Contribution pour l’Assemblée générale ordinaire des évêques
en octobre 2015 dans le cadre du synode sur la famille
A propos des questions du mariage et du divorce
à la lumière de l’Evangile
par le collectif Agathe Dupont* animé par Marguerite Champeaux-Rousselot
Attention : le texte change régulièrement avec l’aide de tous : regarder la date : 2015-10-08
Introduction
« L’Eglise ressent la nécessité de dire une parole de vérité et d’Espérance »[1] concernant la famille. C’est dans ce but qu’un Synode a été convoqué par notre Pape qui souhaite plus de miséricorde sur certaines questions, conformément à l’esprit de l’Evangile : « L’Eglise doit accompagner d’une manière attentionnée ses fils les plus fragiles, marqués par un amour blessé ou égaré » en « [disant] la vérité avec amour » dans la perspective joyeuse que l’amour miséricordieux, comme celui que Jésus a vécu, « tout comme il attire et unit, transforme et élève »[2]. Les propositions seront fondées sur le Christ : « L’Eglise est appelée à se tourner vers le Christ, à se renouveler en lui »[3] conformément à son message qui, comme lui, comporte toujours la réalité et la dynamique de la miséricorde et de la vérité, de la justice et de la compassion.
Tout cela a fait consensus lors de la session du synode d’octobre 2014. Quelques paragraphes cependant concernant en particulier les positions présentes ou futures de l’Eglise concernant en particulier les divorcés remariés n’ont pu être validés par un nombre suffisant de membres du Synode, parce qu’elles leur ont semblé en contradiction avec la Tradition, la Doctrine de l’Eglise et l’Evangile.
Le Peuple de Dieu a été invité à s’exprimer à l’aide d’un questionnaire et sous la forme de contributions dans l’espérance et dans la confiance en l’Esprit afin d’ouvrir des possibles[4]. On a souhaité ainsi le libérer des craintes et favoriser la parole de tous en rappelant la nécessité qu’elle soit fondée sur le Christ : « Chaque fois que nous revenons à la source de l’expérience chrétienne, de nouvelles routes et des possibilités impensables s’ouvrent »[5]. Ces termes ont encouragé ainsi chacun à apporter avec simplicité ses éléments de réponse aux questions abordées ou posées dans ce cadre[6] et c’est pourquoi nous osons proposer à votre lecture cette recherche qui peut aider à cheminer sur ces « nouvelles routes » et ces « possibilités impensables » que l’Esprit nous ouvre avec Jésus en comprenant mieux la Parole vivante et son Evangile.
Après avoir rappelé le contexte où Jésus vivait et où le message évangélique a été écrit, nous commencerons notre étude par un objet qui peut paraître limité mais dont on verra l’incidence sur l’ensemble de l’enseignement évangélique concernant le mariage : ce point concerne la signification du terme grec porneia. Dans le point suivant, nous mettrons en relief un problème de traduction du texte grec au latin dont nous soulignerons les incidences décisives sur l’intelligence de l’enseignement évangélique. Enfin, dans la foulée, nous étudierons chacune des phrases concernant le mariage , le divorce et la répudiation, avant mettre en relief la cohérence pleine d’amour, de justice et de compassion, de l’ensemble des préceptes évangéliques sur le mariage.
Ce parcours en cinq points nous permettra de terminer sur des prolongements éventuels pour la vie que Dieu nous donne, car sa Parole, libérante et exigeante, s’avère toujours actuelle et pour tous.
Précisons avant de commencer que lorsque nous parlons de « l’enseignement de Jésus », des « paroles de Jésus » ou de ses « actions », nous sommes bien conscients du fait que le Jésus que nous invoquons est le Jésus tel qu’il est figuré, représenté, raconté par nos différentes sources ; ce qui suppose, bien entendu, une tradition de foi et une activité d’écriture, qui, certes, plongent leurs racines dans l’histoire réelle, mais une histoire toujours relue, réinterprétée, mise en récit dans la foi et pour la foi par ceux qui ont écrit les évangiles et les Epitres en particulier. Les paroles de Jésus sur lesquelles nous nous appuierons ne sont donc jamais du « direct ». Nous n’avons accès au Jésus de l’Evangile qu’en tant qu’il est raconté, et figuré dans une écriture dont la communauté chrétienne primitive et ces écrivains, dans une tradition de foi, sont les auteurs.
1 Brefs rappels sur les notions de mariage, répudiation et divorce, à l’époque de Jésus
Synthétiquement, les chapitres 1 et 2 de la Genèse ont mis par écrit par deux écoles différentes vers le VIème siècle, pendant ou après l’Exil en Perse. Le premier récit dit : « Dieu créa « l’Humain (Adamah, le « Terreux rougeâtre ») à son image, il les créa le/un mâle et la/une femelle » (1,27) : les termes sont traduits en grec au neutre singulier : « chose mâle et chose femelle » ; il leur dit d’être fécond et de faire fructifier la terre. Le second récit voit Dieu créer la Terre et, pour la travailler, un « être vivant »à partir de la poussière de la terre rouge et sèche : il souffla dans ses narines le souffle de vie, et il devint vivant, et l’Humain devint un être vivant (ou l’être vivant devint (un) Humain). Au départ étymologiquement, le terme adamah est ou qualifie la terre rougeâtre, sèche et non pas humide, et même des débris, des ordures, de la poussière … Ce nom, d’emblée, est devenu un terme qui signifie l’Humain, l’Homme en général, et c’est seulement par la suite qu’il deviendra le nom propre d’Adam. Ici nous garderons l’Humain pour plus de clarté. Il travaille, mais Dieu pense qu’il n’est pas bon qu’il soit seul et qu’il faut « une aide pour lui » (sens très concret) « qui lui corresponde » (le mot veut dire « en face de, symétrique, opposé », ce qui implique l’égalité) 2,18 ; Dieu crée alors les animaux de la même terre, mais pas de sa poussière et il ne leur souffle pas dans les narines. L’Humain va nommer ces êtres vivants, mais aucun d’eux ne l’attire (2,20). Dieu alors endort l’Humain, lui prend un de ses côtés, ce qui montre que l’être sera de même nature physique que l’homme, mais seconde dans le temps. Devant elle, l’homme dit (2,23) : « Cette fois, c’est (de) la substance de ma substance (ou de l’os de mes os, ou de ma vraie substance, de mes vrais os) et (de) la chair provenant de ma chair ». » et le texte ajoute « C’est pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère ; il s’attache dans sa femme, et ils deviennent une seule chair » (terme très concret).
A l’époque où ce texte fut rédigé, il apportait une correction au vécu très inégalitaire des hommes et des femmes (polygamie, répudiation), la présence de Dieu restant implicite, comme garant de tout «contrat » ; le mariage pour une élite de croyants avait pour idéal la monogamie et les séparations pour des cas très graves, hormis l’adultère, puni de mort.
Au temps de Jésus, la pratique juive générale était beaucoup plus sociale et traditionnelle que religieuse. En général, il n’existait pas de législation d’ensemble ni sociale ni religieuse concernant le mariage ; la femme était considérée comme de nature inférieure et toujours mineure, caractérisée sexuellement par une impureté grave mais purifiable, moralement marquée par une tendance au péché, et c’était pour ainsi dire un danger pour l’homme qu’elle pouvait contaminer. On pouvait habiter ensemble si on était promis ; mais être marié, c’était faire officiellement « une seule chair » et « se teindre » l’un de l’autre ; si une vierge ou une fiancée attendait un bébé d’un homme quelconque ou de son fiancé, le mariage était obligatoire avec lui, mais le fiancé pouvait la répudier si elle attendait le bébé d’un autre[7]; le mariage était obligatoirement rompu s’il s’avérait incestueux, ou si l’un des conjoints se livrait à l’idolâtrie. La séparation (divorce par accord) et la répudiation (divorce imposé) étaient permis et pratiqués largement sans cadre légal complet. Un seul texte, qu’on faisait remonter à Moïse (Deutéronome 24,1-4[8]) et qui était surinterprété[9] mettait sous forme de loi des habitudes probablement immémoriales et dominantes ; il y est écrit, peut-être pour donner un minimum de sécurité aux femmes vis-à-vis de la dureté de cœur des hommes, que le mari désirant valablement répudier sa femme parce qu’ « elle ne trouve plus grâce devant lui » et/ou qu’« il a trouvé en elle une chose désagréable », termes très vagues et sujets à discussion, devait lui avoir remis un livret /billet/certificat de répudiation/divorce, que la femme, sa seule participation active devait avoir reçu dans ses mains ouvertes et bien jointes, moyennant quoi cette répudiation devenait un « divorce », et parfois on lui donnait aussi une somme d’argent, qui pouvait être aussi prévue lors des accords pris pour le mariage lui-même. Les deux ex-conjoints, alors légalement divorcés, pouvaient-ils ensuite se remarier tous les deux ? Théoriquement oui, tous deux en avaient le droit comme avant, mais en réalité pas toujours pour les femmes, car beaucoup en avaient tiré un droit à la répudiation pour les hommes, tandis que les femmes n’avaient pas le même droit, et pire même, à cause de ce texte et comme rien n’était nulle part précisé pour la femme, elles devaient elles, attendre leur livret pour se remarier. Enfin, certains chercheurs pensent que la situation de la femme dans ce milieu était alors si mauvaise, faute de moyens de vivre, qu’aucune, à l’exception de femmes puissantes et riches, n’aurait osé se servir d’un éventuel droit au divorce, puisqu’elle courait le risque de rester seules ensuite.
Nous verrons comment le message évangélique, ou Jésus, lisent la Genèse 1 et 2 pour en faire la base du mariage, en rectifiant les habitudes et règles que nous venons d’évoquer. D’autres règles étaient déjà contestées à son époque. Par exemple, après le mariage, en cas d’adultère, les deux amants devaient selon la Loi, être lapidés par la communauté, une règle dont la rigueur épargnait les hommes et commençait à être mise en doute pour les femmes, règle que Jésus ne pratique pas non plus. En plus du cas spécial du lévirat (Dt 25,5-10), la polygamie était pratiquée[10], et éventuellement dissimulée de la façon suivante : après la femme légitime venaient les concubines et les femmes de second rang, et il était moins grave de renvoyer ces dernières (un simple renvoi) que la première (une répudiation en bonne et due forme) mais cette pratique était elle aussi méprisée par certains qui prônaient la fidélité à toute alliance, la fidélité à leur première femme, la fidélité à « la femme de leur jeunesse », la monogamie ; certains groupes considéraient toute la sexualité comme à proscrire ; on cherchait à préciser les motifs qui pouvaient légitimer la répudiation (divorce unilatéral imposé sauf exception par le mari), et ce d’autant plus que, en particulier pour ceux-là même qui refusaient de pratiquer la polygamie, c’était une grande tentation pour abandonner « légalement » une femme au profit d’une nouvelle. Le livret que Moïse avait concédé suffisait en effet pour que certaines écoles juives (Hillel) croient être justes et fidèles au dessein de Dieu concernant le mariage, puisqu’ils s’en servaient, mais d’autres, minoritaires, (Shammaï) allaient jusqu’à interdire totalement le divorce.
Il est intéressant de lire par exemple Malachie (entre – 500 et – 490) à propos de la manière dont se sont passées à son époque certaines répudiations : « Je hais la répudiation » fait-il dire à Dieu. Malachie confirme la colère de Dieu contre Israël et contre les sacrificateurs ou lévites qui n’ont pas respecté la loi de Dieu dans leur manière de juger en particulier les petits (2,9 ss) et ont aidé aux répudiations d’épouses juives afin de permettre d’épouser des femmes païennes aux dépens des premières. Malachie rappelle les grands enseignements de la Genèse : « Tous n’avons-nous pas un seul père ? Un seul Dieu nous a créés. Pourquoi vous conduisez-vous donc traîtreusement chacun envers votre frère/sœur/semblable en profanant l’alliance de vos pères ? » Ces comportements ont causé les malheurs dont tous se plaignent et comme les sacrificateurs s’indignent des sanctions divines, Malachie leur répond « Et vous avez dit « A cause de quoi ? » C’est parce que l’Éternel a été témoin entre toi et la femme de ta jeunesse, que tu as traîtreusement maltraitée, bien qu’elle soit ta compagne[11] et ta femme[12] par alliance[13]. » (2, 14) L’expression « la femme de ta jeunesse » est extrêmement forte puisque, dans un contexte de polygamie, on pouvait prendre une nouvelle femme tout en gardant la ou les femmes précédentes : la ou les renvoyer aurait été alors faire preuve d’une grande cruauté vu la position de la femme à l’époque. La fidélité à sa femme ou à ses femmes consistait pour l’homme à les conserver. La démonstration sur la nécessité de rester uni pour chaque couple dans un groupe polygame est faite. Le scripteur arrive à la conclusion : « vous ne devez pas vous conduire traîtreusement envers la femme de votre jeunesse ! parce que je hais[14] le fait de renvoyer/ de répudier[15] » (2, 16) : ce terme n’est pas équivalent à une séparation voulue des deux côtés ou à un divorce à l’amiable : le Seigneur précise la raison de sa haine pour la répudiation dans une phrase qui est difficile à traduire : il hait le fait de répudier parce qu’il y a un contraste entre ce que subit la femme victime d’une répudiation dans ce cas et l’apparence religieusement légale qu’on donne à cette répudiation. La dernière proposition conclut donc en revenant au thème de l’alliance rompue unilatéralement dans l’inégalité. « Donc gardez cela dans votre esprit, et ne vous conduisez pas traîtreusement.» Il est certain que la position de la femme était alors facilement méprisable, et que le fait de ne pas garder l’alliance avec Dieu conduit à ne garder l’alliance ni avec nos frères, ni le mari avec sa femme. C’est la traîtrise du mari et l’inégalité qui sont détestées par Dieu et non une relation honnête et égalitaire ; c’est celui qui est injuste et hypocrite qui est accusé par Dieu, et non les deux protagonistes.
Finalement ce que Malachie a enseigné c’est que Dieu hait effectivement la répudiation, c’est-à-dire un divorce imposé de fait unilatéralement imposés à un innocent, dans un but égoïste (par exemple épouser une autre femme), sans raison valable, avec une couverture prétendument légale ou religieuse alors qu’il y a eu rupture d’alliance du fait de l’autre.
Ce que regrette Dieu, dans les autres textes de l’Ancien Testament, ce sont les ruptures d’alliance avec lui et les échecs des couples.
En Matthieu 5,31 et 19,7 et Marc 10,4 explicitement, et en Luc 16,18 implicitement, il est question du livret de divorce évoqué plus haut, livret qui entérine la répudiation imposée par un homme en position de force, et auquel Jésus déniera toute valeur (voir plus loin). Par contre, il reconnaît un cas où un conjoint peut répudier l’autre : en cas de porneia (Matthieu 5,32 et 19,9), et c’est ce terme qu’il faudra comprendre en premier.
2 : Précisions sur l’acception et la signification du terme grec porneia
Porneia est en effet employé dans plusieurs textes du Nouveau testament comme dans l’évangile de Matthieu 5,32 et 19,9 où il a un rôle crucial pour comprendre le message de Jésus au sujet du mariage et du divorce.
Comprendre le sens de ce mot nécessite l’étude exhaustive des emplois du terme porneia, dès son premier emploi et jusqu’à l’Apocalypse comprise, dans les milieux païens ou non. Mais il faut d’abord éviter de tomber dans un piège car en grec, il y a deux mots porneia qui se distinguent par l’accent, aigu ou circonflexe, et il faut donc commencer par l’histoire de ces mots, les distinguer, et comprendre le sens de celui qui est employé deux fois par Matthieu à savoir celui avec l’accent aigu.
-Etymologiquement, ce terme grec de porneia appartient à une famille de mots[16] qui évoque le passage, les transports, le commerce, les transactions financières, les contrats… Le radical porn- est employé dès le VII° siècle pour désigner la prostituée (pornè) qui était souvent esclave ou qui faisait effectivement «commerce» de sa personne, se prostituer se dit porneuomai, sachant qu’à l’époque la prostitution avait un statut moins choquant qu’aujourd’hui, puis la maison de passe, et qualifier la personne débauchée (pornos). On en fait dériver également un autre qui désigne tout ce qui se rapporte à ces dévoiements : πορνεῖος (porneios) qui a un accent circonflexe sur le i et devient par exemple πορνεῖα au neutre pluriel, et peut caractériser des choses en relation avec la prostitution ou des maison de passe. Ce mot a donné en français par exemple porosité mais aussi pornographie,.
Cependant, après 3 siècles, un adjectif en dérivant avec un accent circonflexe sur le i est également créé, un nom commun cette fois, féminin et qui se distingue par un accent aigu sur le i : l’inventeur de ce néologisme semble Aristophane (445 – env. 380) qui fait s’exclamer comiquement un personnage : « ô porneia et impudeur ! »[17]: le nouveau mot est mis en parallèle au premier vice cité, le fait d’être impie : la porneia y est visiblement également un vice qui doit peut-être être «exercé» par une prostituée ou être plus ou moins lié à la prostitution. On pourrait traduire pour garder la plaisanterie « O prostitutionnalité ou ô infidélitude et impudeur ! ». L’étude du mot porneia avec accent aigu montre que ses emplois sont rarissimes dans les textes grecs produits par le milieu dit païen[18] et leur étude intégrale en est facilitée. Sur sept siècles, son sens n’a pas varié[19], et il en sera de même par la suite jusqu’à la « disparition » du paganisme. Le terme désigne le fait d’avoir une conduite dévoyée dans un domaine qui lie la course sans règles ou en dehors des règles au plaisir et l’achat ou la vente des personnes et désigne aussi des fautes en ce sens. La porneia de la prostituée ne sera qu’un exemple parmi d’autres puisque un vice englobe beaucoup de porneias, c’est-à-dire de comportements fautifs.
Dans les textes de la mouvance juive, ce terme va être employé beaucoup plus souvent, d’abord dans la Septante qui a commencé vers le III° siècle av. J.-C. à traduire l’hébreu de l’Ancien Testament et a été modifiée au cours des siècles suivants, dans des livres écrits directement en grec et qui ne figurent pas dans la bible hébraïque, et enfin dans les Testaments des Douze Patriarches. Jésus et deux fois par Philon d’Alexandrie. Les rédacteurs du Nouveau Testament pouvaient connaître certains de ces textes et utilisaient ce lexique et non un autre. Dans la Septante cela représente 74 emplois du terme.
