Les dix derniers siècles de pratique du célibat des prêtres: quel bilan pour quel avenir ? ( 2019-11-04) Marguerite Champeaux-Rousselot

A propos du célibat des prêtres, le cardinal Ouellet a écrit que l’Eglise n’avait pas besoin d’ordonner des « viri probati ».

J’ai pu avoir cette info sur un site qui suit de près le Synode en Amazonie

Après lecture du texte du Cardinal Ouellet, nous nous interrogeons sur trois points.

Oui, tout choix ( médiatisé) a un potentiel d’impression très fort : que ce soit le choix d’un sportif, d’un auteur d’un artiste, d’un homme politique … Chacun, surtout parce qu’il y en plus des renoncements, exprime la foi ou l’espoir (foi en soi , foi en un autre, foi en des idées). En cela, chacun a un potentiel de conviction et peut faire des émules. Ce que, en matière ecclésiale, le Cardinal Ouellet appelle un «potentiel évangélisateur incomparable» grâce auquel l’Eglise latine est «plus missionnaire que n’importe quelle autre».

Oui certes, le célibat peut être compris lyriquement comme « un acte de foi », très sincère comme tous les autres choix radicaux. Mais cette foi n’est évidemment pas foi en rien ni en personne : dire « le célibat est un acte de foi » ne peut éviter une question sur l’objet de cette « foi » : pour savoir si on s’est trompé ou non sur l’objet du choix : première question. .

A supposer que l’Eglise et les chrétiens veulent vivre (et agir) en faisant passer avant tout l’Evangile et tous nos frères les hommes, Jésus et le Royaume à construire qu’il annonce, Dieu, notre Père à tous, il faudra se questionner sur les raisons de choisir le célibat. Affirmer que le prêtre catholique romain, parce que célibataire, parce que renonçant au mariage, peut appartenir « totalement au Seigneur et servir le ministère de sa Parole » est une affirmation belle d’apparence, mais dont l’exactitude doit être elle aussi vérifiée au bout de 10 siècles de cette pratique : c’est la deuxième question

Troisième et dernière question : qui peut légitimement affirmer que telle ou telle Eglise a tel ou tel besoin, ou non ?

 

Un chemin de réponse en trois temps…

Une croissance  progressive au fil des besoins

Tout d’abord, a-t-on le droit de dire que l’Eglise « a compris petit à petit qu’il devait y avoir des exigences nouvelles » et qu’elle a alors « instauré la règle du célibat » ?

Certes, cela s’est fait petit à petit, mais cela a correspondu précisément aux besoins de certains chrétiens de certaines époques : même si cela dérange certains, aux tout premiers siècles, les chrétiens choisissaient, élisaient, leurs responsables en quelque sorte parmi ceux qu’on pourrait appeler des « viri probati » ; malheureusement, ces « responsables » ont conquis, contrairement à l’Evangile, un statut matériel de puissants, de riches, souvent héréditairement et familialement, et parfois avec la sexualité d’hommes « gourmands », bref ils sont devenus souvent des anti-modèles. Au bout de ces dix à quinze premiers siècles, des chrétiens se sont élevés contre ces dérives : le concile de Latran IV, la Réforme protestante, le concile de Trente, dit de la Contre-réforme catholique ( 1546-1547) etc. ont lutté contre ces contre-exemples…
N.B. J’ai lu , mais sans aucune référence et uniquement, que le concile de Trente (1545-1563) établit que « le célibat et la virginité sont supérieurs au mariage » ; que, sur la morale des ecclésiastiques, il affirme que la hiérarchie suspendra les clercs ne portant pas soutane, veillera à l’honnêteté de vie des hommes d’Église, punira les prêtres concubinaires, bannira du culte « l’avarice, l’irrévérence et la superstition », éloignera de l’autel les prêtres « vagabonds et inconnus », ne conférera sacerdoce et charge d’âmes qu’à des ordinands éprouvés ; et que le cumul des bénéfices est interdit.

