Les paroles de Jésus à son dernier repas, selon Paul : partager pour unir. ( 2018-05-03)

200-300 banquet fresque catacombes, Sainte CalixteMarguerite Champeaux-Rousselot  ( 2018-05-03)

I Corinthiens, 11, 17-34

Voyons le contexte de ces paroles, comme il est nécessaire de la faire chaque fois qu’on cite quelqu’un.

Paul traite dans cette épître de difficultés concrètes chez les Corinthiens. Son objectif n’est pas théologique, même s’il se sert d’arguments théologiques sommaires…
Il règle de nombreux problèmes concernant le vivre ensemble… et termine en rappelant  que les femmes devaient porter un voile et ne jamais laisser ses cheveux longs visibles.
Ensuite il va expliquer dans quel esprit doivent se passer les repas dominicaux, où les chrétiens partageaient le repas, et se focalisera sur deux points.

Ici texte grec et français en deux colonnes ( ma traduction ), mais ensuite  un commentaire pas à pas.

I Co 11,17-34
17 Τοῦτο δὲ παραγγέλλων οὐκ ἐπαινῶ, ὅτι οὐκ εἰς τὸ κρεῖττον, ἀλλ’ εἰς τὸ ἧττον συνέρχεσθε.

18 πρῶτον μὲν γὰρ συνερχομένων ὑμῶν ἐν ἐκκλησίᾳ ἀκούω σχίσματα ἐν ὑμῖν ὑπάρχειν καὶ μέρος τι πιστεύω· 19 δεῖ γὰρ καὶ αἱρέσεις ἐν ὑμῖν εἶναι, ἵνα οἱ δόκιμοι φανεροὶ γένωνται ἐν ὑμῖν.

20 συνερχομένων οὖν ὑμῶν ἐπὶ τὸ αὐτὸ οὐκ ἔστι κυριακὸν δεῖπνον φαγεῖν· 21 ἕκαστος γὰρ τὸ ἴδιον δεῖπνον προσλαμβάνει ἐν τῷ φαγεῖν, καὶ ὃς μὲν πεινᾷ, ὃς δὲ μεθύει. 22 μὴ γὰρ οἰκίας οὐκ ἔχετε εἰς τὸ ἐσθίειν καὶ πίνειν; ἢ τῆς ἐκκλησίας τοῦ Θεοῦ καταφρονεῖτε, καὶ καταισχύνετε τοὺς μὴ ἔχοντας; τί ὑμῖν εἴπω; ἐπαινέσω ὑμᾶς ἐν τούτῳ; οὐκ ἐπαινῶ.

23 Ἐγὼ γὰρ παρέλαβον ἀπὸ τοῦ Κυρίου, ὃ καὶ παρέδωκα ὑμῖν, ὅτι ὁ Κύριος Ἰησοῦς ἐν τῇ νυκτὶ ᾗ παρεδίδοτο ἔλαβεν ἄρτον καὶ εὐχαριστήσας ἔκλασε καὶ εἶπε· 24 λάβετε, φάγετε· τοῦτό μού ἐστι τὸ σῶμα τὸ ὑπὲρ ὑμῶν κλώμενον· τοῦτο ποιεῖτε εἰς τὴν ἐμὴν ἀνάμνησιν.

25 ὡσαύτως καὶ τὸ ποτήριον μετὰ τὸ δειπνῆσαι λέγων· τοῦτο τὸ ποτήριον ἡ καινὴ διαθήκη ἐστὶν ἐν τῷ ἐμῷ αἵματι· τοῦτο ποιεῖτε, ὁσάκις ἂν πίνητε, εἰς τὴν ἐμὴν ἀνάμνησιν.

26 ὁσάκις γὰρ ἂν ἐσθίητε τὸν ἄρτον τοῦτον καὶ τὸ ποτήριον τοῦτο πίνητε, τὸν θάνατον τοῦ Κυρίου καταγγέλλετε, ἄχρις οὗ ἂν ἔλθῃ. 27 ὥστε ὃς ἂν ἐσθίῃ τὸν ἄρτον τοῦτον ἢ πίνῃ τὸ ποτήριον τοῦ Κυρίου ἀναξίως, ἔνοχος ἔσται τοῦ σώματος καὶ τοῦ αἵματος τοῦ Κυρίου.

28 δοκιμαζέτω δὲ ἄνθρωπος ἑαυτόν, καὶ οὕτως ἐκ τοῦ ἄρτου ἐσθιέτω καὶ ἐκ τοῦ ποτηρίου πινέτω·

29 ὁ γὰρ ἐσθίων καὶ πίνων ἀναξίως κρῖμα ἑαυτῷ ἐσθίει καὶ πίνει, μὴ διακρίνων τὸ σῶμα τοῦ Κυρίου. 30 διὰ τοῦτο ἐν ὑμῖν πολλοὶ ἀσθενεῖς καὶ ἄρρωστοι καὶ κοιμῶνται ἱκανοί.

31 εἰ γὰρ ἑαυτοὺς διεκρίνομεν, οὐκ ἂν ἐκρινόμεθα·

32 κρινόμενοι δὲ ὑπὸ τοῦ Κυρίου παιδευόμεθα, ἵνα μὴ σὺν τῷ κόσμῳ κατακριθῶμεν.

33 Ὥστε, ἀδελφοί μου, συνερχόμενοι εἰς τὸ φαγεῖν ἀλλήλους ἐκδέχεσθε·

34 εἰ δέ τις πεινᾷ, ἐν οἴκῳ ἐσθιέτω, ἵνα μὴ εἰς κρῖμα συνέρχησθε.

Τὰ δὲ λοιπὰ ὡς ἂν ἔλθω διατάξομαι.

17 Puisque j’en suis à vous faire des recommandations, je ne vous félicite vraiment pas  parce que  vous vous assemblez    non pas au nom du meilleur  mais pour du moins bien !

18 Tout d’abord en effet, j’entends dire que,  vous étant assemblés,  il se trouve  dans votre rassemblement   des coupures en vous-mêmes, et je crois cela en partie… 19 car il faut bien qu’il y ait parmi vous aussi des groupes qui s’opposent (  = des hérésies ? ) , afin que ceux  qui ont une valeur éprouvée deviennent  visibles parmi vous !

20 Donc… lorsque vous vous réunissez en un même lieu, il ne s’agit pas de manger  un  ( s.e  vrai) repas du Seigneur21  chacun en fait se précipite pour manger son  repas individuel/personnel, et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu.22 N’avez-vous donc pas de maisons pour manger et pour boire ? Ou méprisez-vous l’assemblée appelée par Dieu  et humiliez-vous ceux qui n’ont rien ? Que puis-je vous dire ? Je vous féliciterai  en  cela ? Ah Non, je ne vous félicite pas !

23 Moi  j’ai reçu  du Seigneur, ce que moi aussi je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était trahi/livré,  prit du pain,24 puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : «  Prenez, mangez, ceci  de moi  est le corps rompu au dessus[1]  de vous[2]. Faites ceci en/pour la remémoration de moi. »

25 Exactement de même aussi la coupe,  après le dîner,  en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang[3]. Faites ceci chaque fois que vous boirez, en/pour la remémoration de moi. »

26 En effet,  chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez[4] la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

27 De sorte que  celui qui mange  ce pain-là  ou boit  la coupe d’une manière indigne/inappropriée  vis-à-vis du Seigneur  sera coupable/responsable vis-à-vis du corps et du sang du Seigneur[5].

28 Qu’une personne s’estime donc soi-même, et  ainsi (seulement s.e),  mange de ce pain et boire  de  cette coupe.

29 Celui qui mange et boit de façon non-digne mange et boit son propre jugement, en  ne discernant  pas  le corps du Seigneur. 30 C’est pour cela qu’il y a chez vous beaucoup de malades et d’infirmes et qu’un certain nombre sont endormis dans la mort.

31 Si nous nous discernions/jugions  nous-mêmes, nous ne serions pas discernés/jugés.

32 Mais lorsque nous sommes jugés/discernés  par le Seigneur, nous sommes éduqués  (par lui) afin de ne pas  être discernés/condamnés  avec le monde.

33 Ainsi donc, mes frères, quand vous vous réunissez pour  mangez, attendez-vous les uns les autres ;

34 et si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison, pour que vous ne vous réunissiez pas pour  être condamnés…

Quant au reste, je le réglerai quand je viendrai.

