Alcaïque Milton

Par Filjak.

Au commencement (dans le monde ancien), je souhaitais faire partager mon enthousiasme pour un petit trésor anglais de seize vers, une pièce de Lord Tennyson sur John Milton à la manière d’Alcée de Mytilène, un poète grec de l’Antiquité. Et, de fil en aiguille, de phone à phone, en passant par quelques mots en al ou en ique, cette page a touché à la mer, à la mort, à l’exil, pour retrouver, surprise ! la tendance très humaine à faire le beau à partir d’un massacre. À tout saigneur, tout honneur : l’ombre d’Achille a précédé Alcée dans la carrière… et Tennyson l’a suivi ; ce Milton alcaïque est aussi le tombeau des rêves.

Merci à webdame Marguerite d’avoir bien voulu l’accueillir, expériences vocales comprises, dans ses Mondes.

Avec l’amicale participation de Yannis et René, de Paris, ainsi que Nesy-Amon, de Karnak.

1. L’air

2. La terre

3. L’eau

4. Le feu

𒀭 Alcoolique Alcée

Νῦν χρὴ μεθύσθην

𒀭 Alcalin Horace

Quampæ̃-ne fúrvæ règna

𒀭 Alcaïque Tennyson

Milton:Alcaïcs

5. Le ciel

6. L’éden

7. Un animal

8. Un anime

9. Une couleur

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C’est un drôle de mot qu’alcaïque.

Si Mytilène, capitale de l’île grecque de Lesbos dont Alcée est originaire, rime avec l’ondoyant méthylène, alcaïque sonne lui comme un mélange arabisant d’alcalin et d’alcoolique, où serait tapi le pouvoir de la terre et du feu. Mais la patrie de Sappho tire sur le violet autant que sur le bleu, et alcaïque est fortement grec, comme on va voir.

L’air

Stibnite
Du khôl en aiguilles

L’ancêtre arabe d’alcoolique, الكحل (al-kuḥl), désigne le sulfure d’antimoine (ou stibine, en photo dans un cristal de calcite), un minéral qui, réduit en poudre grasse et noire, a servi de mascara dès l’Antiquité égyptienne. Du kôhl «sublimé», on est passé, dans le jargon alchimique, à toute substance distillée et, en particulier, à l’éthanol, le liquide incolore, volatil, inflammable et à l’envoûtante formule (CH₃-CH₂-OH) qu’on appelle couramment alcool, et qui permet à l’humanité, depuis les débuts de l’agriculture, de se libérer l’esprit pour tutoyer les dieux à volonté grâce à la fermentation contrôlée. De la Thrace à l’Indus, il a permis le règne sauvage et doux de Dionysos ; le Christ en a fait son premier miracle à Cana ; le prophète de l’islam l’a proscrit.

Sur la prononciation

C’est y qui en phonétique note en général le «u» d’Ursule, le «ou» de Loup étant noté par u.

Dans le mot arabe transcrit al-kuḥl, le caractère note une consonne dite gutturale, la fricative pharyngeale sourde, qu’il faut aller chercher dans la gorge, là où un chat se cache parfois. Dans l’abjad (alphabet consonantique) levantin, elle était notée par le ḥet («barrière» en phénicien) 𐤇, de valeur 8. Celui-ci est devenu (h)êta dans l’alphabet grec, qui en a simplifié le dessin, et l’a transmise tel quel dans l’alphabet latin : c’est notre H.

Pour en savoir plus sur la prononciation, l’abjad et l’histoire du ḥēt, rendez-vous dans la Gorge des phones.

En français, la dernière syllabe d’un énoncé est en générale plus forte, plus sonore que les autres. Elle porte l’accent dit tonique ou d’intensité (stress accent en anglais, terme moins ambigu). Dans d’autres langues, cet accent peut être ailleurs dans le mot. Ainsi, dans al-kuḥl, c’est la partie centrale qui est accentuée, ce qu’indique la graisse typographique – le mascara des textes !

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La terre

Alcaïque sonne aussi comme alcali, autre mot d’origine arabe. Mais il n’a rien à voir avec lui non plus, bien que, là encore, il soit histoire de feu.

Salsola kali
Pousse de soude avant friture

القلي, al-qali en arabe, c’est la friture. C’est aussi la cendre de lie de vin… et la soude, ou carbonate de sodium (Na₂CO₃), qu’on a longtemps obtenue à partir d’une autre cendre, celle de certaines plantes des rivages salés, qui en ont reçu le nom collectif de soudes. Ce mot est lui aussi d’origine arabe : SWD س و د exprime dans cette langue l’idée de noirceur… comme al-koḥl ! Un synonyme de السودان (as-Sūdān), les Noirs, est الكحلان (al-Kaḥlān). SWD exprime aussi l’idée de domination, de pouvoir.

C’est le mot alcali que l’alchimie a adopté pour désigner des substances qui, comme la soude, et plus ou moins fortement, ramollissent les matières organiques en réduisant leur acidité, et favorise leur dissolution dans l’eau. Un alcali à fort pouvoir corrosif est dit caustique. En chimie moderne, alcalin est synonyme de basique (c’est-à-dire, capable d’enlever un H⁺ à H₂O), si l’on n’y regarde pas de trop près.

