L’Esprit du christianisme, Joseph Moingt, 2018.
( Résumé/compte-rendu par Marguerite Champeaux-Rousselot, 2019-05)
Ce compte-rendu est fait du point de vue qui m’intéressait… J’ai surtout pris ce qui était le plus nouveau, le plus caractéristique, le plus fort ou le plus discutable…
- ce qui est entre guillemets et en italiques est une citation de lui ( en général avec la page).
- ce qui est en italiques simples sans guillemets ou entre parenthèses simples est un résumé par moi, presque littéral, de sa pensée ou un choix de thèmes.
- ce qui est entre parenthèses double ou triple correspond à mes réflexions personnelles, et c’est en général précédé de « Mi : » pour indiquer bien clairement que c’est mon point de vue.)
Page 23 : Joseph Moingt déclare croire au projet de Dieu, à son « « économie » par laquelle Dieu révèle sa « théologie » qui est son être intime » : toute découverte humaine concernant Dieu est « réminiscence développement d’une vérité depuis toujours déposée par Dieu dans l’esprit des hommes, car il est à leur recherche de tout temps, mais ils apprennent à le chercher dans le déploiement infini des temps. »
Première grande partie Religion – le clos et l’ouvert.
Page 62 : Moingt explique pourquoi il est très dangereux que l’Eglise se retranche sur sa tradition. Entre autres arguments le fait que l’Eglise considérait indispensable au salut de chacun de passer par l’Eglise, et ses certitudes l’ont rendu souvent intolérante, d’où son impossibilité ( et son incapacité) d’avouer s’être trompée éventuellement à une époque. Moingt trace le portrait de l’Eglise moderne implantée sur « la certitude que toute la vérité nécessaire à sa mission lui avait été donnée par la parole de Dieu déposée dans les Ecritures, anciennes ou nouvelles, qui annonçaient la venue de Jésus, transmettaient son enseignement ou l’attestaient, et dans la tradition qui avait recueilli l’enseignement de ses apôtres et témoins. » D’où également la transmission uniquement par elle selon le un schéma autoritaire bien bâti, excluant les non-chrétiens du salut, humiliant les fidèles, les privant d’une formation intellectuelle sérieuse autant que de responsabilité, d’où la désaffection qui s’en est suivie.
Page 63 : « on ne voit pas comment le repli de l’Eglise sur son autorité et sa tradition, que semblent signifier les ordres de route donnés au sommet et les manœuvres effectuées à la base, serait le seul et meilleur moyen pour elle de reprendre paisiblement sa marche en avant pour enseigner au monde la vérité capable de le sauver, celle qui lui a été révélée par Dieu lui-même, car où se trouve cette révélation ? C’est la plus grave question aujourd’hui posée à l’Eglise par ses propres fidèles, et c’est la question de sa propre vérité. Depuis le Concile de Trente, on disait couramment que la révélation était contenue à la fois dans l’Ecriture et la Tradition : cela faisait-il une seule ou deux sources de la révélation ? Plusieurs évêques voulaient en débattre à Vatican II et souhaitaient définir la dualité des sources pour conforter l’autorité du Magistère qui, dans les conciles du passé, avait élaboré tant de définitions des dogmes au titre de « vérité révélée » et nécessaires au salut, bien qu’elles aient été définies tardivement et dans un langage étranger à celui de l’Ecriture ce qui les rendait vulnérables au regard de la critique moderne. Mais d’autres évêques, d’esprit plus « bibliste » et œcuménique, voulaient couper court à l’enflure dogmatique et définir que la révélation a une seule source, l’Ecriture, en tirant argument d’un axiome ancien selon lequel « la Révélation a été close à la mort du dernier des apôtres », tout en cherchant à ménager un lien étroit entre elle et la tradition, qui puise son inspiration dans l’Ecriture pour en expliciter le contenu. Finalement le concile s’en est tenu à affirmer l’unité intrinsèque de l’Ecriture et de la Tradition, sans chercher à définir formellement comment la révélation serait contenue en elle deux. »
Page 64, Moingt développe ensuite différents points (par exemple les dates des dogmes et leur genèse) dont l’Eglise tente la dissimulation et il montre les conséquences de ces dissimulations dans notre monde : « De quelle révélation le christianisme va-t-il se prévaloir, en réponse aux doutes qui pèsent sur sa vérité, pour garder un rôle influent dans l’histoire ? Telle est la question silencieusement posée à l’Eglise par les sciences profanes de la Bible et de l’histoire depuis les dernières décennies du siècle dernier. L’Eglise se garde d’y répondre, pensant que la question a été tranchée lors de la crise moderniste des années 1900, voyant que son rebondissement n’agite plus guère que quelques savants attardés ou improvisés, mais sans remarquer que ces derniers fidèles, troublés qu’elles restent sans réponse, perdent confiance, s’en vont d’un et ne sont pas remplacés. »
Il regrette évidemment et demande qu’on prenne une décision radicale : le mot de «révélation» appartient à tout homme. « Alors acceptons de démystifier ce mot de révélation et de le réinvestir dans sa source, l’histoire des hommes affrontés à une interrogation transcendante.»
Moingt (page 65) explique alors entre autres que l’Eglise s’est crue « autorisée à recueillir l’héritage de la révélation contenue dans les livres sacrés du peuple juif » au motif que Jésus était juif, mais il conteste la valeur sacrée du contenu littéral de ses livres et la manière dont on les présente au titre d’une « révélation » qu’il est implicitement interdit de discuter, ce qu’il trouve au contraire non seulement autorisé mais encore souhaitable au nom d’une vérité sur la révélation elle-même et sur ce qui peut nourrir ceux qui écoutent les textes : « Mais aujourd’hui, spécialistes des textes anciens, archéologues et historiens de l’Antiquité s’accordent pour dire que les traces d’une visite de Dieu à Abraham, d’une libération du peuple juif de la captivité en Égypte par les armées de Dieu, de sa révélation à Moïse pour lui donner son nom et lui dicter sa loi et bien d’autres mentions d’une intervention divine ont disparu de l’histoire ou plutôt n’y ont jamais été inscrites, et s’accordent également pour expliquer – ce qui est plus dérangeant – que les livres sacrés des juifs ont été écrits beaucoup plus tard qu’on ne le croyait, après le retour d’exil, et qu’ils n’ont pas cessé dans les siècles suivants d’être recopiés, ce qui veut dire, selon la coutume des scribes d’Israël, réécrits, corrigés, modifiés, en sorte qu’il ne reste plus, si jamais il y en eût, de livres bibliques originels qu’on pourrait dire écrits de la main de Dieu, à supposer que l’homme soit capable de déchiffrer sa langue, pas plus qu’on ne saurait retrouver le fil directeur d’une inspiration de ces livres par le Saint Esprit dans leur incessant remaniement. Ce savoir nouveau de l’histoire du texte de la Bible est depuis longtemps sorti du cabinet des savants émis dans le domaine public à la disposition de qui vont s’en instruire. L’Eglise ne semble pas s’en émouvoir et continuer à faire acclamer « la parole de Dieu » à la fin de chaque lecture biblique ; peut-être les pasteurs devraient-ils se préoccuper d’expliquer aux fidèles en quel sens ils le comprennent eux-mêmes. »
Page 65 : Moingt regrette que la catéchèse et la prédication ainsi que le magistère ne prennent pas « vraiment au sérieux la science de l’histoire et du texte ; la catéchèse et la prédication continuent à commenter les « miracles » de Jésus comme s’ils étaient un soutien efficace de la foi sans soulever le problème de leur vérité historique ; les points essentiels de la foi au Christ, « ressuscité », « conçu de l’Esprit saint », « fils de Dieu », « mort pour nos péchés », sont toujours présentés comme des vérités indiscutables de son histoire, alors que les fidèles, qui en entendent discuter ouvertement par des gens informés, finissent par penser que le Magistère n’a rien à répondre à ces soupçons et négations, et s’en vont discrètement. Or le Magistère n’ignore pas que les savants chrétiens, historiens ou biblistes, sont au courant de ces débats auxquels ils prennent souvent part et que la plupart tiennent entre eux, sur ces questions qui relèvent au premier chef de la science, le même langage que leurs confrères incroyants, mais il leur est interdit d’en parler semblablement dans leurs propos ou leurs écrits publics et de s’écarter des interprétations bibliques officielles et traditionnelles de l’Eglise. On peut lui reprocher à cet égard de n’être pas au clair sur la question de la vérité, et cette attitude ne peut qu’attirer la méfiance des fidèles. »
Moingt regrette par exemple que l’Eglise n’ait pas reconnu que « l’idée de la génération d’un fils en Dieu ne se trouve nulle part dans l’Ecriture ni ancienne ni nouvelle » car en fait selon Moingt, l’Eglise a parfaitement le droit de soutenir scientifiquement et historiquement que « le Christ n’en a pas moins été adoré comme fils de Dieu dès le début du christianisme. Si elle avait pris cette attitude, on n’aurait pas pu lui reprocher de manquer à la vérité, mais sa volonté de l’emporter même sur le terrain des faits historiques lui vaut la suspicion d’entrave à la manifestation de la vérité. » ( N.B. je rappelle en contredisant Moingt sur ce cet exemple que de nombreux exégètes soutiennent que Jésus n’a pas été adoré de son vivant, pas seulement par une erreur ou une ignorance de ses disciples mais aussi probablement parce que cela n’a peut-être pas été non plus sa volonté. )
Page 67 : Moingt : « ne nous laissons pas séduire par l’option d’une « restauration » de sa tradition, qui ne peut plus guère exhiber que la positivité d’une longue et riche histoire, dépourvu maintenant de souffle créateur. » Il faut miser sur une « renaissance » ce qui passe peut-être par une sorte de mort préalable ; il faut renaître hors religion. « Nous devrons alors nous demander si le christianisme n’est pas en train de mourir des restes des religions qu’il avait ingurgitées en triomphant d’elles »
« or le christianisme est né hors religion, car Jésus avait été chassé de la sienne et n’avait pas tenté de l’imposer au reste du monde, sans avoir eu le temps ni vraisemblablement l’intention d’en inventer une autre, au point que ses apôtres, au lendemain de sa mort, apparaissent démuni de tout signe, de tout lieu et de tout discours religieux. »
2e grande partie : Révélation – le haut et le bas :
Moingt fait ici une analyse théologique d’ensemble de la foi par la confrontation des deux traditions, apostolique et dogmatique. La tradition apostolique ne comportait ni religion ni dogme et mettait en lumière la foi au Dieu Père universel des hommes et au Christ « homme nouveau » ; la tradition dogmatique se définissait d’emblée par un retour au culte sacrificiel et revenait à la notion de Dieu créateur et juge et aux normes de l’Ancien Testament.
Selon Moingt, page 91 « le ministère de la réconciliation (2 Co 5,17–18) incombe à tous ceux que Dieu a réconciliés avec lui et il ne consiste pas dans des actes de religion puisque Paul, relisons-le, nous a prévenus que le Christ « a aboli la loi et ses commandements avec leurs observances (pour) ainsi créé en lui, à partir du juif et du païen, un seul homme nouveau » ( Ep, 2,15). Ce langage donne le droit de parler de l’esprit du christianisme en termes d’humanisme authentique, car il met en lumière : la dignité et la liberté de l’homme ; le respect qu’il se doit à lui-même et doit aux autres parce que Dieu le premier le respecte ; la grande tâche que Dieu lui confie, de conduire la création à son terme, une tâche qui dépasse de loin les œuvres de religion ; la maîtrise de l’histoire, que Dieu lui abandonne ; le vrai sens de la spiritualité chrétienne et du péché. »
Moingt part du principe de la dignité humaine qui est d’être semblable à Dieu cætera libre… fraternelle etc. « La passion de Jésus n’est pas définie comme une œuvre de rachat, mais de création, elle n’est pas imputée aux désobéissances de l’homme qu’elle viendrait réparer car c’est dans l’homme que Dieu se sent offensé, aussi sommes-nous pardonnés dès que nous regardons le Christ en croix comme la victime des souffrances que nous infligeons à nos frères et du mépris que nous avons de l’image de Dieu en nous, et le pardon de Dieu ne nous humilie pas mais nous redresse au contraire restaure notre dignité. »
La passion est vue comme un acte positif et constructif, historique et de portée universelle : elle n’enferme pas le chrétien dans le souvenir, le remords, la réparation de ses péchés ni dans la haine du monde, la fuite du plaisir et les mortifications de toutes sortes. L’homme est censé pouvoir est de voir achever la création etc. Il n’a pas à se focaliser sur sur les œuvres de religion etc.
page 94 : Moingt fait remarquer que Jésus en Luc 4,16–17 ne cite pas entièrement la citation du prophète d’Isaïe (58,6) : il ne dit pas que c’est un jour « de vengeance pour notre Dieu ».
Page 107 : Moingt insiste souvent sur le fait que dès la fin du second siècle il y avait un enseignement oral et des autorités assez définies ( Ceci serait à revoir précisément) . C’est ce qu’il appelle la tradition apostolique. Page 116 : Que vers 200 il y a des monoépiscopat, plus l’institution du presbytérat, la prière eucharistique, le diacre, l’exclusion des laïcs, la pratique des eucharisties etc et que tout serait marqué dans un livre écrit vers 215 par Hippolyte personnage intrigant et assez condamnable mais néanmoins qui fut répandue rapidement car il pouvait s’opposer à la gnose dont Moingt soulignera de nombreuse fois l’influence néfaste face à laquelle l’Eglise a dû faire front. NB Notons que l’on n’st plus au II° siècle alors et que son influence ne put être que progressive.
La tradition apostolique et la tradition de l’Eglise ne doivent pas être opposées comme si la seconde avait totalement éclipsé la première, mais il faut les différencier « parce que je pense que le retour à la première (sans effacement de celle qui lui a succédé) sera nécessaire pour le « salut » de la foi et de l’Eglise dans les temps qui viennent »
.
Page 117 : Moingt écrit que les chrétiens avaient une souveraine liberté vis-à-vis des juifs et vis-à-vis de la terre païenne. Ils posaient un acte de rupture, rompaient de nombreux liens qui les asservissaient à la société dans laquelle ils étaient nés. Tertullien (début du IIIe siècle) a écrit que les chrétiens accédaient à la souveraine liberté de choisir leur père, ce qui traduit assez bien le précepte du Jésus appelant qui voulait le suivre à naître de nouveau. Ils sont affranchis délier des liens, des lois des coutumes des contraintes et services de la famille sociétés cité ou état. Cf.la lettre de Diognète qui les appelle : « l’âme du monde », des « citoyens de l’univers ». Un certains anarchisme, une secte, une école de philosophie, une école du logos, de la vraie rationalité ou du vrai discours de sagesse, un « groupe de parole » qui a fonctionné « du temps même des apôtres et longtemps encore après eux, avant que n’apparaisse des liturgie consacrée. (…) L’Eglise serait bien avisée de se souvenir de ce modèle inspirant dans ses difficultés présentes. »
Page 119 : Moingt montre comment se passa le « tournant religieux » à la fin du second siècle. Le problème n’est pas d’avoir institué une organisation ou des rites, mais le problème de savoir ce qu’on y a mis dessous. : « Mais nous devons faire attention au type d’ « efficacité» que nous attribuons aux rites : la « ritualité », ou l’usage de rites, est bonne en tant qu’elle exprime la socialité de la foi qui unit les croyants en communauté, mais le «ritualisme » qui est la confiance mise dans le rite en lui-même, censé mobiliser des forces surnaturelles pour transformer l’état naturel de celui qui y recourt, s’apparente fortement à la « magie ». La parole que Jésus avait coutume d’adresser aux malades qui lui demandaient de les guérir, « va, ta foi t’a sauvé », doit éclairer notre intelligence des sacrements : il confirme notre volonté à celle de Jésus par la foi que nous mettons en lui en nous unissant à la foi de l’Eglise qui administre ces rites. »
((Mi : pensons bien à cela quand on cherche d’autres façons de vivre les sacrements. Par ailleurs cela m’intéresse de voir comment les divorcés remariés sont obligés de vivre et arriver à ce que l’église leur autorise un « retour ». N’est-ce pas eux qui vivent vraiment la réconciliation avec Dieu bien plus que celui qui n’a pas « besoin » d’aller se confesser ?))
