N.B. Introduction en anglais, car ce texte a été lu lors d’un colloque international.
Le texte de mon intervention, en français, comporte beaucoup plus de citations de Barbey que ce qui fut finalement publié sur papier sous le titre : ‘Un passionné de Byron : Jules Barbey d’Aurevilly’ et que vous pouvez aussi trouver sur ce site.
Byron has always captivated. He captivated especially Jules Barbey d’Aurevilly so much that, though they didn’t meet, Barbey claimed that none knew him better than he.
My statement is entitled : Jules Barbey d’Aurevilly , un passionné de Byron, an admirer of Byron.
It’s neither a statement of psychology about the phenomenons of passion or admiration, nor a complete statement about Barbey himself since Byron is our subject ; and, by no means a statement about Byron: I don’t know him as well as you do.
We’ll focus on a Byron seen by Barbey, if I dare say, maybe an unfaithfull Byron, an aurevillian Byron ; and on a Barbey who’s happy to find the similarities he has with Byron : a byronian Barbey.
We’ll describe the development of this passion, its intensity , its range, but as he lived a long eighty-one years time , and as the young Jules’s voice is too different from the noble lord Anxious’one, we’ll respect the chain of chronology before searching causes.
And the last principle in order to reach the truth is, as much as possible, to listen to Barbey himself through many quotations . This is one of the reasons why we’ll speak French : Sorry… It’s very difficult to translate Barbey, and I’m not an anglicist…
Byron a fasciné. Il fascine encore. Il a fasciné en particulier Jules Barbey d’Aurevilly au point que, quoiqu’ils ne se soient pas connus, Barbey a prétendu que nul que le connaissait mieux que lui.
Mon exposé s’intitule : Un passionné de Byron, Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly .
Ce n’est pas un exposé de psychologie sur ce phénomène de la passion ou de l’admiration d’un homme pour un autre, d’un écrivain pour un autre [1], ni un exposé complet sur Barbey lui-même: nous sommes là pour Byron ! ni , surtout , un exposé sur Byron : je ne le connais pas aussi bien que vous !
Nous nous concentrerons sur un Byron vu par Barbey un Byron peut-être inexact, un Byron aurevillien, si l’on peut dire, que nous parlerons ici. C’est d’un Barbey qui est heureux de se trouver des ressemblances avec Byron… un Barbey byronien .
C’est la façon dont cette passion a évolué, son étendue, son intensité que nous décrirons , mais pour ce faire, comme sa vie fut très longue (81 ans), et que le jeune Jules a une voix trop différente du noble lord Anxious, nous respecterons le fil conducteur de la chronologie avant d’en chercher les causes.
Dernier principe qui nous a guidés pour cet exposé : laisser le plus souvent possible la parole à Barbey par souci de vérité . C’est une des raisons pour lesquelles nous ferons la suite de l’exposé en français ! Il est trop difficile à traduire pour moi et je ne suis pas angliciste !
Premier écrit, première ressemblance
Le premier écrit que nous ayons de Jules Barbey est un poème très lyrique : L’Ode aux héros des Thermopyles, qui est dédiée aux Grecs qu’il encourage dans leur lutte contre les Turcs.[2]
Or qui dit Grèce début XIXe, dit aussi, souvent, Byron…
Et l’on pourrait donc légitimement, dès son premier écrit, se poser la question de son influence.
Quand eut-il connaissance du poète et de ses œuvres?
Il avait 21 ans à la première grande traduction de Byron par Pichot, mais Byron était connu bien avant en France car les gazettes diverses donnaient des nouvelles du poète qui était un excellent sujet médiatique ! ainsi que des résumés et des traductions d’amateurs.
Ce poème est publié en 1825[3]. Il a seize ans. Dans une note qui le précède, il en fait remonter la composition à ses quinze ans et demi , ( admirons la précision ! 6 mois, cela compte à cet âge!), quinze ans et demi, cela fait exactement avril 1824 : coïncidence , Byron est mort le 19 avril 1824 …[4]
Mais divers éléments un peu longs à expliquer ici permettent d’avancer la date de composition à ses quatorze ans , donc en 1822, soit un an avant le départ pour la Grèce de Byron en juillet 1823[5] [6] .
Il y a donc beaucoup de probabilités pour que le choix de ce sujet lui soit personnel [7].
En fait, quand il le découvrit , sa personnalité affirmée et indépendante s’était précocement bâtie pendant l’enfance , sur des situations un peu semblables d’ailleurs à celles que vécut George Byron. Certes il a connu sans doute Alfieri et Byron assez tôt , mais le jeune Jules n’attendit pas Byron pour exister et l’influence de celui-ci fut plutôt diffuse et non déterminante . [8] Il se reconnut sans doute en lui une parenté qui le confortera toujours , comme une caution, dans sa propre façon de vivre et de sentir.
Ce poème d’un jeune garçon de quatorze-quinze ans n’est donc pas la première trace de Byron chez un Barbey malléable , mais la première marque de ressemblance entre les personnalités de Jules et George . [9]
Le jeune auteur : 1830-1844
Une publication aussi précoce laissait bien augurer et c’est dans la poésie que Jules Barbey se lance . Mais les éditeurs se refusent à le publier . De dépit, il jette tout au feu et choisit, vers 1830, le journalisme et le roman .
Là encore , des éléments de forme et de fond peuvent faire penser à Byron : [10] un style froid et ironique , cynique et désabusé, passionné et excessif ; le ton et de la confidence la plus tendre et de la vengeance la plus amère contre ses parents et une femme trop aimée , tantôt mis au service de la passion, tantôt l’en détournant , le thème de l’inceste , de la vengeance, de la mort, de l’amour impossible . Les premiers écrits, surtout sataniques et lyriques, sont suivis de textes plus ironiques et sarcastiques . On pressent un passionné qui cherche à se froidir, un sensible qui se protège en attaquant , un dandy encore instinctif .
Mais il se différencie aussi très nettement de Byron : à l’Italie et à l’Espagne, il substitue un cadre réaliste , tout proche et contemporain ; même pour des stances, c’est toujours la prose qu’il choisit et non les vers ; enfin il prétend très ouvertement couler dans ce moule des aventures personnelles et réelles . Il va même jusqu’à juger Byron presque de haut et ne lui ménage pas piques et critiques . [11][12]
[13] Par exemple, « On ne rêve jamais quand on a de la force d’esprit et de caractère. Obermann était presque un niais , et Byron un enfant gâté. »[14] A cette époque dans les oeuvres composées pour le public, Barbey n’est que fiel à l’égard de Byron.
Dans les oeuvres intimes aussi , on trouve des réactions du même type:
Ici, se heurtant à des difficultés pour faire paraître Germaine, il se laisse aller à rabaisser les raisons de la renommée précoce de Byron : « C’est une douleur que d’avoir l’aristocratie de lord Byron , sans avoir sa fortune. C’est là ce qui explique que je n’aie encore qu’une réputation de salon. »[15]
Là[16],[17], il évoque « lord Byron () mortellement déconsidéré par son départ pour la Grèce aux yeux des ladies . » et ajoute sans qu’on lui demande rien : « – Au fait , ce petit enfantillage militaire était assez ridicule . » [18] Se dédirait-il ?
A cette époque , rejettetrait-il Byron ?
Non car ses oeuvres intimes contiennent bien plus de louanges profondes que de critiques épidermiques .
Il le lit assidûment [19] : « je suis peut-être le seul en France qui sache à une virgule près ce qu’a écrit cet homme . J’ai la prétention de connaître Byron jusque dans les lignes les plus négligemment tracées, les moins littéraires, comme je connais sa personne morale dans ses moindres replis . »[20] Sa lecture lui est une véritable panacée : : « (…) comme (mon) attention est lâche et révoltée, (je) vais lire un peu du Byron, mon immense sympathie par les petites choses et par les grandes. » [21][22] [23] Il manifeste très souvent son admiration devant ses écrits et à tous points de vue.
Pourquoi alors cacher ainsi ses sentiments puisque son esprit critique et mordant n’a, au vrai, rien à redire à cette poésie ?
Il est jeune et pense sans doute qu’il faut éviter d’avoir l’air naïf et béat . Mais il y a aussi une autre raison qu’il confie dans la Bague : s’il ne montre pas au public son admiration pour Byron, c’est … par byronisme ! Car , à cette époque, il vit masqué, et c’est à Byron qu’il se compare aussi sur ce plan :
Ainsi nous lisons dans la première stance de la Bague , comment il l’a écrite : « Pour moi, je l’ai écrite, madame , dans la situation où je voudrais que vous fussiez pour la lire, et que Byron se rappelait sans nul doute quand il disait , dans ses Mémoires, qu’écrire la Fiancée d’Abydos l’avait empêché de mourir . C’est aussi l’histoire d’une fiancée, – mais mon poème est moins idéal que le sien » . Byron et Barbey savent que la littérature peut être «diversion » et sert aussi à masquer une douleur ; mais Barbey veut dépasser Byron en y ajoutant le sel de la vengeance.
Bien plus tard , il confiera : « Plein et brûlant de lord Byron, j’avais pris le ton du Juan sans y être encore autorisé par les expériences de la vie et j’avais écrit le tout dans une nuit »[24] « Oui, Aloys a été moi[25].(…) C’était moi le Byronien furieux ou plutôt l’Alférien que j’ai été pendant dix ans. (…) J’étais fort insupportable , tourmenté et tourmentant comme un homme qui , pour éviter d’être commun, eût sauté tous les sauts de loup que le monde appelle les convenances, la morale et la dignité. »[26]
[27]Par un processus spontané , il a dû en effet très tôt se masquer pour se protéger ou pour attaquer afin de se défendre[28] Peut-être que, avant même de connaître Byron et donc sans le copier, il en vint à ne plus pouvoir se livrer sans réserve à ses admirations . Et en arriva ensuite, à se raidir même envers celui qui, à ses yeux, avait pris le même genre d’attitude, Byron .
Car il aimait trouver chez lui ces côtés dandy qu’il allait pratiquer lui-même sans faille jusqu’à sa mort .
Physiquement , on le voit tantôt en dandy irréprochable, tantôt le col ouvert (à la Byron), debout, le regard sur l’horizon à conquérir, tantôt en veste à brandebourgs , en officier russe ou barbare, le poing sur la hanche, et la main appuyée, façon vainqueur, sur une pile de livres, tantôt avec l’immense cape rustique des bergers Normands ou Limousins contrastant avec l’habit noir des soirées . Plus qu’un Parisien, c’est un aventurier , normand ou grec… Il porte un intérêt très vif pour au vêtement , aux accessoires, aux objets parce que ces détails matériels sont des parties de la beauté qui l’obsède. Il ne rougit pas des soins qu’il donne à son corps et à sa toilette : il se fait boucler presque ostensiblement les cheveux . Byron le faisait aussi mais en secret [29]. Il prend soin de son corps qu’il faut maintenir svelte et viril[30][31], tout comme Byron, qui lutta contre une hérédité « arrondissante ».
Si Byron brûla sa vie par tous les bouts[32], Barbey qui ne mènera jamais lui ce genre de vie , se plaît par provocation à poser au Don Juan et à l’épicurien libertin .
Il est heureux de la beauté des autres, y prend plaisir et n’est jamais jaloux . Il ne prétend pas pour lui à l’impossible . Le type de beauté de Byron lui plaît infiniment, universel et androgyne: « J’() ai vu une femme qui ressemblait au profil de lord Byron rêveur, belle comme lui, mais plus dédaigneuse, et de teintes plus chaudes sous la peau . Superbe et indomptable créature ! Je donnerais un monde pour que ces prunelles d’acier bruni s’attendrissent en me regardant. »[33]
Lui , qui subit le remords esthétique, – se sentir laid – , souffre de sa laideur , mais a bien pris conscience que Byron, si beau, a aussi sa souffrance : il boite et Barbey y pense très souvent : c’est quasiment pour lui un point commun , une équivalence . La boiterie de Byron ne panse pas la blessure de sa propre laideur , mais c’est, dès le départ, une ressemblance de plus . Et il la voit comme une blessure attendrissante et séduisante.