Sur la prononciation

Le q d’al-qali note la consonne occlusive uvulaire sourde, une sorte de k articulé plus en arrière, à l’entrée de la gorge. Dans l’abjad levantin, elle  notée par le qōp 𐤒 (peut-être le chas d’une aiguille), valant 19. Elle a été reprise sous le nom de qoppa Ϙ dans certains alphabets grecs, dont celui qui a donné l’alphabet latin, où elle est restée : nous en avons tiré notre Q.

Parmi les alcalis, on peut citer la chaux, la potasse ou le natron.

Ce dernier est une soude minérale naturelle toute blanche qu’on récolte au bord de certains lacs de désert. Son nom (de l’ancien égyptien nṯrj ou nutchríy, probablement dérivé de nṯr ou nā́tchar, «dieu») évoque le bain d’eau natronnée dans lequel on plongeait les morts importants pour les dessécher. C’était leur ticket pour la vie éternelle. Ça a fini par marcher, puisque, grâce à la magie de la science, le timbre trimillénaire de la voix d’un prêtre de Karnak a été ressuscité à partir de l’empreinte virtuelle de son larynx… En revanche, la langue de Langue d’Amon (c’est, littéralement, le nom du prêtre), tirée pour l’éternité sur ses lèvres momifiées, n’a pas encore parlé.

𒀭

Au nord du Uat-Ur – le Grand Vert, nom égyptien antique de la mer Méditerranée –, le nectar des dieux grecs, τό νέκταρ, leur a, à l’occasion, servi de natron : dans l’Iliade d’Homère, la Néréide Thétis, nymphe marine et mère du héros Achille, en fourre les narines de Patrocle, l’ami de son fils, pour en conserver le cadavre (Iliade, 19, 38-39). Elle enduit aussi son corps d’ambroisie, l’huile divine d’immortalité – άμβροτος (ámbrotos) est le contraire de βροτός (brotós), mortel. L’ambroisie sert aussi à rajeunir les vivants : Pénélope en est ointe par Athéna dans l’Odyssée, pour enflammer le fatal désir des prétendants.

Selon les auteurs, l’un se mange et l’autre se boit, ou inversement.

Bien avant cela, Thétis avait utilisé une méthode radicale pour tenter de rendre bébé Achille (son fils et celui d’un mortel, Pélée) immortel. Elle l’avait – après l’avoir enduit d’ambroisie – exposé à un feu de flammes vives, ou bien à l’action caustique de l’eau du Styx Στύξ (Stýks).

Sur la prononciation

Jusqu’au début de notre ère, l’accent du grec n’était pas intensif, comme en anglais, en arabe, ou en grec moderne, mais mélodique (anglais pitch accent), à au moins deux tons. Le ton haut, noté par l’accent aigu ´ (transcrit ici par la couleur verte), s’élevait au maximum d’une quinte, selon un grammairien, au-dessus du ton de base.

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L’eau

Many songs are yet sung and many tales are yet told… of the battle of unnumbered tears…

Le Styx est, avec l’Achéron, le passage fluvial obligé pour qu’un mort, convoyé par Charon, rejoigne le royaume souterrain d’Hadès, l’Invisible. Sans sépulture, sa psȳkhǣ (ψυχή) – un souffle froid, esprit-papillon qui n’est pas encore tout à fait l’âme – erre sans repos sur ses rives, comme celle de Patrocle à l’avant-dernier chant de l’Iliade.

Prononciation

Lorsque la voyelle surmontée de l’accent aigu était longue, comme dans psȳkhǣ (où le macron ¯ indique que les deux voyelles qu’il coiffe le sont) le ton sur lequel elle se prononçait n’était pas haut mais montant.
Lorsque l’accent est non pas aigu
´ mais circonflexe (transcrit ici par le rose), c’est que le ton était descendant… et donc que la voyelle était longue, ce dont on n’est sûr a priori que pour les lettres η (ǣ ou ē) et ω (ō) – et encore, elles s’abrègent parfois en poésie. 

Souvent, le ch français d’origine grecque se prononce «k» devant un «a» ou un «o» (exemple : Charon, chœur, charisme) et «ch» – noté ʃ ou š selon la convention phonétique qu’on utilise – devant un «e» ou un «i» (Achéron, Achille, chirurgien, trochée… et Psyché). On dit dans le second cas qu’il se palatalise : la langue remonte, pour le chuinter, du voile du palais – où se trouve le «k» standard français – vers le palais dur. Il s’est passé la même chose en grec moderne, mais avec un résultat un peu différent.
Ainsi le nom du Centaure précepteur d’Achille,
Chiron, prête-t-il facilement à la plaisanterie scatogéométrique.

Charon est défini traditionnellement comme le nocher des Enfers, et est représenté en vieil homme effrayant poussant sur une perche pour faire avancer sa barque infernale. Le ch de nocher se dit bien «ch», lui ; le mot vient, par le latin, le génois et le provençal, du grec ναύκληρος (naúkros). Il signifie armateur, patron de bateau – une barque donc, dans le cas de Charon –, mais on peut y entendre aussi un écho de κλῆρος (kros), le sort, la part de destin échue à chacun.