Page 121 : « L’eucharistie était, depuis Paul, un acte de foi, la protestation publique du retour de Jésus à la vie de Dieu et de sa présence au milieu des siens, actualisée et symbolisée dans une pratique sociale, un repas fraternel, le partage du pain qu’il leur avait légué en gage de son retour, qui les unissait à lui et entre eux en un même corps, le sien. Vers le milieu du second siècle, selon le témoignage de Justin, ce repas avait prit alors un caractère religieux et liturgique, celui d’une prière d’action de grâce (c’est le sens du mot « eucharistie »), sans être vraiment rite sacré puisqu’il n’était pas offert par un ministre consacré et par un président de communauté agissant au nom de celle-ci. On doit se rappeler que les premiers chrétiens, qui n’avaient pas été pourvus de prêtres par Jésus, avaient la conscience vive d’avoir été sanctifiés par l’Esprit Saint reçu au baptême et de « constituer une sainte communion sacerdotale pour offrir des sacrifices spirituels, agréable à Dieu par Jésus-Christ », (1 P 2,5), d’être eux-mêmes érigés par l’Esprit en « temple de Dieu » (1 Co 3,17), en « demeures de Dieu par l’Esprit » (Ep 2,21–22), d’être appelés à « s’offrir un sacrifice vivant », écrivait Paul aux chrétiens de Rome en précisant : « ce sera là votre culte spirituel » (Rm 12,1). Ces versets témoignent avec éloquence que les premiers chrétiens ne souffraient en aucune façon du manque de prêtres ni de privation du culte ni de soutien sacramentel. »
Mais ce fameux Hippolyte dans le livre La tradition apostolique imposa des règles qui aboutirent au fait que les fidèles furent sous la dépendance d’un prêtre consacré sans laquelle ils seraient privés de tout accès liturgique à Dieu : ceci a eu néanmoins du succès à cause de la nécessité de lutter contre les gnoses et plus personne n’a osé invoquer les claires déclarations des apôtres au sujet de ce que Jésus voulait.
Page 123, Moingt explique clairement pourquoi les chrétiens ne se sont pas vraiment opposés à ses idées. C’est tout d’abord qu’en effet les 3 évangélistes synoptiques évoquent plus ou moins le dernier repas de Jésus en termes sacrificiels comme une préfiguration de sa mort toute proche à la manière de ceux qui était offerts dans le temple. Ils négligeaient cependant le texte plus ancien de Paul qui n’évoquait en rien l’idée d’un sacrifice et négligeaient également celui de Jean « selon qui ce repas, pris à l’heure où étaient tués les animaux qui seraient offerts à sacrifice dans le temple, ne pouvait pas être le repas pascal où ils étaient mangés en famille », ce que confirment les historiens. Moingt précise également que les paroles mêmes de Jésus ne sont pas sûres. Les chrétiens ne se sont pas non plus opposés à ces idées-la car l’Eglise s’est peu à peu définie comme la continuation du peuple d’Israël et s’est mise à reprendre son fonctionnement.
Moingt évoque alors la raison du sacrifice et donc la question de la réconciliation et du péché : « Le chrétien est entré dans un type d’existence tragique apparentée au sacrifice. Je m’empresse d’ajouter que le rapport à la vie éternelle n’est mis en danger que par le péché, dans la mesure où le péché crée un empêchement à la vie en Église, qui est le lieu de la grâce, et le pécheur tombe sous le jugement du prêtre pour autant seulement que celui-ci est responsable de la vie en Église. »
Page 125 : Moingt fait alors le tableau du début du second siècle en se servant d’un petit livre intitulé Le pasteur et mis sous le nom de Hermas. On voit que beaucoup de chrétiens ont été lassés d’attendre le retour du Christ ; qu’à la persécution ils pensent que c’est la fin du monde et se reprécipitent vers la porte de le Église en suppliant d’être réadmis et l’Eglise leur refuse le pardon puisqu’ils ont reçu une fois pour toutes le pardon des péchés en étant baptisés : une affirmation qui est peut-être tirée de la Lettre aux Hébreux : « Il est impossible que des hommes qui un jour ont eu par l’Esprit Saint (…) et qui pourtant sont retombés, trouvent une seconde fois le renouveau, en remettant sur la croix le fils de Dieu pour leur conversion… » (He 6,4–6). Mais l’Eglise leur dit alors que ils peuvent faire une « seconde pénitence » jusqu’au IIIe siècle au moment où les évêques décideront de moduler en quelque sorte la gravité des péchés et des châtiments.
Tous ces aménagements seront remis en cause au IVe siècle quand le christianisme deviendra religion d’empire : le risque d’abjuration n’empêchera plus les chrétiens de fréquenter le « monde », mais rien non plus n’empêchera les mœurs du monde d’envahir l’Eglise. » D’où diversification de toute la gamme des péchés et de pénitences sans que change la loi qui concède deux pénitences donnant droit à la réconciliation, pas une de plus. « Cette loi ne vise que les péchés notoires, mais l’accroissement du nombre des fidèles, depuis que le christianisme a obtenu droit de cité, rend plus difficile de découvrir les délinquants, de plus en plus rétifs à se faire connaître d’eux-mêmes, que les fidèles renoncent à dénoncer ainsi qu’ils auraient dû le faire ; et les prêtres également renoncent à dénoncer les fidèles bien que les évêques les rappellent alors au devoir de « veiller à la virginité de l’Eglise. » ; les pécheurs, par honte des humiliations de la pénitence publique vont de plus en plus la faire dans l’enclos discret des monastères mais les moines sont bien obligées de les envoyer demander la réconciliation à l’évêque qui ne l’accorde que deux fois, pas une de plus. On peut lire chez les Pères des supplications déchirantes de pécheurs demandant à être admis une troisième pénitence par peur de mourir excommuniés, et les évêques leur répondent, en faisant référence à la loi mosaïque relative au lépreux, qu’ils ont le pouvoir de détecter la maladie du péché, d’en attester la guérison, mais pas d’en guérir.
La loi de la pénitence publique et unique, adoucie par la tolérance d’une seconde pénitence et par la discrétion de la pénitence monastique, durera jusqu’au XIe siècle, faisant peser en permanence sur les chrétiens la peur des châtiments éternels. Au VIe siècle cependant, le développement de la théologie du sacrifice eucharistique va desserrer l’étau de la peur par l’espérance d’un pardon que Dieu accorderait après la mort : s’il n’était pas possible de remettre Jésus sur la croix, comme le dit l’Epître aux Hébreux, les moyens existaient de replacer sous le regard de Dieu, grâce au sacrifice eucharistique, le spectacle suprêmement attendrissant de son Fils se livrant à la mort pour obtenir du Père le pardon de nos péchés ; on fit donc savoir aux pêcheurs excommuniés, s’ils étaient encore en vie, ou à leurs parents et amis, que, lorsque le recours à la pénitence n’était plus permis, on pouvait encore se confier à la prière et à la charité de l’Eglise, en faisant célébrer des messes et au moyen de « fondations » de messes à perpétuité. La loi de l’unique messe le dimanche dans la ville où l’évêque avait un siège fut alors levée et fit place à l’autorisation des messes solitaires pour les défunts chaque jour de la semaine partout où il y avait des prêtres ; le succès de cette innovation fut tel qu’on ordonna prêtre de nombreux moines et qu’on multiplia les autels autour du cœur pour qu’ils puissent célébrer leurs messes à des intentions particulières en même temps que le Père Abbé présidait la célébration commune à tous les autres moines.
Une autre innovation, plus décisive, eut lieu au XIe siècle : les évêques abandonnèrent la pénitence publique et unique, toujours désertée, et autorisèrent la confession secrète aux prêtres aussi souvent que les fidèles en auraient besoin ; le prêtre entendait la confession, poser quelques questions, fixer la pénitence et avertissait le pénitent que son péché serait pardonné sitôt que la pénitence serait accomplie et bien accomplie. Mais les fidèles boudèrent cette réforme : comment seraient-ils sûrs d’avoir suffisamment regretté et expié leurs péchés ? Alors vint la réforme définitive, toujours d’actualité : le prêtre écoutait l’aveu, donnait aussitôt une pénitence symbolique, et concluait par cette déclaration impérieuse : « moi, je t’absous de ton péché. Va-t’en en paix. » Le succès fut immédiat et durable mais il y eut de saints prêtres pour se lamenter : l’appât de cette petite formule faisait oublier au pénitent de se repentir de son péché. »
Moingt suit en expliquant que au fur et à mesure que la pénitence était plus facile, la liste des péchés s’était considérablement allongée complexifier et que le chrétien devait de plus en plus ouvrir sa conscience aux prêtres : c’est au prêtre théoriquement qui connaît la loi, de juger de ce qu’il en est de l’étendue de la faute des dispositions du pénitent du pardon à lui accorder ou à lui refuser… toutes choses que notre civilisation refuse et qui explique également la fuite de certains chrétiens de l’église.
Comme Moingt ( page 128) fait remonter la religion chez les hommes à la peur, il déclare que l’Eglise n’est pas entièrement responsable d’avoir « utilisé » cette peur, même si Jésus avait souhaité ne pas s’en servir. Il explique que Jésus propose plus que tout autre à chacun de devenir « sujet » en se laissant renouveler plutôt que de se laisser conformer » à ce que le monde pense autour de soi.
« La vraie liberté, la vraie libération de la peur, de toute peur, de la peur de Dieu, de la peur de manquer notre vie, de ne pas la réussir, n’est pas à chercher en dehors de nous, elle est dans « le renouvellement de notre pensée » y compris sinon avant tout de notre pensée de Dieu, de tout ce que nous appelons la volonté de Dieu, qui n’est pas inscrite une fois pour toutes dans les anciennes Ecritures, ni dans la loi de Moïse, ni dans les inspirations de ceux qui croient bénéficier de révélations particulières de Dieu (les « charismatiques »), mais sont incapables de les exprimer dans un langage intelligible par tous et ont besoin « d’interprètes », disait encore Paul (1 Corinthiens 14,12–15). Il faut devenir « sujet » responsable de sa propre pensée pour accéder à l’ »universel » de la vérité et, cela exige de la « renouveler » au lieu de la laisser se conformer à ce que pense le monde autour de soi, tel est le message de Paul à savoir qu’on accède à la vraie liberté par l’épreuve de l’universalité de la vérité (Alain Badiou ) dont la reconnaissance est une « épreuve » pour l’esprit, parce qu’elle ne permet à personne et à aucune religion de s’ériger en possesseur exclusif de la vérité et du salut. »
Actuellement l’Eglise elle-même est victime également de cette peur véhiculée par toutes les religions… Elle doit au contraire aider l’homme à se transformer lui-même et cesser d’opprimer les hommes qui aspirent à la liberté.
Page 130 : Moingt fait remarquer subtilement que le dogme de la résurrection et le dogme du salut, de la rédemption, n’ont jamais été défini dogmatiquement, de même celui du péché originel : « Il est cependant évident que ce dogme repose sur un mythe, interprété par une tradition patriarcale, qui s’est imposée aux époques de féodalité et de royauté héréditaire, et qui, aujourd’hui, est jugé intouchable que dans la mesure où la transmission de la faute des premiers parents serait seule capable de soutenir l’effet « rédempteur » attribué à la mort de Jésus en tant que cause du « salut ».
Page 132 : Moingt va s’efforcer d’extraire des dogmes ce qui est encore valable. Ainsi par exemple il dit : la mort de Jésus est fondamentale « car l’ouverture du ciel, qui pour nous le salut, est le fait même de l’entrée au ciel du ressuscité. » (( Ceci c’est la foi de Joseph Moingt, car moi personnellement je crois que les hommes préhistoriques ou bien des non-chrétiens sont entrés au ciel indépendamment de la vie de Jésus et de sa mort))
Page 132, Moingt critique fortement les passages des célébrations liturgiques ou les chrétiens sont des pêcheurs qui implorent la pitié de Dieu et le pardon des péchés etc. Lui cherchera de « tout son cœur a montrer que le thème de la rédemption signifie plus amour et gratitude confiance etc. puisque Jésus a dit qu’il était venu pour les malades. Page 123 : « Mais le retour de la foi chrétienne à l’Ancien Testament (au second siècle) pour en expurger toute trace de gnose, l’imprégnation qui en a résulté, des liturgies chrétiennes par le souvenir de celle du Temple, la théologie augustinienne du péché originel surtout, ont remis l’expiation au premier plan de la rédemption et ont ranimé dans le cœur des chrétiens la crainte du jugement dernier et la peur des châtiments éternels. »
Nous n’avons plus à craindre le jugement et nous ne devons jamais plus réfléchir à l’effet rédempteur de sa mort indépendamment de sa résurrection.
Page 148 149 Moingt s’intéresse de nouveau l’idée du salut : Jésus a annoncé un salut universel non pas qu’il soit donné à tout le monde, mais il est proposé à tout le monde et chacun peut en bénéficier : « Dieu ne met aucune condition au salut si ce n’est de vivre en homme, conformément à notre nature qu’il a faite à son image c’est-à-dire en pleine solidarité avec les autres, en les aidant à vivre leur pleine humanité, en allant à eux par l’amour qu’il met en nous. »
Il explique que Jésus n’est pas venu en homme de religion qui s’inquiète de nos devoirs envers Dieu et de l’obéissance à sa loi mais il annonce la bonne nouvelle de la façon la plus large et de la plus heureuse à tout le monde : c’est en cela qu’il est un homme nouveau. Dieu n’est pas lié aux lieux de la religion, car il est esprit, ni aux œuvres de la religion, car il a envoyé Jésus sauver les hommes et non les juger ; il n’est pas lié aux appartenances religieuses car « quiconque aime est né de Dieu puisque l’amour vient de Dieu » (I Jean 4,7) ainsi que Jésus le faisait entendre quand il disait recevoir pour lui-même avec gratitude tout acte de bienfaisance faite au profit d’un malheureux par quelqu’un qui ne l’avait jamais vu (Matthieu 25,40).
