«La tradition», congrès organisé par le GIS (Groupement d’intérêt scientifique) de Lyon

Le GIS Religions organise à Lyon les 8-10 octobre 2019 un congrès qui a pour thème: « La tradition ».

Appel à communication : vos propositions peuvent être envoyées directement au secrétariat du GIS

(https://gishuma.hypotheses.org/)

GIS RELIGIONS –pratiques, textes, pouvoirs

Argumentaire pour un Congrès

LA TRADITION

Aujourd’hui, quand on aborde la question du religieux dans la société, un mot revient facilement dans tous les débats : celui de « tradition ». Tout semble expliqué par ce mot qui est agité pour revendiquer ou disqualifier : des comportements ou des rites qui heurtent une partie de la société sont légitimés par la « tradition » ; l’éloignement de la doxa d’un clergé se fait au nom de la défense de la « tradition » ; les réformes d’une liturgie s’articulent sur le lien à la « tradition ». Elle justifie des attitudes de réaction ou des volontés de transformation. Elle est mobilisée par tous les camps. Le recours à la tradition permet de dénoncer les impasses de la modernité, d’ériger le passé en un âge d’or. Pour d’autres il est l’occasion d’effectuer des réformes au nom du retour à un équilibre rêvé. Les stratégies de réhabilitation de la tradition sont innombrables sans que l’idée même de « tradition » soit définie. Le « modernisme » en matière de religion semble en passe d’être déclassé. Selon l’expression de Claude Langlois, c’est au nom de la tradition que naissent des « croyances intouchables » ou que la théologie refuse les explications contingentes[1]. Mais tradition n’implique pas obligatoirement conservatisme et on peut parler de parcours religieux post-traditionnel[2].

Cet usage de la tradition semble caractéristique de notre époque. André Mary analyse cette omniprésence : « Le désenchantement vis-à-vis des utopies de la modernité alimente les entreprises, idéologiques ou savantes, de réhabilitation de la tradition et conduit à s’interroger sur le lien d’affinité essentielle qui est censé exister entre l’affiliation à une religion et la fidélité à une tradition »[3]

Ce serait cependant trop réducteur de considérer que la mise en avant de la tradition est un phénomène purement contemporain. Danièle Hervieu-Léger propose de penser la religion en fonction de la tradition : « Il n’y a pas de religion sans que soit invoquée à l’appui de l’acte de croire (et de façon explicite, semi-explicite ou entièrement implicite) l’autorité d’une tradition »[4]. La religion serait un dispositif selon lequel un groupe s’inscrit dans une lignée. Le passé devient une forme de légitimation du croire. La tradition est alors « l’ensemble des représentations, images, savoirs théoriques et pratiques, comportements, attitudes, etc, qu’un groupe accepte au nom de la continuité nécessaire entre le passé et le présent »[5]. Michel Meslin semble dire la même chose quand il définit la tradition : « Un ensemble d’attitudes et de conduites qui se réfèrent à un passé pour guider une action présente, grâce à la prise de conscience d’un principe d’identité reliant les générations. »[6]

Le concept de tradition est alors opérationnel, quel que soit le courant spirituel ou quel que soit le temps. Il interroge aussi bien pour les religions antiques que pour les nouvelles religions contemporaines. Il est mobilisé pour comprendre l’émergence de différents courants dans l’islam autant que pour penser la question de la naissance de la Réforme au XVIe siècle. Il est utilisé pour décrire les religions de la coutume ou des ancêtres, aussi bien que pour celles qui s’adossent à une Révélation. Il est un terme englobant, il place au cœur de l’expérience du croyant. Revenant sur son parcours personnel, Michel de Certeau ne dit pas autre chose[7]. Selon lui, sa foi se fonde sur les récits des Écritures, la prière des croyants, la force d’une tradition, mais aussi les incertitudes d’une société.

Cette importance accordée à la tradition amène Peter Ludwig Berger (1929-2017) à la définir et à la replacer dans le cadre de la vie sociale. Selon lui :

« Une tradition religieuse existe en tant que fait ordinaire de la vie quotidienne, indépendamment des institutions qui ont grandi autour d’elle. Elle médiatise l’expérience d’une autre réalité pour les gens qui ne l’ont pas vécue comme pour ceux qui l’ont vécue, mais sont toujours en danger de l’oublier. Toute tradition est une mémoire collective. La tradition religieuse est la mémoire collective de ces instants où la réalité d’un autre monde a fait irruption dans la réalité par excellence de la vie quotidienne. Mais la tradition ne fait pas que médiatiser l’expérience religieuse, elle la domestique aussi »[8].

