Huitième partie de Jules Barbey d’Aurevilly et la laideur
Introduction
Barbey vu par les autres. VIII.1.
Barbey vu par lui-même: Je, et il… VIII.2.
Son opinion sur les autres. VIII.3.
Plaire ou séduire; le mystère de la Princesse d’Eboli. VIII.4.
Conclusion
Huitième partie : jeux de portraits
Introduction
Il est impossible, évidemment, de «découper» une personne fût-ce un écrivain mort dont on dirait qu’il ne reste que du papier! La méthode de notre démarche est artificielle et analytique, même si la synthèse se sent intuitivement…
Nous allons essayer de définir d’abord comment Barbey était perçu et décrit par les autres, et en particulier par ses amis dont la perception est sans doute plus proche de la sienne que celle de ses ennemis, ou des indifférents… Cette démarche permettra de mieux cerner d’abord l’apparence de Barbey, et l’évolution aux yeux des autres de celle-ci, qui prouve et concrétise sa réussite dans la séduction.
Nous verrons parallèlement, – mais dans une partie suivante – comment Barbey se voyait au début et comment il a évolué, c’est-à-dire comment il s’est construit son image, à l’aide de quels matériaux, comment et dans quelle mesure il a (re) construit son schéma corporel et l’a imposé aux autres qui, lorsqu’ils lui étaient favorables, le lui ont renvoyé inconsciemment pour son plus grand plaisir, lui prouvant ainsi qu’il n’était plus laid pour tous.
Ensuite, nous chercherons à définir qui étaient ceux qu’il trouvait laids, et ceux qu’il trouvait beaux. Généralement, chacun de nous a une démarche subjective et se laisse saisir dans ces appréciations. Parfois même c’est lui qu’il voit ou refuse dans les autres.
Ceci est aussi une des façons de montrer comment celui qui est dit» laid» vit cela…
Toutes ces approches ont pour but de cerner véritablement l’image de Barbey, de voir si elle a évolué, et dans quelle mesure finalement cet enfant qui se sentait laid, et souffrait de la cruauté de ses parents, en a été guéri.
Barbey vu par les autres. VIII.1.
Nous commencerons par tenter de faire le point sur ce qu’on pouvait percevoir de Barbey: qu’est-ce que ses contemporains ont pu voir de lui? On commentera ici un certain nombre de portraits significatifs.
Nous avons déjà évoqué une miniature de Barbey à 13 ans dans les premiers portraits de Barbey (cf. II-1).
Ses parents feront faire un portrait de lui, sans doute jeune home, avant la consommation de la rupture, portrait qu’il estimera raté à cause d’un «patelinage de regards» qui lui donne «l’air d’un jésuite déguisé»[1]… Ce portrait n’est pas commu à moins, comme Barbey ne fait allusion à aucun autre portrait, qu’il ne s’agisse de celui qui suit. (21)
Sur cette gravure (21) faite à partir du portrait de Fink[2] encore non situé, daté peut-être de 1830, Barbey aurait autour de 22 ans: grand front d’intellectuel, coiffure artistiqument coomposée: cheveux coupés courts pour dégager le visage, mais laissés dans une abondance bouclée asymétrique sur la tempe gauche, yeux immenses, qui se veulent fascinants, maxillaires nets contrastant avec une attitude un peu rêveuse, petite crispation entre les sourcils, nez fin et … droit (une complaisance de Finck sans doute pour ses clients), moustache travaillée dans le sens de la finesse et du tombant, bouche ourlée et peut-être un peu irrégulière, (dessinée assez mal – difficultés? – d’ailleurs par l’artiste!), menton volontaire, visage dans l’ensemble un peu maigre, aux pommettes saillantes et aux joues un peu creuses: ce «beau ténébreux» soignait sa taille de guêpe avec férocité quand il le fallait, au mépris de son estomac et au mépris de sa bourse, la soulignait par des vêtements très ajustés. Il porte un grand col de fourrure, ce qui en accentue la tonalité romantique et nordique (russe? polonaise?). C’est le moment où il compose Amaïdée, et si Somegod y est Guérin, lui-même se dépeint sous les traits d’Altaï, (au nom évocateur). Ils ne sont pas décrits physiquement, mais Somegod voit de loin venir Altaï et lui dit: «Je t’ai reconnu à ta démarche, à la manière dont tu portais la tête, à la fierté calme et jamais démentie de tes mouvements.»[3]. C’est certainement d’une noble démarche que se dote notre dandy, jeune révolté qui ose s’exprimer plus fort!
Barbey était grand pour son époque: 5 pieds quatre pouces, soit 1m73[4]. Cette haute taille est celle que l’on imagine pour les hommes du Nord, les Gaulois, les Normands, les Vikings, plus élancés souvent que les Latins. Sa haute taille encore accentuée par son allure frappe ses contemporains. Ce serait de nos jours un homme de 1,90 m à peu près.
Aristide Marie[5] nous conte une anecdote: «Savez-vous, demandait-il un jour à quelques amis, quel est le plus beau vers de Victor Hugo? «Et comme ils hésitaient: «Eh bien! le voilà! dit-il, en accentuant la cadence de l’alexandrin[6]:
«Barbey d’Aurevilly, gigantesque imbécile!»
Autre anecdote: Barbey et son «ennemi intime» Flaubert se croisent un jour de 1874 et, tous deux de haute taille, se toisent silencieusement. Flaubert écrit à sa nièce: «C’est là – à cet enterrement, – que j’ai vu pour la première fois (…) mon ennemi d’Aurevilly: il est gigantesque! je t’en ferai la description»[7]. Barbey, pour faire image lorsqu’il critique les tendances au réalisme laid de son «pays» le prévient qu’à force de regarder en bas, » vers les petites choses », il risque de « s’y perdre et s’y noyer comme s’il était petit! »[8]
Octave Uzanne croit pouvoir dire qu’il avait le droit de revendiquer quelques gouttes de sang royal… On sait maintenant que c’était une erreur mais, de toute façon, «il était remarquablement racé. Toute sa physionomie, en ses manières, en ses propos signait et contresignait sa mégalanthropie native. Il pouvait s’approprier cette opinion qu’il prête à Sombreval, le magnifique héros de son Prêtre marié: «Il est de rarissimes individualités qui valent des races et qui sont comme des noblesses vierges, constituées en elles-mêmes ou tombées du ciel pour renouer la décrépitude des vieilles aristocraties usées par les excès et par le temps.» A défaut d’une noblesse d’agrégation, sa gentilhommerie était absolue, indiscutable. Elle ne pouvait souffrir même une allusion à la savonnette à vilains. Ce qui est indéniable, c’est que d’Aurévilly se sentait et se savait grand.»[9]
Un tableau par Haussoulier (21), (datable d’entre 1833 et 1845, probablement vers 1838) environ insiste sur l’activité surtout intérieure de ce trentenaire, tout en obliques, fin et nerveux, une main tenant encore son crayon pendant la pause, (plume ou crayon plutôt que badine, je crois), le bloc à croquis ou de brouillon sur le genou, pas provocant pour deux sous. La façon douce d’Haussoulier, peu contrastée, aux couleurs non saturées, ni massives, ni cernées trop violemment, est pour beaucoup peut-être dans l’impression de calme et de sensibilité qui se dégage de ce tableau.
Barbey est encore jeune physiquement et, si l’on peut dire, moralement: la moustache n’a pas encore le noir de la maturité; la mouche sur le menton, presque follette et d’un brun léger, n’est pas encore accentuée, les cheveux presque mousseux, la raie encore toute neuve de son changement! le col ouvert (à la Byron), le corps peu mis en valeur (les mains ébauchées, la taille dissimulée, la prestance négligée) l’habit discrètement quelconque.
Tourné vers nous de trois quart, il s’arrête d’écrire, et relevant la tête, l’expression attentive, la main sur le genou, il semble questionner le monde à la manière douloureuse d’Elsa Morante: «Suis-je présentable?», question qui n’est pas seulement de rhétorique, comme en témoigne son air pensif et penché.
(23) Un portrait de lui par Paul Justus, en 1845, – à 37 ans –, nous le montre en chemise peut-être. Son visage n’est pas allongé comme celui du portrait de Léon. Il est plus rond, plus massif. Le nez est un beau triangle, la bouche est toujours dans l’ombre de la moustache, les cheveux sont abondants, mais ne sont plus aussi «artistiquement» coiffés qu’avant. Le regard est plein et pensif. Il n’y a plus vraiment d’excès. C’est un portrait «nature» qui diffère de l’image que Barbey cherche encore à donner de lui dans les salons et dans la rue.
La chemise à col ouvert ne résonne-t-elle pas de façon byronienne ou normande?
Nous ne nous attacherons pas à donner les détails d’habillement, nombreux pourtant, que nous possédons (surtout grâce à ses ennemis que Barbey raillait ainsi: «Pauvre physiologie que celle de ces journalistes pêcheurs à la ligne du pont aux ânes»[10]). Ces choix subtils, Barbey les traitera de détails futiles et ne leur laissera qu’une importance très relative. Nous avons vu comme il récusera le terme de dandy à son sujet. Ce qui nous intéressera donc, c’est de voir comment les gens ont perçu sa physionomie, son allure, puisque c’est ainsi qu’il pense pouvoir séduire.
Il apparaît en 1855 (24) dans un habit presque militaire, et d’une physionomie presque martiale: il est plein de confiance dans l’avenir. L’on sent dans ce portrait le caractère Normand (théorique!) qui pointe nettement: la moustache est plus simple, plus massive, les cheveux moins apprêtés, le visage plus plein, plus viril. Laissant tomber les raffinements des tenues parisiennes, il commence à chercher des tenues qui expriment les différents côtés qu’il sent enfin vivre en lui – ou auxquels il laisse enfin la possibilité de s’exprimer: normand, pirate, mérovingien, militaire, pallikare etc. Le foulard noué, ne parle-t-il pas Normand?
La comtesse Dash trouve qu’il n’a guère changé à la fin de sa vie: «C’était le même regard, le même nez en bec d’aigle, la même moustache panachée, le même teint pâle, les mêmes cheveux noirs; sa bouche, le trait défectueux de son visage, est mieux qu’elle n’était alors, ses dents se sont rangées. Il avait la même taille de guêpe, un peu plus mince seulement, les mêmes allures.» [11]
Effectivement, les détails les plus laids de son visage sont, si l’on veut être cruel et le caricaturer, – comme on ne s’en est pas privé d’ailleurs –, un grand nez maigre, un peu trop mince pour sa longueur et busqué, en lame de couteau, un front un peu fuyant peut-être de profil, et sans doute des dents mal plantées qui gênent peut-être le coquet pour sourire et qu’il veut cacher en parlant, d’où, paraît-il des intonations parfois sibilantes. [12]Il ne sourit jamais sur les portraits, et ne présente jamais son profil (qui obsède les caricaturistes).
Une gravure (25) de 1855 nous le montre debout, le regard au loin, mais pas dans le vague, plutôt sur l’horizon à conquérir, en veste à brandebourgs: un officier byronien, russe ou barbare, le poing sur la hanche, et la main appuyée, façon vainqueur, sur une pile de livres. Plus qu’un parisien, c’est un conquérant, normand ou grec…
Tout en harmonie avec l’atmosphère de sa maison à Valognes; Charles Buet nous dit: «Sur la cheminée monumentale, il avait placé un magnifique buste de sa grand-tante, une des femmes les plus belles et les plus remarquées de la cour du roi Louis XV, qui lui a inspiré quelques unes de ses plus belles strophes du Buste jaune, et des lampes en cuivre, du travail le plus précieux, ayant appartenu, dit-on, à Charles-Quint.» [13]
Théophile Silvestre, son ami, décrit ainsi ce conquérant parfois désabusé, qui rêve encore d’abordages, mais commence à se limiter: «Nez aquilin aux narines vigoureusement remuantes, front un peu en fuite, pas grand, mais très plein et très exalté; moustache de léopard; œil d’orateur, et non sans violence; deux rides en coup de sabre qui vont des ailes du nez au coin de la bouche, laquelle est assez hautaine, travaillée par l’ironie, néanmoins
pleine de bonté, et froissée par l’habitude ardente de la parole, comme une bouche à feu est fatiguée par le tir. Je note chez lui quelques airs héroïques qui rappellent le buste si connu de Dante.»[14]
Le nez doit être rééquilibré par un chapeau, ce «couvre-chef qu’il portait avec tant de crânerie, et dont la forme avantageait plutôt cette figure anormale, incoiffable par un chapelier moderne.»[15] C’est un ami qui parle, c’est Uzanne, et pourtant le mot «anormal» est lâché… Lutter contre de l’anormal par l’anormal, voilà une homéopathie qui porte ses fruits.
Deux portraits de 1860 (26 et 27), par Carolus-Duran, le montrent avec deux expressions bien différentes. Il se trouvait déjà vieux, à 52 ans, mais Byron ne se trouvait il pas vieux lui aussi à son denier anniversaire?
Malgré tout, et pas plus que Byron, il ne se laissait aller.
Peut-être peut-on sentir ici ce qui faisait de lui un enfant au visage ingrat: c’est, peut-être dans le bas du visage que se situe la difficulté, que Barbey compense par un air de tête volontaire. Le nez aussi, s’il est busqué peut déparer une figure d’enfant. Mais, une fois homme, ce visage devient simplement viril, et aucun de ses contemporains ne dit plus Barbey laid. Est-ce justement la stratégie de la séduction par le dandysme, ou l’originalité, du remplacement de la beauté classique par la séduction de la parole écrite ou parlée, par la physionomie, qui a porté ses fruits? Amis ou ennemis, jamais aucun n’a plus employé cet adjectif qui l’a tant fait souffrir enfant.
On dirait qu’il ne vieillit pas, mais qu’il mûrit plutôt.
Au-delà du visage, nous ne résistons pas à citer pour une fois la description des habits tellement cette description est bien ressentie, empathiquement, comme la traduction exacte de toutes les séductions que Barbey rêve d’incarner! La physionomie, l’allure sont vraiment à l’unisson du mental. La composition extérieure est la métaphore de ses souhaits.
«Il est grand et svelte: d’un port d’hidalgo, le pas délibéré et frappant du talon, le nez au vent, roidement campé sur ses jambes, il regarde les gens par dessus la tête et les soldats par dessus la baïonnette; tout le monde le remarque; il ne remarque personne, mais de temps à autre il examine le visage des femmes ou leurs bottines. Enserré dans sa redingote-tunique, d’un goût qui n’est qu’à lui seul; sanglé, coupé en deux à la taille comme un officier belge; la poitrine enflée, boutonnée, plastronnée; les bras forcés dans des manches étroites, ouvertes sur les côtés à la hussarde, moins les galons: on ne devinerait jamais qui il est, qui il pourrait être.
Il porte des gants blancs, couturés de noir, couleur aurore ou mi-partie; des manchettes en entonnoir de gantelet, tenue à force d’empois à la raideur du cuir verni; son pantalon collant à sous-pieds est carrelé blanc, rouge, ou noir et vert à l’écossaise; parfois zébré ou écaillé comme une peau de tigre ou de serpent…
L’hiver, il se drape d’un manteau fait d’une capote de charretier, rayée sur un fond blanc, de bleu, de noir, de chocolat, et doublée de velours noir; s’il la met au rebours, c’est Edgar, l’amant de Lucie de Lammermoor; s’il la met à l’endroit, c’est un roulier gentilhomme, un homme impossible. La nuit, les rayures s’effaçant et le blanc paraissant seul, c’est un officier autrichien. Un ivrogne de la rue de Sèvres, zigzaguant entre les murs, le prit un jour pour l’empereur d’Autriche, lui-même, venant espionner l’empereur des Français. (..) N’oublions pas un cache-nez dont le fond en damier se compose de toutes les couleurs du prisme.
J’ai rencontré récemment messire Barbey d’Aurevilly, tunique déboutonnée pour la première fois peut-être depuis six ou sept ans, c’est-à-dire depuis que j’ai le plaisir et l’honneur de le connaître. Sa poitrine était couverte d’une chemise rouge, – non qu’il soit fou de Garibaldi, au contraire, – et il semblait heureux de ce vêtement couleur d’amour, de guerre et de puissance.» [16]
C’est pourquoi, devant le portrait de Lévy, il se sent si gêné qu’en dédiant une reproduction il écrit: «Maigre noir, ennuyé, que qui m’aime me pleure.
Ce n’est pas moi vivant, c’est mon spectre – avant l’heure!»
Son commentaire sur la gravure de Rajon (28), faite pour illustrer une parution en 1873, montre qu’il a franchi un pas de plus: Barbey la commente avec assez de satisfaction, et si la préoccupation n’est pas tout à fait nouvelle, le sentiment dont il ose témoigner est beaucoup plus nouveau chez lui:
» 30 mars 1873,
A madame de Bouglon,
Je me porte comme un pont… bâti par les Romains, et je travaille comme si j’avais à en élever les piles. All is well! Mon portrait est achevé pour L’Ensorcelée. Les uns disent que c’est très bien. Les autres disent que ce n’est pas assez bien comme cela, pour être moi. Je serais assez de cet avis. Mais on ne peut pas mettre un homme dans son portrait. On n’y met qu’une minute de sa vie, et la plus sotte de toutes, celle où il est obligé de poser! « [17]
L’image de soi ne va pas trop mal, merci!
A cette époque, Barbey commence à se faire photographier. Pourtant, longtemps encore, il craindra, et méprisera cette nouveauté, sans jamais y voir un art. Il y trouvera par contre une aide affective puissante pour le souvenir et un remède à l’angoisse, un moyen de prouver son affection, un plaisir sentimental. Ou elle ne doit rien avoir à faire avec la beauté, n’étant qu’au service d’échanges du cœur, ou elle doit fixer sur le papier des beautés au sens classique.
Il écrit encore en 1883: «Cette démocratie du portrait, cette égalité devant l’objectif – brutale et menteuse – cet art de quatre sous, mis à la portée de la vaniteuse gueuserie d’un siècle bon marché et de camelote, la Photographie a remplacé, pour nous, modernes, les images des anciens et les somptueux portraits de l’ancien régime, toutes ces choses grandioses, bien faites et rares dans lesquelles, je le veux bien, l’orgueil de race trouvait son compte autant que les autres sentiments du cœur, mais qui, du moins, restaient fièrement et pudiquement appendues aux lambris de la maison, sous les yeux respectueux de la famille…»[18]
En 1865 Barbey avait été photographié par Nadar, qui fait de lui deux portraits (29 et 30). Il a 57 ans, et se trouve en train de composer Des Touches et un Prêtre marié.
Il semble supporter avec difficulté l’œil aigu de Nadar, ou de ceux, nombreux peut-être, à qui il permettra en fait, de le tenir dans leurs mains. L’attitude de Barbey envers cette nouveauté de la photographie sera longtemps très hésitante. Il s’y soumet, car il est célèbre et demandé… mais pas plus qu’il n’accepte les portraits peints d’un peuple laid, pas plus il n’accepte que les visages soient ainsi bradés… Toujours une veste à brandebourgs, mais Nadar a su aller à la simplicité intérieure: il n’y a plus de souci de l’extraordinaire, plus d’expression guerrière. Barbey est debout, mais la fatigue se sent, justement. La fatigue, mais aussi peut-être plutôt les excès divers, peut-être aussi le désenchantement découragé devant l’attitude de l’Ange Blanc…
Le regard est au loin, mais il est un peu trop volontairement fixé: certains espoirs sont devenus des utopies aussi lointaines que le passé. Le poing serré qui tombe (sur une photo avec une veine très saillante) dit la difficulté de se tenir bien, et le doigt accroché dans l’habit est une attitude d’apparence seulement napoléonienne: il y a là un artifice pour avoir un air énergique sans fatigue. Nadar a su capter d’une façon magistrale la difficulté d’être de Barbey, et ses efforts pour tenir bon. (30)
En 1872, Paul Bourget a la même impression: «Un visage ravagé qui n’avait plus d’âge, dont l’énergie était encore durcie par la noirceur voulue des cheveux et de la moustache, un nez en bec d’aigle, une bouche altière, un regard perçant, quelque chose de dédaigneux et de désenchanté, qui racontait de longues années d’une lutte trop amère contre un sort trop hostile. Oui, tel il était quand je l’ai connu, en 1872…»[19]
Les Goncourt qui pénètrent chez lui, quelques années après, ont alors une impression de «fatigue» également: «Je le retrouve avec son teint boucané, sa longue mèche de cheveux lui balafrant la figure, son élégance frelatée dans sa demi-toilette, mais en dépit de tout cela, il faut l’avouer, possédant une politesse de gentilhomme et des grâces de monsieur bien-né, qui font contraste avec ce taudis où se mêlent, se heurtent, se confondent, avec des objets d’habillement et des chaussettes sales, des livres, des numéros de revues, des journaux. (…) J’emporte de ce logis (…), comme le souvenir d’un lettré de race dans la débine.» [20]
Uzanne le rencontre pour la première fois chez Coppée et porte des yeux délicats et presque aurevilliens d’amitié sur cet homme de 70 ans qui ressemble à Paganini, avec «sa maigreur cuite au soufre, ses longs cheveux charbonnés, son nez en bec d’aigle, ses yeux en soupiraux d’enfer.»[21]On peut dire qu’Uzanne voit Barbey à travers ses romans… Mais il le voit aussi avec ses yeux à lui. Il est frappé alors par «l’expression de ses lèvres mobiles, fatiguées par le feu de la passion, de la critique, du verbe,» et par «sa bouche, non pas édentée, le mot ne lui aurait pas plu, mais ébréchée, égueulée, (…) comme la bouche d’un canon à feu.»[22].
Jules Valadon, dans son huile (31) de 1874, n’a pas rendu l’épaississement ou l’affaissement éventuels du visage (des marques de l’âge contre lesquelles cet homme de 66 ans ne pouvait rien) Il l’a ainsi, en quelque sorte, plutôt rajeuni et apaisé. Jules Valadon n’est sans doute pas très fidèle au modèle, car trop admiratif: il était surnommé le Barbey de la peinture à cause de son tempérament romantique et tourmenté. Les masses de couleurs l’ont intéressé. Sans doute les cheveux de Barbey n’étaient-ils pas si épais (ni naturellement si noirs). Cela donne un aspect plutôt espagnol que normand à notre écrivain.
