qui fait quoi ? ).
3*- Le mot munus précédé de com–
Le préfixe latin cum signifie avec, ou également quand il y a déjà tout ensemble … : jusqu’au bout. Il a donné com– en français
Ajouté à munus, ensemble, on aboutit par exemple à communauté, commun etc.
Munus commence par un m , c’est pourquoi ajouté au cum latin ou au com français, il y a deux m.
C’est donc le fait de mettre ensemble ses dons ou de collaborer à exercer ensemble des charges. Et qui gère cette communauté qui met ensemble ses ressources, ses compétences de façon solidaire ? La municipalité (là où tout le monde prend part aux charges) avec parfois en sens inverse la municipalisation de certains biens (une sorte de nationalisation à petite échelle ici en France ?)
L’adjectif communis signifie qui partage les charges, d’où mis en commun. Voici quelques exemples où il est bien clair que cela n’a aucun rapport avec le chiffre 1, un.
Par exemple pour désigner certains de nos lieux de vie : « dans cette propriété, il y a la maison et les communs », (l’endroit où on dépose les affaires utiles à tous).
En droit, dans la communauté réduite aux acquêts, les biens appartenant aux deux époux ne concernent que ceux acquis après le mariage ; les moines vivent en communauté (ils partagent la même règle, lui apportent ce qu’ils peuvent, et en reçoivent en retour).
En maths, si on regarde les multiples de deux nombres différents, leur plus petit commun multiple (PPCM) de deux nombres est le premier nombre qui leur sera commun (par exemple PPCM de 12 et 15 ? 12 = 2x2x3 et 15=3×5. Le PPCM = 2x2x3x5 = 60).
Une commune est l’endroit où un groupe de personnes gèrent en mettant en commun et en redistribuant Et les communistes ont l’intention de mettre tout en commun.
La Commune est d’abord une association jurée des bourgeois d’une ville face à un roi ou à un seigneur qui les opprime trop, souvent formée dans une situation exceptionnelle, révolutionnaire, puis elle devient plus institutionnelle, mais en 1870, on reprend le nom rouge de « la Commune de Paris ».
Le verbe communicare signifie partager : je communique une maladie, une nouvelle. Par la suite, on insiste plus sur ce qui est à la jonction: la cuisine communique avec l’entrée ; la communication passe bien ; il y a une réelle communication : les informations passent.
Le verbe latin communio signifie donc je partage la charge, le devoir, le cadeau que l’on me fait, ou nous nous partageons la charge, le devoir, le cadeau que l’on se fait les uns aux autres etc.
Mais en fait ce qui est communis, si c’est partagé avec tout le monde, devient commun : le commun des mortels aime le plaisir ; « le jean aujourd’hui est commun à tous » ; le sens commun est le bon sens, la chose du monde le mieux partagée (espérons !).
Et finalement commun prend même parfois le sens péjoratif de vulgaire, voire grossier.
Les Commons en Angleterre, la Chambre des communes, indique cet aspect populaire, plébéien.
En grec, commun se dit koinos, κοινος : rien à voir non plus ni avec le chiffre 1, ou unus en latin, en grec eis, mia, en ) ni avec le mot signifiant même, identique (homoios en grec, similis en latin ).
((( Par parenthèse, j’ai lu que cet adjectif koinos a été latinisé en coena (Cyprien aurait peut-être a écrit vers 240 le traité De Coena Domini, Au sujet de la Koinè du Seigneur.) et le mot coena se serait ensuite amalgamé avec la cena latine, le repas du soir, ( un mot habituel en latin ) ce qui a donné la Cène que nous connaissons. Ceci est à vérifier.)))
Cet adjectif grec koinos, κοινος, commun,a également le sens de vulgaire, grossier. La notion est donc la même d’un bout à l’autre de ses différents emplois. Or Jésus parlait araméen (mais savait user 1°) de l’hébreu et même du grec pour lire l’Ecriture, 2°) du grec qui occupa Israël en 333, langue des commerçants et de la culture de tout le bassin méditerranéen d’alors, et 3°) du latin, l’occupant d’alors et langue administrative : si les Nazis nous avaient occupés 200 ans, nous aurions tous eu de bonnes notions d’allemand, bon gré mal gré). La superposition exacte de cette notion en grec et en latin apporte donc un renseignement intéressant puisque les évangiles nous sont parvenus uniquement en grec avant d’être traduits en latin.
4*- La communio aux débuts du christianisme et jusqu’au XIIème siècle environ.
Le nom commun communio est donc d’abord le fait d’apporter quelque chose d’utile pour le mettre en commun, puis de se le partager : se le partager implique que chacun a également reçu de l’autre en pleine égalité fraternelle au sein de différences complémentaires : confluence, réciprocité.
Ces différents « mouvements », spécifiques à chacun mais à destination communautaire, étant fondamentaux, notre messe actuelle en comporte des traces (accueil, offertoire…).
Certes, cela peut aboutir peut-être à créer une certaine unité ou cela peut même la manifester, mais c’est d’abord le fait de partager. Pour partager dans une assemblée, il faut d’abord apporter et mettre ensemble. Au temps de Jésus déjà[3]… et après dans la même foulée, dans un repas fait à sa mémoire mais aussi en dehors : cf. (Ac.2,44-45, Ac.4,32-37).. La κοινωνια, la mise en commun, la communion, la communauté est en même temps 1°) le partage très concret de nourriture, des biens etc., 2°) le germe de ce qui deviendra un « sacrement », 3°) ces gestes et 4°) ceux qui les font.
Le point commun pour les chrétiens entre ces différents emplois est d’abord et essentiellement le fait d’apporter chacun quelque chose à soi, sa manière de vivre, de croire, (même avec des différences), de les rassembler en un ensemble (même avec des différences) puis de se les partager avec ceux-là même qui les ont apportées, ( un partage entre soi) et ensuite de les partager à d’autres.
C’est ce que symbolise le repas fait en mémoire de la vie de Jésus, la synaxe : il y a un déroulé, un mouvement comme du temps de Jésus, des gens l’ont préparé en apportant, c’est rassemblé, on est rassemblés autour, on fractionne ce pain et on le distribue entre soi et à tous. (Reprendre le texte bien évocateur de Paul qui dit cela dans un contexte qui le choque : les chrétiens mangeaient leur pique-nique sans partager avec leurs voisins de table dans le cadre du repas évoquant ces gestes de Jésus. Paul finit par leur dire – ce qui est inacceptable ! mais peut-être nous n’avons pas tous les éléments – vous devriez manger chez vous ! )
Cela manifeste matériellement, physiquement, gestuellement, symboliquement, que les membres de l’Assemblée, de l’Église sont réunis, même s’ils ne sont pas uniformes. Le mouvement de rassemblement, de mise en commun, puis de partage, de fraction, suppose qu’il y a eu une étape de rassemblement, d’assemblée[4], sans fusionner les individualités, mais avec un peu de transformation des individualités enrichies par ces différentes étapes[5], suivie d’un retour au monde ( ? ) des individualités ainsi enrichies.
Cette conception de la communion (apport, assemblement, partage) se ressent partout et se traduit dans beaucoup de notions et ceci pendant 12 siècles environ :
– quand l’assemblée se fait, (la synaxe), la communion est comme dès les débuts du christianisme qui imitait Jésus, encore et toujours, d’abord le fait d’apporter sa petite munition pour les autres, de mettre ces diversités ensemble en commun (sans les gommer pour les réduire par fusion à une uniformité pensée comme témoignant d’une unité) puis de fractionner, de partager et distribuer, aux présents et au-delà, ce trésor devenu communautaire qui munit les chrétiens de la munition spéciale nécessaire à chacun pour leur voyage, le viatique… et le recevoir ensemble, en communauté participante, celle de l’Eglise.
– la communion des saints, ce n’est pas que les saints sont unis, mais que c’est aussi un partage où les saints divers aident les pauvres humains divers en leur partageant leurs dons divers.
– la communion qui se passe dans la Trinité ne signifie pas l’union des personnes de la Trinité mais c’est également l’espace de leur échange de dons, de charges, et d’amour.
– la communion ecclésiale reprend l’idée du partage des membres et de leur mise en commun pour un corps harmonieux.
– Et malheur à ceux qui sont excommuniés : on croit souvent que cela signifie qu’ils n’ont plus le droit de recevoir l’eucharistie, mais c’est bien plus grave : le verbe ex-communier signifie qu’ils ne disposent plus des dons de Dieu et n’appartiennent plus à la communauté, laquelle doit les rejeter.
Ces conceptions font vivre à peu près jusqu’à la 2e moitié du xiies.
5*- Le sens du mot communion plus tard à partir du XII° s environ.
Après le douzième siècle la mystique sacramentelle de la communio a pris une direction bien différente : lors de la liturgie, le fidèle n’apporte plus « rien » ou presque (la goutte d’eau ), mais, grâce au prêtre seul, le corps du Christ est réellement présent dans sa chair sur l’autel : il s’unit à nous et inversement dans le sacrement qui s’appelle la communion à son corps : « à son corps » : c’est bien le verbe unirà qui est implicite ici.
La théologie suit ces évolutions sur les différents emplois mentionnés ci-dessus :
– quand l’assemblée se fait, (la synaxe), la communion est s’unir à Jésus lui-même (foi personnelle) peu communautaire
– la communion des saints, c’est s’unir aux saints et réciproquement
– la communion qui se passe dans la Trinité est que les 3 personnes sont unies
– la communion ecclésiale : chacun doit s’unir à l’Eglise et à ses frères.
6*- le sens du mot communion aux XVIII° et XIX° s. et même jusqu’à aujourd’hui
Puis vers le XIX° s. (on ne parle pas ici des tendances promues par Jean XXIII) c’est le thème de l’union (le chiffre un, 1) à tous les niveaux qui a été martelé, imposant aux chrétiens de devoir gommer les différences et leurs libertés pour s’unir sous la hiérarchie : la communion de l’Eglise s’exprime par un seul rite, un seul chef infaillible etc. La communion est exigée de tous, du pôle nord aux favellas.
– quand l’assemblée se fait, la liturgie insiste sur l’unité (rituel à suivre)
– la communion des saints au Ciel reflète ce qui doit se passer sur Terre
– la communion qui se passe dans la Trinité indique cet amour fusionnel, idéal d’humilité et d’oblation auquel chacun est appelé un peu partout
– la communion ecclésiale implique la soumission à ceux qui savent. La communion solennelle = la profession de foi
– le fait d’être hors Eglise met en relief ceux qui restent dedans (Massada) : la tentation sectaire de l’exclusion et de l’exclusivité élitiste n’est pas loin ( ex-communication des autres mais intériorisée en moi-même ) .
Réfléchissons à ces expressions ou à ces faits :
-l’oecuménisme cherche la communion des Eglises
– « je communie avec vous dans un même idéal »
– A quel âge fait-on sa première communion ? à des âges qui ont bien varié en fonction d la conception qu’on avait de cette communion. « Qui peut donner la communion »
– la communion ou eucharistie ou messe ou célébration eucharistique… : tout est parfois synonyme ; la communion de désir, etc.
– réfléchissons aussi au sens du terme communion dans les textes récents, par exemple « Pour une Église synodale : communion, participation et mission. » et à ce que cela sous-entend.
– l’enjeu de la « communion » pour les divorcés remariés qui ne vivent pas en frères et sœur, etc. : interdits ecclésiaux heureusement revus par Amoris Laetitia
7*- Une heureuse surprise finale
Et aujourd’hui, que reste-t-il alors du sens initial ?
Le sens général du terme :
Pour qu’il y ait « communion », il faut donc qu’il y ait eu avant des éléments séparés, distincts donc souvent éventuellement différents : ce sont des éléments de soi qui appartiennent à chacun.
Pour les apporter aux autres, les distribuer, chacun doit se fractionner (ce qui ne nous diminue pas) pour en faire don ( munus) .
Parfois, ce don inespéré est reçu et fêté ! Parfois celui qui reçoit ce don n’en voudrait pas : il va être hérissé, énervé, en colère…
Ces éléments apportés par un autre, sont à voir comme des pichenettes à mes suffisances, des scandales pour mes insuffisances, des éclairages dans mon monde intérieur qui peut me faire croire que je ne suis pas aveugle ou que je suis le centre de l’univers, des stimuli, de possibles apports aux manques dont j’étais inconsciente. Ces éléments sont autant de munus, de dons, et d’apports (j’enfonce des portes ouvertes, désolée.. )
On les met donc ensemble tous ensemble : ce qui s’appelle « mettre en commun ». Tel est le rôle et de chacun, grands et petits (je n’insiste pas). Ce qui rappelle le sens des mots solidarité, démocratie, subsidiarité, communauté, communication.
Cette communion réussie produit un grand pain nourrissant, et équilibré, riche, divers, goûteux, où chacun pourra trouver son compte si…
Si on s’en nourrit : si donc il est partagé pour ma nourriture et pour celle de la multitude qui voudrait de ce « don ».