Les conclusions de leur étude[20] sont les suivantes :
– Dans les livres de l’Ancien Testament traduits en grec, porneia traduit en fait différents termes hébreux, plus anciens évidemment, qui ont le même sens. Dans ceux qui sont écrits directement en grec, les emplois témoignent di même sens. Dès ses premiers emplois non métaphoriques, le sens général de porneia sert pour désigner l’état d’esprit de celui qui se détourne de celui ou ceux (Dieu, Hommes, peuple allié, famille, conjoint, personne) avec qui il avait signé une alliance. Par exemple Israël fait preuve plusieurs fois de porneia en se détournant de Dieu et il errera dans le désert quarante ans en portant le poids de sa porneia. Ce terme a une ainsi valeur globale et souvent causale, et de ce fait, il annonce, recouvre ou conclut souvent des énumérations de fautes dans divers domaines. Il traduit à lui tout seul plusieurs termes hébreux différents. Il qualifie le forfait qu’est une rupture d’alliance unilatérale qui s’est produite dans des domaines variés par un ou des manquements à une promesse, une ou des entorses grave à l’alliance, manquements de toute sorte (à la loi de Dieu et à son Alliance, à une promesse politique, à une promesse conjugale), ce qui pour les croyants revient au final également à des manquements à Dieu, manquements qui viennent de désirs (sexe, orgueil égoïsme, vanité, cupidité, injustice etc.). (Exemples : chez Isaïe, 47, 10 : la science pervertie[21] ; dans les Nombres, 14,33 : l’ensemble de leur mauvaise conduite dans le désert[22]) Ce sens perdura aussi dans le Nouveau Testament.
Ainsi, lorsque cela concerne une alliance signée avec Dieu, porneia recouvre globalement l’oubli de Dieu, qui peut se décliner en idolâtrie, injustice, violence, pratiques sexuelles ou sacrificielles rejetées par Dieu (Veau d’or, révolte, passivité, illégalités, injustices envers les pauvres, les petits, les vieillards, répudiations abusives de la femme de sa jeunesse et remariage en dehors du peuple juif…).
Ainsi de même porneia peut concerner la conduite de n’importe qui, célibataires homme ou femme, chefs politiques, peuple…
Ainsi de même, lorsque porneia est employé cette fois concernant une alliance conclue entre des époux juifs, soit réelle soit par métaphore, dans l’Ancien Testament et en particulier à l’époque de Jésus, porneia recouvre globalement l’état d’esprit d’un seul des conjoints qui se détourne de la personne avec qui il a signé une alliance et ce faisant de Dieu qui l’a bénie (Tobie refuse de se marier par porneia), ou d’une femme qui fuit son mari qui l’aime : cela peut se traduire par l’adultère, la convoitise pour un autre conjoint marié, certaines pratiques sexuelles, l’oubli de Dieu dans le couple (porneia a un sens sexuel, religieux, psychologique etc.)
A noter que dans de nombreux cas, ce terme grec de porneia figure à côté et en plus du mot qui signifie spécifiquement «adultère» (moicheia ou les termes en dérivant) dont il est bien distingué : c’est par la suite que l’acception du terme a glissé progressivement presque exclusivement vers l’adultère sexuel.
Parmi tous les emplois de porneia dans la Septante, on ne trouve aucun (sauf erreur de notre part) qui s’applique à un mariage effectif illicite du fait précisément d’un inceste ou de la conduite de deux conjoints qui ensemble contreviennent conjugalement à l’alliance signée avec Dieu (certaines pratiques sexuelles, oubli de Dieu dans le quotidien). Ce terme ne pouvait donc pas, à l’époque de la rédaction du Nouveau Testament, faire allusion implicitement à un tel contenu précis et de type casuistique, en excluant tout le reste. Cependant, le terme de porneia, très englobant, peut englober éventuellement ces fautes, en particulier quand elles sont explicitées et qu’il introduit sous ce terme global une énumération où figure ces cas ou la résume en concluant sous ce mot.
La porneia était donc à l’époque de la rédaction grecque de l’évangile de Matthieu[23] un terme englobant qui désigne l’ensemble de ce qui constitue un manquement très grave aux promesses, un état, un acte ou une suite d’actes qui s’avèrent blesser ou rompre le lien d’alliance qui joint des personnes. En l’absence de synonyme exact et sans ambiguïté pour désigner cela, le mieux, pour ce raisonnement, est de conserver le terme grec porneia[24], à moins qu’on trouve mieux.
Pour comprendre dans quel sens Matthieu emplie porneia, il faut étudier les différents emplois qui en sont faites dans le Nouveau Testament : il retranscrit en grec de l’araméen ou a été directement écrit en grec, et il va de Paul à l’Apocalypse en passant par les Evangiles. Cela représente 26 emplois dans les œuvres suivantes, emplois que nous allons étudier dans leur ordre de composition qui suit :
50-52 Paul Epitre aux Thessaloniciens I
52-56 Paul, Epitre aux Corinthiens I
54-57 Paul, Epitre aux Corinthiens II
57-58 Paul Epitre aux Galates
70 Marc
70-80 Paul aux Colossiens
80-90 Matthieu
80-90 Actes des Apôtres
80-90 Jean
80-100 Paul Epitre aux Ephésiens
80-100 Apocalypse de Jean
Leur étude[25] montre que le sens est resté le même tout en précisant et en enrichissant d’ aspects spirituels ce péché à combattre, qui est à la racine de la plupart de nos conduites fautives. Il existe en effet (Paul) une porneia pour les païens qui ne sont pas jugeables, mais celle des chrétiens est plus grave car ils se sont convertis et connaissent Dieu et Jésus.
Porneia est un terme très englobant, un péché qui en entraîne d’autres et peut empêcher la sainteté et l’honneur : elle rend en effet soumis aux passions du désir (un des plus anciens emplois (Années 50-52, Paul I Thess. 4, 3) et fait d’obéir à ce qui est terrestre en nous, à la chair. C’est cet état d’esprit qui suit ou accompagne les mauvais raisonnements pour accomplir les péchés qui en découlent et concernent tout le corps, aboutissant à toutes les sortes d’infidélités et de débauches.
Elle a de graves conséquences dans un domaine particulier souvent traité, celui du relationnel : elle aboutit à des relations perverties, chez les païens comme chez les chrétiens. Elle n’hésite pas à rompre les alliances et les relations, entraînant des actes concrets répréhensibles (infidélités, parjures, luxure).
Par exemple dans le cadre souhaité par Jésus, de monogamie avec égalité des droits conjugaux et sans répudiation, elle peut conduire à des infidélités (ce qui amène la rupture des couples et les divorces, évoqués et regrettés, mais non interdits par Jésus et Paul) ; inversement[26], dans un couple chrétien, un divorce et même un jeûne sexuel pour suivre le Christ sont illégitimes, selon Paul, s’ils sont imposés par l’un à l’autre, car ils créeraient une rupture indue de relations avec le conjoint légitime qui a droit à une sexualité épanouie, et ils risquent en outre de conduire à des conduites de porneia.
Comment lutter contre nos tendances naturelles à la porneia ? Il s’agit de trouver l’équilibre du corps en respectant son propre corps, les besoins de son conjoint, les promesses qui lui ont été faits, et les droits qu’il a et sont bons pour l’équilibre de chacun et du couple, mais en sachant, nous chrétiens, que le corps est fait pour vivre saintement en s’unissant d’abord au Christ. On voit bien que c’est dans l’esprit qu’est cette porneia fautive, et ce qui l’empêche d’agir est d’obéir à l’esprit. C’est également ce sens qui est employé dans l’Apocalypse, avec un usage réel et métaphorique en même temps : il indique une opposition farouche et résolue à Dieu et les conduites qui en découlent et la lutte qu’elle soutient contre Dieu.
Un des textes les plus éclairants sur la porneia est la passe d’armes entre Jésus et les Pharisiens rapportée par Jean qui les connaissait bien : « Nous, nous ne sommes pas nés de la porneia, nous avons un seul père, Dieu. » (Jean 8,41) Selon eux, la porneia, du moins celle à laquelle ils s’intéressaient, est l’irrespect des règles de conduite relationnelles correctes, dont des infidélités sexuelles et la prostitution. Déjà les prophètes avaient montré le champ beaucoup plus vaste que recouvrait la porneia, une infidélité en esprit et en amour à Dieu et aux autres, et ses diverses gravités. Jésus va dans le même sens que les Prophètes en répondant aux Pharisiens que si Dieu était leur père, ils l’aimeraient, lui, Jésus, et il dira plus loin que leur père est le diable. Il déclare donc implicitement qu’ils sont les enfants de la porneia au sens de la rupture avec Dieu ou d’un esprit de rupture, d’infidélité à Dieu.
La porneia est une manière d’être et d’avoir des relations qui est guidée par la chair, la terre, par soi-même en fait.
C’est en ce sens qu’on peut comprendre ce terme lorsque Matthieu, pour rapporter la pensée du Christ à propos de la répudiation, utilise deux fois ce terme :
– (Mt 19,9) μὴ ἐπὶ πορνείᾳ = (préposition + datif), si ce n’est à cause de / sauf pour raison de porneia.
- (Mt 5,32) παρεκτὸς λόγου πορνείας = (préposition + génitif), en dehors d’un motif de porneia, hormis en cas de porneia.
Ces deux incises « hormis » ou « en cas de porneia » ont fait l’objet de nombreuses controverses[27]car elles étaient gênantes doctrinalement pour certains qui en sont arrivés même 1°) à ne pas en tenir compte ou 2°) à les traduire avec des sens qui n’existaient pas à l’époque.
Or si la critique textuelle, et en particulier celle d’aujourd’hui, montre que les Evangiles sont nés « différents » et présentent des points communs mais aussi des contradictions et des manques, on note que dans le cas similaires de versets parallèles non attestés dans chaque Evangile mais importants pour le peuple de Dieu, l’Eglise ne les met pas de côté mais en tient compte et les sous-entend partout en pensant que les évangiles ne peuvent se contredire, forment un tout et se complètent pour refléter le mieux possible le message de Jésus : elle les prend alors en compte (théologie, pastorale, dogmes etc.) pour assurer la valeur d’une doctrine fondée sur Jésus, cette Vérité qui nous rend libres car elle fait appel à l’Esprit et non à la lettre. L’éthique veut que, comme dans les autres cas, ces principes soient à appliquer également en ce qui concerne les préceptes évangéliques au sujet du mariage, et la suite de cette étude montrera que, loin d’être discutables, ces deux incises « hormis en cas de porneia » offrent une validation croisée avec l’Evangile car leur prise en compte s’avère nécessaire pour comprendre dans toute sa cohérence le message de Jésus.
D’autre part, il est impossible honnêtement, scientifiquement et éthiquement, de traduire un mot appartenant à un texte du Ier siècle avec un sens qui n’apparaîtra que quelques siècles après, voire plus.
Le terme étant compris dans son sens exact de l’époque, on peut maintenant traduire les deux phrases complètes de Matthieu. On y reviendra ensuite dans le cadre de l’ensemble des phrases de Jésus, mais on notera ici immédiatement que, dans ces phrases, ce n’est pas le terme adultère que Matthieu a employé, mais porneia, terme plus large, et que la famille du terme signifiant plus spécifiquement commettre l’adultère est représentée par le verbe final, dans ces mêmes phrases :
Matthieu 19,9 : λέγω δὲ ὑμῖν ὅτι ὃς ἂν ἀπολύσῃ τὴν γυναῖκα αὐτοῦ μὴ ἐπὶ πορνείᾳ καὶ γαμήσῃ ἄλλην μοιχᾶται.
Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme sans que ce soit en raison de porneia de sa part à elle, et en épouse une autre, commet[28] l’adultère (ou pèche contre Dieu).
C’est assez logique que Jésus déclare que celui qui répudie une femme bien précisée innocente de porneia, et en épouse une autre commet à son égard un adultère ou son équivalent : il la trahit, la trompe : le fait psychologique est là, la rupture d’alliance est consommée. Même si la répudiation est légale, même si le mari a le droit de répudier, cet acte suivi de son remariage est une faute morale aux yeux de Jésus.
On note que Jésus ne dit rien au sujet de la femme innocente répudiée, à part qu’elle est victime d’un adultère : son silence de Jésus lui laisse le droit, existant, de se remarier sans commettre d’adultère.
Mais qu’en serait-il si inversement, la femme avait commis cette porneia, ce manquement grave aux promesses ? Le silence de Jésus ne pousse pas le mari à sanctionner la femme, mais laisse bien penser d’emblée que, selon lui, le mari pourrait en toute conscience répudier cette épouse coupable de porneia et se remarier.
Matthieu 5,32a : ἐγὼ δὲ λέγω ὑμῖν ὅτι πᾶς ὁ ἀπολύων τὴν γυναῖκα αὐτοῦ παρεκτὸς λόγου πορνείας ποιεῖ αὐτὴν μοιχευθῆναι
Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme en dehors du cas de porneia, lui fait … : la fin de cette phrase pose problème et sera traduite dans le point suivant immédiatement, mais le sens devrait être cohérent avec la première, avec le reste des autres phrases concernant le mariage et le divorce et avec l’ensemble du message de l’Evangile.
3 : Mise en évidence d’une erreur grammaticale de traduction dans Mt 5,32 a
Il faut se pencher d’abord sur la traduction du verbe final de la première partie de Matthieu, 5, 32 (= 32a) et bien en comprendre la nature grammaticale et le sens, avant d’étudier la totalité des phrases traitant de cette question, y compris ce verset 32.
Certaines école juives autorisaient facilement le divorce, d’autres l’interdisaient totalement (cf. ci-dessus) : cela faisait l’objet de débats de forme et de fond très importants à l’époque, débats que les Evangiles ont éclairés en réaffirmant des principes indiscutables. On y lit que des Pharisiens, voyant là l’occasion d’un piège à tendre à Jésus, l’interrogèrent pour savoir si on pouvait « répudier sa femme » (Marc 10, 2) ou « répudier sa femme pour n’importe quel motif » (Matthieu 19,9) ; Matthieu (5, 28-32) montre Jésus abordant également de lui-même cette question sans avoir d’interlocuteur explicite, c’est dire l’importance de ce sujet.
Dans le long Discours sur la Montagne, (Matthieu 5,10 à 7, 29) Jésus cite plusieurs fois les grands commandements de la Loi, et les précise, augmentant parfois leur portée pour certains, montrant parfois leur caractère secondaire pour d’autres, révélant toujours leur sens profond dans une logique de Justice, de Miséricorde et de Liberté, faisant prévaloir la relation à Dieu et à l’autre.
C’est ainsi qu’en Matthieu 5, 27 Jésus cite d’abord un des grands commandements : « Tu ne commettras pas l’adultère » (Exode 20, 14 et Deutéronome, 5, 18) et le réunit en Mtt. 5, 28 à un second (« Tu ne convoiteras pas (…) la femme de ton prochain etc. (Exode, 20,17 et Deut 5, 21) lorsqu’il précise que désirer, convoiter, une femme mariée, est aussi un adultère, même si c’est dans son cœur qu’on le fait ; il poursuit en évoquant alors en Mtt. 5, 31 ce livret de divorce (cf. notes 8 et 9 concernant Deutéronome 24,1-4), paroles d’hommes établissant un des détails ratifiant la répudiation par eux de l’épouse[29] : « il a été dit : « Celui qui renvoie sa femme, qu’il lui donne un livret de divorce … » mais il ne le cite, là aussi et comme dans plusieurs passages dont tous ceux étudiés ici, que pour mieux s’y opposer au verset 32 en déclarant : ἐγὼ δὲ λέγω ὑμῖν ὅτι πᾶς ὁ ἀπολύων τὴν γυναῖκα αὐτοῦ παρεκτὸς λόγου πορνείας ποιεῖ αὐτὴν μοιχευθῆναι : « Moi je vous dis que celui qui répudie sa femme, hormis pour raison de porneia, fait celle-ci… » [30]. Nous ne traduisons pas pour le moment le mot grec final car c’est ce verbe, μοιχευθῆναι[31], qui s’avère poser un grave problème.
La traduction habituelle de ce verbe est généralement une des suivantes : le mari qui renvoie sa femme, alors qu’elle n’a pas commis de porneia, « la pousse à l’adultère/lui fera commettre un adultère ». Ces traductions habituelles sont dans la ligne de tendances, qui, contrairement à ce qu’on pense souvent, ne furent pas originelles, mais prirent de l’ampleur avec la traduction en latin qui fut faite par Saint Jérôme, la Vulgate : facit eam moechari [32] : le mari qui renvoie sa femme, alors qu’elle n’a pas commis de porneia, (littéralement) « fait elle commettre un adultère », les deux verbes étant à l’Actif et au Présent indiquent une action simultanée et sont à traduire comme tels : « le mari qui renvoie sa femme, alors qu’elle n’a pas commis de porneia, lui fait commettre maintenant un adultère ». Comme en latin l’incohérence de cet enchaînement illogique sautait aux yeux, on expliqua que Jésus pour appuyer sur l’interdiction faite au mari de renvoyer sa femme innocente, se serait fondé sur le fait que de son temps et dans son pays, une femme ne pouvait rester seule ; que toute femme renvoyée serait, faute de moyens, obligée de se remarier, dans un futur plus ou moins aussi proche qu’un présent, d’avoir une liaison ou pire, de se prostituer… et que Jésus, en déclarant qu’elle accomplirait ainsi un adultère, aurait voulu montrer que son péché à elle, bien réel, aurait pour responsable celui qui l’avait injustement renvoyée, les deux étant alors fautifs[33], et qu’on ne devait pas tenir compte de la concordance des temps écrite. Le latin dominant le grec peu à peu, on comprit et commenta ce présent comme un futur mal écrit dans le texte désignant une sorte de vérité générale. La traduction latine (cette femme innocente répudiée « commet un adultère ») put alors être comprise comme synonyme de « toute femme innocente répudiée sera adultère », un jugement très sévère attribué ainsi à Jésus qui a conduit à supposer que lui, si bon pourtant, s’opposait pourtant radicalement et totalement au remariage des femmes innocentes de porneia qui avaient subi un divorce, puis, bien plus tard à supposer par souci de justice qu’il était assurément a fortiori contre le remariage des femmes coupables de porneia et qu’il interdisait à elles (aussi) de se remarier. Le souci de justice fit ensuite interdire le remariage aussi aux hommes divorcés. Par la suite, progressivement et en ordre dispersé, les Pères de l’Eglise et les différentes Eglises en déduisirent que le mariage était précisé ou voulu indissoluble par Jésus, une conception qui n’a dominé totalement qu’au IXe siècle, ce qui revint ensuite à interdire de fait, de plus en plus solennellement, tout remariage jusqu’à la mort de l’autre conjoint[34], à moins d’une reconnaissance en nullité du premier mariage, et l’on vit alors se développer peu à peu le mariage que nous connaissons aujourd’hui. Les traductions en langue vivante se fondèrent sur le latin avec les sanctions qui firent, assez récemment, que tout divorcé qui vivait à nouveau en couple (sexuellement) avec quelqu’un, était en état de péché si grave qu’il ne pouvait pas être absous, ce qui l’empêchait de communier.
C’est dire l’importance des conséquences de cette traduction du verbe grec infinitif ayant la femme comme sujet, lorsqu’on l’a traduit en latin par un présent de sens actif, puis de là, lorsqu’on l’a et traduit et interprété dans toutes les langues vivantes actuelles, par un futur de longue durée de sens actif.
Or Matthieu a choisi pour son verbe grec non pas le présent d’un verbe actif, mais un aoriste passif[35] et l’on doit tenir compte de cette double caractéristique pour le traduire, ce qui n’a pas été le cas dans les traductions vues ci-dessus.
