Introduction
Byron et l’Histoire avec un grand H… sujet immense car on pourrait dire que Byron toute sa vie s’est intéressé à l’Histoire, non pas en tant que science du passé ( et pourtant les allusions qu’il y a faites et ses nombreuses lectures montrent qu’il en avait une connaissance approfondie) mais surtout en tant que phénomène construisant l’Humanité mais aussi construit par les Hommes.
Dès ses premiers voyages, dès ses premières œuvres, la question de l’impact des actions individuelles sur la vie et donc l’Histoire de ses compagnons, les Hommes, est au coeur du questionnement de Byron. Avec trois thèmes corollaires interactifs : Dieu, le Destin, le Hasard et la Liberté ; la Nature, le Spirituel et les Hommes ; le quotidien et l’idéal, la vie et la mort.
D’où le titre de notre communication : Destin ou Dieu, héros ou foules, fourmis ou marionnettes : qui fait l’Histoire ? Où en est Byron sur ces réflexions dans The Deformed Transformed ?
Nous sommes en janvier 1822, Byron trace les premières lignes du DT. On est bien loin de la simple observation (parfois narquoise) du monde caché derrière une plume – Byron cherche à mettre en cohérence sa réflexion avec sa vie. L’Angleterre, ses voyages, l’Italie l’ont poussé peu à peu à passer lui-même aux actes et il se prépare à partir en Grèce. Celui qui écrit Le Difforme transformé n’est plus tant un poète qu’un homme de guerre partant combattre, plus tant un écrivain dandy qu’un témoin en passe de devenir un acteur de l’Histoire qu’il relatait autrefois, qu’il érige en conte riche en enseignements et dont il finira bientôt par devenir un acteur direct. Il y livre par la figure du Stranger sa conception de l’Histoire individuelle et collective ; et sa vie personnelle (pendant l’écriture du DT comme dans l’incomplétude de l’œuvre) est un prolongement de cet apologue en forme de sublimation, Byron passant du statut d’auteur distancié à celui d’acteur emporté par les propres leçons de sa pièce.
I Dans le DT, Byron livre sa pensée à propos de l’Histoire de l’individu et de l’Histoire en général :
Le DT relève à la fois du genre dramatique et de la fable (la pièce s’ouvre sur une fantasmagorie, se poursuit sur un fait historique, devait se clore sur de la fantasmagorie) et cet entremêlement de fiction et de faits historiques permet d’ancrer le sens pédagogique du DT tout en le dotant des mêmes vertus illustratives qu’un conte.
Byron y narre les choix auxquels l’homme est confronté lorsqu’il veut se dresser au-dessus de l’attentisme instinctif, pour réussir sa vie. Il y campe Arnold – l’humanoïde brut (dans un état de nature tellement peu travaillé qu’il est même difforme et court d’idées, même s’il souffre) – et le Stranger – un être qui semble au-delà de l’Humanité.
On connaît le scénario du DT, aussi peut-on se pencher sans plus attendre sur les dimensions qui concernent l’Histoire, l’Homme et ce qui transparaît des convictions de Byron au fil de l’œuvre.
On sait qu’Arnold peut, grâce au mystérieux Stranger, modifier son apparence. Pour être aimé, malgré sa difformité, il choisit, méprisant la philosophie que vante le Stranger, la forme du plus beau des guerriers : Achille. Au sein du dialogue fantasmagorique que met en scène Byron et qui échappe à la rationalité, le rappel très historique d’un micro-événement soigneusement choisi et exploité par l’auteur lui permet de faire image et de concrétiser ses réflexions. Il s’agit de la mort d’un chef de guerre, Charles III de Bourbon, qui pensait conquérir Rome.
Une fois transformés, Arnold-Achille et son guide partent faire un voyage que le Stranger appelle un « pilgrimage », et l’on sait qu’un pèlerinage est un voyage en vue de l’édification de l’âme. Or, si le Stranger (second rôle) sait prendre de la distance et observer avec humour et ironie les faits de leur voyage, Arnold-Achille, irréfléchi et se fiant plus que jamais aux apparences, est devenu immédiatement ingrat, impoli, vaniteux, orgueilleux, violent[1]. Il veut combattre. Obéissant à son souhait, le Stranger l’emmène au 6 mai 1527, lors du siège de Rome par le puissant Charles III de Bourbon, la veille de l’assaut.
Prenons la mesure de ce fait historique exemplaire choisi judicieusement par Byron pour éclairer de façon crue et tranchée la réalité humaine.
Rome est la Cité sainte de l’Occident, mais aussi sa Sodome, la ville qui a tué Remus, celle qui a tué la République de Caton, celle qui tue au nom du Christ. La vie de Charles III de Bourbon est pleine de péripéties incroyables et de coïncidences romanesques avant cette date : c’est un grand soldat qui se laisse aller au fil des alliances, traîtrises, vengeances légitimes ou non. Il était Connétable de France et devient Lieutenant général de Charles Quint, qui attaque le Pape, en tant que chef des Barbares ou des Huns. Byron (par la bouche du Stranger) met en évidence son orgueil et son sens mal compris de l’honneur. Cependant, Arnold s’engage à ses côtés sans aucune hésitation, pour le plaisir de se battre et la joie d’être récompensé par un mot de son chef ou par le pillage. Charles III se lance le premier à l’assaut, et il est immédiatement blessé à mort. Il expire sans aucun regret.
L’évocation de ce moment critique permet à Byron de montrer que certains prétendent écrire l’Histoire avec de la cruauté, de l’avidité, des blasphèmes, des crimes, déguisés parfois sous le respect de la hiérarchie sociale, de la religion ou travestis par la langue de bois des idéologies en nobles héroïsmes et passion des hauts faits. Mais le Stranger démasque le véritable fondement de ces actes, les causes de leurs insuccès et de leurs erreurs. Il accuse en particulier les chefs qui rassasient leurs ambitions avec le sang d’autrui. Il explique à Bourbon qu’il est hautement responsable de la mort des Romains, mais aussi de la misère de ses gens et de leur mort, voire de leur envoi en Enfer. C’est pourquoi Bourbon mérite le sort qu’il va trouver sous peu. Sans blanchir Rome, le Stranger-Byron montre peu à peu que les Hommes peuvent être mauvais et que ceux qui se réclament de Dieu peuvent être ses vrais ennemis. Comme le Stranger omniscient connaît aussi bien le passé que le futur, le champ de la réflexion s’élargit. Il fait allusion par exemple à la future découverte de ce que les petits hommes d’ici appelleront le « Nouveau Monde » et au futur scandale de l’infaillibilité papale. Ce qui permet à Byron de montrer l’unité de fond de certains aspects de l’Histoire et d’argumenter ses thèses.
