Marguerite Champeaux-Rousselot, 2018-08-10
Réformes, réformer / re-former, reformanda …
1* Qui remarque ce jeu d’accents sur les mots du sous-titre ?
On va répétant, presque comme un argument, que la formule «Ecclesia semper reformanda » remonte à saint Augustin… Est-ce exact ? Cet argument d’autorité est-il valable ? Il semble qu’on ait besoin de l’appui d’un Père de l’Eglise : mais au fait pourquoi en aurait-on besoin ?
D’ailleurs que veut dire exactement reformanda en latin ?
Et, puisque ce verbe latin a donné deux verbes bien distincts en français, comment ce verbe, dans les textes modernes émanant de Rome et rédigés en latin, doit-il être traduit en français ?
La polysémie de ce verbe est-elle la raison pour laquelle l’Eglise institutionnelle l’a-t-elle si peu utilisé ? ou n’y a-t-il pas aussi et surtout une considération d’ordre religieux qui empêche de l’employer ? La mettre en évidence nous aiderait à savoir si elle s’avère encore utile, voire si elle est fidèle à l’esprit de l’Evangile.
Plan de cet article : vous pouvez avancer plus vite grâce aux*
1* Qui remarque ce jeu d’accents sur les mots du sous-titre ?
2* Ce qu’il advint du verbe latin reformare jusqu’au Moyen-Age en français…
3*A partir du XVème s., lorsque reformare … donne deux verbes : reformer et réformer
4* De nos jours, deux sens qui affirment leurs différentes directions
5* La citation n’est pas attribuable à Augustin, mais il faut néanmoins la traduire…
6* Nous passons ici à un avis personnel : la théologie face à « reformare »
7* Les reformes ( sans accent ! ) aujourd’hui
8* Alors … sur quoi fonder ce qui est à réformer ?
9* La Nouvelle transformée qui transforme
2* Ce qu’il advint du verbe latin reformare jusqu’au Moyen-Age en français…
Le verbe reformare est composé avec re préfixe signifiant « en arrière » et formare, « former ». Il signifiait donc « rendre à sa première forme, rétablir, restaurer » et ceci le plus souvent dans l’espoir d’une amélioration, d’où un sens dérivé : « améliorer, corriger».
Le terme latin reformatio désigne tout au long du Moyen Âge un retour à un ordre passé idéalisé. Il s’agit généralement au travers de ce processus de revenir à une époque passée vue comme un modèle : une reformatio (re-formare) a pour but de redonner à quelque chose sa « forme » ou son « aspect » d’origine, de restaurer les qualités perdues en retournant à l’initial jugé meilleur.
Ainsi les projets de Charlemagne ou d’Otton Ier voudraient restaurer l’Empire Romain.
Ainso, par exemple, un des premiers textes où l’Eglise est reformanda (mais les manuscrits sont rares) date de Pâques 1115. Le Pape Pascal II avait écrit depuis Rome à Alexis Comnène, empereur à Constantinople[1] pour que l’Eglise grecque orthodoxe retourne dans le giron de « l’Eglise catholique ». Dès sa première phrase, le terme est employé[2] :
« cor vestrum ad reformandam catholicae Ecclesiae unitatem animare et confortare dignatus est ». Nous traduirons d’abord sans nous occuper de ad reformandam : « votre cœur a été rendu capable/digne d’animer et de conforter l’unité … de l’Eglise catholique ». La traduction de ad reformandam pose en effet un problème puisque le pape tente ici un effort pour demander aux schismatiques qui, selon lui, ont quitté l’Eglise catholique, de revenir en son sein pour reformer l’unité de l’Eglise catholique. Pascal II ne proposerait certainement pas à un orthodoxe de réformer avec lui l’Eglise catholique. La traduction complète est la suivante : « votre cœur a été rendu capable/digne d’animer et de conforter l’unité à reformer de l’Eglise catholique ».
Le verbe a donc été employé au XIème siècle avec le sens originel de refaire, c’est-à-dire de faire à nouveau, comme c’était avant.