Ainsi un jour qu’il s’est blessé au pied , il se réjouit de boiter avec la même grâce que lui : « Je rentre écrasé , – un pied dont je ne pourrai bientôt plus me servir en boitant avec une grâce qui eût fait envie à Byron. »[34] et il regrette presque d’être bientôt guéri …
S’il y trouve après coup des points communs avec Byron, sa vie littéraire et affective [35]lui semble plus riche, et c’est parfois à travers cette poésie qu’il vit ou surmonte ses problèmes : ainsi Paula, un mystérieux amour, a disparu sans explications et il en ressent des effets inattendus : « Il y a dans cette liaison expirée quelque chose de mystérieux qui rappelle et me consacre à jamais la fin du Corsaire, dans Byron. » [36] C’est en effet son poème préféré [37] parce qu’on y trouve (ou qu’on y cherche sans fin !) « ce charme de l’étrangeté et du mystère qui nous (le) fait préférer [38] à tous les autres poèmes de Byron. »[39]
Il réféchit ainsi littérairement sur l’oeuvre de Byron et comprend mieux l’attrait qu’exerce sur lui son esthétique.
Il commence également à oser « penser » Byron : [40] « Il avait la volonté contredisante de la femme . Si on lui niait quelque chose, il y prétendait immédiatement ; par exemple, on lui nia la facilité à faire des vers , et il devint poète. S’il était si affligé d’être boiteux, c’est qu’on pouvait l’accuser d’être tel et qu’il ne pouvait donner de démenti . Très enthousiaste et très impressionnable de naturel, son scepticisme et son dandysme étaient de la comédie. Aux plaines de Troie, il devint fou de sensations vives. Du reste, beaucoup de sang-froid dans le péril, – mais seulement dans le péril. »[41] Une attitude bien de dandy !
[42]Il s’est voulu , un temps, le roi des dandys en France et s’est fait reconnaître fièrement pour tel . Il consacra au dandysme un petit ouvrage .
Chose étrange à première vue, Byron n’ est cité qu’en passant dans cette oeuvre consacrée essentiellement à Brummell.
C’est que Brummell, lui , écrit-il, fut totalement satisfait par le genre de reconnaissance qu’il obtint de son public car il ne « pensait pas comme Byron – tantôt renégat et tantôt relaps du dandysme – que le monde ne vaut pas une seule des joies qu’il nous ôte . » Brummell n’est donc qu’un dandy , à ses yeux , alors que Byron fut bien autre chose!
Car il s’est rendu compte que le dandysme, affiché et protecteur, n’est qu’un masque sous lequel on ne peut pas vivre, que les froids dandies ont un rôle de composition, et que seule la passion est bonne à vivre : il veut bien que les sots le croient encore un dandy, mais il s’exclut finalement des dandys, comme il en exclut Byron.[43]
Cet opuscule clôt en fait sa période dandyque : Ce n’est plus par besoin de cacher ses admirations qu’il ne donne pas à Byron la couronne du dandysme, mais parce que s’amorce vaguement déjà, en 1845, une seconde période qui sera riche de grands changements dans sa vie … Cependant , son admiration ne changera pas d’objet … Simplement, il le verra différemment .
Deuxième période: de une Vieille maîtresse à un Prêtre marié , ( 45-66)
Barbey libère sa parole à tous égards et ne cache plus maintenant qu’il est un admirateur fervent de Byron .
On trouve des ressemblances non dites : ce n’est pas du plagiat , les oeuvres sont trop différentes, mais son goût et son inspiration le portaient instinctivement vers certains points communs avec Byron .[44]
Précises, les références et les citations fourmillent.[45]
Dans ses propres romans , par exemple, les héros sont clairement affichés aurevilliens et byroniens, mais d’après les nouveaux Barbey et Byron : passionnés, sensuels, sans frein …
Dans Une Vieille maîtresse[46], l’héroïne voit un homme pour la première fois, un homme dans lequel se dépeint Barbey tel qu’il se rêve : « Elle ne le jugea pas . Sa première pensée fut le Lara de Lord Byron; la seconde qu’elle l’aimait. » [47][48].
Dans un Prêtre Marié[49], l’écrivain se décrit en trois personnages dont l’un, Néel ressemble explicitement à Byron par sa beauté , ou à Barbey tel qu’il se rêve encore [50], [51]. Mais la beauté remarquable de Néel va être par-achevée , à ses yeux , par un événement qui lui donne une ressemblance de plus avec Byron… et , d’une certaine façon, avec son créateur, Barbey : à la suite d’une grave chute, Néel boite . Et « avec cette beauté de cristal, que la chute n’avait pas brisée , et cette claudication légère qui attendrissait sa démarche, il avait l’air « de cet Ange qui s’est heurté contre une étoile » dont Byron parlait un jour en parlant d’un boiteux comme lui. [52] . Ce thème aurevillien de la beauté qui est n’est parfaite qu’ avec un défaut , a trouvé , faut-il dit-il dire par hasard? – son incarnation en Byron lui-même . [53]
Littérairement aussi , Byron comparaît dans l’écrit aurevillien comme un modèle inégalable d’écrivain :[54][55]
Byron sait écrire sur tout , et même sur la douleur de devenir vieux : Barbey , quinquagénaire, s’exclame : « Ah! Il faut être diablement fort pour se permettre de parler de ses déchets ou de son âge aux gens que de telles choses n’intéressent guère, qui peuvent en avoir le dégoût, qui n’en ont jamais pitié. Byron blanchi avant le temps [56], meurtri par l’embonpoint un peu mou qu’il tenait de sa mère, a parlé de la fuite de sa jeunesse avec un sourire divin. [57]
Byron opère même des guérisons miraculeuses en littérature : en 1859, Barbey , critique souvent acerbe, rend compte d’un article d’un certain Nisard sur Byron : « Monsieur Nisard n’a pas toujours été aussi heureux , il n’a pas toujours eu cette critique large et cette sécurité de coup d’oeil . Mais c’est encore l’honneur du génie de lord Byron que d’avoir agrandi et pénétré cette poitrine d’humaniste et d’homme de goût un peu étroit qui semblait ne pouvoir respirer que dans l’air classique du XVII° siècle. »
Byron est aussi pour lui un dieu tutélaire, un professeur d’écriture : « Je vais maintenant finir mon Château , comme Byron a écrit Don Juan , – il en faisait quelques vers tous les jours – j’en tracerai quelques lignes , et que je puisse réussir comme lui ! »[58]
Byron là aussi pensait comme lui , (et non l’inverse!) , nous précise-t-il avec jubilation lorsqu’il décide de commencer un 3° Memorandum pour un ami et non pour une femme : « Le Memorandum appartient donc exclusivement aux amis. Lord Byron, qui s’est tant exprimé et tordu l’âme dans ses Memoranda , les adresse à lui-même ( son meilleur ami, que je crois!) ou à Hobbhouse ou à sa soeur . – Il n’y en a pas un seul à une des femmes qu’il a aimées . It is not singular !– Il sentait le vrai de ce que je viens d’indiquer. »[59]( Par parenthèse , ce mot si innocent « à sa soeur » montre bien, dans ce contexte que Barbey n’est sans doute pas au courant, en 1856, d’un inceste possible de Byron.)
[60]Un cri du coeur résume tout : « Byron ce nom que j’aime d’ailleurs tant à écrire. »[61]
Et, en sens inverse, on sent que, petit à petit il provoque les autres à accepter en lui cette ressemblance dont il se flatte : ainsi on pourrait relever, dans les confidences intimes comme dans les romans ou son comportement , beaucoup d’insinuations destinées à aider les autres à le percevoir, lui, d’Aurevilly comme de la même race que «Byron » [62] .
Cependant , les reproches de ses contemporains à l’égard de Byron se font plus vifs. Or Barbey , à cette époque , s’est ouvertement converti à un catholicisme très rigoriste sur le plan intellectuel … Il fait quelques concessions à l’opinion publique[63] , mais il ressent surtout le désir , et même le besoin , de le défendre .[64][65] …
En 1860, il écrira : « Comme poète et comme homme, le lord Byron du bruit que fait son nom n’est pas le lord Byron de la réalité , le lord Byron de ceux qui l’aiment et qui, à force de le regarder et de cohabiter avec son génie dans ses oeuvres, et dans ses Mémoires avec sa personne, ont vu le vrai lord Byron sous les attitudes, les affectations et le masque. »[66]
Son sentiment profond est que, si Byron a des défauts, ils sont non seulement excusables, mais si excusables que Byron n’est pas coupable : « lu toute la Fiancée d’Abydos avant d’aller me coucher.(…) – Pourquoi prétendent-ils que Byron est immoral? Qu’est-ce que deux ou trois plaisanteries , deux ou trois groupes ardents, en comparaison de toutes les adorables puretés de ses poèmes ? Byron est peut-être le plus grand poète des sentiments désintéressés et chastes . Zuleika , c’est une soeur. Non content des sentiments ordinaires de la vie, Byron s’invente des sentiments extraordinaires dans lesquels triomphe, mieux que dans les autres, la pureté de son génie : par exemple, la petite Leïla dans le Juan, – et la dédicace de Childe Harold à Yanthé . [67]– Qu’il le veuille ou non, qu’il l’ignore ou le sache, Byron, dans le fond de son âme est un chrétien. »[68]
Et d’écrire en toutes lettres en 1866 : « Byron immoral dans ses oeuvres ! pas plus qu’il ne fut libertin malgré sa réputation, dans sa vie ! »[69]
Il finit par admettre une partie de ses débordements et les justifie par la révolte normale contre son infirmité : « Byron (…) aimait[70] la force physique pour trois raisons souveraines: parce qu’il était un être idéal, délicat et infirme » [71][72]
Il décèle en lui un « esprit de contradiction avec lequel ( il se ferait ) bien fort d’expliquer toute la vie de lord Byron (…) Comprimé par la règle anglaise, ce Grec, dilaté par la vie libre de la Grèce, se donna l’affreuse courbature de se faire fanfaron de vices, pour justifier et exaspérer les cris de paon de la puritaine Angleterre… » [73] .
A y regarder de près, Barbey est le meilleur avocat de Byron parce que c’est sa propre cause qu’il plaide …
Mais une période de turbulences encore plus fortes va déferler .
Troisième période ( 1867-1878 )
Car autour de l’ année 1867, on commença à parler d’un inceste entre George Byron et Augusta , sa demi-soeur de père . Lamartine, très moralisateur pourtant, ne l’évoque même pas dans sa biographie de Byron parue en 1865 [74]. Barbey refusa d’y croire et se trouva alors plus que jamais dans la position d’un avocat , un avocat brillant qui trouvait sans cesse de nouvelles excuses ou explications aux actes de son client .
