« L’autorité a-t-elle un sens ? Les fondements de l’autorité »
Conférence faite en 2004 par un professeur de Lettres classiques dans le cadre associatif pour répondre à la question posée par une association de parents d’élèves.
Leur demande : se fonder sur le sens des mots, revenir à l’origine de la notion, et faire une conférence de valeur générale sur ce qui fonde l’autorité parentale en particulier.
Marguerite Champeaux-Rousselot, professeur de Français :
« Réflexions sur l’autorité, à partir de son champ lexical »
Un « sens » ? sentire: sentir, ressentir (les 5 sens) ; percevoir, remarquer, comprendre, penser.
L’autorité a-t-elle un sens ? Cela veut dire : « A-t-elle un sens que je puisse comprendre, faire partager, qui ne soit pas un non-sens, qui n’aille pas dans le sens contraire de ce que je souhaiterais ?… »
L’autorité a-t-elle un sens ? Cela veut dire : « A-t-elle une signification, un raison, une cause et un but acceptables par l’autre ? » Cela veut dire : « De quel droit me dis-tu, m’interdis-tu, m’obliges-tu à…? »
Et effectivement, on s’approche de la question en regardant les différents synonymes que vous connaissez et qui évoquent le travail, la mission des chefs :
– Gouverner : c’est prendre le gouvernail
– Diriger : conduire en ligne droite, rectiligne, ce que doit faire un « roi », une règle est faite pour cela ; et la correction est faite pour remettre droit ce qui ne l’était plus.
– Orienter : c’est se tourner vers l’orient, le premier endroit qui peut servir de référence quand paraît le jour : l’endroit où le soleil se lève, l’origine de la journée.
Vous voyez la notion de direction.
– Direction, directeur : on trouve aussi la notion de chef.
– Chef : comme on le voit dans « couvre-chef », « chef-lieu » et « capitale », « cheftaine » et « capitaine », cela vient du mot qui veut dire « tête »…
La tête qui sait la direction, comme une boussole sûre.
Et le verbe « achever » qui vient aussi de « chef » signifie qu’on a d’abord commencé par la base, par le moins important, le moins réussi, les pieds, et qu’on arrive à la fin, au sommet, à la tête… et qu’alors on a « achevé » le travail, et qu’il est bien fignolé, bien fini, c’est un travail « achevé » !
Un chef ?
Mais on préfère tous la démocratie !!!
Qui dirige qui, en démocratie, en république ?
Le vrai sens, amusant, du mot « république » : c’est « ce qui concerne ceux qui ont du poil au pubis » … c’est à dire les hommes faits (les femmes sont exclues, bien sûr, chez les Romains !).
Il faut donc être pubère, adulte, pour avoir le droit de se diriger ou de diriger les autres.
La notion d’« autorité » comporte elle aussi la notion de direction :
Ce mot vient de augere, verbe latin signifiant « augmenter ».
– auctor : celui qui produit (un auteur écrivain, l’auteur de la vie)
– auxilium : celui qui augmente, qui aide
augurer, inaugurer, augmenter, cela veut dire ajouter quelque chose de plus, de neuf : d’où le sens de « commencer quelque chose ».
auctoritas : c’est la capacité d’augmenter, d’où la capacité de faire grandir dans une certaine direction : la hauteur (de façon physique ou symbolique).
Cela veut donc dire qu’il y a un changement presque visible, mesurable…
L’autorité a donc la capacité de faire grandir quelque chose.
Elle est cette capacité même… et c’est cela le beau métier de parent et d’éducateur.
Dans notre inconscient, le symbolisme de « grandir » implique une direction vers le haut en général.
C’est tellement positif que cela a pris le sens d’un compliment (je laisse de côté les perversions de l’autorité !) : Il fait autorité dans son domaine ! veut dire que son conseil nous aide. Il a de l’autorité : son autorité est reconnue, il sait nous faire grandir…. Cela ne veut pas dire, étymologiquement : « Il sait nous faire obéir »…
Quelqu’un qui a grandi, qui est « grand », cela veut dire qu’il n’a plus besoin (ou n’aurait, ou ne devrait plus avoir besoin) d’autorité… (Mais peut-on dire qu’on a fini définitivement de grandir ? Cela ne peut être dit que par quelqu’un qui ne veut plus grandir plus … et qui donc souhaite rester petit !! Que dire de la véritable grandeur et… de la véritable humilité… !)