Ainsi on retrouve la différence, la diversité…en pleine égalité fraternelle au sein de différences complémentaires puisque chacun reçoit aussi, finalement, de l’autre et de l’Autre, implicitement, ce qu’il désire ou ce dont il a besoin.
En plus de ce fait anthropologique, les croyants peuvent y trouver une spécificité religieuse.
Il reste ce qui a été suggéré par Jean XXIII et les débuts de ce concile. Il nous reste surtout ce qui est montré et dépeint dans l’Evangile : des gestes et un esprit universels et intemporels, humains.
On peut relire ainsi l’introduction à ce texte : communion et … union ne signifient pas la même chose. Une confusion inciterait à divers comportements ( « je ne veux voir qu’une seule tête ! » ou «je suis humble et accepte de disparaître » ). Parmi les conséquences, le risque de distorsions de la Bonne Nouvelle.
L’Homme mis debout par Jésus, éveillé par Dieu, apporte sa contribution, quelle qu’elle soit, met en commun, partage et se tourne pour apporter aux autres. La communion n’implique pas d’être unanimes (une seule âme, une seule vie) ni de ne suivre qu’une seule ligne. Le terme, plein de mouvement et de vie, ouvre un espace de liberté et d’amour à chacun et aux communautés.
Bonne nouvelle d’il y a 20 siècles apportée par Jésus, Bonne Nouvelle pour aujourd’hui.
Le terme communion implique d’être différents… pour pouvoir arriver à ce qu’est la (véritable) communion, cette communion qui entre dans la composition d’une saine relation humaine à tous les niveaux, et, par exemple intra-ecclésiale, synodale, ou communautaire…
Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2022-03-16)
[1] 9 juin 2021 : Personne n’a le droit de communier ! par Christine Fontaine
[2] Pour les curieux du vocabulaire : et qu’est-ce alors que l’immunité diplomatique ? C’est le fait que les diplomates par exemple qui ont parfois besoin du secret sont dispensés de certaines charges et obligations de transparence et sont protégés des deux côtés belligérants. Par dérivation, lorsqu’on cherche une immunité vaccinale, cela veut dire qu’en se vaccinant, on espère être exempt de la maladie !
[3] Tout en commun ? La vie économique de Jésus et des premières générations chrétiennes, de Jonathan Cornillon, Collection Cerf Patrimoines, 784 pages – juin 2020
Voir aussi dans Wikipédia par exemple un bon article synthétique sur « Communauté de biens de l’Église de Jérusalem » et après…
[4] Le sens de ce mot serait lui aussi à préciser de la même façon.
[5] Par parenthèse, on peut noter aussi que le lexique de la Genèse n’évoque pas du tout un mariage homme femme ni une union qui viserait comme idéal de les fusionner en les rendant un, 1.
Extrait ou résumé en français et en anglais.
Communion et … union ne signifient pas la même chose et ne viennent pas du même mot et c’est pourquoi il y a deux m dans communion. Eh oui…Un voyage étymologique permet de rectifier une idée fausse. Fausse et même dangereuse car elle inciterait à quelque chose d’inutile, voire de nuisible au nom d’un faux idéal qui pourrait culminer en emprise sectaire ou fondamentalisme (ne suivre qu’une seule ligne). Le terme communion décrit un mouvement d’apports mutuels différents, de mise en commun, puis de partage.
Communion and … union do not mean the same thing and do not come from the same word and that is why there are two m’s in communion. Yes… An etymological journey allows us to rectify a false idea. False and even dangerous because it would incite to something useless, even harmful in the name of a false ideal which could culminate in sectarianism or fundamentalism (following only one line). The term communion describes a movement of different mutual contributions, of pooling and then sharing.
Explorations en cinq étapes pour nous faire réfléchir à notre aujourd’hui à ce sujet.
1°) la rencontre avec Abraham,
2°) le psaume 109 ou 110,
3°) l’Epitre aux Hébreux
4°) l’Evangile
5°) Melchisédech et son utilisation au III° siècle ap. J.-C. et ensuite.
Des réflexions actuelles
A chaque messe, depuis des siècles nous mentionnons Melchisédech, ainsi écrit en français dans le missel…
« Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisédech ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »1
Supra quae propítio ac seréno vultu respícere dignéris: et accépta habére, sícuti accépta habére dignátus es múnera púeri tui iusti Abel, et sacrifícium Patriárchae nostri Abrahae, et quod tibi óbtulit summus sacérdos tuus Melchísedech, sanctum sacrifícium, immaculátam hóstiam.
Nous sommes habitués à entendre ce texte, à considérer que Dieu se plaît à ces sacrifices, que nous avons donc besoin de lui en présenter, en tâchant de ressembler à Abel, Abraham et Melchisedek.
Ici comme nous réfléchissons pour notre aujourd’hui à la notion du sacrifice et à la place du prêtre, nous nous sommes occupés plus spécialement de Melchisedech.
Une parenthèse sur l’orthographe de son nom : le ch est d’influence grecque et latine, son nom hébreu étant מַלְכֵּי־צֶדֶק (malkî-ṣedeq). On peut donc le transcrire plus fidèlement aujourd’hui Melkisedeq. On trouve aussi les transcriptions suivantes avec dans l’ordre 1° ) ch ou k, 2°) accent ou pas, 3°) s ou z , et 4°) q,ch ou k. Soit Melchisédek, Melchisédech, Melchisédeq, Melkizedech, ou encore Melchizedek etc. et on trouve même Melkitsedeq… .
– 1° Nous allons commencer par regarder exactement qui était ce Melkisédech lors de sa première apparition dans quelques lignes du Tanakh, lors de sa rencontre avec Abraham.
– 2° Il n’apparaît plus ensuite sauf dans un psaume dont nous étudierons le texte pour comprendre comment certains juifs ont glosé sur ce texte.
– La 3e étape, l’allusion à Melchisédech dans l’Epître aux Hébreux, permet également de mieux comprendre le point de vue que les chrétiens ont soutenu au départ : en effet, celle-ci qui concerne le sacrifice est destinée à s’opposer au fait que, au sein même de l’Eglise et parmi les chrétiens d’alors, il devrait y avoir des prêtres comme l’Ancien Testament. Cette Epître aux Hébreux commence donc par valider le fait que Jésus est un grand prêtre qui était préfiguré par Melchisedek, affirme que le sacrifice de Jésus est accompli une fois pour toutes et qu’on n’a plus besoin de le refaire, et donc qu’il est inutile et impossible qu’il y ait des prêtres parmi les chrétiens comme il y en avait pour le peuple hébreu.
– La 4° étape sera de revenir à l’Evangile : on peut mieux discerner comment Jésus ou ses disciples ont pu percevoir la figure de Melchisedek, et quelle a été leur position au sujet des sacrifices à offrir à Dieu et au sujet de la place du prêtre. Nous pourrons ainsi nous poser des questions au sujet du chemin que Jésus souhaitait indiquer.
– En 5°, nous verrons comment – sans tenir compte de l’Evangile- certains ont tenté et parfois réussi à exploiter cette figure pittoresque.
Nous pourrons alors poursuivre en voyant comment ce récit peut être interprétable aujourd’hui. Certaines interprétations anciennes ont servi récemment et servent encore à certains : que peut-on en dire d’un point de vue objectif et scientifique de nos jours ? En ces temps de guerres pour des territoires dans cette région du Moyen-Orient, quelles leçons, valables pour tous, croyants et non-croyants, pouvons-nous en tirer sur un plan local ? Et sur le plan très général, comment tirer d’un texte traditionnel, de l’utile de ce qui nous semble périmé car ancien, ou du vivant de qui nous semble intouchable car sacro-saint ?
La rencontre avec Abraham (Genèse (14:18-20)
La référence à Melchisédech prend donc son origine dans un passage de l’Ancien Testament ( ou Tanakh) en Genèse 14:18-20.
Après l’épisode de Babel, naît Abram, (c’est le nom initial d’Abraham). Sur une inspiration de Yahweh qui veut lui donner une terre, il se met en route (Genèse 12), campe, fait paître et dresse des autels au Seigneur. Il devient très riche. Il se partage le pays avec Loth, continue à prospérer à construire des autels à Yahweh. Il y a de petites guerres, et Loth est fait prisonnier. Abram, à la tête de ses guerriers part le libérer et il est vainqueur en pays ennemi.
Revenant d’une campagne victorieuse, il rencontre de manière inattendue un personnage au riche nom symbolique, מַלְכֵּי־צֶדֶק ( malkî-sedech), que nous pouvons écrire de diverses façons. Ce nom ( 4442 ) signifie en le décomposant « mon roi est juste ». Le texte explique qu’il est le Roi de Salem », ( Roi (4428 melek) Salem ( 8004) signifiant Paisible. Le texte ne situe pas précisément cette cité ( à cette époque de nomades qui n’avaient même pas encore de chameaux) mais d’après le trajet d’Abraham, le texte la situe dans la région de la future Jérusalem, et toute la tradition ensuite est unanime pour dire que Jérusalem lui a fait suite sur place.
Chose surprenante, alors que ce Roi de Salm est du pays et qu’on peut le supposer cananéen, il s’avance vers le vainqueur et montre par ses actes qu’il est du côté de cet Abram dont il fait la connaissance : « Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin. Il était prêtre du Dieu très-haut. Il le bénit en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris. »
A l’époque supposée, il existait dans de nombreuses civilisations du bassin méditerranéen des rois-prêtres : c’était le cas en particulier en Phénicie. Ce roi-prêtre bénit Abram en tant que béni de Dieu et ratifie sa conquête et donc sa quête. Il accepte de recevoir d’Abram le dixième du butin qu’il a récupéré.
La rencontre, brève, n’est pas autrement détaillée que dans ces deux versets et s’arrête là : l’étonnant sera multiplié par ce mystère qui laisse le champ libre à toutes les suppositions et interprétations. Selon certains commentateurs de la Torah, comme Rachi, qui cherchent à justifier la présence de ce croyant en terre pleine païenne, il s’agirait de Sem, le père des sémites, fils de Noé. En effet, Sem étant crédité d’une vie de 610 ans, il aurait ainsi pu rencontrer Abraham…
On voit qu’en citant dans le livre de la Genèse cet homme qui vivait bien avant la sortie d’Egypte, les Juifs considéraient comme possible qu’on puisse avoir été ( et donc être) prêtre du très-Haut, et à plus forte raison fidèle du Très-Haut, en dehors du peuple juif ( ce peuple qui ne s’est théoriquement constitué que lors de l’Exode, – en fait même sans doute plus tard – avec le corps de ses prêtres.). L’étonnant est aussi qu’il soit déjà prêtre du Très Haut alors qu’Abram ne fait qu’arriver… et que le rite d’appartenance de la circoncision n’a pas encore été établi (Abram n’a pas encore de fils). Cependant, cela est moins étonnant pour celui qui lit comment le Premier Testament – l’Ancien testament, le Tanak) raconte dans la Genèse la construction progressive de la foi en Yahvé seul et l’établissement de son culte au milieu de religions évolutives elles-aussi.
Le terme prêtre employé ici, cohen, כֹהֵ֖ן (voir le 3548 qui en référence tous les emplois dans le site lasaintebible.com https://saintebible.com/ ) désigne le prêtre, dans son acception la plus large (y compris notons-le même des prêtres étrangers ou ceux qui jouent d’un instrument, les lévites[1] etc. ). Le prêtre ( dans tout le bassin méditerranéen d’alors pour ne parler que d’Israël et de ses voisins ) effectuait différentes tâches : prières, purifications, conseil, offrandes des prémices, encens, sacrifices non sanglants, sacrifices sanglants… Rien d’étonnant donc à ce que prêtre de Salem effectue ses rites. Le terme « dieu » est lui-même un terme générique tant qu’on ne lui donne pas un nom.
On constate que dans Genèse, le terme « sacrifice » n’est pas prononcé à propos de ce que fait Melchisedek : l’hospitalité exercée s’accompagne d’un partage de pain et de vin, d’une bénédiction et d’une action de grâce, et il n’est évidemment encore moins question de sacrifice sanglant, mais simplement, de pratiquer une hospitalité « végétarienne » en bénissant Dieu et en le remerciant pour ses bienfaits. La paix est un don de Dieu, et même la victoire qui apporte la paix et permettra plus tard Jérusalem…
Ce qui concerne la narration de cet événement s’arrête là : c’est peu de choses.
Nous avons donné les éléments explicatifs de ce texte censé évoquer des événements réputés auto-référentiellement dater de 1500 av. J.-C. et dont les scientifiques savent qu’il a été mis par écrit vers 500 av. J.-C. au moment de la terrible déportation à Babylone ou à son retour. C’est donc une reconstruction longtemps après les faits ( éventuels ) pratiquée selon certains objectifs par certains auteurs, et ce texte fut et est encore aujourd’hui fondamental et porteur pour beaucoup en Israël et pour beaucoup de chrétiens.