« Lord Byron, naïf et menteur comme les poètes, ces femmes redoublées, et se vantant de vices qu’il n’avait pas, n’est pas plus compris comme homme que comme poète (…C’ ) était l’être le plus chaste de nature, et probablement de moeurs [75] Telle est la vérité[76]. Le romantique et le vicieux sont des attitudes dont nous avons tous été dupes. Lord Byron – pour qui ne croit pas ce qu’il dit, car il ne faut pas toujours le croire, – lord Byron n’est qu’un artiste, qui n’aime que son art, et qui, quand il fait l’amour, pense à son art encore, le fait dans une vue d’art supérieur qui ne le quitte jamais, même sur le coeur de sa maîtresse. » [77]
Barbey s’agace autant contre les détracteurs qui le noircissent que contre la maîtresse du poète , Clara Guiccioli qui, en 1868, dans un livre de souvenirs, en fait un ange et discrédite ainsi son témoignage sur lequel il comptait tant … Lorsqu’il rend compte de ce livre dans un article , il plaide pour Byron dans un portrait très personnel : « [80] … qui sait si ce sombre et moqueur Byron, avec tout son génie, ne fut pas toujours , au fond , un enfant? …Et si ce ne fut pas sa manière à lui, sa plus claire manière , d’être un grand homme? … Et certes, je ne dis pas cela pour diminuer Byron . Les enfants sont les plus beaux des hommes . Jamais un homme, si beau qu’il puisse être, n’est beau comme un enfant est beau.[81]
(…) L’enfance avec sa grâce et ses mille choses divines, et aussi avec ses enfantillages, puisqu’elle est l’enfance, se mêle à la grandeur de Byron,[82] dont un des enfantillages, par exemple, et parmi tant d’autres, fut de vouloir être un dandy …[83]
(…[84]) Un jour( [85]) mêlant l’enfantillage à l’héroïsme, il se fit faire, avant de partir pour la Grèce, un beau casque d’or , de forme homérique, dont il aimait à parer son front devant le miroir de la Guiccioli , avec des coquetteries et des fatuités de Sardanapale… Ce fut peut-être la conscience obscure de ce qu’il était , qui lui inspira d’intituler Childe Harold le poème qui commença sa gloire. Childe Harold , c’est à dire l’enfant Harold !(…[86]) Comme les enfants, du reste, Byron, partout, autant dans sa vie que dans ses oeuvres, a été l’être vrai de tous les contrastes , et il n’y eut jamais d’autres explications à donner de son génie et de ses oeuvres que cette vérité.(…[87]) Car il était violent et doux, indolent et passionné, efféminé et héroïque, magnanime et mesquin, enthousiaste et moqueur, moral et immoral, sceptique et religieux ; il était tout cela en même temps et tour à tour, – comme les enfants sont ce qu’ils sont – et comme eux, en l’étant, il obéissait à sa nature .[88] »
Ainsi parle un Barbey lyrique qui admet et admire la complexité de Byron, alors que la comtesse Guiccioli, elle, « a calomnié Byron en beau et en bon , comme d’autres l’ont calomnié en laid et en mauvais. »[89]
« [90]Certes , il était beau , Lord Byron , – cela n’est pas douteux- et surtout il n’était pas si noir et si diable que les sots et les hypocrites protestants l’ont fait ; mais sous la plume de celle qui a pourtant un intérêt à le trouver irrésistible , il finit par être trop beau »[91]
« Le Byron vertueux que l’on trouve ici , le Byron éthéré, le Byron même anachorète, –[92]) , ce Byron enfin de perfection idéale, angélique et archangélique, m’inquiète légèrement , je l’avoue ; et quoique je n’aie jamais cru aux bêtises et aux calomnies du bégueulisme sur Byron, je ne crois pas pourtant qu’il fût si ange et si archange que cela. Il devait faire , très bien, ses sept petits péchés mortels par jour , – comme on dit que font les Justes… »
Cet article est l’occasion pour lui de rendre à Byron un hommage presque désespéré , comme pour conjurer une vérité qu’il pressent inévitable.[93]
Sa vision a donc beaucoup évolué : le Byron dandy , ironique et dangereux, a laissé place à un Byron chaste en réalité, puis à un Byron passionné mais fragile, et nous en sommes à un Byron « amer, () sauvage et () strident » [94] .
C’est en effet aux environs de 1869 qu’il a sans doute compris que presque tout ce qu’on reprochait au demi-frère d’Augusta était réel. [95] La vie de Byron qu’il percevait en rouge passion vire au noir .
Dans la poésie de Byron, il avait déjà perçu également le noir comme provenant de sa science à faire naître du mystère. Il approfondit [96]« ces poèmes étranges » , « ces merveilles d’invention qui s’appellent le Giaour, Lara, le Corsaire, » qui sont des « chefs-d’oeuvre d’impression pathétique et mystérieuse »[97][98][99] car le lecteur peut y rêver inépuisablement ce que ne dit pas le poète .[100]
Il écrit lui aussi ainsi et reviendra souvent sur ce thème[101], si souvent que l’on peut parler d’une littérature du mystère typiquement aurevillienne …[102] .
Mais la littérature n’est pas le tout de la vie . Et pour lui , cohérent, les deux doivent être mêlés . Byron est un exemple aussi de ce point de vue : « (sa) vie ressemble à ces fragments sublimes interrompus du Giaour, plaques de lumière et d’ombre et sa destinée est peut-être de rester mystérieuse , comme celle de ces Sphinx de l’Action, Lara et le Corsaire – ces mystères vivants qu’il a chantés! » [103]
[104]Cette esthétique structurante du mystère ou du « soupirail » a sa transposition également , pourrait -on dire , sur le plan moral : le contraste. Il sait bien qu’il est lui même fasciné par « ce charme de la goutte de lumière dans l’ombre et d’une seule vertu parmi plusieurs vices qui a toujours ensorcelé l’âme des hommes »[105] . [106].
Certains héros aurevilliens ont comme leurs frères byroniens , et tout comme le Satan d’Eloa, « la beauté attristée, la suavité du mal et de la nuit. » Ils sont noirs mais avec une qualité attachante [107], et les Célestes sont aimanté(e)s par les Diaboliques[108].
Petit à petit, Byron prend donc à ses yux une tonalité de plus en plus sombre, celle de la noirceur du Mal , de « la partie blasphématoire de la passion ». [110] [111]Or il dit comprendre ceux qui blasphèment . Il ne les condamne pas, et au moins une fois , il a avoué qu’il admirait « ces sombres figures de la Force blessée au coeur et qui continuent de vivre avec la fierté de la Force jusqu’au moment où , d’un dernier coup, Dieu les achève. » Barbey n’ose être plus clair dans son accusation contre Dieu .
Certes, il lutte contre cette attirance, mais il vit le présent en référence avec Byron : dès son retour en Normandie[112] il confie « je vis ici sur les grandes routes , entre des paysages immenses qui auraient plu à Byron »[113] . Ou il se retrouve toujours à 67 ans à lire et relire Byron : « Que les jours sont singuliers dans leurs différences ! Je viens de relire – ce matin même – le Giaour ! – Quel charme amer ! le poète y est pour beaucoup – d’abord pour la cause première – la cause – sans lui, rien !
Mais il y a autre chose que sa poésie . Il y a toute ma jeunesse ressuscitée et debout autour de moi ! c’est dans Byron que j’ai appris à lire – littérairement. (…)Je ne puis dire, ce n’est plus littéraire, l’incroyable sensation que vient de me donner cette centième ( peut-être) relecture du Giaour. »[114]
Il ne peut s’en déprendre et constate lucidement : « quoique j’ estime être bien guéri aujourd’hui, je sens cependant quelque bouton byronien qui repousse encore en moi et ne demande qu’à s’y épanouir. »
La force de cette attirance est telle que, dans une dernière période, nous assistons à un retournement inattendu de la part de celui qui est le champion de l’ultra-orthodoxie de son temps.
Barbey prend définitivement parti pour son Byron ( 1877-1889)
Certes, il ne peut plus oser faire ouvertement son apologie morale mais Byron reste encore la référence ! [115]
Par manque de temps nous nous bornerons à étudier la thématique des dernières oeuvres à travers les quelles on verra suffisamment clairement le sens de ses préoccupations.
[116][117] [118][119][120] .[121] ; [122] [123][124] [125][126] [127] [128] .
Il semble revenir à partir des années 1878 à ses premiers sentiments envers Byron. Est-ce seulement un effet de l’âge ? Non, car à 70-80 ans, il n’a rien perdu de son acuité intellectuelle et fait l’admiration de tous pour sa verdeur .
La réponse à cette question se trouve dans ses dernières oeuvres .
Il écrit alors un gros roman, Une Histoire sans nom, où domine le thème de l’inceste et des relations parents-enfants excessives, froides et passionnées .
Et compose une dernière oeuvre, qui conte un incesrte sous la Renaissance, dans laquelle la référence à Byron est dominante au point qu’il la publie d’abord sous le titre ambigu : Retour de Valognes. Un poème inédit de lord Byron .
Il précise la raison de l’attribution à Byron de cette histoire « on n’a pas encore trouvé de poète qui ait osé l’écrire , comme si les poètes n’aimaient pas la difficulté jusqu ’à l’impossible ! Il lui en faudrait un comme Chateaubriand , qui fit René , ou comme Byron , qui fit Parisina et Manfred. Deux sublimes génies chastes qui mêlaient la chasteté à la passion pour l’embraser mieux !
C’eût été à lord Byron surtout qui se vantait d’être Normand de descendance qu’il aurait appartenu d’écrire avec les intuitions du poème, cette chronique normande , passionnée comme une chronique italienne , et dont le souvenir ne plane plus que vaguement sur cette placide Normandie , qui respire d’une si longue haleine dans sa force. »[129]
Les motifs qu’il allègue ( la chasteté de Chateaubriand et de Byron ! et le normandisme de ce dernier ) cherchent – paradoxalement de façon ambiguë d’ailleurs – à dissimuler le thème irrépressible de l’inceste . Certes il ne dit pas que Byron ou Chateaubriand ont eu cette expérience et qu’ils ont eu raison : il dit simplement qu’ils auraient su en parler mieux que lui …[130].
Les dernières oeuvres, par un retour aux sources, reprennent donc ce thème de l’inceste développé dès les premières. Certes, les Barbey étaient 4 frères, et Jules n’avait pas de soeur , mais il a vécu mentalement, et plus qu’en rêve, cette tentation : Jules, tout petit, jeune, ou en âge d’épouser, aima le plus souvent des femmes inépousables, de sang trop proche ou trop âgées… et lui-même cite comme une des causes du désir incestueux la froideur d’une mère dont on désire la tendresse si violemment, si contradictoirement, qu’on vit ce désir dans la culpabilité .
Ce dernier texte, surtout soumis à la beauté, au désir et au plaisir , est hanté par ses propres souvenirs rêvés autant que par le Byron incestueux qu’il vient de découvrir.
Et sur ce point aussi et d’une manière aussi inattendue, il a retrouvé en Byron prédécesseur, un frère qui l’attendait …
Jusqu’à sa mort, il restera dans les mêmes dispositions : catholique ultra, mais relaps dans sa passion pour Byron à qui il pardonne tout .
En 1878, sans dire qu’ils sont réellement chrétiens, il donne place dans une Eglise invisible à des auteurs condamnés : « Shakespeare nous appartient, et Byron nous appartient, Musset , Lamartine, Hugo lui-même nous appartiennent aussi et tous ceux qui ont eu une minute de désintéressement adorateur et de vraie tendresse. »[131] : au soir de sa vie, à 80 ans, non seulement il aime Byron autant qu’au début de sa vie, mais il l’aime tout à la fois comme un dandy, un passionné, un révolté, un artiste, un enfant, un grand écrivain, un malheureux , un frère qu’il a découverts petit à petit .
(On peut aussi voir cette passion de Barbey pour Byron : lui qui vécut dans un dénuement matériel presque complet ( à part ce qui était la parade physique du dandy ), dans deux chambres dépouillées, a gardé des objets symboliques très byroniens lui semblait-il : sur la cheminée, une tête de mort sculptée dans un bloc de marbre blanc et lamée d’or[132] Sur la table, les cachets avec sa devise Too Late, Never More, ou un casque fermé, ou ses armes, tout ce qu’il faut pour écrire. Pas de bibliothèque (il donnait ses livres, empruntait les autres… ) sauf un missel en anglais, et les oeuvres de Byron, en anglais elles aussi, – fatiguées, et dont, disait-il, il savait tous les textes à la virgule près… [133])
Causes de sa vie
Peut-on trouver les causes de cette passion et en mesurer l’étendue ? …
Barbey a dit « Etre byronien, ce n’est pas être d’une école , c’est être d’une race » .
Cette impression de consanguinité naît de la constatation progressive de plusieurs traits de ressemblance , souvent précocement constitutifs d’une personnalité.
En voici un bref rappel :
Historiquement et géographiquement, Barbey est fier de leurs origines qui lui semblent communes : [134] Il se veut marin, nordique, Normand au sens de Viking, Pirate passionné à la laideur séduisante, et cherche ainsi un cousinage avec Byron en qui il voit un homme du Nord , écossais et calédonien, un Pirate libre et mystérieux .