Arnold, galvanisé par le sacrifice de son chef, combat aveuglément jusqu’à ce qu’il soit terrassé par une sorte d’amour dont le Stranger montre qu’il est pervers car égoïste, ce qui n’est donc pas la forme d’accomplissement et de dépassement de soi qui aurait dû être recherchée par Arnold.
Grâce à ce jeu de contrepoint entre fantasmagorie et Histoire, Byron peut exprimer sa vision la plus large, dans le temps et l’espace, de l’Histoire humaine : de l’Histoire des nations et des civilisations à l’histoire individuelle, de leur naissance à leur mort, et il aborde ainsi la philosophie.
Après ce second acte qui concernait le temps de crise des guerres, Byron aborde le temps de paix : il prit le temps de publier le début de cette troisième partie du DT. Arnold et Olimpia sont mariés depuis un certain temps, la guerre est finie. Ils vivent avec le Stranger dans un milieu paisible : un château romantique situé dans une sorte de Tyrol imaginaire où les paysans partant aux champs chantent la paix et la chasse. Mais le Stranger trouve là encore prétexte à ironiser, insinuant que ce dernier leurre ne pourra satisfaire longtemps Arnold. Ils évoquent une Terre où chacun est heureux, mais le Stranger brise cette bulle en quelques mots : derrière l’insouciance des gens se cache une sombre réalité, celle des despotes cruels et des esclaves mous, jouant sur leurs propres tombes : ils se distraient, au sens pascalien, au lieu d’aller à l’essentiel.
Après sa mort, on retrouva quelques feuilles de brouillon qui donnent les grandes orientations de la fin ainsi qu’un petit « pense-bête » d’une trentaine de mots qui indiquait le ressort psychologique de la pièce qui se finit tragiquement : ce qui devait être une des dernières scènes montre qu’Arnold-Achille, jaloux de l’amour d’Olimpia pour le Stranger, comprendra finalement que la beauté et la force physiques sont des valeurs pièges, de fausses valeurs (comme nous l’avons montré lors du Congrès sur The Good Life à Liverpool). Or cette figure d’Achille fascinait Byron depuis sa jeunesse : par ce biais, il la reprend pour en éliminer ces deux composantes (beauté et force), au profit probablement de son aspect tragique. Cela implique également que le Stranger avait raison et qu’il est digne d’être aimé et écouté, et que Arnold, même laid, aurait donc pu l’être. La symbolique de Byron aboutit très loin, dans cette scène qui donne son véritable sens, ô combien paradoxal, au titre : jusqu’où, et chez qui, se seraient passées la « deformation « et la « transformation » finales ? Le miroir se serait-il fermé ou ouvert ? Comment le cercle se serait-il bouclé ?
Les contre-exemples, Arnold et Bourbon, et leur commentateur acide et décapant, le Stranger, évitent toute lourde mièvrerie moralisatrice, et le ton reste très byronien, mais la leçon comportementale « déformation/transformation » qu’on peut ainsi deviner s’applique à l’Histoire dans la mesure où l’Homme, dégagé des contingences physiques et des tentations de l’action mauvaise, peut reconnaître les valeurs intérieures qui permettent l’analyse, la décision et l’action. La pièce, avec ses personnages symboliques ou historiques, reflète le résultat intellectuel des analyses de Byron sur l’Histoire et ceux qui la font, au moment où participer lui-même à la construction de l’Histoire l’intéresse de plus en plus.
II Les points d’accord entre le Stranger et Byron, sur l’analyse du Monde et des Hommes
Dans le DT, le Stranger et donc par sa bouche, Byron, affirment comme point de départ que l’homme est « dust », « clay », « atom », « bubble », « foam »[2]. Chacun doit vivre et mourir, dans un enchaînement constant, de la planète au ver. Ce sont des « insects », des « ants »[3]. Il se gausse de tout anthropocentrisme ou de tout romantisme.
Les agissements des hommes sont d’ailleurs la conséquence d’une nature mal composée :
« This is the consequence of giving matter
The power of thoughts. It is a stubborn substance,
And thinks chaotically, as it acts,
Ever relapsing into its first elements. »[4]
La beauté et la bravoure sont des valeurs mortifères, périssables et superficielles. Les hommes s’illusionnent souvent eux-mêmes en se croyant dignes d’entrer dans les Annales des peuples : « I have died for Rome ! »[5] crie un soldat, ce qui lui vaut cette réplique ironique du clairvoyant Stranger : « And so did Bourbon, in an other sense. Oh these immortal men ! and their great motives !»[6].
Leurs chefs, et peut-être surtout eux, sont des hommes au plus haut degré de leur absurdité et de leur méchanceté. A leur comportement répond (ou s’augmente) l’absurdité de la vie que Byron se délecte à démontrer à travers le cas de Charles de Bourbon. Que le Connétable ait mis un pourpoint blanc est conforme à la logique d’un honneur « deformed », et qu’il meure aux premières minutes de l’assaut est tout aussi logique qu’invraisemblable[7]. Tout aussi incroyable est le face-à-face, à Pavie, entre Bayard mourant et Bourbon, son vainqueur, le traître, et tout aussi absurde le fait que Byron explique encore en note[8], le geste d’embrasser son épée, encore sanglante sans doute, en guise de crucifix. Mais lorsque le Stranger, par dérision en fait, propose à ce même Bourbon mourant d’accomplir ce geste qui semble d’un pieux chevalier, Bourbon sait que ce serait un blasphème : mais a-t-il raison de le croire ? et quel sarcasme le Stranger aurait-il proféré devant Bayard ? Dernier exemple, que Benvenuto Cellini ait tué ce Bourbon est invraisemblable (et d’ailleurs discuté), mais de quels chefs d’œuvre n’aurions-nous pas été privés… s’il avait été tué au combat ? la disproportion entre le risque et la conséquence est ici flagrante… et touche à l’absurde.
La vie est pleine de ces impossibles inconcevables qui se réalisent – y compris la mort de Byron. Elle est pleine d’absurdités et de faits divers invraisemblables auxquels les atomes ajoutent en se bousculant, apparemment libres, construisant l’Histoire à force de petits faits et de « hauts » faits. Pourtant, le DT montre qu’elle est aussi immuable et conforme à des Lois, naturelles ou autres, auxquelles personne ne peut échapper, en particulier la loi de l’alternance.