D’une part, l’aoriste : c’est un temps qui indique deux caractéristiques de l’action du verbe, 1°) une valeur ponctuelle et brève[36], 2°) un temps qui indique le passé dans les indépendantes, mais qui, dans les subordonnées, c’est le cas ici, se traduit en ayant simplement égard logiquement au contexte : nous choisirons donc seulement après avoir établi son contexte chronologique qui se définit entre autre par le sens des actions indiquées par les verbes et leurs sujets.
D’autre part, le passif (c’est là qu’est l’erreur principale de traduction) : le verbe grec qui signifie «commettre un adultère» (intransitif) ou « séduire quelqu’un, tromper ou trahir son conjoint » (transitif) commande en grec plusieurs sortes de compléments : à l’actif, on trompe sa femme (accusatif), on séduit quelqu’un (accusatif) ou on commet l’adultère envers quelqu’un (préposition + accusatif) et avec quelqu’un (préposition + datif par exemple). Ce verbe s’emploie en grec à l’Actif ou au Moyen le plus souvent pour l’homme qui « séduit ». Par contre, quand ce sont des femmes qui sont sujet de ce verbe, il est employé au passif et il est de plus caractérisé par une triple ambiguïté sémantique : il peut être
- soit un passif de sens actif : je suis séduite ou censée être séduite, ce qui fait que, factuellement, je commets de mon plein gré l’adultère et le fais commettre,
-
soit un passif de sens passif : j’ai été violée et j’ai commis malgré moi ce qui est pris pour un adultère[37].
-
soit de façon rarissime, un passif de sens subi : je suis innocente et je suis trompée car mon conjoint commet un grave manquement ou un adultère envers moi.
Or Matthieu a mis ce verbe au Passif avec comme complément d’agent le mari et comme sujet son épouse, et le sens de ce passif, puisqu’il a bien pris soin en plus de préciser auparavant que l’épouse répudiée était innocente de toute porneia, ne peut être que être trompée, trahie par son mari, subir un adultère de sa part à lui : c’est le passif de sens subi[38].
De ce fait et dans le contexte sémantique ainsi défini (une femme innocente, victime d’un adultère moral de la part de son mari lorsqu’il la répudie), quel temps maintenant faut-il donc choisir pour traduire avec justesse cet aoriste ? Le contexte donné par la proposition principale (« fait ») est un présent de vérité générale, mais le texte indique la chronologie des faits étudiés. « En faisant ceci, le mari fait cela… » : le recto a son verso qui est ainsi dévoilé. C’est bien par le résultat et par la conséquence de son acte que le texte a voulu montrer au mari la nature et l’immoralité de son acte, du fait de l’innocence de sa femme. Il n’a pas dit que l’acte immoral du mari ferait accomplir, au futur, à son épouse un acte coupable, mais a par contre montré que l’acte immoral du mari a pour conséquence immédiate de lui faire subir simultanément un traumatisme. Par l’emploi du verbe faire, il établit un lien logique d’identité de nature ou d’équivalence entre l’action accomplie au présent par le mari et ce qu’il fait subir à la femme : « En accomplissant telle action-ci, le mari fait telle action-là… », et il faut donc tenir compte du contexte établi par ce lien logique et chronologique entre le verbe fait au présent et μοιχευθῆναι à l’aoriste pour choisir entre les trois valeurs temporelles possibles de cet aoriste qui se trouve dans une infinitive : En répudiant sa femme innocente, le mari fait elle être plus tard trompée, ou bien être maintenant trompée ou bien avoir été trompée par lui-même ? Tout d’abord, traduire l’aoriste par un futur excluant le présent et durant éventuellement longtemps (« En répudiant sa femme innocente, le mari fait elle être trompée plus tard par lui-même ») est exclu car n’ayant aucun sens dans ce contexte : restent le présent ou un des temps grecs du passé. Comme cet acte apparemment légal grâce au livret de divorce s’avère être en réalité, dissimulé plus ou moins volontairement, le préjudice maximum imposé illégitimement à l’épouse, il y a donc concomitance entre la vérité et le masque qui s’y superpose, ce qui impose de traduire grammaticalement l’aoriste en montrant la simultanéité de l’acte visible officiel (« en répudiant, il fait … ») et de cette réalité méconnue intime, au cœur du coupable comme au cœur de la victime (être/avoir été victime d’un adultère commis par son mari envers elle). Il faut donc bien utiliser effectivement soit un présent de concomitance, soit un temps du passé si l’on estime que la répudiation est l’aboutissement d’un processus commencé auparavant dans le cœur du mari : cela peut donc être Celui qui renvoie sa femme en dehors du cas de porneia, fait celle-ci être (ou avoir été) victime d’un adultère (de la part de son mari).
Afin de traduire cet aoriste, peut-on choisir entre ces deux valeurs ? Il nous semble que oui. En effet, Matthieu aurait pu mettre son verbe passif de sens subi, également au présent de vérité générale, sachant que le présent a une valeur durative : cela aurait insisté sur la persistance dans ce cas, de la faute du mari et de la position de victime de la femme. Or Matthieu a choisi un aoriste dont tous les modes doivent, grammaticalement en grec, conserver la valeur d’Aspect d’action brève : en ce cas, c’est le passé composé qui convient mieux en français. La traduction littérale qui respecte le mieux tous les aspects du grec est donc la suivante : « il fait celle-ci avoir été victime d’un adultère de la part de son mari », donc en « bon français » par exemple : « il lui fait avoir subi un adultère de sa part à lui, il la fait avoir été victime d’un adultère de sa part, il lui a fait subir un adultère », ce qui respecte et le passé et le passif de sens subi.
Cette traduction juste révèle ainsi alors que Jésus, sans s’opposer en général au système du livret de divorce, montrait qu’il était un outil d’iniquité dans certains cas, et en particulier dans le cas de la répudiation d’une épouse innocente, puisque semblant autoriser un mari à la répudier unilatéralement et injustement. Comme souvent pour faire avancer la justice et la vérité, démasquer simplement ou exprimer son indignation, Jésus s’est servi d’une gamme qui va de l’humour attendri à l’ironie acide, en maniant l’opposition, le paradoxe, le coup de théâtre, et il a fait un jeu de mots bien mémorisable : les maris étaient censés pouvoir toujours répudier leurs épouses de façon parfaitement légale, devant la société et en suivant la Loi de Moïse, avec un simple livret de divorce ? Jésus ne nie pas la possibilité de divorcer, mais attention, quand le mari répudie même avec son livret une femme innocente de porneia, c’est lui qui commet un adultère envers elle ! Ainsi est dévoilé l’enjeu réel de cette procédure dans le cas où la femme est innocente de porneia : le jeu des temps verbaux éclaire ce type de répudiation qui, dans ce cas, équivaut à être un adultère du mari envers sa femme qui le subit sans pouvoir aucunement l’empêcher ni y échapper, un adultère réel mais en esprit, de la même sorte que celui qui a été précisément évoqué en introduction (Matthieu 5,27-28). Jésus rectifie ainsi sous plusieurs angles une Loi déformée : il enlève un prétendu droit aux hommes injustes qui abusaient de leur droit de répudier, reconnaît un statut de victime aux femmes innocentes de porneia mais répudiées, et redonne une position plus égale à la catégorie des femmes, etc. Par ces rectifications complémentaires, en même temps plus rigoureuses et plus humaines, il redonne sa stabilité juridique, intime et spirituelle au mariage qui est une alliance qui doit rester exempte de toute porneia.
Cet emploi de μοιχευθῆναι avec ce sens par Matthieu (un Passif subi pour une épouse innocente mais de ce fait victime d’un adultère de son conjoint) est rarissime[39] mais, suivant certainement Jésus, Marc lui a utilisé un verbe très similaire à l’actif et au présent avec un verbe légèrement différent (voir plus loin) : en la répudiant et en se remariant, « son mari commet l’adultère envers elle » (Marc 10,11). Logiquement, et comme partout ailleurs, les évangélistes transmettaient le message de Jésus qui était connu pour avoir prôné ici aussi l’égalité de droits entre les personnes et la vérité dans la justice, en dépassant la lettre ou l’extérieur pour atteindre l’esprit et l’intime. La nuance qu’on peut voir entre Marc et Matthieu est la suivante : Marc insiste plus sur la responsabilité fautive du mari sujet du verbe actif, la situation de la femme victime étant implicite ; Matthieu insiste plus clairement sur la situation de victime de la femme, sujet du verbe passif, ce qui ne diminue pas pour autant la responsabilité fautive du mari mais l’augmente plutôt de ce fait.
Il semble bien que les disciples, malgré leur sursaut initial, aient bien compris que Jésus refusait de conserver les préjugés sociaux et les pratiques selon lesquels la femme n’avait pas les mêmes droits que l’homme entre autres sur les procédures de répudiation : le fait que Matthieu et Marc aient transcrit avec humilité et humour mais aussi une grande netteté argumentative, ces réactions des disciples dont ils ne s’excluent pas du tout, montre qu’ils ont voulu mettre en scène les refus et les révoltes que cela allait causer chez les hommes (peut-être même que, alors qu’ils écrivaient, ils en connaissaient chez des disciples après la mort de Jésus…).
Effectivement les affirmations de Jésus se sont heurtées très vite en Israël aux habitudes sociales dominantes d’une époque androcentrique. Par la suite, l’influence encore importante de la société grecque, puis celle du Droit romain qui submergea tout ensuite, rendirent encore plus difficile l’application de ce que Jésus avait enseigné : le mari qui trompait sa femme n’y commettait pas d’adultère, à la différence de la femme qui en supportait des sanctions allant de la répudiation à la persécution, à l’enfermement et jusqu’à l’exécution (l’amant étant lui aussi sanctionné, ce qui pouvait aller de la moquerie organisée et universelle au rejet, et jusqu’à l’exécution) ; sauf exception, ces sociétés méditerranéennes n’envisageaient même pas encore qu’une femme puisse se percevoir comme étant trompée par son mari, et étaient souvent plus indulgentes envers les hommes (répudiation et remariage).
Difficile à accepter sociologiquement du temps où Jésus vivait, encore plus difficile après lui, ce verset 32a a fait l’objet de nombreuses discussions et d’oublis plus ou moins volontaires[40] qui ont contribué assez tôt à freiner l’institutionnalisation d’une pratique conforme à son message.
Une étape cruciale fut franchie, nous l’avons vu, avec une grave erreur dans sa traduction en latin : en grec, en Mt 5,32a la femme innocente était sujet d’un verbe au passif à un temps de sens passé ou présent désignant une action brève et achevée : elle a subi un adultère de la part de son mari, mais le latin a mis cette femme innocente comme sujet d’un verbe à l’actif au présent : elle commet l’adultère[41], ce qui est à l’opposé du texte de Matthieu. Ce contre-sens complet était plus ou moins conscient[42] car les traducteurs, les exégètes et les théologiens étaient influencés plus ou moins inconsciemment par les sociétés que nous avons décrites.
Ce fut malheureusement cette traduction qui ensuite fit foi définitivement car les cinq erreurs combinées en latin floutaient l’erreur sur le grec et rendaient la traduction erronée plausible, d’autant qu’elle s’harmonisait mieux avec les lois grecques et romaines existantes, l’influence juive sur le christianisme diminuant.
Le contexte social entraîna des dénaturations supplémentaires, et nombre de déviations répondant à divers motifs en découlèrent. Puis le grec se parlant de moins en moins se perdit peu à peu et la méconnaissance de sa grammaire fit que l’on ne saisit plus la différence de verbes et de formes et l’usage différent des temps, d’où une faute grammaticale supplémentaire concernant la concordance des temps: en effet la Vulgate avait mis le verbe, non à l’infinitif futur, moechaturam esse, ce qui aurait désigné une action longue dans le futur, mais à l’infinitif présent, moechari, ce qui indiquait de ce fait qu’elle cantonnait l’accomplissement de l’adultère (- compréhension résultant déjà d’une première erreur -) au présent. Or on fit une faute supplémentaire en comprenant ce présent autrement et cela se ressentit lors des traductions en langue vivante qui le traduisirent par un futur : on n’aurait jamais dû projeter cette conséquence (erronée rappelons-le) dans un futur sans limite de temps et basé de plus sur un conditionnel passé aux oubliettes (le remariage de la femme innocente répudiée, avec relations sexuelles conjugales).
Mais le latin se diffusa avec le Droit romain qu’on pensait ainsi christianiser, et la Vulgate devint aussi sacrée que la parole divine. Les aspects juifs oubliés également, le contresens latin aboutit alors à interdire tout remariage puis tout divorce au nom d’un prétendu extrémisme de Jésus.
Ces changements importants ont finalement prévalu faute de rectifications, et les traductions en langue vivante les ont respectés sans y réfléchir ou sans les remettre en cause : le passif de sens actif, erroné, est devenu la traduction habituelle actuelle (la femme innocente répudiée sera séduite = commettra l’adultère lorsqu’elle se remariera) qui est à l’opposé du texte correctement traduit avec son passif de sens subi : «l’épouse innocente répudiée est/a été victime d’un adultère de la part de son mari ». Ces erreurs constituent la base (faussée) d’autres interactions par accord ou rejet entre société civile et religieuse, entre pastorale, doctrine, droit et théologie, avec de graves tensions qui s’expriment, concernant précisément ce qui a été mal traduit, et des conséquences dont l’ampleur marque désormais la vie de l’Eglise et du monde, alors que, bien traduit, Matthieu 5,32a, recueille un fort consensus en tant que modèle neutre idéal, et s’inscrit dans le message évangélique à ce sujet.
Certains auteurs, ignorant peut-être le sens exact initial de ce verbe, ont tenté pendant les cinq derniers siècles en particulier, de justifier par respect la faute de traduction de Jérôme et la « Tradition » qui se construisait, mais ces arguments sont aussi nombreux que discutables et contradictoires[43] ; d’autres, mis face au fait que le présent d’anticipation ou de vérité générale ou le Futur (erronés en fait), condamnent par avance, sans nuance ni exception, de façon injuste, toute une catégorie en bloc faite d’innocents quels que soient leurs futurs actes réels, – ce qui est contraire à l’Evangile et au bon sens – ont expliqué que cette conséquence (la femme commettrait plus tard un adultère en se remariant) avait pour but de faire mesurer au mari sa responsabilité afin de l’empêcher de répudier une épouse innocente : mais, peut-on objecter, le fait que le mari soit prévenu que son épouse commettra un jour un adultère envers lui en se remariant ne peut guère être vraiment l’argument choc qui empêchera le mari de répudier celle qu’il s’est mise à considérer comme gênante; d’autres disent que comme cette femme ne sera pas vraiment responsable, elle ne sera pas vraiment adultère, et que c’est à peine si l’on osera médire d’elle : mais dans ce cas, peut-on objecter, qui avait le droit de prendre cette parole au pied de la lettre pour en tirer des conséquences et des sanctions aggravant encore le sort des victimes ? Dans le récit évangélique, on voit au contraire Jésus s’opposer sans relâche à toute injustice d’individu à individu, nier plusieurs fois que des péchés expliquent les accidents ou les malheurs dus à la nature, et définir au contraire les responsabilités de chacun. Or des femmes divorcées et des veuves survivaient sans se remarier : Jésus les aurait-il alors flétries toutes les femmes divorcées indistinctement avec ce verbe qui les aurait rangées définitivement au rang de pécheresses ? Pour être juste, n’y aurait-il pas mis, comme à son habitude, explicitement, la condition sine qua non indispensable à ses yeux : un remariage futur de l’épouse répudiée ? En outre, il n’est pas habituel que l’évangéliste montre Jésus donnant une instruction aussi radicalement nouvelle (interdiction de tout remariage de la femme répudiée après divorce, et/ou ensuite interdiction de tout divorce et de tout remariage après divorce) par rapport à une ancienne (autorisation pour tous du remariage après divorce) sans le faire remarquer explicitement. Il est également contradictoire avec le reste de son message que ce précepte 32a soit si juste pour les hommes (leur péché est défini mais sans plus) mais hélas, si défavorable par contre aux femmes innocentes. Enfin, ce contenu montrerait un Jésus aveugle sur les défauts de sa société et les vécus psychologiques des personnes, ce qu’il n’est jamais.
Dans ce verset 32a, Jésus ne condamne pas en bloc toutes les répudiations accompagnées de ce livret de divorce, mais seulement celles où la femme répudiée est innocente. Dans ces cas, ce livret, concédé par Moïse (comme le précisent Marc et Matthieu) peut faire croire que mari a agi correctement envers sa femme, mais cette illusion ne change rien au fait qu’il est responsable d’avoir fait une victime. Même s’il n’a pas trompé physiquement son épouse et même s’il lui donne le livret de divorce pour qu’elle puisse se remarier, il lui a fait subir une trahison, une rupture unilatérale des promesses de leur alliance dont il ne pouvait disposer : le mot de « péché » n’est pas prononcé mais l’état du fond de son cœur est décrit avec un terme qui résonne avec les conséquences prévues par la loi juive dans le Deutéronome ou l’Exode, voire par l’Eglise ensuite.
Dans le cas traité ici, celui d’une épouse innocente, l’aoriste passif, traduit correctement, distingue avec justice le statut des deux conjoints : l’incise explicitant le seul cas où la répudiation et donc le divorce sont autorisés (à sa voir dans le cas de porneia), protège mieux ceux à qui on tente d’imposer un divorce non voulu ou une vie conjugale trop dure ; et le diagnostic (c’est un adultère en fait !) prévient des tentations ou aide le fautif à voir clair, tout en permettant le retour à la vie des victimes.
4 : Les sept préceptes évangéliques à propos du mariage et de ses éventuelles ruptures
Dans la foulée des deux points précédents, tentons de dégager la cohérence des préceptes évangéliques concernant le mariage et ses éventuelles ruptures. Nous en dénombrons sept et nous verrons s’ils forment ensemble et avec leur contexte un tout cohérent qui s’inscrit sans heurt dans le message de l’Evangile[44].
Matthieu, Marc et Luc, en ce qui concerne le mariage et le divorce ou la répudiation, évoquent, en 5 versets, 3 types de situations, en dégageant de l’enseignement de Jésus sept préceptes. Ces trois situations sont tirées de divers passages des Evangiles : la vive tirade de Jésus devant tous contre les Pharisiens (Luc, 16,18), la controverse avec eux sur un point précis concernant le divorce (Matthieu 19,9), la réponse de Jésus à son groupe à la maison après la même controverse (Marc, 10,11) et l’ensemble des préceptes rassemblés dans le Sermon sur la montagne (Matthieu 5,27-32) où il donne sa Loi pour le Royaume et pour sa future Eglise.
