Faut-il continuer à se référer au « sacrifice » de Melchisedek  comme à un modèle ?

(Marguerite Champeaux-Rousselot, 2018-09-10)

Plan :

Topo sur les prêtres et lévites dans l’AT

Explorations  en cinq étapes pour nous faire réfléchir à notre aujourd’hui à ce sujet.

1°) la rencontre avec Abraham,

2°) le psaume 109 ou 110,

3°) l’Epitre aux Hébreux

4°) l’Evangile

5°)  Melchisédech et son utilisation au III° siècle ap. J.-C. et ensuite.

Des réflexions actuelles

A chaque messe, depuis des  siècles nous mentionnons Melchisédech, ainsi écrit en français dans le missel…

«  Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisédech  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »1

Supra quae propítio ac seréno vultu respícere dignéris: et accépta habére, sícuti accépta habére dignátus es múnera púeri tui iusti Abel, et sacrifícium Patriárchae nostri Abrahae, et quod tibi óbtulit summus sacérdos tuus Melchísedech, sanctum sacrifícium, immaculátam hóstiam. 

Nous sommes habitués à entendre ce texte, à considérer que Dieu se plaît à ces sacrifices, que nous avons donc besoin de lui en présenter, en tâchant de ressembler à Abel, Abraham et Melchisedek.

Ici comme nous réfléchissons pour notre aujourd’hui à la notion du sacrifice et à la place du prêtre, nous nous sommes occupés plus spécialement de Melchisedech.

Une parenthèse sur l’orthographe de son nom : le ch est d’influence grecque et latine, son nom hébreu  étant מַלְכֵּי־צֶדֶק (malkî-ṣedeq).  On peut donc le transcrire plus fidèlement aujourd’hui  Melkisedeq. On trouve aussi les transcriptions suivantes avec dans l’ordre 1° ) ch ou k, 2°) accent ou pas, 3°) s ou z , et 4°) q,ch ou k. Soit   Melchisédek, Melchisédech, Melchisédeq,  Melkizedech, ou encore Melchizedek etc. et on trouve même Melkitsedeq… .      

– 1° Nous allons commencer par regarder exactement qui était ce Melkisédech lors de sa première apparition dans quelques lignes du Tanakh, lors de sa rencontre avec Abraham.

– 2° Il n’apparaît plus ensuite sauf dans un psaume dont nous étudierons le texte pour comprendre comment certains juifs ont glosé sur ce texte.

– La 3e étape, l’allusion à Melchisédech dans l’Epître aux Hébreux, permet également de mieux comprendre le point de vue que les chrétiens ont soutenu au départ : en effet, celle-ci qui concerne le sacrifice est destinée à s’opposer au fait que, au sein même de l’Eglise et parmi les chrétiens d’alors, il devrait y avoir des prêtres comme l’Ancien Testament. Cette Epître aux Hébreux commence donc par valider le fait que Jésus est un grand prêtre qui était préfiguré par Melchisedek, affirme que le sacrifice de Jésus est accompli une fois pour toutes et qu’on n’a plus besoin de le refaire, et donc qu’il est inutile et impossible qu’il y ait des prêtres parmi les chrétiens comme il y en avait pour le peuple hébreu.

– La 4° étape sera de revenir à l’Evangile : on peut mieux discerner comment Jésus ou ses disciples ont pu percevoir la figure de Melchisedek, et quelle a été leur position au sujet des sacrifices à offrir à Dieu et au sujet de la place du prêtre. Nous pourrons ainsi nous poser des questions au sujet du chemin que Jésus souhaitait indiquer.

– En 5°, nous verrons comment – sans tenir compte de l’Evangile-  certains ont tenté et parfois réussi  à exploiter cette figure pittoresque.

Nous pourrons alors poursuivre en voyant comment ce récit peut être interprétable aujourd’hui. Certaines  interprétations anciennes ont servi récemment et servent encore à certains : que peut-on en dire d’un point de vue objectif et scientifique de nos jours ? En ces temps de guerres pour des territoires  dans cette région du Moyen-Orient, quelles leçons, valables pour tous, croyants et non-croyants, pouvons-nous en tirer  sur un plan local ? Et  sur le plan très général, comment tirer d’un texte traditionnel,  de l’utile de ce qui nous semble périmé car ancien, ou du vivant de qui nous semble intouchable car sacro-saint ?  

La rencontre avec Abraham (Genèse (14:18-20)  

La référence à Melchisédech prend donc son origine dans un passage de l’Ancien Testament ( ou Tanakh)  en Genèse 14:18-20.

Après l’épisode de Babel, naît Abram, (c’est le nom initial d’Abraham). Sur une inspiration de Yahweh qui veut lui donner une terre, il se met en route (Genèse 12), campe, fait paître  et dresse des autels au Seigneur. Il devient très riche. Il se partage le pays avec Loth, continue à prospérer à construire des autels à Yahweh. Il y a de petites guerres, et  Loth est fait prisonnier. Abram, à la tête de ses guerriers part le libérer et il est vainqueur en pays ennemi.

Revenant d’une campagne victorieuse, il rencontre de manière inattendue un personnage au riche nom symbolique,  מַלְכֵּי־צֶדֶק  ( malkî-sedech), que nous pouvons écrire de diverses façons. Ce nom  ( 4442 ) signifie  en le décomposant  « mon roi est juste ». Le texte explique qu’il est le Roi de Salem », ( Roi (4428 melek) Salem (  8004)  signifiant Paisible.  Le texte ne situe pas  précisément cette cité ( à cette époque de nomades qui n’avaient même pas encore de chameaux)  mais d’après le trajet  d’Abraham,  le texte la situe dans la région de la future Jérusalem, et toute la tradition  ensuite est unanime pour dire que Jérusalem lui a fait suite sur place.

Chose surprenante, alors que ce Roi de Salm est du pays et qu’on peut le supposer cananéen, il  s’avance vers le vainqueur et montre par ses actes qu’il est  du côté de cet  Abram dont il fait la connaissance : « Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin. Il était prêtre du Dieu très-haut. Il le bénit en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris. »

A l’époque supposée, il existait dans de nombreuses civilisations du bassin méditerranéen des rois-prêtres : c’était le cas en particulier en Phénicie. Ce roi-prêtre  bénit Abram en tant que béni de Dieu et ratifie sa conquête et donc sa quête. Il accepte de recevoir d’Abram le dixième du butin qu’il a récupéré.

La rencontre, brève, n’est pas autrement détaillée que dans ces deux versets et s’arrête là : l’étonnant sera multiplié par ce mystère qui laisse le champ libre à toutes les suppositions et interprétations. Selon certains commentateurs de la Torah, comme Rachi,  qui cherchent à justifier la présence de ce croyant en terre pleine païenne, il s’agirait de Sem, le père des sémites, fils de Noé. En effet, Sem étant crédité d’une vie de 610 ans, il aurait ainsi pu rencontrer Abraham…

On voit qu’en citant dans le livre de la Genèse cet homme qui vivait bien avant la  sortie d’Egypte, les Juifs considéraient comme possible qu’on puisse avoir été ( et donc être)  prêtre du très-Haut, et  à plus forte raison fidèle du Très-Haut, en dehors du peuple juif ( ce peuple qui ne s’est théoriquement constitué que lors de l’Exode, – en fait même sans doute plus tard – avec le corps de ses prêtres.). L’étonnant est aussi qu’il soit déjà prêtre du Très Haut alors qu’Abram ne fait qu’arriver… et que le rite d’appartenance de la circoncision n’a pas encore été établi (Abram n’a pas encore de fils). Cependant, cela est moins étonnant pour celui qui lit comment le Premier Testament – l’Ancien testament, le Tanak) raconte dans la Genèse   la construction progressive  de la foi en Yahvé seul et l’établissement de son culte au milieu de religions évolutives elles-aussi.           

Le terme prêtre employé ici, cohen, כֹהֵ֖ן  (voir le 3548  qui en référence tous les emplois dans le site lasaintebible.com https://saintebible.com/ ) désigne  le prêtre, dans son acception la plus large (y compris notons-le même des prêtres étrangers ou ceux qui jouent d’un instrument, les lévites[1] etc. ). Le prêtre ( dans tout le bassin méditerranéen d’alors pour ne parler que d’Israël et de ses voisins ) effectuait différentes tâches : prières, purifications, conseil, offrandes des prémices, encens, sacrifices non sanglants, sacrifices sanglants… Rien d’étonnant donc à ce que prêtre de Salem effectue ses rites.  Le terme « dieu »  est lui-même un terme générique  tant qu’on ne lui donne pas un nom.   

 On constate que dans Genèse,  le terme « sacrifice » n’est pas prononcé  à propos de ce que fait Melchisedek : l’hospitalité exercée s’accompagne d’un partage de pain et de vin,  d’une bénédiction et d’une action de grâce, et il n’est évidemment encore moins question de  sacrifice sanglant, mais simplement, de  pratiquer une hospitalité « végétarienne » en bénissant Dieu et en le remerciant pour ses bienfaits. La paix est un don de Dieu, et même la victoire qui apporte la paix  et permettra plus tard Jérusalem…

Ce qui concerne la narration de cet événement  s’arrête là : c’est peu de choses.

Nous avons donné les éléments explicatifs de ce texte censé évoquer des événements réputés auto-référentiellement  dater  de 1500 av. J.-C. et  dont les scientifiques  savent qu’il a été  mis par écrit vers 500 av. J.-C. au moment de la terrible déportation à Babylone ou à son retour. C’est donc  une reconstruction  longtemps après  les faits ( éventuels )  pratiquée selon certains objectifs par certains auteurs, et ce texte fut et est encore aujourd’hui fondamental et porteur pour beaucoup en Israël et pour beaucoup de chrétiens.

Cependant, nous n’avons pas détaillé l’archéologie et l’histoire le concernant,  car ce n’était pas  notre  but. Ce qui  nous intéresse dans cette étude, c’est de réfléchir sur ce qui peut guider notre aujourd’hui.

Nous pouvons discerner  les idées  qui sous-tendent le texte  et l’état d’esprit qu’il promeut. Nous le pouvons certes, et même nous le devons car une lecture plus réflexive de ces quelques lignes  s’impose  en tenant compte du fait qu’il nous est présenté aujourd’hui encore comme prophétique, annonçant  Jésus, le sacerdoce, le sacrifice, bref   comme une des racines nourrissant notre vie.

 Ainsi, présenterions-nous encore ainsi ces événements ? 

Les auteurs du texte nous présentent un Abram vainqueur, signe évident …que le dieu le plus puissant est avec lui ; le Roi  voisin  remercie Abram ( peut-être à l’avance ou en conclusion d’un pacte d’alliance  )  et le béni  lui qui ne fera pas de mal à Salem. Abram donne donc à cet ennemi potentiel qui est devenu son allié, un dixième de son butin. De plus,  Abram n’est pas prêtre lui-même, quoiqu’il puisse accomplir lui-même les rituels ( cf.  tous les rituels qu’il apprend à accomplir pieusement, dont  le  sacrifice d’Isaac). Cet homme qui vient à sa rencontre  est  par chance un prêtre connu comme tel : il a un nom peut-être générique, en tout cas riche de sens symbolique, et qui est déjà tout un  programme. Il remercie  le Dieu d’Abram  (et son propre Dieu) qui a donné la victoire à Abram, comme s’il l’avait attendu  …

Le décryptage de l’implicite du texte nous pose question pour ce que nous avons à vivre aujourd’hui : ce texte montre quelle notion de Dieu on avait à une époque de tolérance  et de partage,  mais il a des côtés plus discutables : c’est un texte qui exalte la paix certes,  mais quelle paix ? quelle réussite ? le pouvoir de quel Dieu ? quel type de rituel ?

Nous reviendrons plus loin  sur ces questions  quand il sera question de l’esprit de l’Evangile et de celui qui pourrait animer l’Humanité, croyante ou non, aujourd’hui. 

Le psaume  109 ou 110 fait allusion à Melchisedek.

