Le cléricalisme nécessite une … thérapeutique radicale ! Clercs, non-clercs et … doctrine. ( Marguerite Champeaux-Rousselot)

(2018-09-10)

Analyser le cléricalisme et son histoire permet de proposer des diagnostics et donc quelques remèdes, en particulier au niveau de la doctrine.

Actuellement, l’Eglise catholique souffre avec les victimes[1] abusées par certains[2] clercs pédophiles[3], et elle est déstabilisée par les révélations concernant leurs actes et la manière dont ils ont été « gérés ». Le but de cette réflexion est, comme le demandent avant tout les victimes pour se reconstruire, d’empêcher que cela[4] continue. On dit que c’est à cause du cléricalisme de certains qu’on en est arrivé là.
En effet, les clercs prédateurs et leurs complices étaient quasiment ignorés de tous sauf peut-être de leurs semblables, et se croyaient peu nombreux tandis que les  « faibles » et les victimes se pensaient en plus isolés, mais la  médiatisation du XXIe siècle, qui peut remonter les années et s’appliquer partout, en révèle le grand nombre et donne une force solidaire inégalée aux « petites » victimes.
L’Eglise atterrée a décidé de lutter contre ce fléau et contre ce qui a permis qu’il perdure à l’abri des sanctions. Néanmoins pour le moment, c’est surtout de l’incantation : ce qui a été proposé n’est pas  suffisant.  Devant un malade, les regrets, la compassion  ou les souhaits ne sont pas suffisants : il faut une thérapeutique : histoire de la maladie, causes, conséquences, évolution, et donc traitements et remèdes à choisir, puis posologie et administration…

Il existe nombre de personnes qui ont été elles-mêmes blessées et reproduisent en quelque sorte involontairement  le traumatisme dont elles ne sont pas guéries : ce sont elles aussi quelque part des victimes, et l’Evangile nous montre un chemin de compassion et de vérité pour les aider. Ce n’est pas d’elles dont nous parlons ici . Notre vocabulaire  qui est parfois « dur »  concerne des actes qui ont été vraiment entièrement volontaires de la part de certains : des cas sans doute rares…  mais qui existent.  Le cléricalisme se décline et se nuance comme toutes choses humaines.

Ce mal du cléricalisme a des racines plus  profondes qu’on ne  l’a dit jusqu’à présent, car nous semble-t-il, il est soutenu par une  conception du « clerc » qui s’est construite avec diverses caractéristiques au fil des siècles. Peut-on donc les modifier  pour les améliorer en les adaptant aux Hommes de notre époque ? Mais elles sont réputées « divines » : a-t-on seulement  droit d’en changer un iota !?
Ces questions trouveront quelques réponses affirmatives à travers les études croisées du terme « cléricalisme » : l’étymologie a son intérêt mais, vu les faits actuels, une nouvelle  définition en est nécessaire. L’analyse sur le plan individuel et psycho-social des abus et des processus en cause mettent concrètement en relief les diverses formes des déviances cléricalistes devant lesquelles l’étymologie des termes « clerc » et « clergé » s’avère insuffisante.
Mais c’est, complémentairement, l’étude anthropologique et sociologique de l’évolution du  statut de clerc et du clergé qui montre les conséquences de ce mal, mais aussi ses racines.
En effet, ces termes n’existent pas dans l’Evangile mais lui ont été créés postérieurement, et, après des évolutions importantes, l’aboutissement  à la quasi-« sacralisation » du statut actuel du clerc est relativement récent. Certains, qui ignorent cela , s’opposent à ce changement par fidélité à ce qu’ils croient la tradition la plus ancienne et la plus pure, et il est donc important  de prendre connaissance de ces évolutions passées.
Rien ne s’opposerait donc en fait à ce qu’on modifie des éléments liés à la notion de clerc et au cléricalisme, si c’est nécessaire de le faire,  pourvu qu’on le fasse dans l’esprit de l’Evangile.
Mais le nombre de responsables ecclésiaux et de fidèles qui ont contribué directement ou indirectement à la mauvaise gestion de ces problèmes individuels révèle aussi un problème plus profond et, pour en guérir, il faut se poser des questions délicates : ces déviances  et ces tragédies ne sont-elles pas facilitées, involontairement, dans une certaine mesure, par le fonctionnement normal et habituel  de l’Eglise ? Ces dysfonctionnements s’appuient-ils sur des aspects doctrinaux accessoires et tardifs, ou  essentiels et fondamentaux ?

Définition habituelle du mot 

Selon Wikipédia, le cléricalisme est un positionnement idéologique qui prône la prédominance des idées religieuses et du clergé dans la vie publique et politique. Le positionnement opposé est l’anticléricalisme.  Le cléricalisme trouve son aboutissement dans différents systèmes politiques : religion d’état, concordat ou théocratie.
Sur le site du CNRTL[5], nous trouvons : « Cléricalisme : attitude ou doctrine des partisans d’une prépondérance ou d’une forte influence du clergé dans le domaine temporel et plus spécialement dans le domaine politique. » Le terme semble né en 1855 dans la langue de la politique et des polémiques religieuses sous la plume de journalistes belges, vers l’année 1855, et il viendrait de clérical* « dévoué aux intérêts du clergé », à partir des termes clerc et clergé.
Ces deux définitions conviennent bien pour la période entre le VIème  siècle et la fin du XVIIIème siècle, pendant laquelle l’Eglise et la Papauté se sont construites en force, en appuyant leur puissance spirituelle sur une puissance temporelle  et réciproquement (voir un autre  article sur le mot Réforme et l’Eglise semper reformanda).

Mais les Lumières, la sécularisation et la laïcité, ont pratiquement contraint l’Eglise à abandonner totalement au XXème siècle l’idée d’une vraie cléricalisation de la société en France. Néanmoins, et peut-être par une sorte de compensation, l’Eglise a surtout tenté de maintenir  et même de renforcer son pouvoir sur les esprits religieux des catholiques (multiplication des dogmes, des canons, intensification des mystères, du sacré, pouvoirs religieux du clergé …).

Lorsque l’on dit aujourd’hui que l’Eglise catholique court un grand risque à cause du cléricalisme de certains, ce sens n’est évidemment pas celui qui précède.

Une nouvelle définition s’avère donc nécessaire.

Une nouvelle définition 

Ce n’est plus en effet le cléricalisme politique des siècles précédents.
Aujourd’hui on lit que la crise actuelle (de la pédophilie) a pour cause également le cléricalisme. Il recouvre une réalité bien différente  : ce n’est plus la société politique ou civile qu’il a pris comme objectif de «dominer » mais c’est à des personnes qu’il s’est attaqué, et c’est pour le cacher qu’il s’est servi d’une idéologie cléricale d’abord dans le domaine interne de l’Eglise avant de tenter d’en abuser également dans le domaine social des valeurs  universelles ou locales ; et ce n’est plus ni hautement ni ouvertement qu’il a tenté de « posséder » la société politique ou civile mais de façon dissimulée et seulement consécutivement. Il faut donc en donner une définition plus large : le cléricalisme est la déviation de celui qui pense que le statut et l’autorité religieuse des clercs leur  donnent des droits sur autrui et les mettent  au-dessus des lois civiles, et qui agit éventuellement ainsi.
On peut noter que, si on supprime le mot «  clercs » de cette définition générale, elle pourrait correspondre à des actes criminels qui ne sont pas liés à l’Eglise et englober bien des faits et bien des conséquences : aujourd’hui les scandales naissent de révoltes des « petits » qui dévoilent à la face du monde les méfaits  des « forts » jusqu’ici impunis   (harcèlement,  violences, injustices, bâillon… ). Pour ce type d’abus, la définition générale serait alors : déviation de ceux qui pensent que leur statut et leur autorité les mettent  au-dessus des lois civiles et leur donnent des droits sur certains et qui agissent ainsi.
Aller de cet exemple particulier (dans l’Eglise)  au cas général ( dans le Monde des Hommes) et inversement, permet de trouver les causes de tels actes, d’analyser leur déroulement et leur traitement, et aussi bien de déceler des points communs entre eux dans ces deux milieux que d’en tirer un enseignement concernant des particularités de l’Eglise à cet égard,  afin, dans la mesure du possible, de les réparer  et aussi de les prévenir et de les y empêcher. Il s’agit d’assainir globalement un mode de pensée qui est nocif bien avant tout passage à l’acte et sa dissimulation.