Autre exemple : aux XIème et XIIème siècles, l’Eglise met en place de grands moyens pour lutter contre des dérives choquantes chez les clercs et renforcer la piété populaire. Elle le fait sans utiliser le verbe reformare et surtout à l’aide de décrets canoniques, de menaces d’excommunication et de damnation[3]. Nous mettons en note quelques exemples historiques centrés ici sur le statut des clercs et le mariage des prêtres, la lutte contre la simonie et le nicolaïsme qui sont en fait liés : ils illustrent en effet la manière dont on installe des aménagements pour atteindre des objectifs visant peut-être avant tout et sans le dire à redonner une puissance numérique (qui se compte en âmes ) et matérielle à l’Eglise, certes au service, pense-t-on de Dieu et du salut des fidèles. Un Saint Pierre Damien[4] se met au service des papes Alexandre II[5] et surtout Grégoire VII[6]. Le pragmatisme qui entraîne un mélange des genres aura de graves conséquences déjà alors[7] et plus tard, à cause des incohérences qu’il entraîne par rapport à l’Evangile de Jésus et des abus qu’il permet, directement ou indirectement. Cet ensemble de mesures concertées surtout sous Grégoire VII recevra un plus tard un nom, mais n’en possède pas encore.
On connaît bien aussi le fameux tableau de Giotto représentant le songe du pape Innocent III (pape de 1198 à 1216) où le pape vit en 1210 Saint François d’Assise soutenir l’Eglise en train de s’écrouler : de la restaurer, de la remettre en état, de la reformer (sans accent). Innocent III et François d’Assise n’avaient pas la même vision ni les mêmes projets mais ils ont collaboré autant qu’ils le pouvaient. C’est le début du XIIIème siècle et chacun visait à amender l’Eglise … Lequel des deux méritait que ses innovations soient les plus durables parce que fidèles à l’Evangile ?
On pourrait multiplier à l’envi les exemples de remaniements, qui affirment implicitement restaurer un état ancien sous l’impulsion de théologiens et de Conciles inspirés par l’Esprit lui-même.
3*A partir du XVème s., lorsque reformare … donne deux verbes : reformer et réformer
Le verbe français issu de reformare continue à évoluer. En effet, le latin ne possède pas d’accent écrit. Or nous constatons qu’au Moyen-Age, un accent aigu commence à apparaître parfois sur reformer : ce verbe va se dédoubler sémantiquement et formellement.
D’une part, reformer, sans accent, signifiera toujours redonner sa forme initiale à quelque chose qui avait été brisé ou déformé[8], ou encore, en second sens, recomposer les éléments de quelque chose d’existant, lui donner une forme nouvelle, mais sans vraiment d’idée d’amélioration ni de retour vers le passé[9] .
D’autre part, au Moyen-Age également mais surtout ensuite, le même verbe reformer se voit peu à peu être prononcé différemment et muni d’un accent ( réformer ) par ceux qui savent écrire, dans le cas où ce verbe contient lui aussi l’idée de faire un changement qui retourne vers le passé[10] mais avec de plus en plus clairement l’objectif de le faire dans l’idée d’une amélioration[11] : et c’est cette dernière idée qui l’emportera.
Ainsi, au XVIème siècle, des discussions religieuses (motivées au départ surtout par des motifs politiques et sociaux) aboutissent à un mouvement qui a cherché à revenir aux sources du christianisme. Ce mouvement de protestation aboutit à des propositions qui seront traitées au Concile de Trente (1545-1563). Suite à la réponse négative de ce dernier, il y a alors scission entre l’Eglise catholique romaine et de nouvelle Eglises qualifiées de protestantes.
André Gounelle[12] fait remarquer que, concernant le protestantisme, le mot réforme apparaît vers 1590 mais n’a quasiment pas été utilisé, ni par Luther ni par Calvin eux-mêmes[13]. Il s’est répandu en deux grandes étapes. D’abord, c’est la paix de Westphalie qui a pratagé cette expression car ce traité a introduit en 1648 l’expression jus reformandi (reformare au gérondif, sans notion d’obligation). Dans les traductions françaises, dans la vie quotidienne, le participe passé passif, réformé, adjectivé, est devenu alors une auto-désignation confessionnelle, et c’est alors qu’il a été banalisé pour qualifier les premiers protestants de réformés. L’adjectif est devenu ensuite un substantif et a produit nombre de dérivés. Bien plus tard ensuite, les historiens l’ont choisi pour caractériser globalement le processus qu’ils ont appelé la réforme protestante, puis « la Réforme » tout court.
