Une attitude semblable à celle de l’Évangile : se réconcilier avec soi-même pour permettre la réconciliation et la poursuite du chemin
Marguerite Champeaux-Rousselot
Il me semble que Marcel Légaut, dans ce passage, cherche à expliquer commet l’Homme peut s’évaluer soi-même avec la mémoire.
Ce même travail est celui qui est supposé se faire au jugement après la mort .
Voire au jugement dernier.
Cela dépend de la foi de chacun.
Ce qui m’intéresse particulièrement ici et me semble original et précieux, c’est que cette vision ne juge pas, ne moralise pas, ne fait pas de chantage à l’Enfer pour l’aider sur ce chemin (ou pour le faire prendre ! ).
Or ce travail de mémoire est aussi celui qui va l’aider dans son présent, dans son chemin vers celui qu’il voudrait devenir, et même, pour ceux qui y croient, dans son chemin vers son être en Dieu.
Ce recul sur son être lui permet éventuellement de comprendre et d’accepter ses fautes comme des étapes ( nécessaires ? ) sur ce chemin s’il entreprend de le poursuivre. Marcel Légaut va jusqu’à y préciser une certaine utilité ( en employant les mots de rédemption, de justification, d’absolution… et j’y ajouterais personnellement celui de réconciliation enf ait avec soi-même comme avecd’autres ) et un point d’appui indispensable pour la poursuite de sa construction.
Il me semble que c’est une démarche semblable que bien souvent, Jésus, fait entreprendre dans l’Evangile à celui qui veut « avancer » sur son chemin.
Le texte de Marcel Légaut :
Par cette recherche à laquelle contribue son être total, l’homme arrache ces événements au passé, il les ressuscite, il les relie et les amalgame d’autant plus complètement à son présent qu’aidé par une vie fidèle et lucide, il a mieux l’intelligence sans refus inconscients de son histoire intime, la reconnaît pour ce qu’elle est et en accepte les conséquences sans restriction.
Dans la mesure où il n’a pas dévié de sa ligne fondamentale, il atteint une compréhension plus profonde de son présent à travers ce qui en fut la préparation proche ou lointaine. Son présent se trouve illuminé et vivifié par cette fructification de son passé. L’activité spirituelle qui donne naissance à ce renouvellement du passé est d’autant plus originale qu’elle doit moins à l’imagination ou au raisonnement. Elle sourd de l’homme un peu au-dessous de la zone où la conscience et la volonté opèrent dans la clarté. Elle jaillit de lui comme une inspiration qui le visite suivant son mode et à son heure. Elle est invention; invention d’autant plus nécessaire que la substance à manifester est plus riche et par suite plus enveloppée, qu’elle intéresse plus directement l’essentiel.
Malgré qu’il n’en ait pas eu directement l’initiative, l’homme est responsable de ce que cette invention lui apporte.
Par elle, il est jugé sur ce qu’il est et manifesté dans ce qu’il est.
En particulier, l’homme comprend mieux l’origine, l’importance et la portée de ses fautes lorsqu’il les replace ainsi dans l’ensemble de sa vie. Elles lui paraissent les détours, presque inévitables pour lui, du chemin à suivre qu’il avait pour devenir ce qu’il devait être. Elles se montrent conséquences de ce qu’il était plus encore que ce qu’il voulait. Sous ce jour, elles deviennent finalement des occasions indispensables pour lui, quoique objectivement non nécessaires, de croissance spirituelle. Elles reçoivent ainsi en partie du moins, et parfois totalement, une singulière justification, véritable absolution. Les plus lourdes (ce sont aussi les moins évitables) lui apparaissent les plus irremplaçables pour sa maturation humaine, car elles prennent origine et l’atteignent en des profondeurs qu’autrement il n’aurait su ni sonder, ni reconnaitre comme siennes.
Ainsi, au-delà des événements et des états qu’il a vécus, par la médiation de souvenirs qui, tirant leur puissance de rénovation de son fonds, recréent en quelque manière son passé et lui donne quelque valeur par une sorte de rédemption, l’homme découvre peu à peu la ligne fondamentale de ses jours. Leur sens, leur raison d’être lui apparaissent, en ces heures claires, de façon assurée et si plénière qu’il ne pourrait y renoncer sans se renoncer lui-même. Plus il y adhère et y correspond, plus il pressent en lui du stable et du définitif. Son existence, à travers les phases successives de sa vie, qui apparaissent puis disparaissent, prend consistance. Sous la trame du temps, elle laisse entrevoir sa durée. Tout immergé qu’il est dans le mouvant et le transitoire, l’homme approche de son être autant que cela lui est possible.
L’Homme à la recherche de son humanité, Marcel Légaut, chapitre 4, pages 77-78, Aubier