Sans pouvoir se centrer ici  sur les souffrances des victimes ni sur les aspects pathologiques ou condamnables sans discussion aux yeux de la loi, nous voulons interroger le fonctionnement normal et habituel de l’Institution ecclésiale. Ce qu’elle enseigne ouvertement ne devrait pas être en opposition avec la loi civile et même devrait l’appuyer pour le bien de tous. La crise actuelle conduit à (se) poser une question dérangeante : le cadre religieux ou ecclésial ne facilite-t-il  pas, involontairement dans une certaine mesure, ces déviances  et ces tragédies ? Il nous semble que certains aspects doctrinaux de l’Eglise, trop facilement détournés, sont en cause : cela interroge sur l’utilité de ces aspects, et même sur leur validité.

Resituer ce cléricalisme dans le cadre général de l’abus d’autorité et du sentiment de toute-puissance.

Dans la crise actuelle, certains clercs criminels ont agi contre des lois non écrites et ont désobéi aux lois civiles et même religieuses avant de tenter de s’y soustraire alors qu’ils ont pris pour proie une personne. Chez eux, le sentiment personnel de toute-puissance s’est lié à l’abus d’autorité  pour agir, et la peur du scandale peut prendre l’argument autorisé de leur amour pour l’Eglise  à préserver. Une certaine partie de cet enchaînement de faits est liée au fait  qu’ils agissent en tant que clercs et dans l’Eglise … même s’ils dérogent : ce sont des arguments et des outils cléricalistes.
En effet, dans le cadre de l’Eglise, les clercs ou leurs assimilés ont/devraient avoir un idéal élevé,  prennent des engagements personnels de type extrême et donnent/devraient donner  des exemples de grande vertu et s’efforcer vers la perfection. Par un effet réciproque de cause et de conséquence, l’Eglise estime à bien des égards que leur mission cléricale est de « guider » en tout les catholiques non-clercs ; ces derniers les respectent, voire se sentent d’un rang inférieur par rapport à ceux qui sont si proches du sacré : ils reconnaissent leur autorité qu’ils jugent incontestable et peuvent/doivent les prendre comme pasteurs et modèles.
Mais si des clercs déviant de leurs engagements personnels de clercs et agissant même de façon contraire à l’idéal de vie de tous les chrétiens, profitent par exemple de richesses matérielles ou vivent une sexualité qui aura des effets  pervers pour eux comme pour les autres, il pourra se trouver d’autres clercs qui fermeront les yeux ou les absoudront et convaincront le plaignant éventuel de se taire par respect et pour ne pas faire souffrir l’Eglise. Ce sont même souvent en fait certains des non-clercs, tant leur admiration et leur humilité sont grandes devant un prêtre par exemple, qui seront conduits, du fait  de leur idéalisation et  de leur idéalisme excessifs, à nier les abus dont il est l’auteur et dont ils ont connaissance ou à le couvrir, à l’excuser ou à le justifier, à prendre sa défense aveuglément comme calomnié, à lui permettre d’éviter un jugement  ecclésial ou civil : cette « maladie » qui perturbe leur jugement personnel et leur droiture et en fait malheureusement des complices est en fait une variété de cléricalisme.

On peut toucher là à la pathologie ou aux lois de la psychologie.
Cela est encore plus évident dans le cas des victimes à proprement parler.  La plupart des personnes qui ont permis au clerc prédateur d’échapper à la loi sont plus ou moins dans l’état des personnes battues qui aiment ou justifient leurs bourreaux : époux, enfants, personnes âgées, patients, handicapés, élèves, clients d’un avocat etc. Par exemple encore la situation des personnes dans une dictature : même si elles souffrent, nombre d’entre elles acclament le dictateur, finissent par en faire un objet d’admiration et d’idolâtrie, que chacun protège et interdit même aux autres de critiquer ou de détester.

On peut aussi comparer cela aux otages qui sont victimes du syndrome de Stockholm.
Ces comportements ont été très étudiés et sont  transposables en ce qui concerne des non- clercs qui aiment ou justifient des clercs abusifs. L’échelle n’est évidemment pas forcément la même, mais le résultat est assez convaincant.
Les non-clercs commencent par des relations qui leur semblent très positives. Il y a d’abord un sentiment d’admiration positive et des émotions qui leur semblent justifier à l’égard d’une personne qui représentent des valeurs élevées et en qui ils ont une confiance aveugle de par sa position d’autorité confirmée. Ils peuvent se projeter en lui et développer des mécanismes d’identification. Le clerc concerné ne cherche pas forcément faire naître ce sentiment d’admiration, mais, même s’il se tait, il explique et justifie  sans cesse, indirectement et implicitement, ses choix et ses actes par l’Évangile, ou est supposé pouvoir le faire : les autres s’y sentent inférieurs (voire ont un complexe d’infériorité) et ils identifient  le clerc à Jésus, ce qui est la double source de leur admiration.
Très peu ( mais c’est trop ) auront alors la malchance de tomber sur un prédateur.
Les clercs déviants qui veulent susciter ces sentiments et obliger le non-clerc à  « accepter », mettent alors en place un système de violence qui est similaire à celui des sectes. La violence n’est pas toujours physique : elle peut être douce et insidieuse.   Ils augmentent chez la victime son désir d’idéal, la conscience de ses fautes et son inquiétude pour la vie de son âme ; son angoisse pour atteindre Dieu et la vie éternelle n’est apaisée que grâce à l’obéissance aux clercs qu’il admire. Plus elle croit que les clercs l’aiment, plus elle pense que c’est finalement dans son propre intérêt qu’ils agissent ; plus ils sont exigeants avec elle, plus elle les admire. Elle peut croire éviter le danger de l’Enfer ou du péché, atteindre effectivement plus vite et mieux le Royaume grâce à eux ; qu’ils lui serviront d’intercesseurs éventuellement si elle est coupable ; et le fait qu’ils dispensent les sacrements dont celui de la confession joue un rôle essentiel dans ce raisonnement qui donne aux clercs des droits au dessus de ce qui est juste :  c’est bien un fonctionnement cléricaliste, plus volontaire et plus conscient  chez les déviants[6] que une victime.
Les non-clercs,  par leurs acceptations, se libèrent un court moment d’une partie de leurs propres angoisses, mais leurs angoisses s’augmentent au fur et à mesure qu’ils cherchent à atteindre la perfection que le clerc leur montre de plus en plus haute, et au fur et à mesure que le sacré s’éloigne toujours plus de leur vie. Les clercs déviants peuvent  à ce moment-là proposer justement une identification à divers titres, qui semblera un moyen généreux et altruiste et qui augmentera la confiance de la victime ; devant des inquiétudes rationnelles, ils n’hésitent pas à invoquer le mystère, ce mystère qui leur permet d’échapper à un raisonnement sain qui amènerait la victime à la contestation et à la libération. Plus leurs exigences augmentent, ce qui est le signe interprétable pour elle précisément que le chemin est difficile et donc valable, plus le non-clerc estime qu’il devrait se sentir rassuré (au nom d’un discours fréquent sur les valeurs de la souffrance, notion de sacrifice, notion de l’humiliation volontaire etc.). Il lui semble que s’il satisfaisait son besoin de les contester et de les refuser, son angoisse augmenterait. Les victimes ne se plaignent pas ou de moins en moins, n’osent pas résister ou dénoncer et, malgré des moments de doute, croient (devoir) éprouver de l’affection pour leur tortionnaire, qu’ils idéalisent. La victime va jusqu’à se sentir même parfois coupable de détester son bourreau. Elle pense souvent de son devoir de « pardonner » sans autre forme de procès : son silence empêche ainsi  de facto un procès  et une condamnation – inévitables –  à on bourreau. C’est du cléricalisme ; il semble libre, conscient ou involontaire, mais il est le plus souvent manipulé. Un des leviers cléricalistes pour manipuler ce silence est la souffrance que la victime causera à l’Eglise et à d’autres en révélant le mal subi et commis par ses membres : c’est alors un conflit de loyauté insoluble surtout si la victime aime l’Eglise, enseignée comme un seul corps ou comme sa mère.
Certains témoins qui ne prennent pas le parti des victimes, peuvent même aller jusqu’à prendre le parti des bourreaux : ils le font, paradoxalement, à peu près pour les mêmes raisons que les victimes elles-mêmes, et,  même si ce témoin n’est pas victime lui-même des actes  criminels des clercs, il est lui-même psychologiquement également la victime des mêmes clercs,  au nom des arguments cléricalistes qui l’empêchent de réagir sainement.
L’amour ou la vénération devant des personnes qui dépassent les autres hommes,  avec une aura mystérieuse de puissance, deviennent ainsi des palliatifs qui résolvent « magiquement » une bonne part de la complexité conflictuelle, consciente ou inconsciente, de la situation, qu’ils la ressentent immédiatement comme révoltante et anormale  ou qu’ils ne le réalisent que bien plus tard.
Lorsque quelqu’un se sent faible et incapable devant quelqu’un qui est fort et a autorité, (ici le clerc) elle s’en remet à lui et lui obéit, c’est « normal ». Lorsqu’elle a le sentiment qu’elle a échappé à la mort (ici la tentation, le péché, la mort de l’âme,) grâce à quelqu’un[7],  elle est reconnaissante  à cette personne qui l’a sauvée : c’est « normal ». Si elle ne sait pas que ce protecteur ou ce sauveur est en réalité un  agresseur qui lui fait du mal sans qu’elle s’en rende compte, il est naturel qu’elle se laisse tromper  et ne peut alors réaliser qu’elle souffrira  un jour du fait de celui en qui elle a placé sa confiance ; la révélation plus tard sera certes cruelle mais la situation ne présente pas un conflit destructeur pour son psychisme. Par contre, le psychisme est bien plus détruit si une victime est obligée par une autorité morale supérieure d’intégrer comme des bienfaits ces violences qui la font souffrir, et cette agression contre sa personnalité, comme une salvation ; si le processus pervers mis en place par ce prétendu sauveur lui interdit d’analyser réellement la situation ;  si elle est révoltée ou déjà « formatée ». Qu’elle ne puisse ni s’en sortir loin de l’autre, ni faire appel à son droit contre l’autre est précisément « la marque d’une effraction gravissime de l’intériorité de l’être humain qui a vécu, en direct et impuissant, le rapt de son identité subjective »[8]. Le cléricalisme coupable et culpabilisant du clerc oblige la victime à rester en dehors de l’aide que pourraient lui apporter la loi, la société et son entourage ainsi que la structure cléricale, l’Eglise et ses frères dans le Christ.