Ces préceptes ne s’opposent pas la loi juive et aux usages qui en découlent, sauf là où précisément ils sont à contester, comme l’avait déjà fait Malachie, et dans ce cas, Jésus les conteste explicitement afin de redonner son sens plein à la Loi implicite de la Genèse qui sous-entendait, comme toute alliance humaine, la fidélité. Cette Loi était bafouée (inégalité homme/femme, polygamie et répudiation des femmes précédentes pour en avoir d’autres) et pourtant Moïse pour contrer l’endurcissement entêté du cœur des maris (pros + accusatif dit l’Evangile), les avait obligés à un minimum : donner un livret clair de divorce.
On peut déjà faire trois remarques qui expliquent l’opposition à ces pratiques de répudiation même avec un livret cosigné.
1°) Pour traduire le verbe employé (ἀπολύω), il vaut mieux employer à notre époque « renvoyer » (synonyme également de αφίημι) ou « répudier » plutôt que «divorcer» ou « se séparer » qui se diraient d’ailleurs χωριζομαι : les premiers marquent bien l’unilatéralité du processus tandis que les seconds concernent une rupture décidée des deux côtés. Le mari répudiait sa femme et il suffisait qu’il lui donne un livret de divorce pour qu’on considère qu’il y avait divorce. Ce livret, encore nécessaire aujourd’hui à la femme juive pour se remarier, s’appelle le Guet.
2°) Il faut certainement aussi rapprocher cette thématique de la fidélité dans un contexte de polygamie encore existante mais en déclin, avec la thématique de la fidélité à la femme de sa jeunesse : même si un juif veut épouser une autre femme, il n’a aucune raison éthiquement valable d’en abandonner aucune, surtout si elle est plus âgée ou moins jolie etc.
3°) Par ailleurs, presque chaque fois, Jésus vise un défaut des hypocrites, des détournements ou des affadissements de la Loi ou encore des fautes qui ne sont pas perçues comme telles alors qu’elles contreviennent à la grande Loi : faire à autrui ce qu’on aimerait qu’on nous fasse (Matthieu 7,12).
C’est à ceux qui le suivent et suivent la Bonne Nouvelle qu’il parle avec autorité en revenant à la vérité et à l’excellence[45] de la conception du mariage à l’origine (ou à la base), et de la Loi en ayant découlé qui concerne les développements de l’histoire relationnelle des époux : ceux-ci font un pacte, une alliance, (et non un contrat), et Jésus leur dit d’agir différemment de ceux qui se justifient eux-mêmes devant les humains, tandis que Dieu connaît leurs cœurs (Luc, 16,15).
Envisageons donc successivement chacune des trois situations et les préceptes évangéliques qui leur sont appliqués.
-
a) Un conjoint renvoie son conjoint innocent de porneia, commettant ainsi une grave faute (répudiation faussement justifiée).
Une seule phrase concerne cette situation : celle dont nous avons mis plus haut en évidence l’erreur de traduction. Dans cette phrase extraite du Sermon sur la Montagne, Jésus se démarque des hypocrites et des enseignants qui vident la Loi de son sens et enseignent à le faire : lui va lui donner tout son sens. Le Deutéronome 24,1-4 était interprété par eux comme permettant à l’homme de renvoyer sa femme si elle ne trouvait plus grâce à ses yeux ou s’il lui trouvait quelque chose de désagréable ? Il leur répond nettement :
1ère phrase : Matthieu 5,32a : ἐγὼ δὲ λέγω ὑμῖν ὅτι πᾶς ὁ ἀπολύων τὴν γυναῖκα αὐτοῦ παρεκτὸς λόγου πορνείας ποιεῖ αὐτὴν μοιχευθῆναι
Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme en dehors du cas de porneia, lui fait avoir subi un adultère.
La traduction correcte du verbe au passif aoriste infinitif a le même sens que dans Marc 10,11 (3ème appréciation, ci-dessous) qui a tourné sa phrase à l’actif avec un verbe légèrement différent et avec un complément : la voix et le temps du verbe montrent qu’en répudiant sa femme innocente (présent) l’homme la fait (présent) avoir subi/subir un adultère/être/avoir été trompée (aoriste) : ce qu’elle a subi est le fait d’être répudiée alors qu’elle n’était pas coupable de porneia.
Cette appréciation donnée par Jésus est située après le rappel de ce qui fait le couple, tel que rapporté par la Genèse : le mari porte l’entière responsabilité, intentionnelle ou non, mais de fait, de la rupture de l’alliance avec sa femme. Ce reniement définitif unilatéral de l’engagement conjugal la blesse comme et autant qu’un adultère effectif (comme juste avant, en Matthieu 5, 27-28, un désir adultère était un adultère). Mais ce qui intéresse Jésus ici, c’est l’homme – et le Pharisien par exemple – à qui il montre ainsi le « niveau » réel de ce qu’il a fait à ce moment-là par rapport à la Loi conformée selon le plan de Dieu.
Mais Jésus refuse-t-il au fautif le droit de se remarier ? On note qu’il ne conteste pas explicitement le droit de tous les divorcés au remariage, droit qui fait partie de la loi juive, mais son diagnostic va jusqu’au fond du cœur et de la conscience : ce mari homme sait désormais qu’il est responsable de la rupture illégitime de l’alliance où Dieu était témoin et garant : Jésus ne l’appelle-t-il pas, à faire comme David, un chemin de pénitence et de pardon ?
Apparemment, la phrase montre aussi que, si sa femme avait commis une porneia à son égard à lui, le mari ne lui aurait pas fait subir un adultère à elle en la répudiant : Jésus semble donc comprendre que, dans ce cas, le mari puisse la répudier, et lui en donner le droit, dans le Royaume.
Enfin, en ce qui concerne l’épouse innocente répudiée pour un prétexte ou une cause fallacieuse, comme Jésus ne conteste pas la loi ou les habitudes juives au sujet du remariage des répudiés ou des divorcés et comme elle n’est en rien fautive, elle est de plein droit, en accord avec la loi de Dieu pratiquée à l’époque, libérée de son engagement et peut se remarier. Ce principe minimum de base correspond à la justice et au bon sens, même s’il peu y avoir une Folie de l’amour divin à laquelle nous, simples hommes, pouvons nous sentir librement appelés à ressembler. Le verbe employé à l’aoriste indique une action brève : une manière de montrer qu’elle a souffert certes, mais doit tourner la page, et la tournure au passif, pleine de compassion, indique qu’elle « a subi/subit » : c’est une victime, qui en logique et en droit, n’a pas à porter le poids de la rupture de l’alliance et pourrait même aller plus loin dans ses droits. Comme dans tout l’Evangile, Jésus reconnaît la dignité des petits et fait droit à ce qui est juste avant d’appeler à être, librement, comme son Père.
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b) Un homme renvoie une femme innocente et se remarie, commettant ainsi une grave faute (répudiation faussement justifiée suivie d’un nouvel engagement conjugal).
Notons que dans cette formulation, le « et » peut équivaloir à « pour » : rejeter son épouse pour se rapprocher d’une autre femme est un comportement déjà adultère.
Quant aux verbes μοιχεύω (prononciation moïkheuo), déjà évoqué ci-dessus (voir notes 14 et 15) et μοιχάω-ῶ (prononciation moïkhao), ils signifient « séduire une femme mariée, commettre un adultère sexuel, tromper sa femme », plus largement « se faire plaisir en étant infidèle ». Jésus élargira cela jusqu’à l’adultère invisible, mental ou de désir. Le sens de ces deux verbes peut également être plus général : quand il n’y a pas de complément explicité, (et en particulier pour μοιχάω-ῶ qui donne μοιχᾶται au Moyen), le sens peut s’appliquer au fait d’ « être idolâtre, infidèle à la loi de Dieu, pécher contre Dieu» : ce qui se comprend puisque l’adultère, au même titre que l’idolâtrie ou le mariage avec une païenne, est une infidélité (porneia) à la loi de Dieu.
Quatre appréciations très similaires concernent cette situation :
2ème phrase : Matthieu 19,9 : λέγω δὲ ὑμῖν ὅτι ὃς ἂν ἀπολύσῃ τὴν γυναῖκα αὐτοῦ μὴ ἐπὶ πορνείᾳ καὶ γαμήσῃ ἄλλην μοιχᾶται.
Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme sans que ce soit en raison de porneia de sa part à elle, et en épouse une autre, commet[46] l’adultère (ou pèche contre Dieu).
Même verbe final que dans Marc, 10,11 et 12 : ce verbe μοιχαω (Matthieu 19,9 et Marc 10,11 et 12) est de la même famille que μοιχεύω et a presque le même sens : commettre l’adultère, mais il s’y ajoute parfois un emploi intransitif signifiant « être infidèle» sous-entendu à Dieu.
Aux Pharisiens venus le piéger en lui demandant si on pouvait divorcer « pour n’importe quel motif », Jésus répond, bien plus largement, que renvoyer sa femme et se remarier est un adultère réel (moral et physique) de sa part à lui à son égard à elle, à l’exception du cas où elle aurait été coupable de porneia, dont nous avons dit la gravité.
Ces deux premières appréciations ici montrent que la porneia est le critère qui permet à Jésus de distinguer les situations : c’est l’unique raison pour laquelle un mari peut légitimement répudier sa femme, sans en faire une victime (1ère appréciation), et pour laquelle il autorise un ex-conjoint innocent à se remarier (2ème appréciation).
D’où les trois suivantes :
3ème et 4ème phrases : Marc 10,11 et 12 : καὶ λέγει αὐτοῖς· ὃς ἂν ἀπολύσῃ τὴν γυναῖκα αὐτοῦ καὶ γαμήσῃ ἄλλην, μοιχᾶται ἐπ᾿ αὐτήν καὶ ἐὰν αὐτὴ ἀπολύσασα τὸν ἄνδρα αὐτῆς γαμήσῃ ἄλλον μοιχᾶται.
Et il leur dit : celui qui renvoie (injustement) sa femme et en épouse une autre, commet un adultère envers la première, et si celle-ci ayant renvoyé (injustement) son mari en épouse un autre, elle commet l’adultère
Le verbe μοιχᾶται (voir ci-dessus Matthieu 19,9) reçoit en Marc 10,11 la précision que le mari commet l’adultère « envers sa femme », précision sans doute sous-entendue pour la femme : « envers le mari ». Cette précision empêche de considérer que l’adultère est fait prioritairement « envers Dieu ». Certes, commettre l’adultère est un péché, mais l’adultère est un péché d’abord envers celui qui est trompé.
Jésus y répète le même scénario en inversant les rôles : il prône à travers tout l’Evangile l’égalité de droits et de devoirs, fondée dans une symétrie de valeur entre hommes et femmes
5ème phrase : Luc 16,18a : Πᾶς ὁ ἀπολύων τὴν γυναῖκα αὐτοῦ καὶ γαμῶν ἑτέραν μοιχεύει,
Celui qui renvoie sa femme (injustement) et en épouse une autre, commet l’adultère.
Quel que soit leur contexte, ces cinq premières phrases s’accordent toutes autour des mêmes principes pour montrer qu’une alliance se contracte à deux et que la rupture unilatérale d’avec un conjoint innocent est une faute, à plus forte raison si le fautif le fait suivre, dans cet état, d’un remariage, prémédité ou non, et même non suivie d’un remariage, la faute ne se quantifiant pas. Cette rupture est l’équivalent d’un adultère réel envers l’innocent répudié. Elles dévoilent où se situe la faute : dans le geste de couper le couple, encore plus que dans un remariage éventuel. Pour Jésus, l’adultère est bien dans l’ « être » profond, dans le cœur du fautif, et pas tant au niveau de la vie sexuelle. Un conjoint qui impose à l’autre une rupture d’alliance fait ainsi une infidélité à Dieu et rompt ainsi aussi son alliance avec lui.
On peut noter également que Jésus ne dit pas que la nouvelle femme est entraînée dans la faute passée du mari qui a répudié sa première femme innocente, de même pour le nouveau mari d’une femme qui a répudié injustement son premier mari.
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c) Un homme se mariant avec une femme répudiée commet l’adultère (il est fautif malgré une apparence légale).
Il y a deux phrases de Jésus qui concernent la situation où un homme en se mariant avec une femme répudiée commet l’adultère.
Elles commencent de façon identique en concernant l’homme : « tout homme qui prend pour femme … », et concluent de façon voisine sur la conséquence très répréhensible de ce mariage, désignée par les verbes voisins, μοιχεύει et μοιχᾶται (voir ci-dessus), « il commet l’adultère» mais aussi « il est infidèle à Dieu » (surtout pour μοιχᾶται). Jésus ne donne explicitement qu’un seul détail complémentaire : la femme épousée est ἀπολελυμένη[47], un participe[48] qui fait référence au texte du Deutéronome déjà évoqué ci-dessus et dont le sens est qu’elle a été répudiée, une qualification précisée ici pour une raison que nous allons voir.
6ème phrase (suite immédiate du 1er) : Matthieu 5,32b : καὶ ὃς ἐὰν ἀπολελυμένην γαμήσῃ μοιχᾶται
« et celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère (ou est infidèle à Dieu).»
7ème phrase (suite immédiate du 5ème) : Luc 16,18b : καὶ ὁ ἀπολελυμένην ἀπὸ ἀνδρὸς γαμῶν μοιχεύει.
« et celui qui épouse une femme renvoyée de chez son mari, commet un adultère (ou est infidèle à Dieu). »
Les phrases se ressemblent tant qu’elles peuvent être synthétisées ainsi « celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère (ou est infidèle à Dieu).
Tout d’abord quelques remarques :
Cette phrase de Jésus peut rappeler aux Pharisiens une prescription que le Lévitique imposait au seul grand-prêtre : « Il ne prendra ni une veuve, ni une femme répudiée, ni une femme déshonorée ou prostituée ; mais il prendra pour femme une vierge parmi son peuple » (Lev. 21 :14). Il imposait aussi aux sacrificateurs un peu plus nombreux, l’élite du clergé : « Ils ne prendront point une femme prostituée ou déshonorée, ils ne prendront point une femme répudiée par son mari, car ils sont saints pour leur Dieu (Lev. 21, 7), mais tous les autres le pouvaient.
Si on coupe ces phrases de Jésus de leur contexte, cette phrase devient illogique à son époque puisque l’homme en question peut être célibataire et que, si cette femme répudiée se marie, c’est qu’elle a reçu son livret de divorce : tous deux seraient donc considérés alors comme libres, l’un de se marier et l’autre de se remarier, en toute légalité par rapport à la pratique juive : il n’y aurait ni adultère, ni faute.
Par ailleurs, par rapport à Jésus lui-même, qui vient non pas abroger la Loi mais lui donner son sens plein, d’une part, elle contredirait, immédiatement le verset 31a (1ère phrase ici) où la femme, victime d’une répudiation, alors qu’elle est innocente, conserve le droit habituel de se remarier ; cela stigmatiserait et pénaliserait également en bloc la catégorie de ceux qui épousent une femme répudiée, et par ricochet condamnerait une autre catégorie, celle des femmes répudiées alors que certaines sont fautives mais d’autres innocentes. Et, d’autre part, elle partirait d’un postulat implicite contre lequel Jésus s’est élevé plusieurs fois même s’il relève d’un raisonnement religieux basé sur un symbole et dirigé de bonne foi vers un but louable : la contamination systématique du péché d’une personne à une autre, système en dehors de la logique humaine. Et enfin, on dirait que Jésus » catalogue » ces femmes répudiées sans distinguer les personnes, ce qu’il ne fait pas habituellement, sauf certitude.
En réalité, cette phrase n’est illogique que lorsqu’on la coupe de son contexte, ce qui est de mauvaise pratique et très dangereux si on cherche à en tirer une théorie ou des conséquences concrètes. En effet, le verset de Luc 16,18 est souvent présenté comme isolé mais, en fait, il appartient à une tirade de Jésus (16,14 à 17,4) qui reprend en quelques lignes certains des mêmes thèmes du long Discours sur la Montagne chez Matthieu (5,10 à 7,29) qui peut ainsi éclairer Luc.
Les deux en effet critiquent d’abord nommément, à la manière de Malachie, les scribes, les Pharisiens et dénoncent les manœuvres de tous ceux qui vident la Loi de sa substance, donnent une apparence légale à ce qui est une faute, et non contents de pratiquer une Loi diminuée, enseignent également à le faire. Ensuite, Jésus, après avoir déclaré qu’il ne vient pas détruire la Loi, mais lui donner un sens plein, rappelle solennellement au début du paragraphe (5, 28-32) un des commandements qu’on trouve à deux endroits dans la Bible, Exode 20, 14 et Deutéronome 5, 18, exactement semblables : Tu ne commettras pas l’adultère, qui parlent de l’acte sexuel avec la femme d’un autre et l’appellent adultère. Le précepte qu’il va donner (celui qui regarde une épouse[49] en la convoitant…) fait également en réalité allusion aussi à un autre qui les suit quelques lignes après dans le texte cité (Exode 20,17[50] et Deut. 5, 21[51]) à savoir le péché de convoitise d’une homme pour une épouse. Dans ces deux textes, l’adultère est très différent du péché de convoitise, l’adultère car il s’agit pour le mari d’être sûr de la filiation de ses enfants et de ne pas être contaminé par l’impureté d’une épouse souillée par un amant, la convoitise étant seulement un défaut qui rend la vie et le progrès invivables. Dans les deux textes, et les quatre versets, la femme n’est rien d’autre qu’une chose, qu’un réceptacle, qu’un objet, même si son importance s’est un peu accrue dans le second, mais Jésus va radicalement modifier la position de l’homme et de la femme.
