Fabriquer du divin. Les constructions et dynamismes de ses représentations, Paris, 15-17 mars 2012

Fabriquer du divin. Les constructions et dynamismes de ses représentations

Programme avec résumés  ( adresse ci-dessous)

Jeudi 15 mars (après-midi)

15h Introduction, par N. Belayche et V. Pirenne-Delforge

15h30 John SCHEID, Spéculation érudite et religion. L’interaction entre l’érudition et les réformes religieuses à Rome

Quelques dossiers relativement bien fournis du début de l’Empire, tels ceux des saliens, des arvales, des Caeninenses, des sodales Titii et des Jeux séculaires, mettent en lumière la démarche des « restaurateurs » de la piété romaine. Avec la collaboration d’érudits ils utilisent des restes de traditions négligées ou abandonnées pour reconstruire des rituels nouveaux qui passent pour restaurer les coutumes d’antan.

16h15 Jörg RÜPKE, Working wonders, sinning deadly: Priests and the representation of the divine at Rome

Roman priesthoods display a wide range of religious roles, behavioural norms, extend of activities, and public appearance. Some of them – flamines maiores and virgines Vestales – are governed by very strict rules, the infringement of which might lead to removal from office or even death penalty. Others, like the augurs, are seen as successors to wonder workers like Attus Navius. How do these roles and people represent the divine? Which role do they play in a larger economy of representation? My contribution will discuss specific cases as the economy of the whole system of priesthoods and try to track changes.

17h Discussion

Vendredi 16 mars (matinée)

9h Dominique JAILLARD, Pratiques du ‘mythe’ et dynamiques des processus de représentation du divin dans les polythéismes de la Grèce ancienne

La recherche des trente dernières années a rendu éminemment problématique, sinon aporétique, la notion de mythe, tout en soulignant les différences, à certains égards irréductibles, entre des champs de représentations religieuses, indissociables de la pratique, et des représentations du divin que caractérisent, dans leur diversité, une certaine autonomie. Ces représentations constituent en négatif, avec tous les guillemets voulus, ce qui reste d’un champ du mythique, et l’on ne les appréhende précisément qu’en les ancrant dans des pratiques spécifiques, poétiques, performatives, littéraires notamment. Notre communication interrogera les processus « mythiques » d’élaboration des représentations du divin qui se jouent au plus près de la pratique religieuse, en interaction avec la pensée et les représentations, souvent implicites, qui s’avèrent inhérentes aux rituels eux-mêmes, en réfléchissant sur la valeur et les fonctions des choix opérées, des écarts, sur le jeu dynamique qui se développe entre les différents registres du savoir partagé. À ce prix, il est peut-être possible d’évaluer plus précisément la place qu’il convient d’accorder aux « mythes » dans l’étude des ensembles polythéistes que constituent les sociétés anciennes.

10h45 Pierre BRULÉ, Une certaine fabrique du divin : l’usage de l’ἀπὸ μηχανῆς θεός par Euripide

À la différence des deux autres grands tragiques, Euripide apprécie de terminer quelques unes de ses pièces par l’apparition d’une divinité ex machina. Sur « scène », le divin se fait corps et voix, et il agit, il tranche dans le destin et des protagonistes et de leurs communautés. Dans les exemples que je soumettrai à analyse, cette intervention a pour objet d’institutionnaliser des rituels athéniens, de refonder les mythes étiologiques des sanctuaires et, ce faisant, au plan dramatique, d’apporter l’apaisement. Pouvons-nous mesurer les effets de ces manifestations physiques et vocales du divin sur les spectateurs ?

10h30 Pause

11h François LISSARRAGUE, La dynamique des images ou comment se fabrique du dieu

Les assemblées de dieu en image, dans la céramique en particulier, ne reproduisent pas les panthéons des cités, mais travaillent la dynamique d’un panthéon qui se modifie et s’agrandit : les dieux s’assemblent pour assister à l’arrivée d’un des leurs, ou à la naissance d’un nouveau dieu. Les peintres ont mis en image ces mouvements et on en étudiera quelques cas pour montrer le travail de l’image. On en rapprochera le travail des sculpteurs qui, de leur côté, ont inventé des formes nouvelles pour situer dans l’espace des présences divines qui en vectorisent le parcours, en particulier Hermès et Hécate.