Dans le cadre d’une prévention, la description de ce processus et son enseignement  seraient peut-être utiles puisque les psychologues disent que si on est au courant du syndrome de Stockholm, on a moins de chance de s’y laisser prendre. On peut sans doute penser qu’il en est de même dans les autres cas où une personne ayant autorité pourrait nous faire croire qu’elle nous sauve alors que nous sommes révoltés par ses actes qui nous font horriblement souffrir et sont contre notre propre gout, la raison et le bon sens.

Il  semble également qu’une victime potentielle a plus de mal à résister à ce type de raisonnement si elle a déjà pris le pli d’une attitude similaire dans des circonstances plus banales :  par exemple, en vénérant un père despotique et autoritaire ou en cherchant à s’identifier avec lui,  pour échapper à l’angoisse qu’aurait provoquée le fait de s’y opposer ou de s’y confronter, ou pour éviter le sentiment de culpabilité que provoquerait  le sentiment de le haïr.

Sentiment de toute-puissance et abus d’autorité  chez le prédateur peuvent donc avoir des conséquences très différentes. La comparaison avec les mécanismes en jeu dans les violences psychologiques (violences conjugales, enfants battus, prises d’otage …) resitue ces abus dans un cadre général et permet ensuite de mieux comprendre leurs particularités liées au cléricalisme.
Le cléricalisme, comme une contagion, peut atteindre le clerc ou le non-clerc, la victime qui n’a pas osé résister et témoigner mais aussi les proches de cette victime ou ceux qui savaient, qui ont été indignés ou mal à l’aise mais qui ont couvert sa voix et empêché le témoignage de celui qui a été abusé. Toutes ces personnes, même si elles en sont révoltées et souffrent, sont dans une position qui peut aussi être qualifiée dans une certaine mesure de victime et en même temps de cléricaliste, qu’elles en soient conscientes ou non, puisqu’elles estiment que le clerc est dans une position supérieure à eux et qu’il peut tout exiger d’elles, légitimement selon elles… Il existe aussi, bien plus nombreuses, des personnes qui ne sont pas complices factuellement car elles ne rencontreront pas sur leur chemin de clerc pervers  qui les manipulera, mais qui partagent ce raisonnement comme s’il leur avait été enseigné par des personnes ayant une autorité doctrinale réelle…
La mauvaise action d’un clerc va le conduire à tenter d’échapper  à la sanction légale : cela relève du cléricalisme, soit. Ceux qui contribuent plus ou moins consciemment, à faire échapper un clerc coupable à la loi, ont également une attitude cléricaliste. Il est donc, paradoxalement, le fait de quatre catégories différentes de personnes :
– 1 le clerc abusif, prédateur, qui cherche à tirer un profit personnel, volontairement ou inconsciemment, de ce statut qu’il a et ce en dépit des lois.
– 2 le clerc et le non-clerc complice,  qui n’a pas accompli d’acte répréhensible mais
-2a  qui soutient le clerc coupable de façon inconditionnelle et le couvre contre toutes les  lois civiles qui le condamneraient.
-2b qui pense, ou, responsabilité plus lourde encore, qui enseigne qu’un clerc a une autorité exceptionnelle et des droits en dehors  car au dessus des normes civiles et religieuses.
– 3 des clercs et des laïcs qui sont les victimes du clerc qu’elles acceptent d’aider  à échapper à la loi, tant qu’elles ne sont pas arrivées à considérer qu’il n’a pas des droits au dessus du Droit du pays, ni au dessus  des Lois de l’Eglise.

La nouvelle définition proposée correspond bien à cet ensemble complexe : le cléricalisme est la déviation de celui qui pense que le statut et l’autorité religieuse des clercs leur donnent des droits sur autrui et les mettent  au-dessus des lois civiles[9].

Les clercs ayant actuellement une aura qui étend leur « pouvoir » au-delà de ses limites statutaires, leur statut clérical permet à certains d’entraîner leurs ouailles vers le Bien, mais permet à d’autres de commettre impunément des abus condamnables. Dans la main de certains, c’est un outil presque imparable, pour le bien ou pour le mal. Le processus cléricaliste qui protège les nuisibles est tantôt impulsé et souhaité par le clergé, tantôt accepté et souhaité également par les non-clercs, mais les germes délétères de ce cléricalisme ne sont-ils pas dans cette idéalisation et cet idéalisme du statut de clerc ?