Une nuit, alors que le fils de Pélée, sur la dune, au son du ressac incessant de la mer…

Πηλεϝίδης δ´ επὶ θῑνὶ | πολυφλοίσβοιο θαλάσσης

(Pǣle·dǣz d-epi ·thīni | po·luphloýz·boyyo thssǣs)

… pleure amèrement son ami Patrocle, tué au combat par Hector, fils du roi de Troie Priam, l’ombre du défunt vient hanter ses rêves, et lui demande de ne plus retarder ses funérailles. Achille, sortant de sa stupeur, se décide à livrer le corps de Patrocle aux flammes du bûcher, y ajoutant sa propre chevelure, qu’il avait pourtant consacrée au Sperchéios – l’Emporté –, dieu-fleuve de son pays natal. La colère sombre qui avait fait mettre l’arme au pied à Achille est vaincue par le désir de venger son ami : il reprend les armes pour le malheur d’Hector et de Troie.

Contexte

L’Iliade est l’histoire de la colère d’Achille, un épisode de la guerre de Troie – la ville d’Ilion – qui permet à Homère de «concentrer» l’évocation de celle-ci dans un poème de près de 15 700 vers. Héritier de la tradition épique grecque orale, il est aussi la première œuvre connue de la littérature européenne.
Alors que le siège de Troie par les Grecs est dans sa dixième année, Achille, chef des Myrmidons, se voit floué de sa plus belle part de butin – Briséis, une prisonnière de guerre – par le grand roi de l’expédition, Agamemnon. Furieux, Achille se met en grève, comme l’Atlas d’Ayn Rand. Il se retire sous sa tente, interdit aux Myrmidons de prendre part aux combats, et demande à sa mère Thétis de plaider sa vengeance auprès de Zeus. La nymphe des Abysses a l’oreille de l’Assembleur des nuées (ainsi que le menton, comme le rappelle un tableau d’Ingres). Apollon, dieu des Épidémies, est chargé de l’exécution : la peste – dont les bubons sont comme des blessures de flèche, signatures de l’Archer divin – se déclare dans le camp grec, ravageuse, faisant les morts que la guerre avait épargnés. C’est ce qu’Homère annonce dans le proème de l’Iliade, le début du poème.
Pour protéger la flotte menacée d’incendie par les Troyens, Achille finit par autoriser Patrocle à mener les Myrmidons au combat,sur le champ de bataille et lui fait revêtir sa propre armure. C’est ainsi qu’Hector de Troie, croyant tuer Achille, tua Patrocle avec un coup de pouce d’Apollon.

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Trois mille ans plus tard, des âmes bien vivantes, elles, fuyant l’enfer d’autres conflits meurtriers, tentent de franchir les eaux de cette même mer pour rejoindre le sol européen. Certains n’y parviennent jamais et laissent la vie dans ce tombeau de leurs rêves.

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Le feu

Celui qui a ravagé le camp de réfugiés de Mória, sur Lesbos, verdoyante île égéenne face à l’Asie mineure, au sud-ouest du Kaz Dağı, le mont Ida des Anciens. 17 000 personnes s’y entassaient à ciel ouvert. Lesbos est l’antichambre de l’Europe pour les migrants. Le feu, c’est aussi celui qui les anime et les pousse à la terrible aventure (pour une fois que ce mot n’est pas galvaudé) de l’exil.

Le feu, c’est aussi celui de la passion : amoureuse, chantée par Sappho, enfant de Mytilène, la capitale de Lesbos, et polémique, chantée par Alcée, son compatriote.

Moria Camp
Mória : l’enfer vu du ciel

Il y a trois mille cinq cents ans, Lesbos s’appelait Lazpa dans les archives de l’Empire hittite d’Anatolie (la partie asiatique de la Turquie moderne), et était disputée entre le roi de Wiluša – « notre » Troie – et l’empereur hittite Muwatalli. Ce dernier l’emporta…

Étymologie

Et il se pourrait que ce soit son nom, Muwatalli, qui survive dans celui de Mytilène, la capitale.

L’île a connu d’autres guerres, la fin de l’Empire hittite et la fin de Troie, les temps obscurs et la «tyrannie» – un des noms grecs de la royauté de circonstance – de Myrsile puis de Pittaque, l’un des Sept Sages de la Grèce. Tous deux furent la cible d’un poète et d’une poétesse, qui subirent ou s’imposèrent, au gré des luttes politiques, la dureté de l’exil : c’étaient Alcée et Sappho, «la dixième Muse». De leurs airs, accompagnés du barbitos (une sorte de lyre allongée), il ne reste que quelques mots.

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Alcoolique Alcée

Alcée de Mytilène a été canonisé par la tradition comme l’un des neufs grands poètes lyriques grecs. Il est né au VIIe siècle avant notre ère. Il passait pour amoureux de Sappho. Il chantait l’alcool, la guerre et le défi aux tyrans.