Les soldats des deux partis allant au combat ne savent pas qu’ils sont en réalité poussés par le sens de l’Histoire, et qu’ils sont des victimes et non des héros : l’itération de la guerre ressemble au déroulement de l’existence humaine si l’homme se laisse vivre sans réfléchir.
« On they march, though self-slaughter,
Regular as rolling water,
whose high waves o’ersweep the border
Of huge moles , but keep their order,
Breaking only rank by rank ! »[9]
Sur cet arrière-plan universel, l’Histoire répète ses accidents où chacun prend son tour, souvent au gré de la Fortune – ce qui d’ailleurs a pour conséquence d’empêcher partiellement de juger autrui.
Lorsqu’Arnold, atterré un moment par les massacres, voudrait être « at peace, in peace » [10], le Stranger lui fait remarquer que, puisque la vie est mouvement et que la « commotion » est le point extrême de la vie, on ne peut demeurer immobile « dedans ». Le Stranger, et Byron, lient donc la vie au changement, et ce changement aux lois de la Nature auxquelles tout est soumis, y compris même l’Homme. Personne ne peut se rebeller contre elles ni s’en libérer totalement.
Ceux qui font la guerre sans avoir réfléchi, tout comme ceux qui prient pour faire changer leur destin en leur faveur, n’ont pas compris qu’ils ne peuvent échapper à ces lois : leurs fausses analyses les conduisent à des erreurs grossières.
Arnold espère que dans certains cas (ici la bataille est pour demain !) la rébellion peut réussir : mais le Stranger lui révèle que le changement de dénouement n’est pas du fait de l’Homme – et que croire au succès d’une rébellion serait une naïve erreur humaine d’interprétation.
Caesar
You must obey what all obey, the rule
Of fx’d necessity : against her edict
Rebellion prospers not.
Arnold
And when it prospers –
Caesar
‘Tis not rebellion.
Arnold
Will it prosper now ?[11]
Non évidemment… car ce projet n’est pas bon.
Byron est donc bien conscient de la petitesse de l’homme, de l’immensité de l’Univers et de la nécessité des Lois naturelles. Pour faire comprendre que l’homme a quand même une grande liberté d’action et autant de responsabilité qu’il veut en prendre dans les événements, il utilise un moyen dramatique.
C’est l’invention du personnage du Stranger qui permet de bien faire comprendre le lien entre Destin, Liberté et Histoire. Il semble accepter d’être qualifié de « démon », mais son point de vue sur les Hommes, les causes de leurs erreurs, les conseils qu’il donne pour qu’ils agissent mieux et ses révélations sur la réalité du Monde montrent qu’Arnold fait erreur en le considérant comme un diable au sens maléfique. Byron en fait un daimon au sens de conscience intérieure telle que le concevait Socrate. Cette réflexivité porte aussi sur l’Histoire.
Omnipotent et omniscient, le Stranger signale qu’il est agacé par les hommes inconscients et pourrait s’amuser à affoler ces « pauvres marionnettes» qui sont aussi prévisibles que le reste du monde. S’il enflammait leur fourmilière,
how the pismires then
Would scamper o’er the scalding soil, and, ceasing
From tearing down each other’s nests, pipe forth
One universal orison ! Ha ! Ha ! [12]
Mais Byron montre à plusieurs reprises que le Stranger laisse la Nature, le destin (ou Dieu) suivre ses lois et laisser à son tour les hommes agir librement, parce qu’il est stoïcien et parce que de toute façon, ils tombent d’eux-mêmes en enfer sans qu’il les y pousse. Il se contente d’observer et décrypter, et révèle aux hommes la réalité et leur vérité[13] : il définit lui-même son rôle, mais la didascalie précise comment les Hommes réagissent :
Caesar
The devil speaks truth much oftener than he’s deem’d :
He has an ignorant audience[14].
Arnold (without attending him)…[15]
Ce jeu de scène, qui revient souvent, manifeste le fait que les hommes n’écoutent pas leur conscience. Le Stranger est, structurellement, dans la pièce, le révélateur et le metteur en scène de la liberté et de la responsabilité humaine qui sont d’autant plus grandes que l’homme est plus conscient(isé).
Le choix des personnages d’Achille et de Bourbon aboutit à montrer les Hommes comme des fourmis orgueilleuses qui pensent agir sur l’Histoire, des marionnettes manipulées à leur insu, des héros soi-disant admirables à leur échelle mais méprisables ou punissables, des foules aveugles mues par des instincts ou des forces dont elles n’ont même pas idée…
Le Stranger est donc le porte-parole de Byron, et Byron, dans une certaine mesure, est le Stranger : il reconnaît les Lois de la Nature, observe les hommes et décrypte leurs affaires ; Byron a parfois des expressions qui font penser qu’il a déjà vu le monde d’aussi haut[16] ; il a ressenti le même mépris très tôt : « I have seen mankind in various Countries and find them equally despicable, if anything the Balance is rather in favour of the Turks. » Journal, 22 may 1811[17]
Mais Byron lui-même à cette époque ne trouve pas non plus le ressort pour se dépasser : « I shall never be any thing, or rather always be nothing. »[18] Cette appréciation de nullité corrobore les futures appréciations du Stranger sur l’espèce humaine, en moins grave puisque ce n’est pas une appréciation négative, et que Byron ajoute : « The most I can hope is, that some will say, « He might, perhaps, if he would ». »[19]. Cet auto-diagnostic d’un homme de 25 ans, qui se sent potentiellement en mesure d’accomplir de grandes choses (à la mesure de l’Homme accompli) dévoile le pressentiment d’une exigence de soi, même si Byron s’en croit (encore) incapable.
III Byron conscient et responsable de son histoire individuelle
En effet, là s’arrêtent alors les ressemblances car si le Stranger s’abstiendra d’intervenir sur ce réseau de petits actes humains qui finalement tissent l’Histoire, Byron va évoluer et peu à peu penser et agir en Homme conscient et responsable.
