(2018-09-13)
Ce que nous, peuple de l’Église, apprenons sur les différences de statut actuelles et réelles au sein de ce qu’on appelle l’Église Institution.
Nous, fidèles et clercs, avons d’abord appris des chiffres : les actes sont trop nombreux (et plus qu’on ne le sait encore sans doute, car dans certaines zones, la chape qui fait garder le silence est encore plus lourde qu’ailleurs ) et la douleur des victimes est immense, mais le sujet que nous voulons aborder ici est la crise actuelle sous l’angle de la réaction de certains membres de l’Eglise Institution, à savoir certains des membre du peuple de Dieu qui ont autorité parce qu’ils sont clercs, ( à distinguer de ce que nous appellerons la base). Car la douleur des victimes sera encore plus grande si elles pensent que « cela » continuera… Elles souhaitent que leurs cas personnels soient dépassés, et leur ressenti éclaire les remèdes à proposer.
Un évêque de France vient de dire tout récemment son regret du fait qu’un évêque « n’a de comptes à rendre à personne », que « Vers le bas, on essaie de rendre compte de ce qu’on fait mais c’est vrai qu’on a de grands moments de solitude. Personne ne vient me superviser et je le déplore. »… Dans quel monde cet évêque bien à plaindre vit-il…
Nous apprenons aujourd’hui avec stupeur que la « pénitence » n’empêchait pas les chrétiens criminels sur ce sujet ( prêtres éventuellement) de continuer sans être inquiétés ( c’est Jésus qui a institué ce « secret » de la confession ? ) et que les sanctions contre les prêtres coupables restaient internes et secrètes, même si elles étaient insuffisantes pour leur faire arrêter leurs méfaits… ! Est-ce cela le discernement des personnes ordonnées pour le bien des Hommes ? « Fautes avouée est à demi-pardonnée » : peut-être cette phrase maladroite encourage-elle à formuler l’aveu et le regret, mais l’autre moitié du pardon ne relève que de la victime et d’elle-seule.
(N.B. Ces phrases sont dures et on hésite à les écrire… Il nous semble utile de préciser ce qui suit et concerne bien d’autres problèmes aussi. Nous ne jugeons pas les personnes accusées ni dites coupables : parmi elles, beaucoup ont commencé elles-mêmes par être des victimes, beaucoup ont des circonstances atténuantes, beaucoup n’ont pas réalisé, mais il faut oser supposer des cas bien tranchés et ne jamais oublier, en plus d’une justice humaine nuancée, la compassion, la miséricorde et l’ouverture à un chemin de vie comme Jésus nous a montré à le faire. Sinon, jamais on ne pourra s’occuper vraiment de leurs victimes. cf. sur ce site l’article sur le cléricalisme : Pour une thérapeutique du cléricalisme )
Nous lisons que des chrétiens, dont des « responsables » d’Eglise Institution, avancent une excuse en disant que c’était pour éviter un scandale, un terme à bien comprendre : quelle analyse … : « Malheur à celui par qui le scandale arrive », oui, mais ce scandale , c’est d’abord le coupable qui en est responsable en ayant fait une victime et c’est ensuite que des personnes, ayant même une minuscule parcelle d’autorité, s’en servent 1°) au détriment de ceux qu’elles doivent faire grandir, 2°) pas pour sanctionner les coupables sur qui ils ont autorité, 3°) pour échapper aux lois civiles de la société dont ils font partie, aux lois naturelles et de bon sens dont vit l’être humain et tout cela en opposition complète à leurs textes fondateurs et à l’exemple de celui qu’ils prétendent imiter ! On ne peut plus parler de paradoxe, de conflit de loyauté, d’indulgence et de miséricorde : on doit se questionner au niveau d’une perversion, d’une rétroversion, de tout un système théologique. Pour un chrétien fidèle à l’Eglise, mieux valait ne jamais être confronté à cette question… Des « responsables », clercs ou non, avaient ainsi ajouté l’hypocrisie ou l’indifférence à ce qu’ils couvraient sciemment…, les clercs en se considérant comme si sacrés qu’ils étaient hors d’atteinte de la justice civile qui ne les concernait pas, et ne se soumettaient à aucune justice.