Sappho et Alcée
Lawrence Alma-Talema, Sappho et Alcée (1881)

Alcée, c’est en grec Αλϰαῖος (Alkayyyos), c’est-à-dire celui qui a l’αλϰή (Alkē), la force, la résistance, la capacité de protéger et de défendre.

Variations sur un étymon

Alcée ou Alcide (Αλκαΐδᾱς), «le fort», «le protecteur», était aussi le premier nom d’Héraclès, d’après celui de son grand-père. Il s’en rendit digne dès le berceau en étranglant, raconte Pindare, deux serpents qu’Héra lui avait envoyés ; ainsi sauva-t-il la vie de son frère jumeau Iphiclès.
Alexandre (Αλέξανδρος) signifie «le défenseur des hommes». Avant d’être un nom célèbre sur trois continents, il fut celui du roi de Troie qui se soumit à Muwatalli (l’empereur hittite dont Mytilène rappellerait le nom) et apparaît dans les archives de Hattuša sous la forme d’Alâkšândûš, roi de Wiluša. Dans l’Iliade, composée cinq ou six siècles après l’inscription de cette tablette hittite, Alexandre est l’autre nom de Pâris, bourreau d’Achille, mais dont le jugement en matière de déesses causa la perte de Troie-(W)Ilion.
Alcinoos
(Αλϰίνοος) «l’esprit qui protège», est le roi des Phéaciens dans l’Odyssée. Il accueille Ulysse seul et naufragé au terme de ses tribulations, mais son île, Schérie, doit subir le châtiment de Poséidon, furieux de l’hospitalité accordée à l’aveugleur de son fils.
Enfin, la mythologie connaît une
Alceste (Άλϰηστις), fille de Pélias (le roi qui envoya Jason chercher la toison d’or), qui aimait fort son mari : elle accepta de mourir pour prendre sa place aux Enfers – terrible ticket de substitution qu’Apollon avait soutiré aux Moires, les déesses du Destin, en leur faisant boire… de l’alcool ! Alceste, suprême défenseresse, fut ramenée des Enfers par Héraclès.

Et… le Misanthrope ? Notre Alceste, l’Atrabilaire amoureux de Molière ? Il n’a rien d’un défenseur, lui qui déteste la compagnie des humains hypocrites et finit par se retirer seul dans son désert. Pourquoi Molière l’a-t-il nommé ainsi, d’après le grec Αλκηστής ? Défenseur de la vérité peut-être ? Un atrabilaire est, dans l’ancienne théorie des humeurs, celui qui a l’humeur noire et pousse sa mélancolie jusqu’à la colère. Il existe dans la mythologie grecque un héros qui se retire de la scène par amour et par dépit, furieux d’avoir vu sa juste cause rejetée. Sa noire colère, maudite d’emblée par le poète, est funeste à ceux de son camp. Ce sombre héros de l’amer, premier atrabilaire de la littérature (européenne ! les mythes des Hittites étant pleins de dieux boudeurs), fauteur de malheur, qu’il passe à l’action ou s’en abstienne, c’est encore Achille.

Alcée a aussi chanté la guerre, mais ce n’était pas un grand guerrier, il a même oublié armure et bouclier en fuyant le champ de bataille devant la furie athénienne. Mais il était intraitable, Achille du verbe, toujours à fulminer contre la tyrannie. Achille lui-même était un peu poète : Homère le montre dans sa retraite, chantant et s’accompagnant de sa lyre. Patrocle est son public…

On n’a gardé d’Alcée que des fragments de poésie. Le plus connu sans doute est rapporté par Athénée de Naucratis, un érudit gréco-égyptien du IIe siècle de notre ère, dans son Banquet des sophistes (*), mine d’anecdotes et de citations sur des auteurs dont on ne sait plus rien d’autre. En voici les deux vers :

Νῦν χρὴ μεθύσθην | καί τινα πρὸς βίαν
πώνην, επεὶ δὴ | κάτθανε Μύρσιλος

On peut le transcrire ainsi :

ŋ khrē methusthēn | key tina proz bian
pōn, epiy dē | kat-thane Mursilos

Sur la prononciation

Rappel : l’accent aigu ´ indique une voyelle plus haute que les autres ; si elle est longue, il signifie qu’elle monte. L’accent circonflexe indique une voyelle longue qui démarre en haut puis redescend.

Chacune des consonnes occlusives k, p et t avait sa contrepartie aspirée. On la prononce en faisant suivre l’occlusion d’un souffle, ce qui est noté ici d’un petit h supérieur ; la différence est un peu celle qu’il y a entre les deux p de l’anglais paper (pheypə), où l’accent d’intensité entraîne l’aspiration (et où ə note la voyelle centrale non accentuée, traditionnellement appelée « schwa » : ni e ni i ni u ni ʊ ni o ni ɒ ni ɑ ni a ni ɐ, juste schwa). Le khî Χ, le phî Φ et le thêta Θ se sont, le temps passant, érodés en fricatives.