Commentaire pas à pas

« 17 En passant aux remarques qui suivent, je ne loue pas le fait que vous vous réunissez non pas pour le meilleur mais pour le pire. 18  D’ abord en effet vous vous réunissez en assemblée »

Les personnes qui se sentent appelées  convergent.  Le terme ekklesia vient en effet  du verbe « appeler hors de »   et a donné directement  le mot église. Ces personnes appelées  à changer leur vie vont ensemble, se rassemblent  vers une maison  particulière suffisamment grande  pour les recevoir. ils vont ici y manifester leur proximité et leur fraternité en mémoire de Jésus qui a tout partagé et donné de sa vie.

Or Paul  note ( je résume ) qu’il y a  des divisions, des préférences, des choix   qui font  à l’intérieur de cette assemblée des coupures.  Le terme hérésie serait possible comme traduction, mais ferait contre-sens car il est  hors sujet ici.  Paul fait ici allusion  à des choix individuel   dans l’assemblée  qui vont la diviser et aller contre son unité.  Certains vont se choisir eux-mêmes .. et tant pis pour les autres !

Paul  va donc s’attacher à  décrire ces  divisions nuisibles qui ont  lors de ces repas  à Corinthe,  qui  se font théoriquement apparemment  au nom du Seigneur Jésus,  et il  s’exclame :
20 « Vous réunissant donc au même lieu, ce n’est pas un[6] repas du Seigneur que vous mangez : chacun en effet prend en avance son propre souper pendant le manger[7], et un tel a faim, et tel autre est ivre… N’avez-vous pas des maisons pour manger et boire ?!! Comme vous tenez pour rien[8] l’assemblée de Dieu et comme vous[9] faites affront à ceux qui n’ont rien ! Que dois-je vous dire !! Vous louer ?!  Ah non ! Je ne vous loue pas sur ça !  23 Moi en effet j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis, à savoir que le Seigneur Jésus pendant la nuit où il était trahi/livré[10], prit du pain  24 et ayant rendu grâce, il le rompit/brisa[11] et dit : « Ceci[12] est le[13] corps rompu/brisé au dessus de[14] vous[15] » (Nous reviendrons sur cette traduction inhabituelle du verset 24 un peu plus loin.) faites ceci[16] en vue de/ afin que vous vous me remémoriez[17]. 25 De même aussi[18] la coupe après le fait d’avoir dîné, disant : « cette coupe est la toute nouvelle[19] alliance en mon sang ; faites ceci chaque fois que vous boirez en vue de vous remémorer de moi[20].» Notons ici que Jésus dans ces quelques phrases dont Paul fait part n’exclut personne mais invite «  tous », ne fait aucune exception sauf plus loin ceux qui ne partageraient pas fraternellement le repas,  et ne met aucune condition de temps, de lieu, de manière, de moyen, de personnes  etc. : il faut seulement s’être examiné soi-même et prendre ses responsabilités, en toute conscience, par rapport au partage fraternel. Jésus  remplace le sang des taureaux  par du pain rompu et une coupe de vin qui circule : le but ne change pas  ( l’alliance avec Dieu )  mais le rituel  est vraiment tout à fait nouveau… au  point que Dieu lui-même – ou plutôt  la conception que nous en avons ! – est changé.

Après avoir affirmé au v. 23 qu’il a reçu cela du Seigneur lui-même, ( v. 24-25 ), Paul en donne au v. 26 une première interprétation par rapport ( je souligne ) à la situation catastrophique  qu’il doit amender, régler,  alors qu’il est loin et qu’il n’y a  pas de  pyramide hiérarchique dans la communauté corinthienne, ( il n’en souhaite pas d’ailleurs)   et c’est pourquoi il en vient même peut-être[21] à ajouter  alors, vu les circonstances, ( dans le but de bien faire )  des mots que Jésus n’a pas dits et lui attribuer des intentions qu’il suppose avoir été implicites chez lui. Il revient d’abord à la nature du repas qui est pris en montrant qu’il doit se conformer au souvenir de Jésus et aux valeurs dont il souhaitait assurément qu’on se souvienne lors de ses repas, et il explique par quelles valeur ce repas partagé en assemblée doit être sous-tendu : 26  ὁσάκις γὰρ[22] ἂν ἐσθίητε τὸν ἄρτον τοῦτον καὶ τὸ ποτήριον (τοῦτο) πίνητε, τὸν θάνατον τοῦ κυρίου καταγγέλλετε ἄχρις οὗ ἂν ἔλθῃ[23]
Il emploie le verbe kataggelô : ce verbe n’a pas son sens habituel[24].  On ne sait pourquoi, Paul emploie ce verbe uniquement dans un sens différent comme on le voit clairement  dans ses trois autres emplois : I Co 2,1 et 9,14 ; RM, 1,8. Le sens est donc annoncer, proclamer une nouvelle.
Paul écrit donc tout de suite après : **« 26 chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez la coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne.» La formule  va beaucoup plus loin qu’une compréhension  simple du sens : elle prend un poids graduel  (référence à la mort de Jésus, à sa venue à la fin de temps, et quasiment au Jugement). Il ne dit pas que le repas est fait pour,  jusqu’à la venue du Christ, annoncer l’information événementielle de sa mort déjà passée, mais il montre que ce repas est fait pour remémorer ce que signifie la mort du Seigneur ( dans laquelle nous avons à passer )  et vivre de son message : ceci est à annoncer  à travers nos vies et à travers ce repas comme tous nos repas. Un repas vécu à contre-pied de  cet exemple  serait   donc une contre-annonce, un contre-témoignage vis-à-vis de la Bonne nouvelle.
La suite du texte le montre, ceci doit être fait dans le respect, dans le calme et sans contrevenir aux principes concernant ce partage au cours d’un repas qui a pour objectif de faire de tous un corps rassemblé par une nouvelle alliance, comme Jésus le souhaitait:  rappel du rite où  Moïse puis les grands prêtres  aspergeaient le peuple juif  du sang des animaux sacrifiés en signe d’alliance avec l’Eternel qui les purifie de leurs fautes.  ( « Ceci est le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous » (Exode 24.8).
Après avoir verset 26 donné une première interprétation qui donne à ce repas une valeur  existentielle ( notion de la mort, du jugement ) Paul en ajoute une seconde au v. 27 : il s’occupe de la responsabilité de chacun : il déclare que celui qui  vit ce repas « de façon injuste, indigne ou de façon non convenable   ( sans partager, ou en étant ivre etc. lors de ce repas  ) est personnellement coupable ( 27-28[25] ) et risque un châtiment.
Mais Paul affirme en outre quelque chose de terrifiant et de menaçant  : comme le groupe constitué est  en fait le corps et le sang du Christ, ce fautif est en plus, ce qu’il ne savait peut-être pas, responsable (enochos) des problèmes qui ont déjà rejailli sur toute la communauté qui en souffre : Paul lie ainsi la mort et la maladie de certains Corinthiens à l’idée qu’elle n’est autre qu’un châtiment matériel et physique pour la communauté à cause du non-respect de ce repas par certains  (v. 29 et 30) ; il y ajoute l’idée d’un jugement après la mort, de la correction déjà là par le Seigneur, de la condamnation du groupe …
Ces affirmations sont-elles cohérentes avec l’Evangile ? Elles fonctionnent implicitement sur les notions qui nécessiteraient un sacrifice expiatoire… avec la maladie comme châtiment divin déjà là et la mort comme épée de Damoclès. Non, ces implicites ne sont pas dans les paroles de Jésus que Paul affirme citer[26]  : il ajoute  pour atteindre son objectif : rendre ces repas vraiment fraternels et digne d’être des repas du Seigneur.
Et il revient ensuite très concrètement au conseil de « s’attendre » (v. 33)  pour partager.
Puis, devant la difficulté dont nous avons du mal à réaliser l’ampleur apparemment, il lancera    même un conseil rien moins que choquant pour nous aujourd’hui   ( mais n’en faisons-nous pas autant au fond ? ) :  comment éviter que certains souillent  ces repas où l’assemblée est un seul corps, donnant  lieu  à  ces châtiments (condamnations individuelles, maladies  et morts  dans le groupe) mis en œuvre par le krima de  Dieu  châtiant  ceux qui ont mangé et bu de façon  condamnable, sans partager,  ( un krima  qui a fait un tel scandale qu’il est obligé de leur écrire ! ).  Le pasteur Paul ne veut plus de cela, et il ose bien avancer un conseil qui aurait pu  à notre avis  attirer sur lui les anathèmes  de Jésus fulminant contre les hypocrites  : «  34 Si quelqu’un  a faim, qu’il mange à la maison, afin que vos réunions n’aboutissent pas à un krima. »
Après quoi, satisfait de cette solution pragmatique sur ce problème très concret mais significatif de bien des   ,  il déclare «  Quant au reste, je le règlerai lorsque je viendrai » et abordera au chapitre 12 la question des idoles et des questions plus spirituelles.