Nous, la base, les petits, les sans-grades, qui faisons partie du peuple de l’Eglise, sommes obligés de nous marier d’abord à la mairie de notre République française avant de nous marier à l’église, ou de divorcer d’abord de notre mariage civil avant de demander une reconnaissance de nullité de mariage, nous apprenons que l’Eglise Institution ne juge pas obligatoire de transmettre à la justice civile les cas de ses clercs qui relèvent de la justice ecclésiastique ! Nous qui déclarons nos enfants à la mairie avant de les faire baptiser, nous estimons que c’est dans un ordre qui nous semble normal, car c’est Jésus qui nous a appris que la laïcité bien comprise est « de base ».
Nous apprenons ainsi que l’Eglise Institution a un arsenal varié de discours et de lois, des théories différentes de sa pratique, bien cachés dans des compartiments étanches codés. Que sa méfiance envers le monde a des causes peu honorables et que sa distance avec lui, avec nous, est bien trop grande pour qu’ils en prennent seulement la mesure réelle….
La lettre des évêques de France : une pomme pourrie et tout le cageot est concerné ?
Devant les révélations et la crise actuelle, les évêques de France, non pas « des » cette fois, mais « les évêques », ont rédigé et signé une Lettre publique.
Ils y regrettent certes vivement et de tout leur cœur que des clercs aient commis des actes pédophiles, ils le regrettent pour les victimes, mais leur Lettre traduit un état d’esprit qui ne concourra pas, hélas, à faire cesser ces actes. Ici, nous ne traiterons pas des crimes qui ont été commis (en actes, par omission volontaire ou non), mais d’une de leurs causes indirectes, essentielle selon nous, et des remèdes qu’on pourrait y apporter, démarche indispensable et action nécessaire, sinon ces actes longtemps cachés, rarement punis, continueront.
D’abord sur un plan de simple bons sens.
Si les gouvernants d’un pays démocratique qui avait élu démocratiquement 150 ans auparavant les gouvernants qui avaient ordonné alors de commettre un génocide, demandent un siècle et demi après pardon au peuple décimé : chacun peut le comprendre, car ce ne sont pas certes les citoyens vivants qui sont responsables, mais le « pays » ( et il y a sans doute une éducation à consolider ). Mais là, qui, de l’Eglise, a ordonné à ces personnes criminelles de faire ces actes et qui a demandé de les couvrir ? A quel niveau de l’Eglise ? Le Pape élu d’alors ? Non. Les fidèles de base ont-ils une structure où ils peuvent décider de cela ? Non. La Conférence des Evêques de France d’alors ? Non. Certains seulement ont fait ou couvert ces actes.
Selon moi, l’ensemble des évêques, les évêques actuels de France n’ont pas à battre sincèrement leur coulpe s’ils n’ont pas tous personnellement commis ces actes ou couverts des gens. Le faire ainsi en groupe revient presque à ne la battre que symboliquement, et personne n’en est plus dupe aujourd’hui quand les faits sont également récents ou contemporains. Cela ne correspond pas à ce qui est demandé par le Droit.
Cette Lettre peut même faire l’effet d’un masque : ce genre de paroles est si facile à dire, elles font bien, elles peuvent même diluer la faute, c’est parfois un moyen facile de faire tomber la pression quand les victimes ne sont pas agressives, elles évitent parfois les actes réels de justice et de vraie compassion.
Pour une pomme pourrie, on ne jette pas tout un cageot qui semble plein de belles pommes et on ne demande pas à toute la filière de signer une déclaration de responsabilité ! On l’enlève, on vérifie les autres pommes et on les conserve. On observe la cause. On n’accuse pas toute ceux qui ont participé à produire tout ce cageot de pommes, bonnes sauf une… On regarde comment elle est arrivée là car cette pomme est significative : sa présence est inquiétante mais évaluation, diagnostic et modifications permettront d’éviter pire et d’améliorer la récolte…
Ou encore imagine-t-on la réaction si, à cause de Weinstein tous les « producteurs » de cinéma tous ensemble avaient battu leur coulpe sans rien avoir prévu comme action envers les victimes ? Que si cela avait semblé insuffisant , ils se seraient fait ensuite accompagner de tout leurs corps de métier, du financeur à l’auteur en passant par le balayeur du plateau, « obligés » au nom d’une solidarité liée à leur survie, leur contrat de travail , et toujours sans rien avoir prévu comme action envers les victimes ni comme réflexion sur les causes et les moyens d’empêcher la chose ?