Alcée était lesbien. Son dialecte, aussi appelé éolien, était parlé, outre à Lesbos, en Thessalie, en Béotie et au nord-ouest de la côte asiatique. L’upsilon ϒ s’y prononçait «ou» (transcrit par u, voir plus haut), comme du temps d’Homère. C’est à Athènes qu’il est devenu «u». En grec moderne, υ – quand il est voyelle – se lit «i», tout comme η, ει, οι… et l’iota ι bien sûr : un Hellène contemporain dit bien plus de «i» que l’Ancien moyen ; c’est le phénomène condamné par les puristes comme iotacisme.

Ainsi, πολυφλοίσβοιο θαλάσσης, le son du ressac en grec homérique, se prononcerait bien différemment aujourd’hui :


Merci à Yannis d’y avoir prêté sa voix.

Pour revenir aux vers d’Alcée, en reprenant les mots de Baudelaire (**) :

Il est l’heure de s’enivrer, et même, que chacun se force
À boire, puisqu’il est mort, Myrsile !

Un peu de métrique (par et) pour les nuls

Dans chacun des deux vers de onze syllabes qu’on vient d’entendre, syllabes lourdes ¯  et légères ˘ alternaient ainsi :

× ¯ ˘ ¯ × | ¯ ˘ ˘ ¯ ˘ ¯

Un × indique une syllabe qui peut être aussi bien lourde que légère (dite ànceps).

Ce sont les deux premiers vers d’une strophe de quatre qu’on définit par le schéma métrique suivant :

× ¯ ˘ ¯ × | ¯ ˘ ˘ ¯ ˘ ¯

× ¯ ˘ ¯ × ¯ | ˘ ˘ ¯ ˘ ¯

× ¯ ˘ ¯ × ¯ ˘ ¯ ¯

¯ ˘ ˘ ¯ ˘ ˘ ¯ ˘ ¯ ¯

Avec 11, 11, 9 et 10 syllabes, c’est la strophe alcaïque

… Dont on attribuait, un peu par convention, l’invention à Alkâyyos-Alcée.

Contexte

Myrsile était un tyran qui succédait à un autre tyran. Alcée échoua à le faire renverser et dut s’exiler. C’est Pittaque qui prit le pouvoir, et devint la nouvelle cible du poète, qui ne lui pardonnait sans doute pas d’avoir fait de l’état d’ébriété une circonstance aggravante des crimes et délits.

(*) Les Deipnosophistes, Livre X, ch. 35.
Dans les Fragments d’Alcée publiés aux Belles Lettres, il s’agit du no 332
(t. 2, p. 144).
(**) Dans «Enivrez-vous», pièce XXXIII du Spleen de Paris.

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Alcalin Horace

Six siècles plus tard, le grand poète latin Horace, contemporain d’Auguste et protégé de Mécène, a repris la strophe alcaïque dans ses Odes (Càrmina), et sa traduction (au début de l’ode 37 du Livre I) de l’éthylique injonction d’Alcée est célèbre : Nunc est bibèndum

Dans l’ode Ìlle et nefãstō(II, 13), le poète qui avait Mécène pour mécène fustige un arbre qui, en tombant, a failli l’envoyer prématurément ad pàtrēs. Après avoir, dans trois strophes alcaïques fort alcalines, maudit la plante horaticide et son impie planteur, il rend visite en vers à Sappho et Alcée aux Enfers :

… Quampæ̃ne fùrvæ | règna Prosèrpinæ
et jūdicàntem | vĩdimus Æacùm
sēdèsque discrìptās piõrum et
Æòliīs fìdibus querèntem
Sapphṓ puèllīs | dē populãribus
et tẽ sonàntem | plẽnius aũreō,
Alcæ̃e, plèctrō dũra nãvis,
dũra fùgæ màla, dũra bèllī.
Sur la prononciation

J’ai noté l’accent et les voyelles longues.

L’accent latin naturel était intensif. Sa réalisation dans des formes poétiques souvent empruntées aux Grecs (et enseignées par eux) fait débat.

La différence de durée entre voyelles longues et brèves était moins importante en latin qu’en grec ancien, le contraste étant assuré surtout par une différence de qualité : les voyelles longues étaient plus fermées que les brèves de même timbre (par exemple, le è bref ouvert avait pour contrepartie un é long fermé). Inversement, les voyelles brèves portant l’accent étaient plus ouvertes, d’où mon choix de l’accent grave.

Les lettres que j’ai mises en italique ne se prononçaient pas – ou peu ; pour ce qui est des –m finaux, ça fait débat.

Le r était sans doute roulé de la pointe de la langue (ou au moins battu, c’est-à-dire roulé une seule fois), si l’on se réfère au r de la plupart des langues filles. Il était tantôt décrit comme doux, ou chantant, ou comme un grognement de chien (!)

Encore un (petit) peu de métrique

Seule différence de convention métrique entre les vers alcaïques grecs et latins : les syllabes ancìpitēs × sont toujours longues dans les seconds.

Autrement dit :

… Comment j’ai presque vu le palais de la sombre
Proserpine, Éaque en train de juger et le
séjour assigné aux justes bienheureux,
Sappho se plaignant
des jeunes filles de son pays sur sa lyre éolienne,
et toi, Alcée, chantant plus fort, avec ton plectre
d’or, la difficile navigation,
les durs malheurs de l’exil, les rudesses de la guerre.

