Marguerite Champeaux-Rousselot, 2018-05-21
J’ai réfléchi à partir de https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1996_num_49_1_2126, et mes citations sont tirées de ce document qui est une lecture critique des ouvrages scolaires sur ces questions.
Comment est construit, dans les manuels scolaires de l’enseignement secondaire, le discours biologique sur la sexuation de l’espèce humaine, et comment, surtout, le niveau comportemental est-il articulé aux données anatomiques et physiologiques ?
Etre garçon ou fille est-ce « être garçon ou fille en fonction de ses attributs génitaux » ou « être identifié homme ou femme, c’est-à- dire doté de capacités reproductives » ? Pas seulement sans doute …
La sexuation de l’espèce humaine ne doit-elle s’inscrire en cours ( au collège ou au lycée…) que dans le cadre de la « transmission de la vie » ?[1]
Il semble que par crainte d’en dire trop le contenu actuel des ouvrages scolaires soit trop froid et si « dépouillé » qu’il en devient faux, voire « réfrigérant »… Il n’est pas facile de bien écrire sur ces questions, mais le corps n’est pas que du quantitatif et du photographiable…
Reposons donc la question de départ :
La sexuation de l’espèce humaine ne doit-elle s’inscrire en cours (au collège ou au lycée…) que dans le cadre de la « transmission de la vie » ?
Non, car on étudie ensuite la régulation des taux d’hormones sexuelles qui sont, elles, encore plus déterminantes que les éléments organiques des organismes vivants : hommes et femmes, comme béliers et brebis, intéressent aussi , voire surtout, en tant que producteurs d’hormones. « Si l’on replace l’espèce humaine dans son cadre animal (la reproduction sexuée des animaux a été abordée dans les classes précédentes) et si l’on appelle sexuation la distribution des individus en deux catégories définies par leur appareil génital et leur fonction dans la reproduction, le discours biologique peut effectivement dire, à quelques ratés près, ce que sont un mâle et une femelle humains : des individus pourvus d’attributs génitaux leur permettant de produire spermatozoïdes et ovocytes, et capables d’exercer une activité reproductive. Pris dans ce cadre de la reproduction sexuée, les hommes et les femmes que sont devenus les adolescents au sortir de la puberté sont, pour les auteurs des manuels, logiquement assignés à ce rôle de mâles et de femelles, c’est-à-dire à une hétérosexualité reproductive. »
Mais cela reflète-t-il la réalité, ou la volonté de construire la société sur cette base ?
En effet, « le discours biologique [est] incapable de prédire la sexualité d’un individu humain, comme il est incapable de définir ce qu’est cette hétérosexualité en dehors de l’acte de l’accouplement, sinon à attribuer systématiquement à une hétérosexualité adulte des comportements pourtant observables entre individus de même sexe ou dans les jeux sexuels inter et intra sexes fréquents, pour ne pas dire ordinaires, dans l’enfance (comme ils sont d’ailleurs observables chez d’autres primates tels les chimpanzés). »
Certes les « transformations de la puberté » comprennent l’étude des aspects biologiques (ici, au sens de phénomènes cellulaires), physiologiques et comportementaux, mais il y a en fait le présupposé implicite, voire explicite, d’une anatomie, d’une physiologie et d’une sexualité «faites » pour la reproduction…
Certes on essaie de tenir un discours égalitaire entre garçons et filles, mais à la réflexion ne se borne –t-il pas à être égalitaire seulement dans la manière d’aborder la reproduction ou la biologie la plus matérielle chez l’être humain ?
On observe en effet dans les manuels une présentation inégalitaire : l’évolution est globale chez le garçon, avec un implicite ( qu’on ne remet même pas en question : serait-il tabou ? ) disant que son corps, son sexe, imprègne son psychisme…. Qu’il est/serait tout entier mâle. Que l’action va dominer le psychisme… Un discours à la limite excusant la mise en œuvre irréfléchie des pulsions sexuelles avant tout, avant tout car sans visée reproductive… tandis que la femme est femme, féminine, surtout au niveau de ses organes reproducteurs ou connectés à la reproduction : son coeur doit rester dominant, pas de pulsions sexuelles uniquement tournées vers le plaisir, surtout nécessité « instinctive » de faire l’enfant ( qu’on ne remet pas en question non plus : serait-ce tabou ). Il y a dans ces ouvrages, implicites – et difficiles à déceler – une typologie mâle et une typologie femelle bien tranchées, et différenciées, qui relèvent en fait de normes, du normal, de l’idéal, ne tenant compte ni de l’hétérogénéité des caractères sexuels secondaires ni, au niveau individuel, de la variabilité de l’action des hormones sexuelles sur ces caractères.