Lexicalement, il a été ensuite commode pour les historiens de qualifier symétriquement le mouvement catholique s’y opposant, de Contre-Réforme.
Puis on a étendu la notion pour dénommer globalement a posteriori tous les changements impulsés et réalisés par Grégoire VII vers 1050-1099 : : c’est la réforme grégorienne. Le terme réforme se banalise alors.
4* De nos jours, deux sens qui affirment leurs différentes directions
En fait, la distinction entre les deux sens a abouti à deux verbes paronymes et quasi-homophones puisque seul l’accent aigu les différencie : « reformer » et « réformer ». Ces deux verbes et leurs dérivés ont pourtant des sens bien différents.
Reformer (sans accent !) a conservé le sens latin de redonner sa forme à un objet déformé[14], ou de recomposer les éléments existants d’un objet brisé. Il n’a pas produit beaucoup de dérivés ( sauf reformable) et il est peu employé sauf le commandement militaire «Reformez les rangs » qui reprend aujourd’hui du service dans certains jeux vidéos, dans certaines écoles assez strictes, dans des groupes de danse folklorique, ou dans des périodes critiques.
Le nouveau verbe, le verbe avec accent, réformer, a divergé pour insister sur le but d’améliorer l’existant en y incorporant du nouveau si nécessaire.
Si tout est à changer dans l’existant, le verbe réformer peut même aller jusqu’à signifier « renvoyer ou détruire ce qui ne convient plus »[15], un sens encore actuel. Lorsqu’il y avait encore le service militaire, si quelqu’un était exempté pour un problème quelconque, on disait de lui « il est réformé ». Autre exemple : ce cheval de course est mis à la réforme, et va être transféré sous peu dans un club de loisirs hippiques[16] ou encore Cette semaine, les livres réformés par la Bibliothèque sont offerts à tous, gratuitement : venez vous servir ! Ce sens, qui concerne un existant jugé périmé, dépassé, hors d’usage, obsolescent, a une connotation souvent péjorative.
Ce sens très spécialisé, rare et parfois inconnu, est bien moins fréquent que celui de changement destiné à améliorer un existant, qui lui est très répandu : exemple : les réformes sans fin et successives des retraites, de l’orthographe, de l’administration…
Ainsi, en 1938, lorsqu’a été fondée l’Eglise Réformée de France en 1938, elle a dû choisir son nom. Elle a évoqué alors la différence entre reformanda et reformata : le premier, un adjectif verbal, (sens passif d’obligation) n’aurait mis l’accent que sur le fait qu’elle avait à être réformée dans le futur, et le second, un participe passif, faisait allusion à son héritage historique qui l’avait déjà réformée et motivait les réformes à poursuivre. Comme la création de cette Eglise résultait d’un mouvement déjà accompli en partie, c’est le participe passé passif qui fut choisi, mais sa devise est « reformata, semper reformanda ».
Le terme de réforme ne fut pas non plus employé explicitement lors du lancement d’un Concile comme celui de Vatican II, et, après sa mort, fut encore moins mis en évidence. Car ceux qui ont voulu contrer et réformer ses réformes de l’Eglise catholique se sont opposés, en sous-œuvre ou ouvertement, à l’« esprit Jean XXIII » si l’on peut employer cette expression, un esprit réformateur, et ce mot n’est jamais neutre.
A notre époque, à propos de ce concile, on débat plus que jamais s’il fut retour aux traditions ou mises à jour, ce qui fait tout un éventail entre continuité et rupture, mais le mot réforme n’est guère employé.
5* La citation n’est donc pas attribuable à Augustin, mais il nous faut néanmoins la traduire…
En conclusion, avant le XIème s. – mais l’on dispose certes de peu de textes subsistants -, l’adjectif verbal reformanda n’est pas retrouvé, semble-t-il.