Cette fin  montre bien que ces paroles de Jésus n’avaient pas le sens qui peu à peu, – et pour bien faire – leur a été accordé.

Vue d’ensemble

La lecture fine du texte et sa recontextualisation révèle qu’il a été visiblement écrit pour montrer ce qui doit se passer entre les frères lors de ce repas dominical qui rassemble les chrétiens. Paul y insiste très fortement, moins autoritairement qu’au verset 16, mais en outrepassant largement ce qui est dit dans l’Evangile et en y ajoutant…  Il le relie néanmoins à juste titre à ce que Jésus  a montré par son exemple, dans sa volonté, durant toute sa vie et y compris dans sa mort, de faire de tous un seul corps avec lui et son Père, leur Père. Paul indique que ceci doit se faire pendant toute leur vie et jusqu’à la venue de Jésus : le respect de cela ne souffrira pas d’exception, et cette remémoration se fera jusqu’à sa venue.

Cet objectif est l’axe de ce texte  et il explique, avec d’autres indices lexicaux, ma traduction du verset 24 : la fraction du pain constitue les chrétiens en un corps invisible qui les dépasse et les comprend tous (dans le Royaume). Au verset 25, la coupe qui circule est, dit-il  «  la toute nouvelle alliance en mon sang » : alliance inédite entre ces chrétiens assemblés en un seul corps, uni(s) à Jésus, et uni par une alliance inouïe  avec Dieu. L’objectif de Jésus, pédagogue et très humain, est que ce geste, facile à faire et presque banal,  conserve toute sa force vitale même en son absence lorsqu’ils seront seuls et dispersés. Dans  ce que que Paul affirme citer de Jésus,  il n’y a pas d’insistance sur un salut ( nécessaire sinon c’est la mort éternelle  ), mais affirmation d’une alliance nouvelle, heureuse nouvelle pour l’Homme.

Mais comme ce texte a été rédigé par Paul pour appeler, très prosaïquement,  à de la tenue pendant ces repas, il s’est servi de  divers moyens plus ou moins contestables certes, mais en reliant aussi  ces paroles  aux valeurs qui ont fait vivre Jésus et que les chrétiens ont à vivre chacun dans sa vie jusqu’à la venue de Jésus comme Juge.

Il n’a pas été rédigé pour établir une théologie du sacrifice concernant la relation de Jésus à Dieu. Certes, mais on s’est appuyé ensuite sur certains de ces mots, décontextualisés ( des repas dominicaux égoïstes et tournant parfois à l’orgie) pour intensifier la sacralisation de ce repas et en faire, sans que Paul ait parlé de sacrifice ( au sens habituel  et premier ),   un moment sacré et sacrificiel sous la férule d’un prêtre ayant retrouvé le rang suprême conféré hiérarchiquement aux prêtres ordonnés du Temple d’un Yahvé justicier et vengeur, bien séparés d’un peuple condamné en bloc dans son péché héréditaire à la condamnation, excepté là où un sacrifice, à répéter par leurs mains, pouvait effacer une dette sans cesse renaissante envers le plus impitoyable des créanciers. ( et ne parlons pas des prêtres qui, par des changements progressifs, sont devenus « à part » des autres baptisés et qui ont été quasi-sacralisés même dans leur vie quotidienne ).

Ainsi s’expliquent la violence des premières exclamations de Paul citées ici :  « 17 vous vous réunissez non pas pour le meilleur mais pour le pire !  (…)  20 « ce n’est pas un[27] repas du Seigneur que vous mangez ! ». Ses jugements l’amènent à s’ériger lui en juge menaçant moins terrifiant que Dieu, préventif en quelque sorte en fait,  et, même si la cause est assez justifiable, il cède à la tentation de reprendre des moyens dénoncés par Jésus.

Les paroles supposées vraies de Jésus restent cohérentes avec son message mais il faut les séparer des ajouts inconscients et non maîtrisés de Paul,  et d’interprétations ultérieures décontextualisées, qui ont eu pour but d’appuyer sur ce qui fera peur ou mal afin de mieux discipliner les fidèles.

Mais à lire ce qu’écrit Paul sur le dernier repas,  Jésus n’y a pas annoncé sa mise à mort en tant que victime  propitiatoire pour les présents : il s’est soucié du dynamisme de leur vie et de leur unité.

Même si Paul est choqué par la manière dont les Corinthiens s’assemblent pour  ce repas, c’est sur le non-partage qu’il  les sermonne : ils ne mettent pas en pratique  réellement ce que signifiait ce repas : distribution, partage, union : faire de nombreux individus assemblés un seul corps tourné dans le même sens, et dans la remémoration de celui qui les rassemble et les fait  vivre au nom d’un autre, le Père de tous.

Le « ceci » dans les phrases désigne ce qui caractérise ce pain et ce vin particuliers : son  pain à lui, Jésus ne le mange pas tout seul, il  le brise, puis le partage, en confie le partage  et la répartition à chacun autour de la table où tous, inconditionnellement, tous ceux qui en ont faim et besoin,  vont en recevoir et pouvoir également  en donner, et  ce processus qui a divisé et multiplié les unit  tous entre eux  et à celui qui leur a donné  son pain ; de même le vin.

Jésus a peut-être même donné, livré  symboliquement tout ce pain qui était sa part, ( et Paul y insiste pour faire honte aux Corinthiens et les motiver ),  sans en garder  jamais égoïstement, comme il a  passé toute sa vie en la donnant aux autres  au quotidien et  comme il avait l’intention   de la passer jusqu’au bout… : là est le  seul « sacrifice » dont il aurait pu parler : rien à voir avec le fait de tuer un tiers innocent (animal )  ou de se faire un déplaisir ( donner de l’argent à un dieu  anthropomorphe  ou de la souffrance  à une autorité ascétique ). C’est un don à des frères,  l’acte qui fait plaisir  à un Père affectueux, la seule offrande  agréable à un Dieu  qui est Père.

Le pain ainsi donné à son voisin prend une autre valeur : il   devient sacré. Du vin ainsi partagé devient sacré. Une vie ainsi donnée est une parcelle de vie divine…

Faire mémoire de cette manière de vivre  un repas,  se rassembler pour en faire mémoire,  demandent que nos repas (et toute notre vie  en fait qu’ils symbolisent)  soient en cohérence avec la signification que Jésus a donnée à ce geste.

Imiter l’extérieur de ce geste  devenu rituel sans le vivre intérieurement est le profaner, insulter  à la mémoire de qui l’a initié    : mieux veut ne pas  s’y rendre, à ce repas d’unité  où l’on est réuni  ( ré-uni) en son nom  !

L’Alliance, où l’on  fait plus qu’un,  est  ainsi une déclaration verbale ou gestuelle qui pardonne éventuellement  et engage les actes du futur : elle est renouvelée  chaque fois qu’on partage, qu’on fait circuler, qu’on donne.

Cela peut être fait  soit au nom de Jésus  comme le font ses disciples,  soit au nom de la fraternité humaine  comme le font  ceux qui ne croient ni en Dieu ni en Jésus et font ce geste de partage, un exemple d’autant plus  admirable. Partager  pour  unir.

Je ne ferai pas de conclusion fermée  car  si quelques éléments ont peut-être retrouvé selon moi un sens plus conforme à la Bonne Nouvelle dite sans doute par Jésus,   les textes sont inépuisables.

J’espère ne pas avoir choqué. Je ne crois pas que Paul avait l’intention de faire croire aux Corinthiens que Jésus expliquait  la transsubstantiation à ses disciples, mais qu’il leur montra jusqu’au bout  comment partager fraternellement notre vie, en gros et en détail, et que c’était la  nouvelle alliance  qui plaisait à son Père.