La Lettre de la CEF témoigne certes d’un regret sincère, – peut-être sont-ils tous innocents de tout ! et acceptent-ils par idéal de faire office de bouc émissaire ou d’agneau sacrifié ? – mais ils continuent à raisonner en pensant que la base leur a délégué sans condition tout pouvoir de les entraîner ainsi avec eux : savent-ils si c’est vrai , ou n’est-ce qu’un jeu d’apparence et de langage ?
Par ailleurs, exprimer leur regret de leur groupe hiérarchique, vrai !, cela ne devrait rien avoir d’extraordinaire ! Cela n’a rien d’extraordinaire : toute personne sensée devant les actes commis par des collègues, actes qui compromettent la réputation du groupe ou de leur leader, ressent du regret. Mais si quelques choristes ou grand-mères de quelque part commettent des crimes, qu’on identifie certains coupables (et encore pas tous), tous les choristes ou les grands-mères vont devoir déclarer leurs regrets, et, mieux encore selon un idéal perverti, s’en déclarer responsables en affaiblissant le sens de ce mot ? Jésus n’a jamais catégorisé ses interlocuteurs.
Et ce type de regret affiché par les évêques est–il univoque pour tous ? Est-ce un regret pour les victimes, ou et/ un regret pour sa propre réputation ou celle du groupe (intérêts personnels compris, fût-ce celui d’un idéal mal mûri) ? L’expression du regret peut-être une réaction réduite à son minimum : on connait tous trop bien le ton réticent de l’enfant obligé de dire : « je regrette ». On mesure là le décalage qui existe entre le monde entre-soi de ceux qui ont signé ce texte et celui de tous les hommes, qui sont tous fils de Dieu, baptisés ou non : un décalage immense, et scandaleux car un tel texte en éloigne encore beaucoup de leur Père.
La solidarité illusoire des raisonnements ecclésiaux fondés sur « un seul Corps »
Cette solidarité réclamée dans la Lettre est un affichage que le bon sens peut percevoir à juste titre comme une illusion. Mais sur un plan ecclésial il en est de même.
Que nous apprend donc sur le fonctionnement actuel de l’Eglise cette Lettre ?
Nous, chrétiens, on le sait, nous sommes loin d’avoir gagné notre participation pleine et entière à la gouvernance de l’Eglise Institution ; nous chrétiens ou clercs qui réclamons de quitter les principes qui ont conduit à Trente et au-delà, pour s’inspirer de nouveau de l’Evangile, à la manière de Vatican II ou de tant d’autres chrétiens mis à l’index, on nous oppose ( !) magnifiquement le fait que nous sommes déjà tous « prêtres prophètes et rois »[1], mais de fait certains membres de la hiérarchie ( au nom de ce préfixe hiero-, c’est à dire au nom du « sacré » ) continuent à pratiquer, au nom d’un idéal de sacré, des niveaux dans l’Eglise, empêchant de gommer les cloisons et les différences au sein du peuple de l’Eglise ( tous les chrétiens ) …
Or cette Lettre ayant l’autorité impressionnante de tous les évêques ensemble, invite solennellement aujourd’hui tous les fidèles français ( et espère sans doute être imitée ailleurs ) ou même les entraîne, leur propose de se sentie eux aussi « responsables » en Eglise, à jeuner etc., alors même qu’ils ne sont pas personnellement coupables de ces actes, ni fautifs en les ayant couverts de leur propre autorité. Il s’agit là, quand on y réfléchit, de l’emploi occasionnel du terme qui manifeste l’existence d’un double langage.