En effet, il va expliquer que le commandement sur la convoitise concernant l’épouse de quelqu’un est un péché qui n’a rien à voir avec la convoitise d’un objet, d’un animal ou même d’un serviteur ou d’une servant qu’on peut payer, et il situe lui ce péché de convoitise au niveau de l’adultère commis dans le coeur : “ Mais moi je vous dis que celui qui regarde une épouse en la convoitant, a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » (Matthieu 5.28) : en effet, cette épouse n’est pas sa femme par le mariage, mais l’épouse de quelqu’un d’autre, et Jésus après avoir « inventé » l’adultère moral ou mental, explique (Matthieu 5, 29-32) l’importance de ce péché en esprit : une faute si grave qu’il vaudrait mieux arracher son œil et sa main pour éviter la chute, ce qui, indirectement, montre l’importance qu’il accorde au mariage que tous doivent respecter. Immédiatement après, il attaque en 5, 31, le livret de divorce mentionné en Deutéronome 24,1-4 (voir ci-dessus) afin ensuite de dénoncer le fait que cette attestation à valeur juridique ait été détournée abusivement en moyen légal de répudier sa femme de façon injuste. Il le dénonce en deux complétives coordonnées complémentaires, l’une (32a) évoquant celui qui répudie une femme innocente, certainement en profitant et en apaisant sa conscience à l’aide de ce livret de divorce qu’il vient lui-même de mentionner, et l’autre (32b), celui qui se marie avec une femme répudiée qui a certainement reçu son livret de divorce (sinon, le mariage ne serait pas possible) : « Il a été dit que celui qui renvoie sa femme lui donne un livret de divorce. Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme en dehors du cas de porneia, lui fait avoir subi un adultère et que celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère ou est infidèle à Dieu.» De même que, dans le premier cas, le livret de divorce n’a pas du tout supprimé l’injustice du mari envers sa femme (voir ci-dessus), de même dans le second cas, la remise d’un livret de divorce à la femme permet pour l’homme un mariage formellement correct et légal, mais Jésus démasque l’état spirituel de celui-ci : celui d’un adultère, infidèle à Dieu. Cette énigme s’éclaire en resituant 32b dans l’ensemble du paragraphe (27-32) : l’adultère de cet homme envers l’ancien mari de sa femme ou son infidélité à Dieu se comprend s’il a commis l’adultère avec sa nouvelle femme du temps où elle était mariée, soit réellement, soit « seulement » dans son cœur (cf. justement le verset qui ouvre précisément ce passage en 5,27-28), ou s’il a poussé à la répudiation, – en s’assurant qu’elle obtenait bien son livret de divorce -, afin de pouvoir l’épouser, et/ou s’il a satisfait son désir fautif grâce à la lettre de divorce qui a rendu légal pour la femme un remariage. La tirade de Jésus vise à empêcher, par exemple, certaines adroites combinaisons faites alors pour pouvoir épouser l’objet désiré d’une façon apparemment légale mais qui contrevenait au plan de Dieu sur l’alliance dans le couple. C’est bien de la situation d’un homme dans l’ordre de l’intime ou du spirituel uniquement, que s’occupe Jésus, médecin des âmes. Il met à nu la conscience de cet homme qui est le sujet grammatical des phrases en 5,28 et 5,30, et le jugement à porter sur lui ne tient compte que de ses propres actes motivés par sa façon à lui d’être vis-à-vis de la femme désirée, quoique mariée. Cette altération du mariage en adultère du côté de l’homme n’est due qu’à un seul responsable, l’homme lui-même. Sa faute n’est pas intrinsèquement consécutive au fait qu’il épouse une femme répudiée, et d’ailleurs il ne sert de rien ici de se demander si la femme est fautive ou non, ni si elle était d’accord avec cette manœuvre fautive de l’homme ou l’a ignorée[52] : il est clair que son état de femme répudiée ne l’entraîne pas de ce fait, elle, dans un était adultère. Si Jésus ne s’occupe ici que de l’homme, c’est parce que son discours sur la Montagne ou la tirade de Luc (16,14 à 17,3) visent nommément les Pharisiens et les scribes en tant qu’hommes, pratiquant détournements et réductions de la Loi et les enseignant. Il dénonce nommément ce livret de divorce qui est devenu leur œuvre par deux complétives 32a et 32b qui montrent de façon argumentative deux grandes applications, différentes mais tout aussi injustes et nuisibles, de cet appendice à la Loi dont il prétendait réguler les échecs. Ce « papier » permettait des manœuvres qui transformaient subrepticement le mariage, diluant cette alliance durable et unique reconnue dans la joie entre deux êtres uniques, en une suite de mariages contractuels aussi facilement brisés par le pouvoir masculin que refaits ailleurs par lui. Le livret de divorce était souvent nuisible aux femmes et toujours aux innocentes. Il favorisait un légalisme hypocrite qui vidait la Loi de son sens et contrevenait au plan de Dieu, en facilitait les détournements et laissait le fautif dans un état spirituel d’infidélité.
C’est ce livret qui est ciblé par cette étrange précision « répudiée » qui ne semblait pas, à première lecture, concerner les actes personnels de cet homme qui se marie… et Jésus a joué comme souvent, avec les mots (ici une antinomie) pour faire ressortir ce qui était caché et dévoiler le détournement masqué de la Loi, la situation étant un peu semblable à celle qui s’est jouée autour de la femme adultère qu’on lui amenait à lapider : Jésus y a démasqué le cœur de ses accusateurs.
C’est pourquoi les Pharisiens, qui auraient répondu quelque chose à Jésus s’il avait étendu les prescriptions du Lévitique à tous les Juifs, se taisent : ce que Jésus dit est autre chose et concerne l’homme qui répudie et non la femme à épouser.
Jésus attaque le livret que l’homme qui répudie « donne » à la femme pour transformer sa répudiation unilatérale en divorce : à cause de ce livret, c’est le mariage lui-même ainsi perverti qui devient l’occasion de chute pour tous ceux qui pratiquent personnellement ou sont complices de ce système (Luc 16,15-17 et 17, 1-2 dit à destination des Pharisiens de Luc 16,14 ; ou Matthieu 7,15-23 dit à destination des Pharisiens de Matthieu, 5,19-20), une accusation de plus de Jésus contre les responsables intellectuels auteurs de ces abus : à la question des Pharisiens transmise par Marc, 10,2 le plus ancien probablement à écrire, est « est-il permis à un mari (mari/homme en tant qu’opposé à la femme) de répudier ? », Jésus n’a pas répondu : « il n’est pas permis au mari de répudier » mais sa réponse est « que l’Homme ne sépare pas ce que Dieu joignit » (Marc 10,9) : le changement, significatif, a dû être parfaitement perçu parles destinataires et est à prendre en compte.
Chez Matthieu, un peu plus tardif, la question est directement « est-il permis à un Homme de répudier » (Matthieu 19,3), ce qui implique déjà ici qu’il se permet d’envisager directement qu’une femme puisse répudier. La réponse de Jésus est mot pour mot celle de Marc : « que l’Homme ne sépare pas ce que Dieu joignit/a joint » (Matthieu 19,6). « L’Homme » cela comprend les femmes, et cela fait l’ensemble de l’humanité qui ne doit pas estimer légitimer la répudiation injuste de son conjoint par un papier administratif le légalisant, mais cela comprend aussi les Pharisiens, les scribes, les Docteurs de la Loi, les hommes de loi, qui doivent se compter parmi ceux qui ne doivent pas cautionner une répudiation injuste en délivrant un livret qui la légalise.
Ce changement de perspective change tout, et l’aspect de cette phrase de Jésus, qui semblait illogique à cette époque où tous les divorcés avaient indistinctement le droit de se remarier, donne un cadre solide et juste, indiscutable même au point de vue humain. Toute apparence de manque de bon sens disparaît quand on remet cette phrase dans son contexte : on est alors dispensé de bâtir des raisonnements pour expliquer par exemple que Jésus aurait voulu dire implicitement que si celui qui épouse une femme répudiée commet un adultère, c’est parce que parce que le mariage de celle-ci est indissoluble.
Jésus avait abordé frontalement la question du livret de divorce et il y a répondu logiquement et d’une façon acceptable par tous. Quel précepte invite-t-il à tirer de son appréciation ? Il n’utilise pas d’impératif ni de subjonctif, ni de futur, ni de verbe prescriptif, et n’impose pas là explicitement une nouvelle loi destinée à tous, mais il dit la vérité des cœurs qu’il voit : si l’homme profite de façon adultère des possibilités offertes par ce livret de divorce si facile à réaliser, soit pour divorcer lui-même, soit pour épouser la femme mariée qu’il désirait, il commet une faute, un adultère au sens restreint et surtout au sens large. C’est donc cet adultère-là, un adultère en esprit, qui est à condamner, ainsi que le livret qui y pousse indirectement.
Les deux phrases qui font suite au précepte que l’adultère de convoitise, se traduisent donc ainsi une fois qu’elles sont remises dans le contexte du débat sur le livret de divorce remis par un homme qui désirait une femme mariée et voulait pouvoir l’épouser après avoir répudié la femme « de sa jeunesse » et en les joignant au début de leur verset :
6ème phrase (avec la 1ère phrase qu’elle suit immédiatement) : Matthieu 5,32b. La totalité du verset Matthieu 5,32 : ἐγὼ δὲ λέγω ὑμῖν ὅτι πᾶς ὁ ἀπολύων τὴν γυναῖκα αὐτοῦ παρεκτὸς λόγου πορνείας ποιεῖ αὐτὴν μοιχευθῆναι, καὶ ὃς ἐὰν ἀπολελυμένην γαμήσῃ μοιχᾶται
Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme en dehors du cas de porneia, lui fait avoir subi un adultère, et que celui qui (de façon coupable) épouse une femme répudiée, commet un adultère (ou est infidèle à Dieu).»
7ème phrase (avec la 5ème phrase qu’elle suit immédiatement) : Luc 16,18b. La totalité du verset de Luc 16,18 :
Πᾶς ὁ ἀπολύων τὴν γυναῖκα αὐτοῦ καὶ γαμῶν ἑτέραν μοιχεύει, καὶ ὁ ἀπολελυμένην ἀπὸ ἀνδρὸς γαμῶν μοιχεύει.
Celui qui renvoie sa femme (injustement) et en épouse une autre, commet l’adultère, et celui qui (de façon coupable,) épouse une femme renvoyée de chez son mari, commet un adultère. »
La femme mériterait les mêmes éclaircissements si elle faisait les mêmes actes que les hommes visés par ce contexte.
Ces deux phrases correspondent aux mêmes principes que les autres et forment avec elles un tout remarquablement cohérent avec l’exemple et les attitudes de Jésus et le reste de l’Evangile à tous égards. C’est pourquoi il semble possible de tirer une conclusion provisoire de l’étude de ces sept préceptes en les rassemblant dans leur intégralité, et sans choisir.
5 Vue globale sur cet ensemble des sept phrases
En effet, dans les synoptiques, – Jean n’évoquant pas cette question -, toutes ces phrases, mêmes rédigées avec des optiques différentes, se conjuguent sans se contredire, et c’est aussi pourquoi certaines variantes se sont parfois permis de faire un ajout en recopiant ce qui se trouvait dans un autre évangile : ce n’est pas gênant vraiment puisqu’une phrase ne doit pas nuire à la cohérence de l’ensemble, mais inversement, nul ne peut arbitrairement effacer une phrase ou une incise qui le gêne.
Elles eurent un grand retentissement.
Dans l’Ancien Testament où le remariage est toujours permis, il n’est nulle part évoqué les causes légitimes de divorce ou de répudiation. Jésus est le seul à le faire. Ne remettant pas en cause le remariage tel qu’il était pratiqué en son temps, Jésus est le seul à mettre une condition au divorce et à la répudiation unilatérale : que le divorce soit le fait des deux membres du couple et que la répudiation (unilatérale) soit faite pour la raison de porneia, tout autre étant illégitime. La convoitise est un adultère et, de même, une répudiation illégitime, suivie ou non d’un mariage de celui qui a été injuste, est un adultère vis-à-vis du conjoint et met celui qui a répudié dans une situation de péché grave. Jésus durcit donc la Loi et sa pratique à son époque pour certains, tout en restant miséricordieux, et pour d’autres il la rend juste.
Chez Matthieu et Marc, les Pharisiens, à la suite des réponses que Jésus leur fait, se taisent, bien conscients désormais que le livret de divorce ne suffit pas à légitimer n’importe quelle répudiation et que tout cela est marqué au coin du bon sens, psychologique et humain, mais Marc et surtout Matthieu soulignent (non sans humour ou humilité) l’interrogation (Marc) ou les réactions mécontentes des disciples (Matthieu) influencés par leur temps, hommes dont Jésus vient de diminuer les droits par rapport à la pratique courante à l’époque, et qu’il amène à un esprit nouveau. Par la suite, les épîtres ne mentionnent pas le livret de divorce qui a dû disparaître très vite, mais font allusion au divorce et au remariage qui arrivaient chez les chrétiens dans les justes limites rappelées par Jésus. Le divorce est non pas une entorse au mariage, mais la conséquence d’une entorse faite au mariage. Paul, par exemple, argumente longuement contre la licéité d’une sorte de divorce tout à fait nouveau qui semblait au moins à certains Corinthiens, légitime car projeté pour suivre mieux Jésus, et demande qu’on reste dans la situation où l’on était quand on a connu le Christ, mais il évoque en toile de fond les cas de séparation, ce qui prouve qu’ils existaient[53]. Par la suite, les premiers autres textes dont on dispose, montreront l’application des indications de Jésus qui avaient redonné son sens à la Loi, par Tertullien, par exemple. Pendant quelques siècles, elles ont probablement été écoutées dans la première Eglise qui tentait de vivre la Bonne Nouvelle. On y a vécu, à partir de ses indications qui s’inscrivaient dans la tradition juive bien comprise et étaient lues dans leur contexte, la fidélité à l’alliance dans le couple et avec Dieu, l’interdiction de l’adultère pris dans son sens le plus large, l’appel au pardon, tout en maintenant, hypocrisie en moins, en cas d’échec, le divorce aux cas regrettables de porneia, droit et devoirs égaux entre hommes et femmes. Il est possible que la traduction en grec des paroles de Jésus ait commencé à rendre difficile la compréhension de certaines notions juives (rendues par exemple par porneia ou commettre l’adultère/être infidèle à Dieu). Dans les premiers siècles, par exemple, l’adultère faisait partie des trois péchés principaux soumis au régime de la pénitence publique qui aboutissait à un pardon signifié par l’autorité ecclésiale après un temps de conversion. L’adultère visait alors la faute importante et publique d’avoir rompu avec son premier conjoint et de vivre avec un autre conjoint, et non pas un acte d’adultère sexuel privé. Cependant, la pression sociale était importante, et les droits de la femme ne purent pas longtemps rester égaux à ceux des hommes[54], et peu à peu, Matthieu 5, 32b (7ème phrase ici) fut coupé du contexte et, pris littéralement, fut progressivement interprété comme signifiant l’interdiction absolue d’épouser une femme divorcée, ce qui a fait supposer un principe erroné qui s’accorda probablement à partir des années 250, avec l’erreur peut-être commise dans la première traduction en latin par Victorin de Poetovio, que nous ne connaissons pas, qui inspira probablement la traduction de la Vulgate pour Matthieu 5, 32a (1ère phrase ici). Ce sens se répandit progressivement et entraîna, comme nous l’avons vu, très progressivement des implications doctrinales et pastorales qui conduisirent à interdire tout remariage à toute femme chrétienne même innocente répudiée, puis à toutes les femmes chrétiennes divorcées, tandis que le remariage des hommes divorcés avec une femme non divorcée resta permis comme avant, aucune parole de Jésus ne l’interdisant. Cela ne se fit pas sans discussions au nom de la cohérence évangélique, en particulier parce que cela conduisait les hommes à avoir beaucoup plus de droits… mais l’erreur de traduction se répandit peu à peu et l’emporta définitivement quand le clergé ne connut plus le grec, mais ne lut que le latin. Cela prit six siècles, et l’Eglise, qui sentait cette injustice, tenta de diminuer ces inégalités en mettant alors en place entre le IXème et le XIIème siècles, le mariage comme sacrement religieux indissoluble, l’interdiction pour tous du divorce même pour raison d’adultère (1215, grand concile œcuménique de Latran IV) ; le mariage indissoluble est réaffirmé au Concile de Trente en 1563 (décret Tametsi) avec des différences encore importantes par rapport à aujourd’hui. Ces préceptes ont été enseignés de bonne foi pendant quelques siècles de Tradition pendant lesquels les conceptions religieuses de la sainteté et du sacrement insistèrent sur un mariage ressemblant le plus possible à l’alliance de Dieu lui-même mais en l’assortissant de sanctions incohérentes avec le message évangélique, et a nécessité d’y adjoindre des aménagements de plus en plus nombreux, sources eux-mêmes de beaucoup de difficultés actuellement.
Mais il est probable que, lorsque Jésus parlait, même pour répondre aux Pharisiens précisément sur une question juive, même s’il connaissait, vu l’histoire de son époque, les sociétés romaines, grecques, ou bordant la Méditerranée et au-delà, c’était en fonction du plan de Dieu et du Royaume qu’il parlait, et c’était pour les consciences de chacun, homme ou femme qu’il redonnait toute sa valeur à la Loi. Les Evangélistes, quoique d’une certaine appartenance ou même s’ils visaient tel ou tel besoin de tel ou tel public, se sont efforcés de transmettre sa parole dans toute sa signification globale et pour tous – tout comme l’Eglise le fait actuellement -, et c’est pourquoi les paroles des Evangiles, – et à plus forte raison de Jésus pour ceux qui croient ainsi – ne sont pas devenues obsolètes, mais restent actuelles et peuvent toucher chacun.
Nous verrons plus loin ce qui est complémentaire de ces sept phrases, car à cause des contextes et des questions posées, Jésus n’y a traité pédagogiquement que de cas d’école, à savoir les plus tranchés afin d’être clair sur les principes :
- il indique que le manquement grave (porneia) aux promesses libère le conjoint qui l’a subi des contraintes de son alliance et lui permet donc de divorcer sans pécher.
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il qualifie explicitement le péché de celui qui divorce, son conjoint étant innocent, comme un adultère au sens large, ce qui l’empêche en toute conscience de contracter une nouvelle alliance dans cet état de péché, puisqu’elle serait en réalité faussée de son côté.
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il donne explicitement aux divorcés non-fautifs un statut de victimes (c’est plus fort qu’innocent) et son silence «différentiel» indique qu’un remariage ne les mettrait pas, eux, dans une situation d’adultères.
Ces textes et leur contexte forment déjà au sujet du mariage, un ensemble compréhensible et logique même s’ils ne traitent que de cas extrêmes. Ils réhabilitent la figure de Jésus dont beaucoup se sont détournés à cause de sa supposée injustice envers les victimes et les femmes, alors qu’il se fondait sur une Loi d’amour indiscutable : « Aime ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18) ou encore « Fais à autrui ce que tu aimerais qu’on te fasse, telle est la loi et les prophètes » (Matthieu 7,12 qui n’y met plus de restriction). C’est ainsi qu’on n’agit pas contre la loi, qu’on ne la détourne pas, qu’on ne la vide pas de son sens (Matthieu 7,23), qu’on n’accomplit de porneia ni envers son conjoint ni envers Dieu. Il faut se placer, comme le fait Jésus, en fonction du bien et du mal de l’acte qu’on fait. A ce moment tout est simple… Le départ peut être fautif ou justifié, la répudiation fautive ou justifiée, le mariage même fautif ou justifié, le désir fautif ou juste[55] : ce n’est pas l’acte vu de l’extérieur, mais l’acte qu’on fait avec la conscience, au fond du cœur et ce qu’on fait à l’autre. Il est question, là, de la mort spirituelle d’un couple, d’un des membres du couple, parfois de celle de chacun des membres du couple, ou d’une personne seule : les deux sujets s’étaient unis par une relation qu’ils ont choisi de faire devenir un lien particulier, un mariage, nom général pour un ensemble de relations particulières structurées par des promesses internes au couple, et avaient promis de ne pas disposer de cette alliance à leur guise : ils faisaient un et avaient promis d’aimer l’autre comme leur propre chair, avec, selon la Genèse, l’aide de Dieu dont c’est le précisément le plan en faveur de ce qui est bon pour l’Homme. Si l’un des deux ou les deux brisent ce lien, ils ne se trouvent en situation de souffrance, ou de péché, qu’en fonction de leur propre acte et de leur conscience.