Avoir grandi, cela veut dire qu’on n’a plus besoin d’être nourri par quelqu’un, qu’on ne dépend plus de quiconque pour la nourriture…
On est devenu indépendant : on ne dépend plus de celui qui nous a fait naître. Par exemple, un fruit pend de l’arbre et il « dépend » de lui. Un fœtus « dépend » de sa mère par le cordon ombilical. Il prend une certaine « indépendance » quand il naît. La dépendance est d’une certaine façon humiliante quand elle n’est pas choisie.
Mais l’indépendance complète est bien plus tardive pour le petit d’homme. (Peut-être n’est-elle jamais acquise, peut-être n’est-elle pas souhaitable : celui qui se choisit un maître est ou sera parfois plus grand que celui qui s’y refuse).
Il s’agit, et c’est encore plus difficile, de devenir autonome, ce qui n’est pas synonyme d’« indépendant » : être autonome signifie étymologiquement « avoir sa propre loi ».
Non pas « ne pas avoir d’autre loi que soi », mais faire sienne la Loi choisie avec réflexion par soi… Ne plus « subir la loi d’un autre »… mais ne plus non plus réclamer des soins comme un petit non encore indépendant.
Libre équilibre entre les attentes et les offres. Indépendance et droits, certes, mais aussi indépendance et devoirs.
Et qu’en est-il dans la mini-société qu’est la famille ?
– Parent = celui qui met au monde ; on dit la « parturiente » pour la femme qui va accoucher (c’est un participe futur), et, ce qui est intéressant, c’est que « parent » est un participe présent … car enfin, a-t-on un jour fini de mettre au monde son enfant ?
On n’arrête jamais sans doute de se sentir concerné par son enfant, de s’en sentir responsable…
Mais notre fonction de parent est pourtant de faire devenir adulte notre enfant… en quelque sorte à égalité avec nous ! Le regard est aussi ce qui fait grandir.
On n’a jamais fini d’être parent, mais nos enfants de chair peuvent aussi être des parents pour leurs parents de chair… là, ou quand ils sont plus adultes qu’eux. La chair est une chose, l’esprit une autre. Il n’y a pas d’âge pour avoir la mission de faire grandir l’autre.
– L’adulte est celui qui a été nourri : ce terme insiste sur le passif et aussi sur le passé : il vient du verbe latin alere, d’où aliment, alevin, etc. L’adulte a été « alimenté par quelqu’un », il est celui qui est (devenu) fort, mais il faut voir cette expression comme voulant dire que maintenant il n’est plus nourri par quelqu’un, mais se nourrit tout seul et qu’il est fort sans personne.
Cela a donné d’ailleurs le mot altus, qui veut dire « haut, grand ».
– L’adulescens : « adolescent », veut dire exactement « celui qui est en train de devenir adulte », en train de commencer à pouvoir se nourrir seul, à devenir fort.
(Aujourd’hui, on voit des « adulescents », mot-valise composé de « adulte » + « adolescent » : des adultes qui cherchent à fuir leurs responsabilités et leurs charges de se nourrir seuls, et cherchent indéfiniment à rester jeunes ou comme les jeunes… et on parle de « jeunisme »…
– Enfant : celui qui ne parle pas, qui n’a pas le droit à la parole.
Là, le participe présent serait inquiétant si c’était à vie qu’on l’était… mais, chez les Romains, on a différents noms pour les différents âges de la vie, et c’est donc tout à fait normal qu’ils emploient le participe présent « en train de » quand on est dedans jusqu’à ce qu’on en soit sorti ! Ce n’est qu’une étape. On connaît déjà la suivante.
On voit donc bien dans quelle direction doit aller l’autorité … : le parent doit amener l’enfant à l’indépendance et à l’autonomie d’un adulte qui a le droit de s’occuper de la république…
Le chemin par où le parent conduit l’enfant a une direction. Elle s’exprime pour les « parents » avec des termes un peu particuliers, termes qui reprennent l’idée de direction de sens, contenue dans les termes « gouverner », « diriger », et « orienter » :
– Élever : lever, soulever un enfant hors de sa condition de démarrage;
– Éduquer : c’est faire comme l’aqueduc et l’oléoduc qui conduisent l’eau et le pétrole vers un but, c’est conduire l’enfant hors de sa condition d’enfant vers une condition d’adulte autonome et indépendant.