L’Homme est-il masculin ou féminin à cause de ? en raison de ? pour ?
La bi-catégorisation est justifiée pour ( ? ) la fonction reproductive, mais elle ne rend pas compte de la diversité des individus quant à leur apparence, ni de la complexité des mécanismes physiologiques (sans parler des mécanismes culturels) de cette apparence : il n’y a pas une différence biologique des sexes mais des différences. On pourrait parler de toute une gamme de nuances pur définir la masculinité et la féminité ( mais on comprend bien la crainte que l’on a à utiliser ces mots piégés), pourtant c’est l’étendue de cette gamme sur laquelle joue nos libertés, loin de toute déterminisme trop normatif ( si on peut créer des néologismes, normateur ou normatisant).
L’acquisition des capacités reproductives, cela veut dire capacité de transmettre la vie. On pourrait ajouter que si l’animal n’est pas conscient de ce phénomène qu’il subit probablement, l’espèce humaine a un cerveau et peut le savoir et le choisir : il échappe plus qu’eux au déterminisme du corps : la liberté d’être et de se choisir est positive et pousse à avoir envie de découvrir le futur possible.
Autre exemple de discours différents :
Chez les adolescentes filles : on évoque pour elle des « changements hormonaux » ( non-précisés dans les manuels scolaires ) d’où « un changement de personnalité, de comportement » ( les expressions sont très passives ; sans précision : la fille n’a pas vraiment de sexualité inscrite dans le corps ? rien, à part d’engendrer ? ). Le terme hormone est utilisé souvent de façon négative ou moqueuse … Le fait de parler de « changement » sans autre précision n’est ni attirant ni positif, mais inquiétant et obscur pour bien des personnes ( les filles elles-mêmes, ou les garçons d’ailleurs qui lisent cela ! ). On peut grandir, mûrir, s’épanouir etc. : le vocabulaire est à modifier, à « humaniser », à rendre moins « froid »…
Chez les garçons, il est écrit que c’est « la sécrétion de testostérone » qui contrôle tout le fonctionnement sexuel, aussi bien la production de spermatozoïdes que les caractères sexuels secondaires et les divers comportements liés à la reproduction » : le terme testostérone est employé pour les athlètes etc. et il est donc valorisé, mais la testostérone elle-même est liée à la violence, et il y a une culture du sport où la « haine » de l’adversaire s’enseigne, la combativité etc., la gnaque, fait gagner … Est-ce donc une valeur ou une contre-valeur si le fait est dit ainsi, brut et sans appel à la maîtrise de la force, au fair-play, et au respect du plus faible et du perdant ?
Attention en particulier sur la force des schémas scientifiques éblouissants de clarté déterministe ! La régulation en feed-back du fonctionnement des testicules et des ovaires par le complexe hypothalamo-hypophysaire, trop rapidement présenté comme faisant partie du « cerveau », est abordée, dans les ouvrages, de façon si schématique que l’élève, qui a appris antérieurement que c’est le cerveau qui commande tous les comportements, peut en déduire que les hormones sexuelles, en agissant sur le cerveau, gouvernent en dernier ressort les comportements ( et les excuseraient donc chez les hommes violents, en poussant les femmes à s’y résigner en les excusant ).
Qui dira, qui osera dire avec les bons mots, meilleurs que les nôtres peut-être, que les hormones ne régulent pas que la reproduction, mais aussi une sexualité non reproductive, laquelle commence bien avant la puberté ( désir, plaisir) ? Ce bonheur/plaisir disponible tout le temps est une caractéristique de l’Homme, permise par l’évolution de millions d’années… Quelle chance a l’espèce humaine de pouvoir vivre cela !
L’espèce humaine a des organes sexuels qui sont devenus très étendus, en fonctionnement permanent possible, et qui lui permettent des relations particulièrement importantes chez lui. L’étude de l’évolution a montré que ces changements ont permis la perpétuation de l’espèce. Depuis les tout débuts de la vie que nous pouvons connaître, le milieu a sélectionné ( cruellement ) les meilleurs systèmes « inventés » à travers des améliorations et des adaptations constantes pour assurer la reproduction de l’espèce grâce à la survie des individus. Chez les animaux antécédents ou parents de l’Homme, la sexuation avec l’apparition peu à peu d’organes sexuels ou d’échanges de chromosomes, a précédé chez des animaux et chez l’Homme, des organes sexuels nécessitant une « relation » de plus en plus affirmée pour perpétuer l’espèce. Tout cela, qui relève de la reproduction, de la fécondité pour assurer par ces organes la survie de l’espèce peut être couvert par le terme de gennéticité. Il faut réserver par contre les termes sexualité, sexuel etc. pour ce qui n’est pas que reproductif mais met en jeu les organes sexuels et sensuels + tout ce qui est humain et s’y joue, comme les notions de plaisir et d’affectif.