La séparation va contre ce qui est souhaitable et bon pour l’Homme ; elle va contre le dessein de Dieu, mais Jésus l’accepte… comme il ne peut empêcher le jeune homme riche de repartir ou Judas de le trahir, etc. Le désir de Dieu selon Jésus, c’est (Matthieu 19,6, et Marc 10,9) « qu’aucun être humain (anthrôpos en grec peut être masculin ou féminin, et il est ici sans article en grec, ce qui équivaut à l’article indéfini en français) ne sépare ce qu’il a uni », mais il a donné à l’Homme la liberté…
Dans son sens large, la porneia est une infidélité à Dieu. L’emploi de ce terme par Jésus renvoie à l’histoire d’Israël et celle de chacun. Dieu est toujours fidèle : si toute alliance conclue par les Hommes est à l’image de celle de Dieu, elle n’est qu’à l’image de Dieu puisque leur porneia la blesse ou la rompt, puisque les victimes ne pardonnent pas toujours et puisque les pécheurs ne demandent pas toujours pardon. Dieu lui, subit les manquements à la promesse, mais ne rompt jamais l’alliance et propose toujours de restaurer l’ancienne ou d’en faire une nouvelle : sa Miséricorde, du fond de ses « entrailles » est infinie pour celui qui a été fautif en rompant ce que Dieu a uni et connaît sa faute au fond de son coeur.
6 Prolongements
Cette contribution s’est efforcée d’approfondir avec le « courage de la foi et l’accueil humble et honnête de la vérité dans la charité »[56] le sens du message évangélique à propos du mariage et des divorcés.
L’enseignement évangélique, en resituant le mariage dans le dessein de Dieu, propose aussi des voies pour gérer les échecs toujours possibles des couples. Les interprétations doctrinales, à cet égard, qu’on a tirées des textes évangéliques semblent bien avoir été biaisées par les défauts de traduction et de compréhension des textes que l’on a mis en évidence ici. S’agissant des questions relatives au mariage et au divorce, ces défauts ont conduit à des contradictions par rapport à ce que le texte évangélique, sous le regard d’une analyse plus affinée, permet de penser. Pour compenser la dureté difficilement acceptable des préceptes évangéliques – mal compris en réalité – et des applications en découlant, la pastorale de la famille s’est efforcée d’orienter sur des voies de miséricorde pour les divorcés remariés et les couples en souffrance. Ce que nous avons voulu montrer ici, c’est que l’enseignement du Christ lui-même, tel que nous le transmettent les Evangiles, ouvre, pastoralement et doctrinalement, une « voie de vérité et de miséricorde pour tous »[57] et confirme l’absolue légitimité de l’évolution souhaitée par le Pape.
Vis-à-vis des familles et du monde, l’Eglise déclare qu’elle se doit d’être honnête et courageuse dans ses relations aux autres (Introduction à la III° partie : « A la lumière du besoin de famille et, en même temps, des défis multiples et complexes présents dans notre monde, le Synode a souligné l’importance d’une annonce forte et renouvelée, franche et significative, de l’Evangile de la famille »). Cette franchise est inséparable de la vérité et de l’honnêteté dont elle doit faire preuve en ce qui la concerne, pour être audible et permettre ainsi à tous d’avancer dans la lumière divine. S’agissant des questions qui nous occupent ici, reconnaître franchement des erreurs humaines de traduction et de compréhension permet de retrouver la vigueur du message évangélique et les possibilités qu’il ouvre : « En effet, chaque fois que nous revenons à la source de l’expérience chrétienne, de nouvelles routes et des possibilités impensables s’ouvrent » (n° 12).
Malgré les porneias, à travers les siècles, Dieu ne revient pas sur son amour. Et l’amour des couples devrait être à son image et à sa ressemblance. Mais, ce qui est humain est fragile. Le mariage est une dynamique entre deux êtres humains relationnels qui est vulnérable et susceptible d’échec.
En ce qui concerne la victime de ces échecs, blessée et qui doit cicatriser, l’impensable qui s’ouvre à la lumière de l’Evangile revisité, c’est de reconnaître qu’elle a droit, non pas à la miséricorde, mais à la compassion et à la justice : une justice qui la dégage de son alliance et lui redonne ses droits, dont le droit d’espérer qu’on lui demande pardon voire qu’on lui fasse réparation, dans un renouveau de Vie et avec l’aide affectueuse de l’Eglise.
En ce qui concerne le fautif, il a malmené le lien matrimonial et/ou il en a disposé à sa guise, et il est dit être adultère envers sa femme ou avoir péché contre Dieu. Son état de péché est-il irrémissible ? Il a parfois pris ensuite un engagement sérieux dont il ne peut plus se dégager sous peine de faire encore un autre mal… Il est impossible de ne pas constater que, d’une part, l’Eglise a trouvé des moyens d’agir en ce qui concerne même les sacrements dans certains cas (Mariage, Ordre), que, d’autre part, les prêtres ont toujours pu s’appuyer sur la parole de Jésus à ses apôtres pour délier de leurs fautes, en conscience et à certaines conditions, le plus petit pécheur comme les plus grands. S’agissant du pouvoir d’absoudre les péchés, l’Evangile ne précise aucune exception. La cohérence évangélique toute entière ne démontre-t-elle pas également que Jésus n’a pas eu l’intention d’interdire son chemin de pardon miséricordieux à ces péchés-là ? Les faits historiques montrent qu’il a été ensuite pratiqué un temps, avant d’être mal indiqué par erreur, puis rendu impraticable puis interdit : il pourrait être désormais rouvert comme les autres.
Quant aux si nombreuses situations concrètes « intermédiaires » (degrés variés de blessure ou de rupture du mariage, parfois par consentement mutuel à la séparation), l’enseignement de Jésus reste silencieux. Cependant, ses principes, sa clairvoyance et sa sagesse, son refus du binaire, sa connaissance de l’Homme, son exemple, ses préconisations envers les petits, sa miséricorde envers les pécheurs, ses appels au pardon, éclairent la logique de compréhension à apporter à ces divers dénouements de lien : avec Lui, les fautifs ne pourraient-ils pas relever comme tout autre pécheur, de la Miséricorde ? Qui d’ailleurs se sent pur, non-responsable et non-fautif à 100% ? Vu la Loi juive et le reste de l’Evangile, les responsables doivent sans aucun doute faire un chemin pour pouvoir quitter cet état qui sanctionne et verbalise, certes, ce qu’ils ont fait, mais afin de mieux leur permettre d’en sortir ; le conjoint brutal ou le répudiant injuste eux aussi sont appelés à demander pardon à leur victime comme à Dieu et aux autres, voire à réparer ; ceux qui se ont séparés d’un commun accord et avec plus ou moins de regret, alors qu’ils s’étaient unis devant Dieu, peuvent décider de mieux faire dans leur nouvelle alliance. Jésus pointe, certes, la faute, mais à la seule fin de faire résonner la Bonne nouvelle du Pardon et de la Vie.
Les personnes victimes ou blessées quelque part – qui ne l’est nulle part ? – sont elles aussi toujours appelées à poursuivre leur vie chrétienne et à vivre un libre pardon si elles en sont capables, à l’exemple du Christ, qu’elles soient mariées, séparées ou divorcées, qu’elles aient désormais refait leur vie avec un autre, ou qu’elles préfèrent rester désormais célibataires par crainte, méfiance, amour du Christ, esprit de chasteté ou éventuellement dans un esprit de fidélité qui peut témoigner de certaines valeurs mais que Jésus n’aurait jamais cherché à rendre obligatoires.
Quelle que soit la situation, ce Jésus dont témoignent les Evangiles n’invite pas à faire de nouvelles lois, ni à se justifier ni à prouver par de la casuistique que l’on est meilleur que l’autre, mais à faire attention à l’alliance vécue du fond des cœurs et à aimer le mieux possible. Il revient ainsi au but du mariage comme relation intersubjective. Notre compréhension du dessein de Dieu sur le couple humain et son mariage en est enrichie : la Loi mosaïque est irriguée par la Loi d’amour, mais Vérité et Justice font tomber les masques pour guérir chacun dans la Miséricorde. Une fois bien traduites et comprises en effet, les conséquences des infractions à cette Loi sont logiques, saines, et cohérentes avec la Bonne Nouvelle qui est autant celle de la compassion aux victimes dont le Droit est restauré, que celle de la vérité dite aux fautifs à qui est ouvert, comme à tous, tout grand le cœur de Dieu, et celle de la Réconciliation où les Pasteurs peuvent entraîner leur troupeau tout entier.
« Le Christ est « la Bonne Nouvelle éternelle » (Ap 14,6), et il est « le même hier et aujourd’hui et pour les siècles » (He 13, 8), « il est source constante de nouveauté » (Evangelii Gaudium, 11). C’est un pasteur dont nous écoutons les paroles et l’exemple. Il unit en sa vie ce que nous appelons la doctrine et la pastorale : ses préceptes nous permettent d’avoir une vie unifiée autour de lui qui est la source de toute relation vivante, de toute résistance au mal, de toute guérison, de tout pardon.
Une mécompréhension de son message a conduit peu à peu à des oppositions sur certains points entre la pastorale et la doctrine et à des blocages qui sont devenus inacceptables pour le Peuple de Dieu d’autant plus qu’ils apparaissent, même aux tout petits, en tension négative avec Jésus lui-même. Certes, au sujet du mariage et de ses blessures, le Synode ne pouvait et ne peut suivre en toute prudence qu’une orientation pastorale fondée textuellement et théologiquement, mais, précisément, ce réajustement au message du Christ peut déboucher sur des modifications (doctrine et pastorale) concernant les catholiques dont le sensus fidei est déjà très éveillé, et sur des principes humains, justes et logiques, donc tolérables par le plus grand nombre, chrétiens ou non, qui observent le visage de Jésus à travers notre Eglise. Cela n’apporte pas une solution magique aux difficultés présentes, mais peut néanmoins contribuer à faire ouvrir par les responsables de l’Eglise, avertis, des voies progressives d’apaisement et de remise en cohérence , dans cette joie exigeante à laquelle l’Evangile nous appelle.
La miséricorde et la compassion dont doit témoigner l’Eglise pourra alors s’appuyer avec plus de confiance encore sur le Christ, Lettre et Esprit. La franchise de chacun à l’égard de ses propres révisions permettra une pastorale courageuse et fidèle, portera du fruit et fera avancer en tous le Royaume de Dieu.
* Ce travail est le fruit d’échanges nombreux et divers autour du collectif Agathe Dupont. Il avait un site, De l’eau toujours vive. Après Amoris Laetitia, ce site s’est dissous dans l’espérance des réformes ouvertes, et ses documents sont désormais sur le site personnel de l’animatrice du collectif, Marguerite Champeaux-Rousselot.
Son site s’appelle Les Mondes de Marguerite (elle s’occupe de plusieurs choses !). Le lien en est https://recherches-entrecroisees.net/.
Vous pouvez demander des compléments sur des questions évoquées trop brièvement ici.
Il y a aussi des résumés de ce travail (heureusement !) en français (une ou deux pages ou bien quatre pages), et en d’autres langues…
Celle qui a écrit ce texte est catholique pratiquante, qualifiée dans l’étude des textes grecs anciens de par son métier (professeur de Lettres classiques) et ses études ultérieures (doctorat en Histoire des religions de l’Antiquité et anthropologie religieuse).
Marguerite Champeaux-Rousselot
[1] Relatio Synodi de la IIIe Assemblée Générale Extraordinaire, paragraphe n°11
[2], Relatio Synodi id. paragraphe n° 28
[3] Introduction à la question 7
[4] Question 7 : Le regard tourné vers le Christ ouvre de nouvelles possibilités. « En effet, chaque fois que nous revenons à la source de l’expérience chrétienne, de nouvelles routes et des possibilités impensables s’ouvrent » (n° 12). Comment est utilisé l’enseignement de l’Ecriture Sainte dans l’action pastorale envers les familles ? Dans quelle mesure ce regard alimente une pastorale courageuse et fidèle ? Questions 8 à 12 ; 16 à 19 ; 20 à 22)
[5] Relatio Synodi id. Paragraphe 12 ; Paragraphes 46 à 54 en particulier
[6] Questions 7, 8 à 12 ; 16 à 19 ; 20 à 22, et 23 à 39
[7] C’est le cas de Joseph vis-à-vis de Marie, sa fiancée, enceinte mais pas de lui. Matthieu, 1, 19
[8]« Si un homme a pris et a vécu avec une femme et qu’il arrive qu’elle ne trouve plus grâce devant lui parce qu’il a trouvé en elle une chose désagréable, il écrira pour elle une lettre de divorce, la lui remettra en ses mains propres, et il la renverra de chez lui, 2 et étant partie, s’il arrive qu’elle ait été à un autre homme, 3 et que ce dernier mari l’ait prise en haine, il écrira pour elle une lettre de divorce et la lui remettra en main propres et la renverra de sa maison, ou que le dernier homme qui l’a prise pour femme soit venu à mourir, 4 alors il ne sera pas possible que le premier mari qui l’a renvoyée la reprenne pour femme pour lui après qu’elle a ainsi été souillée, car c’est une pratique abominable devant l’Eternel, et tu ne souilleras pas la terre que le Seigneur votre Dieu vous donne en héritage. » (Deut. 14,1-4)
[9] Il s’agit là, comme on le voit, non d’un commandement, mais de précisions juridiques données au fil d’une procédure administrative qui ne visait pas à établir les conditions légitimes d’une répudiation par le mari. C’est un cas très rare : il s’agit d’une femme deux fois répudiée et qui veut revenir à son premier mari. Pour les autres, le remariage est permis avec qui elles veulent. Les ex-maris en ont évidemment le droit eux aussi, aucune loi dans l’Ancien Testament n’ayant écrit « il est interdit aux personnes divorcées de se remarier ». Par ailleurs on peut noter que cette femme n’a jamais commis d’adultère sinon elle aurait été lapidée : il est dit que son deuxième mari l’a simplement « renvoyée».
[10] On en a des témoignages écrits sur les familles sacerdotales et notables. Le document de Damas de Qûmran (Doc. Dam. V,7-9) réagit contre la polygamie des prêtres de Jérusalem : ils épousent «deux femmes de leur vivant, alors que le principe de la nature, c’est « mâle et femelle il les créa», et ceux qui entrèrent dans l’arche, c’est deux par deux qu’ils entrèrent dans l’arche ». Mais cela existait dans tous les milieux, même si on a moins de témoignanges sur les familles plus humbles. Les derniers textes interdisant la polygamie pour Israël datent du VIe siècle apr. J.-C.
[11] Mot hébreu qui est le féminin de compagnon (égalité).
[12] C’est le terme hébreu de la Genèse pour l’homme et la femme.
[13] Ce mot est d’abord employé pour la première alliance (avec Noé) (avant de l’être peut-être pour les couples ?).
[14] (le verbe est le plus fort possible).
[15] 7971 schalach ; ce verbe signifie renvoyer, rejeter, et se construit avec l’accusatif de personne (Genèse 21,14 : le renvoi brutal d’Agar par Abraham, Genèse 25,6 également, 2 Samuel 13,16 :une femme chassée parce qu’on la hait alors qu’on l’a aimée avant) ; employé plus particulièrement pour un divorce en bonne et due forme : Deut. 22,19-29 ; et 24, 1-3 ; Jérémie 3,1 et Malachie 2,16.
[16] περάω transporter pour vendre, πέρνημι, exporter, vendre (des prisonniers, des marchandises etc.), πιπράσκω, idem, ou πέραν, adv. au-delà, de l’autre côté, etc.
[17] Ὦ πορνεία καὶ ἀναιδεία. Aristophane, Fragments, Meineke, Vol 2, 14.
[18] Jusqu’au 1er s. apr. J.-C. : il y a seize emplois en tout et leur étude intégrale en est facilitée. Voir document plus complet sur le site recherches-jesus-sources.
[19] Aristophane, Fragments, Meineke, Vol 2, 14.
[20] Les livres n’ont pas été écrits en hébreu ni traduits dans l’ordre de nos Bibles habituelles, ce qui fait que tout n’était pas publié en grec à l’époque de Jésus. Notre étude, linguistique, a été menée afin de comprendre si le sens a évolué : on en a étudié tous les emplois, 1°) pour l’hébreu dans l’ordre dans lequel ils ont été écrits en hébreu, et 2°) pour le grec dans l’ordre dans lequel ils sont été traduits ou écrits en grec. N.B. Document plus complet disponible à ce sujet.
[21] Isaïe, 47,10 ; Dieu interpelle Israël qui a rompu les ponts avec lui et lui dit : τῇ ἐλπίδι τῆς πονηρίας σου. σὺ γὰρ εἶπας Ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν ἑτέρα. γνῶθι ὅτι ἡ σύνεσις τούτων καὶ ἡ πορνεία σου ἔσται σοι αἰσχύνη. καὶ εἶπας τῇ καρδίᾳ σου Ἐγώ εἰμι, καὶ οὐκ ἔστιν ἑτέρα.
Dieu dit à Israël : tu avais : « l’espoir de ta malignité et tu disais : « moi je suis, et il n’existe rien d’autre. Sache que ton intelligence/connaissance/conscience de ces choses et ta porneia seront pour toi une honte. Et tu disais « moi je suis et il n’y a rien d’autre », etc. et le malheur viendra sur toi…
Le terme hébreu traduit par πονηρία, est le même terme hébreu (7451) que pour désigner le mal dans l’expression de la Genèse « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » et pour désigner les personnes qui font le mal et sont tout entières le mal (Genèse, 2,9 ; 2,17 ; 3,5 ; 3,22 ; 6,5 etc.) ; le terme hébreu traduit par πορνεία est celui (hébreu 1847) qui est employé par la Genèse quand elle évoque l’arbre de la connaissance du bien et du mal. C’est pourquoi la Vulgate traduit : « sapientia tua et scientia tua ». La Septante a choisi le terme porneia car il est englobe un état d’esprit et des actions : l’intelligence erronée et maligne est attachée à autre chose que Dieu au nom d’un avantage personnel de quelque nature qu’il soit, matériel, moral, affectif, sensuel etc.) et ne lui fait pas confiance (comme dans la Genèse) et elle aboutit à couper à rompre l’alliance et à commettre le mal. La faute d’Israël est la même que fut le péché initial des hommes, qu’est tout péché.
[22] Nombres, 14, 33 : les enfants d’Israël vont errer dans le désert, « « portant tous le poids de leur porneia » quand ils ont « abandonné » (34) et « méprisé » (23) Yahvé. Ici porneia s’applique à tout le peuple : c’est une faute morale et affective qui s’est concrétisée souvent, faute du peuple tout entier.
[23] Textes plus complet disponible. Le demander sur le site http://www.recherches-jesus-sources.com
[24] Infidélité, manquement, parjure, adultère relèvent d’un aspect trop restreint et seraient à nouveau ambigus. Les traductions de porneia en français sont toutes imparfaites et il en est de même dans les autres langues. Le terme grec porneia est facilement prononçable, son parent « pornographie » est connu du monde moderne et dans d’autres langues, et il sera d’un usage aussi simple que cloud ou sushi ou écologie et indissolubilité.
