Deux siècles de malédiction littéraire : Transformations, Médiations et transferts d’un mythe

Proposition de communication à envoyer aux organisateurs avant le 1er septembre 2011

Colloque international à Montréal ( Canada)
Université McGill
13-15 juin 2012

« S’il est des mythes très anciens et durables, avance Claude Abastado, il n’en est pas d’éternels ».

Celui qui se forme autour des figures du philosophe persécuté et du poète malheureux dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, et qui tend à associer les termes génie et malheur, a connu maints avatars aux XIXe et XXe siècles, et il n’est pas certain qu’il soit prêt de s’éteindre. De Bonald, selon qui « il faut des malheurs, et des plus grands, pour faire ce qu’il y a de plus beau dans le plus beau des arts », jusqu’à Houellebecq qui avance dans Rester vivant que « la souffrance est nécessaire à toute création artistique véritable », un vaste continent de maudits se dessine où le poète crotté voisine le styliste martyr de son art, où le nègre de génie le dispute au grand artiste sombrant dans la folie, où l’écrivain populaire ne néglige pas toujours cette forme de légitimité singulière que procure la médiatisation de l’une ou l’autre des formes de la souffrance.

Quels scénarios auctoriaux (Diaz), quelles postures (Meizoz), quelles figurations (GREMLIN), quelles œuvres le mythe de la malédiction littéraire a-t-il générés? Par quel biais la croyance voulant que la souffrance profite à la création littéraire et artistique trouve-t-elle à se perpétuer depuis deux siècles et des poussières? N’est-elle vraiment qu’un effet de champ, c’est-à-dire, pour reprendre les termes exacts des Règles de l’art, « la transfiguration en idéal, ou en idéologie professionnelle, de la contradiction spécifique d’un mode de production que l’artiste pur vise à instaurer »? Le rapport entre ce mythe et d’autres mythes de la modernité comme celui de la bohème en est-il un de concurrence? De complémentarité? Peut-on préciser le lien entre les discours sur la malédiction du poète et ces autres objets de discours que sont la misère, le suicide ou la mélancolie? Comment et par quels moyens les figures du romancier, de l’artiste, du journaliste, du philosophe, du maître d’étude, du professeur ou du savant finissent-elles par s’ajouter à celle du poète dans la galerie de la malédiction? Y a-t-il lieu de se questionner sur le malheur spécifique des femmes de lettres, lequel paraît encore plus systématique que dans le cas des hommes et exploité de façon souvent plus pathétique? Enfin, comment se fabrique un maudit? Quels sont les procédés typiques et les acteurs impliqués dans la construction d’une figure de maudit?

Il importe de faire la lumière sur ce mythe moderne qui a orienté, aux XIXe et XXe siècles, des vies entières et qui a constitué, pour nombre d’écrivains et d’artistes, « grands » ou « petits », consacrés ou non par les manuels d’histoire littéraire, un levier de légitimation de première importance, transvaluant les signes de l’échec et de la réussite sociale ou financière, faisant de la pauvreté, de l’exclusion, de la maladie et de la persécution autant de marques du génie. C’est le but que vise ce colloque international qui se tiendra à l’Université McGill (Montréal), du 13 au 15 juin 2012. L’objectif, précisons-le, ne sera pas d’y constituer un nouveau palmarès des poètes maudits ou un autre répertoire (forcément incomplet) des acteurs obscurs de la scène culturelle, mais d’analyser les conditions de perpétuation d’une croyance — le malheur de l’auteur comme fondement de la valeur d’une œuvre —, de retracer et d’analyser les textes et les images qui portent la trace et remotivent tout à la fois cette croyance, et d’interroger plus globalement les facteurs qui contribuent à sa perpétuation tout au long des XIXe et XXe siècles. Dans ce cadre, l’analyse de certaines figures bien connues de la malédiction littéraire (de Rousseau à Gauvreau en passant par les Nerval, Baudelaire, Ducasse, Nelligan ou Artaud) devra être problématisée et replacée dans un contexte et une réflexion plus générale.