Le 23 novembre 1813, son ton est au début méprisant et indifférent : « But I have no ambition ; at least, if any, it would be aut Caesar aut nihil. »[20] : Byron, jeune encore, rêve d’un pouvoir utile certes, mais qui comble son orgueil. Il s’interroge : « After all, even the highest game of crowns and sceptres, what is it ? »[21], à propos de la fin prosaïque du rêve qu’avait incarné Napoléon. Il regrette que «men never advance beyond a certain point.» [22] et s’indigne « and here we are, retrograding, to the dull, stupid old system,–balance of Europe–poising straws upon kings’ noses, instead of wringing them off! »[23] Cette tirade pourrait encore être proférée par un Stranger immense, lucide et attentiste, mais la colère amène déjà Byron à imaginer, – de loin ! – , les moyens à mettre en place pour faire advenir le bonheur des peuples : « Give me a republic, or a despotism of one, rather than the mixed government of one, two, three. A republic! — look in the history of the Earth — Rome, Greece, Venice, France, Holland, America, our short (« eheu! ») Commonwealth, and compare it with what they did under masters.” Il faut qu’on ait “the liberty of demolishing despots”[24] Il finit par s’exalter jusqu’à rêver, même s’il s’en défend, de prendre la tête de ces mouvements : « To be the first man — not the Dictator — not the Sylla, but the Washington or the Aristides — the leader in talent and truth — is next to the Divinity! Franklin, Penn, and, next to these, either Brutus or Cassius — even Mirabeau — or St. Just. »[25] Cependant, on voit que son idée d’être Caesar (précisément le nom que prendra le Stranger dans le DT) a déjà, au bout de quelques lignes de réflexion, bien évolué.
Après cette orgie de pure imagination, Byron suivra de plus en plus les échos intérieurs de son daimon. Presque à chaque anniversaire, on le voit faire des bilans et s’attrister de n’avoir rien fait, ou de n’avoir rien fait de bien : par delà le souci aphasique et sans issue mêlé de mépris, son attitude devient bien plus positive et altruiste. Nombre de ses prises de conscience le conduisent à s’intéresser progressivement à l’action et, sans le savoir encore, à l’Histoire.
A 29 ans, il ressent certes une forme d’usure, mais sous laquelle on pressent la conscience de l’action désormais inévitable, sous peine de devoir blêmir d’avoir compris mais de n’en avoir pas tiré les conséquences. Son usure affirmée se traduit bientôt dans l’impatience de l’action dans de nouvelles dimensions : il ne se dissimule plus, enfin, la force de ses rêves politiques, le bien-fondé de ses idées et la possibilité éventuelle de réalisations d’envergure, pour peu qu’il le veuille réellement : « If I live ten years longer, you will see, however, that it is not over with me – I don’t mean literature , for that is nothing ; and it may seem odd enough to say, it is not my vocation. » [26]
IV De la réflexion à l’essai concret d’action
Il s’est intéressé effectivement de façon plus active en particulier à l’épopée républicaine et libérale en France, aux travailleurs en Angleterre ; à la révolution en Hollande, et s’avoue un tempérament actif qui aime même l’action tumultueuse[27], la « commotion » qu’il évoquera dans le DT. Il se libère peu à peu des entraves du narcissisme, du dandysme au profit de la sincérité, de la vérité et de la passion, et renonce à l’hédonisme et à la dispersion au profit d’un affectif plus sentimental.
Pour résumer la façon dont Byron pense, on peut dire qu’il découvre ce qu’il évoquera dans le DT, et se construit à l’opposé d’Arnold et de Bourbon. Le ressort du DT est celui du Conte classique d’un souhait devenu réalité, mais qui a été mal choisi…[28] Byron a surmonté ce piège de vouloir sortir à tout prix de sa condition sans comprendre qu’il faut en fait la réaliser (en réaliser tous les potentiels dans le cadre d’une Nécessité universelle plus large), et il écrit dans son Journal la Pensée 95 : « If I were to live over again, I do not know what I would change in my life, unless it were for–not to have lived at all. All history and experience, and the rest, teaches us that the good and evil are pretty equally balanced in this existence. »[29]
Certes il fait partie de ces vagues qui se succèdent indistinctement sur les rivages et est soumis aux lois de la Nature, ou de la Fortune ; mais il a découvert qu’aux marges de l’Histoire de chacun il est une part de destin à saisir – et même à assumer pour être véritablement un Homme. Il est conscient des dangers et ne participera pas à des « self-slaughters » inconscients, nuisibles ou inutiles. Certes il est fait comme les autres, qu’évoque le Stranger, mais la pensée domine en lui la matière dont il est pétri et les instincts qui y sont attachés et il souffre quand il y a des incohérences dans sa vie à cause de conflits de devoirs, par exemple lorsqu’il s’empêchera d’agir pour des raisons sentimentales manquant de logique en 1821 : “It is awful work, this love, and prevents all a man’s projects of good or glory. I wanted to go to Greece lately (as every thing seems up here) with her brother, who is a very fine brave fellow (I have seen him put to the proof), and wild about liberty. But the tears of a woman who has left her husband for a man, and the weakness of one’s own heart, are paramount to these projects, and I can hardly indulge them. »[30]
Byron a atteint un point d’inflexion dans la conception tant de son existence personnelle que du cours du monde, et commence à tirer les conséquences de son analyse. Ainsi, à la différence de beaucoup d’hommes, Byron choisira « le Bien » et ensuite, à la différence du Stranger qui reste une allégorie non-agissante, il exercera sa possibilité d’action dont il est conscient de la relativité mais aussi de la réalité.
V Enfin il est désormais prêt à « tout » et passe à l’action aux côtés d’autres.
On peut considérer qu’au cours de ces quelques mois de 1822, les prises de conscience de plus en plus intenses s’unifient et sont motivées par les objectifs qui depuis longtemps l’intéressent, et se traduisent par une transition vers l’action qui transparaît dans l’écriture du DT. Visiblement c’est décidé, il laissera son œuvre littéraire s’imprégner de la réalité, il en changera même la nature – quitte à déplaire à ses lecteurs et donc à l’éditeur, ou risquer de la laisser s’étioler. Celui qui conçoit et écrit Le Difforme transformé n’est plus tant un penseur qu’un homme d’action usant de divers moyens, et le poète s’efface au service du combattant. Il change de comportement vis-à-vis de l’argent, de l’ambition, de la religion[31].
“J’en viendrais presque à regretter que mes propres affaires aillent bien, quand celles des nations sont en danger. Si le sort du genre humain pouvait être radicalement amélioré (notamment celui de ces pauvres Italiens opprimés), je serais moins embarrassé par « mes p’tites affaires ». Que Dieu nous accorde à tous des temps meilleurs, ou d’être plus philosophes. » Journal of Ravenna 11 jan 1821[32].