Quant au physique, Byron, il se le rappelle, souffrit lui aussi d’un physique ingrat [135][136][137] car « à quinze ans, il était gras et timide » [138][139] d’où l’échec d’un premier amour dont le souvenir lui resta toute la vie et lui inspira un poème où deux vers se traduisent ainsi:
Et tous deux étaient jeunes, et un seul était beau,
Et tous deux étaient jeunes- mais d’une jeunesse différente.
Barbey débute tout aussi amèrement dans Treize ans :
« Elle était belle ; moi laid . »
Ce sentiment de laideur a des prolongements également ressemblants car George et Jules le vivent en relation avec leurs parents.
Selon Barbey , son père n’a jamais été un vrai père pour lui, et sa mère fut une mère « morte », froide et cruelle, si bien qu’ils furent les premiers à lui révéler qu’il était laid … et qu’il les accuse presque de l’avoir laissé mourir le jour de sa naissance [140] .
Lord Byron père, lui, abandonna ses deux enfants , Augusta 7 ans et George 2 ans, et mourut un an après. Byron, de son côté, accusa toujours la coquettarie de sa mère d’être responsable de sa boiterie [141], d’où des relations frustrantes et orageuses et une éducation en dents de scie …[142]
George et Jules eurent donc , de ce point de vue, une enfance assez malheureuse[143]dont l’inceste – accompli ou fantasmé – n’est qu’une des conséquences.
Lorsque le jeune Jules , à la personnalité déjà bien marquée, découvrit Byron , il a eu la surprise de discerner des ressemblances et en imagina aussi peut-être d’autres
Sans doute l’a-t-il lu très tôt , et peut-être en anglais[144] : plus tard, il racontait ainsi ses années de prime jeunesse [145] « Byron et Alfieri, me contait-il, n’ont que trop empoisonné les dix premières années de ma jeunesse. Ils ont été à la fois ma morphine et mon émétique ». « C’est dans Byron que j’ai appris à lire littérairement . Ses poèmes sont la première guirlande de roses noires qui ait tourné autour de mon adolescence , et qui en ait fait le thyrse de bacchante qu’elle a été. »[146]
C’est ainsi qu’il avoue être byronien involontairement par le jeu des ressemblances préexistantes et involontaires , puis byronien exprès par des choix réfléchis de similitudes ou d’influences .
Un point commun de plus : tous deux furent écrivains .[147] Nous n’avons pas le temps ici de parler plus avant des raisons qui les amenèrent tous deux à écrire . Il nous semble que comme il le disait de Byron, il est bien lui aussi « Fils de la Douleur et de l’Obstacle » engendré par la persécution d’un long échec. La réalité ne compensa peut-être pas les manques affectifs chez Byron, mais elle ne les compensa sûrement pas chez lui . L’écriture elle, a-t-elle mieux réussi à les aider sur le plan affectif ? Mieux , mais pas totalement puisque , à la fin de sa longue vie, Barbey , tout comme Byron écrivant le Difforme transformé qu’il n’eut pas le temps d’achever, reprend avec exactitude sa courbe de départ.
Une parenté de plus !
Conclusions
Mais nous avons tant parlé de similitudes que nous ne voudrions pas vous laisser sur une idée fausse de Barbey ! On peut être de la même race sans être une copie fidèle !
En réalité, nous aurions certes beaucoup plus à dire pour montrer toutes les différences entre Barbey et Byron : Leur naissance, leur milieu, leurs opinions et leurs vies sont très différentes .[148] Barbey ne connut pas les succès de tous ordres de Byron . Barbey avait besoin d’écrire pour gagner sa vie, Byron non. Barbey se consacra aux romans et nouvelles , articles de journaux, lettres et laissa quelques poèmes et journaux intimes. Byron écrivit essentiellement poésie, théâtre, Mémoires, lettres .
Barbey ne s’efforça pas tellement de ressembler à Byron, inimitable, mais accueillit les ressemblances et les cultiva avec passion . Le degré et le pourquoi de cette passion sont une des clés pour le comprendre . Il avait une forte personnalité, mais souffrit et voulut réagir . Il se trouva en Byron un appui puissant qui lui laissait son indépendance : un semblable qui lui préexistait sans qu’il le sache…, un semblable mais beau, mais célèbre, et qui en plus avait souffert presque comme lui , ce qui n’allait pas sans le consoler …
Certes Byron lui a posé des problèmes de cohérence de pensée , de foi et de vie, mais sa passion lui faisait dépasser tout cela …
Qu’aurait pensé Byron de Barbey ? Peut-être aurait-il trouvé que ce Français parlait trop et n’agissait pas assez , que son catholicisme-ultra était insupportable et purement verbal.. Aurait-il été attendri ou agacé ?
Inutile de rêver à ce qui n’a pas existé.
Barbey trouva, je crois, du bonheur à s’aimer en cet être si semblable à lui, et sut , envers et contre tout, aimer cet être si différent de lui . Et ceci me semble très beau.
Laissons Barbey conclure presque humblement : « Le mot de la fin sur Byron ne sera jamais dit . Prenons-en notre parti , si nous pouvons . Pour le dire , il aurait fallu une âme passionnée , vaillante et fière, et qui eût regardé l’opinion de ses contemporains bien en face, et qui eût dit : « Va te coucher! » à cette opinion qui , dans quelques jours, ira se coucher dans la tombe. »
N’en est-il pas encore ainsi maintenant pour qui veut parler de Byron ?
Et Jules Barbey d’Aurevilly ne fut-il vraiment pas cette âme fière, vaillante et passionnée?
Citer cet article :
Jules Barbey d’Aurevilly et George Byron
Marguerite CHAMPEAUX-ROUSSELOT , année 2005, publié sur www.barbey-daurevilly.com
[1]Ce serait pourtant intéressant à étudier en soi .
[2]Il voudrait même combattre à leurs côtés , mais, tout à coup il change de ton pour donner une information très réaliste : il a un empêchement:
Si je ne devais pas mon bras à ma patrie,
A Charle, aux Bourbons, à mes rois,
Grèce, j’irais aussi , sur ta terre chérie,
Essayer mon épée et défendre tes droits!
Alors, si j’expirais en ce jour de victoire,
Qui nous rappellent Marathon,
Que je mourrais heureux! puisqu’à jamais la gloire
De l’oubli sauverait mon nom !
Mais mon sang tout entier coulera pour la France !
(…) Vous Grecs, marchez!… que la victoire
Soit fidèle à vos étendards !
Marchez! Vous trouverez la gloire
Dans le sein des périls au milieu des hasards ! …
Marchez ! Pour moi, je consacre ma lyre
A chanter vos brillants exploits !
Marchez afin qu’on puisse dire :
« Ils ont vaincu sans le secours des rois! »
[3]mais il l’a envoyé à Casimir Delavigne le 12 octobre 24 et nous avons la réponse de celui-ci en date du 14 octobre 24
[4]Mais le jeune Jules ne fait pas même allusion à Byron ni à sa mort .
A supposer qu’il les connaissait , pourquoi ce silence ? Parce que ce serait hors sujet ? qu’il ne veut pas avouer qu’il l’imite dans ses préoccupations? qu’il le connaît mal? qu’il ne veut pas avouer son modèle ? qu’il n’ose pas s’y mesurer ?
Peut-être, eu égard aux dates, pouvons-nous avancer une autre solution :
Tout d’abord quand Barbey écrivit cela , il est douteux qu’il ait pensé immédiatement à une publication et qu’il l’ait instantanément envoyé à une sommité… Peut-être fallut-il bien un an entre l’écriture et l’édition à partir de l’échange de lettres avec Casimir Delavigne: c’est toujours lent de faire reconnaître sa littérature , surtout quand on a quinze ans !
A ces suppositions de bon sens vient se joindre le témoignage, peu connu, de son frère pour avancer la date de composition : « Oui, mon frère avait à peine quatorze ans quand il composa une pièce sur les Grecs ; en ce temps-là, c’était, vous le savez, une pluie de vers sur les Hellènes. Elle fut dédiée par lui à Casimir Delavigne, qui lui fit une réponse très flatteuse, laquelle fut imprimée ». Quoique Léon ait été apparemment impressionné par la précocité de son frère … sa légère ironie permet de penser que son témoignage n’est pas de type hagiographique.
[5]Part en Grèce en juillet 23 , en janvier 24 arrive à Misolonghi , meurt le 19 avril 24)
[6] (Par parenthèse , on pardonne mieux alors les faiblesses et les contradictions aatendrissantes de ce poème … d’un jeune homme de quatorze ans , idéaliste et courageux certes, mais encore mineur …)
[7]et ne soit pas seulement le succédané aurevillien d’un texte non-écrit de Byron
[8]Même si nous affirmons que Barbey les connut très tôt , il serait faux d’en retenir l’impression que la personnalité de Barbey était malléable et qu’il n’était qu’un Bernard l’Ermite …mais
[9] Il en sera de même pour autres ressesmblances Et nous verrons par la suite que Barbey ne connaîtra que fort tard une autre marque de ressemblance entre Byron et lui … D’ailleurs, nous le verrons, très honnêtement, Barbey rendra souvent à Byron ce qui est à Byron tant dans la genèse et l’évolution de sa personnalité que dans ses oeuvres .
Même si nous affirmons que Barbey connut très tôt Byron et Alfieri , pourtant mis à l’Index, il serait faux d’en tirer l’impression que la personnalité de Barbey était malléable et qu’il n’était qu’un Bernard l’Ermite …
[10]Sa première nouvelle, le Cachet d’onyx se fait remarquer par un style froid et ironique mis au service de la passion ; la seconde Léa , est un récit morbide d’amour incestueux qui devrait détourner de la passion . Un gros roman, Germaine , nous présente deux incestes dans un déchaînement parfois paroxystique , mais avec, là encore, une préface qui réfute ce roman lui-même . Un petit roman de moeurs, serré , la Bague d’Annibal, écrit sous la forme de stances, ( forme très byronienne, mais ici en prose ) a le ton et de la confidence la plus tendre et de la vengeance la plus amère contre ses parents et une femme trop aimée . La forme et le fond du Premier Memorandum sont souvent byroniens . L’Amour Impossible est un petit roman cynique puis désabusé , celui d’âmes vieillies qui ne connaissent plus la passion.
[11]Dès la seconde page de sa première nouvelle 1830 , Barbey se propose d’être supérieur en cruauté à Byron : « si vous êtes brave ce soir, voulez-vous que je vous dise une vengeance auprès de laquelle la vengeance d’Hassan, qui fait noyer vive dans un sac la belle Leïla du Giaour , est la chose du monde la plus rose et la plus gracieuse ? »
[12] Dans sa seconde nouvelle , 1831, Léa, la référence à Byron, également dès la seconde page, est un peu désobligeante dans son idéalisme excessif d’un réalisme presque matérialiste : « Keats se brisant un vaisseau sanguin dans la poitrine était plus nativement grand poète que ce splendide lord Byron lui-même , qu’un mouvement de rage ne put pas tuer. »
Dans la Bague d’Annibal, 1833 Barbey nous campe un héros qu’il admire pour « n’avoir singé ni Byron, ni Alfieri, ni Lovelace, ni Don Juan » … et plus loin il lui fait don d’un cadeau empoisonné : la connaissance de Byron qui est néfeste à l’amour : s’ il passe avec l’héroïne ses jours dans une solitude comme celle de Don Juan et de Haïdée , le bonheur ne s’y trouve pas car « malheureusement, le Juan était un gentilhomme accompli qui savait son Byron par coeur et qui avait passé sa jeunesse à faire une épouvantable consommation de gants blancs et à réfléchir sur la vie …. » Byron semble donc ici un modèle pervers à ne pas suivre …
Dans Amaïdée, 1834, le regard de Somegod, le poète, l’ami que Barbey s’est choisi , est heureusement tout à fait différent de celui de Byron, regard que « la Volupté et le Doute, ces deux énervations terribles, ne lui faisaient (pas) voiler à demi entre ses paupières rapprochées, regard de femme, de serpent et de mourant tout ensemble , que vous aviez , ô Byron ! »
[13]Dans Germaine, de 1835, 1833-36
[14]page 449 II. Le nom de Byron n’y figure pas autrement !