La référence suivante ) Melchisedech se trouve  dans le Psaume  109 ( ou 110). Il est difficile à traduire et à comprendre ( d’où d’ailleurs les interprétations si nombreuses… )

Le voici intégralement :  ( trad.  du grec en français par Marg. Champeaux-Rousselot)  

Hébreu TanakhGrec SeptanteFrançais  ( trad. Marguerite Champeaux-Rousselot : le plus proche possible de l’hébreu et du grec)  Latin Vulgate
1לְדָוִ֗ד מִ֫זְמֹ֥ור נְאֻ֤ם יְהוָ֨ה ׀ לַֽאדֹנִ֗י שֵׁ֥ב לִֽימִינִ֑י עַד־אָשִׁ֥ית אֹ֝יְבֶ֗יךָ הֲדֹ֣ם לְרַגְלֶֽיךָ׃ Ψαλμὸς τῷ Δαυΐδ. – ΕΙΠΕΝ ὁ Κύριος τῷ Κυρίῳ μου·  κάθου ἐκ δεξιῶν μου, ἕως ἂν θῶ τοὺς ἐχθρούς σου ὑποπόδιον τῶν ποδῶν σου.Parole de l’Éternel à mon Seigneur : «  Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme marchepied de tes pieds.[David psalmus] dixit Dominus Domino meo sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum
2מַטֵּה-עֻזְּךָ–יִשְׁלַח יְהוָה, מִצִּיּוֹן; רְדֵה, בְּקֶרֶב אֹיְבֶיךָ ράβδον δυνάμεως ἐξαποστελεῖ σοι Κύριος ἐκ Σιών, καὶ κατακυρίευε ἐν μέσῳ τῶν ἐχθρῶν σου.L’Éternel étend hors de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis !Virgam virtutis tuae emittet Dominus ex Sion dominare in medio inimicorum tuorum
3עַמְּךָ נְדָבֹת, בְּיוֹם חֵילֶךָ:בְּהַדְרֵי-קֹדֶשׁ, מֵרֶחֶם מִשְׁחָר; לְךָ, טַל יַלְדֻתֶיךָ μετὰ σοῦ ἡ ἀρχὴ ἐν ἡμέρᾳ τῆς δυνάμεώς σου ἐν ταῖς λαμπρότησι τῶν ἁγίων σου· ἐκ γαστρὸς πρὸ ἑωσφόρου ἐγέννησά σε.Te suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ;  de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »Tecum principium in die virtutis tuae in splendoribus sanctorum ex utero ante luciferum genui te
4נִשְׁבַּע יְהוָה, וְלֹא יִנָּחֵם– אַתָּה-כֹהֵן לְעוֹלָם;עַל-דִּבְרָתִי, מַלְכִּי-צֶדֶק ὤμοσε Κύριος καὶ οὐ μεταμεληθήσεται· σὺ ἱερεὺς εἰς τὸν αἰῶνα κατὰ τὴν τάξιν Μελχισεδέκ.L’Éternel l’a juré, et il ne s’en dédira point : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisedek.Juravit Dominus et non poenitebit eum ;  tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech
5אֲדֹנָי עַל-יְמִינְךָ; מָחַץ בְּיוֹם-אַפּוֹ מְלָכִים Κύριος ἐκ δεξιῶν σου συνέθλασεν ἐν ἡμέρᾳ ὀργῆς αὐτοῦ βασιλεῖς·Le Seigneur, à ta droite, brise/a brisé des rois au jour de sa colère.Dominus a dextris tuis confregit in die irae suae reges
6יָדִין בַּגּוֹיִם, מָלֵא גְוִיּוֹת; מָחַץ רֹאשׁ, עַל-אֶרֶץ רַבָּה κρινεῖ ἐν τοῖς ἔθνεσι, πληρώσει πτώματα, συνθλάσει κεφαλὰς ἐπὶ γῆς πολλῶν.Il exerce la justice parmi les nations : il remplira tout de cadavres ; il brisera des têtes sur la terre de beaucoup..Judicabit in nationibus implebit ruinas conquassabit capita in terra multorum
7מִנַּחַל, בַּדֶּרֶךְ יִשְׁתֶּה; עַל-כֵּן, יָרִים רֹאשׁ ἐκ χειμάρρου ἐν ὁδῷ πίεται· διὰ τοῦτο ὑψώσει κεφαλήν.Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.de torrente in via bibet ;  propterea exaltabit caput

Psaume 110 selon la numérotation grecque, ou 109.

Un exemple de traduction discutable selon nous sachant qu’elle contient par rapport au texte, quelques infidélités « orientées» :

1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :

Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.

2 L’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance : Domine au milieu de tes ennemis !

3 Ton peuple est plein d’ardeur, quand tu rassembles ton armée ; avec des ornements sacrés, du sein de l’aurore ta jeunesse vient à toi comme une rosée.

Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées, d’une autre façon :   

4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en repentira point :

Tu es sacrificateur pour toujours, à la manière de Melchisedek.

5 Le Seigneur, à ta droite, brise des rois au jour de sa colère.

6 Il exerce la justice parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise des têtes sur toute l’étendue du pays.

7 Il boit au torrent pendant la marche : C’est pourquoi il relève la tête.

Etudions mieux le psaume : il comprend deux parties sur le thème du roi à la structure très proches : les versets 1 à 3, puis les versets 4 à 7. Chaque partie commence par un oracle de l’Éternel, qui est ensuite commenté par le psalmiste. Voyons le sens général avant de regarder les termes les plus difficiles.

Aux versets 1 et 2, le roi siégeant à la droite de Dieu : cette place montre que le Roi  est le lieutenant terrestre de Dieu. Les ennemis formant son marchepied au fur et à mesure des victoires est un symbole clair pour tous (sculptures etc. dans l’archéologie, Egypte et autres ). exprimant la victoire sur l’ennemi et sa domination. Dieu va lui donner le sceptre de la puissance. Dans le verset 3, l’expression est riche de symboles connotés dont nous avons perdu le cheminement logique … mais il  y a visiblement le mot « peuple », un terme qui montre qu’il peut être une « armée », que cette armée  est reliée à l’idée du « sacré » ou de la « sainteté »  ( comme si c’était l’armée sur terre de Dieu ? ), et ceci dans la « rosée » de l’ « aurore »  ( un jour nouveau qui se lève, celui où Israël va se sauver par son armée qui est la main de Dieu ? ).

Les versets 4 à 7 développent les mêmes idées : le verset 4 sera éclairci  plus loin ; la victoire de Dieu sur les rois méchants par l’intermédiaire d’un roi qui a Dieu cette fois à sa droite : le jour où la colère de Dieu éclatera et fera éclater sa justice, le Roi est à sa gauche. L’armée lui obéit et accomplit sa volonté ; elle n’a aucun souci de son confort : quand elle a soif, elle boit aux torrents sans se dérouter de son chemin pour trouver une belle fontaine, ni attendre en s’affaiblissant de trouver une source plus pure. C’est cette union entre Dieu et le Roi, par l’armée, qui permet la victoire

Ce psaume peut être diversement interprété : il peut concerner deux personnes différentes à deux époques différentes :

1) Psaume royal qui peut être vu comme un psaume écrit pour l’intronisation d’un certain Roi d’Israël, ( historique et précis comme David  ou Salomon ?  ou idéal  et/ou  à venir ? ) qui sera/est/a été toujours fidèle à sa foi en Dieu en même temps qu’il a été/est/sera un guerrier victorieux qui suit les ordres de Dieu, les deux qualités de ce Roi ( fidèle/victorieux) étant reliées par  sa foi en Dieu   ;

2)  allusion à un lieutenant de Dieu, tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche ( notons qu’il n’est pas question de filiation )  qui tantôt reçoit de Dieu la victoire  tantôt est victorieux parce qu’il lui obéit : certains ont vu dans cette figure le Roi d’Israël idéal, un égal de Dieu, la figure de l’Oint[2] ( L’Oint se dit Messiah, en hébreu, francisé en  Messie, et se dit en grec Christos latinisé  en Christus  et traduit en français par Christ[3]) ou du Fils de l’Homme, d’un Fils de Dieu etc.  Certains Juifs sont même allés à dire qu’il y avait, peut-être bien, « à côté de Dieu » un personnage mystérieux et mal connu : un « Fils » au sens symbolique.    

C’est pourquoi certains commentateurs chrétiens utilisent ce passage sans le dire expressément ( et d’ailleurs sans dire lequel des versets entre 1 et 3 ils utilisent  ) en disant : « La filiation divine peut exprimer une relation privilégiée du roi à l’Éternel » : mais où a-t-il  été question ici de filiation divine ? Et  même de filiation tout court ?  On ajoute aussi  parfois : «  ce passage est à rapprocher du psaume 2, verset 7 » : or en fait il est y question  de l’Oint (le Messie, Messiah) qui a été adopté par Dieu comme fils, et ici ce n’est pas mentionné comme tel.  On dit encore qu’on peut le rapprocher du Deuxième livre de Samuel, ch. 7, v. 14. où Dieu déclare à David qu’il sera un père pour Salomon et que Salomon sera un fils pour lui : mais encore une fois il n’est pas question de cela ici. Même si ces textes sont des textes où Dieu soutient le roi, il n’est pas plus question de filiation  que dans le texte du Psaume 110 (109) ou dans le passage évoquant  la rencontre d’Abraham et de Melchisedek.

Certains traduisent parfois «  sacrificateur/prêtre dans l’ordre de Melchisedek » : cette traduction est tendancieuse car elle fait croire à une allusion à un ordre de prêtres, comme nous dirions l’Ordre des avocats, à une catégorie dans une hiérarchie d’organisation : or le terme hébreu veut simplement dire «  à la manière de  ».

L’expression « pour toujours » ( v. 4) est en hébreu un mot qui peut aussi désigner le passé  comme le futur, c’est-à-dire éternel ou quasiment éternel,  mais le plus souvent le futur.

Enfin, – revenons à la question qui nous intéresse plus ici – certains traduisent «  tu es sacrificateur pour toujours » alors que  le terme employé ne fait aucune allusion à un sacrifice ni à un sacrificateur. C’est en effet le même terme que dans le texte concernant Melchisedek  qui fait apporter pain et vin ; sans faire de sacrifice, il bénit Dieu et ratifie la victoire d’Abraham au nom du Dieu qu’il sert. Le terme hébreu « prêtre »  ( 3548 cohen) qui est employé dans le texte est très large et sa fonction ne se limite pas à celle d’un sacrificateur, même si certains la voient comme la plus haute fonction religieuse, et d’autant plus haute que le sacrifice serait sanglant, et de grosse taille : ce mode de pensée n’est pas loin des sacrifices païens que Dieu récuse plusieurs fois dans le Tanakh, sans compter le message de Jésus au sujet des sacrifices faits au Temple, à Jérusalem  ou ailleurs et des « consignes » qu’il laisse pour la prière à Dieu notre Père.

Conclusion  de ces remarques  sur la forme et les mots : ce texte doit donc être traduit avec honnêteté, et commenté sans trop de dérives irrationnelles…

Traduction proposée par nous, plus littérale, avec temps et mots plus justes :

 1 Parole de l’Éternel à mon Seigneur :

«  Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme marchepied de tes pieds.

2 L’Éternel étendra hors de Sion le sceptre de ta puissance : domine au milieu de tes ennemis !

3 Suivant ( = avec toi), le commandement au jour de ta puissance, dans les splendeurs de tes choses saintes ;  de mon sein, je t’ai engendré avant l’aurore. »

4 L’Éternel l’a juré, et il ne s’en dédira point : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Melchisedek.

5 Le Seigneur, à ta droite, brise/a brisé des rois au jour de sa colère.

6 Il exercera la justice parmi les nations : il remplira tout de cadavres ; il brisera des têtes sur la terre de beaucoup.

7 Il s’abreuvera au torrent pendant sa marche : c’est pourquoi il relèvera la tête.

Regardons d’abord maintenant le Psaume avec objectivité

Le texte du Psaume est difficile à comprendre, même mieux traduit.

Comme dans le peuple juif, les fonctions royale et sacerdotale sont distinctes, le psaume est souvent pris pour la description d’un roi idéal qui est ou plutôt sera en fait  la projection de Dieu combattant sur terre, un Messie guerrier etc. Le verset 3 se comprend mieux alors : il ferait référence à ce jour où la Nuit d’Israël finira enfin, grâce à une armée qui comprendra tout un peuple fidèle, tous des guerriers menant une guerre sacrée sous l’impulsion de leur foi en Dieu : tous des prêtres guerriers. Et comment Israël perdrait-il une guerre si tous les guerriers sont des  prêtres et que Dieu les bénit ? 