Page 152 Moingt souligne ce que l’Eglise annonce aujourd’hui (un salut par le fils éternellement engendré de Dieu etc.) alors que dans les écrits des apôtres « nous lisons que Jésus est un homme né sur terre qui reçoit de Dieu la mission d’annoncer sa venue à son peuple d’Israël et que les juifs ont reconnu comme Messie héritier du trône de David et appelé selon leurs traditions fils de Dieu. Expliquer comment Jésus a reçu ce nom au sens de Fils éternel de Dieu exige un passage par l’histoire un peu long que j’espérais éviter, mais auquel je dois me résoudre avant de l’introduire dans la trinité immanente. Il y a été mis dès que les théologiens eurent inventé le mot « trinité » ( trias) vers la fin du second siècle après que le nom de Fils et été donné dans la première moitié du même siècle au « verbe fait chair » reconnu en Jésus. » Moingt insiste sur « la précocité et la continuité avec lesquels la foi au Christ en tant que fils émanant du père s’est imposé et s’imposera aux chrétiens jusqu’au concile de Nicée qui sera unanime pour en affirmer la vérité 3 siècles plus tard » et dit que il est persuadé de « l’authenticité apostolique de cette affirmation » qu’il a l’intention de défendre. (( Mi : Quant à moi je ne pense pas que les chrétiens aient vénéré Jésus comme étant un fils de Dieu avant même d’être mort : je pense que les chrétiens ont considéré que Jésus, après sa mort, avait été en quelque sorte placé à la droite de Dieu comme au titre de fils, et d’un fils particulier, d’un fils unique : comme la mère de Kate Middleton sera peut-être la grand-mère d’un roi sans avoir aucun sens royal. Évoquer la tradition apostolique est précisément et 185 reconnaître que les évangiles épaulent n’haver pas l’intention de faire croire que Jésus se revendiquait comme fils de Dieu à la manière de la filiation terrestre qui suit une chronologie, une hiérarchie, des gênes etc. ))
Moingt décrit l’évolution du dogme de la Trinité page 153 et suivantes.
Un sous-chapitre appelé Le tournant du royaume : Marie et l’Eglise ( pages 160–177)
(( Mi : j’ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce chapitre… il me semble que Moingt ne parle pas ici d’une personne véritable, mais ne le dit pas franchement car elle a l’utilité d’une construction qui étaie une bonne partie des fidèles et de la foi chrétienne. )
161 Moingt rappelle que Marie a peu de place dans les textes mais occupe un espace considérable dans l’enseignement pastoral. L’entrée de Marie avec son titre de mère de Dieu s’organise au début du IIIe siècle.
Page 162 : la figure de Marie est fondatrice dans le nouveau testament, et fondatrice de la libération de la femme en particulier, et des croyants en général, à l’égard des servitudes, des contraintes dans lesquelles la société et la religion tendent à les enfermer ; Jésus a repris dans sa prédication les accents révolutionnaires du cantique de sa mère tout en la tenant à l’écart de sa propre mission ; la figure de l’Eglise en tant que famille de Dieu selon la prédication des apôtres, figure qui est le reflet sur elle de la maternité de Marie, caractérise les rapports nouveaux qui doivent s’établir au sein des communautés chrétiennes ; il y a un rapport entre la virginité de Marie et son élection divine, en tant qu’il se répercute symboliquement sur les relations entre l’Eglise en tant que lieu de transcendance et l’État comme espace sécularisé de coexistence entre tous les citoyens.
1°) D’Eve à Marie : un souffle de libération.
La comparaison de Marie à l’Eglise n’est absolument pas fondatrice de la théologie de l’Eglise et ne sera guère formalisée qu’à la faveur de la proclamation de Marie mère de Dieu au Ve siècle où elle prendra la suite mais sans le remplacer, d’un rapport plus ancien déjà établi vers la fin du IIe siècle par Irénée de Lyon. Selon lui, la joie de Marie et la grâce de joie dont elle a été remplie a reflué jusqu’à Ève mère de l’humanité pour libérer la femme de sa condamnation (enfanter dans la douleur) et la grâce la joie qu’elle en avait ressentie explosa dans le rire etc. de Sarah pour Élisabeth… : Moingt continue toujours à insister sur le plan de Dieu. Certes ces interprétations sont scientifiquement fausses, dit-il, ( l’accouchement sans douleur n’est toujours pas… ! ) mais ils ont donné l’espoir et ont fait penser qu’un autre monde pouvait exister. Ce qui est dit sur Marie ouvre une orientation vers un chemin de liberté. Zacharie fait une prophétie de caractère sacerdotal et cultuel marqué par le patriarcat, Marie prend un langage typiquement prophétique populaire. La première est tournée vers le passé avec le système d’alliance dans le culte ; la seconde est tournée vers l’avenir et vers la souffrance de son peuple, vers l’idée des fraternités, elle entre en résistance au point que le Magnificat a été parfois interdit par les hommes politiques. (( Mi : ici, il n’y a plus aucun travail d’exégèse ni historique ; Moingt essaie d’exploiter ce qui lui semble possible )
2°) De Marie à Jésus : l’invention du sujet
On voit Jésus à son premier discours à la synagogue réutiliser les mêmes prophéties que Marie avait utilisées. Colère des présents. Il réitère dans les béatitudes. Promesse de bonheur. De même Jésus exulte de joie (Luc 10 21) lorsqu’il voit que les petits ont compris qu’il est « fils de Dieu ». C’est un chemin de liberté et d’intimité que Dieu ouvrait à Jésus. Liberté et discernement c’est la manière dont Jésus pratique la Loi. Apparemment Jésus s’est assez vite désolidarisé de sa famille selon l’Evangile et s’est affranchi de la tutelle maternelle. Jésus a donné à tous un exemple dans l’attitude d’indépendance vis-à-vis de sa famille qu’il prit dès le début de sa mission (page 170) cela lui fut facilité par l’hostilité de ses frères à son égard : il n’avait évidemment aucun conflit de ce genre avec sa mère, mais ne pouvait pas la priver du soutien familial : il se résigna donc à la tenir à distance Marie pouvait reconnaître dans les prédictions de son fils un écho aux propos révolutionnaires que l’Esprit Saint lui avait inspirés dans son cantique : ce fut sa consolation en attendant la dure épreuve de la croix. (( Mi : même remarque. Mais en plus Moingt interprète la relation de Marie à Jésus comme cela lui plaît )
3°) De Marie à l’Eglise : une fraternité ouverte.
C’est à partir du IVe siècle que Marie va petit à petit être comparée à l’Eglise, fidèle épouse du Christ demeurée vierge de toutes les hérésies etc.
page 174 il développe la notion de famille de Dieu pour qui l’Eglise qui doit être construite comme un espace ouvert..
Moingt conteste l’historicité de la scène au calvaire.
Il note l’extrême réserve de Jésus à l’égard de sa famille de sa mère : quand ils viennent le voir et même chose dans l’Évangile à l’épisode des noces de Cana. Moingt pense que Jésus avait rompu avec sa famille pas complètement mais assez fortement.
Il discute la présence de Jean et sa signification.
4°) Virginité élection : église, société et état
Moingt dit que Jean ne n’est pas confié à la garde de sa mère mais que sa mère est confiée à Jean.
Moingt ne remet pas en question sa virginité, son état conjugal et sa maternité, tout en disant que c’est un présupposé de la foi. Il utilise le concept d’élection non pour éliminer l’action de l’homme ou la minimiser ou l’humilier, mais pour montrer au contraire le souci de Dieu de l’association au projet salutaire et lui faire porter du fruit infiniment au-dessus de ses capacités. Il estime qu’avec le projet de Dieu reste toujours fidèle à ses promesses et le fait que Marie ait été choisie de toute éternité montre que Dieu est fidèle à ses promesses. Il pense que son interprétation est meilleure et conclut ainsi : « la tradition chrétienne a préféré lui donner le sens d’un miracle biologique, qui a pu, en effet, favoriser la croyance dans les anciens temps, mais qui rendent nos jours son langage si inintelligible à l’ensemble de nos contemporains et à de nombreux chrétiens qui l’empêchent d’associer Marie au projet de Dieu sur son enfant. » ((Mi : je n’entre pas du tout non plus dans ce type de raisonnement…)).
Moingt explique que le fait que Joseph a été obligé de donner à Jésus le nom de son fils porte en germe l’émancipation de la femme de sa dépendance envers son mari est l’égalité de tous les membres d’une même cité, la fraternité des gens issus de peuples étrangers.
Dans ce même chapitre il appuie le fait que l’État a une autorité (page 182 183). Fin
Page 184 et 185 Moingt montre que les attaques portées en France contre la société patriarcale par l’État laïque ont été ressenties par l’Eglise comme des attaques dirigées contre elle etc. Il évoque la situation des personnes divorcées remariées.
« On ne peut passer sous silence le cas tout récent de la reconnaissance de l’homosexualité et du droit des personnes homosexuelles à former des couples reconnus comme tels par la société. L’église catholique, entraînée par ces courants traditionalistes et ceux de l’Eglise orthodoxe ou par les préjugés « fondamentalistes » de plusieurs Eglises protestantes, s’est bruyamment opposée à ces revendications par son soutien et sa participation à la « manif pour tous » (2015), au contraire de l’État français qui a légalisé le mariage de ces personnes. Ce faisant, il sentait que la vie en couple était un besoin essentiel de la personne humaine, quelle que soit son orientation sexuelle, et qu’il ne pouvait pas se soustraire à l’obligation morale de favoriser la formation de tels couples et leur insertion paisible dans la société. Il donnait ainsi un exemple d’accueil fraternel de personnes rejetées par leur environnement social ou leur religion, et il est regrettable que les Eglises se soient comportées en société « closes » et non « ouvertes » sur l’universel humain et sur les avancées de l’esprit humain. »
Il évoque ensuite encore l’euthanasie, « question qui met en cause le concept d’humanité celui de Don et celui de Dieu » et évoque ce sujet les débats concernant les interventions médicales qui leur accorderaient une mort « miséricordieuse ». (( Mi : attention au sens actuel du mot miséricordieux… qui est compris maintenant comme en direction de coupables. Ici l’emploi par Moingt est juste sémantiquement et historiquement puisqu’il reprend l’ancien emploi du terme miséricorde qui désignait en particulier le poignard qui abrégeait les souffrances de quelqu’un.))
Page 186 : La position de Moingt sur l’euthanasie part du fait que Dieu a « donné la vie » et que l’homme ne peut donc être considéré comme un débiteur : « ils ne sont plus pour lui des débiteurs anonymes et chacun d’eux existe sous son regard comme un être unique. » Moingt regrette que l’Eglise ne raisonne pas ainsi : « L’Eglise, cependant, a reçu cette invitation sous le critère contestable d’une interprétation de l’Ancien Testament et de la mort de Jésus, qui voit en tous les hommes des rebelles à la loi de Dieu voué à sa malédiction si son propre fils n’avait accepté de payer notre dette envers lui, d’où il suit que toute existence humaine est due au créateur au titre d’une réparation que nul n’a le droit de lui refuser sous peine de retomber sous la loi qui le condamnait à la mort éternelle. »
Moingt revient sur la signification de la résurrection en Dieu de Jésus qui a donné naissance à un homme nouveau. « Il convient de placer sous cet éclairage théologique le problème de la mort assistée qui vient de se poser à nous (de même que celui des couples homosexuels et celui des naissances assistées dont je n’ai pas parlé), car cette nouveauté change la problématique de tous les questionnements qui interrogent notre rapport à Dieu : une vie qui ne serait plus que souffrances sans laisser l’espoir d’échapper pourrait-elle être reçue comme le don de la vie fait à l’enfant par son père, et ne serait-il pas alors justifié que celui qu’elle accable recoure aux moyens d’en sortir que lui offre l’État en vertu de l’autorité que Dieu lui a donnée sur ses enfants ?
L’idée de Dieu Père des hommes et sauveur en tant que père doit présider de toute évidence à l’annonce du salut dont les chrétiens reçoivent la charge collective de génération en génération. Elle doit imprégner l’idée de l’humanité que cette annonce appelle au salut, non comme un sauve-qui-peut apocalyptique, mais à une existence bonne, heureuse et vertueuse déjà commencée, liée au bien-être paisible de chaque individu et confiée aux bons « soins » de chacun et de la société tout entière, telle que celle-ci est constituée et peut et doit évoluer pour le bien-être humain de ses membres, en vue de s’achever dans l’éternité selon les enseignements exemple de Jésus. »
((Mi : on peut remarquer que Moingt considère qu’effectivement l’État a une autorité qui est conférée par Dieu… étrange idée mais on peut supposer que Moingt y mettra des conditions bien entendu !))
3e grande partie : Salut – l’ancien et le nouveau.
Un salut qui ne se situe pas dans la pratique du culte et la croyance au dogme puisque on ne peut pas y enfermer la vérité de Dieu et celle de l’homme ; mais au contraire un salut grâce à l’ouverture aux non-chrétiens et à toute l’humanité qui ont les mêmes problèmes angoissants qu’eux : les chrétiens ont besoin des autres hommes puisque c’est un problème essentiellement humain à la résolution duquel tous les hommes doivent se sentir conviés.
Page 189 : Moingt est très sévère sur le déclin de l’Eglise : « il n’y aura bientôt plus que les discours traditionalistes à se faire entendre dans les églises occidentales, parce qu’ils ne dérangent pas mais au contraire confortent ceux de nos contemporains qui aspirent à dominer le monde aussi longtemps qu’ils pourront accaparer ses ressources. Mais tel est peut-être la raison majeure de faire entendre à nouveau l’appel à « sauver le monde » qui résonnait dans tous les discours et actes de Jésus. Je sais bien que, ce disant, je passe d’un sens à l’autre du mot monde, et aussi du mot salut : du monde physique, qui est la Terre, au monde spirituel, l’humanité, et du salut temporel au salut éternel ; mais la cause du discrédit où est tombé l’appel de Jésus ne serait-elle pas que le vrai « sens » du salut qu’il a annoncé et accompli se joue et ne peut intervenir qu’à l’intersection des deux sens de ces deux mots ?
Il y a en effet quelques similitudes entre la situation avec Jésus et la nôtre, qui peuvent être qualifiées l’une et l’autre de « apocalyptiques », avec cette énorme différence qu’il y avait place pour l’espérance dans la première alors que la nôtre ne peut compter que sur un sursaut de courage d’une majorité de nos concitoyens »
Page 191 : dans le chapitre qui s’intitule le Salut, Moingt reprend encore l’idée de l’obsession des hommes et de leurs peurs : « nous avons appris de Hegel que le moteur de l’histoire est le négatif, la négation de la négation » par exemple dans la phrase « Sauvez-vous de cette génération dévoyée » disait Pierre (Actes des apôtres, 2,40). (( Mi : il faudrait voir si cette affirmation de moteur négatif est juste !))
Page 192 : Moingt refait un panorama pour montrer que cette question traverse l’Histoire tout entière du monde depuis toute Antiquité.
Rappelons que pour lui Dieu est très actif : il a préparé de tout temps le salut attendu.
Page 194 et 195 Moingt commente encore une fois Luc 10 21 22 qui est également chez Matthieu et chez Jean, ce qui en fait une parole de la source Q : il commente l’emploi de l’expression fils de Dieu : il est intéressant de voir que ce sont les « petits » qui l’entouraient qui l’ont appelé ainsi. « Or plusieurs chrétiens de notre temps s’irritent de son usage estimant que cela revient à nier la vraie origine humaine de Jésus, bien qu’il se défendît, dans l’Évangile de Jean, de blasphémer quand il disait « moi et le Père nous sommes un » en rappelant que la Bible elle-même appelle « dieux » ceux qui écoutent la parole de Dieu (Jean 10, 34 ) et il recevait aussi ce titre, selon la tradition juive de la part de ceux qui le considéraient en tant que fils héritier de David, envoyé par Dieu pour restaurer son trône, référence que Jésus n’aimait pas à cause de ses connotations politiques. » Cela démontre donc que cette expression ne nie pas la provenance humaine de Jésus puisque cette expression peut être employée pour d’autres hommes. Par contre on n’a pas non plus le droit de dire que cette expression signifie que les hommes ne sont pas sauvés s’ils ne le reconnaissent pas comme Dieu et cela ne signifie pas non plus que c’est la mission qu’il donne à ses disciples de faire croire à tous qu’il est Dieu. « Non assurément, il ne lie pas le salut des hommes à leur aptitude métaphysique à le reconnaître pour un extraterrestre, mais à leur sens humain de se reconnaître mutuellement frères et sœurs parce qu’ils ont le même Dieu pour père, et il multipliait les marques de sa profonde humanité pour leur faire comprendre que Dieu les tenait pour ses fils et filles s’ils se comportaient les uns envers les autres en tant que frères et sœurs. C’est exactement le langage que Jésus tient dans l’Évangile de Jean que je viens de citer, et il serait abusif de penser que Jean se serait donné pour objectif d’élever le langage des évangiles galiléens un bon niveau métaphysique. » Quand Jésus dit qu’il est dans le Père et que le Père est en lui ce n’est pas pour revendiquer une divinité mais sa qualité d’envoyé de Dieu, son intimité avec le Père, ses propres efforts pour réussir à faire tout comme lui et ainsi proposer aux hommes de l’imiter.