[15] En 1843 . Barbey écrit : « Etre un lord Byron d’instinct sinon de génie, et sans fortune dans cette société de meurt-de-faim et d’égalitaires, quel métier! … »Favardin Page 97
[16]1836 . par exemple, Byron est certes nommé dès le premier paragraphe, mais pour être contredit. Dans le Premier Memorandum même type d’attitude lorsque
[17] : « le sommeil sans rêves que souhaitait Byron » c’est à dire le suicide , ne permettra jamais en fait d’échapper à soi-même. Un peu plus loin, il note : « lu Pulci (Morgante maggiore), en comparant la traduction de lord Byron avec le texte. Assez exacte, mais non mot à mot , comme il s’en vantait . Encore une aberration de cet esprit irrégulier ( le moins critique des hommes) qui n’a jamais su juger ni lui-même ni les autres. Il mettait fort haut cette traduction et le poème lui-même et l’un et l’autre me semblent médiocres. »
[18]4 oct 36 Page 763
[19]19 sept 36 Page 745: « feuilleté la correspondance de lord Byron »
[20]LT 7 nov 1844
[21]page 1024 20 janvier 39
[22]Il le défend : ( il accuse les anglais et leurs moitiés ) « Ils ont tué Byron , les assassins! »10 oct 38 Page 982
[23]Il porte Byron aux nues dans le 1° Memorandum: « Il y a dans Don Juan malgré la verve malicieuse de l’auteur et par conséquent un peu exagératrice , et dans quelques pages des Mémoires de Lord Byron, plus de vérités saisies, plus d’intuition des défauts très personnels de la société anglaise , que dans tout Bulwer qui l’a fait poser devant lui. » 4 oct 36 page 762
[24]page 1265 : 2 sept 1875 : lettre à propos de la composition de la Bague :
[25]dans le temps ou j’écrivis, en une seule nuit, l’histoire de Joséphine , mon conte de Beppo, ou plutôt de Beppa , cette miniature que je vous ai dédiée en attendant que je puisse vous offrir une grande toile d’histoire
[26]Je ne sais comment, à cette époque , je ne suis pas mort en duel trente-six fois et comment les hommes ne me cherchaient pas querelle en sortant de tous les salons. page 1266 :
[27]Sa sensibilité a dû précocement dissimuler les souffrances causées par des parents peu aimants et un amour durablement malheureux .
[28]Il confie à son meilleur ami en 1837 : « Je me travaille l’âme pour que rien ne paraisse au dehors de mes pensées. »1837
[29]Surpris par un ami : « Ils frisent naturellement la nuit, concéda Byron, mais ne vends pas la mèche, s’il te plaît, car je suis aussi fier de mes boucles qu’une fille de seize ans. »Lord Byron, la malédiction du génie Ed.Taillandier, 1984, page 33
[30] Le dandy se doit d’être mince. D’abord pour des raisons esthétiques assez évidentes dans nos sociétés(dans nos sociétés du moins!). Mais aussi pour bien d’autres, de l’ordre de l’harmonie symbolique entre le corps et le reste.« La graisse est aussi laide à la vue que pernicieuse à l’intelligence « disait le beau poète cité par G.Matzneff dans La diététique de Lord Byron, Folio 1987, p.29et, à Lady Blessington qui le suppliait de renoncer à ses régimes de famine, il répondait: » Si je suivais votre conseil, je deviendrais gras et stupide : la liberté de mon esprit, la puissance de mon cerveau dépendent du régime que je suis. » cité par G.Matzneff dans La diététique de Lord Byron, Folio 1987, p.29. L’obésité est un » polype qui saisit la beauté et la tue lentement dans ses molles étreintes. « Du Dandysme, O.C.II p.701. Byron à 17 ans, pesait 90 kilos pour 1m70, et perdit 13 kilos en 4 ans…
[31]« Pas content de mon appétit qui est toujours vorace et que je dois mater si je ne veux pas gagner ce malséant embonpoint dont j’ai toujours eu horreur. »Premier Memorandum, 7 novembre 1836, p. 774
[32]au point que Barbey lui donne, comme à Tiresias, les deux sexes, et aimait le plaisir , les passions vécues , rêvées et /ou écrites
[33]20 nov 38 Page 992 20 nov 38 Page 992
[34]page 915 27 juin 38
[35]« Obligé d’interrompre pour me livrer à dévorer à mes pensées. Je veux les écrire pour qu’elles ne viennent plus me tourmenter , à mon chevet, comme une nuée de spectres . J’ai envie de les écrire , comme le Rêve de lord Byron, mais en prose, le vers est bien long à forger pour la rapidité électrique de mes sensations. »12 janvier 1837 page 811. Le Rêve évoque Marie Chaworth, et Barbey lui aussi a eu un premier échec en amour …
[36]10 oct 38 page 982
[37]« Passé la nuit à lire le Corsaire dans le texte anglais ; belle et fière chose que cette poésie ! »
[38]Lara et la fin du Corsaire
[39]: 16 juin 38 Page 905
[40] Barbey va se coucher « après avoir pris une note sur Byron . -…
[41]Page 932, 20 juillet 38:
[42]C’est sans doute en effet Byron qui l’a conduit à Brummell, ce Brummel dont « les gilets blancs causaient de si violentes insomnies à Byron ».
[43]Tout dandy qui se veut suprême le dit : les autres sont dandys, mais ils suivent une mode, moi, je suis différent.
[44]Vellini ressemble à cette Margarita de lord Byron page 307. Dans ses lettres, Byron raconte ses amours avec Margarita, qui par certains côtés, fait penser à Vellini . Il a failli mourir en mer : « sa joie, en me voyant revenir, avait un caractère de férocité; elle ressemblait à celle d’une tigresse retrouvant ses petits. » L’incinération de Juana ressemble à celle de Shelley . Ryno, le jour de ses noces , ressemble au jeune homme du Rêve de Lord Byron qui repense à ses premières amours au moment où il se marie , page 340
[45] 1848-49 B écrit une notice sur Raymond Lulle , d’après un roman de Dumas : « Noble , riche , vie de dandy, – à l’Alfieri et à la lord Byron ( Pascal aussi fut un dandy ) . (…) Maltraité_ comme Byron par sa Chaworth – il aime davantage, comme toutes les âmes fortes! » page 97
1849: Mme de Stasseville « aurait pu comme lord Byron parcourir le monde avec une bibliothèquen une cuisine et une volière dans sa voiture , amis elle n’en avait pas eui la moindre envie. » II page 148
1854 « J’ai vu Guérin gâtant son profil du dernier des Abencérages avec une cravate et des favoris ridicules, arrivant de chez M. de Lamennais avec la tournure d’un couvreur en ardoises, et peu de temps après, quand j’eus été son Ubalde, et quand je lui eus montré le Bouclier qui avait fait rougir Renaud de ses aiguillettes, il était transformé, élégant, poétique, ayant l’instinct de sa beauté mauresque, et il aurait donné des leçons de toilette et de manières à Lord Byron. »[45] I p. 249
29 sept 56 : Trébutien, son ami, a ses habitudes et Barbey ne veut pas le déranger : « Il est régulier comme lord Byron lui-même , et moi, je ne ne veux rien déranger à l’économie de sa vie , mais lui rendre ses habitudes plus chères quand je serai parti , parce que je les aurai partagées! » II p. 1033
16 septembre 58 : « lu du lord Byron – les quatre premiers chants de Childe-harold. – Le côté commun de Byron, si l’on peut employer ce mot enparlant de Byron, c’est qu’il est touriste.
Double échec à l’aristocrate et au poète.! On ne serait pas voyageur si on était encore plus aristocratique que l’on est. Il y a quelque chose de démocratique dans les voyages , un maour secret des majorités qu’on croit mépriser. Un plus grand poète encore que lui n’aurait pas , je crois , été si esclave des choses extéreures , et si admirateur de la Nature. – Mais alors quel poète c’eût été! »
23 septembre 58 Page 1093 : « lu toute la Fiancée d’Abydos avant d’aller me coucher. C’est un des poèmes de Byron qui ont eu le plus de succès , parce qu’il y avait de la tendresse – sentiment qui ne dépasse pas le niveau commun des âmes , – et de la couleur locale turque et grecque . Quelle critique que de dire le mot d’un succès ! – » Barbey regrette presque de trouver ces clés prosaïques d’un succès de Byron .
1860 ou 62 : de ces bas-bleu… (à dire sur un ton de mépris coléreux) qu’il déteste. Ce mot met en relation sa beauté et son affectation qui, selon lui, lui tiennent lieu de génie réel : » Disons le mot : malgré une émotion quelquefois très éloquente et une émotion quelquefois très sincère, Mme de Girardin était affectée. Elle était affectée comme Lord Byron qui, lui aussi, était affecté : mais elle n’avait pas le talent de Lord Byron… Parce qu’elle était elle, c’est la vérité! comme une Walkyrie, elle croyait sérieusement marcher sur un nuage (…) cette Belle impétueuse qui se faisait un peu trop de rayons autour de sa tête avec ses longs tire-bouchons d’or « 16 septembre 58. La beauté est une recommandation à l’envers, quand Barbey n’aime pas les gens…
[46]1845-49
[47] Une autre femme piétine avec haine un médaillon : « Pour un fait à peu près pareil , lord Byron avait été jugé fou par la sagace et raisonnable Angleterre. » et naturellement Barbey absout et son héroïne et Byron.
[48] Hermangarde et Ryno vivent un grand amour près de la mer : Barbey justifie son choix de romancier ainsi : « Le plus grand de tous (les poètes) n’a-t-il pas suspendu le frais tableau d’un amour sublime de passion vraie et d’innocence aux côtes sinueuses d’une des Cyclades? Dans tout amoureux, il y a un grand poète. »page 368
[49]( 1855-65)
[50]autres allusions : page 884 (eau sinistre: allusion au sac de Leïla)
[51] « ses cheveux semblaient des plumes , tant ils étaient légers et diaphanes ! et qui bouclaient , courts et pressés, autour de sa tête élégante, coiffée comme depuis on a vu se coiffer lord Byron . »page 918
[52]page 1065. J.Petit n’a pu retrouver l’origine de cette citation .
[53]Dans une des Diaboliques de cette époque , (1870-73), son héros mêle en lui un peu des héros byroniens et un peu du Barbey disgrâcié , pour un résultat très séducteur : « Lord Byron devenait fort à la mode en ce temps-là et quand Mesnilgrand était silencieux et contenu, il y avait en lui quelque chose des héros de Byron. Ce n’était pas la beauté régulière que les jeunes personnes à âme froide recherchent. Il était rudement laid ; mais son visage pâle et ravagé, ses cheveux châtains restés très jeunes, son front ridé prématurément, comme celui de Lara ou du Corsaire, son nez épaté de léopard, ses yeux glauques, légèrement bordés d’un filet de sang comme ceux des chevaux de race très ardents, avaient une expression devant laquelle les plus moqueuses de la ville de *** se sentaient troublées. (…) Grand, fort, bien tourné, quoiqu’il se voûtât un peu du haut de son corps (…) » O.C.II page 184. « il se distinguait -impérialement – de tous les autres. Ces officiers, anciens beaux de l’Empire, où il y eut tant de beaux, avaient certes! de la beauté et même de l’élégance ; mais leur beauté était régulière, tempéramenteuse, purement ou impurement physique, et leur élégance soldatesque. » Ce Mesnilgrand, laid mais séduisant, est une des concrétisations de Barbey-Byron .