Encore faut-il que la « chétive marionnette » qu’est Byron soit sûr qu’il s’inscrit dans un processus presque naturel, pour que la « commotion » qu’il va initier ou soutenir ait quelque chance d’aboutir jusqu’au niveau de l’Histoire. Peut-être Byron songe-t-il aux processus politiques qui croissent et décroissent : il voit que la République progresse partout en Europe, et que les peuples obtiennent leur indépendance : s’inscrivant dans le même sens, il espère apporter sa contribution avec d’autant plus de succès. En lisant ses lettres et ses journaux, on le voit enquêter, questionner, pour savoir où en sont ces pays.[33] Il cherche à acquérir l’intelligence, la clairvoyante compréhension dont il dote le Stranger. Cette perspicacité une fois assurée en lui, Byron appellera les esclaves à se rebeller et les despotes à mourir, comme le Stranger dans son chant final.
C’est pourquoi Byron en Italie, sans cesser de se sentir concerné par les problèmes de la Grèce, s’investit au service du mouvement libéral et des tentatives des Carbonari. Il comprend peu à peu que le combat nécessite éventuellement des sacrifices : il est généreux de ses deniers (à la différence des profiteurs ou des pillards du DT) mais il se prépare à d’autres sacrifices : « Pareillement, quelques individus qu’on doive sacrifier, la grande cause croîtra en force, aplanira les obstacles et fertilisera (le varech est un engrais) ce qui est cultivable. Ainsi donc on ne doit jamais faire de calculs égoïstes en pareil cas – à cette heure, je ne ferai rien de tel. Je n’ai jamais bien calculé les chances, et ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai. » (9 janvier 1821) [34].
Et Byron est un insecte comme les autres, qui en a déjà accepté le risque : quand des Carbonari ont déposé armes et munitions chez lui, il écrit: « I suppose that they consider me as a depot, to be sacrificed, in case of accidents. It is no great matter, supposing that Italy could be liberated, who or what is sacrificed. It is a grand object – the very poetry of politics. Only think – a free Italy!!! »[35]
VI La naissance d’un « chef »
Il raisonnera de même pour la Grèce, mais il y a une évolution importante entre les deux entreprises : il stigmatise l’échec des Carbonari sur le ton d’un Stranger le 8 janvier 1821, en en l’attribuant à une essence couarde imprévisible et infidèle du peuple italien, mais sent ce qui a manqué « Et pourtant il y a des matériaux dans ce peuple, et une noble énergie, si elle est bien dirigée. Seulement, qui va le diriger ? N’importe. C’est en de pareils temps que surgissent les héros. Les difficultés sont les serres chaudes des grandes âmes et la Liberté est la mère des quelques vertus attachées à la nature humaine. »[36]
L’analyse consécutive à cette déception lui fera franchir délibérément un pas de plus en faveur de la Grèce car, s’il a déjà commencé à se sentir une vocation d’acteur responsable et positif, c’est auprès des Grecs, devant leurs divisions, qu’il va accepter d’envisager un rôle de sage, de conseiller, puis de lieutenant pour mieux les aider, et enfin un rôle de chef – si nécessaire : « Comme je ne suis pas venu ici pour servir une faction, mais une nation –»[37]
On voit très clairement que le rêve du 23 septembre 1813 se met en place avec les valeurs qu’il avait déjà choisies : pas d’intérêt matériel personnel[38] ; un état d’esprit républicain qui hait les despotes, mais qui comprend la nécessité d’une autorité ; un chef qui est leader par le talent et la vérité. [39]
« Si la nécessité s’en faisait sentir, — alors — comme ils ont la réputation d’être les meilleurs et les plus vaillants des combattants actuels — peut-être un jour — bientôt peut-être –il se pourrait, il se peut, ainsi se passerait-il que je puisse, veuille, devrais-je m’adjoindre ou m’adjoindrai le concours d’un tel corps d’hommes — avec l’aide desquels – je pense que quelque chose pourrait être fait, et en Grèce et en dehors de ses frontières ( car il y a beaucoup à mettre en ordre de part et d’autre )». Il espère ainsi pouvoir agir « de façon un peu durable — et j’ose l’espérer positive, puisque je n’ai pas d’autre motif pour agir que ma sympathie pour la Grèce. »[40]
Pendant les dernières années de Byron, le Stranger a joué le rôle du fou du roi ou de l’esclave auprès du général romain victorieux, et Byron a écouté ce philosophe cyniquement réaliste, le champion de la désillusion. C’est à son tour d’être un Stranger auprès des Grecs, et même plus car il veut avoir dépassé le stoïcisme ou le cynisme passifs du Stranger, être un éclaireur sublimé qui met en pratique ses conseils, en Homme, en chef d’hommes. Chef, prophète, martyr sont trois types d’acteurs décisifs de l’Histoire, trois aspects sous lesquels Byron s’est probablement envisagé. Il a en lui les idéaux pour un pays d’esclaves à faire naître à la liberté : « a new-born people’s cry” comme il le dit dans son probablement dernier poème.
Byron est mort tôt, mais la valeur historique de son action comme démarrage et cristallisation de la révolution grecque est reconnue.
VII Les caractéristiques du chef à l’écoute du Stranger
Il est mort trop tôt pour qu’on puisse voir s’il eût été un modèle de chef. Cependant, nous pouvons rapidement donner quelques indices qui en auguraient bien.
Byron savait que la vie est rare et précieuse, et ne se payait pas de mots. Il était plus exigeant que d’autres dans la façon de la dépenser et dans les choix où il la risque : « Je prierai seulement votre Altesse de traiter avec humanité tout Grec qui viendrait à être [capturé ?] ou à tomber aux mains des Musulmans — car les horreurs de la guerre, à elles seules, suffisent, sans que l’un ou l’autre des camps y ajoute une cruauté délibérée. »[41]
Ses modèles sont l’Achille qui combat en sachant que la victoire suivra sa mort (et non l’Achille comme simple idéal physique), un Tyrtée boiteux, ou un Aristomène[42] qui a combattu de toutes ses forces sans réussir lui-même complètement : Byron évoque la Grèce indépendante et affirme : « je ne vivrai pas pour le voir, mais je le prévois »[43].