11h45 Vinciane PIRENNE-DELFORGE, Gabriella PIRONTI, Des écarts qui font sens : Héra et les enfants de Zeus, entre textes et images

Le rapport de la déesse Héra aux enfants de Zeus passe moins par la colère et la jalousie mises en scène dans les récits de la vindicte dont elle poursuit les bâtards que par les questions de légitimité. En étudiant textes et images en regard, il s’agira de montrer comment la représentation de la déesse se trouve ainsi modifiée par des infléchissements que les auteurs et les imagiers, chacun dans le langage qui est le leur, imposent au matériau transmis par la tradition mythique.

12h30 Discussion

Vendredi 16 mars (après-midi)

14h30 Sylvia ESTIENNE, Figures dynamiques, dynamique des figurations ? La construction du divin au prisme des processions à Rome et en Italie

Bien qu’elles constituent un des moments les plus spectaculaires et familiers des grandes célébrations religieuses de Rome, les processions sont au final assez peu décrites dans les textes antiques. Les témoignages les plus fournis définissent l’écart plus que la norme, portant un regard singulier sur des figures divines particulières (Lucrèce sur Cybèle, Apulée sur Isis) ou des pratiques étrangères soumises à l’interprétation (Denys d’Halicarnasse décrivant la procession du cirque ou Ovide celle de Junon à Faléries). Pris dans une perspective diachronique, ils nous aident certes à comprendre les modalités qui régissaient l’apparition des dieux dans la dynamique de ce type de rituel, mais, remis en contexte, ils nous incitent également à réfléchir à leur réception, et plus précisément à l’impact des processions dans la perception et la construction des figures divines. L’enquête pourrait sembler vaine, eu égard à la faible documentation dont nous disposons ; le regard polémique des apologistes chrétiens peut néanmoins servir de révélateur.

15h15 Olivier DE CAZANOVE, Animer les espaces cultuels : architectures, eaux, cheminements (Italie et Gaule)

Le lieu de culte que restitue la recherche archéologique est – en forçant le trait – toujours plus ou moins une coquille vide, quel que soit le soin avec lequel sont enregistrés les témoignages concrets des pratiques religieuses : résidus sacrificiels, (dé)placements d’offrandes. Aller plus loin et vouloir reconstituer, à partir de ce cadre purement matériel les dynamismes de la représentation du divin,

relève de l’interprétation – ou de la surinterprétation. On cherchera donc, de manière plus modeste, comment le jeu des volumes architecturaux, des eaux vives, des parcours tracés dans le sanctuaire l’animent, au propre comme au figuré, comment ils arrivent à créer du mouvement et à orienter le regard pour générer un type d’espace particulier. Les exemples seront pris dans la péninsule italique et en Gaule romaine.

16h Pause

16h30 Anne-Françoise JACCOTTET, Créer en images l’identité divine. Achille – Dionysos – Jésus : le bain du nouveau-né.

Dès le haut Moyen-âge, les représentations de la nativité chrétienne figurent immanquablement le bain de l’enfant Jésus nouveau-né. Ne répondant à aucune référence textuelle, cet épisode est un emprunt manifeste à la geste dionysiaque dans laquelle le schéma apparaît vers le 1er s. de n. è. Il s’agit dès lors de comprendre les raisons et le sens de l’apparition de ce schéma nouveau dans la sphère dionysiaque avant de s’interroger sur sa reprise dans les enfances d’Achille puis de Jésus.

Ce bain doit-il être compris comme la figuration d’un processus de divinisation, selon une interprétation très récemment publiée ? L’analyse iconographique du schéma employé mène à une origine et à un sens différents. S’articulant directement aux scènes d’accouchements bien humains, le bassin –et le bain qu’il préfigure– renvoie à la nature mortelle et toute humaine du nouveau-né. Baignés à leur naissance, Achille, tout comme Dionysos ou Jésus sont montrés dans leur humanité mortelle. Si les images en restent là pour Achille, il en va tout autrement pour Dionysos et ensuite Jésus. Par différents procédés iconographiques, c’est la construction d’une identité à la fois humaine et divine qui va voir le jour. On assiste ainsi à l’élaboration strictement iconographique d’un discours sur la double nature de Dionysos, discours qui sera repris et adapté par les Chrétiens pour exprimer en image cette double nature, humaine et divine, dont le théonyme Jésus-Christ est l’expression sur le plan lexical.

17h15 Jean-Daniel DUBOIS, Comment le rituel gnostique valentinien modifie-t-il ses représentations du divin ?