A quelle époque le psalmiste fait-il allusion ? On ne sait pas s’il parle d’une personne présente ou future, d’une réalité terrestre ou non. Ce personnage, ce héros,  est présenté comme le parangon d’un roi en même temps prêtre, comme l’était Melchisedek, mais au dessus de tout corps de prêtres humainement et administrativement constitué, en dehors de toute organisation correspondant à un clergé hiérarchisé. Il semble que dans ce texte le futur l’emporte… L’ensemble évoquerait ( pour moi mais sans certitude ! ) la foi du psalmiste en un Roi ( probablement le Roi qui venait d’être oint à l’poque où l’on a composé ce psaume ) , un Roi d’Israël, bien vivant dans ce pays et ce peuple, un Roi  qui serait vraiment une émanation de Dieu,  sur une Terre Royaume de Dieu… 

Cependant son affirmation, ô combien réconfortante ! : « L’Eternel l’a juré »  est passée comme Ecriture sainte, engageant réellement Dieu… Cette phrase  a eu un très grand retentissement, en particulier   car elle affirmait que le Dieu des armées était du côté d’Israël.

Lorsqu’Israël a de nouveau eu un territoire, cette phrase a été interprétée  par certains, non dans le futur d’un royaume qui n’est pas  de ce monde, mais comme justifiant la création d’un Etat politique et en même temps religieux avec comme objectif la reconquête  de ce que Dieu avait été censé, d’après les textes ainsi interprétés, avoir «  donné » à Abraham et à ses descendants.   .  

Mais concluons sur la réalité de ce qui est décrit s’être passé entre Abraham et Mechisédek pour revenir à notre allusion lors de la messe :  

Le texte du Psaume s’est déjà fort éloigné du récit tiré de la Genèse.

De la bénédiction de Melchisedek qui valide la conquête d’Abram, Israël a déduit surtout que Dieu donne des récompenses à celui qui lui fait des offrandes qu’il agrée. Il retient cela comme une sorte d’alliance signée par celui qui recevra une offrande, envers le peuple qui a accompli cette offrande. Ce qui est rassurant pour ce peuple, c’est l’idée que la « récompense » est promise par un Dieu toujours fidèle, et que le peuple, quoique infidèle, sera d’une nature abstraite par essence, toujours fidèle, toujours représenté par un clergé «  prêtre à jamais », et comme Melchisedek, roi-guerrier…

Mais devons-nous, nous, hommes du XXI° siècle, chrétiens, valider ce type de déductions comme orientant nos vies ?

Nous avons une telle vénération pour ces textes qui pour nous sont comme sacrés que nous ne prenons pas de recul… Mais un tel  questionnement ne doit pas être tabou, la démarche historico-critique est permise désormais, et il faut la  faire même si la démarche risque d’être mal prise par certains  et même s’il est difficile pour nous de lire sans préjugés … .

L’absence de Melchisedek et de ses signifiants dans les Actes et les Evangiles

Nous ne pouvons que nous fier aux textes qui nous sont parvenus…

Les épitres et les évangiles ne montrent pas un Jésus  faisant référence à Melchisedek. Il nous  semble qu’il n’y a peut-être pas fait référence. En effet,  on ne peut traiter le sujet en entier mais nous pensons être honnête ( et convaincante ) en prenant presque au hasard, un fait significatif car il y en aurait  tant d’autres à convoquer…

Matthieu lui fait citer le texte où Yahweh déclare  par la bouche du prophète (Osée, 6, 6)  :… parce que je veux la pitié et non le sacrifice,  et l’action de reconnaître Dieu plutôt que les holocaustes. (διότι ἔλεος θέλω καὶ οὐ θυσίαν καὶ ἐπίγνωσιν Θεοῦ ἢ ὁλοκαυτώματα.)

Matthieu le lui fait citer  deux fois… et il ne s’est pas contenté de lui faire citer le souhait prêté à Dieu, mais y a ajouté le  refus explicite par Jésus  du « sacrifice » et sans doute du système sacrificiel, des valeurs supposées et de la hiérarchie qu’il induit ainsi que de la figure anthropomorphique et quasi-païenne qu’il dessine, hélas,  en creux.

–  Matthieu 9,13 : Allez, et apprenez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion[4], et non aux sacrifices. » Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.

–   Matthieu 12,7 : Si vous saviez ce que signifie: « Je prends plaisir à la compassion, et non aux sacrifices », vous n’auriez pas condamné des innocents.

D’après bien d’autres passages, on  peut supposer que Jésus avait réprouvé le système (instrumentalisant Dieu) du bouc émissaire et du sacrifice d’un autre (innocent, même animal) comme victime à la place de soi-même : il préfère un effort sur soi. Il a certainement montré la force d’amour, la puissance de conversion et la fécondité de la paix, de la non-violence, du pardon lors de déceptions, envers les ennemis, ou envers des meurtriers. Inutile d’insister ici.

Il évoque un quotidien où l’on se donne aux autres… et parfois où on est tué si on ne renie pas Dieu. Mais il n’a jamais indiqué aux chrétiens qu’aucun parmi eux  ait  à devenir « prêtre »  ou Grand prêtre ou lévite à la manière des prêtres de l’Ancien testament, ni même scribe[5]. Il n’a jamais évoqué comme condition  à son  salut  qu’aucun des fils de Dieu ait eu à faire de sacrifice à la manière des Hébreux.

Les évangélistes ne se contredisent pas  sur ce point : ils étaient d’accord pour montrer que Jésus qui a refusé pour lui-même le titre de « Rabbi », ne s’est opposé aux coutumes religieuses que lorsqu’elles étaient un leurre ou faisaient contresens ; on voit qu’il n’a pas prôné des cérémonies publiques, ni des rites et des sacrifices, et qu’il  n’a pas cherché à constituer de clergé lorsqu’il bâtissait son Eglise, etc. On peut se rapporter en deux mots au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité[6].

De ces caractéristiques trouvées dans les textes, on peut déduire selon moi, qu’il y a toutes chances  pour que Jésus ait pris réellement  du  recul  sur ces sujets, et c’est pourquoi dans son message, dans le noyau de son message, se trouvent si peu de références positives au Tanakh sauf quand il veut se placer sur le terrain de ses interlocuteurs en prenant leur langage ou en répondant à leurs questions. L’esprit de Dieu lui fait comprendre le principe de la Loi ; il en laisse quand elle n’y correspond pas et la dépasse quand elle est insuffisante.

Réfléchissons[7] si le comportement d’Abram (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…)  et de ce roi-prêtre local soutenant le vainqueur puisque dans toutes les religions d’alors  la victoire était interprétée comme un signe de la faveur divine, pouvait  être encore validés ainsi à l’époque de Jésus. Des discours de ce genre s’entendent encore parfois aujourd’hui un peu partout dans le monde. En Israël, lors de défaites, de famines ou de l’Exil,  des prophètes avaient  déjà réfléchi à la question pour changer ce raisonnement quasi-païen qui instrumentalise la croyance en Dieu et prétend définir Dieu  de façon anthropomorphe.  Les évangiles montrent  que Jésus  avait réfléchi sur la violence, l’injustice, les victimes, le pouvoir, les minorités etc. Quel avis pouvait-il avoir sur un Abram conquérant présenté comme aidé par Dieu, nomade s’emparant de terres non-assignées ou guerrier usant de la force, obligeant les plus faibles à se soumettre, et sur un  prêtre osant  faire une déclaration théologique sacrant le vainqueur comme un prétendu favori de Dieu… Il pouvait par contre aimer Abram et Melchisedek qui cherchaient Dieu comme ils pouvaient…  Jésus semble avoir partagé les révélations des prophètes  qui ont réfléchi au sujet de la  manière dont Dieu agit ou n’agit pas dans et sur ce monde.  D’accord pour bénir Dieu, mais contre l’instrumentalisation d’une telle bénédiction ; et sans doute  opposé à toute idée d’acheter Dieu, de se le lier,  ou même de lui rappeler une alliance à laquelle il serait « obligé » de se tenir fidèlement envers un partenaire plus ou moins fidèle… Jésus s’est dressé contre ces amalgames et  il va sans dire que cette conception se ressent explicitement et implicitement – ce qui est  tout aussi important mais plus compliqué et plus long à « citer » ! –   dans tous les évangiles.

Et nous, pouvons-nous, sans réfléchir, accepter en modèle ce qui était pourtant acceptable à l’époque supposée d’Abram de Mechisédek,  et, pour certaines tendance du peuple d’Israël à l’époque de Jésus ? Pouvons-nous accepter en modèle à suivre le comportement de ce roi-prêtre local validant la victoire d’Abram  et en déduisant une valeur religieuse ? Pouvons-nous considérer comme un modèle à suivre ce rite accompli par  ce roi-prêtre local bénissant Dieu lors de l’alliance supposée voulue par Dieu avec ce vainqueur ?  

Il y aurait beaucoup à dire  sur  cette collusion, une manière de penser qui sous-tend  encore bien des discours théologiques et bien des prières, une tentation sans cesse renaissante car elle semble «  fructueuse »  pour gagner  à Dieu des fidèles…

Or  voici la phrase dite et redite pendant la messe et qui nous imprègne, consciemment ou non : «  Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance accepte-la. »

En pesant et en considérant chaque mot,  a-t-il vraiment « plu» à Dieu d’accueillir (…) le sacrifice (…) que t’offrit Melchisedek  ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait » ?

Nous avons déjà vu dans le texte que ce n’était pas un « sacrifice » mais est-on vraiment sûr de ce que veut impliquer pour nous chacun de ces mots dans notre vie et dans nos choix de tous les jours ?

Est-ce vraiment le chemin  que l’Evangile nous trace ?

Pour répondre à cette question, nous allons regarder la troisième occurrence de Melchisedek, celle dans  l’Epître dite aux Hébreux.

En effet, ni l’Apocalypse, ni les Epitres ne mentionnent Melchisedek sauf une seule épître : celle de  l’épître dite aux Hébreux ( 5,6).  

Pendant  longtemps, on a même débattu pour savoir si ce texte était canonique ou non. En effet, si dans son contenu il y a référence à l’Ancien Testament,  c’est en fait pour mieux s’en différencier … Cette démarche complète donc la démarche de l’Evangile et va dans le même sens, mais est plus explicite. Elle a finalement été attribuée à Paul et acceptée comme canonique en 397 …  Mais la critique moderne la date désormais d’entre 60 et 90, a observé que son nom date seulement du II° siècle, et a cessé de l’attribuer à Paul. Quoiqu’elle soit restée canonique – et selon nous, elle le mérite comme nous le verrons  -, on doit prêter attention au fait que des citations trop brèves et séparées du contexte  favorisent de graves contresens, des contresens … plus ou moins volontaires parfois…  tellement elle en gêne certains par sa théologie ! 

Melchisedek est donc un des angles d’attaque pour une question plus générale, traitée explicitement à maintes reprises explicitement dans les Epîtres, mais comme nous l’avons vu, déjà très importante dans les évangiles. Cette question concerne la «  filiation » (ressemblances/différences etc.)  entre Jésus/son Evangile et l’Ancien testament. 

Ce texte évoque à nouveau cette figure symbolique de Melchisedek pour répondre à des questions alors d’actualité. Elle a été écrite précisément pour s’opposer à ceux qui à l’époque, peu après la mort de Jésus, se demandaient s’il ne fallait pas que les disciples de Jésus, juifs ou païens convertis,  offrent des sacrifices à Dieu, à peu près comme dans le Temple de Jérusalem, par l’intermédiaire de nouveaux prêtres… L’épître répond clairement que  Non, en plusieurs points.     

1°) L’auteur de l’épître  s’attache à montrer que Melchisedek habite Salem et y vénère  avec tous ses sujets,  Yahvé comme Dieu, avant même la venue d’Abram : il montre ainsi, au moment des débats sur  l’ouverture aux païens, que cet accès de Dieu par les païens était déjà validé par la Torah : ce récit montrait même que, en ce qui concernait le sacerdoce ou les rites,  les Juifs étaient en réalité seconds par rapport aux païens… et que, à la limite, on pouvait dire légitimement que ce n’était pas des Juifs que les païens recevaient le sacerdoce, mais bien les Juifs des païens… Un des intérêts de la figure de Melchisedek est de relativiser l’apport juif et leur antériorité.