Cependant, nous n’avons pas détaillé l’archéologie et l’histoire le concernant, car ce n’était pas notre but. Ce qui nous intéresse dans cette étude, c’est de réfléchir sur ce qui peut guider notre aujourd’hui.
Nous pouvons discerner les idées qui sous-tendent le texte et l’état d’esprit qu’il promeut. Nous le pouvons certes, et même nous le devons car une lecture plus réflexive de ces quelques lignes s’impose en tenant compte du fait qu’il nous est présenté aujourd’hui encore comme prophétique, annonçant Jésus, le sacerdoce, le sacrifice, bref comme une des racines nourrissant notre vie.
Ainsi, présenterions-nous encore ainsi ces événements ?
Les auteurs du texte nous présentent un Abram vainqueur, signe évident …que le dieu le plus puissant est avec lui ; le Roi voisin remercie Abram ( peut-être à l’avance ou en conclusion d’un pacte d’alliance ) et le béni lui qui ne fera pas de mal à Salem. Abram donne donc à cet ennemi potentiel qui est devenu son allié, un dixième de son butin. De plus, Abram n’est pas prêtre lui-même, quoiqu’il puisse accomplir lui-même les rituels ( cf. tous les rituels qu’il apprend à accomplir pieusement, dont le sacrifice d’Isaac). Cet homme qui vient à sa rencontre est par chance un prêtre connu comme tel : il a un nom peut-être générique, en tout cas riche de sens symbolique, et qui est déjà tout un programme. Il remercie le Dieu d’Abram (et son propre Dieu) qui a donné la victoire à Abram, comme s’il l’avait attendu …
Le décryptage de l’implicite du texte nous pose question pour ce que nous avons à vivre aujourd’hui : ce texte montre quelle notion de Dieu on avait à une époque de tolérance et de partage, mais il a des côtés plus discutables : c’est un texte qui exalte la paix certes, mais quelle paix ? quelle réussite ? le pouvoir de quel Dieu ? quel type de rituel ?
Nous reviendrons plus loin sur ces questions quand il sera question de l’esprit de l’Evangile et de celui qui pourrait animer l’Humanité, croyante ou non, aujourd’hui.
Le psaume 109 ou 110 fait allusion à Melchisedek.
La référence suivante ) Melchisedech se trouve dans le Psaume 109 ( ou 110). Il est difficile à traduire et à comprendre ( d’où d’ailleurs les interprétations si nombreuses… )
Le voici intégralement : ( trad. du grec en français par Marg. Champeaux-Rousselot)
Hébreu Tanakh
Grec Septante
Français ( trad. Marguerite Champeaux-Rousselot : le plus proche possible de l’hébreu et du grec)
Te suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ; de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »
Tecum principium in die virtutis tuae in splendoribus sanctorum ex utero ante luciferum genui te
Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.
de torrente in via bibet ; propterea exaltabit caput
Psaume 110 selon la numérotation grecque, ou 109.
Un exemple de traduction discutable selon nous sachant qu’elle contient par rapport au texte, quelques infidélités « orientées» :
1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :
Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.
2 L’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance : Domine au milieu de tes ennemis !
3 Ton peuple est plein d’ardeur, quand tu rassembles ton armée ; avec des ornements sacrés, du sein de l’aurore ta jeunesse vient à toi comme une rosée.
Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées, d’une autre façon :
4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en repentira point :
Tu es sacrificateur pour toujours, à la manière de Melchisedek.
5 Le Seigneur, à ta droite, brise des rois au jour de sa colère.
6 Il exerce la justice parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise des têtes sur toute l’étendue du pays.
7 Il boit au torrent pendant la marche : C’est pourquoi il relève la tête.
Etudions mieux le psaume : il comprend deux parties sur le thème du roi à la structure très proches : les versets 1 à 3, puis les versets 4 à 7. Chaque partie commence par un oracle de l’Éternel, qui est ensuite commenté par le psalmiste. Voyons le sens général avant de regarder les termes les plus difficiles.
Aux versets 1 et 2, le roi siégeant à la droite de Dieu : cette place montre que le Roi est le lieutenant terrestre de Dieu. Les ennemis formant son marchepied au fur et à mesure des victoires est un symbole clair pour tous (sculptures etc. dans l’archéologie, Egypte et autres ). exprimant la victoire sur l’ennemi et sa domination. Dieu va lui donner le sceptre de la puissance. Dans le verset 3, l’expression est riche de symboles connotés dont nous avons perdu le cheminement logique … mais il y a visiblement le mot « peuple », un terme qui montre qu’il peut être une « armée », que cette armée est reliée à l’idée du « sacré » ou de la « sainteté » ( comme si c’était l’armée sur terre de Dieu ? ), et ceci dans la « rosée » de l’ « aurore » ( un jour nouveau qui se lève, celui où Israël va se sauver par son armée qui est la main de Dieu ? ).
Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées : le verset 4 sera éclairci plus loin ; la victoire de Dieu sur les rois méchants par l’intermédiaire d’un roi qui a Dieu cette fois à sa droite : le jour où la colère de Dieu éclatera et fera éclater sa justice, le Roi est à sa gauche. L’armée lui obéit et accomplit sa volonté ; elle n’a aucun souci de son confort : quand elle a soif, elle boit aux torrents sans se dérouter de son chemin pour trouver une belle fontaine, ni attendre en s’affaiblissant de trouver une source plus pure. C’est cette union entre Dieu et le Roi, par l’armée, qui permet la victoire
Ce psaume peut être diversement interprété : il peut concerner deux personnes différentes à deux époques différentes :
1) Psaume royal qui peut être vu comme un psaume écrit pour l’intronisation d’un certain Roi d’Israël, ( historique et précis comme David ou Salomon ? ou idéal et/ou à venir ? ) qui sera/est/a été toujours fidèle à sa foi en Dieu en même temps qu’il a été/est/sera un guerrier victorieux qui suit les ordres de Dieu, les deux qualités de ce Roi ( fidèle/victorieux) étant reliées par sa foi en Dieu ;
2) allusion à un lieutenant de Dieu, tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche ( notons qu’il n’est pas question de filiation ) qui tantôt reçoit de Dieu la victoire tantôt est victorieux parce qu’il lui obéit : certains ont vu dans cette figure le Roi d’Israël idéal, un égal de Dieu, la figure de l’Oint[2] ( L’Oint se dit Messiah, en hébreu, francisé en Messie, et se dit en grec Christos latinisé en Christus et traduit en français par Christ[3]) ou du Fils de l’Homme, d’un Fils de Dieu etc. Certains Juifs sont même allés à dire qu’il y avait, peut-être bien, « à côté de Dieu » un personnage mystérieux et mal connu : un « Fils » au sens symbolique.
C’est pourquoi certains commentateurs chrétiens utilisent ce passage sans le dire expressément ( et d’ailleurs sans dire lequel des versets entre 1 et 3 ils utilisent ) en disant : « La filiation divine peut exprimer une relation privilégiée du roi à l’Éternel » : mais où a-t-il été question ici de filiation divine ? Et même de filiation tout court ? On ajoute aussi parfois : « ce passage est à rapprocher du psaume 2, verset 7 » : or en fait il est y question de l’Oint (le Messie, Messiah) qui a été adopté par Dieu comme fils, et ici ce n’est pas mentionné comme tel. On dit encore qu’on peut le rapprocher du Deuxième livre de Samuel, ch. 7, v. 14. où Dieu déclare à David qu’il sera un père pour Salomon et que Salomon sera un fils pour lui : mais encore une fois il n’est pas question de cela ici. Même si ces textes sont des textes où Dieu soutient le roi, il n’est pas plus question de filiation que dans le texte du Psaume 110 (109) ou dans le passage évoquant la rencontre d’Abraham et de Melchisedek.
Certains traduisent parfois « sacrificateur/prêtre dans l’ordre de Melchisedek » : cette traduction est tendancieuse car elle fait croire à une allusion à un ordre de prêtres, comme nous dirions l’Ordre des avocats, à une catégorie dans une hiérarchie d’organisation : or le terme hébreu veut simplement dire « à la manière de ».
L’expression « pour toujours » ( v. 4) est en hébreu un mot qui peut aussi désigner le passé comme le futur, c’est-à-dire éternel ou quasiment éternel, mais le plus souvent le futur.
Enfin, – revenons à la question qui nous intéresse plus ici – certains traduisent « tu es sacrificateur pour toujours » alors que le terme employé ne fait aucune allusion à un sacrifice ni à un sacrificateur. C’est en effet le même terme que dans le texte concernant Melchisedek qui fait apporter pain et vin ; sans faire de sacrifice, il bénit Dieu et ratifie la victoire d’Abraham au nom du Dieu qu’il sert. Le terme hébreu « prêtre » ( 3548 cohen) qui est employé dans le texte est très large et sa fonction ne se limite pas à celle d’un sacrificateur, même si certains la voient comme la plus haute fonction religieuse, et d’autant plus haute que le sacrifice serait sanglant, et de grosse taille : ce mode de pensée n’est pas loin des sacrifices païens que Dieu récuse plusieurs fois dans le Tanakh, sans compter le message de Jésus au sujet des sacrifices faits au Temple, à Jérusalem ou ailleurs et des « consignes » qu’il laisse pour la prière à Dieu notre Père.
Conclusion de ces remarques sur la forme et les mots : ce texte doit donc être traduit avec honnêteté, et commenté sans trop de dérives irrationnelles…
Traduction proposée par nous, plus littérale, avec temps et mots plus justes :
1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :
« Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme marchepied de tes pieds.
2 L’Éternel étendra hors de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis !
3 Suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ; de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »
4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en dédira point : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisedek.
5 Le Seigneur, à ta droite, brise/a brisé des rois au jour de sa colère.
6 Il exercera la justice parmi les nations : il remplira tout de cadavres ; il brisera des têtes sur la terre de beaucoup.
7 Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.
Regardons d’abord maintenant le Psaume avec objectivité
Le texte du Psaume est difficile à comprendre, même mieux traduit.
Comme dans le peuple juif, les fonctions royale et sacerdotale sont distinctes, le psaume est souvent pris pour la description d’un roi idéal qui est ou plutôt sera en fait la projection de Dieu combattant sur terre, un Messie guerrier etc. Le verset 3 se comprend mieux alors : il ferait référence à ce jour où la Nuit d’Israël finira enfin, grâce à une armée qui comprendra tout un peuple fidèle, tous des guerriers menant une guerre sacrée sous l’impulsion de leur foi en Dieu : tous des prêtres guerriers. Et comment Israël perdrait-il une guerre si tous les guerriers sont des prêtres et que Dieu les bénit ?
A quelle époque le psalmiste fait-il allusion ? On ne sait pas s’il parle d’une personne présente ou future, d’une réalité terrestre ou non. Ce personnage, ce héros, est présenté comme le parangon d’un roi en même temps prêtre, comme l’était Melchisedek, mais au dessus de tout corps de prêtres humainement et administrativement constitué, en dehors de toute organisation correspondant à un clergé hiérarchisé. Il semble que dans ce texte le futur l’emporte… L’ensemble évoquerait ( pour moi mais sans certitude ! ) la foi du psalmiste en un Roi ( probablement le Roi qui venait d’être oint à l’poque où l’on a composé ce psaume ) , un Roi d’Israël, bien vivant dans ce pays et ce peuple, un Roi qui serait vraiment une émanation de Dieu, sur une Terre Royaume de Dieu…
Cependant son affirmation, ô combien réconfortante ! : « L’Eternel l’a juré » est passée comme Ecriture sainte, engageant réellement Dieu… Cette phrase a eu un très grand retentissement, en particulier car elle affirmait que le Dieu des armées était du côté d’Israël.
Lorsqu’Israël a de nouveau eu un territoire, cette phrase a été interprétée par certains, non dans le futur d’un royaume qui n’est pas de ce monde, mais comme justifiant la création d’un Etat politique et en même temps religieux avec comme objectif la reconquête de ce que Dieu avait été censé, d’après les textes ainsi interprétés, avoir « donné » à Abraham et à ses descendants. .
Mais concluons sur la réalité de ce qui est décrit s’être passé entre Abraham et Mechisédek pour revenir à notre allusion lors de la messe :
Le texte du Psaume s’est déjà fort éloigné du récit tiré de la Genèse.
De la bénédiction de Melchisedek qui valide la conquête d’Abram, Israël a déduit surtout que Dieu donne des récompenses à celui qui lui fait des offrandes qu’il agrée. Il retient cela comme une sorte d’alliance signée par celui qui recevra une offrande, envers le peuple qui a accompli cette offrande. Ce qui est rassurant pour ce peuple, c’est l’idée que la « récompense » est promise par un Dieu toujours fidèle, et que le peuple, quoique infidèle, sera d’une nature abstraite par essence, toujours fidèle, toujours représenté par un clergé « prêtre à jamais », et comme Melchisedek, roi-guerrier…
Mais devons-nous, nous, hommes du XXI° siècle, chrétiens, valider ce type de déductions comme orientant nos vies ?