La gnose valentinienne est connue pour sa présentation des malheurs de la figure de la Sagesse, Sophia. Bien que dans le plérôme, les péripéties liées à la folle envie de connaître la transcendance divine aboutissent à l’exclusion de la Sagesse du plérôme divin, les divers épisodes de la chute et de la conversion de Sophia permettent d’illustrer un parcours rituel analogue à celui de tout gnostique dans l’église valentinienne. La place centrale du baptême dans la ritualité valentinienne en vue du salut confère à la conversion de Sophia et à la figure de Jésus qui l’accompagne une série de caractéristiques qu’il s’agira d’expliciter.

18h Discussion

Samedi 17 mars (matinée)

9h Nicole BELAYCHE, Performance hymnique et adresses acclamatoires

Les performances hymniques, comme les adresses acclamatoires qui les accompagnent parfois, sont un terrain spécialement fécond pour enquêter sur les dynamismes de la représentation du divin, dans la mesure où leur forme rhétorique relève de l’intensif et engendre une atmosphère d’exaltation.

Les hommages chantés aux divinités sous forme hymnique (ou équivalentes) ont envahi la vie publique de l’Orient hellénistique, puis romain. L’hymne offert à la divinité, avec ou sans acclamations rituelles, contribuait à l’accroissement de la timè des dieux et confirmait la majestas de leur statut, tout en faisant valoir les communautés devant lesquelles il était chanté, a fortiori s’il s’agissait de la divinité identitaire. La tradition historiographique a souvent mis en relation la multiplication de ces démonstrations avec le contexte concurrentiel du marketplace of religions, plus

spécialement lorsque les identités religieuses se radicalisent à partir du IIe siècle de notre ère, et avec une mutation des conceptions polythéistes elles-mêmes.

On se propose ici d’ouvrir une autre piste. Par sa forme rhétorique et dans le contexte d’apparat de sa performance, l’hymne donne à voir un portrait magnifié de la divinité, qui explicite des traits théologiques d’un savoir partagé et transmis mais en les exaltant. Il s’agira d’examiner les effets théologiques des pratiques hymniques et d’interroger le lien possiblement organique entre hymne et acclamation : la performance hymnique, toute réglée fût-elle dans sa forme, ne provoque-t-elle pas une exaltation des dévots qui rejaillit sur la représentation de la divinité sous l’effet produit par sa mise en scène spectaculaire ?

9h45 G. AGOSTI, Chanter les dieux dans la société chrétienne : la représentation du divin dans la poésie néoplatonicienne tardive

La poésie néoplatonicienne, de Porphyre à Proclus, loin d’avoir été une production simplement dévotionnelle et ‘secondaire’ par rapport aux oeuvres philosophiques, a joué un rôle non négligeable dans le cadre général de la poésie religieuse, surtout chrétienne, de l’Antiquité tardive. Du point de vue historico-religieux, il convient d’analyser le développement d’une poésie cultuelle qui a privilégié le genre hymnique (Proclus, Synesios, Marius Victorinus en Occident), et celui d’une poésie hagiographique (l’oracle sur l’âme de Plotin dans la Vie de Plotin de Porphyre, la rédaction en vers de la Vie de Proclus, ou le poème de Christodore de Coptos Sur les disciples de Proclus) à l’arrière-plan de la poésie chrétienne, qui s’engageaient dans les mêmes genres littéraires. L’étude des différentes stratégies – au niveau du langage, de la rhétorique, des formes – de la représentation du divin dans la poésie néoplatonicienne montre comment le genre littéraire a influencé l’image des divinités traditionnelles chez les néoplatoniciens et comment il a modifié le discours sur les dieux, la poésie étant conçue comme un véritable langage théologique caché, le seul à pouvoir s’inscrire dans la tradition hellénique.

10h30 Pause

11h Corinne BONNET, Iwo SLOBODZIANEK, De la steppe au bateau céleste, ou comment Inanna accomplit son destin entre mythe et rite