2°) L’auteur  peut-être de culture juive et s’adressant à des disciples d’origine juive, va pratiquer une lecture de type midrashique  où un épisode ou un texte « antérieur » annonce un texte ou un épisode postérieur qui est « en progrès ». Seulement, selon les disciples de Jésus, le processus est mené à son terme avec Jésus : il a accompli parfaitement les figures qui l’annonçaient : « accomplir parfaitement »  signifie « achever[8] », c’est-à-dire « mener à sa fin », ce qui rend superfétatoire, prétentieux ou nuisible tout désir de perfectionner la chose et  rend également ce qui précède obsolète et périmé. Paul montre ainsi que la Croix rend obsolète la circoncision qui lui ressemble un peu et l’annonçait, de même que le partage du pain à la Cène rend obsolète la manne qui lui ressemble un peu et l’annonçait  etc.   

L’auteur va donc tout d’abord montrer qu’il connaît leurs propres arguments tirés des trois lignes à peine de la Genèse qui pourraient faire de ce personnage une figure annonciatrice de Jésus. Le texte dégage d’abord les deux points concernant

a) il mentionne d’abord que Melkisédek porte un nom qui veut dire « roi de justice » et ensuite, qu’il est roi de Salem, c’est-à-dire roi « de paix » ( 7, 2 et 3) : Jésus mérite aussi ces titres.

b) il fait remarquer qu’on ne parle « ni du père ni de la mère, ni d’ancêtres de Melchisedek,  ni d’un commencement d’existence ni d’une fin de vie : cela peut ainsi le faire ressembler au Fils de Dieu ». (7, 2 et 3).

c) il cite quelques mots extraits du psaume 109 (110), 4 dont on a pourtant vu l’imprécision extrême et l’actualité guerrière très concrète, en disant que le personnage qu’il évoque, puisqu’il est « prêtre selon l’ordre de Melchisedek »,  est  bien Jésus.

 Ce premier raisonnement peut nous sembler faible, mais l’auteur y ajoute l’autorité de textes bien connus. Là se termine un premier  mouvement d’écoute appréciative, conciliant, apaisant, qui montre en Jésus celui que Melchisedek annonçait peut-être… 

Une fois ceci « acquis », l’épître aux Hébreux entre dans le système d’amalgame où Melchisedek est prêtre-sacrificateur. Elle s’applique à montrer peut-être plus aux Hébreux, aux Juifs, mais probablement à tous les chrétiens,  que Jésus, puisqu’il est « prêtre », a accompli la fonction essentielle du grand prêtre : il a accompli l’acte sacrificiel, c’est-à-dire qu’il l’a  achevé, parachevé, rendu parfait… C’est en effet que le  sacrifice de Melchisedek n’était heureusement pas un sacrifice de chair et de sang à des idoles, mais déjà une offrande de bénédiction, du pain et du vin offerts à Dieu et non pas sacrifiés. Cependant, le rapprochement (dans le texte)  avec la Cène et la mort de Jésus dans ce cadre de la Pâque, montre que  le pain et le vin de la Cène prennent la valeur symbolique de ce qui nous nourrit et nous fait vivre,  de sa vie livrée pour nous en cohérence avec sa parole (celle de Dieu ), son corps et son sang réellement livrés à la mort. Alors, pour l’auteur de la Lettre,  le pain et le vin de Melchisedek ne peuvent plus être que la préfiguration ( faible et incomplète) de la passion librement acceptée de Jésus. On ne parle plus de bénédiction comme avec Melchisedek, mais de « sacrifice », et ce sacrifice offert à Dieu par Jésus est forcément parfait. Or, si on s’inscrit dans la pensée anthropologique juive pour être bien compris des auditeurs et des lecteurs visés, un sacrifice ne peut avoir pour but que de laver les péchés… des autres etc. Mais, (voici le mais), à la différence de la plupart des autres sacrifices, Jésus a  vécu des souffrances qu’il a acceptées : c’est un fait. Il a accompli pour ainsi dire un sacrifice à ses propres dépens, non pas aux dépens  d’un autre ou d’un animal, mais  en laissant prendre sa vie. C’est un sacrifice réel de sa personne. 

Là se finit la comparaison qui a mis en évidence les ressemblances pour mieux montrer ensuite – car c’est là son objectif majeur –  les différences avec l’existant  passé et l’existant de Jésus.

Après avoir bien affirmé cela, l’Epître démontre que le sacrifice que Jésus a fait est fait une fois pour toutes, qu’il est désormais auprès de Dieu comme un intermédiaire auprès de lui pour ses disciples et pour les Hommes, et donc qu’il n’y a plus besoin, désormais, de sacrifices offert par les chrétiens, et donc pas besoin de prêtres ( même s’il y a besoin d’humbles responsables)[9].

Pour avoir des renseignements plus complets sur cette thématique, voir le document sur ce site sur L’histoire de la notion de prêtre. https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/

  Si cette Epître a commencé par chercher à montrer que Jésus  pouvait avoir été annoncé par la figure de Melchisedek, – une chose qu’aucun Evangile ne signale d’ailleurs comme revendiquée par Jésus -, c’était donc pour mieux indiquer aux chrétiens qu’aucun d’eux n’a à  devenir « prêtre »  à la manière des prêtres de l’Ancien testament, qu’aucun des disciples de Jésus n’avait à faire de sacrifice à la manière des Hébreux, des païens ou des superstitieux. C’est pourquoi la force et la teneur  de cette seconde partie relativise la portée de la première :  les ressemblances – faibles et peu démonstratives – notées entre Jésus et Melchisedek n’ont été mises là par l’auteur que pour apaiser ses opposants par des concessions, et la présentation de leurs propres arguments est balayée par la seconde partie qui  montre les différences bien plus grandes entre d’une part Melchisedek et les sacrifices juifs,  et d’autre  part l’existant  passé de  Jésus et son  existant en tant que Vivant. 

En cela, Jésus, comme nous l’avons vu plus haut,  aurait sans doute été d’accord avec cette Epître aux hébreux sur le point qui démontre pourquoi ce genre de sacrifices est inutile,  ainsi que  tout le système  sacrificiel y afférant avec ce qu’il supposait théologiquement au sujet de Yahweh ou de Dieu …  Désormais nous savons quels sacrifices sont agréables à Dieu : nous-mêmes car Yahweh était un  Dieu de tendresse, et le même est notre Père.

Melchisedek et son « utilisation » au III° siècle ap. J.-C. et ensuite

On trouve ensuite peu de références à Melchisedek.

C’est saint Cyprien3( 200-258) dans la tradition patristique, qui s’intéresse à lui.

Les premières célébrations en  souvenir de Jésus voyaient une assemblée partageant un repas fraternel, « la fraction (du pain) », le partage de la coupe, fraction et partage réalisant en quelque sorte l’unité du corps des disciples[10]  en mémoire de Jésus qui les réunissait en un seul corps rassemblés en son nom par ce qu’il a partagé jadis et par ce qui était partagé alors.

Cyprien  va  se focaliser sur le pain et le vin pour en changer le sens, et en proposer une interprétation sacrificielle eucharistique4 : le pain et le vin devenant  des symboles ou des signes du corps et du sang de Jésus en tant que victime.

Progressant dans la ligne directe de cette épître, l’Eglise catholique romaine  a fait référence à Melchisedek dans la prière eucharistique : Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le Juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t’offrit Melchisedek ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, et dans ta bienveillance, accepte-la. En les donnant à titre d’actes sacrificiels fondateurs créant une lignée validant un enchaînement vers un progrès, en amalgamant deux sacrifices non sanglants (les fruits d’Abel, le pain et le vin de Melchisedek) et deux sacrifices sanglants (Isaac/le bouc), une victime  innocente (Abel), une victime sauvée in extremis, (Isaac) et en insinuant qu’aucun des sacrifices précédant  ou suivant celui du Christ n’est parfait, Cyprien conduit les fidèles à comprendre, et à accepter,  que le sacrifice parfait est celui du Christ, et qu’il est fait pour – autre réutilisation – laver leurs péchés. Le sacrifice est alors, à leurs yeux,  devenu nécessaire au salut de chacun, et cette perception fait qu’il est utilisé comme l’outil par excellence du pouvoir de l’Eglise.

L’iconographie chrétienne représentera alors plus tard Melchisedek en prêtre-roi couronné, portant ou faisant porter par des serviteurs le calice, l’ostensoir ou une corbeille de pains. Elle met en scène le pouvoir temporel (représenté par Abraham souvent en armure et avec ses soldats)  attendant la bénédiction du  pouvoir spirituel (représenté par Melchisedek et ses serviteurs, avec corbeille de pains et aiguières). On donnera d’ailleurs le nom de Melchisedeks aux ostensoirs en forme de petits autels portatifs destinés à recevoir l’Eucharistie.

Saint Jérôme ( 347-420) tente de démontrer que le manque de précisions  et de détails concernant Melchisedek avait été justement et précisément fait exprès par les rédacteurs de la Genèse  afin  que cela puisse annoncer prophétiquement  de Jésus  le «  sacerdoce éternel, sans limites dans le passé comme dans l’avenir, tandis que le sacerdoce d’Aaron, chez les Juifs, eut un commencement et une fin. » Selon le schéma habituel supposé démonstratif où un grand personnage est «  annoncé » par un autre, il insiste sur l’importance de Melchisedek : « avant Lévi et Aaron, Melkisédek, un païen, fut véritablement prêtre. Bien mieux, un si grand prêtre, qu’il lui fut donné de bénir, en la personne d’Abraham, les futurs prêtres des Juifs qui descendraient du patriarche. Tout ce qui est dit ici à la louange de Melkisédek concerne le Christ dont il est la figure. Et le déploiement du sacerdoce du Christ, ce sont les sacrements de l’Eglise (saint Jérôme : épître LXXIII, 2-3).

La figure de Melkisedeq sera utilisée pendant des siècles par les théologiens  pour appuyer  une certaine conception de l’Eglise, de Jésus, du sacrifice, de Dieu. C’est l’objet d’un autre article de ce site.

Et c’est ce qui porte la phrase citée au début de cet article, extraite de la prière eucharistique, si souvent répétée.  

Et aujourd’hui ?

Melchisedek a pu être un exemple à un moment donné pour les Hébreux : un exemple signifiant précisément qu’un culte à Yahweh existait déjà avant l’arrivée d’Abraham sur cette terre  où existait déjà une cité, Salem,  à l’emplacement de la future Jérusalem.

Ceci a été lu par certains comme une attestation que ce lieu était déjà à Yahweh et que donc il devrait toujours être à Yahweh… et à un autre peuple que celui dont Melchisédek faisait partie : au peuple hébreu… Certains l’ont vu comme une attestation  prophétique d’un futur ainsi légitimé comme une volonté de Dieu. C’est une référence dont se servent parfois même des Israéliens athées  qui veulent conserver les terres.  

Raisonnerions-nous encore ainsi ?

Réfléchissons si aujourd’hui encore le comportement d’Abraham (parfois nomade s’emparant de terres non-assignées, parfois guerrier usant de la force…)  et de ce roi-prêtre local soutenant Abraham  peuvent être des modèles pour nous ? 

Gott mit uns, in God we trust, Montjoie Saint-Denis…

Jésus, qu’en dirait-il ?

D’autres, plus attentifs aux réalités historiques, humaines, morales, juridiques, éthiques,    l’ont lu autrement et ne prendraient plus comme exemple actuel la personnalité d’un roi-prêtre validant une conquête et recevant une part  du butin d’un vainqueur.

Ils peuvent avoir noté  à quels personnages de l’Ancien testament l’Evangile décerne des louanges ou quels textes il cite. C’est instructif. Cela ne témoignerait-il pas d’une liberté d’appréciation ? Egalement, vu ce que les évangélistes ont écrit,  ils n’ont probablement pas eu de témoignages  qui auraient présenté,  souvent ou régulièrement,  Jésus en train de citer les psaumes (qui étaient la prière populaire) ni des hymnes fussent-ils ceux  de prophètes ou de prophétesses. Ils l’ont représenté, quand on lui a demandé comment prier,  en train de  choisir  de-ci, de-là quelques versets qu’il modifie légèrement pour obtenir une prière au Père de tous ( il ne dit pas de mot plus savant que cette métaphore universelle),  dans la langue très simple du quotidien, et il propose visiblement de prier aussi sans sacrifice, sans rites, sans rythme, sans hiérarchie, sans titres, sans même de temple, mais chez soi ou dans la nature, au Temple ou à la synagogue : rien n’est exclu et peut-être tout se vaut-il ? ou plutôt rien ne vaut de prier Dieu  n’importe où mais «en esprit et en vérité ».