[25] Étude disponible sur demande
[26] Ces chrétiens extrémistes de Corinthe qui ont écrit à Paul pour lui demander s’ils pouvaient répudier leur conjoint pour mieux suivre le Christ (I Co 7), bien différents des chrétiens débauchés dont on avait rapporté les actes scandaleux et qu’il évoque précédemment (I Co 6).
[27] Certains indiquent que ce terme porneia signifie ici uniquement prostitution, d’autres, union illégitime, idolâtrie, inceste ou concubinage etc. On peut leur opposer diverses objections. 1°) Les Pharisiens n’auraient pas cherché à embarrasser Jésus par un « piège » concernant un sujet dans la Loi sur lequel tous étaient d’accord, ni sur ce qui relevait du bon sens, ni sur des mariages inexistants ou infondés, sur lesquels il n’y aurait pas eu l’ombre d’une discussion, surtout avec un rabbi aussi intelligent ; 2°) Jésus n’emploie jamais le pluriel « les époux » ce qui exclut tous les cas de porneia en couple (inceste, pratiques diverses, concubinage etc.). 3°) Certaines de ces traductions proposées n’iraient pas avec la réaction des disciples en Matthieu 19,10 : «alors, ça ne vaut pas le coup de se marier !». Comme on n’imagine pas que les apôtres auraient souhaité pouvoir être incestueux par exemple, cette exclamation presque vulgaire se justifie parce qu’ils y perdent trop, en tant qu’hommes, mais aussi parce qu’ils sont effrayés par les exigences de Jésus : ils sont déçus qu’il donne des droits identiques à mari et femme, qu’il limite le droit à la répudiation en mettant la barre du motif au niveau de la porneia, qu’il démasque l’illégitimité de certains divorces, et qu’il dévoile les bases faussées de certains remariages. 4°) Enfin, d’autres traductions proposées ne vont pas avec la réponse que Jésus leur fait, lorsqu’il parle chasteté et eunuques en vue et dans le Royaume (Mtt, 19,12). Il est visible au contraire que Jésus n’évoque que des cas où un conjoint fait souffrir l’autre et manque à ses promesses et à Dieu : c’est cela la porneia, et tout est alors cohérent.
[28] Le verbe de la principale est au singulier et il n’y a qu’un seul sujet possible : il s’agit donc ici de deux actes successifs et liés commis par une seule personne, car s’il était question de personnes différentes, le texte aurait mis deux fois des sujets soit avec les deux verbes correspondant au singulier, soit avec un seul verbe mais au pluriel : « Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme sans que ce soit en raison de porneia de sa part à elle, commet un adultère et je vous dis que celui qui en épouse une autre, commet l’adultère (ou pèche contre Dieu) » ou « Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme sans que ce soit en raison de porneia de sa part à elle, et celui qui en épouse une autre, commettent l’adultère (ou pèche contre Dieu)… » Cf. justement les 3ème, 4ème et 5ème phrases.
[29] Il emploie pour le citer un passif avec un sujet indéfini pour le verbe « dire » parce que cette prétendue prescription est bien loin de correspondre aux commandements de Dieu écrits sur les tables de la Loi et promulgués oralement solennellement par Moïse et dans les synagogues, pour lesquels est employé « vous avez entendu que… »
[30] Le verbe de la complétive a pour sujet le pronom αὐτὴν (prononciation autèn), sujet à l’accusatif de l’infinitif qui suit : le mari… fait (Proposition principale au présent) + celle-ci + infinitif (Proposition infinitive avec sujet à l’accusatif et verbe à l’infinitif).
[31] μοιχευθῆναι :prononciation moïkheuthènaï.
[32] Vulgate : « ego autem dico vobis quia omnis qui dimiserit uxorem suam excepta fornicationis causa facit eam moechari et qui dimissam duxerit adulterat ».
[33] On peut noter une progression sémantique dans les trois traductions en français proposées : dans la tournure latine et dans sa traduction le mari « lui fait commettre un adultère », la femme ne peut se soustraire à l’action du mari, et la responsabilité de ce mari qui renvoie sa femme, alors qu’elle n’a pas commis de porneia, est donc plus clairement démontrée comme engagée, que dans la traduction « la pousse à l’adultère » qui se situe déjà dans le futur et attribue une liberté d’action à une épouse qui semble responsable en partie de son choix de vie ultérieur, ce qui allège d’autant la responsabilité de son mari. Et celle qui affirme qu’il « lui fera commettre un adultère » est propre au français qui ne dispose pas d’un infinitif futur. En effet, lorsqu’on dit par exemple « les mépris de son mari lui font commettre un adultère/ la poussent à l’adultère », cette conséquence est au présent et concerne un adultère « réactionnel » qui a lieu immédiatement, au présent, mais si le français veut indiquer que les mépris présents auront pour conséquence fatale un jour un futur adultère (déjà connu), on devrait écrire « les mépris de son mari lui font commettre un jour un adultère ». Or cette tournure relèverait d’un français incorrect, c’est pourquoi on écrit : « les mépris de son mari lui feront commettre un adultère », avec le verbe « faire » au futur même si les mépris sont présents et que l’adultère est futur. De même en ce qui concerne Mtt. 5, 32a, si l’on veut exprimer que la femme sera adultère si elle se remarie, mais que c’est la conséquence d’une répudiation qui est forcément antérieure et se trouve au présent, in emploiera en français cette tournure par le verbe au futur «fera ». En réalité, pour 32a, on ne trouve pas habituellement en français la tournure avec « faire » au présent car elle prête trop le flanc à la critique : la femme étant précisée innocente de porneia par Matthieu, il aurait été trop clair qu’elle ne pouvait logiquement commettre un adultère (au présent) au moment où le mari la répudie (au présent) ; c’est pourquoi ce sont les deux autres traductions impliquant le futur (« pousse « et « fera » ou leurs équivalents) qui sont utilisées : ces verbes situent ainsi dans le futur la conséquence de l’action injuste du mari, ce qui éloigne sa responsabilité dans le temps d’une fatalité inévitable, reporte une partie de la culpabilité de cet adultère sur la femme et diminue la pression exercé sur lui puisque que c’est la femme qui est censée faire advenir cette faute, et c’est donc elle qui relève au premier chef de l’ordre de la Loi. La preuve de ce ressenti en est que c’est exactement ce qui s’est passé historiquement d’un point de vue religieux et juridique : même si c’est surprenant pour nous, cette phrase a été comprise comme interdisant tout remariage à une répudiée innocente, tandis que le mari injuste pouvait lui se remarier.
[34] Le canon -ou article- 1141 déclare, faute de texte évangélique à citer, que le mariage religieux contracté validement ne peut être rompu du vivant des intéressés. Il en découle que le remariage est possible après la mort du conjoint.
[35] La terminaison -θῆναι fait de ce verbe une forme passive indiscutable. Matthieu n’a mis ce verbe ni à l’Actif, ni au Moyen qui en grec est une Voix qui exprime l’intérêt personnel, mais qui a deux inconvénients qui auraient été lourds de conséquence ici : 1°) à certains temps de certains verbes le Passif a parfois des formes communes avec le Moyen, mais notons que l’Aoriste est une forme des formes qui s’en distingue en général 2°) de plus, si le verbe est défectif à l’une ou l’autre Voix, ils peuvent parfois se remplacer l’un l’autre. Ici, il n’y a pas d’ambiguïté puisque le verbe possède un Aoriste passif bien distinct de l’Aoriste Moyen : en effet, ce verbe n’est pas défectif à l’Aoriste moyen (cf. par exemple le Subjonctif aoriste moyen dans le célèbre Lévitique 20,10 disant que celui qui a commis l’adultère doit être lapidé, et un Infinitif aoriste moyen, par exemple chez Méthode, Symposium sive Convivium decem virginum, 8, 16). L’Aoriste moyen de ce verbe est donc bien distinct de son Aoriste Passif. Ici Matthieu a donc choisi de construire une forme passive à l’aoriste qui ne prête pas à discussion, et il faut évidemment en tenir compte.
[36] Mais dans sa proposition infinitive, Matthieu a employé μοιχευθῆναι (prononciation moïkheuthènai), un Aoriste. Ce temps marque dans tous ses emplois une action ponctuelle, à la différence de l’Imparfait (qui durait) ou du Parfait (qui a duré et dure encore). Il marque également le passé à l’Indicatif, mais cet aspect manque aux autres modes où il peut arriver qu’on le traduise même par un présent : cela pourrait être le cas ici puisque c’est un infinitif. Cependant, ici, comme il est situé dans une proposition infinitive, la règle de la concordance des temps s’applique seulement pour nuancer la valeur d’aspect qui domine en relation sémantique avec le contexte : l’Evangéliste n’a pas écrit « en répudiant une femme innocente, le mari lui fera commettre (plus tard) un adultère » mais il a utilisé le Présent de vérité générale dans la principale, et n’a employé dans la proposition complétive ni un Présent ni un Futur (formes assez banales pourtant), mais a construit correctement un infinitif aoriste passif (forme assez rare), ce qui montre qu’il a voulu marquer que le verbe de l’infinitive concerne 1°) quelque chose de ponctuel et bref et 2°) lié au contexte du verbe principal qui montre la nature de l’action de l’homme mise au présent en pointant sa conséquence immédiate, ou son équivalence : en faisant ceci, l’homme fait cela … A moins de faire subir une entorse à la grammaire, il doit être traduit (en français) 1°) sans impliquer que l’infinitif concerne une action qui durera et 2°) par un Passé simple ou composé, voire à la rigueur par un présent à condition qu’il soit simultané à l’acte de répudier, et surtout pas par un futur. Grammaticalement, une traduction de l’infinitif concernant uniquement un état présent et futur de la femme qui durerait tout le temps que son mari reste en vie est donc impossible. Enfin, est-il admissible d’arguer de la souplesse de la langue grecque pour oser comprendre cet aoriste comme un futur, puis le traduire ainsi en y ajoutant de lourdes conséquences ? Il n’y a en tout cas aucune justification autre que de dire que ce futur correspond à un conditionnel (elle commettrait un adultère … à condition qu’elle se remarie) : mais cet argument ne tient pas puisque d’une part l’Evangile n’a pas précisé cette condition essentielle qu’on aurait par ailleurs développée d’autant qu’elle se serait opposée à la Loi de l’époque et aurait enlevé aux femmes un des rares droits qu’elles partageaient avec les hommes.
[37] Dion Cassius (vie 155 env.-230 ou après) précise que Lucrèce a commis l’adultère (verbe au passif) « malgré elle » ajoute-t-il, et elle se suicidera ensuite pour bien le montrer. ἄκουσα δὴ ἐμοιχεύθη : « elle commit l’adultère pas de son plein gré » Historiae, II, 11, 18.
[38] Ce Verbe, lorsqu’il s’agit du domaine relationnel entre hommes et femme, témoigne du vécu de la société d’alors. En effet, ses diathèses (les emplois des différentes Voix) ainsi que la fréquence de leurs emplois corrélés aux registres épidictiques ou moraux employés pour apprécier et qualifier les actions indiquées dessinent linguistiquement les grands traits sociologiques concernant certaines relations sexuelles. 1°) L’homme « séduit » : ce verbe est employé pour lui à l’Actif et au Moyen, ce qui montre qu’il est considéré comme ayant la capacité de séduire ; il séduit soit une femme le plus souvent mariée, ce qui constitue un adultère et la faute la plus grave puisque c’est une grave impureté que subira inconsciemment le mari de sa maîtresse, abomination punissable de mort pour les deux selon la loi juive, peut-être parce qu’elle peut concevoir un enfant qui ne sera pas celui de son mari; il séduit aussi soit une femme libre, soit une jeune fille, ce qui constitue des comportements relativement moins fautifs puisqu’ il n’y a pas d’impureté qui contamine un autre homme et que dans la polygamie, le mariage peut être le but, la conséquence ou la solution de cette séduction ; s’il est marié, qu’il ait une maîtresse, et trompe sa femme ou sa maîtresse n’est quasiment pas ressenti ni sanctionné comme un adultère (c’est à cette mentalité sexiste que l’Evangile s’opposera). On voit donc que, même si cette conduite de séduction n’est pas jugée moralement idéale, l’homme en a plus que la simple capacité, on considère que c’est assez « normal » et qu’il en a quasiment le droit. 2°) Le même verbe n’est employé pour les femmes qu’au Passif (jamais à l’Actif ni au Moyen), ce qui montre la manière dont elles sont considérées : comme des objets, des subalternes ; celles qui ont commis un acte sexuel de leur plein gré, sont supposées ne l’avoir fait qu’après avoir subi la séduction d’un mâle, et les autres qui ont subi un acte sexuel malgré elles sont dites séduites même si elles ont été violées (ce que nous appelons le Passif de sens actif), mais l’avoir prétendument « subi » n’excuse de toute façon jamais la faute des femmes mariées et n’atténue pas la sanction qui les frappe comme si elles avaient elles-mêmes séduit leur amant. La linguistique apporte bien ainsi son témoignage aux sciences humaines : l’emploi de ce verbe relève d’une question de statut et d’image à soutenir (honneur et virilité chez l’homme, pudeur et soumission chez la femme), et les sanctions sont faites en rapport avec la question du lignage, (la femme adultère est plus sanctionnée que l’homme adultère) et du pouvoir (la femme trompée n’a rien à dire, l’homme trompé a tous les droits de punir). Afin de redresser un des déséquilibres induits par ces préjugés, l’Evangile, concernant le problème crucial des femmes innocentes qui sont victimes légalement de leur mari, mettra par écrit un emploi grammaticalement normal de ce verbe, avec le Passif de sens subi : la Bonne Nouvelle fait avancer le Royaume par les mots et les choses.
[39] Il manque même dans les dictionnaires grecs, alors que par exemple on trouve cet emploi chez Porphyrios, dans son livre De l’abstinence de la chair des animaux (Περί αποχής εμψύχων, De Abstinentia ab esu animalium), livre qui remonte à la 2ème moitié du IIIème siècle ap. J.-C., probablement en 271. Pour qu’on s’abstienne de viande, un des arguments de cet auteur non-chrétien, est qu’on doit respecter les animaux, entre autres parce qu’ils ont beaucoup de raison, toute proportions gardées. Au paragraphe 11 du livre III, il évoque ce qui prouve leur raison relative : qui n’a observé leur sens de la justice ? qui n’a entendu parler de celui des fourmis, des abeilles et, ajoute-t-il en sous entendant le verbe, d’un autre animal : (Notre traduction respectera les singuliers et les pluriels d’une construction peu rigoureuse, et mettra en gras les emplois du verbe μοιχεύω) : τίς δὲ σωφροσύνης φαττῶν πρὸς τοὺς συνοίκους, αἳ καὶ μοιχευθεῖσαι (part. aoriste passif) ἀναιροῦσιν εἰ (5) λάβοιεν τὸν μοιχεύσαντα (part. aoriste actif), ἢ τῆς τῶν πελαργῶν δικαιοσύνης πρὸς τοὺς τεκόντας ἀνήκοος;» (Porphyrios et Phil. De abstinentia, III, 11, l.5). Littéralement : « qui n’a entendu parler du bon sens/de la sagesse des pigeonnes envers leurs compagnons, elles qui, ayant été victimes de l’adultère/ayant été trompées, font périr/cherchent à faire périr si elles l’ont pris celui ayant commis l’adultère/ les ayant trompées». En meilleur français, cela donne : « Qui n’a entendu parler de la sagesse de la pigeonne quant à son compagnon ? Elles aussi, si elles ont été trompées, cherchent à faire périr celui qu’elles ont surpris à les tromper. Ou encore, qui n’a entendu parler de la justice des cigognes envers leurs parents ? ». Ce sens de subir un adultère, être trompé est strictement normal grammaticalement pour ce verbe μοιχεύω qui veut dire commettre l’adultère (intr.) et, transitivement, tromper, trahir (tr.) d’où au passif pour une femme être trompée, trahie, lorsqu’elle était innocente et son mari coupable envers elle d’un grave manquement. Ce dernier sens, qu’on peut appeler le Passif de sens subi, était absent dans les dictionnaires. Ceux-ci tentent en effet de transcrire le sens de la totalité des mots qui nous sont parvenus par écrit, mais ne peuvent affirmer couvrir la totalité de la langue parlée, et font parfois quelques oublis concernant l’écrit, comme c’est le cas ici. Marc 10,11 a utilisé un autre verbe très légèrement différent et a tourné par la voix active (voir 3ème phrase, plus loin) avec un complément exprimé : le mari commet un adultère envers sa propre femme.
[40] En voici un exemple : dans la Lettre 199, 48, lignes 21-sq Basile de Césarée se réfère à Jésus qu’il affirme citer pour expliquer pourquoi la femme n’a pas le droit de se remarier en cas de répudiation : « En effet, le Seigneur a dit : « quiconque abandonne sa femme, sauf pour cause d’adultère, lui fait commettre un adultère. Or du fait qu’il (Jésus) l’a appelée adultère, il lui a interdit l’union avec un autre homme. » Basile a en fait cité la phrase, mais a mis, de mémoire probablement, le verbe au présent moyen. Plus loin également, il oublie le passé passif que Matthieu avait mis, en disant que Jésus a appelé la femme, une adultère. Et, même quand il cite juste le verbe passé passif, sa compréhension en est sans doute fausse (cf. A Amphiloque, lettre 188, 9, ligne 25 sq.). C’est pourquoi il pense de bonne foi avoir justifié la loi sans exception, qu’il a édictée au début de 199, 48 : « La femme qui a été abandonnée par son mari doit à mon avis, rester seule. » Basile, pensant sans doute suivre Jésus, dénie donc à toute femme répudiée, même innocente, le droit de se remarier, sans penser qu’il a déformé la pensée de Jésus, en transformant un geste de miséricorde envers une victime en un poids supplémentaire sur ses épaules innocentes.
