Une cathédrale à l’identique : un rêve ou une illusion de rêve ? (16 mai 2019)

Mon article  ayant  été repris sur un autre site, il a été commenté ainsi :

Deux récipients cassés : on rêve de les refaire à l’identique ?

 

« Paris ne manque pas de belles églises de style contemporain, il est inutile de défigurer Notre-Dame avec des élucubrations.
Pensez au « petit peuple » du monde entier, dont je me sens très proche ici, qui veut retrouver la cathédrale qu’il a connue lors d’une visite à Paris et qui l’a fait rêver et continue de le faire.
Nous aussi nous avons le droit de rêver, même d’une reconstitution à l’identique.
La ***  aurait bien d’autres actions fortes à mener que de favoriser un tel débat entre « initiés » en quête d’aventures intellectuelles. »

Et je me permets à mon tour d’y répondre :

Cher monsieur, je ne veux pas penser que vous avez choisi tous vos mots… Parfois la plume va trop vite sur Internet.

La *** a mis sur son site  mon avis qui m’est personnel et ne m’a pas dit soutenir ma position, mais je pense qu’elle accueille le débat.

Beaucoup de gens d’aujourd’hui (et moi aussi !) aiment les constructions anciennes, l’art gothique ou roman… mais quand ils construisaient, les gens du Moyen-Age ont construit en style mérovingien, puis pré-roman et roman, puis gothique, puis Renaissance, avec les inflexions régionales, sociales etc. Il y avait unité entre le quotidien de leur vie et leur église. Si on avait alors à construire ou reconstruire, on ne cherchait pas à édifier une beauté caractéristique d’une époque antérieure et révolue, à regarder ensuite avec une douce nostalgie ou avec une curiosité intellectuelle : ces sentiments naissaient devant les bâtiments qui subsistaient (heureusement  pour nous !) particulièrement quand on ne pouvait pas financièrement faire plus neuf ou plus « beau ». Le « blanc manteau » d’églises que nous aimons tant témoigne même de recherches à la pointe de l’architecture et de l’art.  Quand Viollet-le-Duc  a construit la flèche – qui n’existait pas – il  s’inscrivait de même dans la découverte romantique du Moyen Age, un puissant mouvement qui marquait tous les arts…

 

Récipient réparé avec des agrafes, selon l’art (Kintsugi)

Je comprends que vous souhaitiez que la reconstruction à l’identique nous aide à résister  à l’impression –désagréable, taboue parfois – du temps qui passe, mais la partie d’un bâtiment, qui est à reconstruire, peut manifester elle aussi la résistance de l’homme … Cela s’illustre dans le magnifique art japonais  du kintsugi (金継ぎ, « jointure en or ») ou kintsukuroi (金繕い, « réparation en or ») ou dans le fait  que tel outil ancien nous émeut par son usure ou sa patine, tel bureau par ses cicatrices, et, peut-être pour la même raison… le si doux visage de nos grands-parents…  Voir ce temps qui passe, la souffrance surmontée, la solidarité autour d’une telle question est je crois stimulant pour le goût de vivre, l’entrainement à faire-face au futur…

On pourrait certes réussir là un exercice utile de reproduction, de mise en œuvre, et même, comme à Guédelon, un travail d’archéologie expérimentale (faudrait-il viser le XIXe siècle  ou le Moyen-Age ? et je ne parle pas des inconvénients anciens conservés qu’on devrait néanmoins contrer…) : nos excellents bâtisseurs et artisans réaliseraient, à mon avis,  une imitation impeccable, mais on passerait à côté de valeurs bien plus importantes en ayant remplacé là quelque chose de beau par une illusion parfaite : on aurait refusé sciemment de recréer là quelque chose de beau dans l’esprit même où ce qui a disparu avait été créé. Est-ce exagéré de dire que , paradoxalement, on aurait alors tournée le dos à la tradition qui avait fait renaître la cathédrale  que nous aimons tant qu’elle nous semble (comme nos parents)  avoir été toujours ainsi… et devoir être immortelle  ?

Enfin, parce que cette reconstruction concerne un bâtiment  à usage cultuel, ce n’est pas tout à fait  un objet d’art comme un autre. Or la flèche me manque à moi aussi, car elle disait elle aussi dans un langage universel quelque chose de son époque certes, mais que nous pouvions transposer et partager pour notre aujourd’hui. C’est pourquoi cette perte a frappé tant de monde : quelques uns pour des raisons liées uniquement  à cet architecte qui la construisit il y a deux siècles et demi, bien plus de gens parce qu’ils supposaient cette  flèche Moyen-Ageuse, et tous pour des raisons  qui sont « globales ». On ne peut pas ne pas redessiner cette silhouette si connue où la flèche lançait sa note en réponse aux tours …

St François soutient l’Eglise s’écroulant ( par Fra Angelico) : c’est une grande part de notre monde d’aujourd’hui qui est en crise …

Comment faire alors  pour que celle que nous allons refaire parle aussi à tous nos contemporains comme à ceux du monde à venir ?

Dans un ensemble intact d’une seule époque, je comprends certes qu’on se pose la question de ne courir aucun risque, de ne pas choquer nos yeux ou nos critères historico-esthétiques, sachant de plus que toute mode… peut se périmer et devenir obsolète !, mais il s’agit ici d’un corps en crise, bien vivant intérieurement : il faut y greffer quelque chose de vivant. L’aide précieuse que nous apporterait une Histoire de l’Art culturelle surtout conservatrice et reproductrice ne serait pas, je crois, suffisante là où un bâtiment est en usage réel dans des domaines vitaux si variés… Une imitation ferait illusion certes extérieurement et serait acceptable pour ceux qui pensent ce bâtiment comme une relique inanimée, mais intérieurement, dans son esprit serait-elle compatible avec l’esprit qui a dressé cette cathédrale et l’a fait croître… ?  (Voir mon article sur l’histoire architecturale de cette cathédrale.)

Un objet d’art peut certes nourrir notre rêverie personnelle, nos sentiments subjectifs, notre plaisir esthétique ou intellectuel à tous, mais la renaissance de cette flèche a ici à voir, pour ceux qui l’ont construite, avec la Bonne Nouvelle dont ils essaient de vivre, et c’est ce que je me permettais d’essayer d’expliquer : ils l’apprécient sans doute d’un point de vue historique, sensible et esthétique, mais  c’est encore autre chose pour eux, en plus, et c’est sans doute ce qui est le plus important. Je trouverais bien qu’on soit, tous, guidés par cette notion souhaitable d’unité entre la vie la plus essentielle  et un culte. Je dirais volontiers en deux mots, même si je me fais traiter de rabat-joie,  que si l’Art peut certes embellir la vie, bien des gens rêvent aussi/d’abord de vivre sous un toit…

Cependant, et c’est loin d’être contradictoire, comme ce bâtiment est aux soins de l’Etat et que bien des dons sont arrivé de partout, l’Art pourrait permettre courtoisement à la Vie de passer devant, et tous deux pourraient poser là, à la vue de tous, une flèche d’aujourd’hui traduisant la croissance de  quelque chose de vivant et de spirituel pour tous, des valeurs communes qui fassent battre le cœur de la France et de bien plus que de la France, un objet signifiant, parlant, nutritif et à riche valeur symbolique.

Marguerite Champeaux-Rousselot           16 mai 2019

Une main qui relève : la nôtre ?

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