Joseph Moingt rappelle en quelques mots l’absence de caractère sacré  dans l’organisation humaine de la religion chrétienne  à ses débuts :  « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. ». Certes le sacré et  le saint existent mais ils sont en Dieu[11] et aucune organisation humaine ne peut prétendre auto-référentiellement en être imprégnée ni en imprégner certains de ses membres.     

Devenir « prêtre, prophète et roi », même au sens symbolique, est-ce le chemin de Jésus ? le chemin qu’il  propose à ses disciples ? Celui qu’il montre, n’est-ce pas plutôt de nous reconnaître enfants de Dieu, simples, petits et pauvres[12]

« Prêtre, prophète et roi »  ce ternaire  a été appliqué progressivement  aux prêtres catholiques que l’Eglise a affirmé participer  éminemment du sacré, voire du saint : prêtre car intermédiaire élu et consacré pour les offrandes et les demandes à Dieu, lui présentant des  sacrifices comme aux temps païens,  prophète car  en communication privilégiée avec son esprit et apte à conseiller avec autorité les consciences, roi  car sa puissance religieuse est supérieure à celle du  monde et c’est au nom de cela que son « service » le fait dominer concrètement, financièrement, juridiquement etc.  par exemple dans sa paroisse ou ses fidèles. 

Vatican II dans son souci de redonner une place aux simples fidèles a expliqué que le sacerdoce des baptisés  leur donnait à chacun un statut  de « prêtre, prophète et roi », même au bébé baptisé, même au baptisé qui dit qu’il ne croit plus, même à celui qui se convertit à une autre religion… Cette affirmation  partait d’une bonne intention, mais pour qu’elle ait un sens, il faut vider chaque mot de son sens normal  et le vider également du sens dévolu aux prêtres car à son niveau, pour parler honnêtement, aucun des trois ne recouvre la même chose : le « simple » fidèle est  prêtre car il offre sa vie en sacrifice, prophète car l’esprit peut l’aider, roi car son service le rendra roi dans l’autre monde.  La théologie actuelle l’affirme en termes imparables. 

L’expression a eu néanmoins un autre inconvénient : elle  a conforté certains baptisés dans la certitude qu’ils pouvaient continuer   à s’estimer plus « enfants de Dieu » que leurs frères  non-croyants.

Or ces trois mots qui évoquent un statut acquis presque magiquement au baptême, édifient une construction qui a une beauté séduisante mais  illusoire et artificielle : elle se sert  d’affirmations de type dogmatique, dans un discours  qui semble incompréhensible à tous ou presque  (non-croyants comme croyants, grands et petits), un discours théologique,  ce qui veut dire un discours sur Dieu…  ( et comme il est difficile  de parler de Dieu !! ). 

Outre que cette difficulté crée des désaccords et des différences, on a découvert de nos jours que, chez ceux qui ont autorité, prêtres et laïcs, l’affirmation de statuts de ce genre, idéalistes et symboliques, facilite  dangereusement quand ils sont pervertis et vécus littéralement, les dérives et les abus.

Or la création par l’homme de « sacré » entraîne ou permet souvent la création de personnes ayant un pouvoir[13] sacralisé par le « sacré » qu’ils ont le droit de côtoyer  pour leurs fidèles. En ce sens, employer lors des célébrations  le terme  de «  sacrifice »  de Melchisédek au lieu de dire « bénédiction »  est une faute[14] de traduction loin d’être anodine, et l’insérer dans un raisonnement qui le présente comme prophétique est presque malhonnête pour les raisons que nous avons vues ; répéter cette erreur  régulièrement, rituellement, –  contribue à augmenter  la distance entre l’Eucharistie et ce que Jésus avait souhaité.

 .       

Nous arrivons à la fin de cette réflexion et ne voudrions pas allonger ce texte.

Citons néanmoins encore Joseph Moingt qui rappelle  une évidence : « […] l’autorité sacerdotale doit obéir au même paradoxe évangélique que l’autorité de commander admise par Jésus de la part des apôtres : ici, pouvoir sans domination, là, pouvoir sans accaparement ni exclusive »[15]. Cette manière d’exercer le pouvoir est Bonne nouvelle en elle-même, révolution religieuse mais aussi profane (socio-politique mais aussi économique et  écologique) : c’est aussi celle d’une vraie démocratie  de frères  sur cette Terre où nous sommes de plus en plus conscients que le Royaume de Dieu passe ailleurs que par des croyances en un Dieu qui donne une terre et ses ressources à  tel groupe d’hommes, une condition meilleure  à telle personne, un pouvoir à telle catégorie.. Jésus prône une autorité qui laisse humainement liberté et égalité s’épanouir, mais il va plus loin en plaidant pour une autorité humble et une « chasteté » de la part du spirituel et du religieux qui ne peuvent/doivent pas empiéter sur les droits humains.

Or Jésus n’a pas laissé le souvenir qu’il ait désiré  être roi, ni être guerrier, ni être sacrificateur, ni être prêtre[16], ni dispenser des sacrements, ni manipuler ou faire manipuler du sacré ni les sacrifices[17] qui vont avec, et ce n’est pas ( à preuve du contraire ) le chemin dont on se souvenait qu’il l’ait indiqué  pour être fils de Dieu et participer du royaume de Dieu.

Si nous voulons marcher avec lui, ne pourrait-on pas modifier le texte de cette référence que nous prions  à la Messe ?

Nous pourrions dire : «  Nous te rendons grâce et t’offrons notre vie,  comme le firent de leur mieux   Abel, Abraham,  Melchisedek, la veuve de l’Evangile,  etc.  »

                                                                           Marguerite Champeaux-Rousselot

                                                                                                    2019-01-12


[1] L’histoire de la prêtrise ( au sens large) dans le peuple hébreu est également complexe : dans les premiers temps, il semble que chacun  (mais sans doute pas les femmes ) pouvait tenir le rôle ( rendre grâce, demander pitié ou pardon)   qui  progressivement a été réservé à certains, souvent appelés Lévites ( du nom de la tribu de Lévi, la seule à n’avoir pas  de territoire mais s’était retrouvé progressivement « la » tribu des prêtres en Israël, devenus héréditaires. De ce fait, ils vécurent donc progressivement des dons faits à l’occasion des  « sacrifices »  et progressivement de tous les moyens que des familiers d’un Pouvoir suprême  peuvent suggérer « théologiquement » comme nécessaire aux fidèles de ce Dieu, surtout si Tout Puissant il dispensait réussites et punitions. Il y avait certes beaucoup d’hommes justes parmi eux, mais aussi des abus. Le plupart des prophètes se sont élevés contre ces abus  au nom de l’esprit même d’un Dieu d’amour ( he-sed . cf. https://recherches-entrecroisees.net/2018/12/18/compassion-envers-les-victimes-oui-car-en-francais-actuel-le-terme-misericorde-sous-entend-quon-est-coupable/).

[2] Reçoivent une onction à valeur symbolique pendant l’Antiquité et dans le bassin méditerranéen les Rois, les Prophètes, certains objets sacrés… 

[3] C’est pourquoi,  il n’est pas indifférent de dire « Jésus »  ou de dire «  le Christ ».

[4] Le terme grec employé est eleos et ne s’adresse pas qu’aux coupables ( ce qui serait de la « miséricorde » en français actuel), mais aussi aux victimes et peut-être à tout  homme, si fragile par essence, quel qu’il soit et pour quelque raison que ce soit, on peut le traduire par pitié ou compassion. ( voir sur ce site d’autres explications sur ces notions).   

[5] https://topbible.topchretien.com/dictionnaire/pretres-et-levites/

[6]«Vous savez que les chefs des nations exercent sur elles leur domination, et que les grands exercent sur elles leur pouvoir. Il n’en est pas de même parmi vous ; mais celui qui parmi vous veut devenir grand sera votre serviteur, et celui qui parmi vous veut être le premier sera votre esclave, de même que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup ». Mt 20, 25-28.  Bien d’’autres passages peuvent être cités.  

[7] Nous laissons de côté la question de la réalité de ces événements.

[8] Achevé signifie au premier sens bien fini  (   un travail achevé ou mal-achevé, il acheva la révision de son livre .. ) 

[9] Chez les premiers disciples de Jésus, il n’y a pas de prêtres sacrificateurs ressemblant au  prêtre en Israël  ou chez les païens. Chez eux, pour présider la prière ou le partage du pain ou les actions à faire etc. on choisit l’un( e)  ou l’autre au fil des besoins et des compétences. Aucun chrétien ne se voyait plus ou moins sacralisé ; par contre, comme dans toute communauté ou association, il y a des charismes très divers (celui d’un enfant, d’un handicapé  ou d’un vieillard ou d’un intello, celui de savoir écouter, de voir clair, d’oser, de discerner,  de rendre grâce, de sourire ou de rire, etc.), et selon les ressources et les besoins qui nécessitent des services et des actions, des fonctions qui s’articulent  pour une bonne organisation, et  des ministères pour rendre ces services.  Les personnes ont des rôles différents et précis (diacres, diaconesses, missionnés  etc.) mais le paradoxe évangélique empêche toute hiérarchie dans cette structure (un peu comme dans le corps). Les responsables étaient appelés Anciens (presbuteros ) : ceux (et celles ?) qu’on respecte pour leur sagesse : il n’y avait pas d’autre caractéristique ni condition, ni engagement d de leur part. Comme dans toute association ou communauté. 

[10] La communion est un terme qui ne vient pas de « unus » qui a donné  un, unir,    mais de « munus »  qui a donné municipalité, les communs, communauté,   etc.  et signifie le partage.

[11] J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842.

[12]https://recherches-entrecroisees.net/2019/05/27/eclairage-critique-sur-les-expressions-un-sacerdoce-commun-pour-des-pretres-prophetes-et-rois/

[13] Des rapports de domination – « mon joug est léger.. » – ne font pas honneur au paradoxe évangélique de l’exercice du pouvoir sans domination ni inégalité injuste ; les pouvoirs de type mystérieux ou magiques infantilisent ceux qui y croient… Vers 1920, on interdisait aux laïcs de lire l’Evangile chez eux…et, jusque récemment, les citations des Encycliques contenaient peu de l’Evangile et beaucoup de Pères de l’Eglise, de saints ou d’autres Encycliques…    

[14] Mais cette faute est-elle involontaire ?

[15] J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 854. 

[16]https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/

[17] Et par exemple « « Bref, quand on consulte les récits des origines chrétiennes, on ne voit aucun apôtre, ni quelqu’un d’autre, se mettre à part de la communauté en vertu d’un caractère sacré, ni agir en tant que ministre d’un culte nouveau, ni accomplir d’actes spécifiquement rituels ; on n’observe aucune trace d’une distinction entre personnes consacrées et non consacrées, […]. J. Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2/2, p. 842»

SACRÉ/ SAINT  PRÊTRE/TOUS, interview de Mgr Albert Rouet par Bertrand Revillon

par Marguerite Champeaux-Rousselot

Ce texte est extrait d’un long interview que Bertrand Revillon avait réalisé auprès d’Albert Rouet qui allait prendre sa retraite.

Je l’ai trouvé sur le Blog de Nathalie Mignonat.

SACRÉ PRÊTRE ? Nombre de débats actuels – celui de la liturgie récemment – portent sur l’identité du prêtre et son rapport au « sacré. » Il y a une dizaine d’années, au moment de prendre sa retraite, mon ami Albert Rouet alors archevêque de Poitiers, m’accordait un long entretien. Voici un extrait où il parle, de façon éclairante, de la place du sacré et du rôle du prêtre. Paroles fortes qui me semblent inspirantes pour aujourd’hui.

– Qu’est-ce qu’ »être prêtre » ?

– Un prêtre est un homme qui aide des baptisés à devenir progressivement adultes dans la foi. Combien de chrétiens relisent dans la foi ce qu’ils vivent ? Combien évaluent leur action sous le regard de l’Évangile, et pas uniquement à l’aune du succès humain ? Le prêtre est celui qui ramène à la source, il est le sourcier de l’Évangile, il provoque le croyant à vivre vraiment de sa foi. Il est comme Jésus qui regarde Zachée. Jésus ne lui fait pas la morale, il lui dit simplement : « Ce soir, je dîne chez toi ! » Et cette invitation bouleverse sa vie.