Merci  pour vos commentaires qui nous permettront… de partager et échanger !

Marguerite

[1] Voir plus loin  bien sûr pour le sens de cette préposition.

[2] Mangeant le même pain fractionné,  ils font un seul corps en s’unissant au souvenir de Jésus.

[3] En buvant au même verre,  ils signent une alliance  dans un seul sang  symbolique et forment un seul sang ( sang = vie ). Ce sont les disciples qui sont devenus un seul corps et un seul sang dans le Seigneur.

[4] On ne sait pourquoi, Paul emploie ce verbe uniquement dans un sens différent du sens habituel. Cela est clair  dans ses trois autres emplois :  I Co 2,1 et 9,14 ; Rm, 1,8. Ici, même sens également.

[5] C’est un manque de respect envers le souvenir demandé par Jésus, mais aussi  un acte qui va contre ce qu’il a enseigné à faire, et, voir ci –dessous, l’acte délictueux  d’un membre de ce corps va  avoir des conséquences, dit Paul,   sur le corps du Christ qu’est en fait l’assemblée .

[6] L’article défini manque.

[7] Quelques rappels sur les repas en assemblée à cette époque.

La signification universelle de la nourriture donnée à l’un par l’autre est déjà très importante ( qu’on soit plante dans la terre, enfant de ses parents, pélican donnant racontait-on son propre corps à manger etc. )  . La force de la signification de la nourriture mangée autour d’une même table est également bien connue ( même parfois réduite à un symbole comme le partage du sel, pain, eau, vin) ou fût-ce d’un simple grain de grenade ( Perséphone chez Hadès) et il y a ré-utilisation religieuse de ces actes humains. Inversement, Enfin, on peut peut-être aussi évoquer aussi ces repas où partager la même nourriture montrait qu’on ne craignait pas le poison,  la drogue  ou les philtres magiques…

Comment l’Evangile nous raconte-t-il que Jésus a-t-il réussi à donner un sens supplémentaire à ces faits banals ?

D’une part, dans les banquets, tantôt chacun mangeait sa propre nourriture déposée sur une assiette devant lui, tantôt on puisait au même plat ; on pouvait aussi ( faire ) porter ou (faire) passer à quelqu’un un morceau de son choix. Chez les Grecs, chacun buvait à sa coupe mais on pouvait aussi apporter dans certains cas sa propre coupe pour diverses raisons, et soit boire  à elle seule, soit faire circuler sa coupe à tous ou l’envoyer à tel ou tel. (symposion). Savoir cela permet de bien mesurer l’originalité de la manière dont Jésus procède. Ce qu’il partage est quelque chose de très simple et de petit, qui d’habitude ne se partage pas, sauf si on veut lui donner un sens symbolique. Miette de pain, goutte de vin, miette d’autre chose, goutte d’autre chose, peu importe la quantité et la qualité de la matière, c’est le geste qui compte : « faites ceci ». Si on est conscient que Jésus est celui  qui a su se donner et apprendre à partager, ce geste nous le rappellera.

D’autre part, à cette époque, on connaît parfaitement et on pratique ce qu’on appelle le système des symbola : des personnes qui doivent se séparer se mettent d’accord pour briser un objet dont chacun conserve un morceau : même très longtemps après, des générations après, des personnes, même  qui ne sauraient pas lire, même qui  ne se connaissent pas, sont à même  de reconnaître, même sans parole, qu’il y a un lien entre elles ( parenté, hospitalité, dette, amitié, traité… ), une « parole » donnée, une alliance qui a été réalisée et qui perdure malgré la distance et le temps , précisément car l’objet qui en est le signe a été brisé et peut se reconstituer.    Ici Jésus brise le pain, le distribue : chaque personne qui le consomme reconnaît ainsi le lien qui existe entre Jésus et lui,  mais aussi entre tout ceux qui ont reçu ce symbolon. De plus chaque personne reconnaîtra un autre qui fait ce même acte, et ils reconnaîtront le lien avec celui  qui est absent, parti… ou mort.  Le lien est donc vivant quelles que soient les circonstances : il subsiste, et il se réactive entre les mains  de ceux qui le souhaitent. Abstrait/concret/symbolique/réel, sacré/profane/humain/surhumain : les frontières s’effacent sans qu’on ait besoin de formuler cela en langage théologique compliqué, inaudible pour beaucoup, inacceptable pour les gens rationnels.

[8] Le verbe kataphroneô signifie mépriser, dédaigner, ne faire aucun cas de…

[9] Kataischunô signifie déshonorer, souiller, faire affront ( il s’emploie par exemple également violer une femme)

[10] Paul donne peu d’éléments biographiques sur Jésus. Celui-ci est-il valable ? ( cf les différences entre Jean et les synoptiques ). Il nous semble que si Luc pouvait écrire  que les pèlerins d’Emmaüs ont reconnu Jésus à la fraction du pain,  c’est que lui-même et donc d’autres  ont  pensé  savoir de source sûre que beaucoup de monde avait participé au dernier repas, ou plutôt également que Jésus avait été souvent vu faire ce geste de partage par tous les disciples et même des foules.  Paul a pu ajouter cette précision temporelle  pour solenniser  ce geste symptomatique de Jésus, ou bien vouloir dire que jusqu’à son dernier repas, Jésus a pratiqué ainsi, et ce geste lui « appartenait »  comme un signe de ralliement.

[11] Le verbe grec klaô signifie rompre, briser, fractionner. Ce verbe ne veut pas dire couper, ni trancher. Il s’emploie pour dire briser en pliant quelque chose : cela peut-être  malheureusement un arbuste, des pousses,  ou fait exprès dans le but de les tailler pour leur faire porter du fruit ou pour en tirer des boutures et des greffons…

[12] Aucun texte ne précise si Jésus a mangé également de ce pain et bu de cette coupe avant de la faire circuler. Autre sujet à réfléchir. ( cf. le passage sur le fruit de la vigne qu’il ne mangera plus).

[13] La tournure exprimant la possession ( μου, de moi ), « ceci de moi  est le corps livré  ..  » ou  » ceci est l corps de moi Livré ..  »  ?  : apparemment c’est l’acte, le fait même,  de rompre le pain et de le faire circuler qui symbolise effectivement  la constitution d’un corps commun par le fait de partager le même pain ou la même nourriture spirituelle. Jésus ne se met pas en avant. Ce qui est important c’est de faire explicitement corps, et la pensée de son absence immédiate ou un jour ou l’autre, plus ou moins prévisible, en fait l’urgence. Car cette expérience vécue peut être poursuivie, mais si elle n’a pas été vécue en sa présence, elle leur sera presque impossible.

[14] Paul ait référence à la nuit où Jésus fut livré, mais il ne noue pas un lien fort entre la trahison   et le pain  brisé et la coupe  partagée, sinon pour dire que Jésus a tout donné  à tous jusqu’au bout. Il nous semble exagéré et surinterprété  de dire que dans ces paroles Jésus fait clairement allusion à sa propre mort. Peut-être même veut-il dire- selon Paul – que c’en est fini des rites de sang  et des sacrifices sanglants de vrai sang.

[15] La préposition uper + génitif a deux sens entre lesquels il faut choisir : 1°) le sens de «  au dessus » : par-dessus, au-delà de, plus loin ; 2°) il signifie ensuite «  pour la défense de » : en faveur de, à cause de,  pour, au sujet de.  L’absence de « livré » devant la préposition  joint à l’absence de toute explication ne permettent pas de supposer le 2° sens, me semble-t-il ;  c’est pourquoi il me semble que cela peut faire allusion au rite d’aspersion du sang  sur les fidèles juifs.  Le fait que Paul insiste sur la notion du « corps » qui se nourrit à partir d’une unité brisée pour la mettre en commun, explique ma traduction. Les synoptiques contiendront par contre les équivalents de «  livré  pour vous », ce qui oriente la traduction de la  Vulgate  qui se permet  de trancher sur la place du μου   (ceci est mon corps) et  entraîne la traduction par « pro » obligatoirement au second sens de la préposition uper.  « et gratias agens fregit et dixit hoc est corpus meum pro vobis ; hoc facite in meam commemorationem. »   » et , rendant grâce,  il rompit et dit  :  » ceci est mon corps pour  vous, faites ceci en ma commémoration »  . La traduction de ce texte de Paul  en Français essaie de faire un compromis : « Ceci est mon corps qui est pour vous ». Dans le cas de ces traductions inexactes faites pour coller à certains objectifs théologiques, le « faites ceci » se comprend moins bien qu’en respectant le texte.