[54]dans Un Prêtre marié , Langrune conte l’histoire du médaillon et le narrateur prétend transcrire : « J’emportais chaque matin l’histoire de Rollon sur ma pensée, ou plutôt j’emportais ma pensée , toute plongée en l’histoire de Rollon , comme le plongeur qui marcherait sous sa cloche de verre et qui la déplacerait avec lui …Rentré chez moi en proie aux émotions qu’elle m’avait causées, je faisais comme Polidori , après avoir entendu ce poème inédit et perdu de lord Byron, qui est resté perdu, car ce n’est pas le récit de Polidori qui l’a remplacé. »
[55]Page 881
[56]ceci est à prendre au sens propre exactement.
[57]Chateaubriand n’a pas eu cette moquerie, faite de larmes et si tristement riante ; il a presque hurlé son désespoir d’être vieux, – oui, hurlé à la Philoctète, quand le sang du centaure a empoisonné son pied ! A la bonne heure ! Voilà des poëtes! … Mais pleurer comme un fromage sur chaque dent qui file et vous tombe… Est-ce là une inspiration, je ne dis pas d’un Poëte, mais d’un homme?… Ah! Pensons aux splendides vieillesses de Léonard de Vinci, ce sorcier qui se fit aimer de la Monna Lisa, de Michel-Ange et de Titien, le centenaire, et jugeons de là la poésie de soixante-seize ans de ce polisson chauve de Béranger!
Pardon de tout ceci, je n’en voulais pas dire si long mon ami, mais la plume m’a emporté, – comme un chariot! » Correspondance, VI, p.53, 28 novembre 1857
[58]page 1452 le 25 mars 56
[59]le 28 septembre 56 Page 1028
[60]En 1860
[61]Il note la séduction que Byron exerce sur lui et n’hésite jamais à donner ses raisons d’admirer Byron. .
[62]première fois où il se dit tel: « ce portrait noir, sévère et Byronien » 30 novembre 64 page 1099
[63]lorsqu’il parle de « ces Titans du doute , de l’incrédulité et de l’orgueil , comme Byron, ce grand boiteux d’esprit, comme il l’était de corps, en avait tant élevé sur leurs pieds d’argile » . Mais en fait il est plus proche de la sincérité lorsqu’il justifie Byron à l’occasion d’un article sur son ami Beauvoir: Beauvoir, « Lui le byronien des anciens jours , n’a gardé de son byronisme que les nuances humaines qui appartiennent à toutes les âmes ; car Byron dont l’admiration a fait une manière et à qui l’affectation en avait donné une, n’est plus qu’humain dans la partie vraiment supérieure de ses oeuvres. » Autrement dit , si vous regardez les parties inférieures des oeuvres de Byron, c’est vous qui choississez de voir les parties défectueuses ! Article sur Pécontal , 22 nov 1856 , III 359 , et sur Beauvoir , 6 novembre 1853 . Dans ce dernier article, Barbey n’explique pas , malheureusement, quelles sont ces nuances humaines de Byron
[64]Il modifie la réédition du Dandysme dans le sens de ses nouvelles convictions il insiste maintennant sur lele droit à la passion, et la permission, presque le deveoir , de la laisser s’exprimer et ajoute en 1861 une note significative qui exclut Byron du dandysme froid compassé et calculateur : « Le dandysme n’est pas l’art brutal de mettre une cravate. Il y a même des dandys qui n’en ont jamais porté. Exemple, lord Byron qui avait le cou si beau! »
[65] Byron, tout comme le Barbey d’alors, ne sont presque plus des dandys, intérieurement au moins.. page 699:
[66] on sera bien étonné le jour où un homme intuitif et qui ne se paiera pas de phrases toutes faites , dira la vérité sur lord Byron et tordra avec ses pincettes, les oreilles d’âne de la critique superficielle, comme saint Dunstan tordit le nez au diable , nous dit Walter Scott.( le Pays, 28 novembre 1860) .
[67]Il disait dans son génie , ce que Jésus-Christ disait de sa vie mortelle : Sinite parvulos ad me venire .
[68]23 septembre 58 Page 1093
[69]Cf article dans Le pays 29 mars 1859 .
voir aussi B d’A , Le XIX° siècle, p.80 et les Juges jugés page 110
[70] au sens les plus divers
[71] , a toute sa vie recherché et choyé les heureuses créatures douées de cette mystérieuse puissance, si loin de lui qu’elles fussent d’ailleurs par la pensée, le sentiment, et les autres distinctions faites par la nature et la société. » article paru le 29 mars 1859 dans Le Pays, sur Souvenirs sur les derniers jours de la vie de Shelley et de Byron, par E.J.Trelawney, et sur Lord Byron et la société anglaise par D.Nisard.
[72] c’est grâce à cette révolte, selon Barbey , qu’il existe .
[73]un Article de 1864 :Note qui donne page 1517
[74]Cependant, encore en 1865, Lamartine, dans Le Constitutionnel, écrivant la Vie de lord Byron, sur un ton très moralisateur, dans un long feuilleton de septembre à décembre 1865, ignore pourtant Augusta, et ne la mentionne que vers la fin de sa vie, et en deux lignes : « cette soeur de père et non de mère, était Mme Leigh, qu’il voyait peu, mais qui fut constamment pour lui la plus raisonnable et la plus constante des amies. » . L’omission aurait été possible, mais ici Lamartine prend visiblement parti . Les avis, comme on le voit, étaient encore alors très partagés! page 115, réédité par la Bibliothèque Nationale, 1989
[75](? – voilà pour l’homme ! -)
[76]cependant
[77] A propos du Lara de lord Byron à l’Opéra Comique, article dans Le Pays 24 avril 1864. O.H.XII page 307
[78] « Il n’y a dans le monde que deux familles d’esprits , ceux qui ont la puissance du rire, les léges, les aériens, les fiers , les ironiques et les charmants qui sonnent les fanfares de l’esprit et la marche trimphale des sentiments humains les plus vainqueurs , et les plaintifs, les gémissants, les lourds, les ténébreux , les accroupis dans les lamentations et dans les larmes , les Job enfin, avec plus ou moins de femmes, d’amis , de lèpre et de fumier ! » 1867 Page 316
[79] L’intransigeance habituelle de Barbey va jusqu’à comprendre les blasphèmes de Byron, comprenant trop la tristesse pour la condamner, exigeant toutefois qu’elle soit violente : « Ah je comprends la misanthropie, je comprends l’impiété ! cette misanthropie contre Dieu ! Ce n’est pas moi qui repousserai jamais un sentiment quand son expression sera énergique , le plus haut point de sa vérité ! » 1867 Page 316 Or c’était le cas de Byron qui a, selon lui, « le rire gastralgique et saccadé dans lequel tombent les larmes et qui les dévore , et cette passion infinie qui fait trembler le feu de l’esprit dans des plaisanteries désespérées. »28 novembre 1860 , XII, 293, Lawrence, A Outrance .
[80] Byron n’était qu’un enfant , qu’on ne peut donc critiquer comme on le ferait d’un adulte ! page 290, Les Bas-Bleus Ed. Slatkine Reprints, Genève I968: « Byron, la mobilité dans la profondeur , un arc en ciel sur un gouffre. Il y a plus charmant et plus changeant encore que l’arc en ciel , pour exprimer toutes les nuances de la fantaisie , et c’est l’enfance ; c’est l’impatientante et adorable enfance ! Or
[81]Né depuis moins de temps et sorti fraîchement des mains de Dieu , il semble radieusement imprégné des baisers que Dieu lui donnait encore ce matin… Il semble qu’il y ait sur les roses de son front un reflet des portes du ciel , et de la première aurore de la création. .. Eh bien ! Byron, dans son génie, est un enfant de cette beauté-là .
[82]– de ce Byron, le plus grand des poètes de notre âge, et
[83]page 287
[84]Un jour, il écrivait , en 1821 à Ravenne: « Un des plus accablants et mortels sentiments de ma vie, c’est de sentir que je n’étais plus un enfant . »Mais quand il écrivait cela, comme il se trompait ! Il n’avait jamais cessé de l’être et il le fut toujours .Ce beau front de jeune homme qu’il emporta comme Achille si prématurément dans sa tombe, il ne put jamais entièrement l’essuyer des teintes d’aurore de l’enfance. Elle y étaient encore à l’heure de mourir,
[85]quand
[86] comme plus tard il fut l’enfant Juan , un autre enfant encore !
[87] Oui, l’être vrai de tous les contrastes!
[88]Et parcequ’il était tout cela également, parce que sa nature était toutes les natures, ceux qui l’ont haï et ceux qui l’ont aimé ont pu choisir en lui ce qu’ils ont voulu de ces contrastes pour l’accuser ou pour le défendre , pour le faire adorer ou pour le maudire ! Il a été leur Musée d’armes , à tous! Pour lui ou contre lui ; et ils ont pu prendre ce qu’ils voulaient dans le tas!
[89]Elle a fait, selon Barbey , « un Byron purifié et rectifié , une délicate purification de Byron, et les vertus de Byron font un drôle d’effet…
[90]C’est un « Byron de vitrail et de sainte chapelle (…)
[91] , et on lui voudrait , au moins, une des verrues que Cromwell disait à son peintre de ne pas oublier.Finalement, Byron, « aigle désaccouplé (…) n’a trouvé qu’une pigeonne où il croyait peut-être trouver une femelle de son espèce et de sa race . () lord Byron, l’ennemi des bas-bleus a toujours été leur victime . Orphée est toujours victime des Ménades. » Et sa maîtresse à qui « il avait donné ce coeur brisé (…) le lui a si maladroitement embaumé. » page 290, Les Bas-Bleus Ed. Slatkine Reprints, Genève I968 .
[92]– comme saint Antoine –
[93]Il dit quelle vérité de Byron il accepte: il ne le fait ni tout blanc ni tout noir .
[94]quelque chose de beaucoup plus sombre que Musset : « Jamais en effet l’amer, le sauvage et le strident Byron n’eut même dans ses oeuvres qui voulaient être tendres (…) la tendresse , la pureté, la mélancolie au divin sourire d’Alfred de Musset . Jamais Byron n’eut de ces touches mouillées, de ces rosées d’éther … Byron rugit toujours un peu quand il roucoule (…) Le caractère du génie de Byron, c’est la fierté , une fierté incoercible. Le caractère du génie de Musset, c’est , au contraire, la tendresse… »Article sur Musset , 9 avril 1877 ?XXIII, 283 . page 478 1877.
[95]Au delà du choc initial que ce dut être , lui qui a toujours voulu garder son gant blanc a sans doute finalement admis que Byron avait, dans une certaine mesure, fait preuve de faiblesse(s) dans sa vie . Mais sa condamnation ne va pas au-delà .
[96]ce thème : en 1875 , il évoque
[97] et de figures héroïques et fatales creusées dans l’imagination du lecteur , comme aucun poète n’en creusa jamais à pareille profondeur dans l’imagination humaine. »30 juin 1875 , ou XI , 313.
[98]( VII , P 330 )
[99]En effet, nous ne savons qui est le Corsaire ; la mort de Médora, la disparition de Conrad ne nous sont point expliquées à la fin du poème; Lara et Kaled restent mystérieux . Le Giaour est composé de morceaux entre lesquels
[100]Un livre n’a de valeur à ses yeux que s’il a « ce charme qui fait revenir au souvenir du livre par la rêverie, le charme qui est le propre de l’art. ».
[101], noté dès le Salon de 1872,
[102]Tout ce qui serait clair s’achèverait en quelque manière sur soi-même, ne conduirait à rien.Le rôle de l’écrivain, le but de la littérature, n’est pas de tout dire, mais d’indiquer une voie , de tracer un chemin à l’imagination
[103] 1877, article des Bas-Bleus.