L’expression Père n’était pas inconnue de la piété juive mais Jésus lui donne une signification personnelle qu’il avait découverte par la prière et qu’il ne voit pas comme une exclusivité puisqu’il invitait ses disciples à prier Dieu en l’appelant également Père (Luc, 11,2) « Il n’avait pas la prétention de révéler Dieu à ses coreligionnaires, si ce n’est la relation toute spéciale qui l’unissait à Dieu en tant qu’elle est constitutive de l’admission royaume de Dieu par la force du lien fraternel qu’elle met entre tous les « élus ».. Il n’y aura aucune preuve exégétique de cette relation : c’est une communion de cœur, une confiance. Lorsque les « petits » l’appellent ainsi, Jésus exulte : cette exultation exprime son grand contentement d’être conforté par Dieu même dans sa mission de salut que ses adversaires ne cessaient de remettre en question, débat qui le poursuivit tout au long de son ministère. Ses ennemis contestaient sa prédication parce qu’elle s’écartait des voix prônées par les docteurs de la loi et les prêtres. « Il n’érige pas la confession de sa divinité en clause décisive d’admission au royaume mais il réclame la confiance en lui pour conduire les élus de Dieu. » Aussi Jésus n’exulte pas de joie uniquement pour l’honneur et le bonheur qu’il ressent d’être appelé fils de Dieu, mais en premier parce que Dieu l’a révélée aux « petits » qui l’entourent et qu’il tient donc également pour ses enfants, dignes d’être appelé eux aussi « fils de Dieu » pour la confiance qu’ils font à Jésus de les conduire à leur Père qui est aux cieux. « Faut-il en conclure que seuls seront sauvés ceux qui auront reconnu Jésus ressuscité en tant que fils de Dieu ? Nullement, car Jésus est allé chercher « les enfants du royaume » n’importe où…
« Au début de sa carrière, il mettait le pardon à ses ennemis comme condition nécessaire et suffisante « afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux » (Matthieu, 5,44) ; à la fin de sa vie, il laissera ses disciples un seul commandement, nouveau, « s’aimer les uns les autres » (Jean, 13,34) : le moins exigeant le plus difficile des préceptes de la foi, justement parce qu’il n’émanait pas de la religion, mais du plus profond de l’humanité de Jésus. » ((Mi : il est difficile de parler ici d’un précepte de la foi…))
page 197 : Moingt explique que le fait d’avoir cherché à lier l’Ancien Testament aux nouveaux pour mieux convaincre à une époque, a assujetti le nouveau testament à l’ancien… il ne faut pas alors oublier les autres paroles que les évangélistes prêtent aussi à Jésus qui « s’érige lui-même en interprète de l’ancienne loi et autorise ceux qui le suivent à faire de même, à la condition qu’il leur tienne lieu de Loi » (( Mi : ou simplement qu’ils reviennent à la vérité de la loi et des prophètes déjà de l’Ancien Testament lui-même …)
Page 199 et 200 : le salut est annoncé comme quelque chose d’heureux et de positif ; une offre, un don gracieux, une libération ; la place des familles est très importante, celle de la communication du dialogue du langage sinon langage d’une nomination patriarcale de village etc.
Page 201 : brèves allusions aux incohérences des synoptiques et de gens par rapport à l’enfance de Jésus.
Page 202 même chose sur les dons de prophètes de Jésus, ses dons éventuels de guérisseur : il note que Jésus faisait sans doute preuve d’intuition et d’empathie et avait une emprise profonde sur les foules etc. Vie de sauveur altruiste exposé à ses ennemis…
page 203 : des morts sont-ils sortis de leur tombeau après sa mort ? (Matthieu, 27,52–53) « mais cet appel au miracle est invraisemblable, démuni de toute garantie historique, et laisse surtout Jésus mourir sur la croix dans un sentiment d’abandon »
Au sujet des apparitions : « voilà encore des appels aux miracles invérifiables est incroyable : comment avait-il repris corps, quel genre de corps, pour en faire quel usage au ciel où il était censé être remonté ? On ne peut pas nier ces difficultés, mais il n’est pas impossible de les écarter en faisant référence à une notion spirituelle de la présence et de l’imagination, à la façon de saint Thomas d’Aquin qui expliquait que Jésus ne s’était pas approché des apôtres par un mouvement local à travers l’espace, mais en se faisant reconnaître d’eux par une interpellation intérieure en réveillant dans leur esprit les sensations qui avaient jadis imprimé sa présence corporelle en sorte que son histoire rebondissait dans celle de ses disciples. »
Page 204 : Moingt essaye de revivre le désarroi des apôtres après sa mort. « Aussi, après les jours de désarroi lors de sa mise en accusation et de son supplice, se sont-ils ressaisis en évoquant leur passé commun avec Jésus et ont-ils senti revivre leur foi ; ils comprirent que Jésus avait repris vie dans le Père en lui rendant son dernier souffle de vie, et témoignèrent qu’il avait partagé leur repas par ce que, en rompant le pain à sa manière, ils avaient le sentiment de continuer le dernier repas qu’ils avaient pris ensemble, et qui s’achèverait bientôt dans la maison du Père. »
Page 206 207 : Moingt ne voit donc pas la Pentecôte comme quelque chose de soudain et de brutales mais au contraire comme une émergence humble et cachée de l’esprit depuis la mort de Jésus. « Avec l’esprit, nous pénétrons aux plus secrets et aux plus pertinent de la foi chrétienne qui ne cesse de penser Dieu dans sa relation au monde et à l’histoire. Car Dieu ne se révèle pas soudain en interpellant les hommes du haut du ciel comme pour manifester sa transcendance par l’incompréhensibilité de sa manifestation. Mais en surgissant d’un retournement de l’histoire sur elle-même qui en renouvelle radicalement l’intelligibilité, en faisant du nouveau avec de l’ancien et en éclairant ce qui était au commencement à la lumière de la vérité qui vient à l’histoire et l’entraîne vers son avenir. Aujourd’hui comme hier, la foi chrétienne énonce son identité en affirmant que Jésus est le Christ, c’est-à-dire la révélation de l’esprit de Dieu se découvrant à l’esprit de l’homme comme la vérité dont il est l’image. C’est pourquoi la foi refuse de se reconnaître dans l’irrationnel d’une lointaine tradition qui s’imposerait à elle autant par sa longévité que par son incompréhensibilité appelée « mystère ». Elle ne la rejette pas, elle renouvelle de fond en comble. »
Page 207 :Moingt ironise sur ce qui pensent décrire, voire définir l’Esprit : « le Saint Esprit, remarquait Saint-Augustin au Ve siècle, n’a rien en « propre », il est et il n’a que ce qui est «commun » au Père et au Fils puisque chacun d’eux est Saint et Esprit, et il se désolait de ne pas savoir dire ce qu’est son origine appelée « procession », ni ce qui la différencie d’une génération. Plaignons les pauvres théologiens mis au défi d’expliquer en quoi le Saint Esprit « complète la Trinité » comme les Pères aimaient le dire, sinon qu’il faut bien un 3e pour faire 3, et excusons de vieilles formules liturgiques qui invitaient à adorer le Père et le Fils, indifféremment, « dans l’unité de la même nature » ou « dans l’unité du Saint Esprit ».Moingt continue dans la même veine : « heureuse confusion etc. » En fait, le don de l’Esprit n’est qu’un prolongement de l’incarnation, selon Moingt et nous unit tous en tant que frères.
Page 208 : cette croyance, cette foi, est intelligible et acceptable même pour ceux qui n’y adhèrent pas : Dieu nous appelle mais il ne menace pas, il ne nous réclame rien ; il vient apprendre à l’homme à se connaître soi-même. Comme Moingt voit bien que cet appel ne nécessite pas l’existence d’un Dieu, il essaie de dire que c’est certainement une aide puissante..
Page 210 et 211 : Moingt suppose que au début les chrétiens ont cru que Dieu avait fait une exception pour Jésus parce qu’il était de la race de David ou d’Abraham pour Israël ; Paul croit que c’est après sa mort que Jésus a été établi fils de Dieu (Romain 1,34).
Moingt essaye de faire le lien entre crucifixion et résurrection il montre que Paul a compris que la mort de Jésus faisait que la résurrection s’étendait même aux païens.
Page 212 : Moingt fait allusion aux deux auteurs de « l’évangile dit de Jean », puis il étudie l’entretien avec Nicodème ; le peuple juif est dépouillé de ses prérogatives exclusives et le salut s’étend au monde entier ; Dieu n’est plus vu en tant que juge c’est-à-dire maître tout-puissant des hommes dont il est le créateur, mais comme Sauveur et dispensateur de la vie éternelle au bénéfice de tous les hommes qu’il aime comme ses enfants. On change ici de monde, de réalités (2 Corinthiens, 5,17), de temps, d’espace, et aussi de testament
Même chose avec la Samaritaine : Dieu est esprit, il est père, ce terme se délie de toute religion des lieux. « De fait, on sait que Jésus avait coutume d’aller à Jérusalem pour les fêtes et qu’il enseignait dans le temple mais on ne le voit pas y entraîner ses apôtres pour prier ensemble et, quand il était en Galilée, il préférait prier dans les solitudes et à l’écart de ses disciples. Dire que Dieu est esprit n’a pas une signification métaphysique mais spirituelle, c’est une façon de se rapporter à Dieu et de l’adorer en esprit, tel qu’il est en lui-même et se rend accessible. » ((Mi : le terme esprit efface d’ailleurs les frontières, rend inutiles les langues etc plus encore que le terme logos ; la métaphore est celle du pneuma qui désigne le souffle ; pour Dieu il utilise la métaphore de Père mais pas biologique ; pour le corps et le sang utilise une métaphore : tout cela indique bien qu’il ne faut pas chosifier ce qui justement échappa des catégories d’espace-temps. La métaphore en elle-même montre cette distance et cette inadéquation tout en la rendant expérimentalement compréhensible même à des gens simples et elle enlève leurs tentations intellectuelles prétentieuses aux intellos ou aux scientifiques, marquant bien la différence des domaines. La leçon de Jésus à ses disciples : apprendre le langage métaphorique. La leçon de Jésus à tout le monde : se mettre au niveau de la vie des gens de chaque personne… ))
(( Mi : le fait d’être adoré en esprit implique qu’il n’y a pas de rite possible ni de fondamentalisme correspondant à une vérité exprimée forcément de façon temporaire et donc périmable))
« Le Père n’est pas ailleurs et n’a pas d’ailleurs » c’est pourquoi Jésus peut être dans ses disciples après sa mort, de même que le père peut également l’être. Parfaite réciprocité d’unité d’amour entre les disciples lui et le Père, parfaite réversibilité du présent dans le futur et de l’avenir c’est pourquoi l’amour est érigé en critère de foi et d’union à Dieu (page 215). « L’amour mutuel est ainsi postulé comme critère de la vérité de la foi en Jésus en tant que fils de Dieu est aussi, par la joie qu’il donne, en tant que vrai homme qui établit les croyants dans leur vérité d’homme. Ce n’est pas une démonstration rationnelle, l’action de l’esprit qui enveloppe l’une dans l’autre, postulation expérience, savoir et sentir. » Nous sommes un seul corps spirituel : il n’y a pas de distance de temps ni d’espace entre la résurrection de Jésus et la nôtre : « Jésus ressuscité ne s’évade pas dans les hauteurs du ciel, ils reste présent en ceux qui l’attendent et en ceux qui le suivent » etc.
((en esprit : ce qui facilite beaucoup d’être un seul corps))
Page 217 : « la place faite à l’amour dans la théologie johannique qui permet aussi de concevoir l’universalité du salut par la Croix de Jésus (toujours conçue comme la voie d’accès à sa résurrection) au bénéfice de ceux qui ne croient pas en lui et qui reçoivent l’appel au salut par d’autres voies que le christianisme, comme le feront mieux voir les derniers textes de notre programme. » ((Mi : Moingt s’efforce toujours de montrer la place essentielle et centrale du christianisme pour le monde et surplombant le temps : cette idée peut être discutée. Pages très discutables ici de ce point de vue christianocentré dans un objectif ouvert et tolérant certes mais néanmoins en fait d’absorption prise en idéal ))
page 218 : (( Mi : Jésus donne certes sa vie pour nous mais Paul et bien d’autres la donnent aussi !))(( Il évoque le don du Père : non, selon moi ceci est excessif, mais ces pages représentent-elles la pensée de Moingt ou celles de Paul ? Rien ne permet de les distinguer…))
Page 218 en bas : « Quant au prologue de l’Évangile de Jean, il convient de le comprendre dans son contexte culturel qui n’est pas le corps de cet évangile– où le nom logos n’est plus jamais donné à Jésus, ni l’Ancien Testament où il prendrait le sens de « parole de Dieu » sans que celle-ci soit personnifiée –, mais la philosophie stoïcienne des premiers siècles de notre ère où ce mot signifie la raison ou rationalité, divine dans son origine, qui ordonnait gouvernent l’univers et les pensées de l’homme. Il serait prématuré de l’entendre au sens personnel de Verbe ou fils engendré de la raison subsistante de Dieu, quoique des théologiens s’y essaient dès le second siècle (Justin), mais, sachant que les Grecs cultivés s’enfuyaient en éclatant de rire quand un prédicateur chrétien leur parlait de Jésus sous le nom de fils de Dieu, alors qu’ils étaient si fier de s’être débarrassé des fils de Zeus, il est plus sûr de penser que le Prologue, voulant faciliter l’accès des païens cultivés à l’Évangile de Jean, où abonde le nom de fils de Dieu, prend le mot logos au sens philosophique courant de raison divine ordonnatrice de l’univers, de pensée, discours, plan : le projet de Dieu de faire connaître aux hommes ses perfections infinies (Romains 1,19–20), de chercher des « adorateurs en esprit et en vérité » (Jean IV,XXIV,), et finalement d’« advenir en être de chair » (Jean I,XIV) pour se faire reconnaître des hommes comme leur Père. » Mais les Jean selon Moingt ne mentionnent plus le nom de Jésus-Christ à propos de l’incarnation (1,14) mais le texte ne le fait venir que plus loin pour introduire au témoignage que lui rendra Jean-Baptiste (1,17).
Page 200 221, Moingt évoque des acteurs favorisés d’une vision du Christ, une vision spirituelle et non corporelle ; d’inspiration par l’Esprit ; de révélation de type intellectuel ;. Cependant il faut noter que Paul n’apprécie pas énormément les paroles charismatiques ou les langages incompréhensibles et qu’il demandait que ce soit traduit en « paroles intelligibles », quitte à recourir aux services d’un « interprète » ( I Co, 14,15–17 et 27-28 ) néanmoins : « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les paroles des prophètes ; examinez tout avec discernement : retenez ce qui est bon » ( I Th 5,19–21).