De plus en plus connu, Barbey se retrouve tantôt encensé, tantôt moqué…
Barbey méprisait les contrevérités… et ne se donnait pas la peine de les démentir quand elles venaient de gens qu’il dédaignait: en effet, il avait donné initialement les verges pour se faire battre. Qui, dans la foule, pouvait supposer que le dandy n’était plus quand on le voyait conserver sans hiatus ses anciennes manières? Léon Bloy, après avoir fait de l’esprit aux dépens de Barbey, en 1893, ajoute: «Il avait voulu fixer de la sorte, pour lui seul sans doute, l’unique impression d’autrefois qui le consolât de vieillir.»[23]En réalité, s’il ne voulait pas modifier les détails accessoires et illusoires qui mesurent la «durée», c’est qu’il ne voulait pas se soumettre à la règle commune (il la trouvait injustifiée), ni à l’esthétique de l’époque (il la trouvait fade et laide). Poupart-Davyl l’analyse très justement d’ailleurs: «Ah! la mode! En voilà un qui en fait litière! Il n’y a pour lui de mode que celle qu’il s’est créée, et à ce fidèle du passé rien ne aurait arracher une concession aux idées actuelles et aux habitudes du jour.» [24]
Voici le buste sidérant que Zacharie Astruc coula dans le bronze en 1875 (32). Certes le sculpteur est renommé, mais jusqu’ici Barbey avait toujours refusé de poser pour un buste, lui qui rappelait que même Byron ne voulait pas être ainsi statufié… Ce fait d’avoir accepté d’être ainsi représenté révèle un profond changement dans la façon dont Barbey se perçoit. Ce buste énorme figura au Salon de 1876. L’expression est presque aussi terrible que celle que se donnait souvent Salvador Dali, et elle fascina littéralement Léon Bloy qui en donne cette description: «O l’étrange, l’admirable effet de la contemplation de ce chef-d’œuvre! de cette poignante figure de bronze qui m’a tant rappelé la terrible Méduse de ces poètes-enfants qui symbolisaient ainsi l’excès d’épouvante et le comble de l’étonnement humain!
… Il n’y eut jamais, dans aucun siècle, et dans aucun monde, une physionomie plus mâle et plus fière que celle-ci; plus héroïque et plus calme à la fois, pour résister, par son intensité même, aux plus enveloppantes étreintes spirituelles d’un art plus acharné et plus profond… Imaginez, si vous le pouvez, deux yeux de proie jaillissant de la coupole de ce front sublime et fondant sur vous et vous saisissant – comme deux aigles noirs – dans leurs serres terribles pour vous emporter et vous déchiqueter dans les nues.»[25] Un Dali certes aurait applaudi des deux mains, ou se le serait écrit lui-même… Mais quand Léon Bloy lui soumit ce texte, Barbey écrivit en marge, entre autres énergiques «découragements»: «Verve trop emportée» et ce ne fut qu’en 1902 que Bloy osa publier son extase en se moquant d’ailleurs un peu de lui-même! [26] Voici comment Barbey commente indirectement ce buste: « De quoi parlerons-nous? de mon buste que vous avez peut-être vu alors. Il ne m’intéresse pas pour moi dont je suis largement dégoûté, mais pour Astruc, le sculpteur, qui est un maître, et dont je voudrais dire du bien. « [27].
Quelle différence avec l’abbé Léon d’Aurevilly à la même époque! Ce portrait (33) date de 1875, un an avant sa mort. Sa vie apostolique avait été pleine et féconde, mais il était devenu neurasthénique et sujet à des attaques de paralysie, contre lesquelles il ne réagissait pas assez, aux dires de Barbey. Les traits se sont marqués en même temps qu’affermis. On sent qu’il n’a pas le souci de sa ligne, ni de son aspect. Mais il est énergique, assurément. Voici par exemple un fragment d’une de ses réponses- presque violentes! – à quelqu’un qui souhaitait écrire sur son frère Jules: «Quant aux biographies des d’Aurevilly, vous avez raison, et votre bibliophile a raison aussi; on nous a souvent confondus l’un et l’autre. Il y a une curieuse balourdise d’un certain Pierre Larrousse, mauvais dictionnaire à qui je voudrais bien que l’on fît la figure[28]. Un article se trouve là, où sans rime ni raison, mon frère est moi et moi mon frère! Ce qui fait pour un missionnaire de campagne un singulier personnage. On s’y amuse de quelques ridicules de mon frère, et l’on a raison. On ne nie pas son magnifique talent. Toutefois, il est attaqué (On le dit) un écrivain d’opinions exécrables…» Il continue à écrire, sur un ton humoristique, affectueux, raisonnable et plein de bon sens. Assez modeste pour lui-même. «Je serais bien heureux que votre jeune homme lût l’article et accrochât un grelot gigantesque au nez d’un homme qui fait des biographies et qui ne sait pas que Jules n’est pas Léon, et fait une confusion des deux vies nécessairement discordantes, de manière à produire un personnage impossible. J’avais averti mon frère de flamber ce drôle; je me fiais sur lui, sans cela j’eusse réclamé au nom de ma dignité de prêtre.»[29] Ceci nous donne une idée de la poigne de ce bon Père et de la confiance réciproque que les frères avaient l’un pour l’autre.
Mélandri nous donne de Jules, en 1878 (il a 70 ans) un portrait (34) aussi beau que les Nadar. Très droit, appuyé semble-t-il sur une des cannes qu’il affectionnait surtout pour montrer son élégance raffinée et sa noblesse, la grande limousine rayée mettant des accents lumineux, et les rayures, du mouvement sans tomber dans un pittoresque facile. Il nous semble, à nous, qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans les couleurs, ni dans la tenue, mais nous sommes peut-être comme des béotiens qui ne voyons plus les détails qui tiraient violemment l’œil de ses contemporains. A part cette limousine, la tenue est très simple: il n’y a rien d’affecté: même les cheveux, dont nous savons pourtant (Barbey l’avouait à mots couverts), qu’ils étaient teints, ont une couleur un peu grise et nuancée qui sied au visage. La bouche s’est un peu durcie, les plis caractéristiques de chaque côté de la bouche sont plus marqués, les rides entre les sourcils se sont accentuées, la moustache tombe plutôt maintenant en pointe comme celle d’un Gaulois et n’a plus rien du panache fourni des Vikings.
Et voici le fameux portrait effectué en 1880 et achevé début 1881, par Emile Lévy (35).
Ce qu’en a écrit Barbey a été rapidement cité dans la partie de notre travail qui recensait le thème de la laideur dans les écrits intimes. On percevait un certain manque d’enthousiasme.
Quand on voit ce portrait, d’assez près, et en couleur, on a du mal à comprendre sa réserve. Lévy a vraiment essayé de peindre le Normand gentilhomme, le dandy, le condottiere, le Connétable des Lettres… Bref, ce qu’aimaient aimer les salons dans lesquels évoluait Barbey.
Nous y reviendrons plus loin, quand nous chercherons à établir l’image que Barbey avait de lui-même, et celle qu’il voulait laisser, ou imposer.
Octave Uzanne, un de ses amis, nous laisse un portrait vivant, preuve que Barbey avait réussi à faire coïncider l’image romanesque qu’il donnait de lui dans ses livres avec celle qu’il ordonnait de percevoir aux salons pourtant si peu connaisseurs de Paris, mais qu’il hypnotisait!: «Torrentueusement, son verbe roulait de mirifiques pierreries qu’il livrait au courant de sa causerie avec l’inconscience de l’inépuisable trésor d’où elles surgissaient en éclats rutilants. Svelte, élancé, large d’épaules, le buste avantageux, montrant une fringante tournure de vieux diable mondain, je voyais en lui une sorte de Paganini issu des Contes d’Hoffmann… (…)Il portait la moustache cosmétiquée de noir, balafrant son visage de pirate espagnol, fait pour vivre plutôt sur le pont d’une brigantine d’attaque que dans un salon littéraire; il ne m’apparut point comme le vieux comédien extravagant, sanglé dans le justaucorps et enfoui dans la dentelle, sur lequel la malveillance des médiocres chroniqueurs se donna trop longtemps carrière, mais comme une évocation noblement expressive des anciens guerriers-gentilshommes de vieille roche…
Son geste, d’un charme impérieux et d’une distinction hautaine, était ample, mais plein de grâce et de mesure. Il mettait en relief des mains qu’il avait très fines, très parlantes ou très chuchoteuses et qui, en soulignant ses discours, révélaient une mimique spéciale, riginale, à la fois calme et fougueuse, courtoise et altière…
C’était indiscutablement l’homme de ses écrits.»[30]
Sur cette photo (36) intéressante de 1880 environ, nous voyons Barbey, magnifique de prestance, subjuguer son auditoire, comme les narrateurs qui s’échelonnent dans son œuvre. A 72 ans, «lorsque adossé à la cheminée – sa pose favorite –, il prend la parole dans un salon, il n’est pas rare que tous les regards convergent vers ce superbe septuagénaire, vêtu d’un habit noir rehaussé d’une mousseuse cravate de dentelles.»[31]
Pour la curiosité, nous insérons un des dessins de Degas (37) de la même époque.
Et rappelons-nous Bloy poursuivant Barbey dans la rue, le rejoignant au moment où celui-ci rentre dans sa pauvre chambre. «Que voulez-vous, jeune homme?» «Vous contempler.» «Eh! bien, contemplez-moi, mais asseyez-vous, vous serez mieux pour cette opération.»… Ou encore Jean Lorrain l’appelant son maître, à cause de «l’élégance et du dandysme que vous avez inventés après Brummell.»[32] Quelle revanche sur les sarcasmes familiaux…
Raymond Woog [33] le décrit assis «la tête rejetée en arrière, le nez en bec d’aigle sous une arcade sourcilière profonde, lèvres minces, moustache longue et tombante, trop noire… Les cheveux, clairsemés sur le sommet du crâne, plus drus autour des oreilles et sur la nuque, étaient du même noir inquiétant… la pomme d’Adam saillante et le visage couvert d’un cuir coriace et tanné… Le son de sa voix ressemblait à son écriture, grave avec des envolées, des arabesques, des fioritures d’où la préciosité n’était pas exclue»
Un portrait par Ostrowski (38), de 1887 vraisemblablement, nous plonge dans l’intimité de Barbey: noblement assis, le dos à la cheminée, peut-être sur sa cathèdre, le bras appuyé sur une chaise, son chat noir se frotte à la manche de son vêtement d’intérieur aurevillien avant tout: tabard, mâtiné de la dalmatique des chevaliers, ou djellâba, on ne sait. Sur sa tête, accessoire qui aurait pu être bourgeois, vulgaire ou inesthétique, un bonnet… mais métamorphosé en «clémentine» rouge ou noire, soutachée d’or: le bonnet papal, celui-là même que portaient les cardinaux du XVe siècle, et que Léon X a dans son portrait, peint par Raphaël (une sorte de bonnet phrygien qui protège du froid gentiment, d’où son nom, à moins qu’il ne vienne d’un pape Clément…). «Ainsi vêtu, il rappelait Dante, dont il avait le port majestueux et altier. Sa beauté mâle et vigoureuse, ses traits accentués, son nez en bec d’aigle allaient bien à ces vêtements pittoresques.»[34] Il a 80 ans et malgré tout peut encore séduire «pour son admirable physionomie ruinée et superbe, le front large bossué au dessus des sourcils, le nez impérieux comme un bec d’aigle, la bouche amère au repos, mais bientôt sinueuse d’une parole éloquente et précieuse, de rire sifflant ou sonore sans vulgarité.» [35] La séduction, compensation à la laideur originelle, remplit parfaitement sa fonction… Dans les années 1880, en dépit de l’étrangeté de tels costumes, Barbey conserve une allure digne. Avec ses yeux féroces et son nez aquilin, il possède une physionomie qui coupe court à la moquerie.
La longévité moyenne d’un homme à son époque est de 41 ans, et lui en a 81. Mais l’âge est là, et le mot de «ruine» vient d’être prononcé. Ses ennemis glosent sur son maquillage, et vont même, ne comprenant pas que ce sont ses armes contre la vieillesse et non celles d’une homosexualité tardive, faire des suppositions dont il rit ouvertement.
Les dernières photos (39), dont celle-ci, par Poirel, en 1888 environ, montrent un octogénaire au visage amaigri, mais à taille épaissie, le regard plus direct, mais peu expressif, assis moins droit, un peu fatiguée, dans la réserve des bras croisés. Certes la moustache est soigneusement piquante … mais dans l’immobilité de la pose statique, il manque le feu de la parole, ou la chaleur du sourire… Il est vrai que dans les lettres de la même époque, on sent l’attirance du passé, son obsession, qui se confond avec le désir de mourir. C’est cependant un viaillard exceptionnel à son époque…
Le Sâr Péladan – son témoignage est-il exact? – raconte ceci: «A ma dernière visite, il avait proféré, grandiosement triste: «Les aigles n’aiment pas qu’on les voie mourir; vous avez connu et aimé le Connétable, laissez son fantôme disparaître en paix, devant le crucifix.» [36]. D’autres content comment Barbey avait dû rétracter, comme pénitence après sa confession, les propos dans lesquels il ennoblissait sa naissance de façon royale, mais fausse…
Autre façon de le décrire: regarder son cadre de vie, à sa mort. Charles Buet nous donne beaucoup de détails: sa chambre (40) est d’une pauvreté presque pathétique et inesthétique, mais ne manque ni de grandeur, ni de la richesse des souvenirs sentimentaux, ni de la beauté des symboles. Il y a très peu d’ornements. Son portrait à 18 ans, sans doute une œuvre de Fink[37]. La miniature de sa mère dont nous avons parlé, un portrait de Démonette (une des chattes qu’aimait Louise Read) par Ostrowski, s’il vous plaît, un tableau représentant un chevalier par Giorgione, une photographie de la Joconde, aucune autre décoration au mur.
Sur la cheminée, une tête de mort sculptée dans un bloc de marbre blanc et lamée d’or[38], la maquette en cire d’un saint Michel (sans doute l’Androgyne céleste de Judith Gautier…) une pendule «à sujet», un bougeoir fait d’une baïonnette tordue et nickelée. Autour du cadre de la glace, des photographies: plusieurs de Marthe Brandès, une de Mlle Rosélia Russeil.
Sur la table, les cachets avec sa devise Too Late, ou un casque fermé, ou ses armes, tout ce qu’il faut pour écrire. Pas de bibliothèque (il donnait ses livres, empruntait les autres…) sauf un missel en anglais, et les œuvres de Byron, en anglais elles aussi, – fatiguées, et dont, disait-il, il savait tous les textes à la virgule près… [39]
Des accessoires de toilette, et, entre autres, deux cannes: «le pouvoir exécutif» et «ma femme».
Jean Lorrain, juste après la mort de Barbey, le 23 avril 1889, lui rend hommage dans L’événement du 27 avril 1889: «Une tête énergique, aquiline, couleur de vieux buis, éclairée de deux yeux d’aigle, un nez busqué aux arêtes vives, et, sous une fine moustache noire retroussée, une bouche impérieuse, aux lèvres minces, d’un très noble dessin: voilà la physionomie hautaine et d’un autre siècle, de forban et de grand seigneur à la fois, de l’illustre mort de la semaine.» (41)
Le masque mortuaire (41 et 42) en effet, pris par un élève de Louis Falguière, nous montre un Barbey enfin calme et reposé. Il a l’air plus jeune, plus fort que sur les photos, mais c’est souvent le cas… La Varende se laisse aller à la douceur et à la paix de ces impressions, et décrit ainsi son compatriote: «Tel que, et dans cette blondeur que permet d’imaginer l’éclat du plâtre, on pense à une belle tête anglo-saxonne de vieux seigneur écossais par exemple, où rien ne montre la domination- maladive – du rêve. Celui-ci avant d’être un écrivain, aurait été un gentleman heureux. Ce moulage mortuaire est parmi les plus vivants que je connaisse. On croit qu’un sang rosé y circulerait encore; on y cherche les pigments colorés de la vie au grand air. Un sourire, dispersé sur tous les traits, transforme ce mort en dormeur satisfait, qui agrée le sommeil et l’attendait à la suite d’une longue et belle promenade: sa vie.» [40]Souhaitons qu’il en soit ainsi… d’autant plus que sa vie fut plutôt, selon nous, un combat qu’il voulut noble et courageux…
Rodin fut chargé de faire de lui un buste. En voici deux études (43 et 44). Toutes les deux sont dépouillées des accessoires réalistes que Barbey refusait catégoriquement. Elles
nous semblent aussi vraies l’une que l’autre, même si le bronze semble mieux convenir par tous les symboles qu’il recouvrait pour Barbey. [41]
Le premier buste essaie de rendre l’éloquence et nous présente un Barbey plus jeune d’esprit; le second est toute intériorité et concentration.
Mais Bourget, quand on lui avait parlé de faire un buste, avait rappelé toutes les méfiances de Barbey à l’égard de tous les portraits, photos et statues: se serait-il reconnu là, dans ce qui était sorti des mains de Rodin? Ce n’est pas sûr… Barbey avait écrit à Trebutien le 29 mars 1855: «Un portrait, c’est une diable d’œuvre, et à moins qu’on aille aux grands maîtres, on n’a jamais que de pauvres petits à-peu-près.» Mais à cette époque, Rodin était-il déjà le grand maître? Bourget remarquait que cette idée de statue n’eût pas été sans lui faire froncer ce sourcil altier qui se crispait si aisément au dessus de ses yeux perçants, lorsqu’on touchait à de certaines cordes très sensibles de son être… Il en était de ses portraits peints comme des portraits écrits, les uns et les autres lui déplaisaient également… Et à la place d’une statue, Bourget demandait, pour tout monument, qu’on achevât de publier au plus tôt, l’œuvre de Barbey.
Nous avons vu de quelles cordes sensibles parlait Bourget, sur des confidences de Barbey lui-même.
Il est certain que si Barbey fut content qu’on veuille le portraiturer, au bout d’un moment, il s’était aperçu que ceci ne comblerait jamais d’autres manques, qui ne voulaient pas se combler…
Nous venons d’en lire des témoignages probants: Barbey sut faire accepter petit à petit son image par les autres, (nous ne parlons pas de ses ennemis, qui le reconnaissaient, mais le caricaturaient). Jamais on ne l’a dit laid. Jamais non plus on ne l’a dit beau sans relativiser cette beauté. Mais déjà, le fait d’être dit «relativement beau» était une compensation à ces phrases douloureuses qui l’ont hanté.
Barbey vu par lui-même: Je, et il… VIII.2.
La vision des autres, du moins de ceux qui se sont laissé charmer par lui, correspond-elle bien finalement à celle qu’il avait finalement choisi de donner de lui-même? Peut-on saisir comment il se voyait lui-même? Evidemment selon ses propres dires… Peut-on saisir comment il voulait être?
Cette question au sujet de chacun est complexe. Elle l’est encore plus dans le cas de quelqu’un qui a joué à se cacher. La comtesse Dash donne un témoignage que des paroles de Barbey démentent, à moins que son démenti ne soit un mensonge… «Ce n’est ni un bel homme, ni un joli garçon, c’est une personnalité, c’est un être tout à fait à part qui ne ressemble à qui que ce soit. Il est naturellement affecté. Ceci a l’air d’une dissonance et pourtant c’est un fait. Quand il est sorti du corps de sa mère, il a dû faire un cri qui ne ressemblait pas aux nôtres. (…) C’est le sien, il n’en a pas eu d’autre sur les bancs de l’école.» Il n’est sans doute pas faux de faire remonter au tout début de sa vie sa manière d’être… Et elle ajoute qu’il a de nombreuses prétentions, à juste titre. «Je n’en connais qu’une qui ne soit pas amplement justifiée, celle de se regarder souvent au miroir comme s’il croyait y voir le visage d’Apollon. A cela près, il ne réclame que ce qui lui appartient.» [42] Or Barbey n’a pas attendu cette réflexion pour expliquer l’usage de son petit peigne à moustache de poche, muni d’une petite glace intégrée. Il expliquait à Trebutien: «Moi, je ne me mire plus, quoique j’aie toujours une petite glace à la main, comme Sardanapale, qui ne me sert qu’à regarder, par dessus mon épaule, les femmes placées derrière moi, pour les surprendre (puisque je n’ai pas l’air de les regarder) dans leur vérité.» [43]
Comment savoir la vérité?
Partout dans ses écrits, nous picorons de petits fragments déchirés de l’image qu’il avait ou devant les yeux ou en tête… Replaçons-les dans l’ordre chronologique, comme des pièces sans liens… et nous verrons si ce puzzle n’est pas en fait une série d’états successifs d’un portrait retouché…
Barbey nous a laissé peu de témoignages de son état d’esprit tout jeune. Aussi devons nous chercher dans des ressouvenirs. «J’étais trop jeune alors (j’étais le petit vampire, aux yeux suceurs à vide qui n’a encore touché à rien, de mon petit médaillon de Finck que vous avez tant admiré)» écrit-il à Landry le 2 septembre 1875.
Sous le portrait de lui à 20 ans, il écrit:
«Ce fut moi comme au soir le jour. Ce fut l’aurore
Ivre de joie alors, je foulais tout aux pieds.
Peut-être que mon front se reconnaît encore;
Mais mon cœur si vous le voyiez!»[44]
Ou encore sous le même, pour Armand Hayem:
«A mon ami Armand Hayem,
C’est bien moi, mais alors je portais sur la vie
L’infini de mon cœur dans mes yeux de vingt ans…
A présent, c’est fini… L’âme s’est assouvie
Et les yeux chérubins sont devenus Satan.»[45]
1830 nous offre son premier texte autodescriptif, à 22 ans, (et ceci explique peut-être cela!) il nous donne à lire dans Léa, fanfaronnant, «nous, hommes barbus». [46]
En 1835, il n’est pas peu fier de noter qu’une dame lui a trouvé «l’air oriental, l’air d’un ministre grec, en somme très solennel, et un vieil oncle (jeunesse dorée), fat antique qui porta le collet de velours vert (…) m’a proclamé extrêmement beau. J’en suis très fier, morbleu; car un pareil homme vivait au temps où la beauté était plus commune qu’à présent. Son opinion a du poids et me flatte d’autant plus que mon adorable famille m’a toujours chanté que j’étais fort laid. Pardonnez-moi ces vanités féminines, mon ami, ou si vous ne me les pardonnez pas, ô homme, écrivez-moi du moins pour me les reprocher.»[47] Plus tard il mentionne «mes moustaches à la Guisa di Leone»[48]
1837 le voit toujours en délicatesse avec ses parents: «Reçu une lettre de ma mère. Me demande à cor et à cri mon portrait. Mais je ne sais guères quand je pourrai le lui envoyer. En ai envie néanmoins, ne fût-ce que pour faire disparaître et remplacer celui qu’elle a dans son salon et qui ressemble à un jésuite déguisé. Je n’ai jamais eu ce patelinage de regards.»[49] Plus tard, Barbey trouvera toujours le temps d’envoyer des portraits. Mais ici, l’ironie de l’expression exprime sa réticence: était-ce l’échange de lettres obligatoire au Nouvel An? En tout cas, Barbey n’aimait pas son portrait, et surtout son expression. Accuserait-il le peintre d’avoir voulu plaire à la mère?