[41] Quelques informations au sujet de cette traduction en latin par moechari, un verbe de sens actif au présent 1°) La Vulgate a choisi d’employer pour 32a un verbe grec latinisé, moechari (venant du verbe grec moikhaô), verbe bien connu de la Vulgate qui l’emploie partout à bon escient sauf ici : en effet, pour traduire le verbe grec au passif aoriste (avoir été /être victime d’un adultère), la Vulgate a utilisé un verbe de sens actif (commettre l’adultère) ; ce grave contresens est venu de ce que ce verbe a une forme apparemment passive mais un sens actif car c’est un déponent 2°) En grec dans une infinitive, chaque temps garde toujours sa valeur d’aspect (long/bref ; achevé/inachevé) mais n’a pas de valeur temporelle définie autrement que par son contexte logique ; à la brièveté achevée de l’aoriste, s’ajoute sa valeur temporelle : le contexte en grec avec sa voix passive impliquait forcément un sens présent ou passé proche ; or le latin ayant choisi – de façon erronée – le déponent de sens actif, la logique – faussée de ce fait – impliquait que l’adultère de la femme, bien précisée innocente, ne pouvait s’être déroulé ni dans le passé avant la répudiation ni se dérouler lors de la répudiation dans le présent, mais ne pouvait concerner que le futur (à condition qu’elle se remarie). 3°) Alors que les déponents ne disposent pas d’un infinitif passé, mais disposent d’un infinitif présent et d’un infinitif futur, le latin n’a pas choisi le futur qui aurait été logique par rapport à son erreur de voix, mais le présent qui est injustifiable sémantiquement même dans son contexte erroné : il serait intéressant de pouvoir expliquer ce choix qui rend la compréhension littérale impossible et entraînera des interprétations modifiant le contenu objectif du texte. 4°) Le choix des verbes a eu également des conséquences. Comme pour le grec, les verbes signifiant « commettre l’adultère » sont employés (sauf exception) à l’actif pour les hommes, (moechari, adulterare) et au Passif pour les femmes qui ont été débauchées, séduites, et commettent l’adultère (adulterari). 5°) A la différence du grec, cependant, on ne trouve nulle part, à notre connaissance, de verbe ayant au passif les deux sens opposés : le passif de sens actif » (une chose a été altérée, une femme a été violée ou a commis l’adultère) est banal mais il semble qu’on ne trouve pas d’attestation en latin d’emploi du passif de sens subi (une femme innocente subit l’adultère de la part de son mari). 6°) Cependant, on ne peut pas dire que la notion qu’une femme innocente subit un adultère de la part de son conjoint n’a pas du tout atteint la civilisation latine puisque la Vulgate a traduit avec aisance Marc 10,11, qui avait choisi un verbe synonyme et une tournure active avec le mari comme sujet. La traduction en latin en est littérale et exacte : adulterium committit super eam. C’est apparemment la manière dont le latin évoquait le fait. 8°) La Vulgate aurait donc pu écrire également en 32a : « ego autem dico vobis quia omnis qui dimiserit uxorem suam excepta fornicationis causa, adulterium commisit/committit super eam ». Le grec aurait été respecté avec sa voix passive tournée par l’actif, et son aoriste traduit par un temps évoquant une action brève et achevée, au présent ou au passé. 9°) La Vulgate a traduit correctement 32 b en ce qui concerne l’homme qui commet un adultère (adulterat), mais elle a mis pour 32a qui désignait en grec une femme innocente qui subissait un adultère (un verbe grec au passif de sens passé ou présent désignant une action brève et achevée), un verbe latin à l’actif au présent pour désigner une action longue (moechari).
[42] Nous avons évoqué plus haut différents aspects concernant l’erreur grammaticale de traduction du passif grec par un actif latin. Mais peut-on expliquer cette erreur ? Ses causes, d’évidentes difficultés linguistiques, suffisent-elles à l’excuser comme involontaire ou l’expliquent-elles comme reflétant un contexte sociologique qui a occulté inconsciemment la perception exacte du message de Jésus et le contre-sens de traduction ? Jérôme n’a-t-il pas été plus ou moins conscient qu’il y avait là un problème qu’il ne savait ou ne voulait pas résoudre ? Pour répondre à ces questions, on peut faire plusieurs remarques. 1°) Si on reprend tout le verset 32, on peut remarquer qu’il contient deux verbes signifiant « commettre l’adultère », très proches en grec, ce qui permet un lien très fort entre 32a et 32b que nous étudions plus loin, le premier au passif, le second à l’actif. Jérôme qui utilisait adulterare en 32 b aurait donc pu également l’utiliser adulterare ou committere adulterium avec le complément super eam en 32 a : dans ce cas, la similitude entre 32 a et 32 b aurait respecté le lien très fort établi en grec. 2°) Si Jérôme pensait que la femme innocente commettrait un adultère en se remariant, il pouvait aussi écrire : « ego autem dico vobis quia omnis qui dimiserit uxorem suam excepta fornicationis causa facit eam adulterare (ou adulterari) et qui dimissam duxerit adulterat » : mais l’aspect illogique de cette affirmation aurait alors sauté aux yeux immédiatement et c’est probablement une des raisons (inconsciente peut-être) qui lui a fait choisir deux verbes très différents, leur différence faisant moins ressortir l’absurdité de l’affirmation 2°) L’erreur se voyait d’autant moins que μοιχευθῆναι est un verbe passif, et que le verbe latin choisi moechari est un déponent qui a, comme tous les déponents, un aspect passif pour un sens actif : en latin, cette caractéristique visible (forme passive) a éclipsé l’erreur sémantique sur la voix (un actif pris pour un passif) et a fait que l’erreur n’a pas été perçue, même par les traducteurs en langues vivantes qui se fondaient sur le latin de la Vulgate en vérifiant le grec trop rapidement ou jamais. 3°) Avec l’actif choisi en latin, la phrase ne fait sens que si le verbe est au futur. Or le verbe adulterare existe aux infinitifs futurs actif et passif, et moechari existe aussi à l’infinitif futur. Pourquoi donc, s’il pensait plus ou moins consciemment à un futur actif, avoir mis un présent et non un futur nécessaire au sens ? On peut envisager deux raisons : 3a°) s’il avait mis un futur actif, il aurait écrit « ego autem dico vobis quia omnis qui dimiserit uxorem suam excepta fornicationis causa facit eam adulteraturam esse (ou moechaturam esse) et qui dimissam duxerit adulterat », et, due à l’absence de condition (le remariage de la femme répudiée innocente), l’absurdité intransigeante et injuste de cette phrase aurait sauté aux yeux. 3b°) d’autre part, le futur latin aurait trop contrasté avec l’aoriste grec très visible 4°) L’aoriste grec dans cette infinitive avait une valeur d’aspect (bref et achevé) et une valeur temporelle liée au contexte : le choix latin du présent gomme grammaticalement toute valeur d’aspect bref et achevé et le transpose au temps de la vérité générale hors du temps et dans la durée, inconditionnelle et sans limite 5°) Avoir choisi deux verbes bien différents pour 32a et 32b, avoir traduit un verbe de sens passif en grec par un verbe d’aspect passif en latin, avoir traduit la chronologie d’un temps bref et achevé par un temps qui durait indéfiniment, avoir traduit un temps qui marquait une simultanéité ou une légère antériorité par un futur, et enfin avoir ajouté une condition sous-entendue, ces cinq erreurs semblent avoir échappé totalement au traducteur du grec en latin.
[43] On a avancé, par exemple, que Matthieu a pu se tromper de forme verbale en écrivant, ou que cette forme a été influencée par un causatif sémitique sous-entendu, ou on annule, sans étude fine, les valeurs du passif ou de l’aoriste, ou on soutient que le sens passif « être victime » n’existe pas etc. On peut répondre point par point qu’il n’y a pas de raison d’accuser Matthieu d’avoir écrit incorrectement, qu’il y avait « peut-être » un causatif sémitique mais pourquoi insinuer qu’il l’aurait traduit de façon aussi inconsidérée en grec? que ce verbe n’est pas défectif à l’aoriste moyen et qu’on a au moins un écrit attestant du sens de « être trompée » pour une femme etc. En fait, l’Aoriste et le Passif précédés de l’incise forment un ensemble de trois éléments indissociables et surtout et de plus cohérents dans l’annonce de Jésus, et dans l’ensemble de Evangile ; aucun raisonnement, et il y en a bien d’autres, n’y fait face simultanément, ni par ailleurs d’une manière aussi simple, argumentée et logique.
[44] Il est même possible de dire que, à ce sujet, le message évangélique global et celui des évangélistes se trouvait en germe ou déjà exprimé dans les intentions de la Loi et des Prophètes (par exemple Malachie 1 et 2) tels que, selon nos textes, un Jésus a pu les y décrypter ou les y relire pour les parfaire sans les abolir.
[45] Ce bonheur de la relation est repris dans Gaudium et Spes (n° 48) : le « bien des époux ».
[46] Le verbe de la principale est au singulier et il n’y a qu’un seul sujet possible : il s’agit donc ici de deux actes successifs et liés faits par une seule personne, car s’il était questions de personnes différentes, le texte aurait mis deux fois des sujets soit avec les deux verbes correspondant au singulier, soit avec un seul verbe mais au pluriel : « Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme sans que ce soit en raison de porneia de sa part à elle, commet un adultère et je vous dis que celui qui en épouse une autre, commet l’adultère (ou pèche contre Dieu) » ou « Moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme sans que ce soit en raison de porneia de sa part à elle, et celui qui en épouse une autre, commettent’adultère (ou pèche contre Dieu)… ». Cf. justement les 3ème, 4ème et 5ème phrases.
[47] Le participe féminin qui qualifie la femme, ἀπολελυμένην (prononciation apoléluménèn), employé comme un substantif puisque le mot femme n’est exprimé dans aucun des deux préceptes. C’est un Participe parfait (action passée à résultat actuel) qui peut être soit Passif soit Moyen. Or le verbe signifie 1°) à l’Actif délier, affranchir, acquitter, congédier, chasser : en ce cas, au Passif, la femme aurait été déliée, affranchie, libérée (par le livret de divorce et parfois par la somme d’argent), bref congédiée par le mari ; 2°) au Moyen et de façon intransitive, le verbe signifie s’en aller, en ce cas la femme s’en serait allée, elle serait partie. Cela fait deux possibilités de traductions, mais c’est le Deutéronome qui est évoqué là : la femme y est sans ambiguïté répudiée.
[48] Le motif de la répudiation ou du départ de cette femme n’est pas non plus exprimé : est-elle fautive ou innocente ? Elle peut en effet avoir fui son mari à juste titre ou avoir été répudiée quoique innocente ; mais si elle est fautive, soit elle s’est déliée (Moyen : de son propre chef et sans raison valable, mais en ayant reçu le livret de divorce formel du mari demandé par la Loi mosaïque, pour pouvoir se remarier avec un autre) et est partie de chez son mari (complément de lieu) sans bonne raison, soit elle a été répudiée (Passif) par son mari (complément d’agent sous-entendu) à juste titre pour la seule exception autorisée dans le Royaume, parce qu’elle a commis la faute de porneia vis-à-vis de son conjoint. En fait, qu’elle soit fautive ou innocente, coupable de porneia aux yeux de Jésus ou non, peu importe dans le cas que traite Jésus qui s’occupe de l’homme : elle a reçu la lettre de divorce rédigée par son ex-mari et peut se remarier légalement.
[49] En Grec, le mot γυνη signifie “femme” ou “épouse” : qu’est-ce que Jésus veut dire ? Nous pouvons penser ici que c’est “épouse” puisque 1°) il fait allusion aux commandements qui parlent de la femme de quelqu’un et 2°) parce que Jésus n’interdit nulle part le mariage. Ainsi, il ne veut sûrement pas dire que le désir d’un homme pour une jeune fille, une veuve, une femme divorcée ou libre de se marier est adultère mais parle du désir d’un homme pour une femme mariée, pour une épouse.
[50] Dans l’ordre décroissant : « la maison, la femme, le serviteur, la servante, le bœuf, l’âne et n’importe quoi du prochain ». (Ex., 20, 17)
[51] Dans ce verset, Deut 5, 21, « la femme d’un autre » est mise en tête, probablement parce que c’est plus important, et le verbe est le même que dans le verset de l’Exode 20,17 ; les autres choses, quoique mises avec la femme, viennent après dans un ordre décroissant, et surtout dépendent d’un verbe différent. Ces détails pourraient montrer que la position de la femme s’est un peu améliorée : « Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain ; tu ne désireras point la maison de ton prochain, ni son champ, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui appartienne à ton prochain. »
[52] Le nouveau couple devient « une seule chair », mais même si la femme avait commis une porneia envers son premier mari, et, même si, pour préserver les valeurs du mariage, nous avons tendance à penser par postulat qu’il serait possible religieusement que par une contamination analogue aux transmissions biologiques que nous connaissons, elle lui transmette systématiquement son péché, et même si cela nous semblerait plus juste humainement, il s’avère que les autres préceptes de Jésus, son exemple et l’ensemble de l’Evangile ont montré qu’il ne stigmatise que la porneia de chacun, et que jamais elle ne contamine les autres s’ils n’y participent pas volontairement.
[53] L’épitre I Co est datée de 52-56 et nous est parvenue probablement sans beaucoup de modifications entre sa conception et le texte que nous avons. Paul ne donne nulle part de Loi au sujet du mariage, mais quelques prescriptions pour régler certains problèmes. Il écrit ce texte une vingtaine d’années après la mort de Jésus : une partie des chrétiens sont alors encore mariés sous la loi juive, d’autres dans le cadre païen, et les plus jeunes (une-demi-génération à une génération) se sont mariés probablement également d’une manière juive évoluée, mais tous doivent gérer leur mariage dans le royaume inspiré par le message de Jésus qui circule surtout oralement, et toutes sortes de tendances se faisaient jour, en particulier la tendance au refus de la chair. C’est ainsi que Paul, après avoir fustigé les Corinthiens débauchés dont on lui avait parlé, répond cette fois, en I Co 7, à des gens qui lui avaient envoyé une lettre pour pouvoir divorcer pour mieux suivre le Christ : c’est un contexte plutôt inhabituel et Paul leur intime de rester dans la situation où ils étaient quand ils ont rencontré le Christ. Il prend soin de préciser plusieurs quand sa parole est celle du Seigneur : non seulement parce qu’elle va à l’encontre de la pratique méditerranéenne et des pratiques juives générales, mais aussi à l’opposé du souhait de ceux qui lui avaient écrit, et même, quelque part contre son propre souhait profond, lui qui a choisi de vivre autant qu’il lui était possible et licite, comme un eunuque. (Texte plus complet sur demande). Paul leur ordonne donc de maintenir les liens existants sans en créer de nouveaux. Malgré ce contexte exceptionnel, il est possible d’entrevoir ce qui se passait alors habituellement pour le mariage et le divorce.
Il adresse un ordre aux gens mariés (masculin pluriel), ce qui comprend hommes et femmes : la première prescription a pour sujet la femme, la seconde a pour sujet l’homme : Τοῖς δὲ γεγαμηκόσιν παραγγέλλω, οὐκ ἐγὼ ἀλλὰ ὁ κύριος, γυναῖκα ἀπὸ ἀνδρὸς μὴ χωρισθῆναι[53], ἐὰν δὲ καὶ χωρισθῇ, μενέτω ἄγαμος ἢ τῷ ἀνδρὶ καταλλαγήτω, καὶ ἄνδρα γυναῖκα μὴ ἀφιέναι. (7,10 et 11) : « Mais par contre aux gens mariés, je prescris, non pas moi, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari, ou si elle s’est séparée, qu’elle reste non-mariée ou qu’elle se réconcilie avec son mari, et que mari et femme ne répudient pas l’autre. » Il existait donc le divorce par consentement mutuel (comme dans la loi mosaïque grâce au livret de divorce qui avait commencé un peu à améliorer la répudiation tout crue) où chacun part de son côté. La seconde proposition fait allusion aux répudiations. Divorcer et répudier pour mieux suivre le Christ, paul l’interdit.
Un peu plus loin Paul écrit : δέδεσαι γυναικί; μὴ ζήτει λύσιν. λέλυσαι ἀπὸ γυναικός; μὴ ζήτει γυναῖκα. : « T’es-tu lié à une épouse ? alors ne cherche pas à obtenir la séparation. T’es-tu séparé ?? alors ne cherche pas à de nouvelle épouse » (7,27). Il s’agit ici de prendre femme et des liens de l’alliance quand on se marie, c’est ici probablement une promesse, une alliance devant Dieu et devant les Hommes, qui peut passer par des procédures plus juridiques qui peuvent à l’inverse entériner aussi la rupture du lien. Paul recommande de rester célibataire si on l’est et qu’on a rencontré le Christ.
Sans nous arrêter aux prescriptions de Paul qui ont pour but d’éviter des divorces de gens mariés en vue de suivre Jésus, une aberration !, nous observons ici en toile de fond ce qui pouvait se vivre dans ces premières communautés quand on créait chez les chrétiens avec de nouvelles notions et un nouveau lexique un mariage plus construit et plus religieux avec des notions et un lexique nouveaux. Les termes employés montrent que les divorces et les séparations pouvaient se pratiquer eux, certes en dernier recours et dans la limite des cas permis : ils suivaient certaines des coutumes juives mais renouvelées dans la cadre de la Loi à laquelle Jésus avait redonné son sens plein, en particulier par l’attention aux plus faibles, l’égalité homme/femme et le souci de la justice.
On est un peu surpris néanmoins qu’il n’emploie pas le pluriel avec comme sujet les maris et les femmes. Cela aurait donné : « Mais par contre aux gens mariés, je prescris, non pas moi, mais le Seigneur, qu’ils ne se séparent pas, ou s’ils se sont séparés, qu’ils restent non-mariés ou qu’ils se réconcilient avec leur ancien conjoint, et que mari et femme ne répudient pas l’autre. » et« Vous êtes-vous liés ? Alors ne cherchez pas à obtenir la séparation. Vous êtes vous séparés ? Alors ne cherchez pas à vous unir à nouveau ».
Enfin, il faut se rappeler que le texte de Paul se fonde probablement sur les premiers oraux et écrits qui circulaient au sujet de Jésus, qu’il avait ses propres idées, qu’on débattait beaucoup à l’époque, et enfin que l’on avait connaissance de tout cela quand les rédactions qui ont abouti aux évangiles qui nous sont parvenus ont été entreprises, ajoutant ce qui manquait et rectifiant ce qui devait l’être selon leurs auteurs.
[54] Par exemple, Basile, au IVème siècle, la première fois qu’il évoque cette question, écrit ceci : « Η δε του Κυρίου απόφασις, κατά μεν την της εννοίας ακολουθίαν, εξ ίσου και ανδράσι και γυναιξίν αρμόζει, περί του μη εξείναι γάμου εξίστασθαι παρεκτός λόγου πορνείας. Η δε συνήθεια ουχ ούτως έχει, αλλ ἐπὶ μεν των γυναικών, πολλήν ευρίσκομεν την ακριβολογίαν· (A Amphiloque, 188, 9). « La déclaration, du Seigneur, si l’on considère la suite logique de l’idée, déclaration selon laquelle il n’est pas permis de sortir du mariage excepté pour cause de porneia, convient également aux hommes et aux femmes. Mais la coutume est différente, et pour les femmes, nous trouvons beaucoup de précisions » : coutume fait ici références aux habitudes bien ancrées de la société civile qui influençaient même les chrétiens au point, Basile en est conscient, de l’emporter sur l’Evangile… Ces précisions trouvées par un nous commode et indistinct sont souvent tirées de l’Ancien Testament (critiqué par Jésus), ou, pire, parfois aussi de l’Evangile (cité avec des erreurs comme ci-dessus), ou de Pères de l’Eglise (déjà influencés par l’androcentrisme d’alors) : elles aboutirent à maintenir ou restaurer une inégalité de droits entre hommes (avantagés) et femmes.
[55] Il en va de même pour une personne qui n’est pas encore unie dans un couple et va le créer : le projet est bon ou non.
[56] Conclusion paragraphe 62
[57] Conclusion paragraphe 62