Il pressent qu’il est un prophète qui ne sera pas plus cru par certains que ne l’est le Stranger par Arnold dans le DT. Les Grecs se conduisaient de façon illogique et le Stranger aurait été sanglant dans ses analyses. Cependant Byron est désormais bien au-delà du positionnement passif du Stranger et écrit, plein de distance réfléchie, à Teresa Guiccioli le 7 octobre 1823 : « J’ai besoin de dire peu à ce sujet. J’étais un fou de venir ici ; mais, étant ici, je dois voir ce qui est à faire »[44]
Byron sait que l’Histoire ne sera jamais fondamentalement changée par la pichenette d’une marionnette, mais il n’est plus, en ce qui concerne ses propres projets d’importance historique, une image creuse.
Conclusion
Destin ou Dieu, Héros ou Foules, fourmis ou marionnettes : qui fait l’Histoire ?
Où en est Byron sur ces réflexions dans Le Difforme Transformé ?
Le DT est un drame où Byron n’hésite pas à mélanger mythologie et religion, faits de portée historique et faits divers… pour poser par écrit ses réflexions à un moment décisif de sa vie.
Il se considérait comme une poussière dans l’Univers, – ce qui lui évitera d’être grandiloquent – , mais sait que l’Univers est fait de poussières ; comme un instant dans le temps, mais sait que l’Histoire est tissé d’actes individuels dessinant sur le croisement de fils tendus par Dieu ou le Hasard.
En homme laissé libre par un Dieu tout puissant et justicier, Byron analyse et avertit, puis, lui aussi insecte, il saisit la part d’action qui est à sa portée (une rébellion mesurée et délibérée) passe à l’acte pour aider les autres insectes. Il devient un acteur responsable qui ose se positionner, presque soudainement, après un cheminement qui a connu les bas-fonds de l’illusion esthétisante d’Arnold puis la maturation progressive et même le dépassement du Stranger, au niveau de l’Histoire, pour un projet estimé bon et à un moment qui semblait favorable.
Nous pensons qu’au moment où il décide d’agir pour la Grèce, Byron est pleinement conscient qu’il peut réellement accélérer et marquer l’Histoire. Pour réussir, il s’est préparé moralement et psychologiquement tout autant qu’il a préparé matériellement son intervention.
A la question : « qui fait l’Histoire ? et moi où suis-je ? », la réponse de Byron, en paroles et en actes, surprend par sa profondeur, son audace et son réalisme. Elle résulte d’un long travail de maturation dans lequel, en tant que descripteur ou metteur en scène d’individus, il a peu à peu dessiné les contours littéraire d’une vision de l’Homme et de l’Univers, puis d’une action décisive et définitive en son sein.
Cette évolution personnelle retentit en longs échos chez nous, lecteur, qui savons la façon cruelle dont l’Histoire s’est précisément jouée de l’engagement de Byron. Cependant il a été important, historiquement, comme si dans une certaine mesure son sacrifice avait été consommé sur un champ de bataille. Il a été the Deformed Transformed, et sans doute a-t-il souhaité que nous aussi nous nous « transformions », là où nous sommes « déformés », pour changer avec lui l’Histoire, unifiant idéal et action.
[1] Son premier souhait est toute extériorité : voir le monde « où il est le plus épais, que je puisse l’apercevoir dans ses œuvres » » (dans les deux sens, matériels et intellectuel ) :
Where the world
Is thickest, that I may behold it in
Its workings. (p. 328)
D’où la réponse du Stranger : « là où il y a de la guerre et de la femme en activité. »
Le tableau du monde est impressionnant à toutes les époques : il y a partout la guerre. « In very truth , there is small choice » (p.329) : « en vérité vraie, il y a un petit choix » : non pas qu’il y ait peu de pays en guerre, mais au contraire, très peu de pays sont à écarter : « la race toute entière est précisément maintenant en train de se déchirer comme d’habitude mutuellement le cœur. » C’est un amphithéâtre au spectacle permanent. Byron citera les guerres et les crimes privés de Romulus tuant son jumeau, Scipion faisant brûler Carthage, Alaric moins cruel que les bandits noirs de Bourbon, Néron et les Nérons étrangers aujourd’hui, Brennus qui avait été repoussé, Titus à Jérusalem, Benvenuto Cellini tuant Bourbon … Le site convoité, Rome, est lui-même porteur d’ambiguïté terribles : tantôt Babel, Babylone, Sodome, guerrière, prosélyte intolérante et cruelle, tantôt Troie mais sans Hector pour la défendre, Saint et martyrs, divinités païennes aux temples en ruine encore imposants. Il nomme Até : déesse de l’erreur. Elle trompa Zeus et il la précipita du haut de l’Olympe, elle arriva sur une colline où Ilos fonda plus tard Troie. ( autre façon des Grecs de l’Antiquité de méditer sur l’Histoire ).
[2] « poussière », « argile », « atome », « bulle », « écume ».
[3] « insectes », « fourmis ».
[4] p.344 « C’est la conséquence de donner à la matière le pouvoir de penser. C’est une substance têtue comme une mule : elle pense de façon chaotique et agit de même, rechutant à jamais dans ses premiers éléments. »
[5] « Je suis mort pour Rome ! »
[6] « Et Bourbon fit de même, – dans un autre sens. Ah ! Ces hommes immortels et leurs nobles motivations. » (p. 353)
[7] « Le 1° mai 1527, le Connétable et son armée arrivèrent en vue de Rome, et le matin suivant commencèrent l’attaque. Bourbon portait une veste blanche par-dessus son armure, afin, dit-il, d’être mieux vu par ses amis et ses ennemis. Il conduisit les troupes vers les murs et entama un assaut furieux, qui fut repoussé avec une égale violence. Voyant son armée commencer à hésiter, il prit une échelle à un soldat qui était là debout, et était en train précisément de monter quand il fut transpercé par une balle de mousquet, et tomba. Sentant que sa blessure était mortelle, il désira que son corps fût caché à ses soldats, et instantanément expira. Robertson » « On the first of May 1527, the Constable and his army came in sight of Rome, and the next morning commenced the attack. Bourbon wore a white vest over his armour, in order, he said, to be more conspicuous both to his friends and foes. He led on to the walls, and commenced a furious assault , which was repelled with equal violence. Seing that his army began to waver, he seized a scaling-ladder from a soldier standing, and was in the act of ascending , when he was pierced by a musket-ball , and fell. Feeling that his wound was mortal, he desired that his body might be concealed from his soldiers, and, instantly expired. » ROBERTSON.