1837 La marquise «dit toujours que je ressemble à Jean Sbogar [50], ce qui ne me plaît pas trop. – Tous ces brigands sont de mauvais ton et un gentleman ne doit pas avoir un air de sac et de corde. – Mais la marquise raille parfois.» [51] A prendre au premier degré, ou à décrypter à la façon d’un message à plusieurs entrées…
1838: Des «peintres (…) m’ont pris, (mos est) pour un Espagnol»[52]: cet exotisme lui plaît, et les peintres, pluriel euphorisant, sont un garant précieux!
Il a servi à sa tante de camériste, «une camériste dégourdie, avec des moustaches «assez» libertines, mais qui n’ont pris, je m’en vante, aucune «liberté.»[53]
«Le je ne sais quoi de léonin, qui a toujours été en moi.»[54]
1838 toujours «Causé avec G… qui m’a dit que je ressemblais au roi de Suède, que j’avais ses yeux d’aigle. A ce propos, j’ai cité une phrase de Mme de Staël, dans ses Dix ans d’exil, je crois, sur les yeux noirs de Bernadotte (45).»[55]
«une taille de spectre noir et une figure très dédaigneuse comme le mari de Marie Stuart dans Walter Scott» [56], «taille svelte» [57] «taille féminine» [58] «ma léonine crinière». [59] «Celui que dans un certain monde, on appelait Sardanapale d’Aurevilly, le roi des Ribauds.» [60]
Eugénie de Guérin le perçoit comme un «beau palais dans un. labyrinthe» [61], compliment doux-amer et ambigu, qui lui correspond bien à l’époque.
Il parle de lui par la métaphore du vêtement ou des accessoires: «Ces séquences se trouvent essentiellement dans les deux premiers Memoranda et dans le premier volume de la Correspondance où le corps est présenté dans son rapport métonymique avec le vêtement représenté comme support de la figure dandyque au moyen de laquelle se construit le sujet. La mise en scène du rôle implique la quasi disparition du corps, subtilisé dans son épaisseur (taille de spectre), maximisé dans ses appendices culturels (longue moustache). Le corps s’inscrit dans un ensemble de notations surdéveloppées concernant la toilette, le vêtement, les cosmétiques, la parure etc. Il est signifié dans un contexte artificiel, et du même coup théâtralisé, soumis délibérément aux contraintes excessives du rôle.»[62]
Seule la maladie permet de nommer des parties du corps comme la peau ou ce qui lui est interne (et il n’y a jamais rien de sexuel). Toute cette période est bien celle de la construction d’un premier personnage qui se cherche des beautés byroniennes qu’il fait miroiter aux yeux des autres (et aux siens), qui se bâtit un extérieur, qui justifie son aspect.
Mais ce personnage va progressivement disparaître au profit d’un autre.
1843 «Je suis heureux de me regarder dans cette glace étamée par vous, et je m’y retrouve presque joli garçon. Vous avez fait de moi un Narcisse littéraire.»[63]
1851 «Moi qui suis laid comme un pirate, la petite vérole n’a rien à me dire, et je me moque d’elle.»[64]
Uzanne rappelle que Barbey aimait à dire: «Il me plaît de pouvoir affirmer: je suis un individu». [65]
Il écrit à Trebutien qui lui rapportait un commérage: » Je crois, oui, – que cette beauté-là avait quelque goût pour ma laideur « [66] et parle de sa «longue moustache.» [67]
1851 «L’attitude de l’esprit, une certaine manière de porter la tête, une parole vivante, tout cela fait bien des illusions!»[68]
1851 «Les ouvriers disaient: Ce que nous aimons de notre président, c’est qu’il a l’air d’avoir souffert. (sic). Je n’oublierai point cette parole. Une voix vibrante, un air de tête trop impérieux peut-être, – comme mon diable de style, ne faisaient point illusion à ces braves gens.»[69]
1855 Il décrit longuement à Trebutien son grand-père Amédée, qui médusait par sa beauté, insistant non moins longuement sur son prénom qu’il a reçu… «Il avait été un des plus beaux hommes d’un temps où il y avait de la beauté encore, mais, à lui! sa beauté médusait..
Pardon, mon cher Trebutien, la plume m’a tourné et à propos de ce nom d’Amédée qui m’a été donné en souvenir de cet homme, lequel a, je crois, une physionomie, je me suis laissé allé au plaisir – oui, un peu orgueilleux! – de vous parler de lui.»[70]
1855 Un peintre se prend «de goût pour (sa) chienne de personnalité.». Barbey envoie son portrait quoiqu’il le trouve assez médiocre: trop dandy, ce qu’il n’est plus, et puis «la tête du portrait est trop petite. Depuis quelques années, ma tête a pris une très grande force. L’Ange Blanc – mais l’amour a peut-être un langage trop grandiose – dit que j’ai quelque chose de plus monumental que cela.». «Les yeux sont vagues, mon regard n’y est pas, – ce regard qui désolait Finck, il y a bien des années, Finck le miniaturiste, qui a fait de moi deux portraits ravissants. (…) L’Ange Blanc dit encore: «Il est très ressemblant quand on ne vous voit pas à côté»[71] Y a-t-il plus flatteur de toute façon que cette phrase dans la bouche de quelqu’un qui nous aime? Barbey rayonne du bonheur d’être aimé, et ce complexe fini lui fait même revoir en beau ce passé douloureux…
«Le Robuste que je suis»[72]
1856 «Je suis un grossier» «des gaillards comme Nous»[73]: le dandy change d’originalité!
1858 Il ne se décrit pas vraiment physiquement, mais parle de sa santé comme une métaphore de lui-même: «On m’a demandé, au Réveil, de baisser un peu cette voix de stentor que j’ai le malheur d’avoir.» [74]
1858 «La vie est dure aux hommes fiers et aux intelligences qui ont soif de perfection et d’harmonie, me confessait-il.» [75]
1858 «Si ce fabuleux hippogriffe qu’est le succès peut être chevauché, croyez-bien que je saurai le chevaucher à poil, en vrai Normand que je suis, fait pour la conquête, et je saurai faire de ce Pégase trop domestiqué à la publicité, et de moi, un centaure invincible.»[76]
Il chantait à la table de Levallois, coupe en main:
Je suis le Titan
De la Normandie
Et de tous les Titans,
Je suis le plus grand Titan. [77]
Il parle de lui assez souvent, et d’un lui plus réel: il met en valeur les aspects les plus primaires de sa nature: bête fauve, nourriture, excès de table. Il est heureux de voir les femmes étonnées de sa taille de séraphin mangeant autant, mais ne leur dit pas qu’en privé, il se serre la ceinture! C’est le Normand qui apparaît, un être robuste, de corps et de cœur. Ce thème de la laideur commence à s’exprimer à travers celui de la beauté. Il veut faire tomber les premières enveloppes, mais n’ose parler de son visage, ni de portraits.
1864 «Mon portrait, que mon père n’a pas encore suspendu au mur, ce portrait noir, sévère et «byronien» que vous connaissez est posé sur un canapé et me regarde.»[78] On sent que Barbey aime assez ce portrait. Peut-être le préfère-t-il, et de loin, à celui où il y avait un patelinage dans le regard qu’il refusait.
Sans doute apprécie-t-il de voir maintenant un portrait de lui qu’il aime accepté chez lui dans sa famille. Que pense-t-il donc en se mirant en lui? Peut-être qu’il a réussi d’une certaine façon à ne plus se voir en laid, parce que la physionomie l’emporte sur les canons esthétiques?
Pourtant la photographie est un art qui ne lui plaît pas: «trop commun» et qui n’est pas un «art». Dans un article du 3 Janvier 1867: Les photographies et les biographies, il dénigre assez violemment la mode de la photographie, et pourtant Barbey connaissait depuis 1851 Madame de Bouglon, collectionneuse de photographies et d’autographes…:
«Une dame, particulière aussi à cet amusant 19ème siècle, aura un album de photographies de la société toute entière, et se fera un Musée de ces museaux. Dernier développement d’une époque matérielle où la guenille l’emporte sur ce qu’elle couvre, on ne voit que ces portraits nabots, portraits par-ci, portraits par-là, portraits partout, portraits embusqués et qui fondent sur vous comme escopettes, portraits persécuteurs comme les seringues de Monsieur de Pourceaugnac, et nous disparaîtrions sous l’avalanche de ces cartons photographiés, si heureusement le temps ne devait pas vite les réduire en pâte et en bouillie sous son invisible pilon et, par là priver les générations à venir du plaisir de contempler ces cartonnés qui devraient diablement étonner Charlemagne s’il revenait au monde et si on lui disait: tous ces cartonnés, c’est la glorieuse race de vos Francs!»[79]. Les arguments de Barbey contre la photographie sont essentiellement qu’elle est commune et ne relève plus du Beau. [80] Or Nadar a fait de lui des clichés en 1865. Doit-on en conclure qu’il se sent presque «bien», digne en tout cas d’être photographié?
De 1869-70 date de ce poème «Treize ans» qui commence par ce vers douloureux: «Elle était belle, moi laid»[81]
En fait, mettre par écrit ce « souvenir » le libère du souvenir toujours actif de cette impression de laideur, peut-être parce que des gens le rassureront déjà, en protestant contre cette affirmation…
Comprend-il que la photographie est peut-être faite surtout pour faire plaisir, plutôt que pour faire beau?
Lui réclame des photos à ses amis, et, en tout cas se met à distribuer, dès 1873, autour de lui ses portraits, dont il parle (à moins que ce ne soit de lui dont il parle en fait!) en des termes indifférents ou très satisfaits! Barbey est en effet de plus en plus sûr de lui: c’est Madame de Bouglon entre autres qui lui donne cette assurance qui nous vient du sentiment d’être aimé; il lui écrit avec autant de naturel qu’à Trebutien ces phrases qui veulent dire en fait: je me sens bien et grâce à vos yeux me vois beau «Je me porte comme un pont bâti par les Romains et je travaille comme si j’avais à en élever les piles. All is well! Mon portrait est achevé pour L’Ensorcelée. Les uns disent que c’est très bien. Les autres disent que ce n’est pas assez bien comme cela, pour être moi Je serais assez de cet avis. Mais on ne peut pas mettre un homme dans son portrait, on n’y met qu’une minute de sa vie, et la plus sotte de toutes, celle où il est obligé de poser.»[82]
Il signe une lettre à son cher Léon: «Je ne puis pas te dire les abîmes de tendresse que j’ai dans le cœur pour toi; malgré la légèreté de l’esprit, il faut croire un peu à mon âme sous les turqueries
de ton Yule Pacha.»[83]
Le 5 août 1875, il se décrit dans une lettre à Mademoiselle Coppée: «La vie que je mène me rend fort comme un Turc. Je bois du cidre comme un Normand, de l’air comme un cheval arabe, et de l’odeur[84] comme un poète persan. J’en ai, Mademoiselle, à vous en faire un matelas, si un matelas pouvait s’offrir.»
Il donne ses portraits avec des commentaires au moins indifférents, ou satisfaits, et même parfois les distribue en série, comme ci-dessous. Fallait‑il qu’il soit content!
En 1877, à madame Hayem, portraitiste elle‑même: «Ils disent que c’est ressemblant. Je n’en sais rien! Est-ce que l’on se juge soi-même?…
Mais tel quel me voilà! je me mets à vos pieds, regrettant qu’il n’y ait pas, dans ces yeux, la flamme que, posant pour vous, vous y auriez sûrement allumée.»[85]
A Pierre Bottin-Desylles (un parent dont il espère un legs) il envoie une photo
«Mon très cher parent et ami,
C’est une fatuité que d’offrir son portrait, mais je me permets celle‑là avec vous. Comment ne serais-je pas un peu fat de ce que vous m’aimez un peu? Voici donc mon portrait! En attendant le bonheur de vous revoir, je vous envoie cet à peu près de ma figure. Il m’a fallu, pour une publication de Journal lllustré, passer par les angoisses d’une photographie, et j’ai pensé à racheter ces angoisses par le plaisir très vif de vous envoyer un souvenir de ma personne et de mon amitié. Je voudrais que ce portait me valût le vôtre. Mettez-le à côté de vous sur la table où je vous vois d’ici, et regardez-le quelquefois quand vous voudrez vous rafraîchir la mémoire de l’idée d’un homme qui vous aime» [86]
A Elisabeth Bouillet le 8 mai 77
«Vous trouverez, ma chère Elisabeth, ici, dans cette lettre, un portrait de votre ami. Il (ce portrait) est trouvé très bien à Paris, pour ne pas dire un mot plus vif… Il faut être modeste. J’en ai envoyé un tout pareil à mon ami Desylles»
Toutefois, Barbey insiste souvent pour dire que rien ne remplacera jamais la mémoire du cœur…
«Il y a meilleur que d’avoir portraits et médailles. C’est de n’en pas avoir. Du moins on fera rêver les imaginations de l’avenir. On le croit si on rêve soi-même… Et eux, ces bêtes de peintres la déconcertent.»[87]
Barbey accepte sa figure, maintenant, et se réjouit que les autres qu’il aime, l’acceptent.
Ce sentiment va se renforcer, car la laideur est permise à la vieillesse charmeuse d’un grand homme.
Quand Barbey, 70 ans, est malade, il est assez coquet pour ne pas se montrer, mais il est assez sûr de lui pour ironiser, sachant les dénégations aimables qui lui seront opposées ensuite par de jolies dames![88]
En 1879, à Octave Uzanne qu’il a invité à manger des escargots chez lui et voudrait ne pas décommander: «car si vous travaillez, moi, je suis travaillé par un rhume formidable qui me rend monstrueux, et je garde la chambre – et sans les escargots qui me sont tombés sans dire gare, je me dissimulerais même à vous!»[89]
A Victor Lalotte, fin janvier 1879, pour remettre un dîner:
« Aujourd’hui, je suis contusionné et j’ai le visage enflé. Quelle figure pour un amphytrion qui ne peut vous donner le dîner qu’au restaurant, madame Le Breton étant malade et ne faisant pas la cuisine.
Donc le dîner est renvoyé au jour du désenflement.
Venez me voir ce soir, – si vous pouvez après votre dîner ailleurs que chez moi – vous jugerez de l’état de mon museau et de mes mandibules!
Je vous écris en vert – couleur de l’espérance – l’Espérance d’un dîner. « [90] Il avait en effet l’habitude d’écrire avec des encres de couleur, parfois même dorées et argentées, d’orner souvent ses feuilles de dessins et griffonnages variés, de les plier de façon compliquée, et de les sceller avec des cires colorées, et des sceaux choisis.
Barbey se vante pendant les séances de pose pour Emile Lévy. «J’ai le menton de la Grande Catherine, affirmait-il un jour au peintre; j’ai, signe de race, la gouttière sous le nez creuse; ceux qui ne l’ont pas ne sont pas nés.» [91]
Si Barbey est «naturel» maintenant devant les photos et les portraits, si «laid» n’est plus un mot tabou, il va aller encore plus loin dans la reconstruction de l’image de soi.
Barbey se trouve mieux que dans ses portraits!
Que dit Barbey de lui-même, à travers ses commentaires du portrait de Lévy (qui est reproduit ci-dessus page 552)? rien, si ce n’est ces mots ambigus: «ce diabolique portrait de l’auteur des Diaboliques [92]« est enfin fini. On peut supposer qu’il est pour le moins incertain, voire mécontent…
Que lui a, à son tour, répondu Louise Read? que lui a-t-elle dit en observant le tableau? On ne sait, mais toujours est-il qu’un mois après, il lui envoie un portrait antérieur, puis un autre, beaucoup plus ancien… «J’aurais voulu vous remettre moi-même ce que je vous envoie
sous ce pli. C’est mon portrait, Mademoiselle, dans ma limousine de charretier du Cotentin – vocation manquée! – Je l’ai retrouvé avec un autre – celui de mes vingt ans sur papier de Chine – trop grand pour que je puisse vous l’envoyer par la poste.
Au moins si ma diable de vie m’empêche d’aller jusqu’à vous que mon image y aille! Malheureusement elle ne vous dira pas ce que je vous dirais mais vous l’entendrez tout de même, n’est-ce pas?
A vos pieds mais trop loin.»
Deux jours après cette lettre un peu tendre à Louise Read, le même Barbey, sûrement aussi sincère d’ailleurs, écrit à l’Ange Blanc des choses tout aussi passionnées, et lui parle de lui et de son portrait et de son succès. Mais il ne donne toujours pas son avis, et s’il envoie des articles à ce sujet, il élude d’emblée: «Je vous dirai un autre jour mon impression personnelle, mais défiez-vous des articles». Il cite quelques erreurs des journalistes, (une cravate mauve au lieu de blanche), envoie même un article, et ajoute «Je suis tout en noir, la main à la hanche, comme vous l’aviez rêvé, et cela rappelle, un peu plus altière peut-être, l’attitude du jeune homme louche du Bronzino. Remember You.
La peinture est profonde, très travaillée, les mains superbes, faites avec idolâtrie par le peintre qui les trouvait des mains Renaissance. Et La Vie moderne dit que ce n’est pas assez peint!! Le rideau violâtre est délicieux et Mlle Pommier en raffole. Mais en fait d’art, tout le monde parle, et que d’âneries! Mais l’effet général est imposant pour le peintre et pour le modèle, et tout le monde convient de cela.
Voilà! encore une fois un succès énorme. On ne parle que de cela ici. Au spectacle des gens que je n’ai jamais vus me reconnaissent et viennent me dire: «Quel beau portrait!» etc…
Autre jour, d’autres détails.»[93]
A ce moment, Barbey est assez bien pour être objectif ou se piquer de l’être à son sujet. Or on n’a pas de lettre où il dise clairement son opinion sur ce portrait, ce qui est une déclaration silencieuse de réprobation… [94]Visiblement, il n’aime que certaines parties du tableau, et certainement pas son expression.
Son silence à propos de ce portrait – il ne faisait que rapporter les propos des autres – était un peu suspect. Il finit par critiquer incidemment, mais brutalement, en deux mots, le tableau de Lévy: «Ce peintre m’a picturesquement calomnié. Je vous en parlerai un autre jour. « [95]Mais ne s’explique pas au fond.
Son sentiment, son ressentiment même devrions-nous écrire, était très profond, puisque sur une photo de ce tableau, il a écrit en travers: » une diffamation à poursuivre en correctionnelle », mais il aurait eu l’air fat de le dire…
Sous une autre reproduction, il rime:
«Maigre, noir, ennuyé, que qui m’aime me pleure.
Ce n’est pas moi vivant, c’est mon spectre, – avant l’heure.»
Ou bien «L’attitude, oui, – mais la figure, Non!» (et notons la majuscule du Non violent et vindicatif!)
Ce tableau, qui figure paradoxalement souvent[96] dans les œuvres de Barbey pour que nous lui prêtions un visage, avait plu sans doute par la couleur, l’attitude, l’élégance aristocratique et les références à la Renaissance. Mais de loin, en petit format de photos à donner, ou ici, dans ce tout petit[97] format, à cause du noir et blanc qui gomme les raffinements colorés et vivants de la peinture tout en faisant ressortir de façon imprévue – et parfois inesthétique – structures et formes[98], on sent mieux les raisons pour lesquelles Barbey ne se reconnaissait finalement pas, dans ce gentilhomme sinistre, triste et austère, méprisant peut-être, et sûrement trop froid.
Il ose se regarder, se connaît, ose regarder la peinture et critiquer le peintre… sans penser que le laid puisse venir de lui.
Toujours plus fort: Barbey objet d’art!
Autre moment qui a pu susciter en lui une certaine fierté. Il reçut un jour Alfred Grévin: à ses débuts, dessinateur et peintre de costumes, puis collaborateur au Charivari; il sculptait des personnages en cire (et créa d’ailleurs le Musée qui porte son nom en 1882… donc un an après cette rencontre avec Barbey.) et voulait lui proposer de faire partie de son Musée Tussaud, l’ancêtre du Musée de cire, dont l’ aïeul (!)était le cabinet de Curtius (déformation du nom de Curtz, Creutz ou Kraft, allemand naturalisé Français qui vécu en France à partir de 1770. Il a disparu vers 1800 sans laisser de portrait de lui. Il réalisait des personnages en cire grandeur nature et avait à Paris deux salons d’exposition.). La rencontre fut infructueuse et Barbey en fut d’une lettre délicate…
«vendredi 29 Juillet 1881,
Monsieur,
Vous ne me trouverez pas demain chez votre photographe et voici pourquoi.
Le plaisir de vous recevoir chez moi hier et de faire connaissance avec un homme de talent dont les manières m’ont plu extrêmement m’a fait accueillir un peu trop vite le projet dont vous m’avez parlé. J’aurais dû vous demander à réfléchir sur votre proposition mais quand vous êtes parti j’ai pensé à ce que vous m’aviez exposé, je me suis mis à quatre pas de votre idée pour la juger (comme vous feriez pour un tableau) et ce que j’en ai vu dans ma réflexion m’en a complètement détaché.
Je ne connais pas le Musée Tusseaud mais j’ai vu quelquefois dans ma vie des cabinets de Curtius et je les ai toujours trouvés affreux. L’impression qu’ils m’ont faite m’est revenue, vilaine vision! et, quelque talent qu’il y ait dans votre Musée ce sera toujours un cabinet de Curtius! Ce sera toujours de l’art grossier – de la vie figée, du trompe-l’œil qu’on ne trompe jamais… Ces statues à ressorts mécaniques, habillées avec des vêtements réels, ces moulages de cire coloriés, cette vie qui n’est pas la vie que l’on veut obtenir avec les moyens les plus brutalement matériels et qui n’est en définitive qu’une odieuse et impuissante singerie de la vie, tout cela m’est revenu dans ma pensée et je me suis dit que, pris au pied levé par vous qui m’avez été sympathique tout de suite, j’avais dit trop vite «oui» à votre projet. Vous m’auriez demandé ma personne pour un portrait ou une statue, c’eût été différent! C’eût été de l’art, dans sa notion élevée et vraie, mais ici, l’art n’y est pas; il y a quelque chose ici qui n’est pas de l’art, et en y réfléchissant ce qu’il y a ne me tente plus. Vous êtes un artiste plus que personne, je vous donne des raisons d’artiste et vous me comprendrez.