L’Histoire anthropologique de la notion de « clerc » et de « clergé » 

Le terme cléricalisme viendrait de clérical* « dévoué aux intérêts du clergé », à partir des termes clerc et clergé.
Au début, les fidèles de Jésus disaient d’eux-mêmes qu’ils formaient une fraternité,  et qu’étant fils de Dieu, ils avaient  reçu  « l’héritage » de leur père, « la part tirée au sort » : ce qui se dit en grec  κληρος, (prononcer klèros), d’où en latin chrétien  le terme  clerus  avec le même sens, et les cleri, ceux qui ont le Seigneur en héritage, c’est-à-dire le peuple chrétien tout entier, peuple choisi, élu par Dieu… Cependant, le terme évolua rapidement, d’abord car pour des besoins de simple organisation pratique, on commença à élire ( au sens propre) les personnes compétentes selon les diverses responsabilités à assumer pour le groupe : on inventa alors différents noms pour les désigner  ou on en prit  des existants à qui on donna des contenus nouveaux. Ainsi, Jérôme, (347-420) qui traduisait beaucoup de grec en latin, employa un terme dérivé, les clérici[10]. Ses textes montrent que ce ne sont pas des moines, puisqu’il les nomme à part : ce sont donc des chrétiens qui ne vivent pas dans des monastères ni en ermites, mais qui vivent en famille, indifféremment mariés ou non, ce qui à l’époque signifie qu’ils sont en général mariés. Parmi eux, un autre de ses textes appelle clerici également ceux qui président le repas partagé mémoriel des chrétiens. Rappelons qu’aux tout débuts de l’Eglise, les presbyteroi ou presbytres, les Anciens, étaient également des responsables élus plus importants. On peut donc considérer que, au début, clericus était quasiment à valeur d’épithète symbolique surtout : ces responsables connus avaient été choisis et élus par les chrétiens d’alors (au  sens étymologique grec : « ceux qui ont reçu le plus beau lot  » c’est-à-dire une mission…) pour une mission précise, plus ou moins temporaire, renouvelée ou non : presbytres et épiscopes, diacres et diaconesses, sous-diacres etc.[11] Le terme évoque une valeur religieuse et plus encore le « rang » qui en découle. Plus tard, chose étrange et inattendue, l’emploi au sens  de Jérôme, Athanasios, Makarios etc. connaîtra ensuite une évolution de type englobant pour désigner tous les « consacrés » tandis que  ce sera au contraire le terme presbyteros qui en viendra à se spécialiser pour désigner uniquement ceux qui sont nos « prêtres ».
Cependant, l’élection fut peu à peu remplacée par un fonctionnement héréditaire  et/ou par une nomination par la hiérarchie, et des différences de plus en plus importantes se marquèrent entre ceux qui exerçaient ces charges et le reste de l’Assemblée. Leurs fonctions d’abord, leurs personnes mêmes ensuite, furent liées au monde « religieux » qui devint  progressivement de plus en plus séparé,  « sacré », alors que les ordres n’existaient pas encore au sens où nous l’entendons actuellement. Par exemple il y eut débat pour savoir s’ils devaient ou non être mariés mais chastes conjugalement, ou célibataires, ou si, veufs, ils pouvaient ou non se remarier. Ce type de débat se faisait entre les habitudes sociales et les préjugés, la supposée tradition, des interprétations de l’Ecriture et  le message de Jésus.
Les autres ( les « sans-grades » ) durent aussi alors recevoir un nom pour les désigner. Ils furent alors désignés par un terme dérivé de peuple, en grec laos, ce qui donna en France lais puis  laïcs. Ceux qui se distinguaient en ayant des capacités étant élus puis ensuite nommés à des responsabilités, ont continué à être toujours désignés par le terme grec traduit en latin chrétien clerici, un terme qui n’avait toujours pas une signification à proprement parler uniquement religieuse : il notait surtout à cette époque le fait d’avoir été choisi pour des compétences pour assurer une charge, une mission. A la même époque, les clerici comptent les moines, les ermites, et ceux qui sont toujours nommés avec le terme qui, depuis l’après Jésus immédiat, désignait les Anciens, presbuteroi en grec : les  « presbytres » en français d’alors, qui, de plus en plus spécialisés, deviendront finalement nos «  prêtres » actuels.
Il est clair que les responsables dans l’Assemblée des Frères, les premiers chrétiens, n’avaient  pas le statut des clercs aujourd’hui et en particulier des prêtres actuels : sacralisé, à vie, choisi entre soi, avec des conditions qui font du prêtre un quasi sur-homme, même s’il s’en défend.  L’abus d’autorité leur était impossible, et le sentiment de toute-puissance ne pouvait exister. Que ce soit une réalité exacte ou idéalisée, les premiers chrétiens savaient en tout cas que c’était conforme à ce que Jésus avait montré d’exemple, expliqué et souhaité dans le groupe de ses disciples.
Pour plus de détails et pour la suite, voir le travail sur ce site concernant L’Histoire du prêtre.
L’évolution, grave surtout à partir de la constitution des liens avec le pouvoir politique lorsque l’Eglise a voulu jouer en faveur de Dieu de sa puissance temporelle ( à partir de Constantin, au IVème siècle)  et elle a également voulu « purifier » le statut  des clercs en promulguant des obligations et des interdictions qui en ont fait une catégorie à part des autres baptisés et à part des Hommes.
Les clercs  ayant reçu diverses missions (cf.  le sens du mot « ordre ») prirent le nom de membres du clergé  et à la seconde moitié du  xs.,  le terme clerjes désigna globalement ces personnes qui avaient reçu ces missions, ces charges, ces responsabilités. Le terme clerc, qui n’est pas réservé uniquement à la religion, s’emploie également d’ailleurs dans des domaines civils :   ca 1040 clerc « savant, lettré », et en 1275, il signifia « employé d’un officier public, ou d’un personnage officiel ». Le terme clerc  indique donc une charge, un poste, une compétence, plutôt qu’une  valeur religieuse attachée à une mission. Il y a un aspect social (d’où le nom des différents ordres en France : les nobles, le clergé et le Tiers-Etat).
Lorsque sa puissance a commencé à baisser, l’Eglise a jugé utile de renforcer sa puissance spirituelle, ce qui a entraîné par auto-proclamation en quelque sorte ( et sans fondement dans l’Evangile)  la construction progressive d’un statut sacralisé, avec quelques avantages mais beaucoup d’inconvénients par rapport à l’Evangile, au peuple des baptisés et à tous nos frères. Beaucoup de clercs et non-clercs sont convaincus que l’ordination, l’imposition des mains, et tout contact avec le « sacré » donne une supériorité à qui en a la « permission ».
On peut donner ici lien vers un site où j’ai trouvé une explication très complète sur les termes clerc et ses dérivés, ainsi que sur lai ou laïque, assortie d’une réflexion personnelle. L’auteur donne ici une conclusion bien significative qui m’attriste, mais qui est selon moi assez juste :
« Ces recherches étymologiques conduisent à autre chose qu’à la satisfaction d’une vaine curiosité. Les constatations que nous venons de faire portent avec elles leur enseignement. Le clergé, les clercs, c’est une fraction de la société qui se tient pour spécialement élue et mise à part, et qui pense avoir reçu la mission divine de gouverner le reste des humains ; l’esprit clérical, c’est la prétention de cette minorité à dominer la majorité au nom d’une religion. Les laïques, c’est le peuple, c’est la masse non mise à part, c’est tout le monde, les clercs exceptés, et l’esprit laïque, c’est l’ensemble des aspirations du peuple, du laos, c’est l’esprit démocratique et populaire.»[12]
 Heureusement, des clercs ont continué à être des exemples de cette égalité de frères et de cette inscription dans le monde (pour ne pas dire de cette laïcité)  que Jésus a prêchées et vers lesquelles il faut  que tende l’Eglise, clercs et laïcs ensemble.
Le statut actuel des clercs est donc assez récent, fruit d’âpres discussions qui tournaient parfois à l’excommunication ou au schisme,  et d’évolutions successives qui s’appuyaient sur de nouvelles affirmations doctrinales. Ceci montre que l’évolution a toujours eu lieu et qu’on ne peut l’empêcher, si elle  est nécessaire, en niant qu’elle ait eu lieu. C’est par ailleurs imiter justement Jésus que de savoir retourner à l’eau vive si on s’en était écarté,  pour puiser une eau vive et toujours neuve convenable à chaque époque : ressemblante à celle du passé ou modifiée si besoin, peu importe, si c’est dans l’esprit de l’Evangile.