Et, même si on répète que Ecclesia semper reformanda remonte à saint Augustin, il semble bien que cette formule frappante ait été popularisée par Karl Barth (1886-1968) en 1947 comme prise chez saint Augustin, sans autre précision. De ce fait, il vaut mieux ne pas répéter cette attribution au détriment de l’honnêteté scientifique.
Revenons maintenant à la traduction en français d’Ecclesia semper reformanda
Tout d’abord cette phrase ne doit pas être traduite par « L’Eglise est donc toujours en train de se réformer », comme je l’ai lu récemment avec un verbe être au présent factuel dans un document suffisant qui accordait tranquillement à celle-ci un satisfecit.
En effet reformanda est un adjectif verbal et comporte une notion d’obligation pour le présent et le futur avec un verbe au passif ensuite… : « l’Eglise doit toujours être… »
Mais reformanda est bien délicat à traduire en français puisque ce verbe latin, sans accent, a donné dans notre langue deux verbes français, l’un accentué, l’autre non, qui ont deux sens assez différents ?
Devons-nous traduire par : « L’Eglise doit toujours être reformée » ou « réformée » ? C’est un dilemme : le premier, reformer ( sans accent ) insiste sur la forme précédente à reconstituer (ou à défaut, une reconstitution aussi proche que possible avec les mêmes éléments, tandis que le second, réformer ( avec accent) insiste que sur les adaptations à y faire et la nouveauté à y inventer.
Doit-on se fier à ce qui a fait ses preuves et se fonder sur que certains considèrent comme consacré et sacré, ou se fier à ce qui jaillit avec la force même de la vie et se fonder sur ce que certains considèrent comme ineffable et imprévisible ?
Le Participe « réformée » me semblerait très administratif et peut-être surtout formel, tandis que « reformée » implique un renouvellement plus profond et motivant qui va après jusqu’à l’administratif et le formel. Je proposerais donc « l’Eglise doit toujours être reformée » mais je comprends que ce n’est pas l’habitude du français…
6* Nous passons ici à un avis personnel : la théologie face à « reformare »
C’est afin de lancer un Synode capital que François a osé employer reformanda, un terme presque tabou, et, pour lancer ce pavé dans la mare, ce mot moderne, mondain, il s’est appuyé sur la réputation de cette citation, se mettant ainsi à couvert au nom d’une tradition de 17 siècles..
Mais pourquoi François et d’autres ont-ils eu besoin de convoquer l’ombre d’un auteur connu pour inviter l’Eglise à être réformée ?
Ce n’est pas seulement que dans l’Eglise la famille lexicale du terme réforme aurait un passé inquiétant, c’est surtout qu’on s’avance sur un terrain théologique quasiment miné : si l’Eglise prend des décisions une à une impulsées par l’Esprit saint, a-t-elle le droit de modifier ensuite ces décisions passées pour s’adapter au monde non-religieux ? Certains disent qu’elle se soumettrait alors au monde, à sa fugacité, à sa superficialité, à son relativisme, et manquerait d’obéissance, de fidélité, d’humilité. Il est pourtant évident que l’Eglise s’est sans cesse modifiée depuis ses débuts. Elle (se) réformait donc … mais sans employer ce mot car elle ne pouvait déjuger les décisions de prédécesseurs inspirés ; elle (se) modifiait mais chacune de ses décisions ne pouvait être qu’un progrès continu dans un sens unique : celui de la sainteté. Les thématiques du sacré, de la hiérarchie et de l’infaillibilité n’ont fait qu’autoriser, pousser puis obliger à durcir ces principes, grâce à des raisonnements experts. La notion sèche, civile et laïque, de réforme ne pouvait que leur sembler incongrue en ces matières dans un monde clos où les responsables, réputés choisis par Dieu, restaient toujours au pouvoir certes, assurés de ne jamais devoir se déjuger et de ne prendre que d bonnes décisions. Cette notion que pouvait que gêner la théologie, et c’est peut-être pourquoi certains théologiens, quoiqu’ils s’en défendent et tâchent à la présenter comme vivante, ont tant de mal à se défaire d’une notion de la Tradition en réalité comme figée dans une perfection déjà là au départ.