Le bon de votre visite, c’est que je vous ai reçu chez moi, c’est que je vous ai serré la main et j’espère bien vous la serrer encore malgré mon refus d’aujourd’hui.
Jules Barbey d’Aurevilly.»
Cette aventure nous éclaire sur les conceptions de l’art de Barbey, et sur sa façon de se voir. Ce que sent Barbey, avec finesse et justesse, ne s’explique pas facilement. Lui, qui veut bien être un objet à peindre ou photographier, (sans oser prétendre qu’il est beau comme un objet d’art…), n’a plus peur maintenant d’être laid, et sait qu’il peut être représenté en pied, sculpture ou peinture: il est célèbre, il a de la physionomie. La laideur viendrait donc ici de la manière dont Grévin, soi-disant «artiste» ne fera justement pas d’art. Barbey se refuse par conséquent à être l’objet d’un art «faux», même fidèle, qui le «fausserait». Il se juge là encore supérieur à celui qu’il veut bien appeler un artiste (mais, Barbey jouant très habilement sur les mots et les sentiments de Grévin, n’est-ce pas plutôt une flatterie destinée à le désarmer? ou, à bien y penser en réalité, volontaire ou non, une gaffe meurtrière?)
En 1867, Barbey critiquait les photos où la guenille était plus importante que l’être. Ce n’est pas du tout l’argument qu’il avance pour la cire. Le problème du dandysme et de la laideur est complètement dépassé.
En 1881, Barbey a pris l’habitude de donner des photos à ceux qu’il aime. Il en a même en stock! Louise Read est toujours son intermédiaire auprès des gens qui désirent un portrait de lui. Il en a maintenant toute une palette…
« Je vais écrire à Madame de Molènes pour lui demander le jour qu’elle pourra vous recevoir, vous et mes portraits. « [99]
Barbey semble maintenant bien «dans sa peau». Ces problèmes qui le tourmentaient sont résolus maintenant: il n’en parle même pas.
On trouve au contraire, comme s’il était arrivé à l’autre extrême, la lassitude d’être portraituré!
En 1882, de nouveau un buste par Madame Hayem… ce qui nous vaut un billet assez ébouriffant à Louise Read:
« Bustifié par Madame Hayem toute la journée d’hier. Ce soir allé chez vous pour me débustifier. Mais vous faisiez la mondaine, et va te faire buste! J’y retourne aujourd’hui. – Etais hier avec miss Epinette et miss Coppée à votre porte… fermée! – Sommes repartis… furieux!
Demain, sans buste! Le mien, (le vivant) sera demain chez l’Epinette charming à quatre heures. – Me chante que vous y serez! – Comme vous êtes dans mon buste, – celui-là… « [100]
Mais il ne commente pas son aspect. 0n sent une certaine banalisation qui va jusqu’au dégoût parfois, à propos des portraits et des bustes (si un plaisir s’émousse avec l’habitude, c’est que l’intensité du désir en était illusoire, ou l’objet erroné.): «Il faut que je sorte à l’instant même pour aller poser (encore des bustes et des portraits, j’en suis las à la fin! Il fait un temps superbe – une bonne lumière- et je ne rentrerai que pour m’habiller et dîner en ville, – une lassitude aussi! car voilà huit jours que je dîne en ville tous les soirs.
Tout va bien actuellement pour moi. J’ai du succès, – du succès qui ne m’est doux qu’à cause de vous parce que cela peut vous rendre fière de moi – car vous savez mes manières de sentir sur l’opinion du monde et les glorioles qu’il distribue personnellement. J’en ai le mépris. Je me porte bien, sans quoi que ce soit qui altère en rien ma vigueur physique et intellectuelle. Je commence à gagner de l’argent, cette eau venue si tard à mon moulin et j’ai l’espoir presque la certitude d’en gagner prochainement davantage… Eh bien, – il ne me manque qu’une chose et c’est vous.»[101] Il se sent à l’aise dans son corps et dans son esprit, sensation qui lui révèle clairement, par contraste, ce qui lui manque: l’affection, l’amour.
Pour une fois il aime ce qu’on dit de lui dans un journal. C’est d’autant plus surprenant que l’article est écrit par une femme! Ce qu’il apprécie lui, dans son discours, c’est qu’elle a apprécié elle, son côté féminin: «l’article me plaît, parce qu’on n’y parle pas de ma littérature, mais de ma très frivole personnette.» Il interdit aux femmes de se servir de leur intelligence, mais qu’elles parlent de son physique – un peu de flirt – ne lui déplaît pas, et ce côté ambigu qui lui est reconnu, lui renvoie un reflet qu’il se construit soigneusement…
Comment, à la fin de sa vie, se voyait-il?
Il dit lui-même n’avoir aimé que la description physique si ténue donnée par Alcide Dusolier, et celle du Lutèce: ce sont ces allusions pour ainsi dire contresignées qui vont donc nous permettre de tracer le portrait qu’il veut bien se voir imposer, en fait qu’il voudrait imposer.
Alcide Dusolier dans une minuscule plaquette qui est un vibrant hommage à un auteur qu’il ne connaît même pas semble avoir compris intuitivement les souhaits de Barbey: «Il excelle dans les physionomies barbares (nous verrons tout à l’heure l’abbé de la Croix-Jugan). Je lui trouve, comme homme et comme auteur, une certaine parenté. Il a, du barbare, le goût des hyperboles et des couleurs voyantes, l’amour des phrases emphatiques, – il en a aussi la subtilité et la casuistique raffinée. N’a-t-il pas écrit quelque part: «Je suis un Mérovingien.»?
Je ne sais personne à qui la définition «le style, c’est l’homme» puisse plus justement s’appliquer. Pour qui connaît M. d’Aurevilly, cela saute aux yeux, – ou plutôt aux oreilles. Ecoutez un moment cette conversation de tant d’éclat et de vivacité, abondant en traits et en aperçus, en images neuves et toujours merveilleusement appropriées, où l’emphase et la familiarité, la subtilité et la violence se mêlent et s’entrelacent si originalement. Et vous reconnaîtrez tout de suite dans celui qui parle celui que vous aurez lu. L’homme et l’écrivain, c’est tout un. Qui sait même s’il n’a pas incarné le politique, qui est en lui, dans cet impérieux abbé de La Croix-Jugan, comme sa personnalité passionnée dans Ryno de Marigny?»[102]
Dusolier regrette enfin qu’un «critique convaincu et sérieux, sous une forme spirituelle et- pourquoi ne pas le dire?- amusante, un psychologue hardi et pénétrant, un de nos romanciers les plus dramatiques, un écrivain très-original, et enfin, ce qu’il ne faut pas négliger, un des rares caractères de cette époque» ne soit pas plus mis en valeur dans les journaux. [103]
Le Lutèce, lui, donne en fait un article qui ne parle que très peu de Barbey, et qui cite abondamment son œuvre sans la discuter, (eux qui sont anarchistes!) Il y est écrit en introduction: «Je veux plus simplement donner un aperçu de tout ce qu’on lui a prêté, depuis son corset, – cette flatterie inconsciente – jusqu’à ses bagues de doigts de pieds, cette bêtise, – et cette incommodité.» Barbey a dû bien rire et se sentir enfin compris par un journaliste!
Sa figure a toujours été source de difficultés: d’abord pour ses parents, qui ne l’ont pas acceptée, ensuite pour lui, qui en a souffert, se sentant même laid, puis pour les autres qui ont été obligés de s’en accommoder; il a réussi à faire triompher une image de lui… Il a enfin trouvé un équilibre entre sa figure, et son image.
Lorsqu’il parle de ses portraits c’est maintenant sur un ton presque vindicatif: ils ne rendent pas réellement son aspect physique dont il semble fier et par contre il est modeste (vraie plutôt que fausse modestie à notre avis) sur les petits vers improvisés, non sans talent, pour des dédicaces, et dont il n’était pas peu fier jadis… «De quel vers voulez-vous parler? J’en ai commis – si cela peut s’appeler des vers – sur plusieurs de mes pauvres portraits que j’ai trouvés tous détestables, malgré le talent d’un ou deux peintres qui se sont risqués à ma figure» [104]
Ainsi Barbey peut oser se plaindre tout haut de se trouver défiguré par un peintre! cela implique qu’il a donc une figure peignable au moins et s’il y a une critique à faire devant le tableau, elle ne doit pas porter sur son propre visage mais sur la main du peintre.
Tout concourt en fait pour prouver que Barbey avait à peu près surmonté les incertitudes dans lequel l’avait jeté son physique d’enfant critiqué. Il recevait même des dithyrambes. Nous en avons un peu parlé déjà, mais voici un fragment de lettre d’une «paroxystique» comme la nomme avec humour et réalisme Jacques Petit: «Ah! Ton âme aux ailes de feu, sœur de celle de Byron, comme elle brûle, comme elle prend, comme elle consume ceux qui voudraient la regarder de trop près!…
Ah! Le sais-tu combien tu es grand, combien tu es beau? Le sais-tu que tu donnes la mort? Dis, le sais-tu?» et Henriette Maillat déverse six pages de ce style à un Barbey de 80 ans!
Même aussi robustement conforté, jamais il ne s’est pris pour un Apollon… jamais il ne s’est dit franchement et carrément beau dans l’absolu.
Aussi la petite glace de poche ne lui servait-elle pas tant à se mirer qu’à regarder quel effet il pouvait faire aux femmes, et s’il était «paré» et prêt dans ce qui dépendait de lui! Se mirer dans les yeux des autres est une façon de se mirer, mais pour celui qui n’est pas sûr de lui, c’est une façon qui n’est pas d’emblée un plaisir sûr.
C’est pourquoi Barbey doit veiller à régler, tamiser, le regard des autres sur lui, comme on oriente un éclairage ou la modulation de contrastes sonores.
Quel a donc été le moyen par lequel Barbey a réussi à imposer aux autres cette image de lui qu’il voulait construire? La vie et l’œuvre, l’œuvre et la vie, les deux se confortant mutuellement.
Alcide Dusolier cherchait la part de Barbey dans ses personnages. Nous avons montré comment Barbey s’y attendait, le souhaitait même. Nous cantonnant toujours dans le problème de la laideur, nous allons chercher ceux qu’il a campés lui ressemblant physiquement (réellement ou fantasmatiquement). Comment les trouver? Grâce aux clefs qu’il nous donne lui-même, car il joue seulement à se cacher derrière certains personnages de ses romans, avec l’intention avérée de nous laisser l’impression que c’est malgré lui que nous découvrons ce qu’il tient en cachette réellement tellement à nous laisser voir!
Nous prendrons ici essentiellement les personnages masculins puisqu’il s’agit de l’aspect physique. Mais rappelons-nous son admiration pour l’androgynie. Certaines femmes peuvent présenter des caractéristiques de Barbey.
Nous les étudierons dans l’ordre chronologique. Mais elles sont aussi à mettre en relation avec les différents Barbey que nous avons vus se dresser, retouche après retouche, sous nos yeux, dans les chapitres précédents. [105]
Certains personnages ne reçoivent confirmation de leur essence aurevillienne, qu’après coup: une confidence ou une précision éclairant un qualificatif qui semblait sans lien avec notre auteur. Comme dans toute fantasmatique, la condensation ou son contraire, le déplacement, la symbolisation, répartissent Barbey au mieux afin de déjouer éventuellement la censure.
De toutes ces découvertes, voici le tableau de chasse:
Dans Léa, Barbey donne son second prénom à celui des deux amis, presque des «frères», qui lui ressemble le moins, mais il n’est pas douteux que l’autre, Réginald, est lui-même. Ce dernier nous est présenté aux premiers mots comme «moins beau», comparaison elliptique, concise et incisive, décisive et douloureuse; il enlaidit même dans la nouvelle: «Voilà pourquoi son front devenait chauve avant le temps, et son regard débordait d’une telle tristesse qu’il en versait jusque dans les yeux indifférents ou joyeux de qui le fixait.»[106]Ces changements physiques viennent d’un tempérament passionné et artiste: «le fier patron de Réginald.»[107], «sa mâle figure»[108] s’opposent ainsi à l’image pâlotte de son frère de cœur Amédée: «On ne voyait point sur son front serein et ouvert, la fatigue des organes, les vestiges de cette lutte cruelle entre la passion et la pensée, la gloire ou la mort de l’artiste, qui l’anéantit encore à l’état d’homme ou le transfigure tout vivant.»[109] Beaucoup plus tard, Barbey parlera de l’état physique dans lequel le mettaient ses émotions et ses désirs, «le regard obtus»[110] d’une pâleur inquiétante, sombre, fiévreux, et dira-t-il: «je me tuais pour elle»… [111]
Le premier aveu à la première personne porte sur une ressemblance entre Aloys et lui, aveu fait à Trebutien, bien longtemps après… «Oui, Aloys a été moi, dans le temps où j’écrivis, en une seule nuit, l’histoire de Joséphine.» [112] Et c’est à propos d’Aloys qu’il dit que sa mère l’avait raillé sur sa laideur.
Si plus tard Barbey dit des héros de l’Amour Impossible: «Voilà comme nous étions», peut-être pouvons-nous penser qu’il s’appliquait ce qu’il dit de Raimbaud, dans un mélange de rêve compensatoire, et de volonté – bien dandyque – d’imposer aux autres cette image de lui: «Elle le trouva bien»[113], «Il passait pour passionné, comme il passait pour supérieur, sans avoir jamais rien fait pour cela que se donner la peine de naître et d’avoir des yeux noirs assez beaux». [114] Barbey donne ici un de ses atouts physiques qu’il appréciait.
Dans Une Vieille maîtresse, Ryno porte le prénom – presque byronien – d’un de ses ancêtres et d’autres détails permettent de comparer Barbey et Marigny: entre autres l’âge: en effet, Vellini, née en 1799, a 36 ans en 1835 au moment supposé où débute le roman,
Marigny, né en 1805, a 30 ans en 1835 et 6 ans de moins que Vellini.
Barbey, né en 1808 a 27 ans en 1835. Quand il rencontre la vraie Vellini, en 1844-1845, il a en réalité 36 ans. En fait, la description de Ryno, «aux paupières sillonnées et lasses», qui est censé avoir 30 ans dans le roman, correspond bien à celle d’un homme de la quarantaine, au XIXème siècle, c’est à dire de Barbey lui-même. Par ailleurs, il prend plaisir à détailler la beauté de ses yeux, sa longue crinière, ses dures prunelles fauves etc.
Dans Le Chevalier Des Touches, Barbey s’est, en fait, éclaté en plusieurs personnages: Barbe, avocate des laids, Percy à la noblesse racée, et deux séducteurs, l’un chaud, l’autre froid, Jacques, brun mystérieux et sensible, et Des Touches, dandy à la taille fine…
Comme Des Touches, Barbey est fier de sa minceur et de son aspect athlétique; il fait des régimes, se corsète, moule sa jambe etc. Il aime montrer sa force et sa sveltesse. Mais il n’aime pas le caractère de Des Touches, et ne «se» prête pas son trop beau visage. On dirait que, dans la réalité, il choisit pour lui la beauté du corps, et accepte ainsi l’idée de la laideur de sa figure, si c’est la «condition» pour avoir en même temps la force et la possibilité de désirer les femmes bonnes: il ne dit pas de les «séduire», car il croit encore qu’il faut être beau pour séduire.
Comme Monsieur Jacques, il s’aime brun, mystérieux, passionné, aimé de la plus belle, belle comme l’Ange Blanc… (mais en gai et plus tonique).
Comme les Percy, il se sent de noble race et d’une laideur aristocratique.
En somme, il se voit dans ce roman avec le corps de Des Touches, la prestance des Percy, le cœur et la figure intérieure de Monsieur Jacques, et la gaieté de Barbe.
Barbey aime ainsi toujours autant la beauté, mais elle se morcelle et se distingue selon ses «territoires»; ces nuances allègent le poids de ses exigences, et il semble, aussi à travers ses romans, se libérer du souci de son propre physique.
Ce n’est pas le scripteur qui incarne le plus Barbey dans l’Ensorcelée, mais Tainnebouy: Normand, tanné, serré de près dans son juste, 45 ans environ, 5 pieds 4 pouces[115]: or Barbey, le vrai, 41 ans le teint coloré, a exactement cette taille, porte des vêtements très ajustés. Il avait écrit au brouillon: «il avait, sinon les couleurs de la jeunesse, au moins celles de la santé et de la force» mais il gomma cette allusion à la jeunesse, et a donc vieilli son reflet dans le texte définitif, peut-être un soir de déprime: «il avait aussi les couleurs de la santé et de la force.»[116]
Dans Un prêtre marié, le «beau» héros, Néel, jouit, à l’instant dangereux, des droits de la beauté. [117] Oh! les facilités d’un physique qui «passe»… Pourtant si Barbey imagine ces facilités qu’il constate autour de lui, ou que lui-même autant que les autres offrent à la beauté reconnue, ce n’est pas en Néel qu’il se décrit dans Le prêtre marié. Il a mûri, il n’est plus celui qui rêvait d’être un Allan, beau comme Antinoüs. Il ne décrit plus tant ses rêves, ses souhaits, fous, que des embellissements, ou comment il se voit lui, et ne se rêve pas.
C’est en Rollon Langrune en réalité qu’il se voit un peu: Rollon est le nom d’un roi Viking, et ce plus c’est le nom d’un de ses ancêtres! Ce type de détail est un indice plus ou moins volontairement laissé par Barbey afin de (re) construire son image. En l’appelant «Rollon[118]«, Péladan le flattait sans erreur. Ce Langrune nous est d’abord longuement décrit par sa physionomie: homme vraiment homme, nom normand.. Quand Barbey est sûr que le lecteur l’imagine enfin comme un homme séduisant, il donne le mot de la fin avec les catégories beauté-laideur: il a «la beauté âpre que nos rêveries peuvent supposer au pirate-duc qu’on lui avait donné pour patron, et cette beauté sévère pouvait presque passer pour de la laideur, sous les tentures en soie des salons de Paris, où le don de seconde vue de la beauté vraie n’existe pas plus qu’à la Chine! D’ailleurs, il n’était plus jeune, mais la force de la jeunesse avait comme de la peine à le quitter. Le soleil couchant d’une vie puissante jetait sa dernière flamme fauve à cette roche noire…»[119] Remarquer l’assimilation jeunesse-beauté, comme si Barbey plus âgé acceptait mieux d’être laid. Pourquoi? Parce que l’âge nivelle par le bas, en général; parce que, plus âgé, on lui dit moins qu’il est laid: d’abord, il ne voit plus ses parents de la même façon, ensuite il est aimé, ce qui diminue ses complexes, et puis il est converti, ce qui est censé diminuer ses désirs physiques… Admirer aussi comme Barbey appelle non sans toupet, «don de seconde vue», ce don qui lui est personnel, et qui n’est à presque personne, ce qui est bien meilleur, ce qui est son propre avis! Il franchit ici le cap de la tristesse et du complexe. Il écrit à Trebutien «moi qui suis laid comme un pirate» [120]ce qui confirme son personnage.
Un «on» nous permet de penser que Brassard emprunte quelques reflets à Barbey, ou que Barbey, à l’inverse, ne refuserait pas qu’on le pare de quelques uns de ses traits distinctifs: «Beau de la beauté de l’empereur Nicolas, qu’il rappelait par le torse, mais moins idéal de visage et moins grec de profil, il portait une courte barbe restée noire, ainsi que ses cheveux, par un mystère d’organisation ou de toilette… impénétrable» [121] «Il est vrai que, pour qui ne se paie pas de mots ou de chiffres dans cette question d’âge, où l’on n’a jamais que celui qu’on paraît avoir…» [122]
Or Aristide Marie conte ceci d’un Barbey aux cheveux étrangement noirs pour son âge: «Dans une réunion d’amis, un malicieux assistant avait posé cette question insidieuse: «Faut-il se teindre quand on vieillit?». Barbey était resté impassible, mais le questionneur, avec une insistance d’assez mauvais goût, lui demanda son avis: «Eh! bien, moi, répondit-il, avec sa belle assurance, quand je serai vieux, je me teindrai.»[123]
Don Juan Ravila de Ravilès porte ses prénoms Jules-Amédée, or Barbey le compare à d’Orsay, et carrément aussi à Don Juan! mais un Don Juan qui aurait fait un pacte avec le Diable car, malgré son âge, il «avait toujours» sa beauté. Le verbe à l’imparfait est important: cela sous-entend qu’il l’avait toujours eue. C’est le signe d’un grand changement de jugement par rapport à ce qu’il pensait de lui-même autrefois, d’autant plus qu’il affirme que sa beauté ne devait rien à l’hérédité habituelle!
Mesnilgrand, quoiqu’il ait été inspiré par un personnage réel, son parrain, possède quelques traits de Barbey: dépaysé, il est comparé à un portrait qui marche[124], et Barbey disait de lui-même: «Portrait dépaysé, je cherche mon cadre»[125]. Divinement mis comme Barbey, mais d’une mise très différente de la sienne, aimant les pierres dures aussi, byronien ou alfierien, grand fort et bien tourné. Selon J. Petit, «seuls diffèrent quelques traits physiques: les cheveux, le nez, la taille un peu voûtée… l’en distinguent. Barbey n’a sans doute pas voulu se faire trop ressemblant. Ou bien il peint vraiment son modèle, mais lui prête sa propre physionomie morale.»[126] En tout cas, ce qui est intéressant, c’est que justement, après dix pages (!) sur lui, qui le rendent séduisant et sympathique, il continue: «Lord Byron était fort à la mode en ce temps-là et quand Mesnilgrand était silencieux et contenu, il y avait en lui quelque chose des héros de Byron. Ce n’était pas la beauté régulière que les jeunes personnes à âme froide recherchent. Il était rudement laid; mais son visage pâle et ravagé, ses cheveux châtains restés très jeunes, son front ridé prématurément, comme celui de Lara ou du Corsaire, son nez épaté de léopard, ses yeux glauques légèrement bordés d’un filet de sang comme ceux des chevaux de race très ardents, avaient une expression devant laquelle les plus moqueuses de la ville de *** se sentaient troublées. Quand il était là, les plus ricaneuses ne ricanaient plus.»[127]… «Quant à lui, il se distinguait – impérialement – de tous les autres. Ces officiers, anciens beaux de l’Empire, où il y eut tant de beaux avaient certes! de la beauté et même de l’élégance; mais leur beauté était régulière, tempéramenteuse, purement ou impurement physique, et leur élégance soldatesque.» [128] On ne peut mieux et démolir la beauté, et rendre troublante la laideur d’un homme! Mesnilgrand et Ryno sont peut-être bien les deux héros dans lesquels il s’est le plus fidèlement peint comme il souhaitait qu’on le vît.