[104]Sur un plan littéraire, Barbey essaie de pratiquer et défend toutes ces qualités qui , dit-il , « font éclair sur les profondeurs de la vie. »[104]
[105] et qui l’a transportée d’enthousiasme , bien plus, hélas! que l’étendue de la lumière complète et que la pureté de toutes les vertus .article à propos de Lawrence , XII , 98
[106]Par parenthèse, ce thème du contraste rejoint celui de la beauté : selon Barbey , la beauté pure qui n’est que beauté a quelque chose d’impossible ou de diabolique . Elle n’est séduisante et parfaite qu’avec un défaut . Et ceci s’applique également à l’adorable Byron, – le mot est de Barbey!- être réel d’une grande beauté et justement qui boitait…
[107]( Jéhoël, Sombreval, Monsieur Jacques )
[108]( Sombreval et sa fille, Jehoël et Jeanne, Dorsay et Hortense , Reginald et Léa , Hermangarde et Ryno, Allan et Germaine )
[109]Dans la séduction même que Byron exerce , Baudelaire discerne les « rayons splendides, éblouissants , » qu’il projette « sur le Lucifer latent qui est insptallé dans tout coeur humain. »L’Art romantique, Théodore de Banville, dans édition de la Pléiade, p . 1115 . , la « malédiction originelle » qui trouve son origine dans l’homme … Ces thèmes du mystère et du contraste , thèmes esthétiques, mais qui ont de nombreuses autres harmoniques , sont des points communs de plus que Barbey voit entre Byron et lui .
[110]En constatant cette fascination que cela exerce sur les hommes, le chrétien maistrien y décèle les conséquences du péché originel que Byron , lui , a refusé pour la remplacer par celle d’une malédiction d’origine inconnue , d’une obscure culpabilité, qui est son équivalent humain et poétique .Mais c’est Dieu alors qu’il accuse !
[111]Mais l’univers aurevillien, même après la conversion, est lui aussi un univers du péché ; Byron en est le poète, comme de Maistre le métaphysicien. Et
[112]à Valognes
[113] II page 430 (1875),
[114]4 juin 75 : Disjecta membra . (« Ses poèmes sont la première guirlande de roses noires qui ait tourné autour de mon adolescence , et qui en ait fait le thyrse de bacchante qu’elle a été … »)
[115] Barbey pense à la mort et se voit là bien différent de Byron qui mourut précocément: publié en 1879 : Byron est mort à 39 ans, Géricault est mort à 33 ans : il « ne prend pas l’imagination que par ses oeuvres. Il la prend aussi par cette puissance de l’homme de génie qui n’a pas tout donné et dont les travaux ont été interrompus par la mort, – la mort venue en pleine jeunesse! Charme sur charme! Le charme de la mort qui embellit tout, et qui ajoute au charme de la gloire acquise, le charme inouï de la gloire qu’on pouvait acquérir et l’inexprimable beauté du regret! »article, sur Géricault Sensations d’Art, 1879. Byron disait « ceux que les dieux aiment meurent jeunes.» C’est une idée fréquente dans les mythologies … consolante…. « Les jours de notre jeunesse sont les jours de notre gloire. » cité par Gilbert Martineau dans Lord Byron la malédiction du génie, . Page de garde .
[116]A 72 ans, se pose la question de la publication de sa correspondance . Il prend évidemment l’exemple de Byron et fait un rapprochement intéressant entre le portrait-peinture et le portrait qui ressort de la Correspondance d’un auteur .Byron, dit-il, qui ne courait aucun risque en se faisant peindre, fut en fait très discret à propos de sa propre beauté puisqu’il ne se fit presque jamais portraiturer … et Barbey de regretter que bien des contemporains n’aient pas cette retenue , surtout quand ils sont laids ! « En art, il n’y a rien de laid en soi, et tout peut être abordé. Ceci n’est pas faux à une certaine profondeur, et en l’expliquant; mais comme c’est commode pour les gens laids, qui reculeraient pudiquement devant leur laideur ! Aussi en pleut-il des portraits (En peinture, vous verrez là-haut, et ici, en bustes de toutes les grandeurs et en médaillons.) Lord Byron, qui était le plus poète et le visage le plus beau de toute l’Angleterre, répugnait au buste… Nous n’avons plus de ces timidités fières, de ces nobles peurs d’être en dessous de l’Idéal. » Sensations d’art : le Salon de 1872 , page 249.
[117] Barbey tient depuis toujours que l’homme-écrivain , même s’il se masque, peut aussi être connu à travers même ses oeuvres d’imagination ou de critique , mais au premier chef, surtout à travers sa Correspondance qui en livre le portrait le plus fidèle et restitue toute la complexité et la vérité de l’auteur : « Il est, dans l’histoire littéraire, des écrivains d’une étrange dissonance qui masquent leur caractère par leur génie, et ceux-là, pour être compris, doivent laisser derrière eux une Correspondance ou des Mémoires qui renseignent sur ce qu’ils furent, en dehors de leurs écrits, et qui nous donnent la réalité de leur vie, après l’idéalité de leur pensée. Ainsi, par exemple, sans les Mémoires et les lettres de Lord Byron, qui aurait su que le sombre poète du Giaour cachait un dandy, jaloux de Brummell et de ses gilets, et le terrible jacobin de la Vision du Jugement et des vers atroces contre Castlereagh, le plus hautain des aristocrates?… »L’écriture, tant l’oeuvre volontaire que les lettres spontanées, est elle aussi à sa manière une excellente portraitiste pour qui sait lire .
[118] Mais ceci peut être dangereux pour l’écrivain reconnu ! l’écrivain risque d’être déconsidéré par l’homme découvert dans la correspondance, les journaux intimes, voire les poèmes trop intimes … D’où le risque que La vérité de l’homme peut tue son portrait volontairement embelli : il note admirativement que Byron lui ne perd rien à être connu à travers sa correspondance :Barbey note que
[119] « Dans les livres écrits pour le public, il y a toujours (…) un sujet qui peut le passionner ou des faits qui peuvent l’intéresser (…) mais dans une Correspondance, non ! Tant vaut l’homme, tant vaut le livre. Le sujet, c’est l’homme même qui écrit. (…) On apprend, dans une Correspondance, comment on est Goethe, et comment on est Byron, et voilà pourquoi les Correspondances sont si intéressantes quand on est Goethe ou Byron ! Mais s’il n’y a pas de supériorité réelle (…) il ne faut pas s’exposer (…) à ce qu’on revienne de l’homme à l’auteur et de la Correspondance aux livres, pour commencer une réaction à laquelle personne ne pensait ! »OEH XIII, 167
[120]A 75 ans, un Barbey timide et orgueilleux, craint donc de décevoir si on publie ses lettres à lui. Il le craignait déjà en 1853 et avait répondu à Trébutien : « Des Lettres! imprimer des lettres, c’est comme faire son buste. Littérairement suis-je assez pour que ce ne soit pas une immense fatuité! »(C.G. III p 198 )
[121] On sait que Barbey craignait et refusait alors les photos et portraits … Par contre Byron, beau et célèbre, lui , pouvait faire faire son buste, sa statue, son portrait … et il ne l’a pas fait . Ou plutôt il l’a fait , car Barbey estime que l’écriture , y compris les écrits intimes, en a été l’équivalent et Barbey écrit à propos des Mémoires de Byron, rappelant une fois de plus la douleur que Byron avait d’être boiteux : « Byron (…) d’ailleurs, n’a plus besoin de jambes, car il est passé buste, comme Homère, et Virgile, et Shakespeare, et Dante. Ses jambes sont un socle impossible à briser sous un buste immortel. »(OEH VI 102) Finalement la Correspondance de Barbey ne sera pas publiée de son vivant : il se situait de lui-même bien en dessous de Byron…
[122]La réédition de ses oeuvres, puisqu’il ne peut plus faire tout haut l’apologie de Byron, lui donne l’occasion de corriger ses textes anciens en faveur de Byron, avec constance et de façon presque invisible… Ce travail , s’il est peu connu car discret , est extrêmement significatif . En voici quelques exemples . 5 exemples : 3 suppressions et 2 ajouts : Dans la réédition du IV° Memorandum, suppression d’un texte sévère pour Byron que voici : « Double échec à l’aristocrate et au poète! On ne serait pas voyageur si on était encore plus aristocratique que l’on est. Il y a quelque chose de démocratique dans les voyages , un amour secret des majorités qu’on croit mépriser. »
[123]Il supprime en 1884 ce texte sévère de 1835 que nous avons lu : « On ne rêve pas quand on a de la force d’esprit et de caractère. Oberman était niais, et Byron un enfant gâté »Germaine
[124] Il ajoute une note au Dandysme : « Si on était passionné, on serait trop vrai pour être Dandy. Alfieri n’aurait jamais pu l’être , et Byron ne l’était qu’à certains jours . » page 1879 page 686
[125] Il reprend, 40 ans après , en 1884,
[126] , Germaine ou la Pitié qui n’avait jamais été publié : il ajoute toute une page décrivant le bel Allan , à propos duquel le nom de Byron n’était même pas mentionné, et qui tourne maintenant autour de lui : « le front semblable à une coupe voluptueuse par la forme et la grâce de son adorable contour » avec cette précision : « La mère d’Allan , une Anglaise, avait, dit-on, passé les neuf mois entiers de sa grossesse à regarder avec une obstination superstitieuse, le portrait de lord Byron , dont elle était folle, et ce front de génie – où la pruderie épouvantée de l’Angleterre voyait le coin de la démence dans un de ses angles hardiment prolongés sous la masse des cheveux bouclés qui le couronnaient , – ce front à la fois charmant et sublime, elle l’avait donné à son fils.» C’était là ce qui sautait aux yeux de qui regardait Allan pour la première fois , et ce n’était guères que plus tard qu’on s’apercevait des originales beautés d’un visage qui ne ressemblait qu’à lui-même. (…) les cheveux d’Allan étaient naturellement annelés et tassés autour de sa tête brune, comme s’ils eussent été des cheveux de jeune fille. II Page 388
[127] Il enlève donc les critiques, ajoute ce qui est pour lui des qualités, et par contre n’ose plus maintenir un texte de 1858 dans la réédition du IV° Memorandum, en 1884 , soit 26 ans après : « Byron immoral dans ses oeuvres ! pas plus qu’il ne fut libertin malgré sa réputation, dans sa vie ! on sera bien étonné le jour où un homme intuitif et qui ne se paiera pas de phrases toutes faites , dira la vérité sur lord Byron et tordra avec ses pincettes, les oreilles d’âne de la critique superficielle. »variante citée II page 1557 :
[128]Tout ceci montre clairement que Barbey sait les faute de Byron.
[129]page 273
[130]et il se présente comme son émule. Il y dit lui-même son désir d’une façon symbolique mais claire .
[131]page 514
[132]cf. A.Pichot Byron, page 20 : « La bizarrerie du noble lord fut surtout remarquable dans le choix qu’il fit pour sa coupe de la tête d’un de ses ancêtres. () C’était la coupe de cérémonie quand Lord Byron présidait l’ordre du Crâne, qu’il avait créé ». la maquette en cire d’un saint Michel (sans doute l’Androgyne céleste de Judith Gautier… ), un bougeoir fait d’une baïonnette tordue et nickelée.
[133] Par exemple il écrit qu’il vient de relire, pour la millième fois peut-être, les Memoranda de Byron.
[134] Byron « Quelque chose qui survienne entre nous et les premiers goûts de l’enfance, qui n’aime à se rappeler ce qui frappa d’abord ses yeux? () Le transport de l’enfant survivait dans le jeune homme. » (L’île ou Christian, Ch III) Moi aussi! pourrait s’écrier Barbey et nombreux sont les passages où la mer est décrite comme son pays à lui aussi . ans la première traduction suivie de Byron, et que Barbey lut sans doute, Pichot compare la mer à la nourrice de Byron : « Se retrouver au milieu des mers, c’était pour lui, comme pour Childe-Harold, ne pas avoir quitté sa patrie, c’était, pour ainsi dire, être porté dans son premier voyage, par sa nourrice, par la confidente de ses premiers plaisirs. … »Puis il cite Chateaubriand lui-même : « Presque toujours, notre manière de voir et de sentir tient aux réminiscences de notre jeunesse. Elevé comme le compagnon des vents et des flots, ces flots, ces vents, cette solitude qui furent mes premiers maîtres, convenaient peut-être mieux à la nature de mon esprit et à l’indépendance de mon caractère . Peut-être dois-je à cette éducation sauvage quelque vertu que j’aurais ignorée. »cité à la page 136 du Tome I dans Byron d’A.Pichot : Introduction aux Voyages en Amérique, de Chateaubriand p. 67.