Pourtant, l’Histoire de l’Eglise et de la Tradition[17] pourraient montrer objectivement toutes les transformations qu’elle a au fil du temps, initiées puis abandonnées, comme un arbre qui grandit et progresse, subrepticement, insensiblement : sans doute les verbes renouveler et rénover seraient-il meilleurs pour modifier tout ce qui serait ankylosé et durci, ou encore redresser, réparer, orienter, voire remplacer ce qui a fait son temps et n’est plus utile. Selon nous, ce processus est en effet en harmonie avec la vie humaine, du biologique au spirituel : la vie a pour condition nécessaire l’évolution et l’adaptation, c’est-à-dire des transformations, qui conservent l’élan vital et prolongent ou diffusent son essentiel au monde. Et ne pourrait-on pas (apprendre à) les voir aussi comme inscrites dans le dessein de Dieu ?
Avec Jean XXIII, François, de nombreux théologiens et bien d’autres sages, le diagnostic est fait – la nécessité de changer de but : dépasser du fixisme ou des formes d’un passé récent devenues sacro-saintes pour rattraper l’Humanité là où elle en est ( un dialogue synodal le plus large possible) et vivre comme l’Evangile le permet pour porter fruit ensemble : partout. La capacité à mettre en route doucement ce processus de reforme, de reformation et de reformulation, n’est pas seulement le test vitalité/sclérose ou nécrose, mais c’est le processus même menant à la guérison ou à la condamnation.
7* Les reformes ( sans accent ! ) aujourd’hui
La « reforme » (sans accent !) pour employer un néologisme qui sera utile pourra toucher tout l’ecclésial : de la théologie à la gouvernance concernant des détails matériels : déjà actuellement, rien n’y échappe puisque c’est – théoriquement – l’Assemblée même (ekklèsia) qui décide sous le souffle continu de l’Esprit : un processus théoriquement démocratique[18], où les responsables restent toujours au pouvoir certes, assurés de ne jamais devoir se déjuger, mais qui ne cesse de procéder par des modifications plus ou moins sensibles, et ne peut que progresser. Il s’agirait passer d’une théorie théologique impressionnante à la pratique.
Certaines de ces reformes (sans accent !) seront en fait des reformulations pour notre temps pour une mise en œuvre facile : le principe et les textes les autorisant existent depuis les début de l’organisation de l’Eglise, mais ont été oubliés (cf. le Qot[19]), négligés tout ou partie, voire dévoyés avec une langue de buis manipulant le paradoxe évangélique (« le plus grand sera le plus petit » peut être instrumentalisé par des grands qui seraient abusifs. ).
8* Alors … sur quoi fonder ce qui est à réformer ?
On ne dispose donc pas d’une référence prestigieuse citable, ni de phrase d’Augustin en particulier.
Est-ce pour cela que, aujourd’hui, le terme réforme est timidement employé dans l’Eglise ? Manque-t-on d’arguments sur lesquels s’appuyer, ou a-t-on honte de devoir se réformer sur bien des points ? La théologie du progrès intra-ecclésial infaillible est-elle juste ? Ne contraint-elle pas à une novlangue de buis où réformer est empêché au nom d’un passé défini auto-référentiellement une fois pour toutes, et où le suivre en y changeant le moins possible est présenté comme le mode de réformer le plus souhaitable, le plus théologiquement correct ?
Mais faut-il regretter de ne pas pouvoir se couvrir de l’autorité de Saint-Augustin, qui, lui aussi est plus que discutable sur certains points ?
Faut-il se mettre à chercher une citation de ce genre chez Origène, discutable lui aussi sur d’autres ?
Peu importe que nous n’ayons pas de citation d’un auteur prestigieux dans une époque passée, qui n’est plus la nôtre et ne correspondait pas toujours à l’Evangile…
Peu importe donc que nous n’ayons pas de référence prise chez Saint-Augustin, chez Grégoire de Nysse ou chez les Pères de l’Eglise : c’est peut-être même une chance car l’Eglise a peut-être trop fonctionné selon un système s’appuyant sur des autorités qui avaient un crédit naturel fondé sur une instrumentalisation auto-référencée des principes édictés par la religion et qualifiés d’« anciens » comme si leur ancienneté suffisait à assurer leur proximité avec l’Evangile et donc leur continuité de fil…
Peu importe, quand cette demande de réforme correspond à celle d’un mouvement qui rassemble un grand nombre de chrétiens et correspond probablement à un grand nombre voire à la totalité des personnes qui ont quitté l’Eglise sans toujours quitter Jésus, sans se déprendre de l’Evangile qu’ils gardent souvent au cœur.