Aucun texte précédent n’interdisant le mariage des responsables chrétiens puis des prêtres, ( évêques mis à part ) le fait que ce Concile punisse les prêtres concubinaires ne signifie toujours pas clairement qu’ils ne peuvent plus être mariés. Merci de me communiquer vos informations à ce sujet le cas échéant.

Une excroissance dogmatisée

Par la suite, dit-on, les catholiques ont réussi à instaurer alors progressivement « la règle obligatoire du célibat » et ont eu alors besoin de le promouvoir, en toute sincérité et pour bien faire, comme valeur positive conforme à… l’Evangile et au plan de Dieu. Cet exercice théologique a été difficile : il a été visiblement aidé par des raisonnements qui ne sont pas fondés sur les valeurs essentielles retenues par l’Evangile. Faire passer ces «exigences nouvelles» comme des «obligations» n’a été possible que par force : infantilisation des fidèles, sacralisation des prêtres, chantage à l’Enfer, focalisation sur le péché et le péché originel etc. Des raisonnements de type philosophique ont servi de base à une théologie scholastique, qui s’est en fait ajoutée parallèlement à la parole de Jésus sans beaucoup de connexion avec elle. Ce qui a été présenté progressivement comme une vérité a été martelé sous peine de d’anathème et été ressenti par les fidèles sincères comme un dogme.

Ce célibat « obligatoire » des prêtres s’était donc mis progressivement en place pour lutter contre une dégradation très grave, anti-évangélique à vrai dire, de ceux qui auraient dû être des exemples dans la zone centrale influençant le monde entier où s’étendait, de façon assez uniforme, l’Eglise catholique d’alors. Avec notre recul de dix siècles, on peut parler d’une réponse en réalité quasiment conjoncturelle.

Cette réponse s’est ensuite imposée pour ainsi dire dogmatiquement partout au fur et à mesure que l’Eglise catholique s’étendait sur la Terre entière dans d’autres civilisations, dans d’autres milieux. Alors, pourquoi n’en serait-il pas de même encore aujourd’hui pour répondre à certains besoins de certains chrétiens à notre époque ?

On ne s’était pas beaucoup demandé alors si les régions converties à l’Evangile avaient besoin ou non de cette règle relativement récente… Elles n’ont pu prendre de distance avec des affirmations de type dogmatiques présentées comme « de toujours et partout». Elle s’est imposée » à eux, sans recul.

C’est pourtant sans doute une bonne chose de se poser cette question aujourd’hui, ici et là, aujourd’hui même où la majorité de ceux qui attendent l’Evangile ou qui l’ont reçu, n’ont plus les mêmes besoins que partout-jadis… La question amazonienne éclaire d’un jour peut-être salutaire notre passé…

20 siècles permettent-ils de prendre du recul  pour retrouver le fil des besoins ?

On peut même se poser la question en observant ceux qui ont quitté l’Eglise en diagnostiquant chez elle un décalage avec leur temps et leur besoins. Chaque question pose par un autre mérite de nous faire nous interroger sur notre fidélité à Jésus : qu’y répondrait-il ? Il est légitime et sain de faire nôtre chaque question, de la faire générale, même si – et d’autant plus si – une réponse positive contredirait la réponse conjoncturelle passée en étant au contraire en plein accord avec l’Evangile et les premiers temps de l’Eglise.

Rien d’étonnant, car contrairement à ce que l’on affirme souvent, le Christ n’a pas vécu en milieu religieux… En effet,

  • Non seulement en effet les Juifs vivaient  au milieu de non-juifs ( polythéistes, monothéistes, incroyants, athées, sceptiques, superstitieux… )  bien plus nombreux qu’eux…
  •  mais encore il s’est lui-même démarqué de principes prétendument religieux qui séparaient les Juifs des autres peuples et sacralisaient les prêtres d’Israël en les séparant du peuple… On peut noter le « tri » que Jésus semble avoir pratiqué dans sa propre religion.
  •  et surtout  le monde entier est un grand troupeau de brebis par lesquels Jésus ( et l’Evangile comme les premières communautés), se sentait concerné puisqu’il ne faisait pas de différence entre tous les enfants de Dieu son Père.  La question est d’être un bon pasteur  : celui qui répond aux besoins réels de ses brebis… non pas à ceux qu’il  suppose à ses brebis ou qui correspondent à ses propres envies.  ( relire les paraboles )