Page 221 : Moingt caractérise cette étape où l’Esprit joue son rôle après la mort de Jésus : « La recherche menée dans les écrits du Nouveau Testament a dû nous convaincre que l’appel du Christ au salut n’a pas été transmis seulement par les auteurs inspirés de ses écrits et les messagers qualifiés envoyés par le Christ, mais encore par de nombreux autres acteurs, favorisés d’une vision du Christ ou d’une motion de l’esprit, mandatés par leur communauté ou chargés d’un ministère de la parole, sous forme d’interventions individuelles auprès d’auditoires non encore convertis, et non moins souvent d’entretiens collectifs au sein d’une communauté, où la transmission du salut se faisait dans la réciprocité de l’annonce de l’accueil des uns par les autres. Ces constatations et ses conclusions signifient que le christianisme, tant qu’il ne se présente pas encore sous la forme d’une religion dotée d’institutions stables, ce qui se fera dans le passage du IIème au IIIème siècle, peut et doit être considérée comme une Eglise en voie de formation, mais en pleine activité de transmission responsable de la foi – nullement passive et se bornant à obéir à ses chefs, à recevoir de ce qu’elle doit croire et pratiquer, et prompte à communiquer au-dehors, et d’abord au-dedans d’elle-même, ce que quelques fidèles ont appris d’un apôtre, prophète ou évangéliste, pour en acquérir la vraie intelligence par un entretien commun où chacun fait participer les autres aux dons qu’il a reçus de l’Esprit. C’est un stade où l’accueil du salut est encore suspendu à son annonce et où la transmission continue en parvenant à son terme, dans un accueil résolu et définitif.
Ces réflexions nous aident à évacuer une vision « aristocratique » des origines de l’Eglise sortie tout armée des mains du Christ, munis de ses rites et dogmes essentiels, surtout de chefs et de pontifes, ne devant rien aux simples croyants et tout aux pasteurs et docteurs dont il aurait pourvu sans rien laisser à l’invention des fidèles – vision due aux chefs que l’Eglise s’est donnée à une époque ancienne de son histoire où elle en eut effectivement besoin et qui lui furent d’un secours certain. »
Moingt parle même d’auto-transmission de l’appel au salut par les premiers chrétiens aux origines de l’Eglise, et il va en invoquer un exemple avec les hellénistes, à Antioche, c’est-à-dire des chrétiens qui n’ont pas admis que « des juifs et des chrétiens d’origine juive refusaient que des incirconcis soient tenus pour de vrais croyants. Ces hellénistes dénoncèrent ce jugement discriminatoire mais pour ne pas causer de troubles dans les synagogues qui les avaient accueillis, ils s’en allèrent avec leurs nouveaux convertis, et c’est alors qu’ils furent reconnus différents des juifs et reçurent le nom de « chrétien » (actes des apôtres, 11,26).
Enregistrons avec reconnaissance que notre foi doit au jugement ferme et courageux de chrétiens qui puisèrent l’audace dans l’enseignement reçu de Jésus à Jérusalem et qui s’étaient préparés avant même de l’avoir connu, par leur ouverture à « l’air du temps », à l’humanisme que la pensée grecque avait insufflé dans la sagesse juive ou, l’un dans l’autre, à leur aspiration à des temps nouveaux, venu des profondeurs de la prophétie juive et du logos païen, qu’ils trouvaient à satisfaire dans la nouveauté de l’Évangile proclamé par Jésus. » Moingt résume la magnifique découverte de ces hellénistes avec » l’émergence du sujet humain, revendiquant dans la société la liberté que Dieu lui reconnaissait à son égard. » « Ce changement radical de la condition humaine se fit remarquer au nombre de liens familiaux et sociaux qui furent brisés par l’apparition de la foi nouvelle ; ce fut l’explosion du baptême que Jésus avait hâte de recevoir et qu’il voyait se répandre comme un feu récent, les uns contre les autres parents enfants et belle-famille » « modernité », « temps nouveaux », « sortie de religion », « révolution culturelle », « ils étaient des laïcs sans mandat » : « cela ne les a pas retenus de prendre des décisions qui sont restées des traits marquants de la foi nouvelle. » Ils ont refusé » l’assujettissement de la loi juive reconnue inopérante pour le salut » ; « résistance aux autorités ». Ce qui a montré un exemple à suivre à Paul. « Ils ne se sont pas affranchis de tout le religieux mais ils ont contribué les premiers au changement radical de sens que va subir le mot religion en passant du judaïsme et du paganisme au christianisme, à savoir qui ne signifiera plus la relecture et la reconduction (relegere ) d’un rite ou d’un rituel légué par la tradition, mais l’acte de se relier ou rattacher (relegare) à Dieu avant tout par le lien spirituel de la foi et de leur adoration. Or nous savons que ce lien originel est celui du « repas du Seigneur » un repas fraternel qui devenait un culte spirituel, un repas de famille, mais une famille nouvelle ouverte sur l’altérité, et un culte différent des anciens cultes religieux « au point de changer le sacerdoce de sens en le transférant d’un individu consacré à titre personnel exclusif à la « communauté sacerdotale » qui s’offre à titre collectif en sacrifice à Dieu (I P 2,5) sans recourir au ministère d’un prêtre. Conscients de cette nouveauté les chrétiens appelleront bientôt leur sacrifice eucharistie, c’est-à-dire action de grâce, remerciement rendu à Dieu qui leur permettait de se présenter devant lui comme des fils sortis de tutelle, libéré de la « surveillance » de la loi (J’ai à 4,1–7) et donc sacrifice bien différent de ce que les prêtres juifs offraient pour l’expiation des péchés du peuple dans le temple de Jérusalem, puisque Jésus avait effacé dans sa mort tous les péchés des hommes. »
Moingt donne ainsi une importance universelle à cet événement : « la liberté qu’ils ont revendiquée signale l’avènement du sujet, affranchi des contraintes de la tradition et des interdits de la religion, sujet qui osera plus tard réclamer à la société politique le respect de ses droits, et la protection de la loi. Par les divisions qu’elle cause dans les familles, la foi nouvelle prépare leur émancipation de la tutelle patriarcale, et en imposant le respect de l’étranger, invité à partager le repas familial ; elle inaugure le passage des sociétés closes à la société ouverte. Plaçant l’intériorité de la foi au-dessus des pratiques publiques et obligatoires de la religion, elle autorise les sociétés politiques à s’en libérer et à se « séculariser ». Toutes ces innovations, qui produiront leurs fruits dans les siècles postérieurs, font du christianisme naissant un tournant capital de l’histoire humaine, mais leur dépendance des réactions de la société globale laisse prévoir qu’elles ne s’imposeront que sur du long terme. Nous allons suivre leur évolution dans l’histoire de l’Eglise désormais installée en tant que religion. »
Page 225 : Moingt note les 2 fois où le terme Eglise est mis sur les lèvres de Jésus dans l’Évangile de Matthieu uniquement : la première fois au royaume des cieux qui est promis en héritage (Matthieu 16,18), la seconde fois à la communauté de ses disciples qui règlent des disputes avant d’entrer en possession de son héritage (18,17). Le mot vient de la congrégation du Qûmran, marquée par l’eschatologie juive de l’Ancien Testament et désigne la communauté des élus en attente de la venue imminente du royaume. Il est évident que ce mot employé traduit l’importance de cet objectif de la venue finale du Christ que les premiers disciples pensaient voir ( et dont ils escomptaient un « retour » intéressant pour eux) et se rattache donc au thème du « salut (( Mi : thème qui ne manque pas d’aspects discutables… surtout à cause de la thématique élististe et un peu manichéenne de Qûmran, qui est bien différente de celle de Jésus. De plus, le terme Eglise lui-même semble postérieur au Christ dans cet emploi)). Cependant cette venue finale tardant, le terme changea naturellement de sens.
Il indique qu’à Rome le premier évêque date du IIIe siècle.
Page 227 il indique que le symbole des apôtres en ces éléments principaux répartis en 3 articles sont mis en place dès la fin du second siècle. ( on peut supposer que c’est ce qu’on appelle le « symbole des apôtres » ).
Premier article de ce Credo : le Dieu créateur ; soit, dit Moingt, qui regrette cependant qu’on n’ait pas mis qu’il était essentiellement le Père de Jésus. En outre, cette affirmation déclare-t-il « ne veut pas s’imposer comme une explication de l’origine de l’univers mais seulement exprimer la confiance mise en Dieu pour avoir créé l’humanité dans l’intention de former sa propre famille de tous les hommes qui deviendraient ses fils en se reconnaissant dans l’un d’entre eux Jésus ; elle concerne donc le projet salutaire de Dieu » ; « semence de liberté, d’amour, jetée dans l’univers en formation pour que naisse en son sein des créatures spirituelles avec qui Dieu pourrait entrer en communication » etc. ((Mi :. Moingt fait ici un grand effort pour arriver à maintenir l’idée d’un Dieu créateur tout en n’incluant pas pour autant un dessein de « salut » par rapport à du péché)).
Le 2e article de ce Credo présente selon Moingt une grande faiblesse : il affirme d’emblée que Jésus est « fils de Dieu avant d’affirmer sa naissance humaine, ouvrant la voie à la définition de sa génération divine éternelle par le concile de Nicée – obstacle pour des hommes de notre temps à le reconnaître vrai homme et vrai sauveur solidaire de leur histoire. » (( Mi : je suppose que Moingt fait référence ici à ce que penseraient des croyants seulement cars il est impossible que des incroyants peuvent considérer éventuellement Jésus comme sauveur. Néanmoins il est vrai que parmi les croyants certains sont opposés à l’idée que Jésus était fils unique de Dieu, personne de la Trinité incarnée etc.)). Moingt ajoute que la chronologie de la vie de Jésus telle qu’elle est racontée est « conforme à l’eschatologie juive » et « ignore les témoignages de gens et de Paul selon lesquelles Dieu n’a pas envoyé son fils juger mais sauver les hommes » (( Mi : je ne comprends pas cette dernière phrase après « ignore » )) et il ajoute : « sauver les hommes, car il se tenait en Jésus mourant pour les réconcilier avec lui par l’abolition de la Loi etc. » (( Mi : il me semble que Moingt se permet de penser agir à la place de Dieu… ce qui est une faiblesse théologique à mon avis…)).
« Il s’ensuit que l’eschatologie du 3e article est elle aussi déficitaire ». Il concerne l’Esprit, le pardon des péchés, l’Eglise, le baptême, la résurrection de la chair. ((Mi : et je ne suis pas la non plus capable de comprendre ce que Moingt veut dire exactement… mais ce n’est pas tellement grave puisque Moingt va fortement critiquer ce Credo)) page 229 : « Réfléchissons maintenant à la « nouveauté » de l’appellation d’une « règle de foi » un siècle environ après la mort de Jésus : quel sens a-t-elle, à quels besoins répond-elle ? Elle exprime la peur que l’Eglise se soit écartée de la foi de ses origines et la volonté de revenir à l’annonce de Jésus en tant que fils de David et à sa prédication galiléenne du royaume de Dieu : ces sources sont identifiées à l’attente juive. C’est pourquoi l’Eglise inscrit dans ses « archives » les livres de l’Ancien Testament et authentifie ceux du nouveau qui sont « consonants » avec les premiers. Qui en décide ? Les presbytres ou anciens… « etc., « la peur de la nouveauté »..Moingt semble bien se désoler sur ce qu’il décrit comme une déviation par rapport à l’Évangile « Mais, contrairement à ce qu’imaginent des historiens improvisés de l’Antiquité chrétienne, il n’existe pas encore d’organisme central de la foi, ce qui explique tant de variantes du symbole de la foi étalées sur plusieurs siècles. » Moingt revient alors à ce qui a causé le rejet de Jésus par ses contemporains : c’est le rejet par Jésus de la Loi, et donc le rejet de la Loi par les chrétiens : selon lui, c’est le fait que le salut n’était plus réservé à la descendance d’Abraham, que le salut était ouvert à tous les hommes par la résurrection de Jésus. Or, dans le Credo tel qu’il est rédigé, précisément « il manque la visée du salut universel, fondé sur la fraternité universelle des hommes, qui n’est enseignée par aucune orthodoxie, seulement par la contemplation de Dieu révélé sur la Croix de Jésus, en qui les croyants se reconnaissent tous frères égaux devant Dieu. »
Pourquoi ce manque ? Moingt revient un peu en arrière pour affirmer que les chrétiens se sont vite séparés des juifs et que ce n’est qu’au début du IIIe siècle que l’Eglise s’est rapprochée du judaïsme « à la façon biblique du frère puîné qui s’empare du droit d’aînesse de son jumeau, en proclamant l’unité des 2 testaments à son avantage, réduisant l’ancien rôle de préfiguration du nouveau peuple de Dieu, promu au titre de verus Israel, source, hélas !, d’une si longue hostilité envers les juifs. Dénoncer et refuser cette rivalité devrait être pour les chrétiens le moyen de renouer de vrais liens de fraternité avec le peuple de Jésus. Il consisterait à s’éloigner d’une religiosité marquée par ces emprunts au judaïsme, dans la mesure nécessaire pour abreuver sa foi à sa vraie source, l’esprit de l’Évangile.
En effet le motif trouvé par les presbytres ou anciens des communautés apostoliques pour expliquer que tant de chrétiens se soient laissés abuser par les gnostiques au IIe siècle, c’est que leur président n’avait pas reçu la grâce d’une consécration sacerdotale. Ce reproche veut dire que le christianisme n’avait pas encore réussi à s’établir solidement sous forme de religion. Au lieu de chercher pourquoi Jésus n’y avait pas pourvu, ils ont recouru à l’institution de pontifes par Aaron dans le désert durant la sortie d’Égypte du peuple juif, dont fait mention la préface consécratoire de l’évêque d’après le premier rituel intitulé abusivement La tradition apostolique, rédigée vers 215 par l’évêque et anti-Pape Hippolyte de Rome (l’attestation par Ignace d’Antioche d’une hiérarchie à 3 degrés un siècle plus tôt n’a pas été confirmée par les historiens). Le premier souci de cet évêque intrigant, premier prêtre de l’Eglise, fut d’établir un culte liturgique, de proclamer la séparation des clercs et laïcs, de réduire au silence les nombreux ministres de la parole connus par les lettres de Paul, de dresser un autel dans une église, d’en réserver l’accès à l’évêque, son diacre et ses presbutres, membres de son conseil, eux aussi ordonnés et censés participer à son sacerdoce sans y avoir été promus à titre personnel, et de transformer le repas eucharistique en messe à laquelle les fidèles assistaient en répandant Amen quand ils y étaient invités par l’évêque. Cette messe n’était pas encore conçue expressément comme un sacrifice, mais était appelé à le devenir, puisque la raison d’être du prêtre, en particulier dans la religion d’Israël, était d’offrir des sacrifices à Dieu, considérés comme une expiation et une purification des offenses qui lui avaient été faites. Je ne retracerai pas l’évolution de cette institution qui aboutira – au Concile de Trente (XVIe siècle) – à la définition du caractère sacramentel de l’ordination sacerdotale et du sacrifice de la messe, mais je m’interrogerai sur son lien la mort et à la résurrection de Jésus. » Il est clair que Moingt réprouve ce qu’a fait cet Hippolyte de Rome.