Nous avons une telle vénération pour ces textes qui pour nous sont comme sacrés que nous ne prenons pas de recul… Mais un tel questionnement ne doit pas être tabou, la démarche historico-critique est permise désormais, et il faut la faire même si la démarche risque d’être mal prise par certains et même s’il est difficile pour nous de lire sans préjugés … .
L’absence de Melchisedek et de ses signifiants dans les Actes et les Evangiles
Nous ne pouvons que nous fier aux textes qui nous sont parvenus…
Les épitres et les évangiles ne montrent pas un Jésus faisant référence à Melchisedek. Il nous semble qu’il n’y a peut-être pas fait référence. En effet, on ne peut traiter le sujet en entier mais nous pensons être honnête ( et convaincante ) en prenant presque au hasard, un fait significatif car il y en aurait tant d’autres à convoquer…
Matthieu lui fait citer le texte où Yahweh déclare par la bouche du prophète (Osée, 6, 6) :… parce que je veux la pitié et non le sacrifice, et l’action de reconnaître Dieu plutôt que les holocaustes. (διότι ἔλεος θέλω καὶ οὐ θυσίαν καὶ ἐπίγνωσιν Θεοῦ ἢ ὁλοκαυτώματα.)
Matthieu le lui fait citer deux fois… et il ne s’est pas contenté de lui faire citer le souhait prêté à Dieu, mais y a ajouté le refus explicite par Jésus du « sacrifice » et sans doute du système sacrificiel, des valeurs supposées et de la hiérarchie qu’il induit ainsi que de la figure anthropomorphique et quasi-païenne qu’il dessine, hélas, en creux.
– Matthieu 9,13 : Allez, et apprenez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion[4], et non aux sacrifices. » Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.
– Matthieu 12,7 : Si vous saviez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion, et non aux sacrifices », vous n’auriez pas condamné des innocents.
D’après bien d’autres passages, on peut supposer que Jésus avait réprouvé le système (instrumentalisant Dieu) du bouc émissaire et du sacrifice d’un autre (innocent, même animal) comme victime à la place de soi-même : il préfère un effort sur soi. Il a certainement montré la force d’amour, la puissance de conversion et la fécondité de la paix, de la non-violence, du pardon lors de déceptions, envers les ennemis, ou envers des meurtriers. Inutile d’insister ici.
Il évoque un quotidien où l’on se donne aux autres… et parfois où on est tué si on ne renie pas Dieu. Mais il n’a jamais indiqué aux chrétiens qu’aucun parmi eux ait à devenir « prêtre » ou Grand prêtre ou lévite à la manière des prêtres de l’Ancien testament, ni même scribe[5]. Il n’a jamais évoqué comme condition à son salut qu’aucun des fils de Dieu ait eu à faire de sacrifice à la manière des Hébreux.
Les évangélistes ne se contredisent pas sur ce point : ils étaient d’accord pour montrer que Jésus qui a refusé pour lui-même le titre de « Rabbi », ne s’est opposé aux coutumes religieuses que lorsqu’elles étaient un leurre ou faisaient contresens ; on voit qu’il n’a pas prôné des cérémonies publiques, ni des rites et des sacrifices, et qu’il n’a pas cherché à constituer de clergé lorsqu’il bâtissait son Eglise, etc. On peut se rapporter en deux mots au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité[6].
De ces caractéristiques trouvées dans les textes, on peut déduire selon moi, qu’il y a toutes chances pour que Jésus ait pris réellement du recul sur ces sujets, et c’est pourquoi dans son message, dans le noyau de son message, se trouvent si peu de références positives au Tanakh sauf quand il veut se placer sur le terrain de ses interlocuteurs en prenant leur langage ou en répondant à leurs questions. L’esprit de Dieu lui fait comprendre le principe de la Loi ; il en laisse quand elle n’y correspond pas et la dépasse quand elle est insuffisante.
Réfléchissons[7] si le comportement d’Abram (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…) et de ce roi-prêtre local soutenant le vainqueur puisque dans toutes les religions d’alors la victoire était interprétée comme un signe de la faveur divine, pouvait être encore validés ainsi à l’époque de Jésus. Des discours de ce genre s’entendent encore parfois aujourd’hui un peu partout dans le monde. En Israël, lors de défaites, de famines ou de l’Exil, des prophètes avaient déjà réfléchi à la question pour changer ce raisonnement quasi-païen qui instrumentalise la croyance en Dieu et prétend définir Dieu de façon anthropomorphe. Les évangiles montrent que Jésus avait réfléchi sur la violence, l’injustice, les victimes, le pouvoir, les minorités etc. Quel avis pouvait-il avoir sur un Abram conquérant présenté comme aidé par Dieu, nomade s’emparant de terres non-assignées ou guerrier usant de la force, obligeant les plus faibles à se soumettre, et sur un prêtre osant faire une déclaration théologique sacrant le vainqueur comme un prétendu favori de Dieu… Il pouvait par contre aimer Abram et Melchisedek qui cherchaient Dieu comme ils pouvaient… Jésus semble avoir partagé les révélations des prophètes qui ont réfléchi au sujet de la manière dont Dieu agit ou n’agit pas dans et sur ce monde. D’accord pour bénir Dieu, mais contre l’instrumentalisation d’une telle bénédiction ; et sans doute opposé à toute idée d’acheter Dieu, de se le lier, ou même de lui rappeler une alliance à laquelle il serait « obligé » de se tenir fidèlement envers un partenaire plus ou moins fidèle… Jésus s’est dressé contre ces amalgames et il va sans dire que cette conception se ressent explicitement et implicitement – ce qui est tout aussi important mais plus compliqué et plus long à « citer » ! – dans tous les évangiles.
Et nous, pouvons-nous, sans réfléchir, accepter en modèle ce qui était pourtant acceptable à l’époque supposée d’Abram de Mechisédek, et, pour certaines tendance du peuple d’Israël à l’époque de Jésus ? Pouvons-nous accepter en modèle à suivre le comportement de ce roi-prêtre local validant la victoire d’Abram et en déduisant une valeur religieuse ? Pouvons-nous considérer comme un modèle à suivre ce rite accompli par ce roi-prêtre local bénissant Dieu lors de l’alliance supposée voulue par Dieu avec ce vainqueur ?
Il y aurait beaucoup à dire sur cette collusion, une manière de penser qui sous-tend encore bien des discours théologiques et bien des prières, une tentation sans cesse renaissante car elle semble « fructueuse » pour gagner à Dieu des fidèles…
Or voici la phrase dite et redite pendant la messe et qui nous imprègne, consciemment ou non : « Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »
En pesant et en considérant chaque mot, a-t-il vraiment « plu» à Dieu d’accueillir (…) le sacrifice (…) que t’offrit Melchisedek ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait » ?
Nous avons déjà vu dans le texte que ce n’était pas un « sacrifice » mais est-on vraiment sûr de ce que veut impliquer pour nous chacun de ces mots dans notre vie et dans nos choix de tous les jours ?
Est-ce vraiment le chemin que l’Evangile nous trace ?
Pour répondre à cette question, nous allons regarder la troisième occurrence de Melchisedek, celle dans l’Epître dite aux Hébreux.
En effet, ni l’Apocalypse, ni les Epitres ne mentionnent Melchisedek sauf une seule épître : celle de l’épître dite aux Hébreux ( 5,6).
Pendant longtemps, on a même débattu pour savoir si ce texte était canonique ou non. En effet, si dans son contenu il y a référence à l’Ancien Testament, c’est en fait pour mieux s’en différencier … Cette démarche complète donc la démarche de l’Evangile et va dans le même sens, mais est plus explicite. Elle a finalement été attribuée à Paul et acceptée comme canonique en 397 … Mais la critique moderne la date désormais d’entre 60 et 90, a observé que son nom date seulement du II° siècle, et a cessé de l’attribuer à Paul. Quoiqu’elle soit restée canonique – et selon nous, elle le mérite comme nous le verrons -, on doit prêter attention au fait que des citations trop brèves et séparées du contexte favorisent de graves contresens, des contresens … plus ou moins volontaires parfois… tellement elle en gêne certains par sa théologie !
Melchisedek est donc un des angles d’attaque pour une question plus générale, traitée explicitement à maintes reprises explicitement dans les Epîtres, mais comme nous l’avons vu, déjà très importante dans les évangiles. Cette question concerne la « filiation » (ressemblances/différences etc.) entre Jésus/son Evangile et l’Ancien testament.
Ce texte évoque à nouveau cette figure symbolique de Melchisedek pour répondre à des questions alors d’actualité. Elle a été écrite précisément pour s’opposer à ceux qui à l’époque, peu après la mort de Jésus, se demandaient s’il ne fallait pas que les disciples de Jésus, juifs ou païens convertis, offrent des sacrifices à Dieu, à peu près comme dans le Temple de Jérusalem, par l’intermédiaire de nouveaux prêtres… L’épître répond clairement que Non, en plusieurs points.
1°) L’auteur de l’épître s’attache à montrer que Melchisedek habite Salem et y vénère avec tous ses sujets, Yahvé comme Dieu, avant même la venue d’Abram : il montre ainsi, au moment des débats sur l’ouverture aux païens, que cet accès de Dieu par les païens était déjà validé par la Torah : ce récit montrait même que, en ce qui concernait le sacerdoce ou les rites, les Juifs étaient en réalité seconds par rapport aux païens… et que, à la limite, on pouvait dire légitimement que ce n’était pas des Juifs que les païens recevaient le sacerdoce, mais bien les Juifs des païens… Un des intérêts de la figure de Melchisedek est de relativiser l’apport juif et leur antériorité.
2°) L’auteur peut-être de culture juive et s’adressant à des disciples d’origine juive, va pratiquer une lecture de type midrashique où un épisode ou un texte « antérieur » annonce un texte ou un épisode postérieur qui est « en progrès ». Seulement, selon les disciples de Jésus, le processus est mené à son terme avec Jésus : il a accompli parfaitement les figures qui l’annonçaient : « accomplir parfaitement » signifie « achever[8] », c’est-à-dire « mener à sa fin », ce qui rend superfétatoire, prétentieux ou nuisible tout désir de perfectionner la chose et rend également ce qui précède obsolète et périmé. Paul montre ainsi que la Croix rend obsolète la circoncision qui lui ressemble un peu et l’annonçait, de même que le partage du pain à la Cène rend obsolète la manne qui lui ressemble un peu et l’annonçait etc.
L’auteur va donc tout d’abord montrer qu’il connaît leurs propres arguments tirés des trois lignes à peine de la Genèse qui pourraient faire de ce personnage une figure annonciatrice de Jésus. Le texte dégage d’abord les deux points concernant
a) il mentionne d’abord que Melkisédek porte un nom qui veut dire « roi de justice » et ensuite, qu’il est roi de Salem, c’est-à-dire roi « de paix » ( 7, 2 et 3) : Jésus mérite aussi ces titres.
b) il fait remarquer qu’on ne parle « ni du père ni de la mère, ni d’ancêtres de Melchisedek, ni d’un commencement d’existence ni d’une fin de vie : cela peut ainsi le faire ressembler au Fils de Dieu ». (7, 2 et 3).
c) il cite quelques mots extraits du psaume 109 (110), 4 dont on a pourtant vu l’imprécision extrême et l’actualité guerrière très concrète, en disant que le personnage qu’il évoque, puisqu’il est « prêtre selon l’ordre de Melchisedek », est bien Jésus.
Ce premier raisonnement peut nous sembler faible, mais l’auteur y ajoute l’autorité de textes bien connus. Là se termine un premier mouvement d’écoute appréciative, conciliant, apaisant, qui montre en Jésus celui que Melchisedek annonçait peut-être…
Une fois ceci « acquis », l’épître aux Hébreux entre dans le système d’amalgame où Melchisedek est prêtre-sacrificateur. Elle s’applique à montrer peut-être plus aux Hébreux, aux Juifs, mais probablement à tous les chrétiens, que Jésus, puisqu’il est « prêtre », a accompli la fonction essentielle du grand prêtre : il a accompli l’acte sacrificiel, c’est-à-dire qu’il l’a achevé, parachevé, rendu parfait… C’est en effet que le sacrifice de Melchisedek n’était heureusement pas un sacrifice de chair et de sang à des idoles, mais déjà une offrande de bénédiction, du pain et du vin offerts à Dieu et non pas sacrifiés. Cependant, le rapprochement (dans le texte) avec la Cène et la mort de Jésus dans ce cadre de la Pâque, montre que le pain et le vin de la Cène prennent la valeur symbolique de ce qui nous nourrit et nous fait vivre, de sa vie livrée pour nous en cohérence avec sa parole (celle de Dieu ), son corps et son sang réellement livrés à la mort. Alors, pour l’auteur de la Lettre, le pain et le vin de Melchisedek ne peuvent plus être que la préfiguration ( faible et incomplète) de la passion librement acceptée de Jésus. On ne parle plus de bénédiction comme avec Melchisedek, mais de « sacrifice », et ce sacrifice offert à Dieu par Jésus est forcément parfait. Or, si on s’inscrit dans la pensée anthropologique juive pour être bien compris des auditeurs et des lecteurs visés, un sacrifice ne peut avoir pour but que de laver les péchés… des autres etc. Mais, (voici le mais), à la différence de la plupart des autres sacrifices, Jésus a vécu des souffrances qu’il a acceptées : c’est un fait. Il a accompli pour ainsi dire un sacrifice à ses propres dépens, non pas aux dépens d’un autre ou d’un animal, mais en laissant prendre sa vie. C’est un sacrifice réel de sa personne.