[135]vivement de sa boiterie[135] et Barbey qui , nous l’avons vu, qui souffrait tout autant de son sentiment de laideur , trouva ainsi en lui un frère dans ce type de douleur .
[136]C’est même ce détail qui rend aux yeux de Barbey cette beauté parfaite plus séduisante et désirable Dans les romans aurevilliens , bien des héros doués de beauté la voient, en toute logique selon ce que nous venons de montrer, embellie, étoilée d’un défaut : ne parlons pas des stigmates qui désignent au désir : Léa, Lasthénie, Yseult, mais considérons Allan après sa chute, Néel après sa folie polonaise, Calixte avec sa tache en croix, Mesnilgrand et sa boiterie, jusqu’à La Croix-Jugan ou Vellini, en passant Don Juan, Rollon Langrune à la maturité expérimentée et séduisante
[137]Car Barbey lut sans doute la notice de Pichot Oeuvres complètes de Byron, traduction de Amédée Pichot, ed. Garnier éditée dès 1823 : « A la difformité d’un de ses pieds, il joignait les signes d’une constitution rachitique. Lady Gordon, pour fortifier la santé délicate de son fils, sentait tout le prix d’un air vif et de l’exercice. L’enfant errait librement sur les bords de la mer, gravissant ces montagnes où la muse de W.Scott allait recueillir, à la même époque, les traditions sur lesquelles sont fondés les titres de gloire de l’Homère des moeurs calédoniennes. » Oeuvres complètes de Byron, traduction de Amédée Pichot, ed. Garnier Frères, 1869, page 15. Frères, 1823 .Cette édition a été constamment remaniée ; celle dont nous nous servons ici est de 1869.
[138] Gilbert Martineau : Lord Byron, la malédiction du génie Ed.Taillandier, 1984, page 24. Son amour pour Mary Chaworth. A dix-sept ans, il mesurait 1 m70 et pesait 90 kilos.
[139], mesurait 1m70 et pesait 90 kilos ,
[140]Des réflexions de 1833 dans Germaine et la pitié font penser au poème de Byron
Le monde est plein d’orphelins .
D’abord ceux qui le sont au sens propre du mot(…)
Puis ceux qui ne sont pas condamnés à perdre
Leurs tendres parents, dans leurs jours de bourgeonnement,
Mais seulement la tendresse de leurs parents,
Ce qui ne les laisse pas moins orphelins de coeur »
Voici le texte de Barbey qui a 25 ans : la jeune Camille est délaissée par sa mère: « Parmi les déshérités de ce monde, les plus malheureux sont les déshérités de leurs mères, pauvres orphelins du coeur, sacrés aux orphelins eux-mêmes entre tous . » Thèse dactylographiée Barbey d’Aurevilly et l’Angleterre, par John Greene, Grenoble, 1968, pages 11-12
[141]lord Sligo, raconte Lamartine, rapporte ces paroles de Byron en 1810 environ : « Il me parlait souvent de sa mère avec un sentiment d’amertume et d’aversion mal contenu. « Je vous dirai une fois pourquoi j’éprouve ce sentiment à son égard » lui dit-il un jour . Quelques semaines après, comme les deux jeunes gens se baignaient ensemble dans le golfe de Lépante, lord Byron montra à Lord Sligo son pied difforme : « Voyez, s’écria-t-il, c’est à sa fausse délicatesse, à sa pruderie, lors de ma naissance, que je dois cette difformité; et cependant, du plus loin que je me souvienne, elle n’a cessé de me le reprocher et de me railler là-dessus. Même peu de jours avant notre séparation, une des dernières fois que je la vis pour lui dire un adieu, dans un de ses accès de colère, elle prononça sur moi une imprécation, demandant au Ciel que je fusse aussi mal fait d’esprit que de corps . » Pour se faire une idée de son regard, de l’expression de sa physionomie, en racontant cette circonstance, il faut l’avoir vu dans ses plus violents accès. »Rééditée par la Bibl. nationale, page 45.
[142] « Pour mon compte , je suis intimement persuadé que s’il fut toujours si humilié et si enragé d’être boiteux, ce fut bien moins parce que c’était là une infirmité et une laideur , que parce que c’était une destinée , – parce que c’était une des choses contre lesquelles sa volonté, ses furies, toutes ses énergies ramassées dans son âme et s’efforçant, ne pouvaient absolument rien. Eh bien, c’est cet c’est cet esprit de contradiction avec lequel je me ferais bien fort d’expliquer toute la vie de lord Byron (…) Comprimé par la règla anglaise, ce Grec, dilaté par la vie libre de la Grèce, se donna l’affreuse courbature de se faire fanfaron de vices, pour justifier et exaspérer les cris de paon de la puritaine Angleterre… » un Article de 1864 :Note qui donne page 1517
[143]et Byron vit « en animal solitaire… condamné à exister – on ne peut pas dire vivre – dans ce cratère d’ennui jusqu’à ce que le contrat avec l’enfance soit expiré. »Lord Byron, la malédiction du génie Ed.Taillandier, 1984, page 33. Mais ensuite, à force de volonté, sa beauté éclatante se révèle. Il est riche, ne veut pas d’argent contre ses poèmes, et peut être dandy (lui!)…Il brûla sa vie par tous les bouts, (Barbey lui donne les deux sexes, comme à Tirésias), passions dans la vie vécue, rêvée, et écrite : à 35 ans, ses cheveux étaient gris et il avait l’impression d’avoir 70 ans. Mais malgré réussites et plaisirs ultérieurs , malgré sa beauté reconnue , sa boiterie fut une blessure, affective et physique, qui ne sera jamais guérie, et Barbey fraternise avec lui en cela.
[144]Il y avait beaucoup d’anglais en Normandie . Barbey savait bien l’anglais . Sa mère était une lectrice passionnée . il y a eu des traductions partielles , des recensements etc. Jules a dû aussi beaucoup lire, et des auteurs « dangereux » comme Alfieri etc…
[145]Barbey d’Aurévilly, par Octave Uzanne, Paris, La cité des Livres, 1927, page 17
[146]4 juin 1875 ; page XXIX Pourquoi ces dix ans de de dandysme, de provocation, d’ironie ? Nous en avons vu l’explication dans la Bague elle-même: Il s’y décrit et ferions-nous du Barbey de 30 ans un meilleur portrait? : « Il a de l’esprit – dit-on d’Aloys- mais cet esprit est un peu gâté par l’affectation, les manières d’un fat, et, dit-on, une mauvaise tête » XLI . Mais ajoute le conteur : « Passé l’épiderme voyait-il l’homme ? Et l’homme c’est presque toujours l’écorché ! » XLIV. Aloys est sensible , timide, de cette timidité foncière qu’on décèle sous les rodomontades de Barbey :« Il ne voulait pas que les homme se réjouissent de l’avoir blessé, s’ils pouvaient le blesser encore. »LV Sensible au point de ressentir encore les moqueries anciennes : « Ces souvenirs de son enfance vivaient tellement chez Aloys que vingt femmes peut-être qui l’avaient vengé des dégoûts d’un père et d’une mère – modèles d’aimable sollicitude- qui ne pouvaient souffrir l’idée que leur fils ne fut pas un joli garçon – n’avaient pas effacé la trace de la raillerie amère. » LIII Si Aloys est Barbey , Barbey est aussi byronien.
[147] Certes Byron aussi méprisait « les choses toutes de fiction (…) et l’invention pure, ce talent des menteurs »cité par Joseph Barry dans Ma soeur, ma douce soeur: Augusta et Lord Byron, Ed. Albin Michel, 1989, traduction Pierre-Eric Darmon. engendré par la persécution d’un long échec (qui n’était pas l’échec de Byron, caché derrière un bonheur par ailleurs si éclatant). L’idée que sa mère aurait préféré qu’il meure dans son berceau ne sera pas plus chez lui que chez Byron évacué les manques parentaux , et à la fin de sa longue vie Barbey édite des oeuvres de jeunesse, qu’il devrait intellectuellement et théologiquement désavouer , mais qu’il corrige dans le sens byronien de sa jeunesse… Comme Byron écrivant le Difforme transformé , Barbey mesure ainsi justement le chemin qu’il a parcouru pour rendre supportable sa souffrance. C’est pourquoi les dernières oeuvres « personnelles » reprennent avec tant d’exactitude la courbe du départ : ce que la conscience juge, l’inconscient l’accepte et le souhaite … Et ce qu’il refusait de Byron en pleine maturité, il l’accepte à la veille de mourir , jette presque le masque et écrit, à la fin, pour s’écrier. Il est par contre tout à fait conscient d’une autre constatation : c’est qu’il peut, comme les écrivains qu’il étudie, être connu à travers son oeuvre. C’est d’ailleurs sur le conseil de Barbey, nous l’avons dit au début de notre étude, que nous avons cherché à le connaître, et avec ses méthodes. C’était déjà ce que lui avait appris Pichot dans son Byron: page 3 « Lord Byron a tellement identifié son caractère avec ses écrits, dont une grande partie est comme un miroir où se réfléchissent tous les mouvements de son âme, que le critique doit bien se pénétrer du sentiment de son impartialité avant de condamner dans ses jugements l’homme avec le poète. C’est aussi une pénible discussion que celle qui met au grand jour et les erreurs du génie et celles d’une vie privée; mais c’est Lord Byron lui-même qui a appelé le public dans la confidence de son existence domestique, de ses chagrins secrets, de ses ressentiments. « Jusqu’ici, comme l’avait dit madame de Staël, l’orgueil anglais s’était refusé à ce genre d’aveux et de détails, à ces écrits de soi faits par soi-même, qui ont multiplié en France les mémoires particuliers, et auxquels se rapportent Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau . » Ou encore page 5 « Cette identité de l’homme et du poète, cette étude de l’âme d’un grand écrivain à travers le voile de la poésie et de la fiction, ont un intérêt bien au-dessus de celui qu’excitent les compositions ordinaires ».Barbey se masque, et ne se dévoile pas complètement . Pas de poésie; pas de « moi-je » comme chez Byron où le moi,je interrompt si souvent .Mais Barbey connaît la force du soi dans l’écrit. <Bourget La littérature aurevillienne n’est pas activité d’appoint, mi-temps détendu, agrément mondain, plaisir de dilettante. Elle est le résultat obligé de lois intérieures impératives, la conséquence positive d’un joug souvent secoué. Ce talent n’a paru et ne s’est développé que parce que beaucoup de forces contraires se sont coalisées contre lui pour le rendre difficile. Comme il le disait de Byron, Barbey est bien lui aussi « Fils de la Douleur et de l’Obstacle »O.H. Ph. IV page 41. engendré par la persécution d’un long échec (qui n’était pas l’échec de Byron, caché derrière un bonheur par ailleurs si éclatant). L’idée que sa mère aurait préféré qu’il meure dans son berceau ne sera pas plus chez lui que chez Byron évacué les manques parentaux , et à la fin de sa longue vie Barbey édite des oeuvres de jeunesse, qu’il devrait intellectuellement et théologiquement désavouer , mais qu’il corrige dans le sens byronien de sa jeunesse… Comme Byron écrivant le Difforme transformé , Barbey mesure ainsi justement le chemin qu’il a parcouru pour rendre supportable sa souffrance. C’est pourquoi les dernières oeuvres « personnelles » reprennent avec tant d’exactitude la courbe du départ : ce que la conscience juge, l’inconscient l’accepte et le souhaite … Et ce qu’il refusait de Byron en pleine maturité, il l’accepte à la veille de mourir , jette presque le masque et écrit, à la fin, pour s’écrier.
[148]Un critique assez ami de Barbey parle chez lui de « débauches platoniques »d’ailleurs Barbey pendant un moment fera de telles suppositions pour Byron… . Fut-il donc timide ou fut-il vraiment un Don Juan ?