« Cette conception sacrificielle semble ignorer totalement l’enseignement de Paul et de Jean comme si leurs écrits, plus tardif et plus disséminés, n’étaient pas parvenues à la connaissance des presbytes romains, responsable de son introduction, qui s’en sont tenus au témoignage de Jean-Baptiste sur le baptême de Jésus (Matthieu 3) et à celui des apôtres sur son dernier repas et sa mort (Matthieu 26,27). (…) Le caractère expiatoire de la mort de Jésus s’imposera à toute la tradition de l’Eglise, malgré ses affirmations. (…) Page 232 : « Quand sa mort sera vue préfigurée par son dernier repas, sa valeur sacrificielle se reportera sur l’eucharistie désormais offerte par un évêque consacré, et cette translation permettra de contourner l’unicité du baptême, moyennant la dévolution aux moines du ministère de la pénitence. » Cet Hippolyte semble effectivement avoir eu une influence déterminante autant que nocive sur la manière dont l’Eglise a continué à évoluer. Moingt poursuit immédiatement page 232 : « Quand celle-ci avait été fixée par l’évêque, le pécheur préférait souvent s’en acquitter, plus discrètement, dans un monastère, et l’évêque l’acceptait d’autant plus volontiers que les moines menaient une vie de « pénitence », vouée au salut des pécheurs, et qu’ils étaient censés être d’excellents guides pour les pénitents à qu’ils offraient de surplus le secours de leurs prières. L’idée s’imposa au VIe siècle de leur demander davantage : d’en ordonner prêtres un grand nombre pour qu’ils puissent célébrer la messe sur semaine pour le salut des pécheurs, surtout de ceux qui n’avaient plus le droit d’être réconciliés par l’évêque. Il s’ensuivit que la gestion de la pénitence échappa bientôt en grande partie aux évêques (ainsi que les « fondations » de messe à leurs bénéfices), qu’ils tinrent de fréquents conciles et décrétèrent des « canons » pour qu’elle leur revienne, mais en vain, et finirent par accepter, au XIe siècle, qu’un prêtre, après avoir entendu l’aveu des péchés, renvoie le pénitent en lui disant : « je t’absous de tes péchés ». Ce fut le début du nouveau régime de la « confession secrète », fréquente et obligatoire. »
L’intérêt de cette histoire, si abrégée qu’elle soit, est de montrer que le fidèle laïc, écarté de l’autel où trône l’évêque et réduit au silence, a quand même réussi à lui imposer le respect de sa conscience de sa liberté. Après de nombreux siècle, c’est vrai, mais il faut tenir compte de l’écart culturel entre les clercs et les laïcs (ces derniers le plus souvent ne savaient pas lire), écart encore accru quand l’évêque ne sera plus l’élu et le représentant de son peuple, mais un dignitaire de l’administration impériale. » ((Mi : je ne suis pas d’accord avec le fait que Moingt interprète cette évolution comme si c’était le laïc qui avait réussi à imposer le respect de sa conscience de sa liberté… Moingt le fait d’ailleurs probablement dans l’intention de commencer à évoquer une idée qui lui sera chère : celle que l’Esprit est toujours resté à l’œuvre en particulier à travers certains mouvements laïcs de spiritualité et de religiosité. Ainsi il continue immédiatement en ajoutant 🙂 « Il importe surtout de remarquer que l’Esprit Saint dont l’évêque a aussi confisqué l’inspiration, a gardé la mission, que Jésus lui avait confiée, d’être le paraclet, le consolateur, le défenseur, l’instructeur des « petits » ; l’Esprit se cachait souvent dans les déserts où il a attiré les fidèles, puis dans les monastères où se réfugiaient les chrétiens épris du désir de contempler Dieu, d’étudier sa parole, de fortifier leur volonté d’échapper à la domination du monde, mais aussi dans des communautés de parole dont les membres redécouvraient leur vocation mystique informée le « corps du Christ ». Grâce à cette action lente et secrète de l’Esprit se préparait l’évolution de ’Eglise et de la société qu’elle animait encore, à mettre au monde « l’homme nouveau » que Paul affirmait être né de la mort du Christ. » (( Mi : c’est un peu facile d’affirmer que l’Esprit saint etc. : il est difficile de parler à sa place et de plus, Moingt vient justement de dire sur quoi les monastères ont fondé leur développement : la pénitence utilisée comme une sorte de chantage, et l’on verra les indulgences, les héritages etc. ; d’autre part on connaît beaucoup d’excès et d’abus qui ont eu lieu dans le désert ou dans des monastères, ( abus d’autorité, abus sexuels, mais aussi par exemple le prêche des croisades, un certain manichéisme, jansénisme etc. etc. ) et enfin on ne peut pas tellement dire que Jésus ou l’Évangile ait prôné ni la vie au désert ni la vie dans les monastères avec toute l’évolution qui a été connue entre clercs et laïcs. Même des saints canonisés ayant vécu dans les monastères ne seraient sans doute pas canonisés aujourd’hui. Les valeurs promues dans ce cadre sont-elles valables à 100 % ? Mais Moingt présente ici les monastères comme un refuge pour les laïcs, ce qui lui offre une transition car il continue immédiatement, certes, mais sur un sujet beaucoup plus général et comme en avance sur sa propre chronologie ici ) : « Ce long effort du laïcat pour faire accepter sa dignité sa liberté de sujet dans l’Eglise, et se débarrasser des contraintes que la religion lui imposait, doit être considéré comme une nouvelle étape, après la prédication de Jésus et celle de ses apôtres, de la « sortie de la religion » que constitue le christianisme, non qu’il serait destructeur de toute pratique religieuse, mais parce qu’il ne vise pas à la domination de la société par la religion et travail à l’émancipation de l’homme, reconnu fils de Dieu, de toute forme de servitude. C’est le point où il s’affronte aussi bien à la religion qu’à la société laïque, l’une comme l’autre désireuses de soumettre l’individu à sa domination exclusive. Dans cette lutte pour la reconnaissance de sa liberté, c’est le chrétien qui est porteur de la dignité du sujet humain et qui travaille à l’opposé à toute oppression émanant de la société en général et, d’abord, de la société politique que l’histoire montre unit depuis toujours à la religion pour réprimer les explosions de l’individualisme. Ce fut la contribution du christianisme à l’humanisme qui va bientôt nous occuper. »
Page 223, Moingt fait donc ainsi la transition entre le Moyen Âge et l’humanisme. Il déclare : « Remarquons encore qu’en revendiquant ses droits à être réintégré dans l’Eglise, le pécheur repenti a fait valoir son appartenance au « corps du Christ » par le baptême et, implicitement, le lien de la communauté chrétienne au sacrement eucharistique qui ne tardera pas à être appelée par la liturgie « le sacrifice du Christ et de toute l’Eglise ». (( Mi : je ne pense pas que les pécheurs du Moyen Âge, illettrés, aient fait de la « théologie » : je pense qu’ils ont tout simplement crié, pleuré et menacé et que leurs dons ont été de puissants arguments, je pense aussi que les membres de l’Eglise eux-mêmes ont été confrontés au problème de l’enfer pour eux-mêmes, et que certains ont vu que trop de paroles de l’Évangile s’opposaient à ces pratiques….. C’est très curieux, mais je ne sais toujours pas sur quels éléments historiques Moingt fonde cette thématique récurrente d’opposition évêques/moines. ). Moingt continue immédiatement :)) « On ne sera pas très éloigné alors de l’idée de Paul et de Pierre selon laquelle la communauté est essentiellement « sacerdotale » en vertu de sa sanctification par le Saint Esprit, ce qui amènera le concile Vatican de restaurer la notion de sacerdoce commun des fidèles » dans un sens qu’il voulait « essentiellement » différent de celui des prêtres consacrés mais qui travaillent selon sa logique propre à les rapprocher l’un de l’autre. » Ici, Moingt fait avancer cette idée de préoccupation humaniste en la rapprochant d’idées contenues dans l’Évangile : : tous les hommes sont les fils de Dieu, engendrés à son image, et ils doivent pour ce motif reconnaître tout homme comme leur semblable, leur égal ; la personne humaine et la relation à l’autre ; l’amour des « petits » est la voie d’accès au royaume de Dieu sans oublier le pardon des offenses ; « c’est aussi que ceci ce que signifie la « résurrection de la chair » : chacun reprendra en Dieu la vie relationnelle qui a structuré son histoire et sa personne. » L’humanisme reprend la pensée grecque qui avait conçu la dignité de l’Homme apparenté à Dieu par son âme comme prédestiné à l’immortalité ; en l’Homme, l’esprit est étroitement uni à la chair et il a droit au salut déjà en ce monde.
Page 234 : Évangile et humanisme
« Notre réflexion repart du changement de la discipline pénitentielles obtenue par les fidèles au XIe siècle, d’autant plus important qu’il mettait fin à une loi dont les évêques déploraient la rigueur depuis plusieurs siècles, mais qu’ils croyaient imposée par la révélation elle-même, à savoir que le Christ est mort une fois pour toutes pour expier les seuls péchés commis avant le baptême, institué pour les remettre, et surtout le péché « originel » auquel aucun homme n’était censé échapper. » Moingt réaffirme que ce sont les fidèles qui ont réussi à obtenir par la voix de moines et de simples prêtres la possibilité d’avoir plusieurs absolutions. Il continue en expliquant que cette « résistance des fidèles laïcs » se prolongeait et correspond également au « courant spirituel de la « dévotion moderne » qui se répandit au XIVe siècle et s’imposa à la reconnaissance des évêques. » (( Mi : cette thématique d’opposition ne semble historiquement mieux fondée que celles concernant le Moyen Âge. ) : laïcs dévots, qui déploraient de ne pas avoir un accès direct à l’Ecriture, à la parole, à la personne de Jésus, à la sainteté et qui était fatiguée de devoir toujours recourir à l’intermédiaire du prêtre, à ses prédications et à ses liturgies pour s’approcher de Dieu. D’où le livre l’Imitation de Jésus-Christ, attribué au moine Thomas a Kampis et son grand succès : « nouvelle preuve de l’aspiration des laïcs à se libérer de l’autoritarisme clérical et de leur dépendance au sacerdoce qui s’interposait entre Dieu et eux ». Probablement un lien avec la réforme protestante du XVIe siècle : ces 2 mouvements signalent « leur impatience à l’égard d’une religion omniprésente qui ne supporte pas qu’on puisse passer d’elle pour s’approcher de Dieu et qui s’opposaient autant à la liberté, surtout à la liberté de penser, réclamée par les hommes des temps nouveaux, qu’au contact direct entre l’Homme et Dieu et à la libre recherche de la vérité de Dieu. »
Également en lien avec eux la « dévotion moderne » et le courant mystique dans les cloîtres avec des religieuses, les femmes de qualité et les messieurs, la soif spirituelle des personnes du monde ; directeur spirituel qui pourra être une femme (Madame Guyon au XVIIe siècle), nombreux entretiens dans des lieux privés, manuscrits anonymes et livres dépourvus des estampilles épiscopales. L’Eglise a vu tout cela avec beaucoup d’inquiétude même si les gens restaient dans l’Eglise ; ils pouvaient chercher Dieu dans la solitude de la contemplation ; « les évêques cachaient mal leur dépit de voir de simples fidèles apprendre les uns aux autres à se rapprocher de Dieu sans recourir à ceux à qui l’Eglise avait confié la « science de Dieu ». » C’était un mouvement d’émancipation bien qu’il restât dans la ligne de l’obéissance à l’Eglise : cela affaiblissait l’autorité de l’Eglise sur une société déjà en voie de sécularisation.
Ajoutons à l’époque les découvertes de la science qui émanaient souvent de croyants et même de clercs qui ne s’attaquaient pas à la foi de l’Eglise, et de savants dont des prêtres qui étudiaient la Bible aussi. Mais l’Eglise se jugeait cependant visée dans son enseignement traditionnel et estimait que ces attaques remontaient jusqu’à l’autorité de Dieu qui lui avait confié sa Révélation. « Sur la question scientifique s’imposait l’alternative « Dieu ou la raison ? » Néfaste à la foi, puisqu’elle a amené des chrétiens sincères à se détacher de l’Eglise pour continuer à penser en accord avec la majorité de leurs contemporains et surtout avec leur propre conscience, tandis que les dirigeants de l’Eglise ne voulaient faire aucune concession à une « vérité » soupçonnée de contredire la révélation. » ((Mi : La rédaction de Moingt est peut-être un peu maladroite ici : il ne s’agit pas tant d’être en accord avec la majorité de leurs contemporains qu’être en accord avec des faits scientifiques ; le mot conscience est ambigu : il ne s’agit pas ici de quelque chose de moral ; le mot Révélation demande à être précisé : pour l’Eglise à l’époque, même si aucun dogme ne l’avait définie, sa propre parole était de toute façon supérieure à tout autre parole humaine et était la révélation entière et infaillible puisqu’elle était censée reproduire la parole de Dieu et être inspirée par l’Esprit Saint.)
Le pape Pie IX a dressé en 1864 le Syllabus, catalogue des erreurs répandues par les philosophes depuis le XVIIIe siècle sur tous les points qui opposaient la science ou la raison à la doctrine de l’Eglise : rationalisme, naturalisme, libéralisme, questions sociales interprétation de la Bible, religion et révélations, etc. sans oublier l’origine du pouvoir, point sur lequel se concentrer de plus en plus l’hostilité de la hiérarchie catholique aux tendances démocratiques croissante des opinions publiques. Tout cela est ensuite regroupé sous le terme global de « modernisme », lequel sera pourchassé jusqu’à ce que le pape Jean XXIII veuille y réagir par le concile Vatican II en adressant « des paroles apaisées au « monde d’aujourd’hui» sur la « condition humaine » et la « vocation humaine », « bref, en tentant une conciliation avec le monde moderne sur le plan de l’humanisme – manière implicite d’avouer que l’Eglise pouvait se faire des reproches sur ce plan et pas seulement donner des leçons aux autres. »
Moingt montre que cet humanisme était contenu déjà dans Jean qui avait été influencé par la tradition sapientielle de l’Ecriture et par la philosophie stoïcienne ; importance aussi des notions de la conscience de soi etc. « Il est tentant d’identifier l’intériorité de l’homme au fait qu’il a été créé, selon la Bible, « à l’image de Dieu », ce qui n’est pas faux, mais à condition de ne pas le transformer en pure vocation surnaturelle et de respecter la volonté de Dieu d’en faire le bien propre et inaliénable de l’homme, de lui laisser la maîtrise de son devenir car la personne est en perpétuelle gestation.… Dans le plein respect de sa liberté et de ses liens aux autres.