Le prêtre est avant tout ce « sourcier » qui s’invite à dîner, qui est capable de trouver en chaque être le lieu de sa soif et de sa générosité. Être prêtre, c’est être ministre de la communion, c’est envoyer les uns vers les autres, c’est veiller sur la faim des hommes et des femmes, être celui qui fractionne le pain pour le donner à manger, qui lève la coupe de vin pour ouvrir la communauté aux appels du monde, éviter le repli, l’inévitable construction de murs de fortification. Enfin, le prêtre est celui qui redit à une communauté que ce qu’elle est, elle l’est par grâce.

– D’où vient cette tendance actuelle à « re-sacraliser » le prêtre ?

– La notion de « sacré » est ambiguë. Il y a une conception du sacré qui n’est pas chrétienne. Le sacré sépare, divise : il y a ce qui est « sacré » d’un côté et ce qui est « profane » de l’autre ; et on a tôt fait de ranger les prêtres du côté du sacré et les laïcs du côté du profane. C’est oublier un peu vite l’unicité dans laquelle nous place le baptême par lequel nous sommes toutes et tous « prêtres, prophètes et rois » ! La Bible témoigne d’une sortie progressive du sacré pour entrer dans la catégorie de la sainteté. Le « saint », c’est Dieu, le Tout-Autre qui entre en alliance avec l’homme. Cette alliance met la sainteté au cœur même de l’humain. Par l’Esprit, chaque homme, chaque femme est désormais une terre sainte. La division sacré-profane n’est donc pas pertinente en christianisme.

En « re-sacralisant » le prêtre – comme cela est actuellement visible dans certaines orientations – on fait un mauvais calcul. On espère que cela augmentera le nombre des vocations. Mais quel profil de prêtre allons-nous susciter avec pareille stratégie ? Je crains que nous n’ouvrions la porte à un profil psychologique attiré par le pouvoir – car qui maîtrise le sacré maîtrise le pouvoir – soucieux d’affirmer, au travers d’une différence affichée, une identité marquée par une certaine fragilité humaine. Le prêtre n’a pas à être l’homme du sacré comme on le trouve dans toutes les religions depuis l’aube de l’humanité : il a à être le serviteur de la sainteté.

Querida Amazonia… et réflexion sur le cléricalisme, par Jean-Luc Lecat (2020-02-24)

Au cœur d’un très beau texte sur l’Amazonie, plein d’ouvertures, de respect, d’attentions aux plus démunis et de volonté d’inculturation… le triomphe du cléricalisme !

Le célibat des prêtres n’est pas entamé, l’ordination d’hommes mariés n’est pas concevable, les clercs restent au pouvoir et l’ordination des femmes serait inconvenante, cela les « cléricaliserait »  et « provoquerait un subtil appauvrissement de leur apport indispensable  » (& 100) !  Et c’est le « prêtre suprême » qui le décrète. Les apparences sont sauves, François a évité le schisme, la haute diplomatie est couronnée de succès. L’aile conservatrice de l’Eglise peut se vanter d’avoir remporté le match…

À moins que… à moins que… le document de travail élaboré avec les évêques lors du Synode de l’Amazonie ne permette des chemins de traverse, des inventions loin des censeurs rigoristes de la curie et des discours doctrinaires…

Mais cela c’est une autre histoire qui, peut-être, va s’écrire dans le secret des forêts équatoriales…

 

Il n’en reste pas moins que le prêtre reste le pivot, indiscutė et indiscutable, de tout le renouvellement et de la reconquête proposés, même  si les laïcs sont omniprésents et très sollicités

Aucune ouverture n’est faite pour reconnaître et dénoncer le sacerdoce ministériel  comme la racine absolue du cléricalisme contre lequel François a déclaré en août 2018 une  guerre sans merci. Et pourtant, ici, pour François, il s’agit de« …déterminer ce qui est spécifique au prêtre, ce qui ne peut pas être délégué. La réponse se trouve dans le sacrement de l’Ordre sacré qui le configure au Christ prêtre. Et la première conclusion est que ce caractère exclusif reçu dans l’Ordre le rend capable, seulement lui, de présider l’Eucharistie.[125] C’est sa fonction spécifique principale et qui ne peut être déléguée. »(& 87) Tout est dit et… redit catégoriquement !

Tant que les prêtres ne dénonceront pas ce pouvoir sacré qui leur est  attribué à  l’exclusion des autres baptisés , le problème de l’institution ecclésiale au 21e siècle, en Amazonie comme dans le reste du monde, restera entier : la vraie question n’est pas « mariés ou non », mais d’inventer, pour notre temps, cette vie de l’Eglise.

Certains hommes « retiennent jalousement ce rang qui les égale à  Dieu », contrairement à Jésus « qui n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à  Dieu » ( Philippiens, chap. 2, verset 6) !  Sans doute remettent-ils souvent en cause leur façon de vivre ou d’exercer leur ministère,  mais n’osent pas remettre en question leur statut même de détenteur d’un pouvoir sacré, dans ce qu’ils pensent être  leur « supplément d’être », le sacrement de l’Ordre.

Je reçois ce texte un peu comme nous avions reçu « Humanae vitae » sur le contrôle des naissances : Paul VI n’avait pas osé ouvrir les portes  à une façon contemporaine de regarder cette question, et cela a été le début d’une désaffection très grande pour la parole de l’Église, et le déclencheur de multiples départs  fracassants ou… sur la pointe des pieds, mais radicaux ! .

« Querida Amazonia », me semble manifester le même manque d’audace  pour regarder la situation en face et accepter une remise en cause radicale de l’Eglise et de son sacerdoce ministériel. Cette prise de position de François ne risque-t-elle pas d’entraîner un rejet désespéré, et définitif, de cette Eglise et de son pouvoir clérical ?

Qu’est-ce que cette Église, gérée par des clercs, qui ne croit qu’à sa façon de voir et n’accepte pas de se laisser remettre en question par les interpellations de ses fidèles eux-mêmes,  comme par les questionnements du monde dans lequel elle vit ?

La curie, le courant traditionnel, les théologiens sont-ils tellement menaçants et puissants  au point d’empêcher une réelle remise en cause profonde de la structure ?

Faut-il quitter l’Eglise pour pouvoir la réformer ? Jusques à  quand devra-t-on se contenter de discours lénifiants et louangeurs sur l’action indispensable des laïcs, hommes et femmes, qui sembleraient  les seuls sauveurs possibles de cette Eglise cléricale, …à  condition d’être dans les clous ! ?…

Combien de temps faudra-t-il pour reconnaître qu’il y a ni clercs ni laïcs, (*) mais seulement des baptisés, tous à égalité, hommes et témoins et porteurs de la Bonne Nouvelle de Vie pour tous les humains ?

Jean-Luc Lecat  – 16 février 2020

 

(*) cf un chapitre très fort  intitulé « Ni clerc, ni laïc  » de José Arregi, dans « Eclats d’humanité  »                                  Ed. Temps Présent, p. 13 à 16

 

NB – Une précision par rapport au texte  ci-dessus

Je ne cherche pas à juger le pape François et de quel droit le ferais-je ! Je trouve qu’il publie un texte plein de richesses et de pistes sur l’Amazonie.

Ici je me situe au niveau du cléricalisme que représente la  prise de position de François sur le prêtre.

Je me réfère ici au système que le pape consolide en donnant une définition du prêtre qu’il dit  » configuré  au Christ Tête « , et auquel est reconnu par l’Eglise  un pouvoir particulier par rapport aux autres baptisés.

C’est sur ce point que se place ma réflexion et je reconnais que je m’attaque à  une montagne !

Mais, à mon avis, c’est une question fondamentale à laquelle nous devons accepter de nous confronter, si douloureux et difficile que cela puisse être.

Le fond du problème de l’Eglise actuelle n ‘est pas, selon moi, le mariage ou le célibat des clercs, l’ordination des femmes… Je crois que le fond du problème, la racine du cléricalisme  que François lui-même nous a demandé  de contester en août 2018, est lié au statut même d’hommes ordonnés , c’est la place attribuée aux prêtres dans l’Église catholique, le « pouvoir  sacré  » qui leur est reconnu.

Même si cela s’enracine dans une longue histoire de la théologie,  c’est sur ce point fondamental qu’il faut, me semble-t-il, que le peuple entier des baptisés ait le courage de se pencher.

Jean-Luc Lecat  24 /02/2020

« Célébrer pour faire Église » : une liturgie vivifiante et vivante

Le 27 décembre 2019, Jean-Marie Martin a publié  sur le site La Christité : « Célébrer pour faire Église ». Dans cet article, datant probablement de 1992 ou peu avant, Joseph Pierron (décédé il y a tout juste 20 ans), se réfère à l’église Saint-Merri (ou Saint-Merry) de Parisprès de Beaubourg et de l’Hôtel de Ville,  rue de la Verrerie et rue Saint-Martin, où une autre façon de célébrer pour faire Église se vit depuis 1975, année où Xavier de Chalendar a eu en charge le projet «d’inventer et d’assurer une nouvelle présence d’Église. »
Comme le disait Xavier de Chalendar, « Je trouve qu’on pourrait donner davantage de place à l’initiative des chrétiens de base, par rapport à l’importance prise par les équipes pastorales. Il faut toujours laisser les gens continuer à inventer, et accueillir ces inventions ; que les chrétiens ne restent pas passifs, qu’ils décident plus, qu’ils fassent des choix. Il y a une confusion détestable entre fidélité et répétition ».
Il y a vingt ans, le 27 décembre 1999,  Joseph Pierron nous quittait. Occasion ici de lui rendre hommage. C'est en 1985 qu'il se joignit à l'équipe du Centre Pastoral des Halles-Beaubourg à Paris. Il y travailla jusqu'à son décès. L'article publié ici fait partie du livre de René Simon, Actualiser la morale (mélanges offerts à René Simon). Paris, Cerf, 1992. À l'époque René Simon, salésien de Don Bosco faisait partie de la même équipe pastorale, il est décédé en 2004.

CÉLÉBRER POUR FAIRE ÉGLISE, par Joseph Pierron dans le livre offert à René Simon

René Simon fait partie de la communauté du Centre Pastoral des Halles-Beaubourg qui se réunit en l’église Saint Merri. […] C’est à partir de ce lieu particulier que je tenterai d’approcher ce qu’il en est de la célébration eucharistique qui est le cœur et la source de toute communauté. C’est dire que je ne saurais tirer des principes universels, immédiatement transposables ailleurs. Bien plutôt, les quelques singularités montreront les problèmes qui se posent à nous et poseront la question du sérieux de la pluralité dans l’unique culte de l’Église romaine.

Lorsque ce quartier de Paris – que les Halles centrales ont déserté pour la banlieue – se rénove, il apparaît encore plus nettement que la densité des églises paroissiales dans ce secteur est trop important au regard des demandes de catéchisation et de sacramentalisation. Le centre de Paris bouge : de nouveaux besoins se font plus pressants, d’où l’idée du Cardinal Marty de répartir ces tâches nouvelles aux diverses églises. Au centre pastoral des Halles-Beaubourg il confie celle d’inventer et d’assurer une nouvelle présence d’Église. Xavier de Chalendar et une équipe de laïques de prêtres se lancent dans cette entreprise.

Saint-Merri est de plain-pied avec la rue Saint-Martin, vieille route de communication nord-sud et de pèlerinage qui débouche sur la tour Saint-Jacques et qui ouvre le chemin vers Saint-Jacques de Compostelle. Aujourd’hui la procession ne se fait plus dans le même sens : les passants ne marchent plus vers l’église mais bien vers le Centre national d’art moderne, dit aussi Centre Pompidou et sa piazza.

C’est un des lieux qui, à Paris, dit l’impact de la modernité. L’église de Saint-Merri, si belle soit-elle, affrontée au musée d’Art moderne, risquait d’être rejetée du côté du passé ; plus, elle peut apparaître opposée et rivale de la modernité établie sur les bords du flux, elle ne veut pas être marginalisée. Tout d’abord elle peut être ouverte et accueillante. Reste que le rapport au monde qui advient reste une interrogation bien réelle.