Là se finit la comparaison qui a mis en évidence les ressemblances pour mieux montrer ensuite – car c’est là son objectif majeur – les différences avec l’existant passé et l’existant de Jésus.
Après avoir bien affirmé cela, l’Epître démontre que le sacrifice que Jésus a fait est fait une fois pour toutes, qu’il est désormais auprès de Dieu comme un intermédiaire auprès de lui pour ses disciples et pour les Hommes, et donc qu’il n’y a plus besoin, désormais, de sacrifices offert par les chrétiens, et donc pas besoin de prêtres ( même s’il y a besoin d’humbles responsables)[9].
Si cette Epître a commencé par chercher à montrer que Jésus pouvait avoir été annoncé par la figure de Melchisedek, – une chose qu’aucun Evangile ne signale d’ailleurs comme revendiquée par Jésus -, c’était donc pour mieux indiquer aux chrétiens qu’aucun d’eux n’a à devenir « prêtre » à la manière des prêtres de l’Ancien testament, qu’aucun des disciples de Jésus n’avait à faire de sacrifice à la manière des Hébreux, des païens ou des superstitieux. C’est pourquoi la force et la teneur de cette seconde partie relativise la portée de la première : les ressemblances – faibles et peu démonstratives – notées entre Jésus et Melchisedek n’ont été mises là par l’auteur que pour apaiser ses opposants par des concessions, et la présentation de leurs propres arguments est balayée par la seconde partie qui montre les différences bien plus grandes entre d’une part Melchisedek et les sacrifices juifs, et d’autre part l’existant passé de Jésus et son existant en tant que Vivant.
En cela, Jésus, comme nous l’avons vu plus haut, aurait sans doute été d’accord avec cette Epître aux hébreux sur le point qui démontre pourquoi ce genre de sacrifices est inutile, ainsi que tout le système sacrificiel y afférant avec ce qu’il supposait théologiquement au sujet de Yahweh ou de Dieu … Désormais nous savons quels sacrifices sont agréables à Dieu : nous-mêmes car Yahweh était un Dieu de tendresse, et le même est notre Père.
Melchisedek et son « utilisation » au III° siècle ap. J.-C. et ensuite
On trouve ensuite peu de références à Melchisedek.
C’est saint Cyprien3( 200-258) dans la tradition patristique, qui s’intéresse à lui.
Les premières célébrations en souvenir de Jésus voyaient une assemblée partageant un repas fraternel, « la fraction (du pain) », le partage de la coupe, fraction et partage réalisant en quelque sorte l’unité du corps des disciples[10] en mémoire de Jésus qui les réunissait en un seul corps rassemblés en son nom par ce qu’il a partagé jadis et par ce qui était partagé alors.
Cyprien va se focaliser sur le pain et le vin pour en changer le sens, et en proposer une interprétation sacrificielle eucharistique4 : le pain et le vin devenant des symboles ou des signes du corps et du sang de Jésus en tant que victime.
Progressant dans la ligne directe de cette épître, l’Eglise catholique romaine a fait référence à Melchisedek dans la prière eucharistique : Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le Juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance, accepte-la. En les donnant à titre d’actes sacrificiels fondateurs créant une lignée validant un enchaînement vers un progrès, en amalgamant deux sacrifices non sanglants (les fruits d’Abel, le pain et le vin de Melchisedek) et deux sacrifices sanglants (Isaac/le bouc), une victime innocente (Abel), une victime sauvée in extremis, (Isaac) et en insinuant qu’aucun des sacrifices précédant ou suivant celui du Christ n’est parfait, Cyprien conduit les fidèles à comprendre, et à accepter, que le sacrifice parfait est celui du Christ, et qu’il est fait pour – autre réutilisation – laver leurs péchés. Le sacrifice est alors, à leurs yeux, devenu nécessaire au salut de chacun, et cette perception fait qu’il est utilisé comme l’outil par excellence du pouvoir de l’Eglise.
L’iconographie chrétienne représentera alors plus tard Melchisedek en prêtre-roi couronné, portant ou faisant porter par des serviteurs le calice, l’ostensoir ou une corbeille de pains. Elle met en scène le pouvoir temporel (représenté par Abraham souvent en armure et avec ses soldats) attendant la bénédiction du pouvoir spirituel (représenté par Melchisedek et ses serviteurs, avec corbeille de pains et aiguières). On donnera d’ailleurs le nom de Melchisedeks aux ostensoirs en forme de petits autels portatifs destinés à recevoir l’Eucharistie.
Saint Jérôme ( 347-420) tente de démontrer que le manque de précisions et de détails concernant Melchisedek avait été justement et précisément fait exprès par les rédacteurs de la Genèse afin que cela puisse annoncer prophétiquement de Jésus le « sacerdoce éternel, sans limites dans le passé comme dans l’avenir, tandis que le sacerdoce d’Aaron, chez les Juifs, eut un commencement et une fin. » Selon le schéma habituel supposé démonstratif où un grand personnage est « annoncé » par un autre, il insiste sur l’importance de Melchisedek : « avant Lévi et Aaron, Melkisédek, un païen, fut véritablement prêtre. Bien mieux, un si grand prêtre, qu’il lui fut donné de bénir, en la personne d’Abraham, les futurs prêtres des Juifs qui descendraient du patriarche. Tout ce qui est dit ici à la louange de Melkisédek concerne le Christ dont il est la figure. Et le déploiement du sacerdoce du Christ, ce sont les sacrements de l’Eglise (saint Jérôme : épître LXXIII, 2-3).
La figure de Melkisedeq sera utilisée pendant des siècles par les théologiens pour appuyer une certaine conception de l’Eglise, de Jésus, du sacrifice, de Dieu. C’est l’objet d’un autre article de ce site.
Et c’est ce qui porte la phrase citée au début de cet article, extraite de la prière eucharistique, si souvent répétée.
Et aujourd’hui ?
Melchisedek a pu être un exemple à un moment donné pour les Hébreux : un exemple signifiant précisément qu’un culte à Yahweh existait déjà avant l’arrivée d’Abraham sur cette terre où existait déjà une cité, Salem, à l’emplacement de la future Jérusalem.
Ceci a été lu par certains comme une attestation que ce lieu était déjà à Yahweh et que donc il devrait toujours être à Yahweh… et à un autre peuple que celui dont Melchisédek faisait partie : au peuple hébreu… Certains l’ont vu comme une attestation prophétique d’un futur ainsi légitimé comme une volonté de Dieu. C’est une référence dont se servent parfois même des Israéliens athées qui veulent conserver les terres.
Raisonnerions-nous encore ainsi ?
Réfléchissons si aujourd’hui encore le comportement d’Abraham (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…) et de ce roi-prêtre local soutenant Abraham peuvent être des modèles pour nous ?
Gott mit uns, in God we trust, Montjoie Saint-Denis…
Jésus, qu’en dirait-il ?
D’autres, plus attentifs aux réalités historiques, humaines, morales, juridiques, éthiques, l’ont lu autrement et ne prendraient plus comme exemple actuel la personnalité d’un roi-prêtre validant une conquête et recevant une part du butin d’un vainqueur.
Ils peuvent avoir noté à quels personnages de l’Ancien testament l’Evangile décerne des louanges ou quels textes il cite. C’est instructif. Cela ne témoignerait-il pas d’une liberté d’appréciation ? Egalement, vu ce que les évangélistes ont écrit, ils n’ont probablement pas eu de témoignages qui auraient présenté, souvent ou régulièrement, Jésus en train de citer les psaumes (qui étaient la prière populaire) ni des hymnes fussent-ils ceux de prophètes ou de prophétesses. Ils l’ont représenté, quand on lui a demandé comment prier, en train de choisir de-ci, de-là quelques versets qu’il modifie légèrement pour obtenir une prière au Père de tous ( il ne dit pas de mot plus savant que cette métaphore universelle), dans la langue très simple du quotidien, et il propose visiblement de prier aussi sans sacrifice, sans rites, sans rythme, sans hiérarchie, sans titres, sans même de temple, mais chez soi ou dans la nature, au Temple ou à la synagogue : rien n’est exclu et peut-être tout se vaut-il ? ou plutôt rien ne vaut de prier Dieu n’importe où mais «en esprit et en vérité ».
Joseph Moingt rappelle en quelques mots l’absence de caractère sacré dans l’organisation humaine de la religion chrétienne à ses débuts : « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. ». Certes le sacré et le saint existent mais ils sont en Dieu[11] et aucune organisation humaine ne peut prétendre auto-référentiellement en être imprégnée ni en imprégner certains de ses membres.
Devenir « prêtre, prophète et roi », même au sens symbolique, est-ce le chemin de Jésus ? le chemin qu’il propose à ses disciples ? Celui qu’il montre, n’est-ce pas plutôt de nous reconnaître enfants de Dieu, simples, petits et pauvres[12]…
« Prêtre, prophète et roi » ce ternaire a été appliqué progressivement aux prêtres catholiques que l’Eglise a affirmé participer éminemment du sacré, voire du saint : prêtre car intermédiaire élu et consacré pour les offrandes et les demandes à Dieu, lui présentant des sacrifices comme aux temps païens, prophète car en communication privilégiée avec son esprit et apte à conseiller avec autorité les consciences, roi car sa puissance religieuse est supérieure à celle du monde et c’est au nom de cela que son « service » le fait dominer concrètement, financièrement, juridiquement etc. par exemple dans sa paroisse ou ses fidèles.
Vatican II dans son souci de redonner une place aux simples fidèles a expliqué que le sacerdoce des baptisés leur donnait à chacun un statut de « prêtre, prophète et roi », même au bébé baptisé, même au baptisé qui dit qu’il ne croit plus, même à celui qui se convertit à une autre religion… Cette affirmation partait d’une bonne intention, mais pour qu’elle ait un sens, il faut vider chaque mot de son sens normal et le vider également du sens dévolu aux prêtres car à son niveau, pour parler honnêtement, aucun des trois ne recouvre la même chose : le « simple » fidèle est prêtre car il offre sa vie en sacrifice, prophète car l’esprit peut l’aider, roi car son service le rendra roi dans l’autre monde. La théologie actuelle l’affirme en termes imparables.
L’expression a eu néanmoins un autre inconvénient : elle a conforté certains baptisés dans la certitude qu’ils pouvaient continuer à s’estimer plus « enfants de Dieu » que leurs frères non-croyants.
Or ces trois mots qui évoquent un statut acquis presque magiquement au baptême, édifient une construction qui a une beauté séduisante mais illusoire et artificielle : elle se sert d’affirmations de type dogmatique, dans un discours qui semble incompréhensible à tous ou presque (non-croyants comme croyants, grands et petits), un discours théologique, ce qui veut dire un discours sur Dieu… ( et comme il est difficile de parler de Dieu !! ).
Outre que cette difficulté crée des désaccords et des différences, on a découvert de nos jours que, chez ceux qui ont autorité, prêtres et laïcs, l’affirmation de statuts de ce genre, idéalistes et symboliques, facilite dangereusement quand ils sont pervertis et vécus littéralement, les dérives et les abus.
Or la création par l’homme de « sacré » entraîne ou permet souvent la création de personnes ayant un pouvoir[13] sacralisé par le « sacré » qu’ils ont le droit de côtoyer pour leurs fidèles. En ce sens, employer lors des célébrations le terme de « sacrifice » de Melchisédek au lieu de dire « bénédiction » est une faute[14] de traduction loin d’être anodine, et l’insérer dans un raisonnement qui le présente comme prophétique est presque malhonnête pour les raisons que nous avons vues ; répéter cette erreur régulièrement, rituellement, – contribue à augmenter la distance entre l’Eucharistie et ce que Jésus avait souhaité.
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Nous arrivons à la fin de cette réflexion et ne voudrions pas allonger ce texte.