Or ce souci de la personne est devenu prépondérant chez les hommes de la Renaissance (…). Mais il ne paraît pas inutile de comparer auparavant l’attitude de l’Eglise envers ses fidèles à celle des parents avec leurs enfants, pour signaler une éventuelle ambivalence du refus de la majorité qui peut émaner des « mineurs » eux-mêmes et qui serait pour l’Eglise un danger égal au tort qu’elle se fait à elle-même en s’opposant au désir d’autres fidèles de sortir de minorité. Beaucoup de parents ne savent pas reconnaître le moment qui ne dépend pas toujours de l’âge où leurs enfants deviennent « majeurs » et voudraient être traités comme tels, et bien des conflits auraient pu être évités si les premiers avaient su à temps laisser l’enfant prendre des décisions qu’ils auraient pu contrôler, ainsi que les parents apprennent mieux à le faire de nos jours que dans le passé. » Les évêques et les prêtres font parfois erreur en s’obstinant à poursuivre l’instruction religieuse des jeunes sans se rendre compte « qu’ils sont devenus rétifs à recevoir du dehors ce dont ils ne sentent pas le besoin au-dedans d’eux » « le conflit est encore plus grave quand le prêtre continue à traiter en enfant l’adulte qu’il a connu plus jeune, dans l’idée que le laïc reste toujours « mineur » sur le plan de l’accession à la foi. Ces prêtres et ces parents tombent sous le reproche que Jésus adressait à ses adversaires de ne pas savoir observer les « signes des temps » (Matthieu 16,3), Le moment où il faudrait savoir changer de langage pour être compris de personnes qui ne se situent plus sur le même plan où nous les avions connus jadis. Jésus visait surtout les légistes (…) alors que les hommes de ce temps-là le cherchaient dans un monde qui n’était déjà plus celui de leurs ancêtres. (…) À la question : « Qu’est-ce que les Lumières ? », Emmanuel Kant répondait en 1784 : « c’est la sortie de l’homme hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. » La seconde partie de sa réponse évoque le cas, souvent passé sous silence, où le refus de la majorité vient du « mineur » lui-même, peu empressé (même s’il est devenu adulte) à se charger des responsabilités dont ses parents ou ses prêtres s’acquittent à sa place. Un historien de l’Antiquité grecque cherchant à comprendre l’effondrement du rationalisme du IIIe siècle sous les attaques de la religiosité, retient comme explication décisive « la crainte de la liberté, le refus inconscient du lourd fardeau de choix individuels qu’une société ouverte impose à ses membres » (E.R. Dodds) . Ces deux réflexions, de Kant et de Dodds doivent être prises très au sérieux parce qu’elles montrent que le plus grand danger, pour l’État comme pour l’Eglise, ne vient pas de citoyens ou de fidèles empressés à revendiquer leur part de responsabilité dans le gouvernement, mais de ceux qui en laissent volontiers la charge à d’autres pour s’occuper de leurs intérêts privés ; l’État et l’Eglise ont donc intérêt à favoriser l’engagement de leurs membres au service du bien commun plutôt qu’à se méfier de leur appétit de pouvoir. »
Moingt note que l’humanisme évangélique s’est répandu dans le monde et d’autre part que les membres de l’Eglise avaient aussi indiscutablement accompli beaucoup de bonnes choses.. Mais comme l’Eglise a réagi en condamnant les Lumières, elle fut alors dénoncée par les Lumières comme ennemie de la liberté, de la raison et de la science.
Dès lors on voit comment on arrive à la situation actuelle. Les philosophes et les savants se dressent contre l’autoritarisme soupçonneux de l’Eglise soutenue par nombre de théologiens et se présentent en vrais promoteurs de l’humanisme vu sous l’angle de la défense des droits de la raison. L’Eglise les dénonce alors comme athées et beaucoup le deviennent. Cet humanisme philosophique perdant le sens de Dieu perd également le sens de l’homme ; il est mené par une raison abstraite, l’homme n’est plus conçu du point de vue de sa relation à l’autre mais en tant qu’individu et le plus souvent soucieux de défendre ses droits. Humanisme glisse ainsi au sen d’individualisme et se définit même aujourd’hui comme post-humanisme, ce qui veut dire qu’il ne défend plus la cause de l’humanité mais celle de l’individu et même se révèle être un anti-humanisme puisque l’individu promeut sa croissance même au détriment de celle des autres et revendique le droit de chacun à utiliser les découvertes des sciences pour devenir capable de performances inaccessibles à l’homme laissé à ses capacités naturelles, et même d’échapper aux limites de la mortalité. L’anti-humanisme ou le post-humanisme se révèle aussi dans un dans un droit à accaparer à son propre profit les plus grandes masses possibles d’argent et les ressources de la nature au détriment du reste de l’humanité : on s’abrite sous le terme de loi du marché comme s’il résultait d’un équilibre naturel.
Page 243 :Moingt fait une synthèse de la manière dont l’Eglise annonce le salut de depuis le IIIe siècle par son culte et par sa prédication et il pose une question à la fin : Est-ce ainsi que nous pensons continuer à le faire ?
Voici sa synthèse : « Est-ce le Dieu des juifs, maître tout puissant du monde qu’il a créé ou un Dieu qui se révélerait en Jésus pour la première fois (…), un créateur qui est Dieu de la loi au nom de laquelle Jésus a été condamné à mort, un Dieu qui n’a rien fait pour venir à son secours et dont les chrétiens avaient rapidement et justement abandonné la loi ?. (…) Les chrétiens ont protesté, à grand renfort de citations tirées des 2 testaments, que Jésus avait toujours tenu le Dieu de ses Pères pour son propre père, et même ils ont entrepris de démontrer, un peu tard, que Dieu l’avait engendré dans son éternité de sa propre substance et l’avait envoyé prendre chair de la vierge Marie, pour expier par sa mort la faute dont nos premiers parents avaient investi toute leur descendance, mais que ces mêmes chrétiens, se sentant coupables de ne lui rendre aucun culte, s’était résignés à donner un successeur aux pontifes juifs pour offrir à Dieu son corps et son sang en sacrifice pour nos péchés, ainsi que Jésus, disait-il, en avait donné l’ordre à ses disciples au cours de son dernier repas avec eux. »
Moingt répond : « Il n’y a pas beaucoup d’hommes de notre temps, fussent-ils restés chrétiens, qui ne tiennent une telle annonce pour un mythe semblable à tant d’autres récits des temps antérieurs à l’écriture de l’histoire, respectables pour leurs efforts de comprendre les origines de nous venons, utiles même pour appréhender le mystère qu’elle recèle car elle échappe toutes à nos investigations, des récits que nous lisons avec piété si nous en comprenons les ressorts mais où nous ne devons chercher rien de vraiment historique, non seulement rien que nous pourrions vérifier par nos méthodes historiques, mais encore rien dont nous subirions les effets dans l’histoire où nous vivons. Le péché originel, clé de voûte de notre système dogmatique, n’a aucun fondement sérieux dans l’Ecriture, dans la tradition, à part quelques allusions obscures à la faute d’Adam, « par qui le péché est entré dans le monde » (Romains 5,12), mais ce n’était que la « faute d’un enfant » « , objectait Irénée au IIe siècle, avant qu’Augustin, 3 siècles plus tard, n’en fasse la cause nécessaire de la venue du fils de Dieu dans la chair et de sa mort expiatrice pour sauver tous les hommes, et qu’il ne s’en serve pour justifier la nécessité de baptiser les petits enfants dès leur naissance sous peine qu’ils aillent en enfer. Et il fallait que Jésus fût vraiment Dieu pour offrir à son Père une réparation égale à l’offense qui lui avait été faite et que l’eucharistie soit un vrai sacrifice de Jésus pour renouveler perpétuellement son offrande. Mais pourquoi a-t-elle besoin d’être renouvelée ? Parce que la faute d’Adam, expliqueront les théologiens, quoi que expiée par Jésus et purifiée par le baptême, ne cesse de pousser des rejets qui conduisent au péché si on ne s’y oppose pas avec détermination. Ainsi la vision du chrétien est-elle obsédée en permanence par le mythe des origines, que lui rappelle, chaque fois qu’il entre dans une église, le baptistère et les confessionnaux – encore une fois, ce mythe est-il vraiment l’annonce du salut que nous avons à faire ? »
Moingt demande qu’on relise les 2 hymnes qui ne sont probablement pas de Paul dans leur configuration actuelle mais où nous reconnaissons la pensée de Paul et son style : épître aux Éphésiens, 1,3–10 et Colossiens 1, 12–20.
Voici les 2 textes : Éphésiens : Béni soit Dieu, le Père de notre seigneur Jésus-Christ, (…) il nous a choisis en lui avant la fondation du monde (…) il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ (…) En lui, par son sang, nous sommes délivrés, en lui, nos fautes sont pardonnées (…). Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ.
Colossiens : Avec joie, rendez grâce au Père (…) qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres et nous a transformés dans le royaume du fils de son amour (…). Il est l’image du Dieu invisible, premier-né de toute créature, car en lui tout a été créé (…), et il est, lui, la tête du corps, qui est l’Eglise. Il est le commencement, premier-né d’entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier rang. Car il a plu à Dieu (…) de tout réconcilier par lui et pour lui (…), ayant établi la paix par le sang de sa croix.
Moingt cite (page 244) ces deux hymnes où il perçoit que les chrétiens ont vu dans la mort et la résurrection de Jésus l’accomplissement d’un salut global de l’humanité décrété et mis en œuvre par Dieu dès le début de la création. Il s’agit encore d’un mythe des origines car cela se déploie dans le temps, mais en fait ce n’est pas un vrai mythe car l’action de grâce remonte de la résurrection de Jésus jusqu’au projet créateur de Dieu. Moingt répond ici de façon complexe car il nie qu’il y ait ici la notion de créateur puisque les hommes sont libres en quelque sorte de se laisser ou non réconcilier par Jésus. Il voit la résurrection de Jésus comme la fin de l’histoire. « C’est pourquoi l’annonce du salut selon la tradition apostolique n’a pas eu besoin de faire appel aux mythes que véhicule la tradition de l’Eglise depuis qu’elle s’est raccrochée à la tradition du judaïsme » : pas d’enfant royal incarné dans une vierge ni un fils éternel de Dieu envoyé dans la chair expier l’injure faite à son père, ni de sacrifice qui rappelle aux hommes leur dette envers Dieu et la menace qui pèse sur eux…. Moingt insiste (page 245) sur le fait que, avec ces traditions apostoliques, tout est « vrai » : « que Jésus soit un vrai homme, tiré de l’histoire par un père et une mère, et passé par la mort à la vie en Dieu pour que nous puissions être à notre tour adopté en lui par Dieu ; que le salut soit la vraie salutation de Dieu aux hommes et le bonheur qu’ils se souhaitent et se donnent les uns aux autres par l’effort commun de se réconcilier entre eux ; que la victoire de Jésus sur la mort soit pour tous les hommes, même non chrétiens, la voie d’accès à la vie éternelle ; que l’eucharistie soit une vraie action de grâce, exempte de toute inquiétude et menace, l’expression de notre gratitude envers Jésus pour avoir ouvert la maison de Dieu à tous ceux qui reçoivent les autres à leur table. L’annonce du salut est vraie quand tous les mots qui la composent sont dits et peuvent être compris dans leur vrai sens par ceux à qui nous nous adressons. » (( Mi : ainsi Moingt dépasse la quasi-totalité des dogmes pour retrouver un noyau vrai et joyeux d’ Évangile))
Page 246 : Moingt estime que nous ne pouvons pas annoncer Dieu aux autres religions comme cela avait été fait précédemment. En effet « depuis qu’elle a pu se répandre dans le monde entier avec l’aide de l’empire romain, l’Eglise se présentait en tant que religion porteuse du salut qu’elle annonçait, sans comprendre que ces peuples disposaient dans leur culture propre de mythes, pratiques, rites, croyances et observance religieuse qui les détournaient d’une autre religion ; sachant cela, nous devons annoncer la vie éternelle que Jésus a acquise pour tous les hommes en son sang et promise à tous les hommes à la condition de pardonner à ceux qui nous ont fait du mal et d’aimer les autres comme il nous a aimés, mais sans autre condition onéreuse, comme ont su le faire les chrétiens des temps apostoliques avant le que l’Eglise ne soit devenue religion. » ((Mi : dans ce paragraphe, même si on peut se réjouir que Moingt soit ouvert à la tolérance, il y aurait beaucoup à discuter ! Y compris dans ses affirmations concernant la foi catholique…)
page 249, Moingt se demande si Dieu ne peut pas être connu par la raison humaine et serait-il commun d’autres religions ? Bien sûr que oui, répond-t-il « mais croire en Dieu n’est pas affirmer qu’il existe, c’est décider de lui faire confiance et choisir d’orienter notre vie en fonction de lui ; sur le plan formel, la foi n’est pas un jugement d’existence, elle est acquiescement à la venue de Dieu vers nous et sa venue précède notre assentiment à sa parole.» (( Mi : un peu dur pour moi ces distinctions…)). « Il est facile de croire en Dieu, puisque l’immense majorité des hommes y a cru depuis les temps les plus anciens et jusqu’à une époque toute récente ; mais beaucoup moins de faire valoir qu’on a raison de croire en lui face à l’irrésistible montée de l’incroyance autour de nous. Alors notre foi se réduit-elle à une opinion faible, consciente de croire avec si peu de raisons de le faire ? » Moingt dit que la foi nous presse quelles que soient les circonstances « parce que le don qu’elle nous fait requiert d’être transmis à d’autres. »
Il faut avoir le courage de « protester que nous pensons et pratiquons la même foi autrement que dans le passé et que beaucoup de chrétiens d’aujourd’hui, parce que et chaque fois que les points fondamentaux de la foi sont mis en cause. ».
Quels sont les fondamentaux pour lui ? c’est « la foi en Dieu en tant que Père universel des hommes et son indispensable corollaire la foi au Christ en tant qu’il est le vrai homme en qui Dieu adopte pour fils tous ceux qui apprennent de lui à vivre en hommes. »
Pour Moingt il y a 2 sources différentes de la révélation de Dieu en Jésus :
– premièrement les évangiles galiléens d’où est sorti le dogme chrétien de Dieu père d’un fils qui deviendra homme dans la chair de Jésus
– et deuxièmement l’Évangile johannique qui révèle Dieu père adoptif des hommes en Jésus devenu fils éternel de Dieu par sa résurrection ;
– troisièmement le passage incessant par Paul qui s’occupe en gros de l’incidence de tout cela sur nous-mêmes.
Dans les évangiles galiléens, Jésus est appelé de temps en temps fils de David et, après sa mort et sa résurrection, ils ont attribué ensuite la conception et la naissance de Jésus à une intervention de la puissance du Très Haut sur les modèles de récits juifs et païens, de conceptions miraculeuses ou extraordinaires… mais pas forcément d’enfant de Dieu. Ainsi Luc, 1,35 : la puissance du très Haut est intervenue en Marie pour qu’elle conçoive un fils «appelé fils de Dieu ». Cette expression fils de Dieu pouvait avoir un sens général, mais, bien plus tard en lisant le prologue de Jean, certains feront un amalgame en estimant que c’est ce logos de Dieu qui a pris chair de Marie, en Jean 1,14 . « Les Pères de l’Eglise trouveront plus tard dans ces 2 versets, qu’ils ne cesseront d’accoler l’un à l’autre, la preuve de la génération éternelle en Dieu d’un fils, inconnu de la Bible, devenu homme en Jésus. »
En réalité dans Jean le logos était simplement un des aspects de Dieu, un des aspects que l’homme peut un petit peu saisir.
Moingt ne fait commencer la vie de Jésus qu’à son baptême. Il se désigne parfois sous le nom de Fils de l’Homme ce qui a plusieurs interprétations, et entre autres celle qui veut qu’elle insiste sur un aspect universel de la mission qu’il se donne auprès de l’Humanité, alors que beaucoup de ses auditeurs juifs auraient volontiers réservé le privilège et les bienfaits à leur propre peuple.
Page 156 : quand Jésus veut faire connaître son intimité avec Dieu, il dit : « je suis dans le Père et le Père est en moi » et nous voyons bien qu’il ne se confond pas avec le Père ; par ailleurs il dit également « Vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous » (Jean, 14,10–20) : c’est un langage d’intimité profonde et non d’identification. ((Moingt dit cela pour souligner que Jésus n’a pas prétendu être une personne de la Trinité quand il était sur la Terre… Compliqué). ((Mi : Moingt considère néanmoins que Jésus est intégré en quelque sorte dans la Trinité après sa mort, mais qu’il n’y a pas de notion de temps pour cela, de temps humain s’entend, et qu’il peut donc y avoir sans doute été avant dans l’esprit de Dieu… ))
Moingt n’accepte pas la Trinité « immanente », en soi pour soi, mais accepte très bien la Trinité « économique », celle qui vient à nous dans l’histoire pour nous sauver. Il relève les incohérences et les impossibilités du dogme de la Trinité, tel que défini au concile de Chalcédoine (page 256).