Paradoxe, cet appel des évêques à « notre solidarité » témoigne en effet, qu’ils savent changer de registre : parmi ceux, certains font appel bien plus souvent à notre vertus d’humilité et de service pour repousser le plus possible le fait de reconnaître, (car c’est «risqué » pour les exclusivités de leur structure Eglise institution), la vertu prophétique, la capacité de témoigner, la vertu théologique, les charismes des non-clercs. Ici cet appel à notre solidarité, qu’ils considèrent comme acquise, car l’Eglise institution peut se dire l’Eglise, nous donnerait l’illusion – et ils le croient peut-être – que les non-clercs sont les égaux des clercs alors qu’ils sont traités sauf exception locale, très concrètement, juridiquement et culturellement, comme différentes catégories de « mineurs ». La solidarité du corps de l’Eglise ne fonctionnerait-elle donc que dans ce sens ? Quand Jésus combattait le mépris des petits et la tentation des hiérarchies, il était cohérent. Avec lui, le Puissant et les puissants abritent les faibles. et les faibles ne sont pas obligés de faire pénitence pour les autres.
Je suis trop sévère peut-être mais c’est que je suis inquiète parce que dans leur Lettre, ces personnes qui « ont des yeux mais ne voient pas » ne mentionnent toujours pas les initiatives antérieures des non-clercs sur ce sujet ils proposent en effet à l’Eglise y compris aux laïcs, d’être « solidaires », car « tous responsables les uns par culpabilité ou complicité, les autres par solidarité ou parce que manipulés (par les pédophiles) Il ne manque plus au tableau qu’on y accuse particulièrement les femmes d’avoir mal élevé les clercs pédophiles quand ils n’étaient pas encore clercs ! Certains des signataires pourraient souhaiter faire porter à d’autres leur fardeau et battre leur coulpe, réelle ou symbolique, sur notre poitrine : cela leur ferait moins mal… En fait, même si nous ne sous sentons pas responsables, même si nous n’avons pas couvert ces actes, ils nous demandent et même ils font comme si nous acceptions de nous déclarer responsables avec eux : certes cela diluerait leur responsabilité et éviterait encore aux clercs d’être la cible de la contestation, cette contestation qui serait si nuisible aux vocations dans l’Eglise. Mais ceci est encore une instrumentalisation de valeurs qu’ils martèlent souvent, nous y reviendrons, manipulation peut-être inconsciente dont eux-mêmes sont encore vecteurs à leur insu dans cette Lettre.
Le bloc des évêques actuels de France avoue tous ensemble son ignorance passée. C’est sinistre et inquiétant (quoi d’autre ignorent-ils encore ?) … Cette déclaration offrira sur un plateau une circonstance atténuante de plus à plaider pour ceux qui mériteront d’être accusés, mais cette ignorance est gravissime à bien d’autres égards évidemment. Naïveté d’un groupe de dirigeants missionnés pourvus d’autorité pour avoir un impact social fort, voire quasi-absolu, et qui avoue son décalage complet avec les âmes et les corps du monde vivant réel qu’il s’obstinait, fort de son autorité, à guider pour leur bien malgré leurs protestations… Qui ne se sentirait en droit de quitter d’aussi mauvais bergers ? Mais ne prenons cet aveu que sous un seul angle : ils pensent donc que l’aveu de leur ignorance suffit ? que leur naïveté involontaire n’est pas sanctionnable ? Ce n’est quand même pas une excuse recevable qui panse la douleur ! Pourraient-ils compléter la phrase « Cette ignorance est d’autant plus grave, de notre part, que … » ? Encore une fois, circuit en boucle du monde des clercs … Le peuple était compétent, les victimes étaient compétentes… mais certains des responsables les ont jugés non recevables : n’est-ce pas en fait une volonté ou une envie inconsciente d’ignorer ? Avouer un tel dysfonctionnement dispenserait-il un chef d’entreprise de remettre en cause sa doctrine et sa pratique, voire de remettre en cause son autorité, et même son poste ? Outre que naturellement certains y verront qu’ils ouvrent un parachute troué (ils avouent que l’Esprit Saint n’était pas aux commandes), on peut se demander comment les évêques actuels qui ont été nommés ne ressentent même pas le besoin de demander à être revalidés dans leurs diocèses par tous les baptisés qu’ils ont ignorés ou dont ils ont bien du mal à entendre les demandes voire les plaintes. Préfèrent-ils oublier que les premiers évêques étaient élus par leurs pairs, c’est-à-dire par tous et toutes, et pas à vie s’ils étaient de mauvais évêques ?
Une Lettre du médecin qui ne peut guère… guérir le malade : comment en sont-ils chacun arrivés là ?