Le texte intitulé « Inanna et Enki » relate la manière dont la déesse, initialement implantée dans la steppe, loin de toute humanité, s’empare de « pouvoirs » (les me) qu’elle soustrait à Enki et rapporte à Uruk sur un bateau céleste. L’implantation et l’activation des me à Uruk implique une performance rituelle qui a pour effet de transformer la déesse et de l’enraciner dans la mesure où elle permet à ses « pouvoirs » de se réaliser pleinement en un endroit donné, décrit comme le plus « civilisé ». Ainsi, parmi les me, voit-on figurer une série d’outils (instruments de musique par exemple) ou d’offices (rituels) destinés à assurer l’accomplissement du rite. Susceptibles de se déployer en toute plénitude, les pouvoirs de la déesse peuvent néanmoins aussi être altérés ou anéantis, comme l’indiquent des textes de lamentation, eux aussi en rapport avec des performances rituelles. L’analyse portera donc sur plusieurs contextes narratifs ou performatifs relatifs à Inanna/Ishtar, centrés sur la notion d’« accomplissement » du destin d’une divinité, notion qui s’applique par ailleurs et par extension aussi aux héros, aux rois et aux êtres humains en général. Ce qui retiendra en particulier l’attention, ce sont les entrecroisements de niveaux et les effets de résonance entre l’intrigue mythique et la pratique cultuelle en matière de construction du divin. Ceux-ci tissent littéralement la matière divine et contribuent à imposer l’idée que l’épanouissement des pouvoirs divins dans le monde, régulièrement réitéré par le biais de la dynamique rituelle, est la condition sine qua non d’un monde ordonné et florissant, quoique mouvant, comme le sont les panthéons.

11h45 Discussion finale

 

Dans le cadre de FIGVRA 15   : La représentation du divin dans les mondes grecs et romains.

Auditorium de l’INHA

 2 rue Vivienne ou 6 rue des Petits Champs, 75002,  Paris

 Métro Bourse, Palais Royal   ou Pyramides

 

Les étapes successives de l’aventure « FIGVRA. La représentation du divin dans les mondes grec et romain » (GDRE CNRS), menée depuis 2008, ont permis d’interroger une série de facettes de la représentation du divin dans les sociétés grecque et romaine. Ainsi avons-nous pu mettre en évidence une multitude de formes d’expression et la diversité des registres dans lesquels ces expressions prenaient place. Arrivés au terme du projet, nous sommes en mesure de dépasser l’investigation de ces formes, jusqu’alors plutôt descriptive et analytique, pour proposer de discerner certains des processus qui les créent, les font vivre et évoluer, tout en continuant de tenir compte de la diversité des registres dans lesquels se déploie ce dynamisme. Notre souci n’est pas d’étudier une possible évolution chronologique de la représentation du divin en tant que telle. La problématique proposée est de repérer les processus de construction de la représentation du divin alors même qu’elle est exprimée dans des discours, images ou dispositifs cultuels qui sont réputés suivre la tradition. Lors des rencontres qui nous ont déjà réunis, les divers registres de la représentation du divin – images, rituels, mythes, autres modes langagiers à travers lesquels les dieux sont conviés à jouer un rôle – ont reçu l’attention nécessaire en tant que cadres de la représentation du divin. Au dernier stade de la réflexion commune, nous voulons saisir la potentialité créatrice de ces registres : car ils ne sont pas que des ‘lieux’ où s’exprime une représentation constituée, statique, du divin, mais ils sont également des ‘lieux’ dynamiques de son élaboration et de sa transformation. À titre d’exemples, quelques questions permettront de donner corps à l’ambition de ce dernier projet : en quoi le genre littéraire est-il créateur de représentation, et de quel type de représentation ? en quoi les formes rhétoriques ou iconographiques conditionnent-elles cette représentation et sont-elles facteurs de ‘canonicité’ ? comment le rituel va-t-il modifier l’image d’un dieu, et pas seulement informer sur lui ? quels sont les mécanismes à l’oeuvre dans la création et l’évolution des images des dieux et des discours sur les dieux ? etc. Au coeur de la réflexion se trouve aussi la question de l’effet de ces processus de modification et de (ré)élaboration sur l’adhésion à une forme de représentation (alors intervient la notion de « croyance »). Se pose également le problème de l’autorité ou des autorités à l’oeuvre dans ces processus (le poète ou l’orateur dans le rapport à un auditoire, le peintre ou le sculpteur et ses commanditaires, la cité et sa mise en spectacle, la communauté sacrifiante et ses choix rituels, les exégètes mandatés ou non, etc.). L’absence de norme, instituée une fois pour toutes, par une révélation ou une autorité théologique, vient tempérer l’effet des conditionnements culturels, sociaux et politiques et leur rend une souplesse et une plasticité qui devraient nous permettre de faire émerger au cours de la rencontre certains traits de cette dynamique de la représentation du divin.