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Pourquoi et comment l’Eglise ou des clercs, et des non-clercs,  peuvent-ils faire preuve de cléricalisme ?

La plupart des clercs et la plupart des non-clercs sont des personnes tout à faits respectables et utiles, et nous ne parlerons ici que des dérives graves ou criminelles qui n’ont été le fait que d’une toute petite partie des membres de l’Eglise, de certains clercs[13]. Analyser les causes et éviter que cela puisse se reproduire, c’est également respecter les victimes blessées et par leur clerc prédateur et par ceux qui l’ont couvert ou semblent insensibles à leurs souffrance[14]. Avoir pris conscience (ci-dessus) que des situations semblables se trouvent ailleurs que dans l’Eglise permet de comprendre les mécanismes psychologiques en cause chez tous, mais également de voir pourquoi des particularités mêmes de l’Eglise ont contribué  à la perpétration de ces crimes, à leur continuation. Il s’agit en effet pour nous de trouver les causes de ce mal  de manière à pouvoir l’éradiquer en observant ce mal au sens de maladie. Les descriptions ci-dessous  ne sont faites que dans un but thérapeutique. Elles sont volontairement incomplètes et non systématiques, mais en les lisant, il faudrait donc avoir en tête de chercher ce qui dans la doctrine de l’Eglise aurait  permis cela, explicitement ou non : c’est ce dont nous parlerons à la fin.

Il y a déjà des problèmes « simples » : les clercs ont bien conscience de la difficulté de leur tâche et de l’exception qu’ils représentent ; certains d’entre eux vont vivre de façon excessive leur engagement, leur idéal ; un discours négatif sur la sexualité et un souci excessif de pureté peut les avoir empêchés de voir clair en eux  auparavant ; ils ont pu avoir été trop protégés. Ceux-ci souffrent d’un rapport pervers avec le corps, et qui veut faire l’ange risque de faire  la bête, mais il n’y a pas à ce stade de non-respect des personnes, même involontaire.

Par contre certaines interprétations de la doctrine catholique vont faire le lit de comportements abusifs et cléricalistes. Elles  tiennent un discours manichéen au sujet du corps, et sacralisent en plus la personne du prêtre, mis à part, séparé, ce qui lui donne une importance et une autorité exceptionnelles ; ordonné et configuré, il « est » ainsi un autre Christ, et l’on oublie que c’est en fait un objectif qui doit être porteur mais n’est pas une réalité achevée. La doctrine présente souvent comme admirable également un faux idéalisme qui donne une place excessive à l’esthétique et aux sensations nées de la beauté  prétendument mise au service de Dieu ou le reflétant etc. Il y a interaction en forme de cercle vicieux entre l’importance de la formation que les clercs donnent au non-clerc et l’attitude ouverte, confiante et passive de celui qui s’accepte ignorant et qu’ils sont censés former. Souscrire aux valeurs attachées à la notion même de hiérarchie permet au clerc de se croire tout-puissant ; souscrire aux valeurs attachées à l’humilité rend très  difficile  à la victime de résister aux clercs déviants puisqu’il faudrait avoir jaugé, jugé en mal ceux  qu’elle a adoptés comme modèles… Il y a un lien qu’on devine entre  abus de confiance, abus de conscience et abus sexuels.
Il peut y avoir parmi ces clercs des personnalités fragiles qui ne sauront pas résister aux émotions et à la tentation, paradoxalement exacerbées par de tels éléments doctrinaux, des personnalités qui ne sauront pas s’arrêter, et une fois passés à l’acte, certains d’entre eux ne demanderont pas  pardon aux victimes et ne se rendront pas à la justice : ils feront appel au secret et tenteront de manipuler leur victime, leur témoin, leurs supérieurs ; certains mentiront simplement ou feront peur, mais d’autres sauront pervertir et se servir des notions de miséricorde[15], du secret, du scandale à éviter, de la relativité du de la faute, et même instrumentaliser la confession par exemple.
L’entre-soi des prêtres et des responsables, l’habitude de considérer que Dieu qu’ils représentent est au-dessus du civil et du temporel, ( Dieu Tout-Puissant ) peut faire croire à certains que, s’ils dérogent, aux règles ordinaires, ils peuvent se servir de leur propre loi en interne, puisqu’ils peuvent être autorisés à juger par eux-mêmes et pour eux-mêmes du bien et du mal.
Ceux-là sont donc particulièrement actifs pour maintenir le système de scission en catégories hiérarchiques au sein même de l’Eglise et pour développer certains aspects de la doctrine qui leur donne ces pouvoirs, de manière à pouvoir continuer à agir. Il peut même y avoir abus de la notion même de  Dieu Miséricorde.
Ce type d’abus ne se trouve pas que chez les clercs de l’Eglise : il peut être le fait de personnes ayant autorité et peut concerner tous les milieux : c’est un problème de personnes, mais dans l’Eglise c’est particulièrement grave puisque les moniteurs de sport par exemple ne prétendent  pas si haut  être des exemples de pureté ni donner des règles de morale anti hypocrisie…
Nous n’en dirons pas plus long sur la pédocriminalité des clercs et sur ceux qui, presque tout aussi criminels, les ont couverts, car leur déviances sont claires. Aucun d’entre eux, du reste,  n’oserait soutenir qu’il a eu raison actuellement et que ses actes relèvent de la doctrine de l’Eglise catholique.
Mais nous reviendrons par contre ensuite sur ces déviances de certains clercs pour aborder une question plus délicate : la doctrine actuelle de l’Eglise les en empêche-t-elle, ou les facilite-t-elle, même involontairement ?

Décryptage rapide de ce qui, dans l’Eglise, a été soit causé soit impacté par ce cléricalisme dont les conséquences permettent de mesurer l’étendue.

