Présentation rapide de l’article du collectif Agathe Dupont
dans le cadre de la réflexion pour le Synode sur la Famille ( deuxième session octobre 2015)
2015-06-25 (recherche en cours donc texte en évolution grâce à vos remarques)
« A propos de la question du mariage et de la répudiation (ou du divorce) à la lumière des préceptes évangéliques »
L’article résumé ici propose une relecture des préceptes évangéliques concernant le mariage et le divorce, notamment, du verset 32 du chapitre 5 de Matthieu qu’on lit généralement de la manière suivante : « Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère » (traduction de la Bible liturgique). L’article montre, de manière documentée et rigoureuse sur le plan linguistique, que c’est une mécompréhension suite à une erreur de traduction du texte grec en latin (la Vulgate latine). Elle a amené l’Eglise à en tirer des conséquences, en matière de mariage, qui aujourd’hui peuvent être réexaminées et modifiées dans un sens qui légitime une pastorale de justice à l’égard des personnes innocentes et aussi de miséricorde à l’égard des fautifs. Les préceptes évangéliques apparaissent, dans cette perspective, d’autant plus cohérents.
Quel est donc l’argument de l’article ? Il commence par examiner le sens de l’expression « hormis le cas de porneia » (Mt 5,32 et 19,9) que la Bible liturgique traduit par « sauf en cas d’union illégitime » et la TOB par « union illégale ». Or dans l’Ancien Testament, traduit en grec, le mot vise en général un manquement à un contrat : manquement à la loi de Dieu, manquement à une alliance, à un engagement. Dans l’évangile, en ce qui concerne les époux, porneia désigne donc un grave manquement d’un époux aux promesses faites à l’autre lors du mariage : le sens du mot déborde l’adultère tout en pouvant l’inclure et désigne un acte ou une suite d’actes qui blessent et même rompent l’alliance.
L’article poursuit en examinant la traduction habituelle du verset 32a quant à son verbe final. Il aborde la permission du divorce, alléguée en Israël à partir de la concession faite par Moïse à l’homme de répudier sa femme en lui remettant un livret de divorce pour les libérer tous deux de leur engagement ( 31). La traduction la plus commune du verset 32a est la suivante : « Celui qui répudie sa femme, en dehors du cas de porneia, la pousse à l’adultère ». Or elle provient de la traduction littérale : « fait » + proposition infinitive : « elle commettre un adultère ». Devant cet aspect illogique où un mari renvoyant da femme innocente lui fait commettre un adultère, on explique habituellement qu’il faut sous-entendre « si elle se remarie », et l’on fait remarquer que, dans le contexte sociétal de l’époque, toute femme renvoyée était quasiment obligée de se remarier. Cette traduction et l’explication alléguée ont donné à croire que, se remariant même innocente, elle devrait être considérée comme vivant réellement en adultère, et l’on en est alors progressivement arrivé à conclure que ce précepte voulait signifier indirectement que le mariage était indissoluble. Mais l’article nous conduit à une autre lecture : après avoir déjà souligné que porneia signifie un manquement grave à l’engagement du mariage, il montre en plus une grave erreur de traduction du texte grec au latin d’où au français, le texte grec n’attribuant pas l’adultère à la femme. En effet, le verbe « commettre l’adultère » n’y est pas utilisé à l’actif ni à un temps qui indiquerait une longue durée, mais au passif et à l’aoriste, un temps qui marque une action brève. Le complément d’agent est le mari, tandis que la femme, sujet du verbe passif qui indique ce qu’elle supporte, subit les conséquences de l’action, ponctuelle et brève de son mari qui la répudie quoique innocente. Ce sens passif est révolutionnaire pour l’époque, et il est si rare qu’il ne figure pas dans les dictionnaires, mais se trouve également dans Porphyrios par exemple. Ce passif aoriste fait que la traduction correcte littérale est : « Celui qui renvoie sa femme, en dehors du cas de porneia, fait celle-ci (renvoyée injustement) être victime d’un adultère ». Le verbe «faire» a un sens très concret et montre ce que l’acte de répudier injustement « fait » à la femme : il lui « fait » l’équivalent de faire subir un adultère à son épouse, de la tromper. Jésus montre l’impact de cette répudiation injuste sur la femme, en expliquant que, sauf en cas de porneia de la femme, toute répudiation, y compris avec un livret de divorce qui se pare d’une forme légale, est en réalité un adultère, un grave manquement du mari dont l’épouse est victime, et une infidélité à la loi de Dieu concernant le mariage.