Le colloque mobilisera les points de vue de l’histoire culturelle et de l’histoire du livre, de l’analyse du discours, de la sociologie de la littérature, de la sociocritique, mais il sera ouvert à toute approche permettant de faire la lumière sur l’objet d’étude : l’anthropologie, l’histoire de l’art, la philosophie, etc. Nous intéresseront tout particulièrement les propositions recoupant l’un ou l’autre des axes suivants :

1) Avatars
Jean-Luc Steinmetz et Diana Festa-McCormick l’ont bien montré : entre Stello (1832) de Vigny et Les poètes maudits (1884-1888) de Verlaine, on passe d’un type de malédiction littéraire à un autre, du poète malheureux au poète maudit. Quels sont les raisons et les moyens de cette transformation? Trouve-t-on, entre ces deux dates, d’autres types d’artistes et d’écrivains souffrants? Que dire des Louis Lambert ou des d’Arthez de la Comédie humaine? Du Charles Demailly des Goncourt? Du Marchenoir de Bloy ou du Claude Lanthier de Zola, pour s’en tenir au seul XIXe siècle français? Comment penser ces avatars et ceux du siècle suivant, qui sont autant de modulations de la malédiction artistico-littéraire?

2) Médiateurs et médiations
Pour qu’un malheur acquière légitimité, il doit être vu, expliqué, magnifié par l’écrivain lui-même dans ses propres textes (poèmes, correspondance, autobiographie) ou par d’autres acteurs du champ culturel, pairs écrivains, critiques ou artistes. À tout méconnu son découvreur; à tout maudit son apologiste. Quels sont les moyens dont disposent ces médiateurs pour faire valoir la grandeur d’un malheur particulier? Qu’est-ce qui distingue par exemple le travail qu’accomplit Vigny avec Chatterton de celui que réalise Verlaine pour ses « Poètes maudits », Louis Dantin pour Émile Nelligan ou Janou Saint-Denis pour Claude Gauvreau? À quelle nécessité correspond ce travail? Les romans qui mettent en scène des acteurs du monde littéraire et artistique donnent-ils à voir ce type de « couple culturel », le maudit et son sauveur? Pour en dire quoi?

3) Transfert culturel
Tout comme le mythe de la bohème, dont les scènes vont trouver à s’exporter et à traîner dans leur sillage une constellation d’images, de personnages (Rodolphe, Mimi Pinson, etc.), de valeurs et de traits posturaux, le mythe de la malédiction littéraire sera progressivement récupéré par des acteurs évoluant dans des milieux souvent très éloignés, culturellement et géographiquement, de la scène parisienne. C’est le cas par exemple de l’abbé Casgrain qui travaille dès les années 1860 à l’édification des figures de l’historien François-Xavier Garneau et d’Octave Crémazie en recourant aux topiques respectives du génie infortuné (Garneau) et du poète exilé (Crémazie). Or tout transfert culturel, pour satisfaire au système d’accueil, implique des choix dans les matériaux symboliques transférés (Middell). De quel ordre sont ces choix? Qui les fait et selon quels critères? Comment penser la malédiction du poète ou de l’artiste à Montréal, à Bruxelles ou à Lausanne vers 1860, alors que les structures des champs canadien, belge ou suisse sont, sinon inexistantes, du moins peu solides, et que ces champs sont encore loin de pouvoir bénéficier d’une autonomie même relative? La malédiction littéraire existe-t-elle au Maghreb ou dans les Antilles? Sous quelle forme? Faut-il passer le cap du XXe siècle pour voir le mythe de la malédiction littéraire s’enraciner profondément dans ces différentes aires culturelles?

Les propositions de communication (coordonnées du chercheur et résumé d’environ 250 mots) devront être envoyées aux organisateurs avant le 1er septembre 2011. Les communications seront de 30 minutes et le colloque fera l’objet d’une publication. Il est à noter que des demandes de subvention seront déposées en vue d’aider les conférenciers à couvrir une partie des frais de leur séjour à Montréal, mais les participants sont encouragés à rechercher du financement auprès de leurs institutions respectives.

Comité organisateur
Pascal Brissette
Département de langue et littérature françaises
Université McGill
853, rue Sherbrooke Ouest
Bureau 265
Montréal, Québec
H3A 2T6
Courriel : pascal.brissette@mcgill.ca<

mailto:pascal.brissette@mcgill.ca>

Marie-Pier Luneau
Département des lettres et communications
Faculté des lettres et sciences humaines
Université de Sherbrooke
Sherbrooke (Québec)
J1K 2R1
Courriel : marie-pier.luneau@usherbrooke.ca<mailto:marie-pier.luneau@usherbrooke.ca>

Comité scientifique
Marc Angenot (Université McGill)
Michel Biron (Université McGill)
Paul Dirkx (Université de Nancy 2)
Jacques Dubois (Université de Liège)
Charles Grivel (Université de Mannheim)
Benoît Melançon (Université de Montréal)
Alain Vaillant (Université de Paris Ouest Nanterre)