Rapidement, la célébration eucharistique s’est révélée nécessaire pour constituer la communauté. Il n’était pas question de satisfaire à bon compte à l’obligation dominicale, encore moins de satisfaire à une forme de piété… Dans le dynamisme d’une communauté qui s’instaurait, dans les divergences d’opinion, dans les discussions autour des options à prendre, dans une ferveur à exprimer, en fonction de désirs à réaliser, il s’agissait bien d’une question d’identité chrétienne qui devait s’affirmer ; heureux si des gens qui depuis des années « ne pratiquaient plus » s’y reconnaissaient comme chrétiens. C’est dans la parole et le mystère de Jésus, du Dieu qui vient, du Dieu pascal, que se trouvait le lieu de l’unité.

Encore fallait-il que ce ne soit pas « le prêtre qui célèbre l’eucharistie » mais bien que ce soit « la communauté qui célèbre » ou encore mieux que ce soit « l’Esprit qui célèbre dans la communauté ». La communauté devait faire eucharistie. Ce n’était pas dévaluer le prêtre, le réduire ; c’était au contraire le situer, l’intégrer. Bien plus authentiquement que notre église de pierre, la communauté rassemblée, invitée, la communauté de ceux qui se savent appelés par leur nom constituent notre lieu d’Église. Le principe était beau, dynamique, enthousiasmant. Il fallait qu’il devienne créateur, constituant et qu’il reste cohérent. Ce n’est pas une tâche facile.

La décision de célébrer l’eucharistie prise, les questions n’ont cessé de se poser, sans obtenir de réponses qui soient sans équivoque, évidentes. Les options restent contestables et contestées. La première question a été celle du rythme des célébrations. Dans la même église, une messe paroissiale est célébrée chaque jour. Des rassemblements de prières se sont organisés, avec des périodicités variées : ils répondent à des exigences personnelles. Le rythme choisi pour la célébration communautaire est hebdomadaire : c’était une façon de se relier à la pratique ecclésiale commune, donc se donner le statut d’une communauté chrétienne, de maintenir aussi le symbolisme de jour « un », mémorial de la résurrection du Christ, signe de l’attente de son retour.

La seconde question porte sur « qui célèbre ? » Une fois admis que c’est la communauté qui célèbre dans l’Esprit, il est apparu que la constitution d’une équipe liturgique, du fait de son aspect institutionnel, ne répondait guère à ce principe. La préparation de la célébration a lieu le mardi soir : vient qui veut. C’est courir le risque de se retrouver tout seul, ou celui de voir souvent les mêmes têtes, mais c’est aussi s’ouvrir à une recherche insoupçonnée au point de départ. Cela nécessite une sorte d’apprentissage, car partager la parole ne suffit pas à bâtir une célébration.

Dans la même ligne, on a voulu éviter la constitution d’une chorale séparée. La communauté qui célèbre est aussi celle qui chante : un groupe chant a donc été créé, qui crée chants et mélodies, qui assure l’apprentissage des chants par la communauté, qui anime leur exécution, avec le souci constant que toute l’assemblée participe. C’est la même ligne de recherche qui fait que, si aucun des prêtres de la communauté n’est présent, il ne sera pas fait appel à un prêtre étranger. La célébration sera une assemblée dominicale sans prêtre. L’intention est de bien situer le rôle et la fonction du prêtre au cœur de la communauté. Le souci de ne pas accentuer le poids clérical fait que les célébrations concélébrées sont rares : Jeudi saint, Noël…

Célébrer, c’est aussi occuper symboliquement un espace. L’espace de cette belle église du XVIe siècle a été conçu pour un type de célébration qui était dominant à l’époque. C’est une difficulté majeure : comment célébrer le mystère eucharistique dans une perspective différente notoirement de celle dans laquelle ce lieu a été conçu ? Certes on peut distordre les significations ; il en reste toujours un malaise. Par exemple, la chaire reste pour longtemps encore pendue à son pilier, symbole certes d’une parole proclamée, pratique à l’époque où les micros n’existaient pas, mais symbole aussi d’une parole qui tombait de haut, de la bouche d’un homme séparé, mis à part, pris comme intermédiaire du divin. Le chœur, lui, était construit pour laisser place à des conventuels chargés de la louange. Il a de telles proportions qu’il est déjà trop grand pour accueillir la messe quotidienne. Il est certes possible de dresser un autel à l’entrée du chœur et de célébrer face aux fidèles groupés dans la nef. Le rapport symbolique fondamental ne sera pas changé. Assis les uns derrière les autres, les assistants seront tous tournés vers leur seule bouche d’enseignement.

Aucune solution ne pouvait être pleinement satisfaisante. En fait, on a déterminé deux lieux dont la structuration est très différente : l’un pour la liturgie de la parole, l’autre pour la célébration du mémorial et pour le partage du repas. Il y a donc une coupure entre la parole et l’eucharistie. Ce n’est pas sans inconvénient, comme le fait remarquer René Simon dans Aujourd’hui, des chrétiens (53, 1984, p. 10-11) : « Les deux Tables : liturgie de la parole et liturgie du repas ». Nous retrouverons ces difficultés en parlant du déroulement de la célébration.

 

ENTRÉE EN CÉLÉBRATION

Le premier impératif est de constituer en assemblée célébrante ceux et celles qui viennent assister à la messe. Il n’est plus question d’entrer discrètement en silence, dans une église où l’on s’assoit, au mieux pour se recueillir, le plus souvent en attendant que le clergé entre en procession. Ici les gens sont heureux de se retrouver, de se communiquer des nouvelles. Il faut fréquemment rappeler l’importance de l’accueil des nouveaux qui peuvent être timides, réticents, non accoutumés à ce mode de rencontre. Pourtant il faut bien se reconnaître comme croyants désireux de participer à un mystère commun.

L’orgue prépare directement l’entrée en célébration. L’ouverture est faite généralement par un membre de l’équipe pastorale. Son intervention a pour but de faire cesser la rumeur des retrouvailles et d’accueillir les nouveaux, de souder la communauté en lui rappelant certains aspects de la mission de la communauté, de présenter l’axe principal de réflexion et de prière qui a été choisie lors de la préparation. Parfois il peut se faire que l’ouverture se fasse directement par l’exécution d’un chant spécialement bien adapté à la fête célébrée ou au texte de l’Évangile.

L’entrée en prière proprement dite se fait par le chant : au lieu de l’introït qui rythmait la procession solennelle du clergé, l’intention est de se donner une seule voix. Le chant n’est pas l’ornementation d’une célébration ; il constitue une autre parole, une parole de fête, contre-distinguée de cette parole qu’est le commentaire, qui sera plus réflexif ou plus interprétatif. Rassemblés presque en cercle dans un bel espace de la nef centrale, autour du lutrin qui porte la parole d’Écriture qui oriente toute la célébration, le chant permet de se retrouver dans la même tonalité. Le chant n’est plus un moyen ; il est un milieu qui éveille en chacun des harmoniques, qui enveloppe tous ceux et celles qui sont venus pour célébrer ensemble.

 

LA CÉLÉBRATION DE LA PAROLE

Le lieu est donc bien approprié pour l’écoute de la Parole, pour l’accueil de ce qui fonde notre vie de croyants ; les gens se voient et la parole passe. En plus du lieu, un climat s’est peu à peu développé, cette orientation vers la Parole, toujours neuve, encore inentendue, vers l’In-ouï de Dieu ; il y a cette attente d’une parole inentendue, l’approche d’une vérité qu’on ne possède pas, qui n’est pas un savoir que l’on pourrait détenir. La parole n’est que orientation vers…, marche vers…, passage à… « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » : on trouve dans la recherche même… L’effort n’est donc pas d’obtenir un consensus sur des contenus, mais de créer une attitude de recherche, d’accueil et d’étonnement.

Ce qui est indiqué, montré, l’inouï de Dieu, c’est l’événement central de la mort et de la résurrection du Christ, toujours recueilli, toujours accueilli, jamais possédé. Cette orientation de lecture discipline les interventions spontanées, évite une moralisation trop rapide. Elle n’est pas toujours facile à tenir : certaines lectures plus anthropologiques risquent de la masquer. Le danger peut se retrouver quand la lecture se situe dans un contexte politique et social, dans des moments où la lutte, si nécessaire, pour la justice et le droit risque d’occulter la gratuité du salut. La nécessité du devoir de l’homme ne rend pas forcément toute la profondeur de l’appel de Dieu. La parole doit donc être risquée : elle doit bien s’incarner pour accomplir sa vérité. Car la parole est vraie quand elle s’accomplit. C’est là notre première référence : la Bonne Nouvelle de Jésus qui est toujours nouveauté et plénitude.

La parole n’est pas réservée aux prêtres. On ne peut pas dire qu’il y ait méfiance à l’égard d’une parole de clerc. On se méfie plutôt de la « langue de bois » qui peut aussi bien se trouver dans la bouche des laïcs… Renouveler un langage qui, de toute manière, nous précède, n’est pas une petite tâche et l’aventure n’est pas exempte de dérapages. Mais il faut tabler sur le fait que la communauté est adulte et se réapproprie le discours. Au reste, ce n’est pas la précision des définitions qui compte, mais bien plutôt le dynamisme que le langage entraîne, le mouvement qu’il crée. C’est bien dans ce cheminement que se construit l’unité. N’empêche que l’unité est comme une semence qui doit croître et produire du fruit. L’unité ne se base pas tellement sur l’uniformité du discours et de son contenu. De toutes parts, la Parole nous déborde. L’unité va se réaliser dans l’acte d’écoute, soucieux d’éviter le malentendu. On s’appuie bien sur l’autorité de la parole, pas forcément sur l’autorité de celui qui la délivre ou l’interprète… fût-ce avec assurance.

La Parole, mais quelle parole ? Sous quelle forme ? Le choix des textes ne peut être un tri entre les bons textes et les mauvais, entre ceux qui plaisent et ceux qui ne plaisent pas, entre ceux qui « sont riches » (dans le jargon actuel ceux qui permettent nombre d’interprétations spontanées) à l’opposé des textes peineux. L’Écriture est tout entière le recueil de la Parole.

Les textes sont donc généralement ceux que l’Église propose pour ce dimanche-là : c’est un signe de communion avec les autres églises. Il faut vraiment des circonstances exceptionnelles pour que l’on prenne d’autres textes : par exemple, l’évangile de Nicodème en Jean 3 a été choisi pour la célébration du baptême de onze enfants de la communauté, alors que l’Église universelle célébrait la fête du Corps et du Sang du Christ. Le choix d’un autre évangile que celui du jour s’est produit dans des célébrations œcuméniques. Mais le souci reste de se relier à l’Église et de reconnaître la parole de Dieu dans sa totalité.

Ce n’est pourtant pas un choix facile : le découpage des péricopes n’est pas évident, la traduction est parfois approchée, supportée par des présupposés. Plus encore, très souvent, on ne voit pas le principe qui a conduit à mettre ensemble les trois textes proposés, si bien que, dans la majorité des cas, on ne prend pas les trois. Habituellement même, on n’en prend qu’un, quitte a utilisé l’un des deux autres, soit pour la préface, soit pour la post communion. Dans le texte retenu, on choisit une phrase qui, exposée sur le lutrin, au milieu de l’assemblée, indique le grand axe de la célébration. Elle restera affichée toute la semaine.

La parole proclamée, son interprétation est généralement plurielle, d’abord pour souligner la richesse de cette parole qui ne peut être enclose dans une définition, ensuite pour marquer le dynamisme de cette parole qui est vraie en ce qu’elle ouvre des pistes d’expression et qu’elle s’accomplit dans des actes. Il nous apparaît de plus en plus que la communication et l’interprétation de la parole ne peuvent être le fait d’un seul, qui serait le clerc ou le plus compétent en exégèse ou en théologie. Ce qui nous semble plus essentiel, c’est que la parole ait sens en divers lieux, qu’elle puisse s’accomplir en diverses situations : l’expérience chrétienne est bien le lieu où la parole est créatrice et rénovatrice.

Une conséquence pratique, mais qui influe sur la tonalité de la célébration : si la parole est plurielle, elle ne peut être que brève, incisive, par le fait plus percutante dans la dénonciation qui est toujours dans la parole évangélique et plus pressante dans l’invitation à vivre.