[16] Il est étonnant de voir que Paul ne dit pas qu’il le distribua et dit «  mangez en tous »  (ou, plus loin,  qu’il ne dit pas qu’il fit passer la même coupe à tous). Deux explications : 1°) ou ceci était si connu qu’il juge inutile de le repréciser, le « ceci »  représentant l’ensemble fraction+consommation commune 2°) ou ce n’est pas la consommation qui compte mais la fraction du pain et sa distribution, bien plus encore que la consommation . Il y a là à réfléchir.  Tous et chacun se constituent en un seul  « corps » qui vit à partir d’unités brisées pour les  mettre en commun.

[17] Le terme anamnèse est différent de ce qui désigne la mémoire, mnèmè, ou le souvenir abstrait ou concret. Il s’agit ici du fait de se souvenir : que les disciples puissent se remémorer ce qui a fait vivre Jésus, ce qui les a fait vivre eux. Sait-il qu’il le fait spécialement parce qu’il sait qu’il va les quitter ? Peut-être, mais pas forcément. Ce souvenir, de toute façon,  doit pouvoir être ré-ancré, revivifié, réactivé  en pratiquant ce qui n’est pas un rite artificiel mais qui appartient à notre propre nature humaine : le partage du repas, sans rien de sacré. Rien dans tous ces mots n’implique une présence réelle « dans » le pain et le vin eux-mêmes bien entendu.

[18] Il est tout aussi étonnant de voir que Paul ne dit pas que Jésus la fit passer et dit «  buvez en tous ». Deux explications : 1°) ou ceci était si connu qu’il juge inutile de le repréciser, le « ceci »  représentant l’ensemble distribution par gorgées de la même coupe+consommation commune 2°) ou ce n’est pas la consommation qui compte mais le fait de se faire passer la coupe, bien plus encore que d’en prélever chacun une gorgée. Il y a là à réfléchir.

[19] Kainos ne veut pas dire jeune, mais « qui vient de se produire, récent, neuf, ( « du nouveau »), différent de ce qui s’était produit jusqu’ici, innové, innovant, révolutionnaire, inattendu, imprévu, étrange, extraordinaire…

[20] La ponctuation n’existe pas en grec à l’époque ( et pour longtemps ! ) mais la logique montre que le  «  chaque fois » porte sur «  vous boirez en vue de … ». En effet, quand on boit pour étancher sa propre soif ou par plaisir, on boit sans partager… même si on est au même repas. Jésus leur dit que, quand ils voudront se le remémorer au cours d’un repas pris en assemblée, ils se partagent une coupe au lieu de boire chacun l’un à côté de l’autre sa propre coupe. Le  «  ceci » est le partage de la coupe qui est en train de circuler.  «  faites ceci chaque fois que vous boirez en vue de vous remémorer de moi. »

[21] « ajouté » car il  est nécessaire de comparer les évangiles à ce sujet : dans l’ordre M 14,12-25 ;  ensuite  Matthieu, 26-29, puis Luc 22,26. Jean on le sait n’en  parle pas et le remplace par le lavement des pieds  et par d’autres paroles ailleurs ( par exemple 4,34).

[22] Ce «  gar » signifie en effet : le verser 27 se présente donc comme une explication causale des versets

[23] quotienscumque enim manducabitis panem hunc et calicem bibetis mortem Domini adnuntiatis donec veniat ( v. 26)

[24] kataggelô : ce verbe aggelô  est ici muni du préfixe kata. qui insiste  habituellement sur une annonce signifie  contre, du haut en bas, ou complètement :  il signifie avec ce préfixe   annoncer contre, intenter un procès  à quelqu’un ; ( par exemple déclarer une guerre contre… ) ; dénoncer, quelque chose à quelqu’un . Les mots dérivés signifient qui annonce contre, qui proclame contre, qui déclare contre, qui dénonce, qui accuse. Le sens habituel  de ce verbe ici est donc celui d’annoncer contre quelque chose, c’est-à-dire  de dénoncer quelque chose qui ne plaît pas/plus ou avec lequel on n’est pas/plus  d’accord, s’opposer ouvertement.   Il signifie même  souvent  « annoncer la mort »  à quelqu’un …

[25] 27  ὥστε ὃς ἂν ἐσθίῃ τὸν ἄρτον ἢ πίνῃ τὸ ποτήριον τοῦ κυρίου ἀναξίως, ἔνοχος ἔσται τοῦ σώματος καὶ τοῦ αἵματος τοῦ κυρίου. 28 δοκιμαζέτω δὲ ἄνθρωπος ἑαυτόν, καὶ οὕτως ἐκ τοῦ ἄρτου ἐσθιέτω καὶ ἐκ τοῦ ποτηρίου πινέτω· (v. 28)

[26] Notons aussi au passage que  Paul ne fait pas allusion ici à un  « sacrifice »  à la manière de certains textes du   Premier testament ou du monde polythéiste.

[27] L’article défini manque.

« Célébrer pour faire Église » : une liturgie vivifiante et vivante

Le 27 décembre 2019, Jean-Marie Martin a publié  sur le site La Christité : « Célébrer pour faire Église ». Dans cet article, datant probablement de 1992 ou peu avant, Joseph Pierron (décédé il y a tout juste 20 ans), se réfère à l’église Saint-Merri (ou Saint-Merry) de Parisprès de Beaubourg et de l’Hôtel de Ville,  rue de la Verrerie et rue Saint-Martin, où une autre façon de célébrer pour faire Église se vit depuis 1975, année où Xavier de Chalendar a eu en charge le projet «d’inventer et d’assurer une nouvelle présence d’Église. »
Comme le disait Xavier de Chalendar, « Je trouve qu’on pourrait donner davantage de place à l’initiative des chrétiens de base, par rapport à l’importance prise par les équipes pastorales. Il faut toujours laisser les gens continuer à inventer, et accueillir ces inventions ; que les chrétiens ne restent pas passifs, qu’ils décident plus, qu’ils fassent des choix. Il y a une confusion détestable entre fidélité et répétition ».
Il y a vingt ans, le 27 décembre 1999,  Joseph Pierron nous quittait. Occasion ici de lui rendre hommage. C'est en 1985 qu'il se joignit à l'équipe du Centre Pastoral des Halles-Beaubourg à Paris. Il y travailla jusqu'à son décès. L'article publié ici fait partie du livre de René Simon, Actualiser la morale (mélanges offerts à René Simon). Paris, Cerf, 1992. À l'époque René Simon, salésien de Don Bosco faisait partie de la même équipe pastorale, il est décédé en 2004.

CÉLÉBRER POUR FAIRE ÉGLISE, par Joseph Pierron dans le livre offert à René Simon

René Simon fait partie de la communauté du Centre Pastoral des Halles-Beaubourg qui se réunit en l’église Saint Merri. […] C’est à partir de ce lieu particulier que je tenterai d’approcher ce qu’il en est de la célébration eucharistique qui est le cœur et la source de toute communauté. C’est dire que je ne saurais tirer des principes universels, immédiatement transposables ailleurs. Bien plutôt, les quelques singularités montreront les problèmes qui se posent à nous et poseront la question du sérieux de la pluralité dans l’unique culte de l’Église romaine.

Lorsque ce quartier de Paris – que les Halles centrales ont déserté pour la banlieue – se rénove, il apparaît encore plus nettement que la densité des églises paroissiales dans ce secteur est trop important au regard des demandes de catéchisation et de sacramentalisation. Le centre de Paris bouge : de nouveaux besoins se font plus pressants, d’où l’idée du Cardinal Marty de répartir ces tâches nouvelles aux diverses églises. Au centre pastoral des Halles-Beaubourg il confie celle d’inventer et d’assurer une nouvelle présence d’Église. Xavier de Chalendar et une équipe de laïques de prêtres se lancent dans cette entreprise.

Saint-Merri est de plain-pied avec la rue Saint-Martin, vieille route de communication nord-sud et de pèlerinage qui débouche sur la tour Saint-Jacques et qui ouvre le chemin vers Saint-Jacques de Compostelle. Aujourd’hui la procession ne se fait plus dans le même sens : les passants ne marchent plus vers l’église mais bien vers le Centre national d’art moderne, dit aussi Centre Pompidou et sa piazza.