[8] “Se trouvant mortellement blessé, Bayard ordonna à quelqu’un de son entourage de le placer sous un arbre face à l’ennemi.; alors fixant ses yeux sur la garde de son épée, qu’il tenait en lieu de crucifix, il adressa ses prières à Dieu, et dans cette position, il attendit calmement l’approche de la mort. Robertson, Charles V.” « Finding himself mortally wounded, Bayard ordered one of his attendants to place him under a tree with his face towards the ennemy ; then fixing his eyes on the guard of his sword, which he held instead of a cross, he addressed his prayers to God, and in this posture, he calmly waited the approach of death. » ROBERTSON’s Charles V.
[10] p. 333 : « en paix, dans la paix »
[11] Caesar
Tu dois obéir à ce à quoi tous obéissent, la règle d’une Nécessité immuable :
contre cette Loi, la révolte ne réussit pas.
Arnold
Et quand elle réussit ?
Caesar
Ce n’est pas de la révolte.
Arnold
Réussira-t-elle maintenant ? »
[12] P.344 « comme les fourmis venimeuses alors galoperaient sur le sol bouillant, et, cessant de se déchirer pour les nids de l’autre, se mettraient à déverser une oraison universelle ! Ha ! Ha ! » Byron reprendra cette métaphore des fourmis dans une lettre écrite de Pise, le 6 mars 1822, à Thomas Moore : il se demande si, après la mort, il y a le vide ou une autre vie avec pour corollaire l’Enfer éventuel. Il professe croire en l’immortalité de l’âme même si on ne peut pas en être sûr. Son opinion est pour ainsi dire objective puisqu’il ajoute : « Of the two, I should think the long sleep better than the agonised vigil. But men, miserable as they are, cling so to anything like life, that they probably would prefer damnation to quiet. Besides, they think themselves so important in the creation, that nothing less can satisfy their pride – the insects ! »
[13] Lorsqu’Arnold l’appelle « esclave » « slave » pour le rappeler au respect et le faire taire, le Stranger lui rappelle la belle coutume romaine qui permettait à un général qui avait remporté de grandes victoires d’entrer en armes dans Rome, tel un dieu, à une seule condition, qu’un esclave lui rappelle qu’il n’était qu’un homme, afin de lui éviter toute tentation de coup d’état. Le Stranger s’y compare une fois qu’Arnold, furieux de se l’être entendu dire, l’ait appelé : «Slave ! » :
« In the Victor’s Chariot – when Rome triumphed –
There was a Slave of yore – to tell him truth –
You are a Conqueror – command to your Slave .-
Arnold
« Esclave ! »
Stranger-Caesar :
« Dans le char du Victor, quand Rome faisait le triomphe, il y avait un esclave pour lui dire la vérité. Tu es un Conquérant – commande à ton esclave. »
[14] p. 365
[15] Caesar
Le diable dit la vérité plus souvent qu’il ne l’est supposé :
c’est qu’il a un auditoire ignorant.
Arnold (sans l’écouter)
…
[16] cf. « Je compte franchir les Alpes à la fin du mois — pour aller — Dieu sait où — par la Dalmatie — jusque chez les Albanais, faute de mieux ; — j’ai encore un monde devant moi — celui-ci — ou le prochain. » Corr. 8 sept 1816.
[17] « J’ai vu des hommes sous divers climats et les ai trouvés également méprisables ; à tout prendre, ce sont les Turcs qui s’en tireraient le mieux. »
[18] 23 novembre 1813.
[20] « Mais je n’ai pas d’ambition ; du moins, si j’en avais quelque peu, ce serait aut Caeasr aut nihil »
[21] « Après tout- -, même si l’on prend le jeu suprême des couronnes et des sceptres, que trouve-t-on ? »
[22] si « tout cela n’était point simple jeu des dieux, mais le prélude de changements supérieurs, d’événements plus considérables. Mais les hommes ne dépassent jamais un certain point ».
[23] « et nous voici rétrogradant jusqu’au triste et inepte vieux système, – l’équilibre en Europe – – occupés à faire tenir des pailles sur le nez des rois, au lieu de le leur arracher ! »
[24] « Qu’on me donne une république, ou le despotisme d’un seul, plutôt que le gouvernement mixte, à un, deux, trois. Une république ! — regardez dans l’histoire de la Terre — Rome, la Grèce, Venise, la France, la Hollande, l’Amérique, notre bref ( eheu ) Commonwealth , et voyez en comparaison ce que ces peuples ont accompli quand ils ont eu des maîtres. Les Asiatiques ne sont pas aptes à êtres des républicains, mais ils ont la liberté de détruire les despotes, et c’est ce qui s’en rapproche le plus. »
[25] « Etre le premier, — non point le dictateur — non pas le Sylla, mais le Washington ou l’Aristide, — chef par le talent et par la vérité — voilà qui vient tout de suite après la divinité ! Franklin, Penn, et juste derrière, Brutus ou Cassius , — voire Mirabeau — ou Saint-Just. »
[26] « Si je vis encore 10 ans de plus, vous verrez , de toute façon, que ce n’en est pas fini de moi, – je ne veux pas dire en littérature, parce ça n’est rien ; et cela peut sembler assez bizarre de le dire , – ce n’est pas ma vocation. » Corr. 28 février 1817
[27] 29 novembre 1813 à Annabella Milbank, page 103
[28] En effet, Arnold a, pour ainsi dire, recommencé sa vie et l’a inversée sans réfléchir si c’est l’inverse qui était la solution à ses souffrances. La pièce devait démontrer qu’Arnold souhaitait au fond être aimé pour lui-même, et que la Beauté comme la Vaillance étaient de simples appâts, extérieurs à lui-même : en souhaitant être aimé pour ces raison et à ce niveau, il est frustré de l’amour inconditionnel qu’il souhaitait en fait. C’est pourquoi, même s’il en avait la possibilité, Byron ne souhaiterait rien changer de sa vie : sa vie serait encore, en réalité, la même, même s’il y avait des changements. Par contre, changer d’état, passer de la « vie » à ce que Byron évite d’appeler « mort », définit « the extreme point/ Of life » qui est « the commotion » par excellence, passage difficile, douloureux, dont Byron souhaite sortir en douceur.