Peu importe en fait car la vie se forme et se reforme sans cesse et il serait étonnant que ce qui reste de vivant dans l’Eglise soit comme une statue qui résisterait au temps sans bouger au milieu d’un monde de vivants.
Peu importe car en grec renouveler et rénover viennent de καινος, nouveau : la Nouvelle Alliance est une réforme de taille ! une conversion. Le Royaume est sans cesse nouveau. Un Royaume où chacun est maitre de (se) réformer et (se) reformer.
Les chrétiens cherchent d’ailleurs à se conformer sur l’esprit de l’Evangile, mais cet esprit de l’Evangile est moins chrétien et catholique qu’humain, tout simplement.
9* La Nouvelle transformée qui transforme
Mais peu importe surtout car en fait quelqu’un, en son temps, a montré par toute sa vie qu’il fallait parfois voire souvent « renouveler » sa vie et son milieu de vie. Ce principe ne dépend pas de contingences ; il demande du discernement certes, mais ne peut conduire vers du dépassé, de l’obsolète.
Nous avons la pierre de touche pour discerner, le skandalon qui teste celui qui chemine et doit s’adapter, la pierre mise au rebut et réformée qui est devenue la pierre d’angle.
Certes, le Jésus des évangiles[20] n’a pas utilisé l’équivalent de reformare : cela aurait peut-être été en grec anamorphoô, reformer, ou plutôt epanorthoô, améliorer.
Certes, on ne trouve pas dans la Bonne nouvelle des termes comme : réforme, révolution, métamorphose…
On trouve par contre renaître d’eau et d’esprit, accomplir la Loi dans son esprit et en vérité, l’achever (au sens de la parfaire), savoir tailler l’arbre pour favoriser le nouveau, mettre le vin nouveau dans les outres neuves, vivre (d’) un chemin où chacun se transforme etc.
Ce Jésus, non-conforme, semble bien avoir montré à le faire : il n’a cessé de le mettre en pratique jusqu’à risquer sa vie, comme d’autres, pour faire mieux advenir le Royaume, pour transformer le monde.
Marguerite Champeaux-Rousselot, 2018-08-10
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[1] Epistola 437 Paschalis papae Ad Alexium imperatorem Constantinopolitanum (Anno 1115), Col. 0388C. En ligne :
http://prameny.historie.upol.cz/artkey/dbt_00H_0000_59_Epistola_Paschalis_ad_Alexium_1115.php
[2] ALEXIO, Contantinopolitano imperatori.
Omnipotentis Dei dignationi et miserationi gratias agimus, quia cor vestrum ad reformandam catholicae [Col. 0388C][2] Ecclesiae unitatem animare et confortare dignatus est, S. Spiritus Paracleti potentiam deprecantes, ut sicut in apostolis suis omnium gentium diversitates unire dignatus est, ita in nobis unitatis hujus operetur effectum. In quo nimirum negotio nobis quidem grandis est difficultas, quia nostrarum gentium diversitas non facile in unum potest convenire consensum. Vobis autem per omnipotentis Dei gratiam facultas patet, quia clericorum ac laicorum, praepositorum ac subditorum . . . . . de vestro pendet arbitrio, cum vestrae adsit benignitas voluntatis.
À Alexis, empereur à Constantinople.
Nous rendons grâce au pouvoir du Dieu Tout Puissant de nommer des chefs et de les abaisser parce que votre cœur a été rendu capable/digne d’animer/vivifier et de conforter l’unité à réformer de l’Eglise catholique, invoquant la puissance du Saint Esprit paraclet, pour que, de même que le cœur a été a été rendu digne/capable d’unir dans ses apôtres les diversités de tous les peuples, de même, que l’effet de cette unité soit opéré en nous. Sur cette question certes la difficulté est grande parce que la diversité de nos peuples ne peut facilement se réunir en un seul consensus. Mais à vous, cette faculté est évidente en vous-même de par la grâce du Dieu Tout-puissant, puisque (lacune : la volonté ?) des clercs et des laïcs, des collaborateurs et subordonnés, dépend de votre jugement, pourvu que la bénignité de votre propre volonté y prêtre main forte.