C’est un des lieux qui, à Paris, dit l’impact de la modernité. L’église de Saint-Merri, si belle soit-elle, affrontée au musée d’Art moderne, risquait d’être rejetée du côté du passé ; plus, elle peut apparaître opposée et rivale de la modernité établie sur les bords du flux, elle ne veut pas être marginalisée. Tout d’abord elle peut être ouverte et accueillante. Reste que le rapport au monde qui advient reste une interrogation bien réelle.

Rapidement, la célébration eucharistique s’est révélée nécessaire pour constituer la communauté. Il n’était pas question de satisfaire à bon compte à l’obligation dominicale, encore moins de satisfaire à une forme de piété… Dans le dynamisme d’une communauté qui s’instaurait, dans les divergences d’opinion, dans les discussions autour des options à prendre, dans une ferveur à exprimer, en fonction de désirs à réaliser, il s’agissait bien d’une question d’identité chrétienne qui devait s’affirmer ; heureux si des gens qui depuis des années « ne pratiquaient plus » s’y reconnaissaient comme chrétiens. C’est dans la parole et le mystère de Jésus, du Dieu qui vient, du Dieu pascal, que se trouvait le lieu de l’unité.

Encore fallait-il que ce ne soit pas « le prêtre qui célèbre l’eucharistie » mais bien que ce soit « la communauté qui célèbre » ou encore mieux que ce soit « l’Esprit qui célèbre dans la communauté ». La communauté devait faire eucharistie. Ce n’était pas dévaluer le prêtre, le réduire ; c’était au contraire le situer, l’intégrer. Bien plus authentiquement que notre église de pierre, la communauté rassemblée, invitée, la communauté de ceux qui se savent appelés par leur nom constituent notre lieu d’Église. Le principe était beau, dynamique, enthousiasmant. Il fallait qu’il devienne créateur, constituant et qu’il reste cohérent. Ce n’est pas une tâche facile.

La décision de célébrer l’eucharistie prise, les questions n’ont cessé de se poser, sans obtenir de réponses qui soient sans équivoque, évidentes. Les options restent contestables et contestées. La première question a été celle du rythme des célébrations. Dans la même église, une messe paroissiale est célébrée chaque jour. Des rassemblements de prières se sont organisés, avec des périodicités variées : ils répondent à des exigences personnelles. Le rythme choisi pour la célébration communautaire est hebdomadaire : c’était une façon de se relier à la pratique ecclésiale commune, donc se donner le statut d’une communauté chrétienne, de maintenir aussi le symbolisme de jour « un », mémorial de la résurrection du Christ, signe de l’attente de son retour.

La seconde question porte sur « qui célèbre ? » Une fois admis que c’est la communauté qui célèbre dans l’Esprit, il est apparu que la constitution d’une équipe liturgique, du fait de son aspect institutionnel, ne répondait guère à ce principe. La préparation de la célébration a lieu le mardi soir : vient qui veut. C’est courir le risque de se retrouver tout seul, ou celui de voir souvent les mêmes têtes, mais c’est aussi s’ouvrir à une recherche insoupçonnée au point de départ. Cela nécessite une sorte d’apprentissage, car partager la parole ne suffit pas à bâtir une célébration.

Dans la même ligne, on a voulu éviter la constitution d’une chorale séparée. La communauté qui célèbre est aussi celle qui chante : un groupe chant a donc été créé, qui crée chants et mélodies, qui assure l’apprentissage des chants par la communauté, qui anime leur exécution, avec le souci constant que toute l’assemblée participe. C’est la même ligne de recherche qui fait que, si aucun des prêtres de la communauté n’est présent, il ne sera pas fait appel à un prêtre étranger. La célébration sera une assemblée dominicale sans prêtre. L’intention est de bien situer le rôle et la fonction du prêtre au cœur de la communauté. Le souci de ne pas accentuer le poids clérical fait que les célébrations concélébrées sont rares : Jeudi saint, Noël…

Célébrer, c’est aussi occuper symboliquement un espace. L’espace de cette belle église du XVIe siècle a été conçu pour un type de célébration qui était dominant à l’époque. C’est une difficulté majeure : comment célébrer le mystère eucharistique dans une perspective différente notoirement de celle dans laquelle ce lieu a été conçu ? Certes on peut distordre les significations ; il en reste toujours un malaise. Par exemple, la chaire reste pour longtemps encore pendue à son pilier, symbole certes d’une parole proclamée, pratique à l’époque où les micros n’existaient pas, mais symbole aussi d’une parole qui tombait de haut, de la bouche d’un homme séparé, mis à part, pris comme intermédiaire du divin. Le chœur, lui, était construit pour laisser place à des conventuels chargés de la louange. Il a de telles proportions qu’il est déjà trop grand pour accueillir la messe quotidienne. Il est certes possible de dresser un autel à l’entrée du chœur et de célébrer face aux fidèles groupés dans la nef. Le rapport symbolique fondamental ne sera pas changé. Assis les uns derrière les autres, les assistants seront tous tournés vers leur seule bouche d’enseignement.

Aucune solution ne pouvait être pleinement satisfaisante. En fait, on a déterminé deux lieux dont la structuration est très différente : l’un pour la liturgie de la parole, l’autre pour la célébration du mémorial et pour le partage du repas. Il y a donc une coupure entre la parole et l’eucharistie. Ce n’est pas sans inconvénient, comme le fait remarquer René Simon dans Aujourd’hui, des chrétiens (53, 1984, p. 10-11) : « Les deux Tables : liturgie de la parole et liturgie du repas ». Nous retrouverons ces difficultés en parlant du déroulement de la célébration.

 

ENTRÉE EN CÉLÉBRATION

Le premier impératif est de constituer en assemblée célébrante ceux et celles qui viennent assister à la messe. Il n’est plus question d’entrer discrètement en silence, dans une église où l’on s’assoit, au mieux pour se recueillir, le plus souvent en attendant que le clergé entre en procession. Ici les gens sont heureux de se retrouver, de se communiquer des nouvelles. Il faut fréquemment rappeler l’importance de l’accueil des nouveaux qui peuvent être timides, réticents, non accoutumés à ce mode de rencontre. Pourtant il faut bien se reconnaître comme croyants désireux de participer à un mystère commun.

L’orgue prépare directement l’entrée en célébration. L’ouverture est faite généralement par un membre de l’équipe pastorale. Son intervention a pour but de faire cesser la rumeur des retrouvailles et d’accueillir les nouveaux, de souder la communauté en lui rappelant certains aspects de la mission de la communauté, de présenter l’axe principal de réflexion et de prière qui a été choisie lors de la préparation. Parfois il peut se faire que l’ouverture se fasse directement par l’exécution d’un chant spécialement bien adapté à la fête célébrée ou au texte de l’Évangile.

L’entrée en prière proprement dite se fait par le chant : au lieu de l’introït qui rythmait la procession solennelle du clergé, l’intention est de se donner une seule voix. Le chant n’est pas l’ornementation d’une célébration ; il constitue une autre parole, une parole de fête, contre-distinguée de cette parole qu’est le commentaire, qui sera plus réflexif ou plus interprétatif. Rassemblés presque en cercle dans un bel espace de la nef centrale, autour du lutrin qui porte la parole d’Écriture qui oriente toute la célébration, le chant permet de se retrouver dans la même tonalité. Le chant n’est plus un moyen ; il est un milieu qui éveille en chacun des harmoniques, qui enveloppe tous ceux et celles qui sont venus pour célébrer ensemble.

 

LA CÉLÉBRATION DE LA PAROLE

Le lieu est donc bien approprié pour l’écoute de la Parole, pour l’accueil de ce qui fonde notre vie de croyants ; les gens se voient et la parole passe. En plus du lieu, un climat s’est peu à peu développé, cette orientation vers la Parole, toujours neuve, encore inentendue, vers l’In-ouï de Dieu ; il y a cette attente d’une parole inentendue, l’approche d’une vérité qu’on ne possède pas, qui n’est pas un savoir que l’on pourrait détenir. La parole n’est que orientation vers…, marche vers…, passage à… « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » : on trouve dans la recherche même… L’effort n’est donc pas d’obtenir un consensus sur des contenus, mais de créer une attitude de recherche, d’accueil et d’étonnement.