« Progressivement, le salut avait changé de signification : en lui ce n’était plus le témoignage volontaire rendu par sa mort à l’amour du Père à notre égard mais l’acte de justice » « au-delà de la mort par le jugement incertain » qui condamne « les hommes aux joies ou aux peines éternelles. Voilà ce qui a détourné du salut et de la foi tant de chrétiens de notre monde et de notre temps, et qui rend urgent de revenir à la juste idée de Dieu révélant Jésus que nous avons apprises de la prédication de Paul et de Jean. » (( Mi : je n’arrive toujours pas à comprendre comment Jésus a rendu un témoignage volontaire à l’amour du Père en mourant… Il me semble que cette idée aussi a pu éloigner les hommes du Christ ou de Dieu ou de l’Eglise, par son côté absurde tandis que l’autre les éloigne peut-être par la peur personnelle et le remords, ou par l’horreur d’un Dieu qui crée aussi mal ))…
page 258 : « l’idée de Dieu que renvoie l’eucharistie selon la tradition de l’Eglise était devenue insoutenable à l’homme des temps modernes : celle d’un père qui se réjouirait qu’on lui remette en mémoire l’image d’un fils immolé pour venger son honneur dans le fantasme d’un corps – corps glorieux inapte à la souffrance ou corps terrestre ramenée à la vie pour lui offrir ce spectacle ? Mais c’est une tout autre idée que nous renvoie l’eucharistie chez Paul, – celle de la famille que le père réunit et nourrit pour l’adjoindre au corps de son fils revenu près de lui, ou chez Justin –, d’après qui ce repas avait pris le caractère plus rituel d’une action de grâces rendues au Père pour les bienfaits de sa création, où revivait le souvenir du premier culte homérique offert par le père de famille qui ouvrait sa porte un étranger affamé, ennemi (hostis) possible transformés en hôte ( hospes) inoffensif. »
Page 264 : Moingt est très ouvert certes, mais témoigne quand même d’une forte notion de supériorité car il propose aux hommes non croyants d’apprendre « de Jésus le vrai sens de l’homme » et qu’ils contribuent « de concert avec leurs amis chrétiens, à une humanité heureuse et fraternelle. » etc.
Page 264 : « annoncer le salut en Eglise et de sa part. Est-ce nécessaire de l’annoncer de cette façon ? Je le crois puisque le message a été confié à l’Eglise et que le salut éternel est en elle en tant que corps du Christ. » (( Mi : c’est là qu’on voit clairement que la boucle est bouclée… et qu’une partie des raisonnements a été fondée il me semble sur un préjugé ou un a priori, qui n’ont certes rien de méchant mais qui faussent la perception de la relation des hommes à Dieu, si on croit en Dieu, et qui ont des conséquences encore beaucoup plus graves bien entendu pour ceux qui ne croient pas en Dieu.)) « Mais je dois vite ajouter que ce ne sera pas facile, car il faudra bien la quitter de quelque façon pour aller au monde qui ne va plus à l’église. Toutefois cela s’est déjà fait de manière institutionnelle, puisque les premiers chrétiens n’avaient pas d’églises, de prêtres ni de culte, et qu’ils étaient très conscients de former l’Eglise corps du Christ quand ils se réunissaient à quelques-uns pour partager « le repas du Seigneur » auquel des juifs ou des païens pouvaient assister, et cela se fait encore de nos jours quoique de façon non officielle en beaucoup de lieux où des chrétiens se réunissent en dehors des églises et sans prêtre, et rencontrent des gens d’alentour non-pratiquants ou non-baptisés qui se joignent parfois à leur prière. Puisque c’est déjà fait et se fait encore, l’annonce du salut hors de l’institution religieuse, qui en garde la responsabilité mais n’en a plus la capacité, n’est pas à inventer de toutes pièces, mais requiert autant de sagesse que de courage, d’innovation que de fidélité, pour atteindre un monde autant éloigné de l’Évangile que d’un vrai humanisme. »
Moingt indique alors que ce qui l’inquiète le plus, c’est que l’Eglise n’annonce pas le salut « de la seule manière qui serait vraiment compréhensible, depuis qu’elle s’est rattachée à un passé qui n’était plus le sien puisque Jésus en avait été expulsé. ». Il déclare qu’il a vécu lui-même au long de ces dernières années « la mise en question de cet enseignement, que la tradition de l’Eglise s’était écartée de celle des apôtres pour lui donner de plus stables fondation, en deçà de Jésus, dans la religion qu’il avait mis au monde. »
En bref, Moingt conteste donc le fait que l’Eglise a donné des racines juives trop fortes, beaucoup plus fortes que celles que Jésus avait lui-même souhaitées. Pourquoi ? Parce que cet homme avait été « accusé de blasphème par les chefs de son peuple », ce qui donnait une très grande fragilité dans le monde à son groupe de fidèles et à l’annonce de la Bonne Nouvelle, et donc que ses disciples pour donner un fondement plus solide pour répandre sa Bonne Nouvelle, ont utilisé différents moyens, avec l’Empire romain puis avec la chrétienté médiévale ((Mi : et j’ajouterai l’absolutisme royal)). L’Eglise par son Evangile a longtemps néanmoins semblé une porteuse de liberté mais depuis que le monde a acquis plus de liberté en tous domaines, l’Eglise en est venue à « condamner des libertés qui se retournaient contre elle, plus exactement contre sa constitution hiérarchique qui lui donnait du pouvoir dans le monde tant qu’elle en soutenait l’ordre, mais à quel prix ? Pour garder sa place et son influence sur ce monde avide et cruel, l’Eglise dérogeait aux préceptes donnés par Jésus à ses apôtres de se tenir au rang des « pauvres » et des « petits » (Matthieu, 20,25–27) et à l’interdiction faite par Paul aux Eglises de mettre des différences entre les fidèles selon qu’ils sont circoncis ou païens (Romains, 10,12), cultivés ou barbares (Colossiens 1,3, 11), citoyens ou métèques ( I Corinthiens, 12,13), hommes ou femmes (Galates, 3,28). Elle était en rupture avec ses règles fondatrices depuis qu’elle avait instauré au IIIe siècle la distinction entre clercs et laïcs, qui avait vite départagé les gens selon qu’ils étaient instruits ou incultes, riches ou pauvres, considérés ou non, de sexe masculin ou féminin. L’Eglise perpétuait et sacralisait dans son gouvernement et son fonctionnement les traditions patriarcales des sociétés anciennes, hostiles à l’évolution du statut social des individus et à l’émancipation des classes et des personnes tenues pour inférieures, et cet ordre sacré – son Ordre sacerdotal – rend toujours inaudible les appels à se réformer selon l’esprit de l’Évangile qu’elle voudrait lancer au monde aujourd’hui, alors qu’elle est incapable de rénover ses propres structures et n’en éprouve même pas le besoin, du moins au niveau de ses instances dirigeantes.
Voilà pourquoi l’Évangile doit être annoncé par des laïcs émancipés de l’ordre sacré, afin d’être écouté par un monde sorti de religion, mais demeurés en lien avec l’Eglise universelle, afin de montrer que son appel émane du Christ dont elle est le corps. Les fidèles désireux de parler au monde se réuniront dans des lieux qui ne sont pas habituellement affectés au culte, où ils pourront accueillir des personnes d’autres religions ou qui ont rompu tout lien religieux, s’entretenir avec elle des problèmes de la vie courante des uns et des autres de leur environnement, jugés à la lumière de l’Évangile, pratiquer avec celles qui le désireront l’eucharistie que Jésus avait donnée à ses disciples sous la forme d’un repas fraternel, ce qui n’empêchera pas ces laïcs de participer aussi, au rythme qu’ils voudront selon l’usage courant, à la messe fréquentée par les autres fidèles, pour entretenir leur lien avec l’unique Eglise que représente l’évêque. Voilà ce que signifie le désir de ses laïcs de « faire Eglise autrement » : une Eglise désencombrée du conformisme qui voile son visage évangélique, davantage immergée dans le monde pour lui communiquer l’esprit de l’Évangile, à l’écoute de l’Esprit qui gémit dans la création (Romain 8,22–23). »
Moingt demande que les fidèles se saisissent des problèmes de façon libre et se contentent de prévenir l’évêque après coup de ce qu’ils font. Les évêques savent bien, « même s’ils le déplorent, qu’ils ne peuvent plus commander aux fidèles leur manière d’être et de rester chrétiens comme ils le faisaient dans le passé, et peut-être se rendent-ils compte que leur obstination ancienne à identifier fidélité à l’Évangile et obéissance à leurs décrets a plus fait pour diviser l’Eglise et la vider de ses fidèles que le désir de ces derniers de suivre le Christ dans la liberté à laquelle ils se sentaient appelés par lui (Galates 5,1).
Ils voient bien que nombre de fidèles se rapprochent de la devotio moderna du XIVe siècle, «à part ceux qui sont plus rassurés de suivre une ancienne tradition liturgique, plus attrayante et moins exigeante que l’ordre de Jésus d’aller au monde. »
Moingt ne voit rien dans le Nouveau Testament qui s’opposerait à l’ordination d’hommes mariés et à la promotion de femmes au diaconat puis à la prêtrise. Mais il pense que cela ne ferait que ranimer la vieille institution sacerdotale, ce qui présente de graves inconvénients.
Moingt prône une égalité dans l’Eglise dans le culte, dans la parole, par des élections, des mandats, à tous les niveaux, par des consultations, tout en observant quelques règles démocratiques pour éviter les dérives et les abus, y compris d’ordre spirituel.
Moingt s’inquiète du succès des églises évangéliques fondées sur l’attente des guérisons et des promotions et des avantages matériels ou tirés de la protection de pouvoirs politiques ou économiques. Il ajoute que cette critique, il la fait lui-même aussi à son Eglise dans le passé : « nous avons été les premiers coupables à quelque degré de ce que nous reprochons aux évangéliques. » Nous ne devons pas avoir « l’espoir de faire advenir le ciel sur la terre mais de la rendre plus habitable. » Habitable au plus grand nombre de ses habitants, privés des moyens de vivre, de bon air, de bonnes terres, d’eau potable, de logement, de travail, d’aide, de fraternité… d’où la nécessité de travailler avec d’autres gens qui ne se disent plus chrétiens et partagent le même rêve, la même ambition. « Doivent-ils nous rejoindre pour cela ou n’est-ce pas plutôt à nous de les rejoindre ? Pour répandre l’esprit de l’Évangile ? Bien sûr, mais tout autant pour bénéficier nous-mêmes de ce qu’ils ont gardé l’esprit du christianisme et de ce qu’ils ont commencé à faire sous son influence pour transformer le monde. »
La vie des premiers chrétiens consistait à « ne pas se conformer au monde présent » (Romains 12,2), à « s’aimer les uns les autres » (13,8), et à combler l’espérance des nations (païennes) par l’annonce de l’Évangile (15,9–13). Ce programme est largement suffisant et n’a pas besoin de s’occuper de l’aspect religieux : nous pouvons ouvrir ou participer à des chantiers sans lien avec les institutionnels, sans nous méfier à l’avance de l’orientation laïque de ces chantiers ni nous étonner après coup de leur conformité à l’Évangile sur bien des points car le monde est tout entier imprégné de l’esprit du christianisme même s’il affecte de ne pas s’en souvenir. Il est imprégné non seulement du christianisme, mais aussi de la sagesse juive, grecque, hébraïque, et d’autres religions encore plus anciennes « tout cela étant dû à l’action du logos divin qui préparait de tout temps la venue au monde de l’envoyé de Dieu. Je ne dis pas ça pour glorifier la religion chrétienne mais pour reconnaître ce qu’elle doit à l’histoire du monde : « ce qu’elle doit », c’est-à-dire ce qu’elle doit lui donner en échange conformément à la mission dont Dieu a chargé l’Eglise envers les hommes qu’il a adoptés pour enfants – mission de bienfaisance, d’héritage familial, non de prosélytisme. » (( Mi : toujours aussi gênée par un logos divin qui prépare les choses à l’avance sur Terre…))
Page 270 et 271, Moingt déclare que Dieu « souffre de l’état présent de l’humanité, qu’il inspire lui-même l’attente de nos contemporains proches ou lointains de se plaindre de n’être pas respectés dans leur dignité humaine et nous inspire à nous-mêmes, chrétiens, de nous sentir responsables de cet état de choses si nous ne travaillons pas à le transformer par l’annonce de l’Évangile » etc. ((Mi : très mal à l’aise quand on fait dire ou faire des choses comme cela à Dieu… mais l’objectif de Moingt n’est pas de s’étendre sur cela mais de dire que Dieu souffre plus de cette situation que de voir ces églises vides)) « L’annonce de l’Évangile, c’est sa prise en charge pour faire advenir la Bonne Nouvelle dans un monde qui en deviendrait effectivement meilleur. Cela s’est-il ainsi passé ? Non, hélas, car nous avons cru que Dieu réclamait davantage d’encensements et de prostrations, ce qui ne coûte pas tellement d’efforts, alors qu’il nous demandait d’assumer notre part de l’humanisation des hommes qu’il adoptait pour enfants, ce qui nous a paru plus difficile, car cela nous semblait dilapider notre héritage avec des étrangers. L’incompréhension ancienne des juifs à l’égard du christianisme se répercutait dans la nôtre envers des chrétiens sortis de religion ou envers des hommes qui en pratiquent une autre et plus encore dans l’attitude de chrétiens qui se sentent violés par l’irruption d’étrangers avides, craignent-ils, de voler nos biens : on en revient aux problèmes d’héritage, comme dans l’Ancien Testament. Le service de l’Évangile réclame la conversion des esprits et des cœurs. Il ne demande pas, comme on l’avait cru au XVIe siècle, de découvrir des mondes nouveaux pour y implanter l’Eglise, mais de transformer ce monde pour en rendre l’héritage à ceux qui sont traités en étrangers : c’est une mission d’humanisme. »
Page 273 « quand on évoque les progrès de la déchristianisation de la société, ce n’est pas à la diminution des pratiques religieuses qu’on devrait faire référence par priorité, c’est à la perte du sens de la fraternité. ».
Page 274 : il fait allusion au livre plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien qui pense aller au devant du monde dans un double but : y rencontrer Dieu et y trouver d’autres chercheurs pour agir ensemble. Moingt partage cela. « On n’y trouve pas les mots d’humanisme ni de fraternité. Le monde est ainsi désigné comme un lieu en danger ou dépérit l’humanité mais aussi comme le terreau fertile où peut germer la fraternité si on a la chance d’y trouver Dieu et aussi de l’aide pour trouver la terre. Jésus n’a pas envoyé ses apôtres parcourir le monde, qui était alors un monde païen pour y bâtir des églises (il n’y en avait pas de son temps et il n’en avait pas souci), car le Dieu Esprit ne se laisse pas enfermer dans des lieux sacrés, il vit dans le cœur des hommes dont il veut faire ses enfants et c’est ainsi que nous le découvrons, en plein monde, dans sa vérité de père des hommes et sa nouveauté de père de Jésus. Et nous n’allons pas aux autres pour leur enseigner cette vérité et les faire entrer dans nos églises, mais pour la découvrir avec eux car c’est leur soif de vérité qui ne dévoilera de plus près la paternité de Dieu à notre égard, et c’est d’eux aussi que nous apprendrons de quoi le monde a le plus besoin. Ainsi porterons nous aux hommes, la bonne nouvelle du salut : le bonheur que tu souhaites à ce monde, tel que ce monde est construit, et que tu as lui apportes des maintenant par l’entremise de tous les « hommes de bonne volonté».