En revanche, les modes d’intervention autour de la parole sont peu nombreux : ils sont conditionnés par le lieu et le nombre des participants. Il peut se faire que le commentaire prenne une forme interrogative quand il s’agit d’un appel à la conversion. Quelquefois le commentaire est pris dans une prière responsoriale. Le mode le plus fréquent est le commentaire de la parole. Confié lors de la préparation de la liturgie à plusieurs membres de la communauté, il présente de ce fait une pluralité de points de vue sur ce texte. La variété des points de vue n’est pas infinie : le milieu d’origine des participants est assez homogène. Les dangers sont alors visibles : le discours entre initiés, le discours intellectualisé, l’introduction de formulations reprises aux cours de formation. Les requêtes de notre monde sont très éloignées. Ce sont des critiques dont il nous faut nous souvenir. Généralement le prêtre intervient une fois. Je n’ai jamais vu deux prêtres prendre la parole au cours de la même cérémonie. On cherche aussi à éviter que la parole du prêtre n’apparaisse comme parole de conclusion : il est bon qu’elle reste ouverture, invitation, libération, interrogation…

Un autre mode de communication de la parole, c’est l’échange en petits groupes. À partir de la parole proclamée et brièvement interprétée, un thème de réflexion est proposé à la discussion d’un petit groupe de dix à quinze personnes : le plus souvent la parole circule bien ; elle a un caractère prononcé de témoignage ; mais justement si l’échange est bon, le temps paraît trop court. Mais il se crée un certain isolement car, vu le nombre des groupes, ce qui a été échangé ne peut remonter à la grande assemblée. Par ailleurs le rythme de la célébration est rompu ; certes, souvent un chant réintroduit le thème principal et le ravive. Il n’en reste pas moins qu’avec l’augmentation du nombre des membres de la communauté, c’est un mode de partage difficile à gérer. Pourtant on en voit bien la visée : découvrir l’impact de la parole dans l’expérience vécue soit des personnes soit de la communauté.

Un autre mode de communication est parfois utilisé : c’est ce que nous appelons le micro libre. Le texte sacré a été lu ; une interprétation ouverte en a été donnée : une question principale s’en est dégagée. Qui le veut, peut venir dire comment il la saisit dans son expérience personnelle : il n’y a pas de polémique, pas de censure, encore moins une reprise par le prêtre. Les dangers sont évidents : la trop grande personnalisation des témoignages, le risque de voir certaines personnes devenir des abonnés à cet exercice. Mais dans cette lecture spontanée, parfois de véritables découvertes se font.

Dans cette première partie, la place la plus importante est donc donnée à la parole, reçue du texte, mais qui n’est vraie parole que dans l’impact de nos vies. Deux éléments coutumiers de la célébration n’apparaissent guère : le Kyrie et le Gloria. L’omission est reconnue et acceptée : nous ne souhaitons pas que leur récitation devienne une pure répétition. En revanche, quand nous les utiliserons, ils seront sciemment solennisés pour exprimer une dimension de notre rapport à Dieu. Le Kyrie, par exemple, se développe quand la célébration s’oriente dans la confession des péchés, la supplication ou vers l’accueil de la miséricorde de Dieu. Le Gloria trouve place dans les cérémonies de louange et d’action de grâces. La recherche ici est d’éviter ce qui n’ouvre plus l’oreille, ce qui n’attire pas le cœur. Il y a peut-être dans cette conception une bonne part d’illusion ; reste que nous souhaitons que le message soit nouveauté et espérance.

 

DU LIEU DE LA PAROLE AU LIEU DU REPAS

 Tout un symbolisme pourrait se vivre si le lieu de la célébration eucharistique était le même que celui de la parole : le mémorial eucharistique se déroulerait au cœur même de la Parole qui annonce et remémore l’événement fondateur qui va se revivre dans la foi. Le foyer de célébration serait unique. Cela se fait quelquefois : Jeudi saint, multiplication des pains. Mais généralement, la communauté se rend dans le chœur. Ce transfert ne reste pas sans symbolique : « Lève-toi et marche » a dit la Parole. C’est un autre aspect de la parole, celle qui guérit et met en route.

Ce déplacement peut se faire dans un joyeux désordre, en pleine amitié, comme un peuple qui pérégrine vers cet ailleurs qu’a indiqué la Parole. Ce sera alors au célébrant de faire le lien avec la Parole proclamée et interprétée. Il ne faudrait pas que l’effectuation de la prière eucharistique sombre, plus ou moins dans un rite magique ; ce serait détruire le mystère. En même temps, elle ne peut être explicative : elle est celle qui initie vraiment le mémorial de l’événement du salut qui devient présence ou prophétie…

Parfois le déplacement est processionnel quand, par exemple, le silence apparaît comme l’ambiance la mieux adaptée au mode de célébration choisi. Ce peut être aussi le cas lorsque est demandé à la communauté ce que nous appelons entre nous un geste symbolique qui a pour but de faire participer toute la communauté. J’en évoque un, récent : mercredi des cendres – ouverture du carême de la montée vers Pâques, marche vers la paix. À la croisée du transept a été allumé un brasero ; de chaque côté deux petites tables avec une coupelle de cendres. Le geste doit traduire ce qu’induit la parole : chacun se sait cendres enfermées dans l’éphémère, le mortel, mais vivant pour renaître ; chacun prendra donc une pincée de cendres qui le représente et la jettera au feu qui, lui, représente l’amour de Dieu en Jésus-Christ : c’est la participation à la mort et à la résurrection du Christ qui va être au cœur de la célébration eucharistique.

On peut noter, en passant, que la récitation du Credo est le plus souvent télescopée ; ce n’est pas mépris, encore moins rejet. Mais il faut bien dire que le Credo de Nicée-Constantinople que nos devanciers dans la foi ont élaboré pour éviter les « hérésies » est composé dans un style qui n’a pas la tonalité générale de nos célébrations. Il n’est pas de soi ressenti comme un levier, un dynamisme, encore moins comme un appel. On prendra donc plutôt le style de la profession baptismale, quand la communauté veut se rassembler dans l’expression de sa foi. Cette question montre bien une des difficultés de célébrer : la communauté se sent héritière d’un passé très riche, mais elle se réapproprie difficilement un langage pourtant théologiquement très riche. Je ne prendrai, comme exemple, que ces oraisons latines traditionnelles, bien rythmées, théologiquement très inspirées, qui, traduites en français, ne disent rien.

 L’ACTE EUCHARISTIQUE

La communauté est maintenant rassemblée dans le chœur : l’autel fait face, non à la nef, mais à l’abside. L’espace occupé a donc la forme d’un ovale où les fidèles se tiennent debout, serrés, participants, pas seulement assistants. Le moment prend un certain poids. Le ton de la parole change : on entre dans le mémorial, dans le rappel de l’acte qui fonde notre foi et notre communauté. Tout en étant louange et action de grâces, la parole est de forme narrative, un récit solennisé qui invite à l’accueil de cet événement dans l’adhésion de foi. C’est un exercice difficile que cette parole-là qui laisse peu de place à l’invention.

Elle est préparée par la parole d’offertoire qui donne l’occasion à la communauté de se concentrer et de densifier sa présence, d’intensifier son aspect collectif. Tous sont tournés vers l’autel, ils ne sont plus dans le face-à-face de la communication de la parole. L’entassement ne permet guère de gestes. Certes on a pu critiquer l’enfermement de ce cercle communautaire. Il est difficile au passant d’entrer dans le cercle. Mais c’est le moment où tous sont fixés sur la nouveauté inouïe de cette présence du Christ par l’accomplissement de sa parole, dans le « maintenant de l’acte de passage » où, par son Esprit la communauté prend conscience d’être le Corps du Ressuscité.

La préface qui ouvre la grande prière eucharistique fait le lien avec la parole proclamée et écoutée. Là, la parole n’est plus anecdote, ni exhortation moralisante ; elle fait partie de l’événement du salut : la parole reprise et célébrée constitue le maintenant de la Résurrection. L’Évangile est Bonne Nouvelle parce qu’il n’a encore jamais été aussi puissance de Dieu pour le salut. Là l’espace est bien adapté à cette communion dans la foi, dans la chaleur de la prière unique. Les chants se répercutent tout autrement : ils créent un regroupement encore plus intense.

Le récit de l’institution, connu, simple, prend, dans ce moment très court, tout à la fois pesanteur et lumière. Il n’est pas question de changer le récit de l’institution, mais là encore, pour éviter l’usure et la répétition, il suffit d’accentuer un mot, de laisser un court temps de silence entre le récit de l’institution et le chant de l’anamnèse, voire de chanter deux fois l’anamnèse, une fois après la consécration du pain, une fois après la consécration du vin.

C’est certainement là que la communauté prend le plus conscience d’être constituée d’ailleurs, d’être anticipée, d’être devancée par l’amour de Dieu. C’est le moment de la gratuité, de la miséricorde, du pardon – du don qui est par-delà toute attente – de l’accueil de cette parole qui est Jésus le Christ.

La préoccupation des hommes et du monde reste présente, en particulier dans la prière d’intercession qui suit l’épiclèse. Mais on sent bien qu’une telle supplication n’est pas pleinement adaptée à la requête éthique de notre temps ; c’est un peu se débarrasser sur Dieu de ce qui nous préoccupe, alors que nous ne voyons pas quelle solution proposer. Nous avons donc beaucoup à réfléchir à ce qu’il en est de l’intercession et au devoir éthique qui nous incombe.

Le Notre Père, généralement récité, exceptionnellement chanté, est la conclusion de la liturgie du mémorial. La communauté unifiée peut demander de faire la volonté du Père, c’est-à-dire de réaliser le désir qu’elle porte au plus profond. Elle est alors orientée vers les autres, vers la parole à annoncer, vers l’engagement à prendre. Le baiser de paix symbolise cette unité des croyants rassemblés dans l’œuvre du Père.

 

LA LITURGIE DU REPAS

C’est à ce point que se situe la symbolique du partage. Certes on a tenté de solenniser ce moment, en particulier en donnant la communion sous les deux espèces. Un tel mode de distribution exige que soit démultipliés les points de distribution du pain et du vin. Mais au lieu d’être le rassemblement, le partage, c’est l’éclatement et la dispersion. Si l’on ne communie qu’avec le pain en faisant circuler des corbeilles, le temps de la communion s’étire trop du fait des participants. Le geste est certes porteur d’un beau symbolisme du rôle des chrétiens les uns vis-à-vis des autres. Quoi qu’il en soit, sous une forme ou sous une autre, ce partage n’a que peu de rapport avec ce qu’on appelle ordinairement un repas. On a tenté parfois de donner à la célébration un prolongement en offrant un repas ; une fois même le repas a suivi immédiatement l’office qui était celui de la multiplication des pains, et cela s’est déroulé dans l’église. Mais ce ne sont que des pis-aller qui ne permettent pas de vivre symboliquement une réalité.En fait, la meilleure traduction de ce partage reste l’amitié réelle qui s’exprime aussitôt la messe terminée. C’est souvent là aussi que les initiatives en faveur des droits de l’homme se font jour. Reste que la liaison n’est pas évidente entre le mémorial eucharistique et ce que l’on pourrait appeler une dimension éthique. Il nous reste à inventer dans les contraintes d’espace et de temps et de nombre.

À l’expérience, célébrée reste toujours une aventure et un risque : il est certes plus facile de s’en remettre à un rituel bien déterminé… mais il n’est pas certain que ce soit la meilleure voie pour entrer dans le dynamisme de la célébration de l’acte fondateur qui est mémorial, présence et prophétie, pour y découvrir le sens de la création et du monde, pour y renouveler l’espérance et l’agir. Notre vœu est de rester par là fidèle à la parole instauratrice et à l’intention ecclésiale.

Article de Joseph Pierron, mis par Jean-Marie Martin sur son site La Christité.

 

 

 

 

 

 

Les dix derniers siècles de pratique du célibat des prêtres: quel bilan pour quel avenir ? ( 2019-11-04) Marguerite Champeaux-Rousselot

A propos du célibat des prêtres, le cardinal Ouellet a écrit que l’Eglise n’avait pas besoin d’ordonner des « viri probati ».

J’ai pu avoir cette info sur un site qui suit de près le Synode en Amazonie

Après lecture du texte du Cardinal Ouellet, nous nous interrogeons sur trois points.

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Comment en est-on arrivé à des prêtres catholiques non mariés ?

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Éclairage critique sur les expressions « un sacerdoce commun » pour des « prêtres, prophètes et rois » ( 2019-01)

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