S’il y a une confusion inconsciente ou involontaire entre ce qui se joue à propos de ces organes à différents niveaux de sexuation ( anatomique, physiologique, comportemental) cette confusion doit cesser pour redonner une véritable liberté d’être à chacun et à chaque société , même si ensuite, on ne peut nier qu’ils peuvent être en partie confondus inconsciemment ou par choix délibéré.
Le discours tenu attentivement en tenant compte de l’objectif indispensable du scientifiquement correct ne doit rien laisser de côté.
Par exemple, prenons un discours où, une fois bien expliquées les capacités biologiques mâle et femelle de mise en œuvre de la reproduction humaine, rien d’explicite ne permet de conclure que les hommes et les femmes ont des capacités différentes, c’est-à-dire un discours dont on ne peut dont ne peut inférer l’infériorité des femmes, un discours tout à fait « égalitaire », inattaquable ( politiquement correct dira-t-on même … ) : il ne s’y trouve certes pas de sexisme explicite, mais est-il complet ? Il est incomplet s’il n’envisage pas plus que la biologie reproductive : à savoir la totalité de la personne humaine, en déclarant explicitement, par exemple, que, à ces niveaux également, il y a « égalité » de capacité, dans la différence.
Si un discours, si ce discours sur ce sujet, ne mentionne pas explicitement et positivement ce qu’il faut pour remplir les « blancs », il laisse de fait la place à des idées fausses véhiculées ailleurs. Un discours sans sexisme doit donc veiller également à embrasser la totalité de la personne humaine, y compris dans les impacts qu’a sur elle la société où elle vit.
Il ne suffit pas de ne pas être sexiste dans ce qui est explicite, il faut argumenter pour que le sexisme ne puisse y trouver de la place libre.
Ces réalités, qui ne relèvent pas de la biologie doivent être, si c’est un cours de biologie sur la reproduction humaine, au moins explicitées dans l’introduction et dans la conclusion du cours : car il faut intégrer que la biologie est une partie seulement de l’étude de l’Homme, lequel n’est pas mû seulement, passivement, que par sa biologie.
De même, ces mêmes réalités, si c’est un cours qui aborde la sexualité et les relations humaines, doivent assez longuement explicitées pendant le cours car l’étude de l’Homme dans sa totalité ne peut être faite sans faire référence à d’autres sciences que la biologie : les comportements humains épanouis, à la fois naturellement individuels, éminemment relationnels et profondément sociaux, ne relèvent pas uniquement de la biologie ni de la physiologie, mais d’une histoire personnelle inscrite dans une société.
A ce moment-là « l’éducation sexuelle » rejoint plus ou moins, dans ses objectifs, l’éducation à l’âge adulte, ou l’éducation à l’âge d’Homme… Scolaire ou parentale, elle sera reliée à l’être dans sa totalité et dans toute sa liberté de différence. Elle ne cherche pas à suivre un discours comportemental ( sexuel, gennétique, social et autre ) normé et à l’imposer, mais à permettre à chacun de s’orienter à partir des grandes balises relationnelles communes à tous les êtres humains.
[1] Bien entendu les parents, et tous les éducateurs en fait, peuvent transposer ces réflexions en ce qui concerne leurs responsabilités. Et non seulement les éducateurs bien identifiés comme tels mais aussi, plus nombreux encore et bien plus influents peut-être, ceux qui de façon bien plus discrète, mais bien plus constamment et de façon bien plus professionnelle parfois, éduquent la société à consommer de la relation : mode, culture, médias… ils nous forment, y compris dans nos sexes, à nous identifier à tel ou tel, à désirer telle chose ou tel type d’être, à avoir besoin, préférer, consommer etc. L’uniforme en rose des bébés, des fillettes, des ados et même des femmes, de leurs objets et chambres etc. est significatif de leur réussite. A eux aussi, responsables, de lire cela. Et à ceux qui se taisent trop, les psy…