On constate finalement que vers 1866, au quotidien du réel, la célébrité étant là, ainsi que l’amour de l’Ange Blanc, il s’acceptait physiquement; que, sur la foi des autres, il acceptait d’être portraituré etc. Mais en revanche, et en toute logique, il demandait qu’on accordât moins d’importance à son physique. Il s’est mis à trouver d’ailleurs que ses portraits n’étaient jamais complets. Il rendait la vraie beauté indépendante de la jeunesse, il essayait d’être au dessus des jalousies pour la beauté. Il a fini par ne plus s’intéresser à son physique (1876) Cette modification va profond et large: lui, si perfectionniste, parfois se moque même des reliures de ses œuvres, ses œuvres pourtant qui sont les petits dont il est « gros ». Il n’est même plus sensible aux succès. «Avant j’étais fat; à présent, je suis modeste.»[129]
L’évolution de ce problème dans l’écriture se fait parallèlement à celle de la vie. Dans les œuvres postérieures aux Diaboliques, on ne trouve pas de héros qui soit lui physiquement et matériellement, du moins, au vu d’indices clairement disposés.
Cette absence de représentation dans les romans semble correspondre à un moment où Barbey sent son image assez affermie et modifiée pour les autres. Il n’a plus besoin de la constituer ni d’influencer leur vision, et se libère d’une grande partie de son «remords esthétique.»
Dans l’ensemble de l’œuvre, il est rare que quelqu’un soit décrit complètement: les détails qui sont donnés n’ont d’autre valeur que symbolique et significative, selon une grille dont nous avons déjà donné beaucoup d’éléments dans notre travail sur le masque. (Des yeux noirs peuvent être fauves par exemple… Tout, dans le détail, a une valeur métaphorique d’indice, d’ »annonce »). Cette valeur symbolique est «autorisée», alors que la physiognomonie est interdite, parce qu’elle n’est pas plaquée sur des personnes réelles, mais que l’écrivain, véritable démiurge, crée en tenant compte du moral dans le physique, et dans le but de certaines démonstrations. Défoulement de la tension quotidienne de ne pas y avoir recours, ou retour de l’inconscient?
Cependant Barbey lui-même appelle au déchiffrement symbolique de son extérieur physique: seulement, lui, il oriente la lecture de ceux qui le regardent dans le sens qu’il souhaite. Il y a une espèce de travail d’adéquation qu’il a accompli, entre ce que lui montrait son extérieur et ce qu’il a choisi d’être. Un tri dans les significations. Par exemple, il n’aime pas qu’on le compare à Jean Sbogar, mais veut bien se comparer au Lara de Byron…
Voici donc comment Barbey aimerait se voir – se voit peut-être – dans la glace… lui-même, et prenant la pose comme un dessinateur de B. D. quand il fait ses crayonnés, pour évoquer mieux ses héros. Image changeant au fil des ans, héros qui possèdent l’un ou l’autre de ses traits.
L’image que Barbey souhaiterait avoir n’est pas trop loin de celle qu’il a donnée de lui, elle n’est pas trop loin non plus de celle qu’ont perçue ceux qu’il a fascinés… dans les années 1860-1870. Les thèmes repris par ses admirateurs sont bien ceux qu’il avait l’intention délibérée d’avoir le plaisir d’entendre.
Barbey se reconnaît bien des défauts, mais pas certaines laideurs qu’il refuse d’avoir. Il refuse que son être soit circonscrit à la laideur: tu es laid, alors qu’au début il avait accepté passivement peut-être cet adjectif.
L’image finale qu’il a de lui est en fait très différente de celle qu’il aurait pu rêver d’avoir: Allan par exemple est un lui intérieur peut-être, mais il n’a pas essayé de lui ressembler, ni d’être un Byron. Il a plutôt cherché à tirer parti de ce qu’il était, à trouver la beauté dans les détails où on la niait, à se créer un style: il a été relativement raisonnable dans ses désirs!
Son opinion sur les autres. VIII.3.
Sans chercher à définir son esthétique, si nous essayions de continuer à regarder par les yeux de Barbey: qui Barbey trouvait-il laids sans plus? A qui osait-il donner cet adjectif qui l’avait tant fait souffrir? Ceci aussi peut nous aider à mieux comprendre son rapport à la laideur et ce qu’il aurait refusé aussi en lui comme laid.
Partons d’abord de ses constatations générales sur ceux qui sont laids:
Il trouve laids – et ne se gêne pas pour le dire! – la foule anonyme des inconnus qui composent ce XIXe siècle suffisant qu’il n’aime guère, ou les «réalistes» qui enfoncent son époque dans la laideur choisie pour elle-même, ou ceux qui choisissent d’accepter la laideur au lieu de lutter contre elle quand c’est possible.
Le Régent par exemple ne trouve pas plus grâce à ses yeux qu’à ceux de Brummell:
«Le Régent commençait à vieillir, l’embonpoint, ce polype qui saisit la beauté et qui la tue lentement dans ses molles étreintes, l’embonpoint l’avait pris.»[130] Et Barbey ne pardonne pas – à l’époque – à ceux qui se laissent aller.
L’abbé Delille est nommé parce qu’il avait la bêtise de mettre dans ses cheveux de la poudre rose, «malgré sa laideur, qui était atroce»[131]comme s’il avait été bel homme.
Il est cruel, grossier et même injuste, avec les laids qu’il n’aime pas pour des raisons intellectuelles ou épidermiques!
Il est particulièrement sévère pour Mme Trolley, le grand amour de Trebutien… Il rapporte les ragots les plus vains, bien conscient qu’ils sont condamnables d’ailleurs, et lui avec…: «En effet, mon très cher, il me revient de partout que réellement, elle n’est pas belle, et que notre Abbé ne se trompait pas dans ses appréciations. Dernièrement une jeune femme de Caen, mais qui vit présentement à Nîmes, rencontrée par hasard, me parla de Mme T… et me dit avec une expression qui ressemblait au crachat et au Raca pour lesquels nous serons damnés: qu’elle était laide, affreuse même,… gauche et myope, la vitre éternellement dans l’œil. (textuel). Il est vrai que c’était une femme qui parlait, -laide, elle comme la plus méhaignée des vertus! et dévote autant que Madame T… est philosophe. Tout cela devait influer sur la manière de voir de l’horripilée douce personne qui s’exprimait avec ce charme sur le compte de votre fatale Beauté, qu’elle soit d’ailleurs réelle ou inventée par vous! Nos inventions sont les plus intimes des réalités.» [132] La femme la plus laide qu’il ait décrite, il ne l’avait pas vue! l’amour de son meilleur ami!
Et c’était malheureusement l’exception – et une malhonnêteté flagrante! – à une règle qu’il a suivie généralement: la règle de l’indulgence.
Il emploie en effet assez rarement l’adjectif sans appel «laid». Par exemple pour les portraits du salon de 1872, les synonymes sont nombreux, mais il ne dit pas une fois que telle personne est laide.
Est-ce la douleur d’avoir été dit laid, ou le souvenir de la douleur née de ce complexe de laideur, mais nous trouvons dans son œuvre bien souvent admirée la beauté, mais jamais décrites gratuitement ni méchamment laideur ou disgrâces. (cf. l’index des notions). Ceux qui sont laids sont innocents de leur laideur, sauf s’ils ont un complexe de supériorité trop mal placé. Et Barbey n’exécute jamais un innocent sans appel.
Ces constatations sont tirées de la lecture de son œuvre complète: nous avons donné au début de notre travail toutes les citations qui comportent le mot «laid» et ses dérivés. Le lecteur peut s’y reporter.
Mais nous allons cependant affiner et préciser ces analyses par quelques exemples qui sont particulièrement intéressants.
Barbey compatit souvent avec ceux qui sont laids.
Débutant comme critique, Barbey, nous l’avons vu, reproduit l’opinion mondaine générale sur la beauté des actrices, des danseuses etc. Il reproduit même une de ces opinions générales et de plus en s’y soumettant lui-même quand il raconte ses propres réactions: il n’a pas autant de plaisir qu’il voudrait à voir danser une danseuse gracieuse, mais laide, et, ajoute-t-il, avec une cruelle naïveté: «Si la loi qui dit: «toute femme qui n’est pas belle a manqué sa vocation de femme en ce monde, et avorte même à être artiste, bonne tout au plus au métier de garde-malade et de nourrice»[133], si une telle loi est cruelle…» cela n’empêche pas qu’elle règne sur tous… Même s’il y a de l’ironie dans la façon dont cette loi est formulée, même s’il affirme la trouver cruelle, il ne la réfute absolument pas, et ose même montrer que sa réaction de critique s’y soumet… Il est tout jeune encore, et n’ose pas aller contre la beauté, au nom même de sa conception: ne pas se faire l’avocat d’une cause qui pourrait être soupçonnée d’être aussi la nôtre…
Quelques semaine après, a-t-il trouvé qu’il avait été injuste, superficiel, ou serait-il devenu plus audacieux, plus «personnel» dans ses avis? – reparlant de la même danseuse, il avancera quelques atténuations plus personnelles: Mademoiselle Taglioni, particulièrement laide, «a vaincu, autant qu’on peut la vaincre, cette fatalité cruelle et obstinée d’un physique sans éclat et sans beauté.»[134] Premier argument pour aider le spectateur à voir les artistes autrement que des visages à plaisir..
Un second argument à la fin du même article: Rachel malheureusement manque de grandes lignes dans son visage et cette absence-là ne peut être compensée: «l’impression que l’on ressent (…) est plus fâcheuse même que celle qui résulterait de la laideur, car la laideur est souvent énergique, et peut s’empreindre d’un certain caractère de fierté.»
A relire ces dernières lignes, on peut se demander si Barbey ne pense pas à tous ceux qu’on appelle laids: loi cruelle du plaisir des autres, fatalité cruelle et obstinée dont on ne devrait pas, injustement, les faire pâtir, caractère fier de certaines laideurs etc. Un plaidoyer commence à se mettre en place pour les artistes, les femmes, mais aussi les laids en général.
«Je connais Paul Quemper. Nous avons choqué nos verres du temps de Guérin. C’était alors, – qui peut répondre des dégradations du temps? – un esprit fin et délicat. Mais sans puissance. Je l’ai encore vu après la mort de Guérin. Il n’était pas beau. Un faux air de Sainte-Beuve, – mais il eut la petite vérole, et comme il n’était pas Mirabeau qui faisait flamber d’orgueil chaque trou de la sienne, il devint un colimaçon qui rentra jusqu’à ses cornes. On ne le revit plus. Je ne me moque point de cela. C’est la seule faiblesse qui ait de
la grâce et je ne sais quel charme mélancolique que le sentiment de nos déchets extérieurs.»[135]
Jules Favre, «laid d’une laideur à faire concurrence à la laideur de Crémieux, (…) a pu bénéficier sans doute de cette laideur oratoire qui, dans l’impression des masses, vaut quelquefois la beauté.»[136]
Symétriquement, qui trouvait-il beaux?
Malgré sa souffrance, et quoiqu’il en soit, Barbey parle peu de laideur, et beaucoup plus de beauté. Sans marchander son admiration et son plaisir. Des beaux, des belles, dans toute leur perfection, nous en avons un peu partout. Des personnages historiques: Richelieu, Fielding, Lauzun, Marlborough, Alcibiade, Rivarol, Sardanapale, Poniatowski, le roi de Suède (Bernadotte), Nicolas II de Russie[137], Lady Hamilton (46) etc. [138]
Mais aussi mythiques comme l’Androgyne, le rêve enchanté de Polyclès, Méléagre, Joseph (celui de…, non pas de Mme Putiphar!) le Lara de Byron, Don Juan[139], le Sbogar de Charles Nodier, peintures et sculptures diverses…
Il a presque connu d’Orsay (47 et 48) – qui n’a que 7 ans de plus que lui, «ce dandy taillé dans le bronze de Michel-Ange, qui fut beau jusqu’à sa dernière heure» [140], beau de la beauté de la race Juan. Il lui trouve une beauté plus grande, à égalité de beauté qu’à bien d’autre dandys: pourquoi ce paradoxe? Parce que «d’Orsay, ce lion dans le sens de la fashion, d’Orsay n’était pas un dandy.»[141] Il est français et a du sang rouge dans les artères. D’une «beauté sympathique, il avait une main superbe sans superbe, et une manière de la tendre qui prenait les cœurs et les enlevait! (…) D’Orsay plaisait si naturellement et si passionnément à tout le monde qu’il faisait porter son médaillon jusqu’à des hommes! Tandis que les dandys ne font porter qu’aux hommes ce que vous savez et plaisent aux femmes en leur déplaisant.»[142]
Pour tous ceux-là, Barbey est généreux et ne ménage pas les manifestations de son admiration totale: nulle trace d’envie en lui. Leur beauté est parfaite, et rien ne vient la diminuer: pas un défaut, esthétique, ou même moral, (qui la contaminerait subrepticement), n’est mentionné.
Barbey a également réellement croisé des gens chez qui il a reconnu la beauté dont il rêve. Parfois même ils furent ses amis.
(50: Guérin)
Dans une lettre à Trebutien, un commentaire un peu ironique sur Adolphe Dumas précède un véritable cri du cœur, qu’il n’hésite pas à écrire, quoiqu’il en sache bien la puérilité et l’inutilité: «Paturaud a vu Dumas (Adolphe) dont la tête est plus poétique par le dehors que par le dedans: il a le bonheur d’être beau!»[143]
«Eugène Chapus, l’élégance même, et l’un des plus beaux visages que j’ai connus. Il ressemble à Lamartine (49), mais il est très beau, – avec un mélange de douceur et de sympathie que n’avait point Lamartine, aux lignes aristocratiques, mais très sèches. Chapus n’est plus jeune, mais quel mélancolique et ardent encore éclat de soleil couchant! Il peut séduire comme s’il était jeune. Il a l’immortel don: la grâce, cette force douce, cette soie dans les facultés, avec laquelle on fait tous les nœuds gordiens dans les sentiments!» [144]
Il trouvait aussi Maurice de Guérin (50) très beau et s’employa à mettre en valeur sa beauté par des conseils appropriés. L’amitié de ce «beau Rêveur, aux yeux profonds» le flattait sûrement, et il était heureux que son meilleur ami fût «trouvé très beau»[145] par Sophie de Rivières par exemple. Il ne se prive pas pour s’en vanter en détail à Trebutien, leur ami à tous deux. «J’ai vu Guérin gâtant son profil du dernier des Abencérages avec une cravate et des favoris ridicules, arrivant de chez M. de Lamennais avec la tournure d’un couvreur en ardoises, et peu de temps après, quand j’eus été son Ubalde, et quand je lui eus montré le Bouclier qui avait fait rougir Renaud de ses aiguillettes, il était transformé, élégant, poétique, ayant l’instinct de sa beauté mauresque, et il aurait donné des leçons de toilette et de manières à Lord Byron.»[146] C’est pratiquement lui qui le maria, Guérin ne s’intéressant qu’à la poésie et à l’écriture et Barbey ne comprenant certes pas ce tempérament! Le beau poète, Somegod, dans Amaïdée, c’est lui.
Le 2 avril l855, il répond à Trebutien qui lui demande s’il n’y a pas de portrait de Guérin: «Hélas! non, mon très cher, jamais. Par ce côté, la gloire de notre ami sera incomplète, car les portraits entrent dans la gloire.
La Gloire n’a toute sa vanité ou sa réalité que quand elle est une souvenance bien nette de ce qui fut fait ou fut un homme, c’est-à-dire de son âme et de son corps. La Gloire est femme. Elle veut le corps aussi. Et d’ailleurs le corps éclaire l’âme comme l’âme fait rayonner le corps. Il y a là une double lumière, utile aux jugeurs même les plus forts et les plus profonds. Ah! c’est dommage, c’est grand dommage, – même pour l’estime future de son génie – que nous n’ayons pas le moindre croquis de Guérin. En le voyant, on l’aurait mieux compris. Mais il n’aimait pas assez les femmes pour se faire portraiter pour elles, et il ne s’aimait pas assez lui-même pour trouver du plaisir à se voir. Il était anti-fat. Je n’ai jamais connu personne plus inconscient de ses qualités, lui qui voyait si bien les qualités des autres et qui en jouissait sybaritiquement. C’est moi qui lui avais appris qu’il était beau, comme je lui avais appris qu’il avait du talent. Et à peine s’il me croyait. Il joignait les mains comme une femme, mais à cela près de cet aristocratique détail d’une vie que j’avais faite dandyque par contagion, il n’avait aucune coquetterie soutenue. Dans l’impossibilité de donner son portrait plastique, il faudra donner son portrait littéraire et je vous jure que je le soignerai. Si j’ai jamais eu du pinceau et de la palette dans le coup de plume, je vous assure que ce ne sera rien en comparaison de ce que je montrerai pour lui.»[147] Non, Barbey n’était pas jaloux… Il est intéressant de voir qu’il dit cela alors que justement commence la série impressionnante de ses propres portraits (dont il reconnaît ainsi implicitement la valeur et l’utilité)…
Beaucoup de héros et héroïnes sont physiquement (le reste est une autre histoire, nous l’avons montré) beaux sans partage[148] dans ses romans: Allan, Néel, Camille, Calixte, Hauteclaire, Serlon, Marguerite et Julien de Ravalet, la duchesse d’Arcos, la Pudica, Dorsay, Hortense, Aimée, Herminie de Stasseville, Lasthénie de Ferjol, Madame de Ferjol, Ydow, Brassard, le baron de Ferjol etc.
Cependant, à ceux qu’il n’aime guère, et dont il doit honnêtement reconnaître la beauté, il donne exprès un défaut désagréable, qui gâche tout.
Nous avons vu plus haut comment la Beauté peut être en fait illusion, prestige, fausseté, inutilité, mauvais présage, présage de mort etc.
Voici quelques exemples de personnes que Barbey jalouse un peu peut-être ou n’aime guère pour diverses raisons (politiques, philosophiques, religieuses, sociales, sexistes etc.), et il va «ternir» volontairement leur beauté physique de diverses façons:.
Il reconnaît que Lamartine est très beau certes, et ajoute perfidement qu’il a des «lignes aristocratiques, mais très sèches»[149]
A ces défauts physiques qui altèrent la beauté, viennent s’ajouter des critiques sur un autre plan, mais qui enlèvent à la beauté physique le sentiment- essentiel – d’harmonie entre le corps, le cœur, l’intelligence et l’âme:
Il se moque de Chateaubriand, «ce beau René», qui devenu vieux, «a presque hurlé son désespoir d’être vieux, – oui, hurlé à la Philoctète, quand le sang du centaure a empoisonné son pied!»[150]. Malgré son romantisme, Chateaubriand ne lui plaît pas car il a passé dans le monde «à vingt ans avec ces beaux yeux que nous lui avons connus à soixante, et qui avaient toujours été noirs de mélancolie indifférente.»[151] Au fond, il ne s’intéressait qu’à lui même. On lui demandait son avis sur Racine: «C’est très difficile, mon cher ami, de rédiger en quatre mots une opinion sur Racine, qui dise, sur toutes ses faces, ce qu’on en pense. Racine est composé de nuances, et les nuances ne se définissent bien qu’à l’aide d’un certain nombre de mots. Qui sait? C’est peut-être pour cela que malgré sa grande perruque et sa beauté de visage – féminine comme son talent, – il n’est pas un des plus grands. Le génie se définit brièvement. Comme Dieu, Je suis celui qui suis.»[152]Toujours sa façon un tantinet perfide de lier la beauté avec le manque de génie…
On pourrait citer d’autres exemples où la plus grande beauté s’accompagne d’un moindre génie, et ce genre de remarque – discrètement perfide – vise souvent des hommes dont la réputation fondée sur l’apparence, lui semble injustifiée…
Et ceci recoupe des personnages de ses romans: Dorsay, Ydow, Amédée. Bataille, l’épicier d’Une Histoire sans nom, bague d’émeraude au doigt, est un homme superbe… mais les boucles d’oreilles qu’il a gardées lui donnent, aux yeux des aristocrates qu’il humilie par sa beauté même, l’air d’un vieux postillon, ce qui les venge!
Heureusement (pour eux!), les gens laids sont souvent bourrés de qualités qui les embellissent.
A l’inverse et symétriquement, nombreux sont les personnages célèbres laids dont diverses qualités d’un autre ordre éclatent aux yeux de tous, et qui ont ainsi pu être admirés, aimés… leur laideur involontaire est ainsi compensée.
Jean Bart lui sert de point de comparaison pour Aloys en lui offrant l’occasion inespérée d’une remarque originale et provocante. Barbey ne décrit pas Synarose par l’extérieur, mais par l’envers de… son fond de culotte! «comme Jean Bart, victime de sa doublure[153], c’était aussi le plus beau et le plus intérieur de son âme qui le faisait le plus souffrir.» [154] Cet ajout date de 1842 et Barbey, très dandy alors, n’en est pas peu fier[155]… Platon (bossu), Socrate («cette force morale qui avait autrefois rendu superbe le nez épaté de Socrate»[156]), Pope (bossu), Scarron (cul-de-jatte), (malade), Duprez («laid, mais chanteur admirable»[157]), ont pu séduire, et Barbey ne nous détaille pas leurs souffrances, mais leur succès.
Un exemple: contrairement à Sophie Arnould, en qui il voit un suppôt des athées du Siècle des Lumières, et qu’il se réjouit de voir laide, il apprécie l’abbé Galiani dont il rend compte de la Correspondance en 1881. Cet abbé était presque nain, et Barbey trouve des formules d’un drôle presque tendre pour lui: «L’esprit n’a pas besoin d’espace comme la matière, et toutes ses puissances accumulées peuvent tenir dans une imperceptibilité…… Et c’est bien là la beauté de l’esprit, sa force, et sa gloire! l’esprit peut être bossu comme Pope, cul-de-jatte comme Scarron, malade comme Voltaire, nain comme Galiani, mais il n’en est pas moins puissant, dans ces corps chétifs, et peut-être l’est-il davantage! Galiani, cet extrait d’homme, cet homunculus à mettre dans le flacon des alchimistes du Moyen-Age.»[158] Mais il ajoute aussi [159]: «Tout y est gâté par des petitesses d’argent et de vanité comme devait les
avoir ce petit homme qui n’avait pas que le corps de nain.»
