Un problème de fond vu ici sous l’angle du langage
Une tribune dans La Croix : « Réduire à l’état laïc », une expression malheureuse et dépassée, par Jean-Charles Descubes, archevêque émérite de Rouen, président de la Fondation Jean Rodhain, et qui relance d’ailleurs le débat sur le cléricalisme[1], nous semble être l’occasion pour nous d’une courte réflexion sur le terme « réduire ».
Elle permet aussi d’avancer sur la question de notre langage qui doit être compréhensible par tous, et montre combien certaines facilités, pastorales ou à la limite du doctrinal, ont été des leurres.
L’origine latine de l’expression
Dans l’expression incriminée, réduction à l’état laïc, le terme « réduction » vient du latin reducere.
Ducere veut dire diriger, conduire.
Reducere comporte le préfixe re- qui veut dire « en arrière » ou « de nouveau », et concerne l’espace ou le temps ou toute autre chose, avec un mouvement d’aller-retour à plusieurs reprises.
Reducere veut donc dire « ramener, revenir, se rétablir ».
Ce sens de « réduire », même s’il est rare, se retrouve dans les vieux textes français dès le XIIe siècle, où il signifiait un mouvement rapprochement/éloignement/rapprochement. Il s’employait alors pour désigner par exemple un mouvement répété de la main sur un instrument de musique, le geste répété d’un animal bien dressé qui revient à sa place, d’une fièvre qui tombe, et s’emploie encore aujourd’hui pour dire qu’on réduit une luxation ou une fracture. Il n’y a aucun rapport avec le fait que l’enflure diminue ou quoique ce soit du même genre : cela veut simplement dire que l’on revient à l’état initial, qui est » bon » et normal.
Le sens a évolué ensuite : en effet, si une personne a progressé dans l’échelle sociale avant de descendre à sa place initiale, le verbe a pris un sens péjoratif pour équivaloir « diminuer » (à partir du XIVe siècle).
C’est au XVIIIe que ce sens devient dominant pour désigner l’action de reproduire quelque chose en diminuant toutes les dimensions de l’original dans les mêmes proportions (homothétie, proportionnalité).
Le terme est devenu ensuite de plus en plus négatif : on a réduit les rebelles, on est réduit à un état d’épuisement, on se trouve dans un réduit, on en est réduit à mendier etc.
Le contre-sens aujourd’hui : à éviter !
Lorsque l’Eglise dit qu’un prêtre est réduit à l’état laïc, normalement cela ne devrait pas être péjoratif, ni pris dans un sens péjoratif.
En effet, l’Eglise emploie des mots tout imprégnés de leur sens latin : ici elle utilise le premier sens : le prêtre est ramené à son état antérieur à la prêtrise, un état de laïc. Cela ne devrait pas être considéré comme une expression péjorative ou méprisante pour ce prêtre ou pour les laïcs. Mais la conception sacralisée et hiérarchisante organisée et voulue par l’Eglise donne à cet emploi une signification choquante[2] pour tous les non-initiés, et ils sont nombreux !
Le paradoxe est que l’Eglise emploie ce mot au sens latin, au sens d’il y a 15 siècles, alors que, aujourd’hui, elle ne veut pas intentionnellement impliquer que le prêtre est au dessus du laïc : c’est une phrase qui la met désormais mal à l’aise car elle n’est pas fidèle à l’Evangile et choque nos contemporains. Elle voudrait qu’on n’emploie plus cette expression puisque le mot « réduction » ne correspond pas à ce qu’elle voudrait signifier maintenant. Mais c’est un coup du sort que l’Institution Eglise ne peut éviter : elle a elle-même trop développé des conceptions cléricales en sacralisant le prêtre, homme de Dieu supérieur en presque tout au quotidien à ses ouailles, et s’est appuyée sur le cléricalisme[3] qu’elle croyait utile pour asseoir son pouvoir en croyant bien faire : elle a répandu des conceptions qu’elle a bien du mal à rectifier auprès de ses propres fidèles comme partout ailleurs.
Elle reçoit ainsi un retour de bâton terrible puisque cette expression qui théoriquement devait être et rester un constat neutre et sans jugement ni appréciation ( un retour à l’état laïc ) semble manifester clairement au public, peu au courant des latinismes, la persistances de conceptions dont on voit aujourd’hui qu’on n’a pas su limiter certains effets dangereux.
Mais nous ne souhaitons pas ici traiter le fond de ce problème. ( voir d’autres articles sur ce thème sur le site )
Scandale et miséricorde : deux autres exemples de contre-sens à éviter…
Du point de vue du langage, il se passe pour cette expression les mêmes contresens que pour scandale et esclandre, cf. notre étude sur la phrase de l’Evangile[4] si mal comprise aujourd’hui par les foules et dont la mécompréhension et le contresens repose en partie, malheureusement, sur la volonté de certains clercs et fidèles cléricalistes de ne pas salir l’Institution Eglise, même aux dépens des victimes et de leur entourage. Une volonté qui a, hélas, conduit beaucoup à se détourner même de Jésus accusé, à tort, de chercher à faire étouffer les scandales et de donner le droit à certaines personnes « sacralisées » de valider ce manque inhumain de justice.
Il se passe aussi un phénomène du même genre autour du mot « miséricorde » : de nos jours, en français, dans les journaux, à la TV ou dans la rue, on dit qu’on fait miséricorde uniquement à des coupables, à des fautifs, à des responsables… Une victime n’y est jamais dite l’objet de la miséricorde d’un juge ou d’une association : elle l’objet de leur compassion, de leur pitié, de leur sympathie, etc. mais pas de leur miséricorde. Ce serait un contre-sens, un contre-emploi, une gaffe… En employant le terme miséricorde dans son sens latin qui ne correspond plus au sens français d’aujourd’hui, l’Eglise révolte les personnes victimes qui se sentent classées parmi les personnes coupables[5].
Songeons-y avant de traduire les textes publiés en latin d’abord pour éviter ces erreurs humaines mais évitables, qui dénaturent le Message et peuvent blesser.
Songeons-y pour l’Evangile, et au nom de celui qui parlait au nom de notre Père à tous, en araméen.
Marguerite Champeaux-Rousselot 2019-03-28
[1]https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Reduire-letat-laic-expression-malheureuse-depassee-2019-03-26-1201011457
[2]https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/
[3] https://recherches-entrecroisees.net/2018/10/24/clericalisme-histoire-doctrine/
[4] https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/15/scandale-actualite-sens/
[5]https://recherches-entrecroisees.net/2018/12/27/la-devise-choisie-par-le-pape-francois-miserando-et-eligendo/