Le concile de Latran 4 (1215) consolide définitivement les efforts de l’Eglise au XIe siècle pour asseoir un réel pouvoir spirituel grâce au temporel (voir à ce sujet par exemple un des aspect dans mon article sur la notion de prêtre): https://recherches-entrecroisees.net/2018/11/25/lhistoire-de-la-notion-de-pretre-peut-nous-aider-a-la-repenser-aujourdhui/
Le pape Innocent III l’a convoqué à Rome, sur la colline du Latran et le concile n’a duré que … trois semaines. L’emprise du « Saint-Siège » sur la chrétienté occidentale était totale et elle ne « débattait » pas les décisions prises au Vatican.
Quelques éléments qui m’ont particulièrement intéressée car ils concernent la construction théologique des dogmes catholiques ou des vécus sociaux et sont utiles à nos réflexions actuelles pour être au plu près de l’évangile de Jésus.
- la lutte contre l’hérésie cathare à son époque.
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concernant les Juifs et les Sarrasins, il faut éviter aux chrétiens tout « mélange maudit » (fréquentations homme-femme et autres contacts). Le concile se fonde précisément sur la loi mosaïque ( il y a des références à des interdictions dans l’Ancien Testament… Quel paradoxe de citer ces lois elles-mêmes. Quelle tristesse pour nous de voir que l’on s’est autant éloignés alors de l’Evangile…). Obligation donc pour eux de porter un signe distinctif. Cependant, d’après Wikipédia, « Quand Innocent III eut vent des violences infligées aux juifs à cause du signe distinctif qu’il leur avait imposé et les ayant conduits à une exposition dangereuse, il écrivit aux évêques de France de « laisser les juifs porter des vêtements par lesquels ils peuvent être distingués des chrétiens, mais pas de les forcer à en porter de tels qui pourraient mettre leur vie en péril » alors que c’est le fait d’être distingués des chrétiens qui les mettait en danger quotidien. ». Cela nous fait bien réfléchir sur ce qui s’est passé avec le nazisme …
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organisation d’une cinquième croisade ( qui n’aura pas lieu ) : afin de la financer, indulgence plénière pour les donateurs.[1]
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renforcement des conceptions d’un Dieu créateur, puissant et justicier.
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première affirmation du dogme de la Trinité tel que les catholiques le professent habituellement.
Ce dogme n’existait nulle part dans le Nouveau Testament : voir en note[2].
Il s’est progressivement bâti peu à peu à coup d’hypothèses et à force d’éliminer des conceptions qui étaient déclarées hérétiques : les représentations qu’on a eues de Jésus ( et de Marie ) l’ont de plus en plus divinisé.
En 1154, Pierre Lombard avait publié une proposition théologique sur l’Esprit saint qui lui donne les caractéristiques d’une personne : il s’agit de concevoir en Dieu une réalité supérieure ou suprême (Summa Res) distincte de la divinité et ne possédant aucune des qualités des Personnes et de laquelle provient l’unité de trois Personnes divines : le Père, le Fils et l’Esprit.
Après débats violents, ce concile adopte cela en 1215 dans le décret Firmiter, texte long mais capital et toujours le seul actuellement valable dans l’Eglise.
- consécutivement, renforcement des affirmations de la foi dans l’incarnation humaine de la 2° personne de la Trinité, le Fils
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première affirmation de la transsubstantiation, une notion qui n’existait pas avant, et un terme qui apparaît pour la première fois vers 1140. Jusqu’alors, la fraction du pain et le partage de la coupe, faits respectueusement, signifiaient que les fidèles étaient un seul corps et que Jésus était au milieu d’eux. (NB Une seule citation alléguée de saint Augustin est donnée en appui mais son interprétation en ce sens n’est pas correcte : c’est cependant celle qui est toujours alléguée par la suite : « Nemo autem illam carnem manducat, nisi prius adoraverit […] peccemus non adorando » (Discours sur les Psaumes (Enarrationes in Psalmos, in Psaume 98, 9) :traduit par « Que personne ne mange de cette chair sans l’adorer, nous pécherions si nous ne l’adorions pas. », ce qui est contestable car, si on lit le contexte, ce qu’on doit toujours faire évidemment, il est clair qu’il ne s’agit pas là chez Saint Augustin du pain et du vin de la Cène ) mais ceci fera l’objet un autre article.)