Autre exemple: «Stendhal (51) avait la prétention d’être vu et même d’être trouvé beau», et
(51) (52) (53)
est machiavélique: «Il a l’attrait du mystère et du mensonge, l’attrait d’un grand esprit masqué, ce qui est bien plus qu’une belle femme masquée.»[160]
Trebutien (52 et 53) entre dans cette galerie de personnages géniaux, mais laids. Il était de plus boiteux. Parfois Barbey oublie d’être délicat… et gaffe.
Eugénie de Guérin, (54) « laide de génie », « tête de mort » [161], ascétique, comme Calixte mourant, laide, mais belle spirituellement.
Ceci recoupe évidemment des créations de Barbey: Réginald, Sombreval, Ménilgrand… et les nuances vont de la laideur sans nuance à cette laide qui est remplacée par la physionomie etc.
Encore une façon d’embellir ceux qu’on croit laid: ils sont des beaux cachés
Il faut en effet faire une place particulière aux êtres qu’on croit laids mais qui sont beaux! ou plutôt qui ont des beautés cachées… (ce qui peut rendre tout le monde optimiste!) Barbey cite Mademoiselle Churchill. Hamilton raconte qu’elle avait un visage à faire peur mais que, au cours d’une promenade à cheval, elle fit une chute et que… personne ne pouvait croire qu’un corps de cette beauté fût quelque chose au visage de celle-ci! L’ascendant mystérieux de Léonora Galigaï s’expliquerait ainsi… Et la fierté de Madame de Staël, laide de visage mais qui disait «assez fastueusement, en montrant les lignes de son corsage que Dieu avait mis là son vrai visage»[162]
Cette pensée est consolante pour un homme qui a pu se sentir laid, et qui estime avoir en lui quelques beautés.
Idée constante: la beauté est la plus désirable quand elle est imparfaite.
Symétriquement toujours et à l’inverse de ces beaux trop parfaits, on constate que, là où vont naturellement les admirations de Barbey, très sensible toujours à la beauté, il a plaisir à mentionner que la beauté est imparfaite, et à la trouver alors d’autant plus désirable – donc parfaite d’être imparfaite?! Ce sentiment est souvent partagé: la Beauté 100% pure (si l’on peut dire) semble froide, éloignée, inhumaine comme un ciel uniforme et trop pur semble inaccessible et proche du néant. [163]
Voici quelques une de ses remarques:
La Joconde, que Barbey tient pour un exemple presque insurpassable de beauté féminine, a un défaut physique que Léonard, qu’il admire – et peut-être précisément pour cela – n’a pas hésité à reproduire: elle n’a pas de sourcils!
Brummell (55) avait perdu la perfection grecque de son profil dans une chute de cheval. « On l’a considéré comme un être purement physique, et il était au contraire intellectuel jusque dans le genre de beauté qu’il possédait. En effet, il brillait bien moins par la correction des traits que par la physionomie. Il avait les cheveux presque roux, comme Alfieri, et une chute de cheval, dans une charge, avait altéré la ligne grecque de son profil. Son air de tête était plus beau que son visage, et sa contenance, – physionomie du corps, – l’emportait jusque sur la perfection de ses formes. [164]
Luxembourg, si beau, était bossu.
Dans Une Histoire sans nom, Barbey fait assez longuement référence à une «céleste boiteuse» [165] dont la faiblesse est charmante pour les hommes «plus ils sont mâles!»…
Et Byron (56 à 60), était d’une beauté d’autant plus parfaite, aux yeux de Barbey, qu’il avait une imperfection physique. C’est la vision de Barbey qu’il faut essayer d’imaginer en lisant les détails qui suivent et qui sont en lien – ressemblances, différences, souhaits, regrets – avec sa propre personnalité.
Tous les témoignages concordent sur la beauté de Byron, plexus solaire de l’époque, selon Barbey. Goethe parlait lui-même de l’»attrait démoniaque» qu’exerçait Byron, en particulier sur les femmes. Lovelace cite ce témoignage de Coleridge: «Un si beau visage que je n’en ai encore guère vu de semblable… ses yeux bleu gris tels les portails ouverts du soleil.». Pour Shelley, Byron fut «l’Apollon de son temps»; pour Keats, «le roi de son époque»; pour Walter Scott, la beauté de Byron est «de celles qui font rêver». Stendhal l’a rencontré en Italie en 1816 et raconte à Louis Crozet, le 20 octobre, sa première impression: «J’ai dîné avec un joli et charmant jeune homme, figure de dix-huit ans, quoiqu’il en ait vingt-huit, profil d’un ange, l’air le plus doux. C’est l’original de Lovelace, ou plutôt mille fois mieux que le bavard Lovelace.» Mais quand il écrit bien plus tard, et bien plus connaisseur, il conclut:: «Je n’ai vu de ma vie rien de plus beau ni de plus expressif. Encore aujourd’hui, si je viens à penser à l’expression qu’un grand peintre devrait donner au génie, cette tête sublime reparaît de nouveau devant moi.»[166]
Byron est beau aussi pour Barbey qui n’ose presque pas en parler, comme s’il était au-dessus de tout, à part: dans Du dandysme, il glisse seulement: «Le dandysme n’est pas l’art brutal de mettre une cravate. Il y a même des dandys qui n’en ont jamais porté. Exemple, lord Byron qui avait le cou si beau!»… Ce Byron dont Barbey nous cache qu’il le connaît si bien, n’était pas vraiment beau quand il était jeune. Il boitait de naissance, nous l’avons dit, et Gilbert Martineau [167] rapporte un témoignage de son temps: «A quinze ans, il était gras et timide, avec des cheveux coupés en frange sur le front. Mary Chaworth s’amusa des mines de son petit soupirant, au point que l’aventure finit par un éclat quand un soir Byron l’entendit déclarer à sa chambrière: «Pensez-vous que je me soucie de ce boiteux!» «Ce fut, dit-il, comme un coup donné droit au cœur.» Il sauta à cheval et, dans l’obscurité, sa lança à bride abattue sur la route de Newstead. En juillet 1816, [168], il versera de vraies larmes à ce souvenir en écrivant le poème The Dream.
And both were young, and one was beautiful:
And both were young- yet not alike in youth.»[169]
A dix-sept ans, il mesurait 1m70 et pesait 90 kilos.
Il tue le temps et vit «en animal solitaire… condamné à exister – on ne peut pas dire vivre – dans ce cratère d’ennui jusqu’à ce que le contrat avec l’enfance soit expiré.»[170]
Mais ensuite, à force de volonté, il change: à 19 ans, il ne pèse plus que 77 kilos, grandira encore d’un pouce, et sa beauté se révèle. Il est riche, ne veut pas d’argent contre ses poèmes, et peut être dandy (lui!)… Il cultive sa beauté d’ailleurs, autant que son image: il dort la tête couverte de papillotes. Surpris par un ami: «Ils frisent naturellement la nuit, concéda Byron, mais ne vends pas la mèche, s’il te plaît, car je suis aussi fier de mes boucles qu’une fille de seize ans.»[171] Il brûla sa vie par tous les bouts, (Barbey lui donne les deux sexes, comme à Tirésias) passions dans la vie vécue, rêvée, et écrite: à 35 ans, ses cheveux étaient gris et il avait l’impression d’avoir 70 ans.
Mais, malgré réussites et plaisirs, sa boiterie fut une blessure qui ne sera jamais guérie. Barbey justement ne parle pas de cette verrue-là, sauf à propos de Néel… et c’est même ce détail peut-être qui rend cette beauté parfaite plus séduisante et désirable: cela le rend plus «frère», plus touchant, plus attendrissant.
L’article que Barbey rédigea sur le livre de la comtesse Guiccioli est très clair, autant que ses silences pour ne pas le compter parmi les dandys: il pardonnait tout à Byron et le défend bec et ongles contre ses détracteurs.: «Lord Byron, naïf et menteur comme les poètes, ces femmes redoublées, et se vantant de vices qu’il n’avait pas, n’est pas plus compris comme homme que comme poète (…) et que le Lovelace à qui Monsieur Taine lui-même a reproché ses basses débauches à Venise, était l’être le plus chaste de nature, et probablement de mœurs? – voilà pour l’homme! – Telle est la vérité cependant. Le romantique et le vicieux sont des attitudes dont nous avons tous été dupes. Lord Byron – pour qui ne croit pas ce qu’il dit, car il ne faut pas toujours le croire, – lord Byron n’est qu’un artiste, qui n’aime que son art, et qui, quand il fait l’amour, pense à son art encore, le fait dans une vue d’art supérieur qui ne le quitte jamais, même sur le cœur de sa maîtresse.» [172]
Il dépeint son idole comme un «arc-en-ciel sur un gouffre», tout de «mobilité dans la profondeur». «Il y a plus charmant et plus changeant encore que l’arc en ciel, pour exprimer toutes les nuances de la fantaisie, et c’est l’enfance; c’est l’impatientante et adorable enfance! Or qui sait si ce sombre et moqueur Byron, avec tout son génie, ne fut pas toujours, au fond, un enfant?… Et si ce ne fut pas sa plus claire manière d’être un grand homme?… Et certes, je ne dis pas ceci pour diminuer Byron. Les enfants sont les plus beaux des hommes. Jamais un homme, si beau qu’il puisse être, n’est beau comme un enfant est beau. Né depuis moins de temps et sorti fraîchement des mains de Dieu, il semble radieusement imprégné des baisers que Dieu lui donnait encore ce matin… Il semble qu’il y ait sur les roses de son front un reflet des portes du ciel, et de la première aurore de la création… Eh bien! Byron, dans son génie, est un enfant de cette beauté-là. (…) l’enfance avec sa grâce et ses mille choses divines, et aussi avec ses enfantillages, puisqu’elle est l’enfance, se mêle à la grandeur de Byron, – de Byron, le plus grand des poètes de notre âge, et dont un des enfantillages, par exemple, et parmi tant d’autres, fut de vouloir être un dandy… Un jour, il écrivait, en 1821, à Ravenne,: «Un des plus accablants et mortels sentiments de ma vie, c’est de sentir que je n’étais plus un enfant.»Mais quand il écrivait cela, comme il se trompait! Il n’avait jamais cessé de l’être et il le fut toujours. Ce beau front de jeune homme qu’il emporta comme Achille, si prématurément dans la tombe, il ne put jamais l’essuyer des teintes d’aurore de l’enfance. Elles y étaient encore à l’heure de mourir, quand, mêlant l’enfantillage à l’héroïsme, il se fit faire avant de partir pour la Grèce, ce beau casque d’or, de forme homérique, dont il aimait à parer son front devant le miroir de la Guiccioli, avec des coquetteries et des fatuités de Sardanapale…»[173] et Barbey rapproche le nom Childe Harold de child, et de l’enfant Juan. [174]
Il l’aime «violent et doux, indolent et passionné, efféminé et héroïque, magnanime et mesquin, enthousiaste et moqueur, moral et immoral, sceptique et religieux.»[175] Barbey ne nie pas que Byron ait donc eu des défauts!: le Byron de Clara Guiccioli, un «Byron de perfection idéale, angélique et archangélique, m’inquiète légèrement, je l’avoue; et quoique je n’aie jamais cru aux bêtises et aux calomnies du bégueulisme sur Byron, je ne crois pas pourtant qu’il fût si ange et si archange que cela. Il devait faire, très bien, ses sept petits péchés mortels par jour, – comme on dit que font les Justes… (…) Certes, il était beau, Lord Byron, – cela n’est pas douteux, – et surtout il n’était pas si noir et si diable que les sots et les hypocrites protestants l’ont fait; mais sous la plume de celle qui a pourtant intérêt à le trouver irrésistible, il finit par être trop beau, et on lui voudrait au moins une des verrues que Cromwell disait à son peintre de ne pas oublier.»[176]
Il accuse ainsi la maîtresse du poète d’avoir «raté» Byron, l’ayant calomnié «en beau et en bon, comme d’autres l’ont calomnié en laid et en mauvais», [177] et n’a pas de mots trop durs pour flétrir cette femme qui n’a pas connu réellement Byron, bas-bleu qu’elle était plutôt… et surtout femme, pigeonne au lieu d’aiglonne, tendresse bête, doux et faibles bras, qui fit un livre fade et myope, alors qu’il aurait fallu «une âme passionnée, vaillante et fière, qui eût regardé l’opinion de ses contemporains bien en face, et qui eût dit: «Va te coucher!» à cette opinion qui, dans quelques jours, ira se coucher dans la tombe.»[178] (son âme à lui peut-être! mais une fois encore, Barbey n’écrira pas ce livre qu’il désire tant…)
Barbey, quant aux «détails» reprochés à Byron, les excuse et donne assez d’antidote pour qu’ils n’empoisonnent rien,… et même sans doute, au fin fond, puissent donner du goût… «Byron, qui aimait la force physique pour trois raisons souveraines: parce qu’il était un être idéal, délicat et infirme, a toute sa vie recherché et choyé les heureuses créatures douées de cette mystérieuse puissance, si loin de lui qu’elles fussent d’ailleurs par la pensée, le sentiment, et les autres distinctions faites par la nature et la société.» [179]
Mais progressivement, après 1868, Barbey parlera moins de Byron: a-t-il su que presque tout ce qu’on lui reprochait était réel[180], et a-t-il été choqué, ou a-t-il finalement réalisé que, malgré ses efforts, Byron avait, dans une certaine mesure, fait preuve de faiblesse dans la vie?
Barbey semblait tout pardonner à Byron, peut-être à cause d’une souffrance semblable à la sienne? Et peut-être parce que ce défaut embellissait encore le poète, rendait plus proche sa grande beauté, plus désirable.
Dans les romans, bien des héros doués de beauté la voient, en toute logique selon ce que nous venons de montrer, embellie, étoilée d’un défaut: ne parlons pas des stigmates qui désignent au désir Léa, Lasthénie, Yseult, mais considérons Allan après sa chute, Néel après sa folie polonaise, Calixte avec sa tache en croix, Mesnilgrand et sa boiterie, jusqu’à La Croix-Jugan ou Vellini, en passant Don Juan, Rollon Langrune à la maturité expérimentée et séduisante.
L’habitude de cataloguer les gens selon les catégories beauté/laideur fait partie, nous l’avons dit, de la socialisation. Cette habitude chez Barbey se manifeste d’une façon particulière, car elle est propre à un être qu’on a dit laid.
D’une part, pour ne pas être injuste et montrer son objectivité, il justifie chaque fois et son opinion et sa différence.
D’autre part, c’est un mot qu’il emploie avec discernement et prudence. D’ailleurs, la laideur n’est pas un défaut à proprement parler, et les gens ne sont (dits) laids que s’ils ont d’autres défauts. S’il est très indulgent pour les laids, il ne supporte pas qu’on ne soit pas objectif sur soi-même.
Certains beaux deviennent en fait laids… lorsque leur beauté est un masque.
Quant à lui, s’il sait qu’il lui est impossible de ressembler à un bel homme, du moins pense-t-il que certains laids possèdent des beautés cachées, qu’il s’agit de découvrir… et c’est pour lui un souci de faire ce qu’il peut pour s’embellir, sans fausse honte. Dandysme, coquetterie, androgynie, physionomie etc. La beauté doit étendre sur lui son règne, avec son aide.
Le thème de la blessure, de la brisure, du défaut, de la fragilité consone avec celui de l’enfance ou de l’adolescence et de la mort, avec en continu la bas(s)e de l’amour parental.
Ce dernier thème rejoint, physiquement, ce que nous avons dit sur la beauté de l’œuvre d’art dans laquelle on perçoit des tensions sublimées. La beauté la plus désirable, pour Barbey, est en effet celle qui a en plus une blessure ou un défaut.
Mais celui qui est laid lui aussi « possède » ce défaut… et peut tenter de surmonter cette blessure: le courage n’est pas seulement physique. Il n’est pas non plus réservé aux beaux, et le laid peut être perçu comme beau s’il se veut beau.
Plaire ou séduire; le mystère de la Princesse d’Eboli. VIII.4.
Il a en effet substitué à cette beauté qui séduit naturellement d’autres ressources qui lui permettent de se sentir séduisant. Le résultat en est presque le même… On plaît: on n’est plus laid…
Plusieurs fois sont revenus sous notre plume les notions de «plaire» et «séduire». Ne les prenons pas à la légère: chez ceux qui souffrent de laideur elles sont tout aussi indispensables que chez ceux qui plaisent sans même le vouloir.
Nous avons vu que le besoin et le désir de plaire ou de séduire peuvent conduire à des perversions, des pathologies. Ils peuvent conduire à annihiler sa personnalité, en acceptant des valeurs en cours chez ceux à qui il est important au plus haut degré de plaire…
Ils peuvent aussi conduire à des révoltes malsaines si elles sont trop conditionnées par le rejet des autres…
Ils peuvent aussi être la pierre de touche d’une véritable réussite personnelle, si on a réussi une œuvre dont on est content.
Et même d’une réussite sociale, et de toutes les réussites, si les critères retenus sont bien ceux d’une véritable sublimation.
L’indifférence au déplaisir, ou la souffrance trop décourageante auraient pu conduire Barbey au marasme. Mais le désir de plaire fut un moteur puissant: il a fallu qu’il infléchisse et lui imprime une direction et en canalise l’énergie.
Barbey, dans ce but de plaire, de séduire, de se plaire, va évoluer, agir et théoriser en même temps: c’est par commodité que nous séparons des notions qui en réalité sont indissolublement liées dans sa vie.
Premier axiome, consolateur, dont nous avons déjà parlé: on peut parvenir volontairement à plaire, même en étant laid, et c’est d’autant plus glorieux!
Ce thème était si important chez lui qu’il songea à en faire un livre.
» Quel mérite a une femme belle à se faire adorer? Aucun. Elle paraît, on l’adore, voilà tout, quelle platitude! ce serait à dégoûter d’être belle, s’il n’en était que de cela. Mais être laide, être vieille, – avoir les pâles couleurs – la petite vérole et régner. Voilà ce qui vaut vraiment la peine d’être femme et ce qui rachète les faciles conquêtes de la beauté.
Etre belle et aimée, ce n’est être que femme. Etre laide et savoir se faire aimer, c’est être princesse.
Toutes les grandes femmes, – grandes dans leur genre comme Charlemagne, Alexandre, César, Napoléon, dans le leur – les Ninons, les duchesses de Valentinois, les marquises de Pescaire, ont été vieilles ce qu’elles étaient jeunes et les contemporains, dupes de leur génie, nous ont dit, avec l’air de la bonne foi la plus comique, qu’elles étaient toujours aussi belles, qu’elles avaient mis le talon de leur brodequin sur ce monstre affreux de la vieillesse. Que ne disent-ils point?… Lisez-les, mais non, ne les lisez pas. Les lois de la nature humaine ne changent point ainsi. Rien n’est inexorable comme les cheveux blancs et les rides… Seulement c’est aussi une loi de la nature humaine que l’âme, l’esprit, la volonté, la flamme intérieure aient leur magie et transfigurent de périssables matérialités. » [181]
Barbey aurait-il rêvé lui aussi de séduire aussi violemment que ces femmes qu’il compare à Vellini: Mademoiselle Churchill [182], un visage à faire peur, maîtresse du duc d’York, dont la beauté se révèle lorsqu’elle tombe, ou Léonora Galigaï [183], si laide qu’elle ne pouvait être regardée, et favorite de Marie de Médicis, c’est-à-dire ces femmes laides qui savaient séduire et sur lesquelles Barbey projetait d’écrire un fameux » Traité de la Princesse»… qui devait donc traiter de la capacité de certaines femmes, même laides, à régner sur les autres, aussi bien que si elles avaient été belles.
Dans ses romans, la laideur séduit souvent volontairement.
. Lorsque Ryno dépeint de façon si vivante Vellini, Madame de Flers s’interroge sur la puissance de celle qui a séduit sans le vouloir Ryno, mais le séduit encore volontairement ensuite: « A ses yeux expérimentés, Vellini n’était pas seulement, comme aux regards superficiels de la comtesse, une femme sans jeunesse et sans beauté, n’offrant le danger d’aucun charme. Elle la rêvait toujours comme Marigny l’avait peinte. » S’il l’a peinte comme elle est, quelle puissance! – pensait-elle; – s’il ne l’a pas peinte comme elle est, quelle puissance encore pour avoir fait de Marigny un peintre pareil! « [184]
Jéhoël de La Croix-Jugan séduit et Barbey rappelle à son propos le mot du duc de Guise à son fils: «Il faut que les fils des grandes races sachent se bâtir des renommées sur les ruines de leurs propres corps!»[185] Sans doute un homme laid doit-il tout essayer effectivement, du duel aux faits d’armes, et même à la coquetterie et au martyre des tailles trop serrées!
Barbey est toujours heureux – comme beaucoup?- quand il séduit quelqu’un. Il note à propos de George Sand: » Je l’aime encore plus pour sa beauté… que pour son talent, et parce que, quand je lui parle, elle ne me regarde jamais. « Sa « Sérénissime Fatuité « (comme il se nomme) » anticipe tous les bonheurs de ces yeux qui craignent d’être éblouis. « [186] Même si l’on a quelques raisons de douter de cette fascination de George Sand pour lui, le sentiment qui dicte la phrase n’en est pas moins révélateur.
Deuxième grand axiome, mis en pratique: la force physique, la grâce, la force morale, la physionomie, l’allure même d’un être laid est beauté, et peut permettre de séduire.
Nous avons déjà étudié chez lui cette idée qui diminue l’importance de la beauté puisqu’elle peut être remplacée par d’autres qualités qui produiront les mêmes effets.
La force par exemple est à elle seule une beauté.
A propos de l’Amour Impossible,, réflexion sur le moral, mais qui s’applique aussi chez lui au physique «Au fond, ils n’étaient que deux monstres moraux, et deux monstres par impuissance – les plus laids de tous, car qui est puissant n’est monstre qu’à moitié.»[187]
La fameuse anacoluthe de Pascal[188] est suivie de ces presque haïku sur la Gloire:
«Seulement le nez de Cléopâtre est partout…»
«L’avantage de la gloire, – avoir un nom trimballé par la bouche des sots!» [189]
Ils éclairent le sens de cette pensée un peu difficile à cerner au premier coup d’œil. Barbey affirme que, même si le nez de Cléopâtre n’avait pas été joli, il aurait quand même été dit beau par quelqu’un qui l’aurait aimée… et il laisse également entendre que cet amour n’aurait pas été indifférent au fait qu’elle était la reine de l’Egypte. C’est ainsi que Barbey, à plusieurs reprises, pense que la gloire, la force peuvent remplacer littéralement la beauté aux yeux des autres.
