Texte extrait de Marcel Légaut, L’Homme à la recherche de son humanité, 1992,
chap. 4 p.78-79 Aubier.
Petite introduction personnelle
Mathématicien de haut niveau (ayant fait par exemple Normale Sup sciences) avant de s’intéresser à l’Homme et à sa démarche pour grandir également en spirituel, Marcel Légaut m’intéresse par la manière dont il mène sa réflexion qui ne peut être qu’hypothétique au départ.
Au lieu de se laisser paralyser par l’inconnu nettement reconnu comme tel, il fait partie de ceux qui, munis peut-être seulement d’une boîte d’allumettes dans leur poche, se risquent à avancer à la lueur de ce qui est derrière eux… dans l’espoir que leurs yeux s’habitueront au noir et que la lumière croîtra, derrière eux comme peut-être devant ..
Dans ce texte, il montre comment on peut réfléchir à notre futur, individuellement et collectivement à partir de notre connaissance relative à notre passé, mais aussi à partir de certaines de nos intuitions qui visent à combler de façon hypothétique les zones ignorées de notre passé, en attendant de pouvoir mieux les préciser.
Légaut y parle avec son humour habituel, et son raisonnement me semble assez fiable : il parle avec les précautions nécessaires dans un laboratoire de recherche ( Ce processus n’est exact que dans la mesure où… ; ), avec la modestie qui naît de sa connaissance de la science statistique qu’on emploie dans les études de cas avant d’en déduire un loi de probabilité, et avec un sérieux qui naît de sa connaissance de la relativité des affirmations. Mais il fait également fond sur les capacités non mathématisables de l’Homme à se sonder lui-même et à percevoir globalement une évolution passée personnelle ou universelle qui laisse envisager le ou les futurs possibles entre lesquels il pourra ainsi choisir en meilleure connaissance de cause…
Il s’agit ici non pas d’une Histoire des faits, mais je ne sais pas comment dire autrement, d’une histoire existentielle de chacun et de l’Humanité.
C’est un exercice presque qu’il nous convie à faire pour nous-mêmes…
Bonne lecture à bonne distance, et bonnes réflexions !
Marguerite Champeaux-Rousselot ( 2019-11-03)
Extrait :
« L’activité spirituelle de l’homme dans le souvenir n’aboutit pas seulement pour lui à une meilleure intelligence de son passé et à une manière plus juste de comprendre son présent. Elle peut lui donner une idée globale de ce qu’il sera conduit ultérieurement à vivre. Par elle, il en vient à faire non seulement œuvre de compréhension, de synthèse, de rénovation de son histoire, mais il atteint à une vision pour ainsi dire prophétique de son avenir.
Cette sorte de prescience n’est pas un souvenir proprement dit.
Avec l’humour qui convient on pourrait en rêver l’origine dans quelque réminiscence d’une vie antérieure, ou y voir le signe d’une prédestination…
Cependant, ce pressentiment est issu du souvenir, il évolue avec lui et lui reste intimement lié. Il se montre justifié et utile dans la mesure où la vue que l’homme prend de lui-même par le souvenir est exact. Comme l’intelligence que l’homme acquiert de son passé est finalement plus vraie que les connaissances objectives qu’il en a conservées, cette prescience dépasse la simple prévision de l’avenir tel que le présent le permet avec une probabilité raisonnable. Inspiré par la secrète et infrangible unité de l’essentiel de son passé, l’homme, quand il se recueille en lui-même et se tient face à l’avenir, est conduit à extrapoler son histoire. Par le sens approfondi de la continuité et du dynamisme vital qui agit en lui et par lui à l’intérieur même de sa liberté, il accède à une vue d’ensemble de son avenir. A partir de son évolution intime, des goûts et des exigences qui s’annoncent de loin dans le développement de sa vie spirituelle, il lui est donné d’entrevoir ce qui est susceptible de lui arriver; il s’y attend et est invité à s’y préparer comme si déjà il le voyait poindre à l’horizon. Sans d’ailleurs s’attacher de façon spéciale à la représentation qu’il est porté ainsi à donner de ce qui vient, l’homme reçoit aux heures de lumière, avec l’assurance intime de l’exactitude de sa voie, celle de la justesse de ses vues. Cette prescience n’est nullement engendrée par la curiosité ni par l’anxiété devant l’inconnu. Elle est d’autant plus exacte que l’homme n’a pas pesé sur elle par ses réactions même les plus raisonnables, ni ne lui a rien ajouté par ses déductions même les plus vraisemblables. Elle jaillit de lui plus encore qu’il ne la tire de soi. Il l’accueille avec quelque passivité plus encore qu’il ne la recherche activement. Il la tient à distance sans d’ailleurs la fuir. Cette illumination, exige une acceptation qui souvent n’exclut pas l’angoisse, tellement elle va au-delà de l’instinct, tout en s’appuyant sur lui. A ces conditions, elle le visite de sa grâce propre. »