[3] Histoire des conciles d’après les documents originaux, par Karl Joseph von Hefele, [Translation and expansion of: Conciliengeschichte]. Vol. 9 Pt. 1.
Lisible en ligne sur Scribd. https://fr.scribd.com/document/42733198/Hefele-Histoire-des-conciles-d-apres-les-documents-originaux-Translation-and-expansion-of-Conciliengeschichte-Vol-9-Pt-1
[4] Saint Pierre Damien ( 1007–1072), moine. Il s’engage avec vigueur dans le mouvement de réforme promu par les papes, notamment Alexandre II et Grégoire VII. Il devient célèbre pour la vigueur de ses sermons contre la simonie et le nicolaïsme. En 1051, il rédige le Livre de Gomorrhe, où il dénonce les vices du clergé — et en particulier les prêtres homosexuels, dont il exige le renvoi de l’Église. Léon IX refuse toutefois d’accéder à sa requête, ce qui pousse Pierre Damien à écrire une lettre de protestation. Il se montre également opposé à la réordination des prêtres hérétiques. En 1059, il est envoyé comme légat dans l’archevêché de Milan, où règne la simonie et où la plupart des prêtres sont mariés. Avec l’aide des Patarins, partisans du célibat des clercs, il rétablit l’ordre et obtient la soumission de l’archevêque et du clergé local. Au IIIe synode du Latran (?), il fait adopter le canon interdisant aux fidèles d’entendre la messe d’un prêtre marié ou concubin. Quelques années plus tard le prêtre le pape Grégoire VII engage ce qui reste pour l’histoire comme la Réforme grégorienne.
[5] Alexandre II : pape de 1061 à 1073 : il attaqua les mœurs du clergé, en particulier le mariage des prêtres, la simonie et le nicolaïsme ; mais il se mêle de politique ( appuie la conquête normande de l’Angleterre politiquement et en lui fournissant un étendard consacré ainsi que des reliques sacrées). Il refusa d’autoriser le divorce de Henri IV et le força à reprendre sa femme, Berthe de Saxe. En 1063, il transforma la Reconquista en guerre sainte par l’octroi d’une indulgence plénière aux soldats qui participeraient à la prise de Barbastro, ville d’Aragon, tenue par les Maures.
[6] Grégoire VII ou Hildebrand, pape de 1073 à 1085, commence par réclame des terres supplémentaires. Il lutte contre le nicolaïsme (nom donné à une hérésie très ancienne puis étendu à tout ce qui est l’incontinence des clercs). Pour lui, le célibat ecclésiastique fait partie de l’idéal sacerdotal qui place l’ascète à part. Il y voit aussi une force pour l’Eglise : il souhaite des clercs uniquement préoccupés par elle, sans famille, indépendants des liens sociaux et, par la suite, de l’emprise des laïques, inaptes enfin à fonder une caste héréditaire qui s’approprierait les biens d’Église. Il écarte les prêtres simoniaques ou concubinaires. En particulier, il fait interdire l’accès aux églises pour les prêtres mariés ou vivant en concubinage etc. etc. Son objectif : que toute la chrétienté, ecclésiastique aussi bien que laïque, soit soumise à la magistrature morale du pontife romain. Il excommuniera le roi Henri IV et le roi voudra le déchoir de sa papauté mais devra se rendre à Canossa…
[7] L’Eglise se divise. Ces décrets du pape Grégoire VII sont contestés par de nombreux prêtres allemands. Les évêques embarrassés, principalement en Allemagne, ne montrent aucun empressement à appliquer les décisions de ce concile et le pape demande l’aide des souverains. Grégoire VII triomphe en Allemagne : les prêtres mariés y sont bafoués, parfois torturés et exilés ; leurs femmes légitimes sont mises à l’index de la société. Mais en Espagne, les clercs ne renverront leurs épouses qu’au xiiie siècle, sous Alphonse le Sage dont le code punira le mariage sacerdotal. En France, les choses sont encore plus difficiles. Le Synode de Paris (1074) déclare les décrets romains intolérables et déraisonnables (« importabilia ideoque irrationabilia »). Au Synode de Poitiers, (1078), le légal obtient qu’on menace les auditeurs d’un prêtre réfractaire, mais les évêques ne peuvent guère mettre ce canon en vigueur sans l’appui du bras séculier, et les mariages ecclésiastiques persistent. En Angleterre, Outre-Manche, Guillaume le Conquérant ne fait rien pour appliquer la réforme. Le concile de Winchester autorisa en 1076 les prêtres mariés à garder leurs femmes. Le concile de Londres de 1102, sous l’inspiration d’Anselme, ordonne leur renvoi, mais sans prescrire de pénalités. Le second concile de Londres (1108) n’a d’autre effet que d’aggraver le désordre des mœurs dans le clergé. En Espagne, ce n’est qu’au XIIIème siècle qu’un décret du roi interdira aux prêtres de se marier.