Le cardinal Ouellet regrette que la «grande valeur» que constitue le célibat soit remise en cause, injustement ou illogiquement, à l’occasion ou sous le prétexte « des nombreux échecs de l’institution ecclésiale, de la crise des abus sexuels mais aussi du cléricalisme ». Il n’est effectivement que trop clair hélas, car trop tard, que le célibat des prêtres, appliqué sans discernement suffisant, à tous ou dans des régions, des milieux, des situations où il n’était pas toujours pertinent, a causé bien des ravages connus ou non.

Le célibat doit effectivement être identifié comme une solution conjoncturelle à une déviance tardive  : il a correspondu à des besoins précis,  et sa valeur doit  donc être relativisée à la lumière de l’Evangile, à l’intérieur d’une problématique plus vaste : Jésus a proposé à tous et à tous ceux qui le veulent, des chemins vers la Lumière. Il invite à construire le Royaume mais a visiblement évité de donner des règles et des hiérarchies.

Pour conclure en ré-ouvrant une porte qui n’a plus besoin d’être fermée…

Le recul de dix siècles usant de cette pratique du célibat des prêtres catholiques permet de tirer un bilan diagnostique pour s’ouvrir en connaissance de cause aux besoins de nos frères, besoins du présent et du futur.

Cet effort sur-humain pour certains vers un idéal répondait alors en fait aux besoins passés, sincères mais momentanés et locaux de l’Eglise d’une époque, alors centrée sur sa « majorité » de pouvoir : de ce fait il repose actuellement sur des textes conciliaires tardifs et inappropriés aux besoins actuels de certains. De nos jours, la valeur de cette solution doit être repensée et relue à la lumière même de l’Evangile : Jésus s’est efforcé de désacraliser la religion et d’unifier la fraternité des fils de Dieu. Il n’avait donc pas peur d’un désordre d’organisation lorsqu’il invitait chacun à construire le Royaume du Père tout en évitant visiblement de donner des règles. Jamais dogmatique, il n’a donné que de rares impératifs, le plus souvent pleins d’humanité et de bon sens, à l’écoute des besoins conduisant à Dieu…

S’agissait-il d’être «incomparable» ou de viser des records en matière de conversion par du spectaculaire  ou de l’extraordinaire ? Qui aurait donc le droit d’imposer ses solutions aux autres, qu’elles soient nouvelles ou datant de dix siècles, dominantes ou minoritaires ?

Il n’est pas trop tard pour rappeler que, comme aux débuts des Eglises qui ont formé l’Eglise, c’est à chaque communauté vivante actuelle d’affirmer ses besoins et elle peut légitimement y répondre par des solutions adaptées, donc éventuellement périmables mais qui doivent être en accord avec la pierre de touche qu’est l’Evangile. Ce choix restaurera officiellement des valeurs relativisées par le célibat des prêtres : chacun dans son état peut appartenir « totalement au Seigneur et servir le ministère de sa Parole ».

Le choix du célibat et des renoncements par certains reste évidemment possible : « acte de foi » très libre, son potentiel d’impression ne diminuera certes pas, qu’il soit définitif ou momentané. Il exprimera de fortes convictions et une vocation qui pourra tout autant faire des émules, surtout s’il n’y a moins d’échecs et de drames. Certaines valeurs de sublimation conduisant à des actes offerts à Dieu en sacrifice supposé lui être agréable, seront sans doute à reconsidérer également.

Le vivre en chrétien, en catholique, ne peut passer en Eglise que par l’Evangile et par tous nos frères : Jésus invite à construire le Royaume en se laissant guider par les besoins des Hommes, des plus petits, qui ont soif de Dieu, notre Père à tous.

Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2019-10-04)

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