Ce rôle attribué à la tradition amène H. Hatzfeld à revisiter l’étymologie même du mot « religion ». S’il est souvent associé à religare (relier), ce qui met l’accent sur l’idée est ce qui relie les hommes entre eux et avec les dieux, il lui préfère, à la suite d’E. Benveniste, relegere (reprendre, revenir en arrière)[9].

L’expression ne doit pas être a-historique. En effet, il y a des moments, comme le concile de Trente pour le catholicisme, où la tradition est discutée[10]. Il y a encore des transformations du mot, des appropriations parfois surprenantes. Le philosophe E. Weil analyse le paradoxe qui fait que les cultures dites « traditionnelles » ne font pas de place au concept de tradition ; car elle serait d’autant plus forte qu’on n’en parle pas[11]

 

La tradition se place sur plusieurs registres :

  • Celui de la légitimation, y compris pour une « spiritualité naissante ; à leurs débuts les religions se réfèrent à des traditions : la tradition est alors élément d’autorité
  • Celui des rites, pratiques, comportements… qui ancre l’acte croyant dans le temps, qui replacent le fidèle dans une lignée : la tradition est alors support de la piété et de la spiritualité
  • Celui des histoires des religions car il y a des « traditions inventées »[12] soit par la mise en avant d’un fondateur, soit par un texte (quitte à ce qu’il soit sans cesse réinterprété) : la tradition est alors un objet dynamique
  • Celui de l’emploi de la tradition dans nos sociétés contemporaines : sur quoi reposent les argumentations qui s’en réfèrent à une tradition pour légitimer leur bien fondé ou au contraire la dénoncent pour la repense

 

Le premier Congrès du GIS Religions – pratiques, textes, pouvoirs, se propose de visiter ce concept de tradition si fécond pour la recherche. Notre perspective veut s’inscrire dans les principes méthodologiques mêmes de notre GIS :

  • Favoriser l’interdisciplinarité
  • Envisager toutes les religions, faits religieux, courants spirituels…
  • Considérer l’ensemble du temps en prenant en compte toutes les périodes et tous les espaces.

 

Nous souhaitons aborder les questions suivantes :

  1. La genèse des traditions, mouvement de tous les temps ;
  2. La relecture de la tradition qui peut fonder l’unité ou provoquer l’éclatement du croire, tant les appréciations peuvent diverger ;
  3. Les liens créés entre la tradition et les « les vécus de la conscience », selon la formule de Michel Meslin, pour envisager leur complexité et leurs évolutions
  4. Les questions liées aux processus de transmission

[1] Claude Langlois, Le continent théologique. Explorations historiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2016.

[2] H. Danzger, Returning to Tradition. The Contemporary Revival of Orthodox Judaism, New Haven, Yale University Press, 1989

[3] André Mary, « ‘Tradition, traditionalisme et néo-traditionalisme », Dictionnaire des faits religieux, Paris, PUF, 2010, p. 1238-1245 (citation p. 1238).

[4] Danièle Hervieu-Léger, La religion pour mémoire, Paris, Cerf, 1993, p. 110.

[5] Danièle Hervieu-Léger, La religion pour mémoire, Paris, Cerf, 1993, p. 127.

[6] Michel Meslin, L’homme et le religieux. Essai d’anthropologie, Paris, Éditions Honoré Champion, 2010.

[7] Michel de Certeau, L’étranger ou l’union dans la différence, Paris, Seuil, coll. Points, 2005 (rééd.).

[8] Peter L. Berger, L’impératif hérétique : les possibilités actuelles du discours religieux, Paris, Van Dieren Éditeur, 2005, p. 62.

[9] Henri Hatzfeld, Les Racines de la religion : tradition, rituel, valeurs, Paris, Seuil, 1993.

[10] Edmond Ortigues, Religions du livre, religions de la coutume, Paris, Le Sycomore, 1981, chap. VIII, « Écritures et traditions au concile de Trente ».

[11] Éric Weil, « Tradition et traditionalisme », Essais et conférences, Paris, Vrin, 1991, t. II, p. 12-14.

[12] Idée développée dans Éric Hobsbawm, « Inventer des traditions », Usages de la tradition, dossier de la revue Enquête anthropologie, histoire, sociologie, Editions Parenthèses, 1996, p. 171-189.

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