Les faits à La Haye : la Grèce aux côtés de l’Italie face à l’Allemagne pour des dettes remontant à l’époque nazie.
L’Allemagne a demandé un jugement à La Haye pour éviter définitivement de verser les réparations des crimes de guerre, face à l’Italie et à la Grèce qui protestent (2011-09)
Le 23 décembre 2008, l’Allemagne avait entamé une procédure contre l’Italie devant la Cour internationale de justice, à la suite de l’examen par des tribunaux italiens d’actions civiles introduites par des victimes de crimes de guerre commis en Italie durant la Seconde Guerre mondiale par des membres des forces armées allemandes. En 2004, dans l’affaire Ferrini c. Italie, la Cour de cassation italienne avait conclu que les tribunaux italiens ont compétence pour connaître des demandes de réparations déposées contre l’Allemagne. À la suite de cet arrêt, un certain nombre de victimes de la Seconde Guerre mondiale ont intenté une action civile contre l’Allemagne devant la justice italienne.
Mais l’Allemagne a pour sa part fait valoir qu’elle estimait bénéficier de l’immunité juridictionnelle en tant qu’État et n’avait donc pas à verser de réparation.
Des biens allemands en Italie ont alors été saisis à titre de mesures exécutoires des jugements octroyant réparation.
Or dans un jugement rendu en 1997, un tribunal grec avait tenu l’Allemagne pour responsable du massacre perpétré par des membres de ses forces armées le 10 juin 1944 dans le village grec de Distomo.
La Grèce a donc décidé de demander à l’Italie de l’aider dans cette affaire à recevoir ses indemnisations de l’Allemagne. Elle a demandé au Tribunal de La Haye si elle avait le droit d’intenter elle aussi une action civile contre l’Allemagne devant la justice italienne.
Le 4 juillet 2011, la Cour a autorisé la Grèce à intervenir dans cette affaire
La Cour internationale de justice a fixé la tenue d’audiences publiques dans cette affaire durant une semaine à compter du lundi 12 septembre 2011.
Les informations juridiques :
Droit à réparation pour les crimes de guerre.
Depuis 1907, toutes les victimes de crimes de guerre sont en droit d’obtenir des réparations de la part des États qui ont commis ces crimes. L’article 3 de la Convention (IV) de La Haye concernant les lois et coutumes de guerre sur terre, qui a été proposé par l’Allemagne, dispose expressément : « La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée. »
L’obligation contenue dans la Convention (IV) de la Haye (ratifiée par l’Allemagne), qui ne contient aucune exception pour immunité de l’État, a été intégrée sans modification importante en 1977 dans l’article 91 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I).
L’obligation d’accorder réparation n’est pas seulement conventionnelle. Elle fait aussi désormais partie du droit international humanitaire coutumier. La règle 150 de la liste des règles coutumières du droit international humanitaire établie par le Comité international de la Croix-Rouge dispose que « l’État responsable de violations du droit international humanitaire est tenu de réparer intégralement la perte ou le préjudice causé ».
Cette obligation a été renforcée par deux instruments des Nations unies adoptés en 2005, les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, et la mise à jour d’un Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l’homme à travers le combat contre l’impunité, qui l’un et l’autre confirment le droit des victimes de crimes de guerre à bénéficier de réparations.
Responsabilité des États vis-à-vis des personnes.
En vertu du droit international, les États doivent assumer la responsabilité des crimes de droit international commis par leurs forces armées non seulement vis-à-vis d’autres États, mais aussi dans certains cas vis-à-vis des personnes. L’article 33 (2) du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, établi par la Commission du droit international et adopté en 2001, prévoit que « [la Deuxième partie du Projet d’articles (Contenu de la responsabilité internationale de l’État) est sans préjudice de tout droit que la responsabilité internationale de l’État peut faire naître directement au profit d’une personne ou d’une entité autre qu’un État ».
Dans son Avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (CIJ, Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances, 2004, para. 153), la Cour internationale de justice a estimé qu’un État est « tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables en la matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice matériel quelconque ».
Toute requête faisant valoir l’immunité d’un État dans une action civile visant à obtenir des réparations pour crimes de guerre doit être rejetée. Les États ont l’obligation absolue d’accorder réparation aux victimes de crimes de guerre, et cette obligation ne saurait être vidée de son sens par la reconnaissance de l’immunité d’un État. La reconnaissance de l’immunité d’un État dans le cadre d’une action civile en réparation pour crimes de guerre serait un lamentable déni de justice pour les victimes. Celles-ci ne disposent tout simplement pas d’autres véritables moyens que l’action en réparation contre l’État responsable.
Les mémoires sur le fond de l’Allemagne, de l’Italie et de la Grèce n’ont à ce jour pas été rendus publics.
Cet article est fondé sur les informations d’Amnesty international en date du 20 septembre 2011: