par Marguerite Champeaux-Rousselot
Ce texte est extrait d’un long interview que Bertrand Revillon avait réalisé auprès d’Albert Rouet qui allait prendre sa retraite.
Je l’ai trouvé sur le Blog de Nathalie Mignonat.
SACRÉ PRÊTRE ? Nombre de débats actuels – celui de la liturgie récemment – portent sur l’identité du prêtre et son rapport au « sacré. » Il y a une dizaine d’années, au moment de prendre sa retraite, mon ami Albert Rouet alors archevêque de Poitiers, m’accordait un long entretien. Voici un extrait où il parle, de façon éclairante, de la place du sacré et du rôle du prêtre. Paroles fortes qui me semblent inspirantes pour aujourd’hui.
– Qu’est-ce qu’ »être prêtre » ?
– Un prêtre est un homme qui aide des baptisés à devenir progressivement adultes dans la foi. Combien de chrétiens relisent dans la foi ce qu’ils vivent ? Combien évaluent leur action sous le regard de l’Évangile, et pas uniquement à l’aune du succès humain ? Le prêtre est celui qui ramène à la source, il est le sourcier de l’Évangile, il provoque le croyant à vivre vraiment de sa foi. Il est comme Jésus qui regarde Zachée. Jésus ne lui fait pas la morale, il lui dit simplement : « Ce soir, je dîne chez toi ! » Et cette invitation bouleverse sa vie.
Le prêtre est avant tout ce « sourcier » qui s’invite à dîner, qui est capable de trouver en chaque être le lieu de sa soif et de sa générosité. Être prêtre, c’est être ministre de la communion, c’est envoyer les uns vers les autres, c’est veiller sur la faim des hommes et des femmes, être celui qui fractionne le pain pour le donner à manger, qui lève la coupe de vin pour ouvrir la communauté aux appels du monde, éviter le repli, l’inévitable construction de murs de fortification. Enfin, le prêtre est celui qui redit à une communauté que ce qu’elle est, elle l’est par grâce.
– D’où vient cette tendance actuelle à « re-sacraliser » le prêtre ?
– La notion de « sacré » est ambiguë. Il y a une conception du sacré qui n’est pas chrétienne. Le sacré sépare, divise : il y a ce qui est « sacré » d’un côté et ce qui est « profane » de l’autre ; et on a tôt fait de ranger les prêtres du côté du sacré et les laïcs du côté du profane. C’est oublier un peu vite l’unicité dans laquelle nous place le baptême par lequel nous sommes toutes et tous « prêtres, prophètes et rois » ! La Bible témoigne d’une sortie progressive du sacré pour entrer dans la catégorie de la sainteté. Le « saint », c’est Dieu, le Tout-Autre qui entre en alliance avec l’homme. Cette alliance met la sainteté au cœur même de l’humain. Par l’Esprit, chaque homme, chaque femme est désormais une terre sainte. La division sacré-profane n’est donc pas pertinente en christianisme.
En « re-sacralisant » le prêtre – comme cela est actuellement visible dans certaines orientations – on fait un mauvais calcul. On espère que cela augmentera le nombre des vocations. Mais quel profil de prêtre allons-nous susciter avec pareille stratégie ? Je crains que nous n’ouvrions la porte à un profil psychologique attiré par le pouvoir – car qui maîtrise le sacré maîtrise le pouvoir – soucieux d’affirmer, au travers d’une différence affichée, une identité marquée par une certaine fragilité humaine. Le prêtre n’a pas à être l’homme du sacré comme on le trouve dans toutes les religions depuis l’aube de l’humanité : il a à être le serviteur de la sainteté.