La boussole parentale elle aussi indique un sens « élevé ».
Et c’est pourquoi les parents adultes se différencient de leurs enfants par la tâche qu’ils ont envers eux, et que les enfants en général d’ailleurs ne leur contestent jamais : les nourrir matériellement… et aussi, par conséquence, dans les autres domaines !
Parfois, certains voudraient que la famille soit comme une mini-démocratie où ce qui est, au niveau de la nation, la force du peuple devenu supérieur aux anciens chefs de l’aristocratie ou de l’oligarchie, deviendrait, au niveau de la famille, la force des enfants à égalité avec les adultes… Droits et devoirs à égalité, en quelque sorte…
Mais il faut alors rappeler que c’est l’adulte qui sait, habituellement, le sens où aller pour trouver cette indépendance, cette autonomie etc., toutes choses légitimement désirables, heureusement !!
Et que l’enfant (dit « normal », car le problème des handicapés, par exemple, est différent) n’est pas en capacité, pour le moment, d’avoir cette connaissance ni les mêmes droits que les adultes, et qu’il ne peut pas prendre en charge, pour le moment, les mêmes devoirs qu’eux, ni donc avoir les droits pour y faire face !!
Le parent a un droit qui lui impose un devoir : il est responsable de celui qu’il a mis au monde. Répondre : veut d’abord dire « s’engager solennellement, devant les dieux, par une libation ». C’est le même mot qu’« épouser », que le « sponsor » qui s’engage envers une cause ou un sportif…
La responsabilité, c’est donc d’abord quand on se porte garant de quelque chose, ou de quelqu’un… (cf. Saint-Ex ?). L’adulte a la responsabilité de l’enfant : il doit le faire s’épanouir et le mener à l’âge adulte et fait preuve (ou doit faire preuve) d’un certain savoir-faire …
L’adulte doit d’abord répondre aux besoins fondamentaux (qui sont bien différents des « désirs ») : la pyramide de Maslow[1] montre la hiérarchie des besoins à partir du niveau 1 qui est « basique » : (ventre affamé n’a pas d’oreilles !).
Bien différencier les besoins des désirs évidemment :
1 Besoins physiologiques
2 Besoin de sécurité
3 Besoin d’appartenance
4 Estime de soi et des autres
5 Réalisation de soi
On ne peut appeler au 5 avant que le 1 soit satisfait etc. (À relativiser bien sûr quand même !)
C’est en vue du bien de l’autre que s’exerce l’autorité du parent, qui repose sur la confiance que l’enfant a en lui : « Oui, il dit cela pour mon bien, pour que je grandisse … ».
Le parent va en effet devoir dire « oui » ou « non ». (« Oui » vient de hoc ille, sous-entendu n’importe quel verbe : « C’est cela même qu’il a fait ou dit, etc. »).
Il doit dire l’interdit : c’est la parole qui est dite « entre » la personne qui voudrait et la chose : une parole de permission ou de défense, celle qui donne et construit la liberté.
Et si l’enfant a bien compris que l’adulte l’emmène dans la bonne direction, il lui obéira pour aller dans la direction qui fait grandir vers cette autonomie si désirable et désirée !
Obéir : c’est ob-audire : prêter l’oreille, écouter.
On n’écoutera évidemment pas quelque chose d’inaudible ou incompréhensible…
Mais ce n’est pas que la parole qu’on écoute : l’enfant, tout comme le citoyen ou les autres adultes, tous, reconnaissent par expérience « l’autorité » de ceux dont les explications et l’exemple sont la preuve qu’ils ont effectivement su grandir et qui mettent leur expérience au service des plus petits ou des plus jeunes.
A nous d’expliquer à nos enfants que l’autorité a une cause et une raison indiscutables …et un sens global très positif et utiles pour eux !
A nous de savoir leur dire l’utilité pour eux, pour le moment, de cette autorité… et de leur montrer la direction de l’autonomie et de la liberté qu’ils souhaitent souvent si ardemment et si passionnément.
A nous, – avec des mots, des exemples, ou parfois dans un geste, de leur donner confiance dans notre autorité qui n’a qu’un but : les faire s’épanouir et être heureux.
Comment citer cet article :
Marguerite Champeaux-Rousselot : « Réflexions sur l’autorité, à partir de son champ lexical » in « L’autorité a-t-elle un sens ? Les fondements de l’autorité », 2004, publié sur https://recherches-entrecroisees.net/