Si le bloc des évêques va contre le bon sens et le Droit pour demander une solidarité à ceux qui sont blessés, en croyant leur proposer un acte sain et saint, cela peut-il panser les plaies et éradiquer le mal ?
Supposent-ils donc maintenant qu’il suffisait de reconnaître publiquement cette ignorance non seulement pour être absous de leurs préjugés, de leur incurie ou de leur manque de discernement et de soin, pour que, miracle, leur ignorance s’envole ? Pour qu’ils sachent désormais encore et toujours tandis que les autres… ignorent encore et toujours ?!
S’ils se sentent tous sûrs d’eux au point de ne pas remettre en cause d’eux-mêmes leur propre place à vie alors qu’ils ont été nommés par leur caste – pardon le mot est trop dur – et n’ont pas/plus été élus par les baptisés d’ « en bas » qu’ils ignorent… méritent-ils leur noms bi-millénaire d’Anciens ( presbuteroi = sages) et de « Surveillants » ( episcopos ) ?
Faire de telles déclarations et signer une telle Lettre tous ensemble sans les doubler d’une action unanime, sans dire clairement ce qu’ils vont faire eux-mêmes pour remédier aux causes directes et indirectes de ces actes longtemps cachés, rarement punis, et donc, vu la nature humaine, continuables, c’est ne pas respecter les victimes passées ni futures.
Nous – et le monde – avons appris tant de théories et de pratiques qui étaient cachées par tant de discours doubles, que seuls des actes de justice et les changements curatifs et préventifs permettront de voir cette Lettre autrement que pleine de bonnes intentions, mais enfantine, infantile, ou pire, hypocrite.
Or la Lettre ne témoigne pas qu’ils ont fait l’analyse des causes qui ont conduit à cette situation. Va-t-on donc rester avec des actes longtemps cachés, rarement punis, grâce à un fonctionnement tout différent de celui suggéré par l’Evangile et vécu aux débuts de l’Eglise ?
Cette construction de l’Institution est très différente de ce que les Évangiles disent de ce que Jésus vivait par rapport aux structures religieuses de son temps et par rapport à ce qu’il en souhaitait comme renouvellement.
Encore absente de l’Evangile, l’assemblée des chrétiens s’est peu à peu constituée en Eglise ayant une mission prophétique. Elle a progressivement affirmé ne faire qu’un seul corps, pyramidal et réparti en catégories hiérarchiques, à l’image du Christ, avec à sa tête, le clergé, participant de si près au sacré qu’il était quasi-sacré lui-même. Les clercs ( au début le mot n’existait pas) , pour ne pas tomber dans l’orgueil, ont défini leur position comme celle de ministres, c’est-à-dire au service de tous ceux qui constituent la base de l’Eglise, c’est-à-dire des baptisés, des fidèles, de toute leur personne, âme et corps compris.
L’Eglise Institution actuelle malheureusement tient sur certains points une ligne qui oblique parfois par rapport à l’Evangile, et la divergence est si grande qu’elle va parfois à l’inverse de la direction initiale montrée par Jésus. De ce fait, les théologiens et les mystiques qui ont bâti cette organisation et cette théologie en croyant sans doute bien faire d’ailleurs, ont été obligés de créer un langage adapté afin de « gérer » la différence avec l’’Evangile, un langage qui est en quelque sorte double par nature : nous en verrons plus loin les manifestations et les conséquences. Une crise comme celle d’aujourd’hui crève le superbe décor peint qui faisait illusion à certains et empêchait de voir la divergence et les problèmes : elle resitue la ligne de l’Eglise par rapport celle à l’Evangile.
Une Eglise fonctionnant à certains endroits en circuit fermé mortifère, et marchant au cléricalisme
Si l’on observe au pied d’un rosier chéri un rejet qui s’avère un gourmand ou sur un pommier plein de fruits une branches qui est racornie, on peut en tirer les leçons et agir.