Il entrevoit d’autres substituts, d’autres modes d’être.
Même un grand philosophe s’est laissé séduire par une femme laide: » Archéanasse: Femme vieille et ridée, adorée de Platon qui composa même des vers sur ses rides » [190]: encore une femme qui a régné, et sur un philosophe encore! – pour une raison mystérieuse…
Une reine se moque de son aspect: « Christine de Suède (…) A la mort de son père, avait six ans. garçon manqué. Aime le canon, monte à cheval, jambe d’ici, jambe de là, tue le gibier au premier coup (voir Ranke sur elle) des cheveux superbes! ne les peigne même pas! montre son épaule plus forte que l’autre sans aucune façon (…) « [191]
Des êtres d’exception. » Vu Mlle Eugénie de Guérin et voici ma première impression. — n’est pas jolie et pourrait même passer pour laide, si on peut l’être avec une physionomie comme la sienne. Figure tuée par l’âme, yeux « tirés » par les combats intérieurs, – (…) « [192]
Des dandys qu’il a croisés. Il précise que ce n’est pas sa beauté qui a placé Brummell si haut: «Son air de tête était plus beau que son visage, et sa contenance, – physionomie du corps, – l’emportait jusque sur la perfection de ses formes. Ecoutons Lister: Il n’était ni beau ni laid, mais il y avait dans toute sa personne une expression de finesse et d’ironie concentrée, et dans ses yeux une incroyable pénétration. Tel était le beau George Bryan Brummell. Nous lui consacrons ces pages, nous qui l’avons vu dans sa vieillesse et l’on reconnaissait ce qu’il avait été dans ses plus étincelantes années; car l’expression n’est pas à la portée des rides, et un homme remarquable surtout par la physionomie est bien moins mortel qu’un autre homme. » [193]
La personnalité efface l’aspect physique. Une chose qui est sûre, c’est que le milieu moyen est la chose la pire! Beauté ou laideur, il faut sortir de l’insignifiant. [194]
Nous avons vu cela aussi dans les romans.
Dans L’Ensorcelée, le narrateur est presque ensorcelé par Maître Tainnebouy, gaillard d’une riche mine, » bel homme « , très différent des adolescents ou des aristocrates que Barbey a peints jusqu’alors.
Jéhoël a perdu les lignes de son visage, mais reste d’une physionomie magnifique, semblable à celle des Rois de La Mer… [195] Comme si avoir un visage ingrat était compensé par la chance d’avoir une allure royale.
Dans Des Touches, Monsieur Jacques est présenté d’emblée comme beau, mais tout de suite il est décrié par Barbe car il n’a pas une physionomie virile. La beauté de Monsieur Jacques est donc inférieure parce qu’il lui manque une physionomie de bravoure et de force.
Dans Un prêtre marié, la présentation de Rollon Langrune est axée essentiellement sur la physionomie et la force. On peut aisément voir que Barbey se décrit ou se rêve ainsi, homme vraiment homme, Normand… » Il avait la beauté âpre que nos rêveries peuvent supposer au pirate-duc qu’on lui avait donné pour patron, (…) d’ailleurs il n’était plus jeune. Mais la force de la jeunesse avait comme de la peine à le quitter. Le soleil couchant d’une vie puissante jetait sa dernière flamme fauve à cette roche noire « [196] On dirait réellement que Barbey est en train de dépasser tout complexe de laideur dans son âge mûr.
Ceci lui semble général et il n’a plus l’impression d’être un être à part: » J’ai vu souvent des femmes laides, – et qui n’en a pas aimé?- qui avaient leur charme, souvent étrange de profondeur. « [197]Barbey se compte donc comme un parmi d’autres: le souci de l’originalité à tout prix, du dandysme est fini: ce qui va en fait dominer le plaisir esthétique, c’est l’amour tout simplement, (parfois la passion sans qu’on puisse l’expliquer) ou d’autres valeurs: dans Le Salon de 1872, Barbey finit en ironisant sur tous les portraits, et conclut ainsi: » Les hommes n’ont de figure pour moi que quand ils ont beaucoup d’esprit, d’âme et de génie. « [198]
Il s’agit des hommes, mais aussi même des femmes: on peut constater que les femmes que Barbey a aimées durablement ne correspondent ni au type Rubens, ni – l’acmé du dandysme passé – au type vu comme généralement laid.
Troisième grande et utile découverte: on peut devenir séduisant par le verbe oral ou écrit. Barbey a pratiqué cela toute sa vie, mais ne s’en sert dans les romans que d’une façon cryptée et invisible (séduire le lecteur). Le narrateur cherche évidemment à capter l’auditoire, mais Barbey ne cerne pas clairement cette intention: à la préciser, cela lui enlèverait toute force. Nous avons déjà longuement décrit cela et n’y revenons pas.
Or il est étrange que, à l’intérieur des romans précisément, aucun héros ne séduise par son discours, ou ses écrits. Il n’y a pas de héros écrivain. On ne voit personne non plus s’efforcer de séduire en y réussissant.
Séduire a une connotation d’effort, de volonté du sujet qui se porte sur un «objet» indifférent ou hostile; plaire semble plus indépendant de la volonté du sujet qui plaît.
Dans les romans aurevilliens, le héros, homme ou femme, ne séduit pas. Pas de Julien Sorel, d’Emma Bovary, ou de Valmont.
S’il a cherché à séduire, il finit par violer des victimes prédestinées: Léa, Lasthénie, ou même Yseult.
La séduction voulue, tentée, ne réussit pas, ou d’une façon paradoxale: Joséphine sur Aloys, Maulévrier sur Bérangère de Gesvres, Néel sur Calixte, Calixte en faveur de Bernardine sur Néel… Quant à Don Juan qui essaie d’amadouer la petite masque, il ne sait pas ce qu’il y a derrière ses yeux noirs. Il ne retrace pas les manœuvres verbales d’un une séducteur ou d’une séductrice, mais leur impact sensuel, et le plus souvent visuel.
Il n’y a pas d’effort à faire pour séduire l’autre: en cas (rare) de manigance de la séduction voulue et préparée par un être sur un autre, comme Barbey la décrit par exemple dans son Memorandum, dans ses conseils aux dandys, en cas donc de séduction organisée, réellement réussie, c’est qu’elle était déjà faite: Ryno croit séduire Vellini, en fait elle était à lui dès le premier regard; Baudoin d’Artinel croit séduire Joséphine alors que… La séduction planifiée réussit peut-être en apparence, mais est-elle réelle? n’est-elle pas un leurre séduisant celui qui voulait séduire?
La séduction est involontaire et instinctive, souvent l’œuvre de l’inconscient: pourrait-elle être qualifiée d’innocente? Le mot semblerait mal employé s’il conduit à un crime. En est-ce réellement une? Ou la séduction n’est pas: ils se plaisent; c’est une attirance réciproque claire entre eux, (entre la duchesse d’Arcos et Esteban, entre Julien et Marguerite), c’est plus un coup de foudre subi (comme entre Hermangarde et Ryno), parfois dissimulé à son agent involontaire qui en devient l’objet (comme Vellini pour Ryno, Alberte pour Brassard), parfois invisible et dissimulé à tous (comme chez Hauteclaire et Serlon, Marmor, Mme de Stasseville et Herminie). La vue (et ses ddéclinaisons) est le sens qui est le plus mis en œuvre dans les «histoires» aurevilliennes.
Barbey peint des rêves: plaire, se plaire… Et il ne peint pas de mécanisme de séduction.
Cela traduit chez lui
-ou que, séduisant réellement par l’écrit, il n’a pas besoin de le rêver dans ses œuvres ni de se peindre en héros écrivain séducteur par son écrit.
-ou que, malheureux de ne pouvoir séduire qu’ainsi, il préfère (se) rêver autrement dans les œuvres.
En fait, ce sont les deux côtés de la même médaille… et Barbey sait que cette médaille ne vaut rien à côté de la vraie vie… d’où ses efforts pour plaire pour d’autres raisons que l’écriture. Il reconnaît la valeur de la sublimation, mais le regret reste d’avoir à sublimer.
En fait la manœuvre de séduction n’intéressait sans doute pas Barbey. Loin de vouloir être le héros du Journal d’un séducteur de Kierkegaard, il aurait souhaité qu’une femme soit attirée par lui au premier coup d’œil[199], revanche décisive et complète sur ce premier regard négatif qui le mit au monde. La manœuvre de séduction n’est qu’un pis-aller, et ses rodomontades, il le sait, des perversions cachant une grande déception qui tourne en agressivité.
C’est pourquoi la séduction à la manière des Liaisons dangereuses n’existe pas dans ses romans. Le désir de séduire, pervers en l’absence d’amour ou au moins de désir, est impossible chez lui, qui désire avant tout être aimé en vérité, dans sa totalité, plutôt qu’arracher du plaisir, plaire plutôt que cueillir les fruits amers d’une stratégie de séduction.
Barbey connaît sans doute l’attirance spontanée pour l’avoir éprouvée; il en connaît aussi l’envers, la répulsion, pour l’avoir subie.
S’est-il réellement essayé à séduire? L’a-t-il réussi?
En tout cas, plaire (et à défaut, à défaut seulement, séduire), est un désir qui ne l’a pas quitté. Désir fondamental et jamais comblé, car même s’il a plu parfois, il en est auprès de qui il s’est senti toujours déplaisant… mais nous verrons cela plus loin.
Ce désir est d’autant plus grand chez quelqu’un qui se sent laid et qui ne se séduit pas lui-même, ou n’ose se trouver séduisant à cause de la parole des autres. (cf. Ici I). Il cherche à se trouver des séductions et on en revient alors à ce thème de la beauté de la laideur.
Cette structure mentale de l’esthétique aurevillienne où la très grande beauté est obérée, mais bien plus réellement (dans sa pensée profonde) «rachetée» et embellie par un défaut, et ce désir de plaire par tous les moyens sont si prégnants chez lui et m’ont tellement frappée qu’ils m’ont conduite à une recherche imprévue.
En effet, par trois fois dans son Cinquième mémorandum de décembre 1864, dédié à l’Ange Blanc, Barbey se donne le nom de Princesse d’Eboli [200], en parlant de lui à la troisième personne. Etrange, n’est-ce pas?
Jacques Petit explique ce surnom bizarre que se donne Barbey par une note que voici: «Les éditions donnent cette note, sans doute rédigée par Mme de Bouglon: «Si vous n’étiez pas Barbey d’Aurevilly, qui voudriez-vous être?» demandait un soir à l’auteur Mlle Marie de B… – «La Princesse d’Eboli» répondit-il.» Et Jacques Petit ajoute:
«Ana Mendoza y la Cerda, princesse d’Eboli, (1540-1592); cette grande dame espagnole fut la maîtresse de Philippe II et jouit longtemps d’une grande faveur; elle fut plus tard exilée dans une de ses terres, où elle mourut. Rôle politique, intrigues amoureuses – ce fut la raison de son exil, – je ne sais ce qui attire Barbey vers ce personnage.»[201]
Marie de B… est Marie de Bouglon, fille de la dédicataire de ce Journal, qui écrivit la note qui ne pouvait sembler claire que pour les intimes de Barbey vivant, ou quelques initiés…
Mystification, ou mystère?
Cette phrase m’a intriguée moi aussi. Ce problème de laideur est tellement central à mon avis, dans la personnalité et l’œuvre de Barbey, que je me suis demandé s’il n’y avait pas ici un secret lié à cela. Puisque c’était mystérieux et aurevillien, pourquoi ne pas supposer logiquement que la laideur soit mon fil d’Ariane?[202].
J’ai donc cherché dans mon dictionnaire contemporain et je n’y ai trouvé que des allusions à sa vie aventureuse et amoureuse: «Anna de Mendoza, princesse d’Eboli, (1540-1592) Epouse de don Gomez de Silva, elle fit à la mort de son mari une décevante expérience de la vie religieuse, puis eut une liaison avec le secrétaire d’Etat Antonio Perez. Emprisonnée (1578), puis exilée à Pastrana, (1581) et enfin enfermée dans sa propre résidence, (1590) par Philippe II pour avoir participé au meurtre d’Escovedo, elle acheva sa vie dans la débauche. Elle aurait été la maîtresse de Philippe II.»
Aucun rapport avec la laideur, et une vie décousue.
Puis je cherchai dans un dictionnaire que Barbey pouvait avoir lu, un dictionnaire de 1814: Biographies universelles anciennes et modernes, Paris, Edition G. Michaud. La rubrique était courte: «Eboli (Anne de Mendoze, princesse de): épouse de Ruy de Gomez de Silva, favori de Philippe II, inspira en 1570 à ce Monarque une passion violente. Son mari était trop bon courtisan pour mettre un obstacle aux inclinations de son souverain. Cette belle épouse influa sur les affaires politiques. Antoine Perez, secrétaire d’Etat, fut en même temps le rival et le confident du roi. Philippe, dans la suite, découvrit le mystère et voulut envelopper dans la même vengeance, une maîtresse infidèle et un ami ingrat. Perez n’évita l’échafaud qu’en se sauvant en France, et la princesse d’Eboli perdit sa liberté.» [203]
Déception pour ma théorie: la princesse était belle. Etait-ce seulement une «diabolique» pour un Barbey labyrinthique?
Obstinée, je cherchai alors dans un dictionnaire plus contemporain de la maturité de Barbey: Nouvelle bibliographie générale, de chez Didot, en 1858. Il y était écrit: «elle épousa à l’âge de treize ans don Ruy Gomez de Silva, prince d’Eboli et ministre de Philippe II. La princesse d’Eboli était, dit-on, fort belle, quoiqu’elle fût borgne ou louche (tuerta); elle plut à Philippe II, et devint probablement sa maîtresse (…)» On ignorait la date de sa mort et on citait à la fin de l’article des historiens qui se contredisaient: M. Ranke qui voulait prouver qu’elle n’était pas la maîtresse du roi; et M. Mignet qui, au contraire, se prononçait pour l’affirmative.
Borgne ou louche! Je trouvais là une confirmation de mon hypothèse, mais je voulais en savoir plus. Je pris donc une encyclopédie un peu plus ancienne en espagnol: Enciclopedia universal ilustrada Europeo-Americana. Editeur Espasa Calve. J’eus alors la surprise de tomber sur ce portrait de la princesse d’Eboli (60)!
Voici la traduction de la première phrase de l’article: «Dame espagnole célèbre pour son talent et sa beauté, même après avoir perdu un œil. Née en 1540 et morte en 1592…»
C’est sans doute toutes ces circonstances qui faisaient dire à Barbey qu’il aimerait être la princesse d’Eboli… et c’est également dans cette direction qu’il faut chercher le sujet du Traité de la Princesse dont Barbey a souvent parlé. Savoir séduire malgré les imperfections ou les défauts. La princesse, dans les atours si seyants de la Renaissance, richement parée, est en effet ravissante, malgré son bandeau… Cette princesse a osé se faire peindre ainsi, sûre de son charme. Cela ajoute beaucoup à ce qu’on peut imaginer de sa personnalité. Cela laisse également à penser au sujet de ceux qui ont «gommé» ce détail! La psychologie ne les intéressait guère! Mais Barbey n’est pas de ceux-là. Il est intéressé, parfois fasciné, par ceux qu’il voit ainsi charmer malgré des défauts, – ou «à cause» d’eux va-t-il jusqu’à dire. Et cela le conforte.
Enfin, je cherchai des renseignements sur ce Mignet qui fut l’historien de cette princesse: il avait écrit Antonio Perez et Philippe II, édité en 1845 chez Paulin, puis réédité à l’imprimerie Royale en 1846, chez Charpentier en 1854, et chez Didier en 1874. Pas un best-seller mais presque! Il se peut fort bien que Barbey, féru d’histoire, ait lu cet ouvrage, sans le mentionner, car de 1845 à 49, il n’écrit qu’une quinzaine d’articles littéraires ou politiques. [204]
Vu la date, il est possible que Mignet ait eu connaissance de ce dictionnaire et de cette gravure. Il donne en effet une série de quatre longs développements en 1844 dans le Journal des savants [205]sur le sujet Antonio Perez et Philippe II. C’est un vrai roman à épisodes dignes d’Alexandre Dumas… et voici le passage qui a pu attirer l’attention de Barbey… d’autant plus que, la même année, et donc dans le même tome, ce journal publie un long article de son cousin préféré et mentor de ses jeunes années, Edelestand du Méril, sur les poésies populaires latines antérieures au XIIe siècle…
Voici donc l’extrait de cet article de journal qui deviendra le livre de Mignet: [206] «(…)M. Ranke (…)ne croit point aux amours de Perez avec la princesse d’Eboli. (…). Selon lui, Perez n’a pas pu être l’amant de la princesse, parce que celle-ci était âgée et borgne, et que, d’ailleurs, sa propre femme, dona Juana Cuello, lui a montré, pendant toute la durée du procès, l’affection la plus ingénieuse et la plus dévouée. Cette dernière raison n’en est pas une. Quant à l’objection tirée de l’âge et de la figure de la princesse d’Eboli, elle ne paraît pas non plus bien fondée. Tous les contemporains s’accordent à louer sa beauté. [207]Mariée en 1522, et fort jeune, comme cela se pratiquait en Espagne, elle dépassait de fort peu les quarante ans à cette époque.» Cette princesse accusée auprès du roi d’avoir aussi comme amant Perez, fit une réponse hardie que cite Mignet: «que mas quiero el trasero de Antonio Perez que al rey.»
Barbey semble donc avoir lu le feuilleton en 1844, ou le livre en 1845, et a pu aller consulter le dictionnaire de 1858, ainsi que le précédent orné de gravures.
Pour en revenir aux trois « signatures » de Barbey en 1864, elles s’expliquent donc probablement par le fait qu’Anne de Mendoza ait été borgne et pourtant plaisante au point d’avoir peut-être séduit volontairement son mari, le Roi et son premier ministre, (!). C’est le détail physique qui l’a probablement frappé, parce qu’il le concernait intimement[208] comme blessure esthétique et aussi comme blessure surmontée.
Peut-être trouverions-nous d’autres détails qui sont reliés ainsi à ce problème de laideur, sans même que nous le devinions?
La laideur serait le cylindre de l’anamorphose, le décodeur d’une bonne part de sa vie.
Il s’agit de se mettre selon le bon angle de vue, comme pour certains tableaux[209].
Pour la princesse d’Eboli, je ne suis pas certaine d’avoir raison, puisque Barbey s’est plu à laisser le mystère, ou n’a pas osé confier son désir… mais mon hypothèse me semble plausible car ma supposition que la laideur était le point central se trouvait vérifiée. [210]
Le désir et le fait de plaire étaient bien à la racine de beaucoup de ses comportements. Il souhaitait réellement n’avoir pas été trouvé laid, ne pas être trouvé laid, et se sentir capable de plaire.
Conclusion
L’aspect physique de Barbey, tel qu’il a apparu aux autres, traduit bien l’efficacité de la construction qu’il a édifiée, petit à petit, par sa façon d’être, et sa façon de se présenter dans ses écrits. On le voit progressivement compris comme un de ses héros, comme un être unique qui lance un comportement, comme un corps que justifie et excuse une vie intérieure bien particulière, ou un corps dont le physique est digne d’attention et de respect. D’ailleurs pour Jules Lemaître, Barbey à lui tout seul est peut-être sa plus grande œuvre. Cette remarque n’est pas fausse: non seulement l’œuvre écrit, (style, structure, sujet, genre etc.), mais la vie ouvrée (le style même de personne qu’il est, et dont nous avons étudié tant de facettes dans la partie qui avait trait à ses réactions), transcrivent ses rêves, ses révoltes, et sa vengeance… Est-ce aller trop loin de dire que tout cela a fonctionné selon le principe de la sublimation? En tout cas, tout était ordonné selon la même direction.
L’avis des autres avait pour lui une très grande importance. Il était à lui tout seul la preuve de son pouvoir de séduire. Mais une fois que la blessure narcissique fut plus ou moins pansée, l’importance qu’il accordait à l’avis des autres s’estompa ensuite progressivement, nous avons vu pourquoi: une fois qu’il s’est senti à peu près séduisant, il n’a plus eu besoin de se rassurer.
Lorsqu’il se décrit lui-même, nous sommes justement témoins de la construction de cet aspect offert aux autres: la chronologie nous éclaire sur l’évolution de l’image qu’il avait choisie: le dandy du début n’a plus guère de point commun avec le Normand conquérant, ou le vieux seigneur qui refuse le monde. Il percevait de lui une image différente de celle qu’avaient les autres: lui la percevait de l’intérieur et savait ce qu’il fallait gommer ou relativiser; les autres étaient moins à même de saisir la vérité, ou les raisons de tel ou tel détail.
Il a eu à façonner leur vision, et l’on pourrait presque, d’après les arguments donnés, savoir ou deviner sur quoi ont porté essentiellement les critiques des parents, ou sur quoi portaient ses propres craintes..
Les personnages de ses romans surtout sont un peu ceux qu’il rêverait d’être, rêves et vengeance de ses rêves. Mais ce qui nous frappe, c’est aussi comme il est raisonnable dans ses rêves… Il ne cherche pas à fantasmer semble-t-il, sur des aventures qui pourraient lui arriver; pas plus qu’il ne pousse le lecteur à s’identifier à un de ses héros. Tout au plus l’invite-t-il à participer à l’écoute ou à la quête. Par contre, il envie consciemment certains de ses héros, et sans doute ceux qu’il jalouserait le plus sont Julien et Marguerite de Ravalet.
Les catégories beauté/laideur qu’il utilisait pour percevoir et évaluer les êtres sont tout à fait cohérentes avec ce que nous pouvons savoir de sa façon de voir la vie, et de son évolution. La beauté devient une qualité relative, remplaçable, précieuse même avec un défaut, et la laideur devient elle aussi défaut négligeable, ne disqualifiant jamais totalement, testant d’autres qualités, métamorphosée, sublimée même, bien plus riche qu’une beauté parfaite et morne… Pour lui comme pour les autres, beauté et laideur ne sont plus jamais, à la fin de sa vie, indépendante du reste de la personnalité. Et c’est un triomphe et un bonheur de ne plus ainsi se voir enfermé dans une catégorie purement physique. Il passe de ce vers si cru traduisant un désespoir total, revécu dans toute son intensité, 65 ans après…: «Elle était belle, moi laid» à des tas de «moi qui suis laid» qui veulent presque dire le contraire!