La déclaration de Latran IV joint le salut et la peur de la damnation à cette foi : : « Il y a une seule Église universelle des fidèles, en dehors de laquelle absolument personne n’est sauvé et dans laquelle le Christ est lui-même à la fois le prêtre et le sacrifice, lui dont le corps et le sang, dans le sacrement de l’autel, sont vraiment contenus sous les espèces du pain et du vin, le pain étant transsubstantié au corps et le sang au vin par la puissance divine, afin que, pour accomplir le mystère de l’unité, nous recevions nous-mêmes de lui ce qu’il a reçu de nous. »
Ce dogme introduit par les théologiens Pierre Lombard et Etienne Langton sera confirmé par le concile de Trente (1545-1563). -
D’où la redéfinition renforcée de certains « sacrements » : la confession et la communion annuels dans leur paroisse par le prêtre de leur paroisse sont imposés à tous les fidèles ayant l’âge de raison sous peine de péché mortel, par le décret Utrisuque sexus.
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La confession devient auriculaire (à l’oreille du prêtre) en remplacement de la confession publique, rare et réservée aux actes graves et connus de tous. Cela renforce le pouvoir du prêtre et la notion de culpabilité et de réparation…
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Le mariage devient l’un des sept sacrements. Il n’est plus défini comme l’union de deux corps et l’influence des parents diminue : les bans doivent être publiés, et l’homme et la femme doivent publiquement exprimer un consentement : il est défini comme l’union de deux volontés et il devient indissoluble : seule la mort peut le dissoudre.
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Concernant les clercs, les réformes étaient nécessaires car il y avait beaucoup de dérives. Le rappel aux clercs de comportements corrects et moraux, des évidences oubliées…
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Le synode provincial : Une chose qui ne se pratique plus : « Chaque année les sièges métropolitains doivent tenir un synode provincial pour surveiller l’élection et le travail des évêques de la province. »
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Divers :
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il est interdit de vendre des reliques et d’en proposer de nouvelles sans autorisation du pape.
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Les récits de « faux » miracles sont interdits.
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L’ordalie ou jugement de Dieu, est interdite.
On voit fort bien dans ce Concile de 1215 la manière dont ont évolué les dogmes et les sacrements.
On voit également l’Eglise chercher à corriger des déviances et à augmenter sa propre puissance.
On comprend que cela était fait pour « acquérir » plus les âmes à Dieu…
Mais ces moyens étaient-ils les meilleurs ?
Etaient-ils conformes à l’Evangile ?
Une partie de nos problèmes actuels n’en viennent-ils pas ?
Marguerite Champeaux-Rousselot 2019-05-12
Notes
[1] Ces trois aspects sont à la base de la future Inquisition… et Innocent III est souvent désigné comme « le père de l’ antisémitisme ». Même si la société a des préjugés, des haines irrationnelles, l’Evangile nous éclaire si on y a recours, et l’Eglise se doit enseigner à voir juste de façon exemplaire.
[2] 1°) le terme esprit ( pneuma : énergie, souffle, vie, intelligence, dynamisme ) ne désigne pas dans les textes de l’Ancine Testament, le Tanakh, ni du Nouveau Testament, une personne particulière mais est employé pour parler de l’esprit de Dieu comme dans l’expression la force du champion ou l’intelligence du savant ;
2°) l’expression fils de Dieu s’appliquait dans l’Ancien Testament à Israël comme à tout fils d’Israël fidèle à Dieu et c’est ainsi qu’elle s’est appliquée à Jésus : il ne se disait pas et il n’était pas dit Fils unique de Dieu mais il appelait tous à le devenir de plus en plus ;
3°) l’expression Fils de Dieu siégeant à la Droite de Dieu a été utilisée après la mort de Jésus quand ses fidèles ont voulu définir sa place et son rôle toujours vivant : il a eu alors une place particulière.
4°) Plus tard, ( chez Paul et dans les évangiles) l’expression s’est ensuite enrichie en réfléchissant que le dessein de Dieu comprenait depuis toujours la venue de ce Messie : et peu à peu la notion qu’il avait déjà cette place à la droite de Dieu avant de naître… et donc une place éminente, mais jamais équivalente à celle de Dieu. Une lecture bien traduite et respectueuse de l’histoire des textes le démontre clairement.
Une réflexion sur “Le Concile de Latran IV (1215) : dogmes (Trinité, transsubstantiation), sacrements (confession, mariage) et autres”