L’Eglise Institution est née en se séparant à certains endroits de l’Eglise peuple ; elle a produit à certains endroits un système erroné et inadapté qui a perverti les valeurs de l’Evangile à travers une théologie et une morale ecclésiastiques qui a modifié l’assemblée des chrétiens pour en faire un corps unique et pyramidal où certains représentaient une hiérarchie dite de droit divin, ce qui incline vers un pouvoir, de fait, absolu. Elle a peu à peu dérivé, influencée par le contexte et cherchant « par tous les moyens » ( j’exagère un peu bien sûr ! ) certains résultats qui lui semblaient bons alors, croyant bien faire de pousser son troupeau souvent rétif mais sincèrement humble devant eux, les clercs, ceux qui donnaient généreusement leur vie à Dieu…
Il faut faire la part des choses : l’Evangile est toujours là, mais la crise actuelle révèle la réalité de ce dont beaucoup se sont plaints depuis des siècles : une doctrine et une tradition apostolique et sous-entendue remontant à Jésus, mais devenue auto-référentielle et cléricalisante qui sacralisait quasiment les clercs et les couvrait – à leur insu peut-être – par des moyens contraires en fait à l’enseignement de Jésus. Un monde plein de bonnes intentions sans doute, mais en circuit fermé, artificiel et trop différent de celui de l’Evangile.
Il faut remettre en cause les vices et les causes décelées de ces défauts.
Par chance nous avons un bon jardinier…
Cette pomme tavelée, marquée de brunissures, ne signe pas la mort de l’arbre tout entier : il a fait et fera encore plein de bonnes pommes… mais il y a danger.
Ceux qui sont réellement responsables doivent réfléchir et lever les obstacles.
Il leur faut considérer que le monde et les hommes sont le niveau basique de sa structure qui ne peut pas être en contradiction avec Dieu ou le divin, l’Evangile étant précisément en accord avec l’humain d’abord avant de passer au niveau du divin.
Les psychologues le disent, la victime ne peut se reconstruire et pardonner qu’après qu’on lui ait fait justice et non déni de justice : comme pour tout procès où il y a une victime, Les responsables d’Eglise se doivent de verser les indemnités aux victimes, fixer des peines éventuellement etc. Ils devraient prendre les devants au lieu d’attendre de passer après la justice civile. La justice civile ensuite peut dire si c’est suffisant et juste ou non. La loi sert à protéger les faibles. L’Eglise doit aussi s’inscrire dans la Justice des Hommes, cela est de base, mais elle a à faire entendre également la voix de Jésus dans le traitement de ceux qui ont commis ces actes.
L’Eglise Institution est en fait inévitablement (également et concrètement avant le reste) une institution humaine, ce qui a des conséquences claires en matière d’atouts, d’inconvénients, de règles de fonctionnement. La transparence y est de règle etc. Elle ne peut être en dehors des règles de Droit lorsqu’il est conforme aux Droits de l’Homme universels, démocratie, justice etc. : c’est un minimum qu’elle s’y conforme. Il n’y a aucune raison pour que les chrétiens dont les clercs soient mis à part de la justice civile. Cela n’empêche pas que l’Eglise (tous ses membres et non pas seulement un petit nombre nommé… ) exerce également une justice canonique, sur d’autres critères, les valeurs qu’elle promeut et les engagements pris, mais cela viendra en plus, comme pour l’Ordre des Médecins par exemple.
Dans la Lettre, les évêques, en bloc, se reconnaissent tous ensemble responsables. C’est trop et trop peu…
Leur ignorance passée est au moins aussi grave que le fait de ne pas préciser les causes de leur ignorance, – qu’ils connaissent pourtant souvent, ni en quoi ils sont responsables de cette ignorance, ni ce qui va y remédier. Leur désintérêt (inconscient) pour en trouver les causes se voit car ils ne cherchent pas ardemment tous les moyens possibles d’y remédier et ne font pas appel à tous : par exemple ils recourent trop peu aux compétences des non-chrétiens et encore moins à ceux qui ont eu raison trop tôt….
En demandant à leurs ouailles de faire pénitence en martelant là encore implicitement ou nommément des valeurs comme sacrifice, humiliation, valeur de la souffrance, sont-ils conscients qu’on pourrait croire qu’ils cherchent à assurer leur emprise sur eux et à diminuer leur propre solitude et la pression qui s’exerce sur eux ?
Je veux bien jeûner et prier, mais c’est par par compassion et par sympathie.
A la liste qu’ils évoquent, il serait beaucoup plus juste d’ajouter que les chrétiens s’interroger sur des affirmations qui ont abouti peu ou prou à sacraliser les prêtres : un processus peut-être inconscient dont eux-mêmes sont encore vecteurs à leur insu dans cette Lettre.