A l’inverse, si la femme est coupable de porneia, alors il semble admis que, dans ce cas, le mari peut la répudier. D’autre part, comme la loi juive autorisait indistinctement tous les époux divorcés à se remarier, il est visible que le précepte ne refuse pas ce droit à la femme innocente, répudiée injustement. Ce n’est pas cette loi que Jésus met en question : son enseignement porte sur l’infidélité au conjoint et à Dieu qu’est la répudiation unilatérale (= un divorce imposé) d’une personne non coupable de porneia : même si cette répudiation remplit les formes légales de l’époque, elle n’est pas légitime.
Dans la foulée, après cette analyse qui modifie la compréhension habituelle de Mt 5,32a, l’article dégage la cohérence qui apparaît d’autant plus grande des préceptes évangéliques à propos du mariage (Mt 5.32a, MT 5,32b, Mr 19,9, Mc 10,11, Lc 16,18, Mt5,28). Jésus y donne toute son ampleur à la loi en esprit, bien au-delà de la lettre.
Par exemple, c’est après avoir défini l’adultère en esprit ( Mt 5,28) que Jésus met le doigt sur la faute de ceux et celles qui utilisent l’artifice de la répudiation formellement légale, pour contracter une nouvelle union : cette union en réalité est fautive au fond du cœur s’ils ont désiré ce mariage en comptant sur la rupture du précédent – ou se sont arrangés pour : le verset de Mt 5,32b concerne ainsi à nouveau un autre aspect, insoupçonné, de l’adultère en esprit commis par ceux qui espèrent en une rupture d’alliance pour se marier : « Celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère » : contrairement à ce qu’on pense, ce précepte ne concerne pas la personne répudiée, ne dit pas qu’elle est adultère si elle se remarie et ne dit pas qu’elle n’a pas le droit de se remarier, mais concerne ceux qui épousent une personne répudiée dans le cas où ils auraient prémédité et compté, activement et fautivement, sur un divorce en espérant épouser l’époux/se d’un/e autre.
En résumé, selon les préceptes évangéliques, si un conjoint est coupable de porneia envers l’autre, il semble admis qu’il peut y avoir divorce. L’adultère n’est pas réduit à un acte sexuel extra-conjugal ; il désigne aussi un manquement grave, éventuellement seulement en esprit, à l’égard de son conjoint comme à l’égard du conjoint d’un autre couple et à l’égard de la loi de Dieu. Les préceptes évangéliques reconnaissent le statut de victime et aucune interdiction de remariage ne semble peser sur la victime. Si Jésus n’interdit pas explicitement le remariage d’un fautif, il pointe du doigt sa faute comme faisant souffrir son conjoint et gênant sa relation à Dieu.
Cette analyse des préceptes évangéliques montre leur cohérence entre eux et avec la totalité du message de l’Evangile, ainsi que leur logique et leur bon sens, Jésus appelant à être juste et vrai envers les victimes et les responsables. Elle peut légitimer des voies nouvelles pour la pastorale d’aujourd’hui au-delà des blocages que l’on connaît. Entre autres voies nouvelles, on pourra faire valoir que les divorcés victimes ne relèvent pas vraiment de la miséricorde, mais plutôt d’une compassion et d’une justice qui leur permettent de reconstruire leur vie ; ils sont appelés à pardonner et ont le droit d’espérer que les fautifs leur demandent pardon, voire réparent. En ce qui concerne les fautifs (et rares sont eux qui ne le sont en rien), ils relèvent bien, eux, de la miséricorde de Dieu et de chacun. Tout l’évangile montre qu’un chemin de pardon miséricordieux, nécessaire, est ouvert à tout pécheur qui reconnaît le tort causé, répare autant qu’il est possible et demande le pardon.
Les dispositions pastorales qu’on envisage, souligne l’article, s’inscrivent donc dans la fidélité à l’exhortation de Jésus, qui correspond à ce qui est bon pour l’Homme : « Que l’homme se sépare pas ce que Dieu a uni ». Cette loi d’amour continue à éclairer les familles, l’Eglise et ses pasteurs
Marguerite Champeaux-Rousselot Pour le collectif Agathe Dupont agathe-d[@]outlook.fr
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