Ce qui est indiqué, montré, l’inouï de Dieu, c’est l’événement central de la mort et de la résurrection du Christ, toujours recueilli, toujours accueilli, jamais possédé. Cette orientation de lecture discipline les interventions spontanées, évite une moralisation trop rapide. Elle n’est pas toujours facile à tenir : certaines lectures plus anthropologiques risquent de la masquer. Le danger peut se retrouver quand la lecture se situe dans un contexte politique et social, dans des moments où la lutte, si nécessaire, pour la justice et le droit risque d’occulter la gratuité du salut. La nécessité du devoir de l’homme ne rend pas forcément toute la profondeur de l’appel de Dieu. La parole doit donc être risquée : elle doit bien s’incarner pour accomplir sa vérité. Car la parole est vraie quand elle s’accomplit. C’est là notre première référence : la Bonne Nouvelle de Jésus qui est toujours nouveauté et plénitude.

La parole n’est pas réservée aux prêtres. On ne peut pas dire qu’il y ait méfiance à l’égard d’une parole de clerc. On se méfie plutôt de la « langue de bois » qui peut aussi bien se trouver dans la bouche des laïcs… Renouveler un langage qui, de toute manière, nous précède, n’est pas une petite tâche et l’aventure n’est pas exempte de dérapages. Mais il faut tabler sur le fait que la communauté est adulte et se réapproprie le discours. Au reste, ce n’est pas la précision des définitions qui compte, mais bien plutôt le dynamisme que le langage entraîne, le mouvement qu’il crée. C’est bien dans ce cheminement que se construit l’unité. N’empêche que l’unité est comme une semence qui doit croître et produire du fruit. L’unité ne se base pas tellement sur l’uniformité du discours et de son contenu. De toutes parts, la Parole nous déborde. L’unité va se réaliser dans l’acte d’écoute, soucieux d’éviter le malentendu. On s’appuie bien sur l’autorité de la parole, pas forcément sur l’autorité de celui qui la délivre ou l’interprète… fût-ce avec assurance.

La Parole, mais quelle parole ? Sous quelle forme ? Le choix des textes ne peut être un tri entre les bons textes et les mauvais, entre ceux qui plaisent et ceux qui ne plaisent pas, entre ceux qui « sont riches » (dans le jargon actuel ceux qui permettent nombre d’interprétations spontanées) à l’opposé des textes peineux. L’Écriture est tout entière le recueil de la Parole.

Les textes sont donc généralement ceux que l’Église propose pour ce dimanche-là : c’est un signe de communion avec les autres églises. Il faut vraiment des circonstances exceptionnelles pour que l’on prenne d’autres textes : par exemple, l’évangile de Nicodème en Jean 3 a été choisi pour la célébration du baptême de onze enfants de la communauté, alors que l’Église universelle célébrait la fête du Corps et du Sang du Christ. Le choix d’un autre évangile que celui du jour s’est produit dans des célébrations œcuméniques. Mais le souci reste de se relier à l’Église et de reconnaître la parole de Dieu dans sa totalité.

Ce n’est pourtant pas un choix facile : le découpage des péricopes n’est pas évident, la traduction est parfois approchée, supportée par des présupposés. Plus encore, très souvent, on ne voit pas le principe qui a conduit à mettre ensemble les trois textes proposés, si bien que, dans la majorité des cas, on ne prend pas les trois. Habituellement même, on n’en prend qu’un, quitte a utilisé l’un des deux autres, soit pour la préface, soit pour la post communion. Dans le texte retenu, on choisit une phrase qui, exposée sur le lutrin, au milieu de l’assemblée, indique le grand axe de la célébration. Elle restera affichée toute la semaine.

La parole proclamée, son interprétation est généralement plurielle, d’abord pour souligner la richesse de cette parole qui ne peut être enclose dans une définition, ensuite pour marquer le dynamisme de cette parole qui est vraie en ce qu’elle ouvre des pistes d’expression et qu’elle s’accomplit dans des actes. Il nous apparaît de plus en plus que la communication et l’interprétation de la parole ne peuvent être le fait d’un seul, qui serait le clerc ou le plus compétent en exégèse ou en théologie. Ce qui nous semble plus essentiel, c’est que la parole ait sens en divers lieux, qu’elle puisse s’accomplir en diverses situations : l’expérience chrétienne est bien le lieu où la parole est créatrice et rénovatrice.

Une conséquence pratique, mais qui influe sur la tonalité de la célébration : si la parole est plurielle, elle ne peut être que brève, incisive, par le fait plus percutante dans la dénonciation qui est toujours dans la parole évangélique et plus pressante dans l’invitation à vivre.

En revanche, les modes d’intervention autour de la parole sont peu nombreux : ils sont conditionnés par le lieu et le nombre des participants. Il peut se faire que le commentaire prenne une forme interrogative quand il s’agit d’un appel à la conversion. Quelquefois le commentaire est pris dans une prière responsoriale. Le mode le plus fréquent est le commentaire de la parole. Confié lors de la préparation de la liturgie à plusieurs membres de la communauté, il présente de ce fait une pluralité de points de vue sur ce texte. La variété des points de vue n’est pas infinie : le milieu d’origine des participants est assez homogène. Les dangers sont alors visibles : le discours entre initiés, le discours intellectualisé, l’introduction de formulations reprises aux cours de formation. Les requêtes de notre monde sont très éloignées. Ce sont des critiques dont il nous faut nous souvenir. Généralement le prêtre intervient une fois. Je n’ai jamais vu deux prêtres prendre la parole au cours de la même cérémonie. On cherche aussi à éviter que la parole du prêtre n’apparaisse comme parole de conclusion : il est bon qu’elle reste ouverture, invitation, libération, interrogation…

Un autre mode de communication de la parole, c’est l’échange en petits groupes. À partir de la parole proclamée et brièvement interprétée, un thème de réflexion est proposé à la discussion d’un petit groupe de dix à quinze personnes : le plus souvent la parole circule bien ; elle a un caractère prononcé de témoignage ; mais justement si l’échange est bon, le temps paraît trop court. Mais il se crée un certain isolement car, vu le nombre des groupes, ce qui a été échangé ne peut remonter à la grande assemblée. Par ailleurs le rythme de la célébration est rompu ; certes, souvent un chant réintroduit le thème principal et le ravive. Il n’en reste pas moins qu’avec l’augmentation du nombre des membres de la communauté, c’est un mode de partage difficile à gérer. Pourtant on en voit bien la visée : découvrir l’impact de la parole dans l’expérience vécue soit des personnes soit de la communauté.

Un autre mode de communication est parfois utilisé : c’est ce que nous appelons le micro libre. Le texte sacré a été lu ; une interprétation ouverte en a été donnée : une question principale s’en est dégagée. Qui le veut, peut venir dire comment il la saisit dans son expérience personnelle : il n’y a pas de polémique, pas de censure, encore moins une reprise par le prêtre. Les dangers sont évidents : la trop grande personnalisation des témoignages, le risque de voir certaines personnes devenir des abonnés à cet exercice. Mais dans cette lecture spontanée, parfois de véritables découvertes se font.

Dans cette première partie, la place la plus importante est donc donnée à la parole, reçue du texte, mais qui n’est vraie parole que dans l’impact de nos vies. Deux éléments coutumiers de la célébration n’apparaissent guère : le Kyrie et le Gloria. L’omission est reconnue et acceptée : nous ne souhaitons pas que leur récitation devienne une pure répétition. En revanche, quand nous les utiliserons, ils seront sciemment solennisés pour exprimer une dimension de notre rapport à Dieu. Le Kyrie, par exemple, se développe quand la célébration s’oriente dans la confession des péchés, la supplication ou vers l’accueil de la miséricorde de Dieu. Le Gloria trouve place dans les cérémonies de louange et d’action de grâces. La recherche ici est d’éviter ce qui n’ouvre plus l’oreille, ce qui n’attire pas le cœur. Il y a peut-être dans cette conception une bonne part d’illusion ; reste que nous souhaitons que le message soit nouveauté et espérance.