On peut craindre que, même l’Enfer étant pavé de bonnes intentions, le sol de l’Eglise soit bientôt trop brûlant : bien des fidèles sont déjà partis ou en réserve de l’Eglise. La santé psychologique de tous passe avant des demandes qui font appel au coeur mais correspondent assez mal aux besoins de la situation.
Relisons donc honnêtement nos vies à tous, mais relisons aussi cette Lettre qui a ceci de bon qu’elle permet de proposer un diagnostic et des remèdes… Elle est instructive en ce sens qu’elle permet de lire les causes profondes de la crise et de faire un pronostic à long terme.
Si les clercs peuvent être ou avoir été utiles au monde, c’est le cléricalisme qui en a rendu certains inconscients de leur faute, sûrs d’être légitimement pardonnés et non inquiétés, d’autres sourds et aveugles aux victimes comme aux plaignants et au monde ; c’est le cléricalisme qui a fait croire même au non-clercs que l’Eglise, et surtout les élites de l’Eglise Institution ( les clercs, peu nombreux mais d’autant plus vénérables ) n’avaient pas à se soumettre aux structures ordinaires ( mais normales) du monde, aux limites même justes ( le Droit) ; ce sont ces conceptions nourries d’un faux idéal qui ont perverti les notions du scandale, de la faute et du péché, de la miséricorde et du pardon, de la victime et de coupable et ont empêché de saines réactions. ( cf. article « Pour une thérapeutique du cléricalisme : clercs, non-clercs et … doctrine » sur https://recherches-entrecroisees.net/2018/10/24/clericalisme-histoire-doctrine/ )
Appropriation, emprise, lavage de cerveau au nom des valeurs ou de l’idéal mis au service d’intérêts personnels ou d’une religion mal comprise, instrumentalisation du divin et du relationnel, abus d’autorité physique et même spirituelle, volonté de pouvoir et de puissance mal orientée, mensonges persuasifs, séduction, perversion à son propre service de notions comme la solidarité du groupe créé ou des individus, autorisation, entre personnes choisies, de l’hypocrisie ou du laxisme…
Il s’agit donc de résister quand il le faut et en particulier, de déconstruire le cléricalisme, cette dérive qui a atteint ses limites et se révèle une structure qui n’apporte plus rien ( si tant est qu’elle a apporté) mais montre à nu son ossature de péché habillé de double langage. Evitons la langue cléricale et ses arguments religieux qui ne sont pas dans l’Evangile et ne lui correspondent pas. En particulier, aucune notion religieuse, ou symbolique ne peut être instrumentalisée par certains à leur profit – même au profit d’une certaine conception altruiste invoquée, celle d’un Royaume de Dieu puissant en nombre d’âmes prétendument sauvées par la carotte et le bâton … Dieu ne demande pas qu’on lui acquière un grand « nombre de divisions » comme dans une armée : c’est une conception matérialiste, païenne et anthropomorphiste.
Au sein de l’Eglise Institution mais même dans le catéchisme et les consciences des chrétiens, certaines notions cléricales ou cléricalisées en entre-soi, en circuit fermé, doivent être clairement et expressément décléricalisées : citons des notions à titre d’exemple – car tout cela est lié – : sacré, sacrements dont les fondements de la confession ( l’Evangile d’ailleurs a été déformé sur cette notion de l’aveu de la faute, de la réparation et du pardon, du secret ) et de l’Ordre, sacrifice, autorité, péché, pureté/sexualité, infaillibilité, dogme, l’Eglise corps du Christ, épouse du Christ…
Cherchons à faire, toutes choses égales, – comme Jésus : il a veillé sur ses frères ( corps, cœurs et âmes) sans distinction, et en remettant en cause toutes les catégories. Il s’est entièrement soumis à la loi civile et humaine quand elle lui semblait « juste » ou secondaire. Il n’a pas fondé un corps constitué et hiérarchisé comme une administration pour lui « rendre un culte ». Il n’a même pas demandé que ses disciples soient soudés ensemble en un bloc « prophétique » ni ne prennent la tête de l’Humanité en rabaissant les autres. Il a même tenu avec cohérence une posture contre-cléricale quand il le fallait et a dénoncé certains scandales des clercs de son époque : il n’a pas cherché à protéger en bloc une future « Eglise » d’alors, ni le Temple, ni le sacré, mais les a, quand il le fallait, attaqués avec des arguments au nom d’un Dieu Père et Amour. Jésus a demandé simplement que ses disciples annoncent par leurs actes le Royaume et le proposent.