[29] « Si je devais recommencer ma vie – je ne sais ce que j’y changerais — sauf à obtenir — de n’avoir jamais vécu. Toute l’Histoire et l’expérience, et le reste, nous enseigne que le bien et le mal sont joliment bien équilibrés dans cette existence, et que ce qui est le plus à souhaiter, c’est d’en sortir en douceur. — Que peut-elle nous apporter d’autre que des années ? et celles-ci n’ont guère de bon que leur terme. »
[30] 19 september 1821 Corr. “Méchante affaire, cet amour, et il contrecarre tous les projets d’un homme pour le bien ou la gloire. Dernièrement, je voulais aller en Grèce (car ici tout semble en l’air) avec son frère, un garçon épatant, plein de courage (je l’ai vu l’épreuve) et farouchement épris de liberté. Mais les larmes d’une femme [la comtesse Guiccioli] qui a quitté son mari pour un homme, et la faiblesse de son propre cœur, l’emportent sur ces projets, et je ne peux guère m’y livrer. » 19 septembre 1821 Corr.
[31] » I should almost regret that my own affairs went well, when those of nations are in peril. If the interests of mankind could be essentially bettered (particularly of these oppressed italians), I should not so much mind my own « sma’ peculiar ». God grant us all better times, or more philosophy. » Journal of Ravenna 11 jan 1821
Corr., Venise, le 8 septembre 1818 : Fait allusion à ses générosités en estimant ses dépenses : « et bienfaisance –(car je n’ai pas tout dépensé en plaisirs, — mais de temps en temps je me suis acheté pour un shilling de salut) »
[32] Ses questions lui tiennent à cœur au point que lorsque le trône italien organise un congrès avec des puissances étrangères pour contenir les libéraux et les carbonari, il l’évoque dans son journal le 11 janvier 1821. Il n’est pas anodin que, plus tard l’Arnold du DT refuse d’être philosophe, comme le lui propose le Stranger, en déclarant paradoxalement :
« No, I was not born for Philosophy
Though I have that about me which has need on’t. » Page 317
« Non, je ne suis pas né pour la philosophie quoique j’aie, en moi, ce qu’il faut pour cela. »
[33] But too much I scorn it
Or else I would mourn it –
To see despots and Slaves
Playing o’er their own graves –
La Terre semble alors libre de tout problème, brillante comme une bulle. Quoique je ne l’aie pas faite, je pourrais souffler dessus et la faire éclater. Mais je méprise bien trop tout ça, – ou sinon, j’en aurais trop le deuil, – quand je vois despotes et esclaves s’amuse sur leurs propres tombes.
[34] “In like manner, whatever the sacrifice of individuals, the great cause will gather strength, sweep down what is rugged and fertilise (for sea-weed is manure) what is cultivable. And so, the mere selfish calculations ought never to be made on such occasions; and, at present, it shall not be completed by me. I was never a good arithmetician of chances, and shall not commence now.” ( Journal of Ravenna, 9 jan. 1821)
Byron
[35] « Je suppose qu’ils me considèrent comme un dépôt, à sacrifier en cas d’accident. Il ne faut pas faire plus grand cas, si on suppose que l’Italie pourrait être libérée, de qui ou quoi doit être sacrifié. C’est un grand objet – la vraie poésie de la politique. Imaginez seulement – une Italie libre ! »
[36]8 janvier 1821 Journal de Ravenne. « And yet there are materials in this people, and a noble energy, if well directed. But who is to direct them? No matter. Out of such times heroes spring. Difficulties are the hot-beds of high spirits, and Freedom the mother of the few virtues incident to human nature. » 8 january 1821 Journal of Ravenna.
[37] Journal du 28 septembre As I did not come there to join a faction but a nation.
[38] « no ambition ; at least, if any, it would be aut Caesar aut nihil_. » « pas d’ambition, ou du moins, si j’en ai, ce serait d’être aut Caesar aut nihil » « compare it with what they did under masters. The Asiatics are not qualified to be republicans, but they have the liberty of demolishing despots, which is the next thing to it. To be the first man–not the Dictator—not the Sylla, but the Washington or the Aristides–the leader in talent and truth–is next to the Divinity ! » « pas d’ambition ; du moins si j’en avais , serait-ce « aut Caesar, aut nihil. » ( ) ; un état d’esprit républicain qui hait les despotes, mais qui comprend la nécessité d’une autorité : voyez en comparaison ce que ces peuples ont accompli quand ils ont eu des maîtres. Les Asiatiques ne sont pas aptes à êtres des républicains, mais ils ont la liberté de détruire les despotes, et c’est ce qui s’en rapproche le plus. Etre le premier, – – non point le dictateur – – non pas le Sylla, mais le Washington ou l’Aristide, – – chef par le talent et par la vérité – – voilà qui vient tout de suite après la divinité ! »
[39] « Etre le premier, – – non point le dictateur – – non pas le Sylla, mais le Washington ou l’Aristide, – – chef par le talent et par la vérité – – voilà qui vient tout de suite après la divinité ! »
[40] 7 octobre 1823, journal de Céphalonie. « But if it should appear necessary why – as they are admitted to be the best and bravest of the present combatants – it might, or may, so happen that I could, would, should, or shall take to me the support of such a body of men, with whose aid I think something might be done both in Greece and out of it (for there is a good deal to put to rights in both. » … « for some time, and, as I have not any motive for so doing but the well-wishing to Greece, I should hope with advantage ».
[41] Corr Céphalonie 23 janvier 1824 “I would only beg Your Highness to treat with humanity any Greek who may be (captured ?) or fall into the hands of the Mussulmans – Since the horrors of war are sufficient in themselves without adding cold-blooded ruthlessness on either side.-“[41] (Corr. Cephalonia, 23 jan. 1824)
; cf . dans le DT , note de Byron lui-même : « On rapporte que Scipion pleura à la vue de l’incendie de Carthage. il aurait mieux fait d’accorder la capitulation. »
[42] , Byron’s wait in Cephallonia, in Byron and the Mediteranean world. 1994 : « Aristomenes » is dated on 10 sept 23 : Byron Raizis observes that Aristomenes is « one of those historical figures whose life trespasses over the territory of fiction » « which is a scholarly way to explain the extremely strange , almost supernatural episodes that the ancient imagination piled up on the facts of the life of a real personage to turn him into a legendary superman. » He adds that, then, « Byron wanted to see himself as a potential, or would be , liberator – a modern Aristomenes leading the finally united Greece to a decisive conquest » but we also can add that he did not succeed in avoiding his Country to be defeated. As the sub-title « Canto I » can indicate it, may be Byron was thinking that Aristomenes could have successors who could succeed, some new Tyrtaios ?
[43] « I shall not live to see it, but I foresee it. » 13 janvier 1821, Journal
[44] « I need say little on that subject. I was a fool to come here; but, being here, I must see what is to be done. »