Merci à René pour sa traduction.

Petite prosopographie souterraine

(Extrait du trombinoscope des Enfers.)

Proserpine est la reine des Enfers du monde romain. Elle est une adaptation de la Perséphone grecque, femme d’Hadès, à Lĩbera, déesse italique du Vin et de la Fertilité. Si en grec Περσεφόνη (Persephónǣ) sonne comme «ravage et meurtre», Prōsèrpina (Horace en abrège l’o) évoque en latin la reptation du serpent.

Éaque (Æacùs) était le père de Pélée, père d’Achille. C’est aussi, avec Minos et Rhadamanthe, l’un des trois juges des Enfers (celui des Européens, selon Platon), fils de Jupiter, le Zeus des Romains. Son nom en grec, Αιακός, évoque la lamentation.

Sappho était Ψάπφᾱ (Psápphā) à Lesbos, Σαπφώ (Sapph) dans le reste de l’œkoumène parlant grec.

En fin d’Ode, Horace montre plusieurs VIP de la damnation antique, Tantale, Orion et même Prométhée, descendu de son pilori caucasien, tous suspendus au chant des deux Lesbien·ne·s, tandis que, brièvement délacés, les serpents ne sifflent plus sur la tête des Furies.

𒀭

Alcaïque Tennyson

Break, break, break,
On thy cold gray stones, O Sea…

Alfred Tennyson, grand poète britannique de l’avant-dernier siècle, était très apprécié de la reine Victoria, qui le fit baron de Freshwater, petit village d’eau douce à la pointe salée de l’île de Wight. Helléniste accompli, il n’ignorait rien de la longue onomatopée évoquant en grec ancien le bruit des vagues. Peut-être est-ce l’Achille d’Homère, pleurant Patrocle sur les bords d’Égée, qui lui a inspiré Break, break, break, l’un de ses poèmes les plus connus outre-Manche. Il y dit, face à la mer qui peut, elle, se briser sans relâche sur les «rochers gris et froids», le deuil impossible d’un ami cher.

𒀭

Comme nombre de ses collègues victoriens, le poète a essayé d’adapter les rythmes antiques à la langue anglaise. Son Milton alcaïque (1863) est un hommage tout en splendeur romantique à John Milton, nouvel Alcée «à la bouche forte» (Alkayyos !), Héraclès de la poésie, inventeur d’harmonies retrouvées. On n’ose y voir, de la part de ce chantre de la monarchie victorienne, une allusion à Olivier Cromwell, Protecteur (Alkayyos !) du Commonwealth d’Angleterre, et champion politique de Milton le républicain.

MILTON

Alcaics

O Mighty-mouth’d inventor of harmonies,

O skill’d to sing of Time or Eternity,

God-gifted organ-voice of England,

Milton, a name to resound for ages;

Whose Titan angels, Gabriel, Abdiel,

Starr’d from Jehovah’s gorgeous armouries,

Tower, as the deep-domed empyrëan

Rings to the roar of an angel onset—

Me rather all that bowery loneliness,

The brooks of Eden mazily murmuring,

And bloom profuse and cedar arches

Charm, as a wanderer out in ocean,

Where some refulgent sunset of India

Streams o’er a rich ambrosial ocean isle,

And crimson-hued the stately palm-woods

Whisper in odorous heights of even.

Ô bouche forte, inventeur d’harmonies

Habile à chanter le temporel ou l’éternel,

Don de Dieu, vivant organe de l’Angleterre,

Milton, nom à faire sonner les siècles ;

Dont les Anges titaniques, Gabriel, Abdiel,

Étoilés – somptueuse héraldique – des armoiries de Jéhovah,

Se dressent, tandis que sous les voûtes des abysses célestes

Retentit, rugissante, la charge angélique

Moi, c’est bien mieux cet ombrage solitaire,

Le murmure dédaléen des ruisseaux de l’éden,

Sa profusion de fleurs et ses arches de cèdres

Qui m’enchantent, tel un voyageur égaré sur l’océan

Vers l’occident splendide d’un soleil indien

Arrosant, océane, une île de luxe et d’ambroisie,

Dont les palmeraies solennelles, couleur cramoisie,

Chuchoteraient dans l’odeur des hauteurs du soir.

Micrométrique

Tennyson a adapté fidèlement le mètre alcaïque grec à la langue anglaise, où l’accent intensif et les diphtongues donnent tout leur poids aux syllabes lourdes.

Ambrosial fait seul exception à cette fidélité. Bien que conforme, dans la prononciation donnée par les vieux dictionnaires (am·brəʊ·zɪ·əl), au dactyle requis dans cette fin de mot (une longue + deux brèves : ¯ ˘ ˘), il se termine, selon le vœu exprimé par le poète, sur un trochée (une longue + une brève : ¯ ˘). C’est là l’autre prononciation possible d’ambrosial (am·brəʊ·ʒl – ʒ notant le «J» de Jacques), la plus courante aujourd’hui – si on peut dire, les Anglais ne parlant pas d’ambroisie tous les jours.