Citons néanmoins encore Joseph Moingt qui rappelle une évidence : « […] l’autorité sacerdotale doit obéir au même paradoxe évangélique que l’autorité de commander admise par Jésus de la part des apôtres : ici, pouvoir sans domination, là, pouvoir sans accaparement ni exclusive »[15]. Cette manière d’exercer le pouvoir est Bonne nouvelle en elle-même, révolution religieuse mais aussi profane (socio-politique mais aussi économique et écologique) : c’est aussi celle d’une vraie démocratie de frères sur cette Terre où nous sommes de plus en plus conscients que le Royaume de Dieu passe ailleurs que par des croyances en un Dieu qui donne une terre et ses ressources à tel groupe d’hommes, une condition meilleure à telle personne, un pouvoir à telle catégorie.. Jésus prône une autorité qui laisse humainement liberté et égalité s’épanouir, mais il va plus loin en plaidant pour une autorité humble et une « chasteté » de la part du spirituel et du religieux qui ne peuvent/doivent pas empiéter sur les droits humains.
Or Jésus n’a pas laissé le souvenir qu’il ait désiré être roi, ni être guerrier, ni être sacrificateur, ni être prêtre[16], ni dispenser des sacrements, ni manipuler ou faire manipuler du sacré ni les sacrifices[17] qui vont avec, et ce n’est pas ( à preuve du contraire ) le chemin dont on se souvenait qu’il l’ait indiqué pour être fils de Dieu et participer du royaume de Dieu.
Si nous voulons marcher avec lui, ne pourrait-on pas modifier le texte de cette référence que nous prions à la Messe ?
Nous pourrions dire : « Nous te rendons grâce et t’offrons notre vie, comme le firent de leur mieux Abel, Abraham, Melchisedek, la veuve de l’Evangile, etc. »
Marguerite Champeaux-Rousselot
2019-01-12
[1] L’histoire de la prêtrise ( au sens large) dans le peuple hébreu est également complexe : dans les premiers temps, il semble que chacun (mais sans doute pas les femmes ) pouvait tenir le rôle ( rendre grâce, demander pitié ou pardon) qui progressivement a été réservé à certains, souvent appelés Lévites ( du nom de la tribu de Lévi, la seule à n’avoir pas de territoire mais s’était retrouvé progressivement « la » tribu des prêtres en Israël, devenus héréditaires. De ce fait, ils vécurent donc progressivement des dons faits à l’occasion des « sacrifices » et progressivement de tous les moyens que des familiers d’un Pouvoir suprême peuvent suggérer « théologiquement » comme nécessaire aux fidèles de ce Dieu, surtout si Tout Puissant il dispensait réussites et punitions. Il y avait certes beaucoup d’hommes justes parmi eux, mais aussi des abus. Le plupart des prophètes se sont élevés contre ces abus au nom de l’esprit même d’un Dieu d’amour ( he-sed . cf. https://recherches-entrecroisees.net/2018/12/18/compassion-envers-les-victimes-oui-car-en-francais-actuel-le-terme-misericorde-sous-entend-quon-est-coupable/).
[2] Reçoivent une onction à valeur symbolique pendant l’Antiquité et dans le bassin méditerranéen les Rois, les Prophètes, certains objets sacrés…
[3] C’est pourquoi, il n’est pas indifférent de dire « Jésus » ou de dire « le Christ ».
[4] Le terme grec employé est eleos et ne s’adresse pas qu’aux coupables ( ce qui serait de la « miséricorde » en français actuel), mais aussi aux victimes et peut-être à tout homme, si fragile par essence, quel qu’il soit et pour quelque raison que ce soit, on peut le traduire par pitié ou compassion. ( voir sur ce site d’autres explications sur ces notions).
[6]«Vous savez que les chefs des nations exercent sur elles leur domination, et que les grands exercent sur elles leur pouvoir. Il n’en est pas de même parmi vous ; mais celui qui parmi vous veut devenir grand sera votre serviteur, et celui qui parmi vous veut être le premier sera votre esclave, de même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup ». Mt 20, 25-28. Bien d’’autres passages peuvent être cités.
[7] Nous laissons de côté la question de la réalité de ces événements.
[8]Achevé signifie au premier sens bien fini ( un travail achevé ou mal-achevé, il acheva la révision de son livre .. )
[9] Chez les premiers disciples de Jésus, il n’y a pas de prêtres sacrificateurs ressemblant au prêtre en Israël ou chez les païens. Chez eux, pour présider la prière ou le partage du pain ou les actions à faire etc. on choisit l’un( e) ou l’autre au fil des besoins et des compétences. Aucun chrétien ne se voyait plus ou moins sacralisé ; par contre, comme dans toute communauté ou association, il y a des charismes très divers (celui d’un enfant, d’un handicapé ou d’un vieillard ou d’un intello, celui de savoir écouter, de voir clair, d’oser, de discerner, de rendre grâce, de sourire ou de rire, etc.), et selon les ressources et les besoins qui nécessitent des services et des actions, des fonctions qui s’articulent pour une bonne organisation, et des ministères pour rendre ces services. Les personnes ont des rôles différents et précis (diacres, diaconesses, missionnés etc.) mais le paradoxe évangélique empêche toute hiérarchie dans cette structure (un peu comme dans le corps). Les responsables étaient appelés Anciens (presbuteros ) : ceux (et celles ?) qu’on respecte pour leur sagesse : il n’y avait pas d’autre caractéristique ni condition, ni engagement d de leur part. Comme dans toute association ou communauté.
[10] La communion est un terme qui ne vient pas de « unus » qui a donné un, unir, mais de « munus » qui a donné municipalité, les communs, communauté, etc. et signifie le partage.
[11] J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842.
[13] Des rapports de domination – « mon joug est léger.. » – ne font pas honneur au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité injuste ; les pouvoirs de type mystérieux ou magiques infantilisent ceux qui y croient… Vers 1920, on interdisait aux laïcs de lire l’Evangile chez eux…et, jusque récemment, les citations des Encycliques contenaient peu de l’Evangile et beaucoup de Pères de l’Eglise, de saints ou d’autres Encycliques…
[17] Et par exemple « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842»
Le terme « papier » vient de « papyrus » qui vient du grec ancien πάπυρος, pápyros (« papyrus ») qui vient de … ?
Eh non, le terme grec n’a pas d’étymologie bien sûre .. Cependant, on [1] le rapproche d’une expression égyptienne : pa-p-oura : « celui du roi, le royal», c’est à dire « avec un monopole royal ».
On pourrait aussi penser que ce terme décrit son usage peut-être aux tout débuts de son invention, en rapprochant ce sens de certains faits : dans certains pays, l’écriture était le privilège de certains ( autorités civiles ou religieuses ) ; dans d’autres, c’était la fabrication de certains matériaux qui était secret d’Etat…
Ci-dessous, toutes les informations sur l’exposition et les 5 conférences.
Bonne lecture de ce « papier », surtout que maintenant vous en savez toute l’épaisseur avec son étymologie !!
[1] J. Vergote, Mélanges Grégoire 3, 1951, 414-416,
Gratuite et destinée à tous les publics, elle rassemblera dans le grand foyer duCollège de France une soixantaine de pièces datant de l’Égypte antique jusqu’au début du Moyen Âge, présentant l’histoire de ce qui pendant plusieurs millénaires constitua dans tout le pourtour méditerranéen le support essentiel de l’écriture.
L’exposition, sans oublier l’Égypte et l’Orient, a en effet choisi de mettre en avant les utilisations moins connues du papyrus en Europe : outre un papyrus d’Herculanum ayant survécu à l’éruption du Vésuve ou une décision de l’empereur romain Théodose II, on aura la chance d’y voir exposées des pièces maîtresses illustrant l’utilisation du papyrus en France, tels des actes de Dagobert ou de Clovis II.
C‘est la première fois que l’histoire du papyrus sera ainsi retracée dans toute son extension chronologique, de l’Égypte pharaonique au Moyen Âge, et géographique, de l’Égypte à Byzance et Rome, de la Bretagne à l’Afghanistan, grâce à la réunion de pièces peu connues du public provenant de collections publiques et privées. Des visites guidées et des conférences rythmeront également les six semaines de l’exposition, qui sera accompagnée d’un catalogue de 200 pages richement illustré et rédigé par les plus éminents spécialistes.
Mardi 5 octobre, 17h-18h : Daniel Delattre (CNRS), « À la découverte de la Villa des Pisons et de la mystérieuse bibliothèque carbonisée d’Herculanum : Les Papyrus d’Herculanum de Paris »
Mardi 12 octobre, 17h-18h : Laurent Morelle (EPHE), « Une royauté par éclats et lambeaux : les papyrus mérovingiens des Archives nationales »
Mardi 26 octobre, 17h-18h : Julien Auber de Lapierre (Collège de France), « La collection de papyrus grecs et coptes de la Bibliothèque nationale de France : deux siècles d’histoire »
Conformément aux consignes gouvernementales, la présentation du passe sanitaire est indispensable pour assister aux enseignements, aux événements et aux visites pour toutes les personnes de 18 ans et plus. Cette obligation s’étendra à toutes les personnes de 12 ans et plus à partir du 30 septembre 2021. Le port du masque est obligatoire à partir de 11 ans.
Si vous souhaitez des renseignements plus précis sur tel ou tel point, je serai contente de vous répondre : écrivez-moi par le site. Depuis la soutenance, j’ai avancé dans la recherche et lorsqu’il y avait plusieurs hypothèses à envisagées, elles se réduisent en nombre ou celles qui restent se renforcent d’autres éléments ou se réduisent à une seule qui parfois devient une certitude.
Le sens étymologique et l’histoire de ces mots sont nourrissants pour notre aujourd’hui car ils rappellent que la liturgie est expression créative existentielle de chacun et de tous. Ce qui a tout son intérêt dans la recherche sur la « synodalité » et dans la perspective du Synode convoqué par le Pape François en 2022.
Étymologie. Le terme liturgie vient du grec λειτουργία / leitourgía, à partir du nom commun ἐργον / ergon, « action, œuvre, service » et de l’adjectif λειτος / leitos, «public», dérivé de λεώς = λαός / laos, « peuple ».
Le terme laos a une valeur forte déjà chez Homère. En effet, en Grèce antique, le terme dèmos signifiait l’ensemble des citoyens, ce qui est .. ( eh oui ! ) sélectif : cela écarte les femmes, les esclaves, les enfants, les étrangers etc. , mais le terme laos ( qui n’ a pas d’étymologie assurée ) signifie « les gens », et a donné par exemple en grec moderne leôphoros qui désigne une avenue où circulent les gens, un boulevard, une grande avenue, et un de ses dérivés latinisé, a donné en français laïc ou lai.
Le verbe leitourgeô en Grèce ( au moment de la démocratie, fin VI° et V° et suivants ) exprimait le fait d’assurer un service au bénéfice du peuple : il s’agissait de certains citoyens volontaires ( riches ) qui était candidats pour avoir l’honneur de financer sur leurs propres deniers les besoins du laos, de la population tout entière : par exemple des armes et des soldats pour la sauvegarde de la cité, des fêtes religieuses si utiles pour se concilier les dieux, des représentations théâtrales qui étaient perçues comme un moment éducatif pour la population tout entière et avaient également une fonction religieuse etc. : tout cela pouvait s’appeler une « Liturgie ».
Parmi ces candidats mus par un idéal liturgique – ou … moins spontanés ! -, comment le laos, c’est à dire les gens, choisissaient-ils ceux qui seraient les liturges ? Ce choix important s’est effectué selon les sujets et les époques de deux façons bien significatives : certains choix en Grèce s’effectuaient par tirage au sort car le nom sorti manifestait la volonté des dieux, mais à l’époque des liturgies, ( Vème et IVeme siècles surtout ) il relevait de citoyens élus comme magistrats qui étaient ensuite responsables de la pertinence de leurs choix… Ces liturgies, entièrement offertes au service du peuple dans son entier, laos, soudaient les habitants la cité en une communauté et leur bénéficiaient à tous. Leur contenu était mûrement pensé.
Avec le déclin de la Grèce classique, le terme prit peu à peu un sens moins précis et moins organisé pour désigner simplement un travail quelconque fait en faveur du peuple.
… et leitarchie ?
En grec, il existait aussi dans le domaine religieux, un verbe composé avec le même terme leitos mais qui désignait précisément ceux qui conduisent pour le peuple ( laos) les sacrifices et les banquets, les chefs, les prêtres : c’étaient les leitarchoi = ceux qui conduisent (archein ). Il s’agissait là d’un groupe très particulier avec un statut élevé que marque le verbe « conduire ».
Ceux qui se réclamaient de Jésus pouvaient-ils utiliser un tel terme pour désigner leurs responsables, puisque le paradoxe évangélique ( le plus petit est le plus grand .. ) pointe le piège contenu dans de tels termes ?