Sans être spécialiste de cette question ni prétendre à la traiter exhaustivement, on peut noter que le statut des clercs a des caractéristiques en général communes : d’une part ils ont une position reconnue ( n’est-ce pas par autoréférentialité si on y songe ? ) comme supérieure, ils ont autorité et peuvent être supposés comme des guides et des sauveurs ; d’autre part, ils sont isolés dans leur position reconnue comme exceptionnelle, au dessus du lot, et vivent dans des groupes fermés de gens semblables.
Cela leur donne une fausse perception  des autres, une certaine in-humanité, a-normalité ou anti-normalité, mais leur propre discernement et l’aide de  leurs formateurs doivent les aider à surmonter ces tendances  et à les transformer en atouts pour le bien de leur prochain. Certains toutefois n’y réussissent pas  et ont la capacité de pervertir et d’instrumentaliser certains éléments de la théologie catholique : ce sont des perversions humaines toujours possibles, hélas, et leur traitement relève de spécialistes de la société civile à laquelle nous appartenons, eux compris.
Ici, nous voulons surtout observer dans quelle mesure certaines particularités mêmes de l’Eglise ont été, précisément en effet, utilisées elles aussi pour perpétrer ces crimes et les poursuivre impunément jusqu’ici. Le but n’est pas de « démolir » systématiquement tout ce qui pour la plupart des clercs et non-clercs est la racine nourrissante de leurs vies : la plupart des clercs ne mésuseront pas de ce que nous allons décrire et seront au contraire des exemples à suivre pour tous, mais d’autres, non. Il s’agit de trouver ce qui, dans ce qui est d’Eglise, a pu être saisi  par certains pour être mal utilisé. La question sera ensuite : que faut-il en faire ? jusqu’à quel niveau faut-il enlever cela ? tout ou partie ?
Il nous semble que ce statut des clercs dans l’Eglise leur a donné une position à part, quasi sacrée, dont ceux dont nous parlons ici ont abusé. Ce statut comporte par essence, de facto ou à cause de certaines conceptions habituelles dont on ne veut pas se départir, des liens plus ou moins étroits avec une sublimation vers l’idéal et l’exceptionnel. Lorsque le prêtre se sent appelé à être un alter Christus, un autre Christ, s’il le conçoit à la manière dont le Christ a mis le tablier et nous incite tous à le faire les uns pour les autres, il n’y aura pas de dysfonctionnements. Mais si se tourner vers l’idéal et l’exceptionnel suscite, augmente, entraîne par exemple orgueil et volonté de puissance, mépris des autres et jugement, sécheresse de cœur et formalisme, – contraires à l’Evangile,  cela révèle les dangers que contient ce processus de sublimation qu’il faudra impérativement contrôler et gérer : pour certains, elle contient en effet éventuellement les notions problématiques  et risquées du sacrifice, de la souffrance, du sacré, l’ignorance ou le mépris de la sexualité, des visions dichotomiques du péché et de la pureté, le faux-idéalisme  et le faux-platonisme, le besoin esthétique encouragé et la conception d’une beauté  prétendument mise au service de Dieu ou le reflétant etc. Ces différents ressorts de la vocation ou de la formation mettent sous pression le conscient, le sur-moi  et l’inconscient, et augmentent  les tensions, les désirs et les plaisirs. L’habitude de considérer que le Dieu Tout Puissant qu’ils se représentent est au-dessus du civil et du temporel, leur fait croire que, s’ils dérogent aux règles ordinaires, ils peuvent se servir de leur propre loi en interne, puisqu’ils peuvent être autorisés à juger par eux-mêmes et pour eux-mêmes du bien et du mal. Dans ce cadre, les sacrements vus comme un système magique ( le baptême élimine le péché originel), la confession  reliée à la Miséricorde divine inconditionnelle ( absolution ), l’habitude de relativiser les fautes, l’habitude du raisonnement par le mystère quand on ne comprend pas pour faire accepter tout, conduisent à une volonté de puissance, à croire que tout est possible. Que, au pis, le secret, l’hypocrisie, le mensonge etc. permettent d’éviter le scandale. L’Eglise étant considérée  comme un tout  pyramidal hiérarchisé, tous sont coupables et saints en même temps, la vérité blesse le corps tout entier et elle est donc mauvaise, ce qui rend la pratique de la justice impossible. Tout le dispositif est  éventuellement mortifère pour la victime mais aussi pour son agresseur. Il est facilement instrumentalisable par la personne qui a de mauvaises intentions sur une personne innocente surtout si elle croit aux mêmes principes : là est le piège.
Ces coupables (réels ou potentiels) chercheront à persuader l’Eglise tout entière afin de maintenir ce qui leur donne ces pouvoirs ou à éviter de le perdre, de manière à pouvoir continuer leurs abus impunément. Ils vont bâtir une pastorale, une théologie, une casuistique cléricaliste en travaillant dans le même sens que d’autres bien intentionnés qui ne sont pas conscients des dangers et des enjeux,  et  vont croire seulement rappeler la hiérarchie de valeurs absolues où Dieu est au sommet. Cela peut rappeler des attaques dans l’Evangile contre ceux qui voient la poutre, jurent par Dieu, attachent des fardeaux trop lourds ou  prétendent impur ce qui leur est extérieur, tout cela prétendument au nom de Dieu. Ils peuvent prétendre que garder le secret est nécessaire pour ne pas accélérer la fuite de fidèles traumatisés qui ne voudront plus croire : cette erreur d’analyse est un réflexe d’autodéfense instinctive et irrationnel qui conduit  par  peur à rester sur un chemin erroné et fait perdurer la fuite des fidèles plus formés et moins craintifs.

Thérapeutique de fond : la loi civile

Or, « Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice » (Montesquieu).
Le rappel à la loi civile est nécessaire : enquêtes et sanction car les clercs sont des citoyens comme les autres.  Mêmes démarches dans l’Eglise. « Je continue à penser qu’un tort bien établi et que l’on porte dans la vérité et le courage, est préférable à la suspicion » (1990, cardinal Decourtray lors de l’affaire Touvier. Il était alors président des évêques de France,  et avait eu le courage de nommer une commission d’historiens indépendants, pour « faire toute la lumière » et de lui ouvrir totalement les archives.

Thérapeutique  pour l’Eglise avec ses propres ressources

Mais l’Eglise doit aller plus loin.

En effet, ici c’est presque un blasphème ou un sacrilège  car il y a une sorte d’auto-proclamation  d’une autorité abusive et l’appropriation de la justice qui devait aider et protéger les faibles. Une certaine théologie facilite les déviations actuellement et il est clair qu’elle doit désormais avoir un discours beaucoup plus efficace  pour rendre impossible tout cléricalisme des clercs et des non-clercs, criminels et victimes. Sinon, faudrait-il parler plus net d’une hiérarchisation facilement instrumentalisable, d’un cléricalisme implicitement souhaité ou regretté, ou  d’une certaine théologie qui irait contre l’ensemble du peuple de Dieu lui-même et de la société tout entière ?
Les non-clercs constituent la face similaire, symétrique  et complémentaire de ces structures édifiées qui tuteurent le clerc déviant :  nous n’avons pas besoin de reprendre ce que nous venons de développer, les non-clercs développent confiance, humilité, ignorance, obéissance ; ils admirent eux aussi les personnes ayant ce statut  etc. ; ils ont également le désir de la perfection et l’angoisse ( à proportion ) de ne pas être sauvés de la tentation, du péché  ou de la mort éternelle,  ils sont prêts à écouter et faire  ce qu’on leur dira ; ils entrent «  par complexe » parfois,  dans le raisonnement sur la valeur rédemptrice de la souffrance, de l’humiliation volontaire, de l’acceptation, du pardon inconditionnel aux bourreaux, des scrupules de conscience. Ce qui les empêche de raisonner sainement est aussi la notion de transcendance, celle de mystère et l’inversion prétendue des valeurs que Jésus aurait promue (les premiers/les derniers ; la richesse/la pauvreté, la soumission/la victoire  etc.).
Une part non négligeable de ces ressentis et de ces considérations est fondée sur des affirmations d’ordre théologique, sacramentel, ou religieux ; d’autres font référence à la tradition, à  la coutume, ou même à un vague consensus, à un préjugé voire  à l’impression personnelle d’autorités auto-référencées ou mal discernées …
Ces déviations qui nourrissent le cléricalisme sont amplifiées chez certains, voire soutenues ou même semées à partir de certaines conceptions qui sont affirmées remonter prétendument à l’époque de Jésus – ce qui est faux – et à certains aspects moraux éthiques et doctrinaux majeurs, (ou minimes mais qui sont montés en épingle par certains), On présente ces conceptions comme ayant la force de doctrines canoniques,  alors qu’ elles ont souvent été déjà dénoncées comme des tentations dans l’Evangile même, puis combattues  comme contraires à l’enseignement de l’Evangile et qu’un  observateur objectif ( de bon sens ou  professionnel)  peut facilement voir en quoi elles peuvent  favoriser et sous-tendre des attitudes abusives ou victimaires.
Certaines conceptions du prêtre et de l’Eglise constituant des difficultés supplémentaires plutôt que des aides, peuvent être parfois surmontées par certains fidèles, clercs et laïcs, très vertueux, mais  ne contribuent pas directement à amener au Royaume de Dieu ; pire, non seulement elles sont inadaptées à notre époque et aux Hommes de notre époque, mais elles ne sont pas exactes  par rapport à l’Evangile, ni justes ni bonnes en elles-mêmes ; elles ne sont pas fidèles à l’esprit de Evangile.