Le traducteur – bien incapable de suivre le mètre alcaïque – doit aussi à la vérité qu’en anglais ambroisie et cramoisie (crimson) ne riment pas. Ambrəʊʒl et krımzn n’ont que le m+C et le C+r en commun.

Comme on l’a vu, Milton était un partisan du régime de Cromwell, et secrétaire pour les Langues étrangères». Il ne changea pas de convictions après la chute du lord-protecteur. Il ferrailla de sa plume pour défendre la liberté de conscience, quand anglicans, puritains et catholiques se disputaient la direction de celle des Britanniques.

Devenu aveugle, il dicta le Paradis perdu de 1658 à 1664, grand poème emblématique de la langue anglaise, épopée chrétienne en vers non rimés (comment osait-il ?) dont Satan est le tragique héros.

Satan avant la chute
William Blake, Satan in his Original Glory (v. 1805)

𒀭𒀭𒀭

Le ciel

I loved you,
So I drew these tides of men into my hands
And wrote my will across the sky in stars
To earn you freedom…

Dans le Paradis perdu, c’est le tiers des anges que Satan entraîne dans sa chute. Milton, en racontant la rébellion des débuts de la Création, faisait écho à l’autre guerre des anges, celle de l’Apocalypse, durant laquelle le Dragon, balayant le firmament de sa queue, fera tomber le tiers des étoiles sur la terre.

Impacts d’anges déchus durant la période 1994-2013 (données NASA) :

Αγγελκροπ

Tennyson donne au firmament son nom d’empyrée, du grec εμπῡ́ριος, «en feu» : dans l’ancienne cosmologie, la sphère empyrée est l’ultime ciel, où réside l’éther (le cinquième élément d’Aristote) ou le feu, celui des étoiles. Dans la théologie médiévale, le cælus empýreus est le séjour de Dieu et des anges, esprits de pure lumière.

Comme Tennyson évoque l’angélique guerre des étoiles (war in heaven), il en mentionne l’arsenal – ou l’héraldique : l’anglais armouries a le même double sens que le français armes. Serait-ce une allusion à l’attitude peu flatteuse d’Alcée sur un champ de bataille ?

Sont nommés deux des anges de Milton qui n’ont pas suivi Satan dans sa révolte : Gabriel et Abdiel. Tennyson omet le premier d’entre eux, l’archange Michel.

Fragment de nomenclature céleste

Abdiel עבדיאל (ȝavdī-’ēl), le Serviteur de Dieu en hébreu – est un simple nom d’homme dans le Tanakh, la Bible hébraïque. Milton en a fait un ange séraphin qui, «seul fidèle» à Dieu «parmi les infidèles», réfute avec éclat le discours de révolte de Lucifer. L’auteur de science-fiction Isaac Asimov y a vu une projection en abyme du poète dans son épopée.
Gabriel גבריאל (gavrī-’ēl), l’Homme fort de Dieu – gardien des portes du paradis (perdu) de Milton, est, tout comme Michel – מיכאל (mīḫā-ʼēl), « Qui est comme Dieu ? » –, ange gardien d’Israël dans la tradition juive. Dans les traditions filles, Gabriel est l’ange de l’Annonciation : celle de Jean-Baptiste à son père Zacharie, celle de Jésus à sa mère Marie, celle du Coran au prophète Muḥammad.

Dans la tradition des Kurdes yézidis, Gabriel est Melek Taus, l’Ange Paon, à qui Dieu a confié la mission de châtier les hommes de leurs iniquités. Pour les musulmans, les yézidis sont adorateurs du diable, mais pour les yézidis eux-mêmes, Melek Taus, le premier des sept anges créés par Dieu, ne fait que se conformer à Son plan.

Dans «Les morts», dernière nouvelle de Gens de Dublin, de James Joyce (voir Un vert hiver d’Irlande), Gabriel (geybɹiəɫ) et Michael (mèyɫtel qu’on le prononce du côté de Galway) sont les prénoms des deux hommes de la vie de Gretta : son mari Gabriel Conroy, le protagoniste, homme des mots, prof d’anglais, tourné vers le continent, et Michael Furey, son amour du passé révolu, dans son Connemara natal, au corps fragile et au cœur pur…

Prononciation : trois autres gutturales

Nous venons de rencontrer trois autres consonnes gutturales caractéristiques des langues sémitiques, , ȝ et .

Le note la fricative vélaire (voire uvulaire) sourde, autrement dit la jota.
C
e phone n’existait pas en phénicien et n’a donc pas sa lettre dédiée dans l’abjad.

Par ȝ j’ai noté l’approximante pharyngeale voisée, sorte de gargarisme doux. Elle avait pour nom ȝayin (œil) dans l’abjad phénicien et y était notée 𐤏, de valeur 16. Cette lettre est passée inchangée dans les alphabets grec et latin, pour noter une voyelle aussi arrondie qu’elle.