Il faut réviser également à la lumière de l’Evangile des notions pseudo-symboliques ou faussement religieuses : clercs à respecter comme d’autres Christ, corps piège du mal, souffrance rédemptrice en elle-même, péché originel transmis de père en fils etc. Une reconformation des structures à l’esprit de l’Evangile est nécessaire (- et il ne s’agit pas de s’adapter à l’époque pour être entendu, ce ne serait qu’un objectif à court terme concernant les moyens et vite périmable !! mais de faire circuler la sève souple de l’Evangile intact ). D’autres grands pans de théologie sont à édifier comme les notions de l’Eglise et du Monde, du Sensus Fidéi, de subsidiarité et de synodalité, de Toute-Puissance, de Vie éternelle etc., avec l’aide de clercs éventuels et de non-clercs ayant la même autorité, au sens positif, même si leurs compétences et leurs charismes sont différents.
L’Histoire de l’Eglise – et même la Bible tout entière – est à relire également avec honnêteté et cohérence par rapport aux valeurs de l’Evangile : si les clercs de l’Eglise Institution ont perdu leur pouvoir temporel (vice exponentiel de fonctionnement, sable mouvant où l’Eglise institution naissante s’est enfoncée depuis son pacte avec Constantin ), cela fait froid dans le dos que, alors qu’elle a été dépouillée progressivement et de force de presque tout ses pouvoirs ( temporel, intellectuel, moral, d’influence etc. ) elle ait encore eu ces capacités de secret et sur ses victimes et sur leurs défenseurs.
Plus que l’Eglise, notion qui comprend le peuple tout entier et donc beaucoup de victimes, d’innocents ou de résistants à ces dérives, c’est cette manière de voir et de bâtir l’Eglise, manière belle d’apparence, centripète, nombriliste, se promouvant elle-même et s’auto-justifiant, qui est celle qui a causé en grande partie et ces actes (sujet volontairement non abordé ici) et leur dissimulation et la crise actuelle. Son organisation pyramidale calquée sur celle des moins bons côtés du monde, avec nominations de haut en bas, a laissé supposer à tous que, dans l’Eglise aussi, la valeur augmentait en « montant » : cela ressemblerait plutôt à celle des empereurs romains, des rois, de Napoléon 1er, de la République, des firmes commerciales ou des partis politiques, qu’à la Bonne nouvelle. Cette Institution voulue une organisation efficace et utile dans son cadre relatif et pragmatique, doit se réorienter. Ce type d’organisation, même dans le monde civil, montre ses limites, des limites que l’Evangile éclaire pour l’Eglise.
La crise est à saisir comme une chance : le linge sale passe un sale quart d’heure quand il est lessivé, mais après, quelle beauté utile ! Si l’on juge l’arbre à ses fruits, certaines branches de la théologie ou de ce qu’on en a prétendu, sont à tailler pour laisser passer l’air et la lumière et permettre à la sève de mieux circuler de nouveau. Le jardinier le plus compétent est celui de l’Evangile. On s’apercevra d’ailleurs alors que l’unité de l’Eglise pourrait s’en refaire plus facilement.
Sans (le) cléricalisme, les chrétiens de l’Eglise peuvent donc être tout simplement ensemble un exemple à suivre parmi d’autres institutions humaines ou religieuses, et ses baptisés, être des exemples parmi d’autres, et c’est déjà beaucoup.
Respect, empathie, justice, honnêteté, égalité de valeurs de tous, permettront autorité, vérité, éthique et proximité avec Dieu et tous nos frères même non-baptisés.
Marguerite Champeaux-Rousselot
2018-09-13
[1] y compris les filles servantes d’autel interdites de s’en approcher dorénavant, et les femmes qui désormais ne peuvent plus toucher aux calices et aux ciboires même vides ( authentique)
Une réflexion sur “L’Église du trop et du trop peu… Une pomme talée dans tout un cageot, c’est l’Église ?”