 

DU LIEU DE LA PAROLE AU LIEU DU REPAS

 Tout un symbolisme pourrait se vivre si le lieu de la célébration eucharistique était le même que celui de la parole : le mémorial eucharistique se déroulerait au cœur même de la Parole qui annonce et remémore l’événement fondateur qui va se revivre dans la foi. Le foyer de célébration serait unique. Cela se fait quelquefois : Jeudi saint, multiplication des pains. Mais généralement, la communauté se rend dans le chœur. Ce transfert ne reste pas sans symbolique : « Lève-toi et marche » a dit la Parole. C’est un autre aspect de la parole, celle qui guérit et met en route.

Ce déplacement peut se faire dans un joyeux désordre, en pleine amitié, comme un peuple qui pérégrine vers cet ailleurs qu’a indiqué la Parole. Ce sera alors au célébrant de faire le lien avec la Parole proclamée et interprétée. Il ne faudrait pas que l’effectuation de la prière eucharistique sombre, plus ou moins dans un rite magique ; ce serait détruire le mystère. En même temps, elle ne peut être explicative : elle est celle qui initie vraiment le mémorial de l’événement du salut qui devient présence ou prophétie…

Parfois le déplacement est processionnel quand, par exemple, le silence apparaît comme l’ambiance la mieux adaptée au mode de célébration choisi. Ce peut être aussi le cas lorsque est demandé à la communauté ce que nous appelons entre nous un geste symbolique qui a pour but de faire participer toute la communauté. J’en évoque un, récent : mercredi des cendres – ouverture du carême de la montée vers Pâques, marche vers la paix. À la croisée du transept a été allumé un brasero ; de chaque côté deux petites tables avec une coupelle de cendres. Le geste doit traduire ce qu’induit la parole : chacun se sait cendres enfermées dans l’éphémère, le mortel, mais vivant pour renaître ; chacun prendra donc une pincée de cendres qui le représente et la jettera au feu qui, lui, représente l’amour de Dieu en Jésus-Christ : c’est la participation à la mort et à la résurrection du Christ qui va être au cœur de la célébration eucharistique.

On peut noter, en passant, que la récitation du Credo est le plus souvent télescopée ; ce n’est pas mépris, encore moins rejet. Mais il faut bien dire que le Credo de Nicée-Constantinople que nos devanciers dans la foi ont élaboré pour éviter les « hérésies » est composé dans un style qui n’a pas la tonalité générale de nos célébrations. Il n’est pas de soi ressenti comme un levier, un dynamisme, encore moins comme un appel. On prendra donc plutôt le style de la profession baptismale, quand la communauté veut se rassembler dans l’expression de sa foi. Cette question montre bien une des difficultés de célébrer : la communauté se sent héritière d’un passé très riche, mais elle se réapproprie difficilement un langage pourtant théologiquement très riche. Je ne prendrai, comme exemple, que ces oraisons latines traditionnelles, bien rythmées, théologiquement très inspirées, qui, traduites en français, ne disent rien.

 L’ACTE EUCHARISTIQUE

La communauté est maintenant rassemblée dans le chœur : l’autel fait face, non à la nef, mais à l’abside. L’espace occupé a donc la forme d’un ovale où les fidèles se tiennent debout, serrés, participants, pas seulement assistants. Le moment prend un certain poids. Le ton de la parole change : on entre dans le mémorial, dans le rappel de l’acte qui fonde notre foi et notre communauté. Tout en étant louange et action de grâces, la parole est de forme narrative, un récit solennisé qui invite à l’accueil de cet événement dans l’adhésion de foi. C’est un exercice difficile que cette parole-là qui laisse peu de place à l’invention.

Elle est préparée par la parole d’offertoire qui donne l’occasion à la communauté de se concentrer et de densifier sa présence, d’intensifier son aspect collectif. Tous sont tournés vers l’autel, ils ne sont plus dans le face-à-face de la communication de la parole. L’entassement ne permet guère de gestes. Certes on a pu critiquer l’enfermement de ce cercle communautaire. Il est difficile au passant d’entrer dans le cercle. Mais c’est le moment où tous sont fixés sur la nouveauté inouïe de cette présence du Christ par l’accomplissement de sa parole, dans le « maintenant de l’acte de passage » où, par son Esprit la communauté prend conscience d’être le Corps du Ressuscité.

La préface qui ouvre la grande prière eucharistique fait le lien avec la parole proclamée et écoutée. Là, la parole n’est plus anecdote, ni exhortation moralisante ; elle fait partie de l’événement du salut : la parole reprise et célébrée constitue le maintenant de la Résurrection. L’Évangile est Bonne Nouvelle parce qu’il n’a encore jamais été aussi puissance de Dieu pour le salut. Là l’espace est bien adapté à cette communion dans la foi, dans la chaleur de la prière unique. Les chants se répercutent tout autrement : ils créent un regroupement encore plus intense.

Le récit de l’institution, connu, simple, prend, dans ce moment très court, tout à la fois pesanteur et lumière. Il n’est pas question de changer le récit de l’institution, mais là encore, pour éviter l’usure et la répétition, il suffit d’accentuer un mot, de laisser un court temps de silence entre le récit de l’institution et le chant de l’anamnèse, voire de chanter deux fois l’anamnèse, une fois après la consécration du pain, une fois après la consécration du vin.

C’est certainement là que la communauté prend le plus conscience d’être constituée d’ailleurs, d’être anticipée, d’être devancée par l’amour de Dieu. C’est le moment de la gratuité, de la miséricorde, du pardon – du don qui est par-delà toute attente – de l’accueil de cette parole qui est Jésus le Christ.

La préoccupation des hommes et du monde reste présente, en particulier dans la prière d’intercession qui suit l’épiclèse. Mais on sent bien qu’une telle supplication n’est pas pleinement adaptée à la requête éthique de notre temps ; c’est un peu se débarrasser sur Dieu de ce qui nous préoccupe, alors que nous ne voyons pas quelle solution proposer. Nous avons donc beaucoup à réfléchir à ce qu’il en est de l’intercession et au devoir éthique qui nous incombe.

Le Notre Père, généralement récité, exceptionnellement chanté, est la conclusion de la liturgie du mémorial. La communauté unifiée peut demander de faire la volonté du Père, c’est-à-dire de réaliser le désir qu’elle porte au plus profond. Elle est alors orientée vers les autres, vers la parole à annoncer, vers l’engagement à prendre. Le baiser de paix symbolise cette unité des croyants rassemblés dans l’œuvre du Père.

 

LA LITURGIE DU REPAS

C’est à ce point que se situe la symbolique du partage. Certes on a tenté de solenniser ce moment, en particulier en donnant la communion sous les deux espèces. Un tel mode de distribution exige que soit démultipliés les points de distribution du pain et du vin. Mais au lieu d’être le rassemblement, le partage, c’est l’éclatement et la dispersion. Si l’on ne communie qu’avec le pain en faisant circuler des corbeilles, le temps de la communion s’étire trop du fait des participants. Le geste est certes porteur d’un beau symbolisme du rôle des chrétiens les uns vis-à-vis des autres. Quoi qu’il en soit, sous une forme ou sous une autre, ce partage n’a que peu de rapport avec ce qu’on appelle ordinairement un repas. On a tenté parfois de donner à la célébration un prolongement en offrant un repas ; une fois même le repas a suivi immédiatement l’office qui était celui de la multiplication des pains, et cela s’est déroulé dans l’église. Mais ce ne sont que des pis-aller qui ne permettent pas de vivre symboliquement une réalité.En fait, la meilleure traduction de ce partage reste l’amitié réelle qui s’exprime aussitôt la messe terminée. C’est souvent là aussi que les initiatives en faveur des droits de l’homme se font jour. Reste que la liaison n’est pas évidente entre le mémorial eucharistique et ce que l’on pourrait appeler une dimension éthique. Il nous reste à inventer dans les contraintes d’espace et de temps et de nombre.

À l’expérience, célébrée reste toujours une aventure et un risque : il est certes plus facile de s’en remettre à un rituel bien déterminé… mais il n’est pas certain que ce soit la meilleure voie pour entrer dans le dynamisme de la célébration de l’acte fondateur qui est mémorial, présence et prophétie, pour y découvrir le sens de la création et du monde, pour y renouveler l’espérance et l’agir. Notre vœu est de rester par là fidèle à la parole instauratrice et à l’intention ecclésiale.

Article de Joseph Pierron, mis par Jean-Marie Martin sur son site La Christité.

 

 

 

 

 

 

Brève histoire de la liturgie catholique : qu’appelle-t-on donc «Tradition» ? 

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