[8] Fin XIIes. ramener à sa forme primitive, rétablir
[9] ca 1440 créer, produire à nouveau ; se reformer : prendre une nouvelle forme ; se regrouper, se rallier
[10] Fin xiies. : ramener à sa forme primitive, rétablir, Eglises réformées (Calvin), 1585 religion réformée.
[11] Déb. xves., changer une chose abstraite pour l’améliorer, modifier la teneur de qqch, supprimer ce qui paraît excessif, changer de forme et transformer qqch.
[12] http://prolib.net/pierre_bailleux/theologie/202.017.principes.pb.htm « « On l’attribue à un théologien hollandais Jodocus von Lodenstein qui l’a employé dans un livre publié en 1675. Peut-être Voetius l’a-t-il employé quelques années plus tôt, mais on n’a pas retrouvé le texte où il l’aurait fait.» »
[13] Par exemple en 1546 églises réformées (Calvin, Œuvres, éd. J. W. Baum, E. Cunitz et E. Reuss, X, col. 48 ds Richard, p. 19); ou en 1585 : religion réformée (Noël Du Fail, Contes d’Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 2, p. 279). L’idée de Réforme ne visait pas essentiellement à révolutionner l’Eglise, ni à la purifier, ni à revenir aux origines, mais avant tout à revenir à plus de fidélité à l’esprit qui animait l’Eglise primitive car ce qui était recherché, c’est de revenir plus près de la source, l’esprit de Jésus, si on s’en est écarté.
[14] Fin XIIes. ramener à sa forme primitive, rétablir
[15] 1671 réformer un régiment : le dissoudre ; congédier un militaire, 1844 être réformé : être dispensé des obligations militaires.
[16] http://www.ecuriesecondechance.com/cheval/default.php?idsite=ecuriesecondechance
[17] Brève histoire de la liturgie catholique : qu’appelle-t-on donc «Tradition» ? https://recherches-entrecroisees.net/wp-content/uploads/2019/04/breve_histoire_liturgie_catholique_mcr_2019-1.pdf
[18] La tension entre ces diverses caractéristiques, normalement quasiment inconciliables, se voit bien par exemple dans Lumen Gentium, paragraphe 25.
[19] Marguerite Champeaux-Rousselot. Un principe démocratique aux débuts du christianisme : «Ce qui concerne tous doit être discuté et approuvé par tous» Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet. 2022. ⟨hal-03844530⟩ https://hal.science/hal-03844530/
[20] Petit piège : le terme Euanggelia en grec, Evangile, souvent traduit par l’expression française « Bonne nouvelle », faisait référence à l’annonce d’un messager ( aggelos qui a donné en français ange ) dont le message fait plaisir et donne du bonheur. C’est devenu ensuite implicite que la « bonne annonce », euanggelia, contrastait avec ce qui la précédait. Aujourd’hui, dans le substantif nouvelle, la notion de nouveauté est moins importante que la notion d’annonce. ( voir le nom des journaux par exemple. ).