Cela n’était pas envisageable ! Pour désigner leurs responsables, les chrétiens n’utilisèrent donc pas ce terme archein qui impliquait un reniement dangereux des valeurs évangéliques. Ils voulurent conserver l’idée que les gens ( laos ) choisissaient une personne responsable d’une action, d’un travail (ergon ) que tous ( laos) les fidèles organisaient pour répondre à leurs propres besoins, et ils utilisèrent alors peu à peu le terme leitourgeia dans ce sens.
Un détour par l’étymologie de klèros
Dans l’Antiquité grecque, on pouvait utiliser le terme de klèrikoi pour qualifier ceux qui avaient des charges religieuses héréditaires. Le terme vient de klèros qui fait référence soit au tirage au sort, soit à l’héritage qu’on recevait, souvent par tirage au sort entre des parts égales, soit à tout héritage et aux droits héréditaires. C’est le terme utilisé par la Septante en grec, pour traduire l’hebreu qui qualifie les prêtres juifs ( voir par exemple Deutéronome 18, 4) . Les structures de la prêtrise païenne ou juive en faisaient souvent une charge héréditaire, un privilège dont on héritait.
Chez les premiers disciples de Jésus, pas de prêtrise héréditaire certes, mais peu à peu l’idée que les responsables forment un groupe à part se précise et seulement vers le III° siècle, on choisit ce vieux terme pour désigner ce qui peu à peu s’élabore en reconstruisant un groupe séparé qui s’est retrouvé à suivre les anciennes structures de la prêtrise juive qui était une charge héréditaire, un privilège dont on héritait, ce qui deviendra bien plus tard, en passant par le latin, le futur « clergé ».
Cependant, la prêtrise chez les chrétiens n’a jamais été ni un droit ni une obligation héréditaires, même si on sait, par de nombreux témoignages écrits de l’époque, que le clergé pouvait être marié et avoir des enfants dont certains eux aussi devenaient clercs. L’aspect héréditaire dès le début du christianisme s’est effacé devant l’importance de la vocation personnelle ou l’appel de la communauté à accepter cette responsabilité.
Le mot restait cependant : le sens en était gênant. On a alors adapté son sens et formulé une autre explication pour ce mot qui désignait en contexte chrétien les (futurs) prêtres :
cf. Jérôme, Ep. 52,5 : clericus : si enim κληρος graece, sors latine appellatur, propterea uocantur clerici, uel quia de sorte sunt Domini, uel quia ipse Dominus sors, id est pars clericorum est.
« Siklèros en grec signifie bien en effet le sort en latin, et que en outre les clercs sont appelés ainsi à cause de cela également, c’est ou bien parce qu’ils sont d’après le sort, « du Seigneur », ou bien parce que le Seigneur lui-même est leur sort, c’est-à-dire qu’il est la part des clercs. »
L’usage du terme se répand et finit par délimiter en quelque sorte une catégorie : ce groupe si distingué, si choisi, des klèrikoi au nom certainement perçu comme significatif. De ce fait, consciemment ou non, volontairement ou non, il se différencie du groupe de « ceux qui ne sont pas klèrikoi » : il sera plus pratique de les désigner par un terme eux aussi, et c’est alors qu’on se servira d’un dérivé du terme laos, les gens : laïkos . Cet adjectif sera substantivé et deviendra très utilisé quand il s’agira de marquer la différence avec les klèrikoi ( terme qui donnera clerus en latin, héritage etc. et clerc et clergé en français ), une différence qui sera d’abord simplement ressentie comme d’ordre hiérarchique, avant que des théologiens la valident comme telle.
On voit combien déjà cette appellation klèrikoi les séparait implicitement des autres fidèles.
Pour en revenir au mot leitourgia : la première partie du mot est un adjectif qui dérive de laos , que nous venons de définir comme les gens, sans spécificité ni exclusion, et signifie public. La deuxième partie fait référence au travail (ergeia, comme dans sidérurgie, chirurgie, énergie). La liturgie, à l’époque où a été créé ce mot pour un travail fait en faveur des gens, était donc vécue comme se définissant comme un service rendu aux gens, et par des personnes choisies par eux et perçues quasiment comme des bienfaiteurs qui mettaient leurs biens au service de la communauté.
Ce terme général fut utilisé par les premiers chrétiens lorsqu’il fallut s’organiser : les rassemblements (prière, enseignement, partage…) se déroulèrent n’importe où mais souvent, pour des raisons pratiques, dans les maisons adéquates et disponibles, leurs propriétaires ouvrant leurs bourses. La transposition se fit naturellement dans l’esprit de l’évangile : liberté des pratiques liturgiques pour répondre aux besoins écoutés de chacun, fraternité et réciprocité garantissant la communion liturgique dans la diversité. (N.B. pour le terme communion et communautaire, voir aussi sur ce site : contrairement à une opinion répandue, ces termes n’ont pas de racine commune avec un ou union. )
A cause de cela, le terme aujourd’hui désigne souvent de façon réductrice les rites communautaires.
Il en est toujours ainsi.
Mais l’histoire du mot met en évidence ce qui donne sens et valeur aux rites. Elle fonde en fait les textes sur lesquels ils s’appuient.
: telles furent les grandes lignes qui évoluèrent peu à peu au fil des siècles pour en arriver à une prière communautaire obéissant à un rituel liturgique codifié et uniformisé pour être universel et à l’abri des dérives, les clercs et les laïcs ayant chacun des rôles définis comme inégaux.
Cependant peu à peu un écart existentiel s’est creusé entre la pratique et ce qui est devenu plus théorique. Le peuple n’avait quasiment plus son mot à dire ni rien à faire. Cette dichotomie a contribué à conduire aux résultats que nous connaissons : par exemple, au début du XXème siècle, un désintérêt certain pour la liturgie dominicale, une incompréhension de la liturgie sacramentelle, une « éloignement » du clergé sont sans doute quelques uns des facteurs de la chute du nombre de « messalisants », chute ininterrompue depuis les année 1930.
Certains veulent continuer à approfondir le sillon qui dessine une frontière symbolique et belle d’aspect entre les laïcs et le sacré, sacré mystérieux dispensé par des clercs, ce qui rend plus désirable.
Mais avec Vatican II, avec François , et surtout avec l’Evangile, aujourd’hui nous sommes pourtant invités à nous inspirer du sens originel du mot liturgie pour lui redonner son sens vivifiant, lequel n’a aucun mal à s’adapter à notre quotidien : une action bénéfique accomplie par le peuple de tous, pour le peuple de tous : un besoin à satisfaire certes mais qui est orienté par Jésus qui nous invite à prier Dieu, seuls ou en communauté, » en esprit et en vérité », à agir en enfants de Dieu puis nous assembler pour partager, nous ressourcer en Dieu lors d’une prière souvent communautaire avant de repartir agir en enfants de Dieu. La liturgie est en quelque sorte une traduction commune de nos diversités qui se tournent vers notre Père.
Si 90% de notre peuple (laos) est sorti pour vivre sans nos églises , (oui : VIVRE mieux sans elles… ) ne peut-on s’interroger pour redonner au terme liturgieson sens initial, avec son poids et son vécu?
Si la liturgie s’ouvre sur les besoins implicites de ceux qui ont quitté l’Eglise, ne serait-ce pas une démarche pastorale d’écoute? Cet appel muet de la foule ne nous mettrait-il pas en route ?
L’Eglise, au lieu de cheminer pour se réformer en circulant à l’intérieur de son milieu ecclésial, pourrait ouvrir les portes, s’intéresser au seuil, aux parvis, aux périphéries, au Monde, à nos frères, à toutes nos Galilées. Elle pourrait « ouvrir » et libérer sa liturgie en la mettant chaque fois au diapason des hommes.
Ce serait une manière synodale de vivre ce « travail du peuple » dans la perspective du Synode convoqué par le Pape François pour 2022.
De la paroïkia (grec ancien) à la paroecia gérée par un parochus (bas-latin) :une migration terminologique entre ciel et terre avec un coup de théâtre !
Au cours de sept siècles de dérive terminologique marquée par l’usage approximatif du grec puis du bas-latin francisé, la notion de milieu de vie s’est cristallisée peu à peu en maison avant de désigner l’ensemble organisé d’une communauté ecclésiale.
Ajoutons que leterme « paroisse » résulte de deux noms... d’où des surprises et des rebondissements.
Cet article est consacré à la naissance du terme « paroisse ». Par ailleurs, vous trouverez prochainement un document consacré à l’Histoire de la Paroisse elle-même (à partir du 1er s. jusqu’à aujourd’hui) .
Le terme grec paroikia
Le terme paroisse vient originellement du nom commun grec π α ρ ο ι ́ κ ι α, (avec un kappa, κ, prononcé paroïkia) composé de ο ι ́ κ ι α qui désigne un lieu, la maison où la famille se rassemble, (d’où écologie économie, œcuménique etc.) et de παρα qui veut dire « auprès de, à côté de ».
Le verbe dérivé de ce nom π α ρ ο ι κ ε ι ̃ ν signifie demeurer auprès de ; séjourner dans un pays où on est un étranger.
Il a été employé dans la Septante qui traduit l’Ancien Testament de l’hébreu en grec, pour désigner le fait qu’Abraham séjournait en Egypte ; un π α ́ ρ ο ι κ ο ς est proprement « celui qui habite à côté, près de » un étranger résidant ici, un voisin mais qui justement même dans une cité n’a pas droit de cité.
Le nom composé π α ρ ο ι ́ κ ι α a donc été d’abord employé pour signifier « la résidence ou le séjour dans un pays étranger », de durée plus ou moins longue.
Mais prenons d’abord la situation peu après la « disparition » de Jésus : par exemple dans les Actes des Apôtres.
Les disciples sont convoqués par les Juifs dont ils se distinguent en enseignant et annonçant la Bonne nouvelle ( un seul verbe pour ces quatre mots : « euaggelizô ») « tout le jour/chaque jour, dans le temple comme en privé » [1] . Ils se distinguent d’eux par leur esprit de liberté par rapport aux rites et n’hésitent pas à risquer d’être maltraités pour cette liberté. Ils se réunissaient en effet pour prier en groupe dans les maisons d’hommes et de femmes, nous rapporte Paul : chez Lydia, Cornelius, Aquila et Priscille, à Éphèse etc.
Ce « toujours et partout », nous en avons un bon exemple dans l’épitre connue attribuée à Pierre (I Pierre, 2, 11). L’auteur emploie en effet deux adjectifs qui concernent la place de certains étrangers qui n’ont pas les droits d’autres habitants : la maison (oikia) d’un paroikos ne sera jamais que « voisine » ( para signifie « à côté de » ) sans jamais être intégrée dans la cité, et celui qui séjourne dans un peuple ( dèmos) sans en faire partie restera un parepidèmos, ( littt. « à côté du peuple » ) : son séjour, fût-il long, ne lui permettra jamais de se fondre dans la communauté de ses habitants: ils seront toujours à côté (par- oikios et par-epi-dèmos) – deux situations souvent gênantes ou regrettables.
Or dans ce chapitre, l’auteur prend le contre-pied de cette position et utilise la dimension symbolique des deux termes pour signaler la situation particulière du chrétien : certes les chrétiens ont leur maison dans leur peuple, mais leur maison la plus essentielle n’est pas celle-ci ! Pierre sait s’adresser à des gens qui avaient tous les droits de vivre dans le monde et ont décidé… de devenir, quoique toujours en son sein, membres d’un autre Royaume vers lequel ils choisissent d’avancer. Il leur montre que désormais, à cause de ce choix, ils sont des paroikos et des parepidèmos : « Vous par contre, race choisie, royale, communauté sacerdotale, nation sainte, peuple à conserver…, pas peuple jadis et maintenant peuple de Dieu, personnes qui n’ont pas obtenu miséricorde, et qui maintenant l’ont obtenue. Bien-aimés, je vous exhorte, vous, comme des résidents étrangers (paroikos) et des étrangers de passage (parepidèmos), à vous tenir loin des désirs charnels qui combattent contre l’âme ; en conservant belle votre conduite parmi les païens etc. » (I Pierre, 2, 11)
Les disciples d’alors se sentaient donc comme appartenant à leur milieu et en même temps « à côté ». Ils se sentaient comme en séjour en pays étranger, leur patrie de cœur étant ailleurs, puisque fils ambitionnant d’être d’un autre Royaume ou de le mériter. (Mon Royaume n’est pas de ce monde…). Inquiétude et regret doivent faire place à la motivation et à l’espérance [2] .
Quitter le grec paroikia pour le latin paroicea ? le spirituel pour de l’organisé ?
Le nombre de ceux qui suivent la Voie s’agrandit et s’enracine.