Avancer en redressant les sentiers

Ce n’est pas toute l’Eglise qui est à accuser : notre propos n’est pas anti-institutionnel, mais il cherche à aller jusqu’aux racines de ce qui a nourri  cette ivraie dans notre champ qui a ressemblé d’abord à une bonne plante avant de se révéler perverse. La laisser croître serait dangereux pour la récolte et le pain. On l’a laissé croître et il s’avère maintenant nécessaire que des gens compétents et attentifs nous en débarrassent.
Il y a urgence pour ce travail car actuellement le cléricalisme de certains clercs comme de certains laïcs tue et blesse.
Tout comme les laïcs, les clercs, formateurs ecclésiaux, catéchistes, doivent remettre  à jour leurs notions  d’histoire, de sociologie, de psychologie, leur connaissance des  textes grâce aux méthodes historico-critiques modernes… à moins qu’on ne veuille que nous croyions à des mythes.
C’est aussi aux théologiens, aux moralistes etc. , laïcs et clercs, de faire ce travail qui est de la responsabilité qu’ils ont acceptée d’assumer. Ils doivent  prendre le temps,  – mais en se pressant ! –   de remettre en place ce qui a été déplacé irrationnellement et de façon erronée.

Un meilleur discernement et une meilleure formation sont certes nécessaires pour éviter ces risques de déviance qui  créent ou confortent des criminels, mais le fait même que bien des victimes partagent les mêmes  idées « religieuses », avant même d’être la proie de certains clercs, ne pose-t-il pas  problème ? Les drames semblent  avoir été favorisés  par ces éléments de la doctrine de l’Eglise. Leur enseignement doit être immédiatement modifié pour prévenir des risques et rendre impossible leur instrumentalisation sur des victimes potentielles. Ces idées sont-elles saines ?  indispensables et constitutives de l’Evangile ? Si elles n’y sont pas fondamentales, y figurent-elles explicitement comme venant des paroles et de l’exemple en actes de  Jésus ? Si elles n’y sont pas explicites, y sont-elles implicitement ou  sont-ce des ajouts ? Si ces idées sont des ajouts, sont-ils canoniques, universels, définitifs ?  A toutes ces questions, la réponse semble historiquement « non » et également exégétiquement « non ».
Ces conceptions douteuses, limites, non-assurées en Jésus même si elles sont répandues au nom de l’Eglise, ne sont pas constitutives de notre Foi et ne se trouvent pas dans l’Evangile. Or il se trouve que ces conceptions ont déjà montré leurs insuffisances et que la crise met en évidence les nuisances ou les faiblesses qu’elles accentuent chez certaines personnes, et par ailleurs ces conceptions se sont avérées erronées dans l’absolu ou inadaptées à notre époque, tandis que les valeurs évangéliques fondamentales de notre foi en ressortent comme d’autant plus vivifiantes.

Par un concours surprenant de circonstances, concernant  les relations et les rapports de force entre l’Eglise et la société civile ou le Monde, des changements importants ont déjà eu lieu, bon gré mal gré pour tenir compte de l’époque, et l’on est obligé d’avouer que certains ont pour résultat inespéré de modifier ces conceptions qui se sont avérées erronées dans l’absolu ou inadaptées à notre époque : elles remédient peu à peu donc à ces nuisances, mais le retard est grand et grandes également sont les résistances chez des clercs comme des non-clercs, chez les prédateurs comme chez des victimes.
Par exemple, l’Eglise a perdu son autorité temporelle, ce qui correspondait à certaines conceptions religieuses ( Dieu/monde)  : c’est un bien puisqu’elle est en cela plus fidèle à l’Evangile. Elle doit se soumettre à la loi civile  ( faire un signalement auprès du procureur de la République et pousser la famille à déposer plainte, par exemple)  avant de prendre dans son domaine, les sanctions qui s’imposent (suspendre le prêtre de l’exercice de son ministère ). Elle se sécularise : c’est un bien puisque Jésus a  relativisé le sacré : la sacralisation et le hors-norme ont pris trop d’importance afin d’impressionner les fidèles et les incroyants d’autrefois, une manière de faire dont la vanité et la nocivité sautent aux yeux à notre époque. Aujourd’hui l’Eglise se déterritorialise ( c’est la fin des paroisses « obligatoires »  pour des raisons pratiques datant des siècles passés  )  et elle perd l’habitude de quantifier son pouvoir ( à travers ses possessions matérielles, son influence politique, le nombre de ses fidèles « réguliers »). Le système hiérarchique se modifie, la pyramide, la « tête », les catégories, les scissions, le niveau décisionnel changent  pour de la subsidiarité, le Sensus  fidei, plus d’égalité, de démocratie … : cela permet des relations plus ouvertes et plus vraies. C’est également une opportunité pour tous de revenir aux relations évangéliques. Le pouvoir est redistribué : là aussi, c’est plus conforme à l’Evangile.
De tels changements font baisser un christianisme superficiel de convention en même temps qu’ils restaurent la configuration baptismale : n’est-ce pas de là que s’éveilleront et se lèveront ceux qui voudront plus fort suivre  le Christ et seront peut-être les presbyteroi de demain ?

A la différence  de celui qui est imprégné de « cléricalisme » ou de ses conséquences, le fils de Dieu, et le prêtre comme tout clerc ou comme toute autorité qu’elle soit dans l’Eglise  ou en dehors, et à tout niveau, est respectueux des personnes : il là pour aimer, aider, faire grandir, éduquer… Il considère la personne comme un tout, ne méprise pas la sexualité,  ne s’obsède pas sur le salut de façon égoïste, fait appel à tous,  ne cherche pas la prépondérance des idées religieuses et du clergé dans les domaines temporels de la vie publique et politique.

Il y a en effet un socle commun entre le Monde et l’Eglise : la transcendance laïque, c’est la recherche du bien commun, un objectif auquel Jésus a souscrit et auquel l’Eglise en peut que souscrire. Les principes éthiques propres à l’universalisme sont  basés par exemple sur la Pyramide de Maslow et sur les Droits universels : l’autonomie, la bienveillance, la non-malfaisance, la justice, et l’on peut y ajouter deux Règles universelles : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse,  et «  Fais à autrui ce que tu voudrais que l’on te fasse » (qui est selon moi celle qui mérite le nom de Règle d’or).

Cette réflexion aura atteint son but si, comme le demandent avant tout les victimes pour se reconstruire, elle contribue à empêcher que cela continue.
En observant les racines de ce qui a permis à ces maux de perdurer à l’abri des sanctions, on trouve une  conception du « clerc » qui ne relève en rien de ce qui constitue notre Foi baptismale, et qui s’est construite au fil des siècles en s’écartant sur certains points importants, insensiblement, de l’Evangile.
Contrairement à ce que certains pensent et/ou disent, l’Eglise aujourd’hui, la foule des baptisés, est tout à fait en droit de  la modifier à nouveau, surtout si c’est pour l’adapter aux Hommes de notre époque  tout en reprenant la ligne que nous montre l’exemple de Jésus.
L’histoire des termes, leur étymologie mais surtout l’anthropologique et la sociologie,  montrent clairement le processus évolutif qui a conduit à ces écarts : le statut des clercs et du clergé a évolué de façon déséquilibré en direction d’une quasi-sacralisation et de  quasi-monopoles de fait. Le cléricalisme lui-même a aujourd’hui une ampleur et une complexité inégalée et a nécessité une nouvelle définition pour éclaire ce qu’il recouvre en profondeur.

Analyse lucide, diagnostic clairvoyant, remèdes adaptés forment une thérapeutique argumentée, compréhensible  et possible,  et ouvrent le chemin, tout éclairé par l’Evangile, vers une amélioration  ou une guérison…

Ce qui a permis ce mal, ces déviances  et ces tragédies, est, dans une certaine mesure, d’avoir pris  longtemps pour fondamentaux, originels, normaux, habituels, certains des discours et des fonctionnements de l’Eglise : ceux en particulier qui pouvaient et peuvent apporter des « avantages » institutionnels à court terme en s’appuyant sur des aspects doctrinaux en réalité accessoires et tardifs, mais qui aux yeux de certains peuvent parfois devenir essentiels et fondamentaux  au point de leur  « cacher » l’Evangile. Cela au risque de faciliter plus ou moins volontairement ces déviances connues d’avance… et déjà décrites dans l’Evangile.
A cause des souffrances humaines nées des dysfonctionnements que nous avons décrits,  les écailles tombent des yeux : concernant des éléments de la doctrine de l’Eglise et de ses pratiques, y compris jusqu’à certains éléments théologiques, rien ne s’oppose à ce qu’on modifie et/ou supprime ceux qui s’avèrent intrinsèquement nocifs, et l’on doit en équilibrer la lecture et l’interprétation des autres, tout en alertant sur les risques de dérives et en prenant les mesures pour les empêcher. C’est une thérapeutique « radicale » das tous les sens du terme.