Il s’est ouvert la possibilité de plaire pour d’autres raisons que celles dues au hasard, à l’hérédité, à la mode…
Car plaire est toujours le grand désir, puisque ne pas avoir déplu est impossible dans son cas…
Et l’on ne saurait dire si Barbey aurait préféré être d’emblée reconnu beau ou grand écrivain…
Nous nous sommes posé une question à propos de la curieuse réflexion de Barbey concernant la princesse d’Eboli – mais combien d’autres réflexions pourraient susciter des interrogations!- et nous avons eu la chance d’avoir des éléments assurés de réponse. Il est certain que cette perception de la Beauté ou de la laideur, qui est si instinctive chez nous [211], se fait chez Barbey d’une manière particulièrement aiguë car elle ricoche directement sur sa douleur à lui. Elle fait mouche ainsi, même involontairement, et le blesse…, et nombre de ses réactions viennent sans doute, (sans qu’il puisse le définir consciemment, sans qu’il le dise clairement, sans qu’il ose le dire par pudeur) du plaisir et de la douleur qui rangent en catégories ce que nous vivons tous.
La laideur serait le fil d’Ariane qui nous permettrait d’entrer dans le palais aurevillien, et de sortir du labyrinthe, en ayant démasqué le monstre[212] qui n’attendait que cela?
Notes
[1] Premier Memorandum, 13 janvier 1837
[2]Barbey l’orthographie «Finck», mais le Bénézit «Fink».
[3]Amaïdée
[4]: la taille moyenne des conscrits était en 1974 de 1,72 m, et de 1,66 m en 1930. En 1830 elle était de 1,62 m… (Au XVIIIe siècle, par exemple, pour sélectionner un régiment de 400 hommes de plus de 1,70 m, on devait «écrémer» une population de 79 000 habitants (soit 0, 5 pour cent…)! C’est par erreur qu’Aristide Marie dit 1,92 m dans son livre Le Connétable des Lettres page 70: ses habits, au Musée, en font foi.
[5]Marie (A.): Le Connétable des lettres: Barbey d’Aurevilly, Paris, Mercure de France 1939 pages 294 et 298
[6] Cette anecdote précise au passage que le «e» dans d’Aurevilly ne doit pas être avalé pour que son nom forme un hémistiche. A ce sujet, voir mon article à paraître: «Trebutien et d’Aurevilly: accent aigu ou pas?»
[7]Cité page 142 dans la thèse de Catherine Boschian-Campaner: Barbey d’Aurevilly Ed. Seguier 1989
[8]C’est que pour Barbey le physique compte dans l’estimation des gens! Cité page 142 dans la thèse de Catherine Boschian-Campaner: Barbey d’Aurevilly, Ed. Seguier, 1989.
[9]Barbey d’Aurévilly, La Cité des Livres, 1927, Je ne sais pourquoi Uzanne écrit Aurévilly, avec un accent.
[10]Cité par Uzanne, dans Barbey d’Aurévilly, page 30. Barbey lui est un autre pêcheur et qui pêche dans d’autres eaux!
[11]cité par J. P. Seguin, page 24 dans Iconographie
[12]Aristide Marie, le Connétable des Lettres, page 181
[13] page 28 dans Barbey d’Aurevilly. Impressions et souvenirs.
[14] in Le Figaro, 23 juillet 1861.
[15]Barbey d’Aurévilly, page 24
[16]cité par J. P. Seguin, page 39 sq. dans Iconographie. Figaro du 25 juillet 1861
[17]C. G. VII
[18] cité par J. P. Seguin, page 41 dans Iconographie
[19] cité par J. P. Seguin, page 289 dans Iconographie. Tiré de La Revue hebdomadaire, avril 1909, page 144
[20]Journal des Goncourt, 9 mai 1875
[21]Barbey d’Aurévilly, page 47
[22]Barbey d’Aurévilly, page 47
[23]cité par J. P. Seguin en face du N° 87 dans Iconographie, tiré de Léon Bloy: Sueur de sang.
[24]cité par J. P. Seguin, en face du dessin N° 79 dans Iconographie
[25] cité par J. P. Seguin, dans Iconographie. Tiré de Léon Bloy: La Méduse Astruc, 1875
[26]D’Astruc, il nous reste un autre portrait de Barbey, de la taille d’un petit masque, sur un autre groupe, de 1880. La figure est plus paisible!(voir le n° 86 dans l’Iconographie de Seguin.). Astruc débuta au Salon en 1871.
[27] C. G. IX 22 mai 1876. Ce buste de 1875 est exposé au salon de 1876, reproduit en VIII
[28]Pour sourire un peu: Jules et Léon se plaignaient des inexactitudes biographiques qui les concernaient: dans un de ces derniers ouvrages de biographies d’auteurs, paru en 1994, le recueil de Léon « Amour et Haine » est attribué à Jules!!! Léon ayant, lui, disparu de ce dictionnaire. On ne prête qu’aux riches!
[29]Le style de Léon est ici presque celui de Jules… Dans les O. H., il y a un article de Barbey sur les biographies qui se moque de ce genre d’articles, sans nommer Larousse
[30] cité par J. P. Seguin, dans Iconographie en face du N° 89. Tiré des Souvenirs d’O. Uzanne, Le Livre, 10 juin 1889.
[31]Thèse de Catherine Boschian: Barbey d’Aurevilly, page 182
[32]lettre de J. Lorrain à Barbey, le 12 octobre 1887
[33]cité par Aristide Marie, page 317, dans Le Connétable des Lettres
[34]Charles Buet, Impressions et souvenirs, Savine, 1891 p 187
[35]Charles Buet, Impressions et souvenirs, Savine, 1891 p 187
[36]La victoire du mari, Dentu 1889 p. XXV
[37]C’est au-dessous d’une eau forte gravée d’après ce portrait, offerte à son ami Michel Ménard, qu’il avait écrit:
Ce portrait n’est pas un chef-d’œuvre,
Mais cependant, ne croyez pas qu’il ment.
C’étaient bien là mes yeux de couleuvre,
Avant que je fusse un serpent!
[38]cf. A. Pichot Byron, page 20: «La bizarrerie du noble lord fut surtout remarquable dans le choix qu’il fit pour sa coupe de la tête d’un de ses ancêtres. () C’était la coupe de cérémonie quand Lord Byron présidait l’ordre du Crâne, qu’il avait créé».
[39] Par exemple il écrit qu’il vient de relire, pour la millième fois peut-être, les Memoranda de Byron.
[40] Grands Normands Rouen, 1939, page 19
[41] Voir l’étude du symbolisme du bronze dans notre thèse sur le Masque.
[42]Comtesse Dash: Souvenirs et impressions sur Barbey d’Aurevilly, annotés par lui-même. in Le journal 5 octobre 1892:
[43]Lettre à Paul Bourget, 19 décembre 1877
[44]O. C. II page 1602
[45]O. C. II page 1602
[46]O. C. I p. 7
[47]Lettre à Trebutien, 18 juillet 1835.
[48]Lettre à Trebutien, 18 juillet 1835, CG1 p. 44. « A la manière du Lion », expression inspirée de Mme de Staël, et de Dante. Premier Memorandum, 13 janvier 1837
[49] 1er Mémorandum 13 janvier 1837
[50] Héros de Nodier
[51] O. C. II 864 Premier Memorandum 12 décembre 1837
[52]Premier Memorandum, 9 juillet 1838
[53]Premier Memorandum, 11 juillet 1838
[54] Premier Memorandum, 26 juillet 1838
[55]Premier Memorandum 22 septembre 1838.
[56] O. C. II page 791 7 décembre 1838.
[57] O. C. II page 986 7 novembre 1838.
[58]O. C. II page 1006 24 décembre 1838.
[59] O. C. II page 909 21 juin 1838.
[60] (C. G. II 137).
[61] Premier Memorandum, 10 octobre 1838.
[62]Dodille page 361 sq.
[63]Lettre à Trebutien, 28 octobre 1843.
[64]Lettre à Trebutien, 1er avril 1851.
[65]cité par lui dans Barbey d’Aurévilly, page 34.
[66]Correspondance, III p. 95, 18 septembre 1851.
[67]CG1 p. 111.
[68]Lettre à Trebutien, 29 juillet 1851
[69]Lettre à Trebutien, 9 décembre 1851.
[70]Lettre à Trebutien, 25 février 1855. Amédée, est le prénom d’un héros de Léa; Jules, Amédée, Hector sont les prénoms de Don Juan dans Le Plus Bel Amour, et Jules, Amédée, les prénoms de notre Barbey. Hector un de ses grands-oncles.
[71]Lettre à Trebutien accompagnant son portrait. 27 mars 1855
[72]cité par Aristide Marie: Le Connétable des Lettres, page 174
[73]Lettre à Trebutien, 8 décembre 1856
[74] (12 avril 58 LT IV)
[75]cité par Aristide Marie: Le Connétable des Lettres page 14
[76] cité par Aristide Marie: Le Connétable des Lettres page 16
[77]Cité par Aristide Marie, page 227, dans Le Connétable des Lettres.
[78]Cinquième Memorandum, pour l’Ange Blanc, 30 novembre 1864.
[79] Les Ridicules du temps page 21 Rouveyre 1883
[80]C’est assez amusant de comparer avec le poème de Léon donné en annexe 3.
[81]O. C. II. cf. ici l’analyse III 3
[82]30 mars 1873.
[83]cité dans Un poète apôtre, Léon d’Aurevilly, par J. Dauphin.
[84] il a fait planter une multitude de rosiers.
[85]14 Avril 1877
[86]02 Mai 1877
[87]Disjecta membra, tome II page 190, Ed. La Connaissance, 1925.
[88]cf. ici III- 3 les billets à Sophie Lafaye, M. Lacombe, et M. Lévy.
[89]16 Janvier 1879
[90] C. G. VIII page 190, fin Jan. 1879
[91] Barbey d’Aurevilly, Documents iconographiques. Préface et notes de J. P. Seguin. Pierre Cailler éditeur, Genève, 1961. page 304.
[92]26 Janvier 1881, à Louise Read
[93]23 Février 1881
[94]C’est Hayem qui lui offrait ce tableau, d’où la délicate position de Barbey, peut-être…
[95] C. G. VIII 14 août 1882
[96]sans doute à cause du pittoresque plus attirant de la couleur…
[97] nous en profitons pour nous excuser de la mauvaise qualité des reproductions dans cette thèse: il faut que le lecteur soit un ascète plein d’imagination! Elles sont plutôt ici à titre de jalons symboliques…
[98]Problème général et aigu des reproductions de tableaux!
[99] C. G. 15 octobre 1885
[100] C. G. 8 mai 1882. Actuellement, la trace de ce buste est perdue; nous n’en connaissons qu’une photo donnée par Doyon dans son « Barbey d’Aurevilly amoureux et dupe», Paris, Corrêa, 1934, page 97
[101] C’est-à-dire «le cœur». 5 février 1883, à Madame de Bouglon. La tonalité de cette lettre peut se rapprocher de la fin de L’ami étranger, de Christoph Hein, mais la jeune femme y refuse justement de (se) dire, de dire même ce qui lui manque.
[102]Alcide Dusolier Barbey d’Aurevilly B. Dentu éditeur, 1862
[103]Ce sont les dernières paroles de ce petit ouvrage qui ne cite que l’Amour Impossible, Une Vieille Maîtresse, et L’Ensorcelée. Il a vertement, auparavant, critiqué les idées politiques, sociales, et religieuses de Barbey, mais il critique tout aussi violemment ceux qui veulent l’étouffer.
[104]A X et sans date précise, Correspondance 1887, tome IX
[105]se reporter aussi en III-3
[106] O. C. I p. 23
[107] O. C. I p. 23
[108] O. C. I p. 27
[109]O. C. I p. 25
[110]Ce qui ne meurt pas, Ed. Bernouard tome I, pages 31-32
[111] O. C. II p. 1189-90
[112]Lettres à Trebutien, 31 octobre 1851
[113]L’Amour Impossible p 57 O. C. II
[114]L’Amour Impossible, p 64 O. C. II
[115]O. C. I p 562
[116]O. C. I p 563
[117] O. C. I p 939
[118]cf. Barbey d’Aurevilly critique par J. Petit, page 636 Les Belles Lettres
[119] O. C. I page 877
[120]LT II p 96, 1er avril 1851
[121]O. C. II 17
[122]O. C. II 12
[123]Aristide Marie: Le Connétable des Lettres, page 249
[124]Pages 180-1 O. C. II A un dîner d’athées
[125] Lettre à Trebutien, 23 septembre 1850
[126]O. C. II p. 1322
[127]O. C. II p. 184 A un dîner d’athées.
[128] O. C. II p. 192 A un dîner d’athées.
[129]Correspondance 13 octobre 1885
[130]O. C. II page 701.
[131]O. C. II page 278.
[132]Lettre à Trebutien, 2 janvier 1855.
[133]Premiers articles (1834-1852) Publiés par Andrée Hirschi et Jacques Petit, Les Belles Lettres, Paris 1973, page 53
[134]Premiers articles (1834-1852) Publiés par Andrée Hirschi et Jacques Petit, Les Belles Lettres, Paris 1973, page 53
[135] Correspondance Tome III page 262, 22 nov. 1853. Cf. «Rien de plus émouvant que la beauté qui s’ignore, sinon la laideur qui se sait» Apostilles de R. Mallet, Gallimard 1915.
[136]article dans le Constitutionnel, le 25 août 1873, à propos des Confessions et discours littéraires de Jules Favre.
[137] «idéal de visage et (…) grec de profil» O. C. II 17
[138] ces références sont éparses et multiples.
[139]«la vraie beauté, – la beauté insolente, joyeuse, impériale, juanesque enfin; le mot dit tout et dispense de la description» O. C. II p. 62, Le plus bel amour de Don Juan
[140]O. C. II page 62 Le Plus bel amour de Don Juan
[141] page 699 O. C. II
[142] Du dandysme et de George Brummell page 699
[143]Correspondance Tome III, page 144, 21 mars 1852.
[144]Correspondance Tome III, page 207, 23 juin 1853.
[145]Lettre à Trebutien, 6 novembre 1853.
[146] Correspondance, Tome IV, 28 janvier 1854
[147] Lettre à Trebutien, 2 avril 1855.
[148]Certains n’ont pas de visage: comme le capucin d’Une Histoire sans nom, par exemple, n’est visible que par ses pieds et sa main, l’on en déduit alors un beau visage, qui devient «la face d’un homme» (O. C. II p. 363) déjà tout rongé quand on sait la vérité: il était, spirituellement, monstrueux. C’est un sphinx, un mystère. Mais un beau sphinx, et non un monstre laid.
[149]Correspondance Tome 1 page 207
[150] Correspondance tome VI, page 53, 28 nov. 1857
[151] Correspondance, tome VI, 18 avril 1860, dans une lettre à Sainte-Beuve. page 141.
[152] Correspondance, Tome V, page 21. 13 janvier 1856.
[153]Jean Bart, célèbre corsaire, portait une culotte doublée de drap d’or… irritante comme un cilice.
[154]La Bague d’Annibal O. C. II p. 165
[155]cf. lettre à Trebutien du 16 août 1843.
[156] O. C. I p. 164 La bague d’Annibal
[157]«Je suis allé aussi entendre Dupré à l’Opéra, que mon incompréhensible paresse m’avait jusqu’alors empêché d’entendre. Il est laid, petit, ignoble, mais quel instrument il a dans la poitrine!»Premier Memorandum, 7 décembre 1837..
[158] page 342 Littérature épistolaire O. H. XIII Lemerre 1892.
[159] Littérature épistolaire O. H. XIII Lemerre 1892: notes page 159 sur la correspondance de l’Abbé Galiani: note de l’éditeur: «appelé parfois Machiavelino, Grimm le surnommait: Platon avec des épaules d’Arlequin.»
[160]article à propos des Œuvres posthumes de Stendhal: Correspondance inédite, paru le 18 juillet 1856 dans Le Pays.
[161] Lettre à Trebutien, 5 août 1854.
[162] article dans La Revue de mode de Paris, 10 novembre 1845.
[163]Ce sentiment n’est pas le même que celui qui attendrit devant un défaut. Peut-être Barbey connaissait-il aussi cela, ou aurait-il aimé qu’on s’attendrît sur lui.
[164]Du dandysme…, O. C. II p. 692
[165]page 278 O. C. II
[166]Lord Byron en Italie, in Racine et Shakespeare, Paris, 1854
[167]Lord Byron, la malédiction du génie Ed. Taillandier, 1984, page 24. Son amour pour Mary Chaworth.
[168]13 ans après
[169]Et tous deux étaient jeunes, et un seul était beau,
Et tous deux étaient jeunes- mais d’une jeunesse différente.
[170]Lord Byron, la malédiction du génie Ed. Taillandier, 1984, page 33.
[171]Lord Byron, la malédiction du génie Ed. Taillandier, 1984, page 33
[172] A propos du Lara de lord Byron à l’Opéra Comique, article dans Le Pays 24 avril 1864. O. H. XII page 307
[173]article paru le 4 août 1868 dans Le Constitutionnel, repris dans les Bas-Bleus, page 287 sq.
[174] Ces idées ne sont pas loin de celles de Y. Mishima.
[175]article paru le 4 août 1868 dans Le Constitutionnel, repris dans les Bas-Bleus, page 287 sq.
[176]article paru le 4 août 1868 dans Le Constitutionnel, repris dans les Bas-Bleus, page 287 sq.
[177]article paru le 4 août 1868 dans Le Constitutionnel, repris dans les Bas-Bleus, page 287 sq.
[178]article paru le 4 août 1868 dans Le Constitutionnel, repris dans les Bas-Bleus, page 287 sq.
[179] article paru le 29 mars 1859 dans Le Pays, sur Souvenirs sur les derniers jours de la vie de Shelley et de Byron, par E. J. Trelawney, et sur Lord Byron et la société anglaise par D. Nisard.
[180]C’est aux environs de 1869 que s’est produit un basculement dans l’opinion publique, les révélations augmentant la probabilité d’une vérité choquante sur l’inceste avec sa demi-sœur de père.
[181] Disjecta membra, I, Ed. La Connaissance 1925 page 72
[182] page 1338 O. C. I et 550 O. C. I
[183] page 551 O. C. I
[184] Une vieille maîtresse, p. 364 O. C. I
[185] p. 727 O. C. I
[186] cité page 165 dans Barbey d’Aurevilly par Jean Canu Ed. Robert Laffont, 1945
[187] préface de 1859 à L’Amour Impossible, citée page 1254 dans O. C. I
[188]voir ici III-3 page 232
[189]Disjecta membra, I Ed. La Connaissance 1925 page 45
[190]Disjecta membra II, page 81, Ed. La Connaissance, 1925.
[191]Disjecta Membra II, page 338, Ed. La Connaissance, 1925
[192]Deuxième Memorandum, 8 octobre 1838
[193]Du dandysme…, p. 692
[194] » La nuit fut laide, la journée ni bien ni mal (ce qu’on peut dire de pis des femmes), mais ce soir, je me sens redevenu moi-même. « Correspondance III p. 273 17 décembre 1853
[195]O. C. I p. 646.
[196]O. C. I p. 877
[197]O. C. I p. 268, à propos de Vellini, cf. Le Nain Jaune, 27 octobre1866
[198]p. 338 dans Sensations d’art.
[199]Il connaît peut-être le coup de foudre et aime cette sensation; il aime à coup sûr le percevoir chez l’autre: dans les Disjecta membra, tome II, p. 237, Ed. La Connaissance, 1925, une phrase isolée: «Elle avait des yeux singuliers, des yeux qui se jetaient dans vos bras et qui s’en retiraient comme on s’arrache avec effroi des bras d’un homme.»
On peut sans doute en conclure de l’absence de séduction combinée dans les romans, que Barbey a vécu le coup de foudre pour quelqu’un, en devant le cacher peut-être, plus que lui-même n’a été l’objet d’un coup de foudre… Ce déséquilibre a sans doute augmenté la douleur venant de sa laideur qu’il a encore mise en cause à cette occasion. En outre, il a peut-être aussi aiguisé le désir de ne pas être en faute, en ce qui concernait les beautés sur lesquelles il avait pouvoir (vêtements, dandysme, toilette, comportements divers et variés, attention à des détails apparemment futiles, qui sont des minimums pour espérer séduire etc.)
[200] O. C. II p 1117.
[201] O. C. II p 1567
[202] «Un homme labyrinthique ne cherche jamais la vérité, mais uniquement son Ariane.» Nietzsche, cité par Barthes, dans La Chambre claire. Page 114. Et Dieu sait si Barbey aima être un labyrinthe jusqu’à ce qu’il avoue préférer une Ariane…
[203]Ce serait d’ailleurs amusant de faire de la littérature comparée à propos de ce cas: notre époque mentionne l’expérience religieuse ratée que ne mentionne pas du tout le dictionnaire précédent… etc.
[204]En tout cas, Barbey rend compte d’un livre de Mignet en 1854 et lui consacre, évidemment, un des Quarante Médaillons de l’Académie… (guère flatteur d’ailleurs!)
[205]Imprimerie Royale 1844
[206]page 467 Journal des Savants. 1844
[207]Voici comment en parle l’historien de la maison de Silva: «Dona Anna () era por su sangre, por su hermosura, y por la sucession de tan noble casa, uno de los mas apetecidos casamientos de aquel tiempo»
[208]Comment interpréter qu’il ait appelé celle qui mourut d’amour pour Marigny Mme de Mendoze, je ne sais. Ignorance à l’époque ou autre chose?
[209]comme l’Autoportrait du Parmigiano avec la main en gros plan dans un miroir convexe (tableau à Vienne), ou le portrait de Edouard VI par William Scrots (à Londres): tableau déformé qu’on ne comprend qu’en se mettant au ras de la feuille ou, si on est à Londres, paraît-il, en le regardant à travers un minuscule œilleton.
[210]Quant à la princesse des Ursins, dont Barbey parlait souvent pour son Traité de la Princesse, un début de recherche sur son physique m’a apporté ceci: «C’était une femme plutôt grande que petite, brune avec des yeux bleus qui disaient sans cesse tout ce qui lui plaisait, avec une taille parfaite, une belle gorge, et un visage, qui, sans beauté, était charmant (…) voulant plaire pour plaire, et avec des charmes dont il n’était pas possible de se défendre quand elle voulait gagner et séduire» (Saint-Simon). Effectivement elle séduisit jusqu’à la fin de sa vie (80 ans!).
[211] voir plus haut I
[212] Le » monstre » a été longuement évoqué dans notre thèse sur le Masque: chose à montrer qui doit être cachée car…