Voici que le christianisme s’est implante solidement et que le pouvoir religieux chrétien se renforce (faut-il dire pactise ?) avec le pouvoir civil (Constantin 1er ). Le nombre des chrétiens s’accroit, y compris des chrétiens fortunés, et avec lui, le besoin d’organisation matérielle et administrative. A nouveauté religieuse, organisation et terminologie nouvelles – tant du point de vue spirituel que géographique et administratif. La tentation du quantitatif et du concret pour persuader de la puissance de Dieu et la manifester l’a souvent emporté sur le paradoxe évangélique.
L’ekklesia ( en grec) était littéralement l’assemblée des appelés, leur communauté de fils de Dieu construisant le Royaume spirituel au fil de leurs cheminements, et il a fallu trouver des concepts, des mots spéciaux pour distinguer ce qui relevait de cette assemblée mais sur un autre plan, à savoir l’endroit de vie concret des chrétiens sur cette Terre, ce qui était en quelque sorte le plus éloigné du Royaume de Dieu… Les lettrés eurent alors recours au terme grec paroikia qui convenait bien puisqu’il ne recouvre pas du tout ce qu’était l’ekklesia.
Par la suite, le terme grec π α ρ ο ι ́ κ ι α (avec son κ) employé dans le contexte ecclésiastique (surtout d’organisation matérielle, au départ) fut transcrit en (bas-) latin paroecia, avec un c car le latin n’a pas de k, puis peu à peu francisé avec des variantes quand il fut employé par tous, lettrés ou non, à partir du IVème siècle à peu près.
Le latin gagne en Occident. Le terme grec ekklesia est latinisé lui aussi en ecclesia.
Les textes, même s’ils sont rares, attestent que le premier terme latin, paroecia sous ses diverses formes, est utilisé par écrit au IVème siècle par les premières communautés chrétiennes : au début du IVème s, il prend le sens de «communauté, église particulière», puis il sert, en référence à l’évêque, dans la 2ème moitié du IVème s. pour désigner le territoire qui ressortissait de son église épiscopale, c’est-à-dire de son « diocèse » (que nous nommons aujourd’hui « évêché ») et il est employé comme synonyme de ce terme.
Or les zones urbaines ayant été généralement adopté en premier l’Evangile, l’église de l’évêque avec son presbyterium était souvent située dans une cité épiscopale et tout au début, le baptistère se trouvait près de cet évêché, mais le diocèse ou la paroiceia étaient bien plus vastes que la cité elle-même et comprenait les campagnes [3]qui, elles, se convertirent plus tard.
Ce terme paroiceia est employé concurremment avec diocesis et ceci pendant six siècles dans ce sens : le dernier emploi connu écrit de paroecia en ce sens d’évêché date de 1076. Cela explique en partie la configuration encore actuelle des « paroisses urbaines ».
Un nouveau venu au Vème siècle : le terme grec parochos latinisé en parochus !
Lorsque, à partir du Vème siècle environ, se mirent en place de plus en plus précisément, diverses organisations de gestion matérielle, on constate que le mot paroecia subit progressivement l’influence d’un mot latin qui n’a pas du tout la même étymologie : parochus – qui vient à son tour perturber le sens du terme paroiceia dont le sens dérive de plus en plus.
Si le mot latin parochus vient lui aussi d’un mot grec latinisé, son étymologie n’a aucun rapport avec le paroikia évoqué plus haut puisqu’il s’agit cette fois de π α ́ ρ ο χ ο ς, (avec un khi χ, prononcé parokhos), formé de παρα, qui veut dire « auprès de, à côté de » et de ε ́χ ω qui veut dire « avoir ». Le verbe composé π α ρ ε ́ χ ω signifie « fournir, offrir, présenter », et a donné le nom commun π α ́ ρ ο χ ο ς qui veut dire « régisseur des magistrats en voyage » et a été latinisé à l’époque classique en parochus au sens plus général de régisseur.
Comment et pourquoi l’emploi de parochus s’est-il développé ?
Lorsqu’il a fallu trouver de nouvelles appellations pour les responsables de la gestion (matérielle surtout) des campagnes désormais christianisées même à distance de l’évêché (paroiceia ou diocèse), il a fallu trouver un nom qui marque bien la distinction avec le responsable des questions cultuelles : on a employé alors ce terme parochus pour désigner sa mission logistique.
Cependant, les textes montrent non seulement des mélanges orthographiques entre paroiceia et parochus, mais aussi des entrelacements voire des confusions dans leur emploi et leur sens.
En effet, comme la prononciation n’était pas uniformisée, ni l’écriture répandue, ni l’orthographe stabilisée, et comme le premier terme ressemblait au second par la graphie et le son (paronymie et homonymie), la contamination entre les deux mots a pu se faire facilement.
De leur côté, les lettrés ont pu forger savamment une forme dérivée de parochus pour désigner ce que doit gérer le parochus : la parochia très proche de la paroikeia grecque latinisée en paro(e/i)ceia…Une sorte de synecdoque, désignant le territoire par la charge. Quant au commun des gens moins instruits, l’usage a pu confondre plus ou moins les deux paronymes très proches phonétiquement et formellement.
Compte-tenu du contexte linguistique, il s’est passé un phénomène socio-linguistique qui semble traduire un raisonnement inconscient général : tout semble s’être passé comme si on avait supposé que le parochus, du fait qu’il était par son métier loin de l’évêque mais néanmoins en lien avec lui, avait à gérer la paroecia qui était loin de l’église diocésaine et néanmoins en lien avec elle. Si bien que désormais, la paroecia se mit à signifier aussi, en quelque sorte, « ce que gérait le régisseur (parochus) ».
Entre le sens administratif de parochus et le sens spirituel et religieux de paroiceia qui va l’emporter ?
Qui à l’époque contribue à inventer les mots nécessaires aux nouvelles fonctions, à l’administration ? Qui les répand ? Ceux qui savent écrire, parler latin et traduisent le latin en français pour le menu peuple qui s’adapte et apprend les nouvelles règles etc.
C’est pourquoi, finalement, au milieu de plusieurs variantes, le terme qui l’a emporté linguistiquement et sémantiquement, c’est le terme administratif, celui des écrits, des lettrés, des plus éduqués qui régissaient et tenaient la plume : c’est donc le terme dérivé de parochus.
Cette confusion a été également renforcée par des points communs dans leur signification (sémantique) spécifiquement liée à la religion.
Là aussi, on constate le fait de cette évolution linguistique et sémantique, sans en trouver d’explication dans les textes d’alors, rares et souvent répétitifs ( chartes, comptes, contrats… ).
Il y a donc une contamination.
Les deux évolutions se combinent de ci, de là (improprement certes, mais pragmatiquement !) pour finalement, faire de la paroecia en latin un endroit géré par un parochus en latin.
En effet,
– d’une part nous avons vu grâce à la lettre dite de Pierre par exemple, que la notion de paroikia ( avec un k ) venait du fait que les baptisés se vivaient d’une certaine façon comme de passage sur une Terre étrangère, habitant un endroit de vie connecté « ailleurs », la paroecia ou paroiceia
– d’autre part, on peut supposer qu’ils ont considéré que leurs responsables ou qu’eux-mêmes avaient à régir leur lieu de vie sur cette Terre où ils ne font qu’un voyage : ils n’y vivent que passagèrement et suivent la voie indiquée par le Christ qui leur montre le passage. Ici le sens originel du terme grec parokhos (avec le khi) et de parochus s’est révélé bien convenir.
– les baptisés qui se vivaient d’une certaine façon comme en transit momentané sur une Terre à laquelle ils ne devaient pas s’attacher, ont volontiers délégué la gestion des affaires terrestres à qui les guidait religieusement…
Citoyen de l’au-delà et de passage dans la cité terrestre, le chrétien se retrouvait bien dans ce double cadre conceptuel – mais la dimension organisationnelle a progressivement pris le pas sur l’acception spirituelle.
Et naturellement, à la fin, avec l’uniformisation progressive des termes, la paroiceia est devenue la paroichia.
Voilà donc comment et pourquoi ce second terme ( parochus ) a influencé le premier et l’a finalement emporté aux environs du VIIème siècle.
Le lexique ici traduit toute une histoire des mentalités.
Fin des aventures étymologiques du terme français « paroisse »
Nous sommes partis de la paroïkia (grec ancien) vers la paroecia des fidèles dont l’évêque avait la charge spirituelle, puis est arrivé un parochus (bas-latin) qui a administré et régi le territoire matériel de l’évêque.
Finalement ce parochus a administré ce qui ne s’est plus appelé paroiceia mais paro(i)chia.
Le français paroisse résulte de cette migration terminologique en zig-zag et qui a connu un coup de théâtre imprévu avec l’arrivée de parochus.
Gérer entre ciel et terre, une question qui n’est pas résolue !…
Ce qui l’a emporté c’est la puissance utile d’une organisation territoriale faisant partie d’une pyramide.
Cela aura des implications multiples.
Nous en avons fini avec l’étymologie de ce terme.
Pour la suite de l’histoire de la notion de paroisse, lire un autre article sur le même site … en sautant le début qui résumera plus ou moins ce que vous venez de lire … mais qui contient aussi une excellente devinette sur l’emploi le plus ancien du terme paroikos .. !
[1] Luc conclut ainsi cet épisode violent en précisant que le conseil des Juifs n’avait pu les obliger à respecter des horaires, des règles, des lieux etc. Il écrit : « Πᾶσάν τε ἡμέραν, ἐν τῷ ἱερῷ καὶ κατ᾿ οἶκον, οὐκ ἐπαύοντο διδάσκοντες καὶ εὐαγγελιζόμενοι Ἰησοῦν τὸν Χριστόν. » ( Actes, 5,42) : Littéralement « Et toute la journée/chaque jour, et dans un lieu religieux public comme dans un lieu privé, ils ne cessaient d’enseigner et d’annoncer la Bonne nouvelle de Jésus le Messie ». Traduire par « dans les maisons » ne suffit pas ; en effet, le terme ne désigne pas une maison mais le privé. C’est une manière de dire « 24 h/24 et partout ». Cela bouscule ce qui convenait traditionnellement pour l’enseignement et la prière : les disciples ne semblent plus respecter le sacré et le rite.
[2] Je repense à ce chant de mon enfance : « Citoyens du ciel, habitants de la maison du Seigneur.. », le tout étant de ne pas être excluant..
[3] Bien plus tard, au point que paganus, qui a donné paysan, désignait les croyants traditionnels polythéistes qui ont «résisté» plus longtemps, et a donné également le mot païen.
Les Spartiates habitaient la Laconie, région de Grèce centrale ( ( dans la paume de la main qu’est la forme géographique de la Grèce ! ). Ils étaient réputés pour la force, la netteté et la brièveté de leur langage, d’où en français le sens du terme laconisme et de ses termes parents. Exemple : une réponse laconique, il répondit laconiquement …
Un exemple : Philippe de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand, parti à la conquête de la Grèce, envoya une ambassade exiger la soumission de Sparte avec ce message « Je vous conseille de vous soumettre sans délai, car si je conduis mon armée sur votre territoire, alors je détruirai vos fermes, je tuerai votre peuple, et je raserai votre cité… »
La réponse des Spartiates : « « Si… »… »
Et Philippe renonça à attaquer Sparte…
Voyez sur Wikipédia quelques exemples si j’ose dire éloquents ! https://fr.wikipedia.org/wiki/Laconisme
et voir plus bas pour le texte grec exact et sa traduction précise.
Mais le virus, à la différence de Philippe, n’a pas d’oreilles, n’envisage pas de négociation avec nous et ne nous pose pas de questions, et nous, pour le moment, à la différence des Spartiates, nous sommes nus et sans défense…
Nous n’avons pour le moment que notre courage ( celui des « soignants » de notre société, et celui des blessés ou des familles de morts ), et nous n’avons d’autres armes qu’une prudence individuelle et collective …
Tout « risque » doit donc être couru de façon mesurée et prévue, collectivement et intelligemment.
A virus sourd et muet, telle sera notre réponse en actes, laconique et efficace.
Plutarque, (46-125) a écrit « Du bavardage », ou « Du trop parler », un ouvrage très formateur d’ailleurs !
Il y traite évidemment longuement de la concision des Spartiates ou Lacédémoniens et en donne plusieurs exemples, dont celui qui m’intéresse ici car nous avons aujourd’hui à décider de l’action à mener pour résister au coronavirus Covid19.
Voici donc un exemple du célèbre laconisme de ces Grecs qui avaient un modèle de société, d’éloquence, d’art, d’éducation, un peu à part des autres Grecs :
« Par exemple les Lacédémoniens, à Philippe, Dionysos étant à Corinthe, Philippe leur ayant écrit : « Si j’entre dans Sparte, je vous raserai », ils répondirent : « « « Si… » !! »
Merci à G. de Rosny, animateur à la suite de Louis de Balmann, du Café homérique, qui m’a aidée à retrouver la référence du texte !
site du café homérique : http://www.homeros.site/spip.php?rubrique8