Conclusion  en forme d’ouverture  pour sortir plus vite des abus d’autorité

Abus d’autorité et autoritarisme en interne …
Pensons à ces modifications qui ont déjà existé sur 2000 ans : n’est-ce pas un exemple qui en rend possible de nouvelles de nos jours ? Ces demandes et ces initiatives des laïcs  et des clercs eux-mêmes ne naissent pas de rien : elles sont inscrites dans l’exemple même de l’Evangile et dans une conception vivante de la Tradition qui doit lui être fidèle avant tout.
« Aller dans le sens de la continuité », c’est ce que fait le pape François, après cette parenthèse trop longue d’immobilité de plus en plus rigide qui a construit un statut sacralisé du prêtre bien différent ( pour ne pas dire quasiment à l’inverse) des souhaits de Jésus.
Il s’agit de continuer à changer, comme Jésus l’a fait pour nous le montrer.
L’Eglise doit « s’engager dans la transformation ecclésiale et sociale dont nous avons tant besoin », rappelle le pape François.
Par  exemple, les clercs, en ce qui les concerne, doivent savoir se mettre « à l’écoute de la voix du Christ qui parle à travers le Peuple tout entier ». Pas besoin alors de science très complexe ni de connaissances livresques : le bon sens et la droiture suffisent souvent, car la voix du Père est celle de nos frères.  Dans le même sens, les notions de Sensus fidei et de conscience éclairée de tous les baptisés commencent (enfin ? ) à rendre aux fidèles un peu de leur autorité à tous, y compris dans les domaines de la théologie et de la pastorale.

Et une attitude fraternelle exemplaire en externe
Par ailleurs et dans le même sens, l’Eglise n’a aucun droit pour édicter des lois qui supplanteraient de bonnes lois civiles : il n’y a aucun droit ecclésial qui remplace le Droit du pays.
L’Eglise est inscrite dans le monde, mais elle veut s’y inscrire en exerçant la capacité qu’elle espère avoir  de  créer du lien sur le plan spirituel, affectif, social : elle s’y  donne un rôle à jouer en rappelant des valeurs universelles.
L’Evangile appelle l’Eglise, non pas à répondre à la place de chaque société civile et laïque, mais à progresser encore avec tous les Hommes de bonne volonté vers le Bien commun  à travers le Bien individuel.

Marguerite Champeaux-Rousselot

[1] Les termes comme victimes, coupables, déviant, responsable, fautif, complice, etc. sont utilisés ici de manière générale, sans viser des personnes, pour étudier des situations et des principes. Ils n’ont ici pas de valeur juridique et n’ont pas pour but de condamner. Juger des personnes est hors de notre propos car chaque cas est complexe.

[2] Les masculins pluriels sont de généralité et englobent bien entendu masculin et féminin. Par exemple: clercs et victimes  désignent des personnes de tous âges, et de sexe masculin comme féminin.

[3] La pédophilie ici comprend ce qu’on appelait pédérastie, un terme trop mal connoté  jusqu’au XXème siècle pour continuer à être employé semble-t-il, mais philein est chérir, aimer d’amitié ou platoniquement et pourrait ne pas concerner le sexuel ; le verbe grec eraô signifie désirer et aimer de façon nettement érotique et concerne aussi voire surtout le sexuel. En grec, pais,paidos  peut désigner l’enfant au masculin comme au féminin.

[4] Nous disons « cela » mais pas seulement : en effet l’analyse et les propositions de ce document  sont transposables  pour des victimes adultes, et de même, la méthode employée est aisément transposable pour d’autres problématiques.

[5] http://www.cnrtl.fr/definition/

[6] Nous ne jugeons pas ici des culpabilités, ni au sens juridique ni au sens humain

[7] Le preneur d’otage se ressent parfois comme tout-puissant sur la victime, et la victime le ressent ainsi.

[8]  Severio Tomasella, , La folie cachée, Albin Michel, 2015, p. 136.

[9] Rappelons la définition générale que nous avons également proposée pour cette déviation en général : déviation de ceux qui pensent  que leur statut et leur autorité les mettent  au-dessus des lois civiles et leur donnent des droits sur certains  et agissent  comme si.

[10] Ceci plusieurs fois ( par exemple  Jérome, Epistulae, 52,5  et Deutéronome 18, 4.

[11] On ne dispose pas de descriptions systématiques complètes espacées et localisées. Le statut des veuves, vierges et moines en particulier n’est pas synthétisable du tout.

[12] http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3005

[13] Un exemple pris en Allemagne : 1 670 clercs ont « abusé » de 3 677 enfants entre 1946 et 2014 : un de ces clercs sur trois sévissait sur un enfant chaque année.  et cela pouvait durer plusieurs années. Ce pourcentage semble faible  mais il ne concerne que les enfants ( et les adultes ? ) et que les cas révélés aujourd’hui  ( et ceux qui sont encore tus pour les raisons évoquées, ou le seront toujours du fait de la mort ou qu’ils sont restés dans l’inconscient ? ) ? Les dégâts eux sont sans commune mesure avec des chiffres.

Autre chiffre : « selon une enquête du quotidien néerlandais NRC publié vendredi, plus de la moitié des évêques et cardinaux néerlandais actifs entre 1945 et 2010 ont eu connaissance d’agressions sexuelles commises au sein de l’Eglise catholique.» (La Croix, mardi 18 septembre 2018, page 19). Combien leur sont en outre restées inconnues ? On aimerait savoir aussi  combien ont fait leur devoir devant la loi.

[14] C’est le cas d’une victime qui évoque ici, non le prêtre dont il a été la proie, mais un autre clerc qui récemment encore, ne semble pas comprendre sa souffrance. Cette personne évoque une « trahison », une « grande désinvolture »« une absence de la plus élémentaire empathie » et « de la maltraitance » de la part de son évêque. Elle déclare : « Peu importe ma personne, et peu importe la personne de [mon évêque]. J’aimerais qu’un tel événement ne soit pas de la souffrance pour rien mais aide à faire réfléchir : comment sortir du cléricalisme ? Comment continuer à faire confiance au-delà du miel des mots qui prônent l’attention et la sollicitude nécessaires aux victimes ? Comment éviter que cela se reproduise ? » ( La Croix, article de Céline Hoyeau , le 14/09/2018 à 16h37) https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/SaintEtienne–la-colere-dun-pretre-abuse-contre-son-eveque-2018-09-14-1200968782?id_folder=1200819732&from_univers=lacroix&position=0

[15] La notion de miséricorde elle-même peut-être pervertie : seule la victime a le droit de déclarer qu’elle pardonne mais ce pardon «  personnel » ne supprime pas la justice civile. Celle-ci, beaucoup mieux établie qu’au temps de Jésus, doit s’exercer avant tout  et d’une façon égale pour tous les citoyens. La compassion de leurs concitoyens doit s’exercer au premier chef envers les victimes auxquelles on doit faire droit et qui doivent avoir réparation.

C’est à côté et en plus que les baptisés doivent être pleins de compassion pour les victimes. Ils peuvent ensuite exercer envers les coupables et les responsables des faits une certaine Miséricorde. Elle passe d’abord par le fait que ces derniers demandent  pardon aux victimes et leur proposent de quoi guérir autant que possible leurs plaies… La Miséricorde attend cette démarche par laquelle ils se font  « petits »  eux aussi au sens évangélique.