Le coup de glotte, bref claquement des cordes vocales, est souvent noté en transcription par . C’était la première consonne de l’abjad levantin, nommée ’ālep (le bœuf) en phénicien, et notée 𐤀, de valeur 1, bien sûr. Un quart de tour plus tard, la tête de bœuf est devenue alpha Α, lettre grecque désormais voyelle, passée inchangée en tête de l’alphabet latin.

Abdiel, Gabriel, ainsi que Michel ou Raphaël, tous portent dans leur nom l’élément ’êl. C’est le nom commun signifiant dieu en sémitique, cet être supérieur qui se caractérise par sa radiance. Les Akkadiens le notaient par le signe Cuneiform sumer dingir.svg cunéiforme et le prononçaient ’ilu. Cela pouvait désigner un dieu protecteur, un dieu mauvais… ou bien la chance tout simplement. Quelqu’un de malheureux était dit bēl la ’ili : «celui qui n’a pas de dieu».

Le signe Cuneiform sumer dingir.svg lui-même provenait du sumérien, la première langue jamais écrite, dans laquelle «dieu» se disait DIĜIR . Il fut d’abord le sumérogramme du ciel lumineux, AN, avec la valeur phonétique (a)n.

Il représente une étoile.

DIĜIR se prononce plus précisément tiŋir, ŋ est la consonne nasale qu’on entend à la fin de ring ou king en anglais, à condition d’enlever le g final – ce qui est conforme à la prononciation anglaise.

On retrouve l’élément ’êl en arabe, dans الإلٰه (al-’ilāh), le dieu, et sans doute dans الله, Allāh.

Le Dieu des juifs est parfois appelé אל, Êl, dans le Tanakh, mais Son vrai Nom est יהוה, YHWH. Vocalisé avec les voyelles de אֲדֹנָי (Adōnāï), «mon Seigneur», le nom qui normalement en tient lieu en récitation, cela donne le mot qu’on a transcrit par Jéhovah.

𒀭𒀭𒀭

L’éden

Du ciel, Tennyson glisse vers le paradis terrestre, l’Éden, mot qui déjà en sumérien (𒂔 edin) signifiait jardin.

Here be dragons…

Dans l’Éden biblique il y a le serpent, mais celui-ci se trouve déjà dans les mythes sumériens, sous la forme du dragon.

Sur la prononciation

Le dragon chinois est la chimère nationale. C’est aussi l’un des quatre animaux fabuleux gardant les quatre directions : il est bleu, Azur ou Bleu-Vert selon les traductions, et garde l’est, l’Oiseau paon vermillon garde le sud, le Tigre blanc garde l’ouest, la Tortue noire garde le nord. Le centre, la Terre, est le domaine du Dragon jaune, gardien de l’empereur.

Le dragon chinois n’a pas besoin d’ailes pour voler. Mais en Chine, un dragon raté, c’est un ver. Celui qui colore l’île paradisiaque du marin de Tennyson a pourtant tout d’un immortel.

𒀭𒀭𒀭

Un animal

Le mot cramoisi a pour origine le proto-iranien kirmiš, nom fossile d’un ver dont la femelle, séchée au soleil et réduite en poudre, donne ce pigment rouge profond, couleur de sang ; dans notre langue, le ver sacrifié s’appelle toujours kermès. C’est une espèce de cochenille, parasite du chêne kermès.

Kermes
Dragons nains

La très chère poudre cramoisie a été employée par les peintres rupestres, les scribes, les teinturiers… À partir du XVIe siècle, le kermès fut remplacé par une cochenille mexicaine plus facile à «cultiver», et on a alors parlé de carmin… et du colorant alimentaire E120. Le ver de l’Ancien Monde n’en a pas moins continué, jusqu’au XXe siècle, de cramoisir une liqueur à base de plantes dont la recette remonte au Moyen Âge, un cordial nommé alkermès.

𒀭𒀭𒀭

Un anime

𒀭𒀭𒀭

Une couleur

Malgré tous les efforts de sa mère, Achille est mort, et Thétis, une nouvelle fois, a revêtu pour lui le deuil bleu des profondeurs. Son corps de héros resplendissant du sang des autres n’est plus, et le fleuve du temps a recouvert son tombeau ; ses cendres recuites – la Grèce mythique n’est pas le paradis des asticots –, y sont mêlées à celles de son cher Patrocle. On dit que leurs deux ombres disputent sur l’île Blanche une course sans fin, arrosée par les ailes des mouettes et des pélicans, quelque part au large du delta du Danube. Mais le temple qui en attestait a disparu, détruit par les bombes, au hasard des insatiables guerres modernes. Celles-ci viennent parfois déranger les couleuvres auxquelles l’île d’Achille doit son nouveau nom. Sur Snake Island, parfois, des héros défient encore la mort, à l’ombre du fils de Pélée.

Kermes vermilio n’échappe pas au destin des vivants. Mais, comme le rapide Achille, comme l’amoureuse Sappho, comme les dragons de légende, comme la neige de mort des trop brèves lucioles, comme l’alcool souvent chanté, il a lui aussi son tombeau poétique : la couleur de palmiers chuchotant dans l’or d’un soir indien, en vers d’Alcée.

Odorous heights of even

𒀭

3 réflexions sur “Alcaïque Milton

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